Cabarets de curiositĂŠs
story story -telling telling
En application de la loi du 11 mars 1957, il est interdit de reproduire intégralement ou partiellement le présent ouvrage sans autorisation de l’éditeur. Direction artistique : Romaric Daurier En complicité avec Hermann Lugan et Alexandra Davenne Conception éditoriale : Clarisse Bardiot © Le phénix scène nationale Valenciennes, 2014 Boulevard Harpignies, BP 39 – 59301 Valenciennes Cedex www.lephenix.fr © Éditions Subjectile et Clarisse Bardiot, 2014 8, rue Ferrand, BP 40506 59321 Valenciennes www.subjectile.com Subjectile : ISBN : 978-2-36530-018-6 © Les Solitaires Intempestifs Diffusion et distribution Les Solitaires Intempestifs 1 rue Gay Lussac 25000 BESANCON 03 81 81 00 22 ISBN : 978-2-84681-409-6 www.solitairesintempestifs.com QR CODE – MODE D’EMPLOI Sur la couverture, scannez le code-barres 2D (le QR Code) à l’aide de l’appareil photo de votre téléphone portable. Si ce dernier ne possède pas de scanner intégré pour les lire, il vous suffit de télécharger une application gratuite (NeoReader, ActivePrint ou Kooltag). Grâce à la connexion Internet de votre téléphone et au scanner, une page s’ouvre : vous accédez directement au site Internet correspondant.
AVANT-PROPOS Quand tout récit a été remis en cause et balayé du plateau, comment recommencer à raconter des histoires ? Quand le storytelling s’est généralisé aux industries culturelles, à la politique, au monde du travail, comment reprendre confiance dans la fiction ? Les romanciers ou les scénaristes espèrent toujours avoir une histoire intéressante à raconter. Une bonne histoire, c’est aujourd’hui aussi ce que recherchent à tout prix autant les hommes politiques que les marques pour influencer les comportements des électeurs ou des consommateurs. Les récits du monde ne sont plus seulement innombrables, comme l’écrivait Roland Barthes ; ils sont aujourd’hui omniprésents, installés au cœur même de la vie quotidienne. Aujourd’hui, de nombreux artistes ont décidé de réintroduire le récit comme élément structurant de leur démarche après avoir fait le ménage des formes. Ce troisième numéro de la collection Cabarets de Curiosités s’articule autour de cette question et réunit des artistes, des auteurs, des théoriciens ou encore des commissaires d’exposition. Les réflexions de Rodrigo García Hugues Jallon, Christian Salmon, Béatrice Picon-Vallin et Gunnar B. Kvaran ainsi que les démarches de Benjamin Dupé, Charles Pennequin, Éric Duyckaerts, Koen Vanmechelen, France Distraction, Les Baltazars, Diederik Peeters, Julien Prévieux et Alain Savouret sont autant de réponses au storytelling. Ces nouvelles narrations tentent de nous faire voir le monde dans sa complexité, avec son grain, pour reconquérir un imaginaire qui ne nous soit pas imposé.
SomSommaire maire
Le messager Le messager des Asturies des Asturies
Rodrigo García .............................. p. 6
Politique Politique de de l’écriture l’écriture
Hugues Jallon & Christian Salmon ..................... p. 12
The The Cosmopolitan Cosmopolitan Chicken Project Project Chicken (CCP) (CCP) Koen Vanmechelen .................... p. 22
Experts Experts du du quotidien quotidien contre contre spin spin doctors doctors
Béatrice Picon-Vallin ................. p. 36
Les Les thermes thermes
France Distraction ..................... p. 44
Une dramaturgie Une dramaturgie de de la la matière. matière. Série Série Nocturnes. Nocturnes. Sédiments/ Sédiments/ Tumbleweed Tumbleweed
Amorce. Amorce. De la la goutte goutte De à la la gouache, gouache, à en passant passant en par la la main main par
Histoires Histoires de de formes formes
«Tu causes causes ?» ?» «Tu À propos propos À d’Alain Savouret Savouret d’Alain
Les Baltazars .............................. p. 54
Gunnar B. Kvaran ....................... p. 64
Procédés Procédés narratifs narratifs
Diederik Peeters ......................... p. 68
Lettres Lettres de de non-motivation non-motivation
Julien Prévieux .............................. p. 78
Éric Duyckaerts & Charles Pennequin................. p. 96
Benjamin Dupé .......................... p. 104 Biographies .............................. p. 114 Programme .............................. p. 116
LE MES LE MES- SAGER SAGER DES DES ASTUASTU - RIES RIES Rodrigo García
Permettez-moi de souligner l’idée de groupe, ce qui revient plus ou moins à dire de bande ou de clique. Pris chacun isolément, œuvrant seuls et en leur nom, ils n’oseraient pas faire grand-chose. Ce n’est pas qu’ils manquent de courage, c’est que, loin de la protection du groupe, il leur manque l’émotion, la commotion et l’irrationalité, c’est-à-dire le carburant qui fait avancer ce sinistre moteur. La solitude, en revanche, les met à la merci du grand ennemi : la réflexion. Se connaître soi-même. Lors de plusieurs de mes spectacles, voilà comment les censeurs se présentaient à l’entrée des théâtres : en bande, comme les ultras au football. Avec l’intention de saboter les représentations, puisqu’ils n’avaient pas pu les faire interdire. J’ai dû supporter chaque soir des groupes de fanatiques catholiques face aux portes du Théâtre du Rond-Point, à Paris, pour ma pièce Golgotha picnic.
Qu’est-ce qui peut pousser un groupe de gens à se mettre d’accord pour censurer ? Qu’est-ce qui peut inciter une série d’individus à se regrouper (et à perdre leur individualité, voire à se diluer) dans le but d’interdire certaines des libertés et des droits d’un artiste ? C’est la première question.
Et j’ai dû supporter des groupes de fanatiques défenseurs des animaux face aux portes du Teatro I de Milan et de bien d’autres théâtres où ma pièce Accidens était jouée. C’est toujours pareil. Il n’y a jamais personne à qui associer un visage, un nom, un passé, une histoire personnelle, afin de pouvoir débattre. La masse avance masquée derrière les sigles d’un rassemblement.
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Emmanuel Levinas dirait que cette foule n’a pas de visage. S’il n’y a pas de visage, il n’y a ni dialogue ni entendement. Comme quand on plonge un cachet d’Alka-Seltzer dans un verre d’eau, l’effervescence de la troupe exaltée grandit en prévision de l’intimidation à venir. Ces bandes Alka-Seltzer/idéologiques ne sont pas sans rappeler une forme de régression, un retour à l’adolescence. Disons que le groupe est le « lieu » parfait depuis lequel exercer la violence et qu’aux antipodes se trouve la vocation oubliée du solitaire. La solitude est le paysage adéquat à la réflexion, l’endroit où nous nous préparons à la deuxième étape : dialoguer. En usant de notre lumineuse solitude, nous devrions nous interroger sur les raisons occultes qui parfois nous poussent à attenter à la liberté d’expression d’autres individus. D’où vient cette rage ? Quelles sont ces valeurs culturelles sacrées dont la bande estime qu’elles ont été offensées, et quel est ce fouillis inconscient qui gît dans les profondeurs de chaque individu dilué dans le troupeau des fanatiques effervescents ? En ce moment-même, je me demande quelle est l’origine de ce grondement, de ce murmure confus et incessant
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Le messager des Asturies
qui habite les profondeurs abyssales de la rage collective. La rage est un lieu où la lumière ne parvient pas. C’est le fond de la mer. C’est le bout de la grotte. Un groupe de fanatiques enragés s’efforce de nous présenter un tour de magie qui, comme n’importe quel tour de magie, n’est rien d’autre qu’un numéro complètement gâché : ils veulent faire disparaître l’œuvre de l’artiste, ils ne se contentent pas de s’abstenir d’affronter l’œuvre en question. Ils aspirent à ce que personne d’autre ne puisse la voir, ils ourdissent le tour de magie superlatif, le gâchis suprême : obtenir la disparition de l’artiste, œuvre incluse. La semaine dernière, j’ai reçu chez moi une commande passée sur internet : une soi-disant merveilleuse version du Parsifal de Richard Wagner, un compositeur que je déteste pour sa vulgarité, mais que je prends malgré tout le temps d’écouter. Le disque a été enregistré à Bayreuth avec de grands interprètes, sauf que, quand on écoute le premier CD, l’ouverture par exemple, le public passe son temps à tousser. Par-dessus, par-dessous, au rythme de l’orchestre, tout ce qu’on entend, ce sont des quintes de toux et rien d’autre que des quintes de toux. Au théâtre, quand la bourgeoisie ne ronfle pas, elle a le rhume.
Bref, j’ai débarqué ici, à Lille, depuis mon village des Asturies, dans le but de réunir et de constituer un groupe de fanatiques afin que tous ensemble nous fassions interdire ce disque de Wagner. Et je ne rentrerai pas chez moi avant d’avoir recruté au moins cent cinquante personnes prêtes à se présenter aux portes de la maison de disques Decca pour exiger la destruction de cet enregistrement historique. Je le considère comme une arnaque et j’exige qu’on me rende mon argent, ce sont quatre CD, le coffret m’a coûté presque cinquante euros. J’ai par ailleurs l’intention d’exiger une indemnisation auprès de la maison de disques pour le temps que j’ai perdu ainsi que pour les préjudices moraux et les problèmes conjugaux que m’a valus cette version pleine de toussotements de Parsifal. Ils collent sur le CD une étiquette bleue et dorée avec l’inscription «Legendary Recording». Et ils sont contents d’eux.
Quelqu’un «leur avait dit» que la pièce était une offense à la religion. Quelqu’un «leur avait dit» que dans la pièce on torturait des animaux. De même que quelqu’un avait dit au peuple allemand qu’il était une race supérieure. Il semble qu’aujourd’hui on n’ait plus le temps de vérifier les choses par soi-même, à moins qu’on ne possède pas les instruments éthiques pour se livrer à cette tâche ardue. Nous naissons, nous vivons et nous mourons seuls, empêtrés dans nos propres soucis, et notre marque de fabrique est l’impossibilité de transcendance. Donc toute tentative de normalisation de l’expression individuelle de l’être humain est une ineptie. Vous pensez peut-être, à cet instant, à des cas extrêmes, l’homicide par exemple, mais le tu ne tueras point ton semblable est une évidence, et ce n’est pas de ça dont il s’agit.
Comme vous pouvez le constater, nous avons tous une bonne raison, si le cœur nous en dit, d’attaquer et d’interdire.
Tu ne tueras point est, de tous les commandements, celui qui a été le moins respecté par l’homme, il suffit de jeter un coup d’œil sur l’Histoire pour s’en rendre compte.
Ce qui est paradoxal dans les cas de censure me concernant, outre la pression qu’il m’a fallu si souvent supporter (pression destinée à me déstabiliser dans mon travail, à me faire échouer), c’est que ces groupes d’intimidation n’avaient pas vu les pièces qu’ils voulaient faire interdire.
Lorsque dans la merveilleuse ville sicilienne de Catane, dans une région où chaque semaine des tas de gens se font descendre par la mafia pour des histoires de business illégal ou pas, on m’a interdit de tuer un homard pour le manger dans ma pièce Accidens, ça ne m’a pas du tout surpris.
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Les organisateurs du festival, qui connaissaient le spectacle et qui l’avaient fait venir, ont eu affaire aux administrateurs du théâtre dans lequel la pièce allait être jouée. La salle avait été louée par le festival, et les administrateurs de cette même salle avaient cédé aux pressions des groupes de fanatiques défenseurs des animaux, non pas parce qu’ils adhéraient à leurs idées mais parce qu’ils avaient peur de perdre leur subventions annuelles et parce qu’ils avaient peur que le public sensible à ce genre de cause cesse de fréquenter leur théâtre ou aille jusqu’à se livrer à une campagne de dénonciation contre leur théâtre-entreprise. En clair, la censure n’était due qu’à des raisons économiques privées : les gars du théâtre voulaient mettre leur cul à l’abri et ils ne tenaient absolument pas compte de la valeur du spectacle, de la pièce de théâtre en tant qu’acte politique. Et maintenant, sachant que le temps est compté car je ne suis pas le seul à cette table, j’aimerais projeter une version écourtée – à peine plus de dix minutes – de ma pièce Accidens, qui tout à l’heure nous permettra éventuellement de débattre si cela vous semble pertinent. Traduction de Christilla Vasserot Texte inédit issu de la conférence présentée par Rodrigo García à l’occasion des rencontres professionnelles «Territoires artistiques, territoires de liberté» le 13 juin 2013 à Lille. Rencontres organisées par Latitudes Contemporaines, direction Maria-Carmela Mini. À paraître dans un recueil de textes publié aux Solitaires Intempestifs.
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Le messager des Asturies
POLI POLIPOLITIQUE TIQUE DE DE L’ÉCRI L’ÉCRI L’ECRI -TURE TURE Hugues & Christian Jallon Salmon
Christian Salmon, ancien président du Parlement International des Écrivains, a dénoncé dans plusieurs ouvrages cette «nouvelle arme de distraction massive» qu’est devenu l’art de raconter des histoires lorsqu’il est investi par les logiques de la communication et du capitalisme triomphant. Le storytelling, nouvel ordre narratif, envahit le marketing, la vie politique, le management, etc., pour mieux formater les esprits. À l’opposé de cette inflation narrative, le dernier ouvrage d’Hugues Jallon, Le Début de quelque chose (Éditions Gallimard, collection Verticales, 2011), propose au lecteur un récit ténu, où l’utopie familière des camps de vacances, de la vie de groupe, est disloquée, détraquée.
Christian Salmon : Nous sommes tous les deux, je crois, intrigués par l’omniprésence actuelle du récit dans des domaines aussi différents que le management et l’entraînement des militaires, la communication politique et la lutte antiterroriste... De ce point de vue, Le Début de quelque chose est une expérience singulière, tournant résolument le dos à tous les clichés rattachés aujourd’hui à la fiction (narrateur omniscient, psychologisme, personnages, intrigues, tension narrative…) au profit d’une approche du réel qui ne se confie pas aux procédés habituels de la narration engageante sans tomber dans la poésie. Certains éléments m’ont particulièrement frappé, comme la figure plurielle, non identifiée du narrateur, une sorte de chœur. Le Début de quelque chose est une narration chorale, un roman des voix. Il existe des précédents, comme le manifeste de Dziga Vertov, Le Ciné-œil (1923). Dans ce texte, Vertov s’insurge contre ce qu’il appelle «les étreintes exquises des romances, le poison du roman psychologique, les griffes du théâtre amoureux». Le Ciné-œil, ou L’Homme à la caméra, c’est l’irruption de l’électricité dans la conscience, c’est le point de vue de la locomotive, de l’automobile, c’est l’image-mouvement.
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Vertov veut montrer aux spectateurs le monde tel qu’ils ne l’ont jamais vu alors qu’une révolution technologique change leur perception, leur rapport à l’espace et au temps, au corps… Aujourd’hui, nous vivons un basculement comparable qu’on désigne parfois comme la troisième révolution industrielle (les NTIC et les biotechnologies) qui change notre rapport au monde et ébranle les formes traditionnelles de narration. Toute la question aujourd’hui est de retrouver des connexions avec l’expérience sans passer par le câblage narratif, les engrenages narratifs. Hugues Jallon : Christian et moi – mais quelques autres encore, je l’espère – partageons (encore) l’idée qu’il existe, pour le dire vite, un lien fort entre forme littéraire et forme politique. Il y a une littérature immense à ce sujet – le cours de Pierre Bourdieu sur Manet publié à l’automne 2013 (Seuil) en est un exemple récent, mais un ouvrage plus ancien que j’ai découvert assez tard m’avait particulièrement impressionné : Fictions de l’anarchisme, de Uri Eisenzweig, qui explore les rapports entre l’émergence des avantgardes littéraires de la fin du XIXe siècle et la vague d’attentats anarchistes qui ensanglante la France à la même époque. Pour aller vite encore – le livre est d’une immense richesse – une personne qui jette une bombe dans un café et le travail de Mallarmé ne constituent pas des histoires distinctes, autonomes.
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Politique de l’écriture
À certains égards, affirmer l’existence de ce lien étroit, même si complexe, mais quasi-«existentiel» (pour certains écrivains) entre forme littéraire et forme politique peut paraître trivial, notamment au regard de l’histoire des avant-gardes. Mais il faut le rappeler dans une époque où, aujourd’hui, tel ou tel livre est considéré comme un geste ou un texte «politique», parce qu’il s’empare de sujets de société ou de sujets politiques, dans une intention plus ou moins critique. On réactive la figure du romancier sociologue (alors que la sociologie est devenue une discipline professionnelle, à la différence de l’époque où écrivaient Balzac ou Zola). Résultat, on a tous ces livres qui sur-thématisent leur propos (le livre «sur» l’école, l’entreprise, la guerre, etc.), plus ou moins sophistiqués dans leur forme, mais qui rarement font de leur geste littéraire, de leur forme, un geste authentiquement politique… Que fait-on du récit dans un tel contexte ? Comment, à quelle condition la forme récit peut-elle devenir un geste solidairement politique ET littéraire, autrement dit un acte d’émancipation ? C’est une question éminemment complexe, à laquelle Christian s’attelle, qui revient sans cesse il me semble, même s’il ne le formulerait peut-être pas de cette manière. On peut considérer l’hégémonie contemporaine du récit sous ses formes diverses comme ce qu’elle est : une infrastructure de domination (je passe sous silence les propos passablement nigauds défendant l’idée d’un invariant anthropologique du récit du genre :
«les hommes ont de tout temps raconté des histoires» – évacuation de toute forme d’historicité, d’histoire littéraire, on ne pense plus rien, on raconte, on applique – on joue avec – des techniques narratives, etc.). Donc si, comme écrivain, je veux être un peu conséquent (je suis très attaché à ce souci d’être – le plus possible, ce n’est pas simple – conséquent dans mes choix littéraires, stylistiques, formels, quitte à m’imposer des contraintes parfois très dures, j’y reviendrai), je fais le choix de me situer du côté de la critique. Comme d’autres – je pense au travail de Jean-Charles Masséra – il faudrait prendre le parti de la déconstruction du récit – écrire des fictions qui sont autant de déconstructions des récits littéraires mais aussi ceux de la communication, du management, du cinéma, de la télévision, et de tous les idiolectes professionnels qui sont autant de dispositifs de domination, d’aliénation et de domestication des âmes, des imaginaires, des corps, etc. Détournement/retournement de la langue de l’ennemi, «cut-up», la langue est «fasciste» écrit Roland Barthes dans La Leçon et en même temps je ne peux écrire «qu’en ramassant ce qui traîne dans la langue». Tout le paradoxe est là, qui me fait avancer. À certains égards, ma pratique littéraire participe de ce parti pris de départ. Mais là, nouveau problème, nouvelle question, éminemment politique (trouver une cohérence politico-littéraire à mon travail est l’exercice le plus difficile pour moi).
Si on laisse un moment de côté l’espace de la littérature, et qu’on regarde ce qu’est devenu le monde social (ce qui correspond à mon expérience sociale, celle de quelqu’un né au début des années 1970), que voit-on ? On voit que l’ère néolibérale et son entreprise de destruction du fordisme sont allées très loin dans la déconstruction de nos cadres sociaux et, par-là, de notre expérience sociale. Chacun a le sentiment plus ou moins diffus que tout s’effrite, les institutions politiques, le salariat, l’État, la famille, une vie n’est plus un plan de vie, c’est un plan d’immanence et d’incertitude très angoissant… Certains (souvent privilégiés) peuvent se réjouir de cette «fluidification» et de cette «nomadisation existentielle» et y trouvent leur compte. Je ne vais pas entrer dans ce débat politique et stratégique fondamental sur ce qu’on doit faire face à ça mais je crois qu’il faut être lucide sur cette séquence qui a été un processus de déconstruction de nos existences sociales, intimes, etc. Et j’essaie de conserver cette lucidité comme écrivain aussi. Et c’est là que ça se complique pour moi, avec cette question : dans son intention critique, la fiction doit-elle, elle aussi, participer à ce travail de déconstruction ? Quand tout se fragmente, quand le sujet, l’individu vit dans un état d’incertitude, quand les horizons de vie se pulvérisent, faut-il ajouter à cette pulvérisation, aller vers une esthétique du fragment ? Littérairement, psychologiquement et politiquement, j’ai du mal à l’assumer… Christian Salmon : Tu ne te résignes pas à de la déconstruction.
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Hugues Jallon : J’essaie de ne pas m’y résigner, tu as raison ! Pour le dire vite, je tiens au récit, ou au contre-récit, faute de mieux, ce qui me tient au fond à une certaine distance de la poésie – comme du roman. J'essaye de trouver un niveau intermédiaire pour éviter d’être dans une logique de fragmentation. Dans Le Début de quelque chose, le travail de reconstruction passe par le fait d’essayer de formuler une sorte de diagnostic social, en puisant dans la sociologie, par exemple, mais en «osant» des rapprochements, des analogies que la sociologie ne ferait pas d’emblée, pour des raisons évidemment scientifiques. On a beaucoup dit que Le Début de quelque chose était un livre sur les vacances, sur le tourisme. Cet imaginaire est là, bien sûr. Mais c’est aussi un livre sur l’enfermement, sur une expérience hors du temps, hors de l’Histoire. Tous ces gens peuvent être également dans une maison de retraite, dans un groupe sectaire, on ne sait pas trop, c’est la construction d’une société hors du monde qui crée ses propres règles, dont le propos est aussi de formuler une critique (une déconstruction) des «hétérotopies» dont parlait M. Foucault… À l’avenir, je souhaite aller plus dans cette idée de reconstruction. Je travaille sur une histoire alternative – évidemment personnelle – de l’après-guerre, à partir d’un matériau biographique. Quelle vision des cinquante dernières années peut émerger de la confrontation/articulation de biographies de personnes plus ou moins célèbres qui apparemment n’ont aucun
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Politique de l’écriture
rapport entre elles, ne se sont pour la plupart jamais rencontrées ? C’est le point de départ du livre, un point de départ pragmatique, je ne sais pas à l’avance ce qui va émerger, c’est une investigation historico-littéraire assez passionnante – et très angoissante, une sorte de puzzle à construire sans modèle, sans esquisse, sans thème prédéfini, un agrégat qui pourra ou non faire sens, et faire littérature – je n’ose pas dire «récit», qui reste pour moi un mot trop piégé… Christian Salmon : Hugues évoquait tout à l’heure l’essai d’Uri Eisenzweig Fictions de l’anarchisme. C’est un livre qui a aussi beaucoup compté pour moi. Je voudrais l’évoquer à mon tour sous l’angle de l’analyse du terrorisme. Eisenzweig s’appuie sur le roman de Conrad, L’Agent secret, pour définir une certaine philosophie du terrorisme. Selon Conrad, l’attentat parfait serait celui qu’il est impossible d’expliquer et même de raconter. Ce n’est pas possible ! Voilà la réaction que doit inspirer un véritable acte de terreur. L’incrédulité. C’est l’impossibilité d’intégrer l’attentat dans un récit qui en fait précisément un acte et non un symbole. Ce n’est pas un acte gratuit puisqu’il vise à désarticuler le récit dominant, non pour lui opposer un autre récit mais en ruinant la compétence fictionnelle du pouvoir en place. L’attentat serait donc un contre-récit qui produit de l’incrédulité alors que le récit de fiction implique de la part du lecteur une attitude que les narratologues qualifient de «suspension provisoire de l’incrédulité».
En ce sens la cible visée dans le roman de Conrad est exemplaire, puisqu’il s’agit de l’Observatoire de Greenwich, c’est-à-dire le lieu géométrique grâce auquel nous disposons de repères spatiaux-temporels sans lesquels il n’y a pas de récit possible (ce que M. Bakhtine a appelé «le chronotope»). Frapper le méridien de Greenwich, c’est rechercher un effet de sidération. C’est produire du silence. De même en s’en prenant au Paris de Haussmann et à l’idée d’un urbanisme construit, les anarchistes faisaient vaciller les repères rationnels, la lisibilité de l’architecture de la ville. Le 11 septembre 2001, l’attaque contre le WTC est la remarquable application de cette philosophie non plus a-narchiste mais a-symbolique, antinarrative. Frapper le récit américain au cœur. Opposer à l’ubiquité souveraine du grand récit américain, une autre ubiquité, clandestine celle-là, quasi divine, capable de dominer l’espace et d’interrompre le temps, en frappant partout et en même temps. Deux avions pour les Twin Towers, deux avions pour les Twin Powers (Le Pentagone et la Maison Blanche). Le but de cette entreprise, c’était de produire un effet de dés-orientation. Selon Bakhtine, tout récit repose sur un chronotope, c’est-à-dire une certaine articulation entre le temps et l’espace. Une révolution technologique n’est rien d’autre que le passage d’un chronotope à l’autre qui remanie les coordonnées de l’expérience et donc bouleverse les formes d’appréhension, de transmission de cette expérience…
Depuis la fin des années 1980 c’est cette crise de narration qu’enregistre et déploie le phénomène du storytelling… C’est-à-dire une forme d’impérialisme narratif qui prétend faire du récit le seul vecteur des expériences… Hugues Jallon : Le commun et la narration : je suis très attaché à cette question, et ce de deux manières, avec toujours ce souci de tenir en même temps travail littéraire et intention politique. En premier lieu, une question m’intéresse depuis longtemps : pourquoi aime-t-on les groupes et les déteste-t-on à la fois ? C’est une question triviale mais c’est le grand paradoxe social et politique de la modernité : nous sommes avant tout et de plus en plus des individus et en même temps nous ressentons encore une sorte d’attraction bizarre et naturelle à l’idée d’être ensemble. C’est à partir de ce paradoxe, pour l’interroger, le mettre en scène, que j’ai voulu, dans Zone de Combat, mon second livre, écrire un texte à la première personne du pluriel, un «nous» qui est alternativement un couple, un groupe, ou la société tout entière, comme emboîtés dans un même récit. Je n’avais pas remarqué jusqu’à ce qu’Alain Robbe-Grillet le rappelle quelque part, que la première phrase de Madame Bovary est écrite à la première personne du pluriel : «Nous étions à l’Étude, quand le Proviseur entra suivi d’un nouveau habillé en bourgeois et d’un garçon
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de classe qui portait un grand pupitre. Ceux qui dormaient se réveillèrent, et chacun se leva comme surpris dans son travail.» Et puis le «nous» disparaît… et ce jusqu’à la fin du livre... D’une certaine façon, je prenais une dérivation, en continuant au «nous», le personnage principal n’est pas Charles, mais le narrateur pluriel qui se raconte lui-même. Et là je me suis rendu compte à quel point «nous» a du mal à exister, c’était une expérience politique et littéraire éprouvante dans sa réalisation : car «nous» ne va pas de soi (ça on le sait, un couple, un groupe, une société, c’est fragile) mais «nous» ne tient jamais la route, «nous» n’a pas grand-chose à dire, «nous» entre en crise à chaque page, «nous» devient fou, peut devenir fanatique… La seconde manière de prendre en charge littérairement le commun, plus indirecte, se situe du côté de l’image. L’un de mes partis pris est de proscrire le recours à l’image littéraire. Je m’impose de ne pas recourir à la métaphore, ni à la comparaison (ou alors dans ses formes les plus courantes). Il y a cette phrase, dans le journal de Kafka : «Les métaphores sont une des choses qui me font désespérer de la littérature», qui a dû être interprétée de mille façons par les spécialistes. Disons que je la prends au pied de la lettre, pour en faire une sorte de principe personnel. Situationnisme de café du commerce, expérience personnelle mais largement partagée : trop, trop d’images, partout, tout le temps, dans les livres, au cinéma, dans la rue et ailleurs. Ajouter d’autres images aux images ? Pourquoi au fond ?
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En même temps, je sais bien que mes textes produisent des images (comme n’importe quel texte). Mais je crois que le fait de ne pas proposer mes images a un effet spécifique : celui d’activer, de réveiller les images personnelles, intimes, mais aussi partagées, communes des lecteurs (une lectrice m’avait parlé d’un de mes livres en ces termes). La littérature se donne alors comme une expérience «partagée». De ce point de vue-là, je me situe assez loin de cette vision démiurgique, unilatérale (faussement généreuse, mais vraiment narcissique) de l’écrivain offrant (imposant ?) son «monde», ses images au lecteur. La situation est décalée, l’horizon d’attente est déçu, un espace plus incertain est ouvert pour que le lecteur puisse y trouver (ou pas) sa place, la refuser, s’y confronter. À mes yeux, ce parti pris est partie intégrante de la fonction politique de la littérature. Christian Salmon : Dans sa correspondance avec Milena Jesenská, Kafka explique son refus de continuer à écrire des lettres par cette pirouette très connue : «Les baisers écrits ne parviennent pas à destination, les fantômes les boivent en route.» Mais cette fantamastique kafkaïenne n’a rien de mystique ; elle s’appuie sur la distinction suivante : il y a pour Kafka deux catégories de techniques : les technologies qui rapprochent les hommes entre eux (le train, l’avion…), et celles qui éloignent, qui créent des relations fantomatiques entre
les hommes (la télégraphie sans fil, le téléphone…). Selon Kafka, les secondes supplantent les premières et font triompher les relations fantomatiques entre les hommes. En quoi cela concerne-t-il Kafka et la politique de l’écriture ? Eh bien justement, le rôle de l’art selon Kafka, ce qu’il appelle une considération «stratégique» consiste à lutter contre ces relations fantomatiques. Comment ? En s’efforçant de recréer «les conditions d’une parole vraie d’être à être». D’un côté les machines techniques de narration, qui arraisonnent, formatent, prescrivent des conduites et saturent l’imaginaire des gens ; de l’autre l’art comme éveil, écart, dérive… Pour Kafka la littérature est un art stratégique, une acupuncture des sens : elle doit réveiller la perception, permettre aux gens de trouver de nouveaux angles pour pénétrer la réalité.
concentrées autour de la création d’un imaginaire, etc.), ce qui fait que je ne parviens pas à assumer certains mots comme «créativité»… Si créer des images, imaginaires, des «mondes» devient la fonction centrale de l’accumulation capitaliste, quelle place pour l’artiste, l’écrivain ? Qu’est-ce qu’il devient ? Qu’est-ce qu’il peut/doit faire ? On ne peut pas faire l’impasse sur ce problème et ces questions si on veut prendre au sérieux l’ambition critique de la littérature et inscrire son histoire dans une analyse plus globale des transformations des sociétés capitalistes avancées. C’est très difficile de tirer les conséquences de cette évolution, de trouver les mots justes pour dire ce que l’on fait. Je n’ai pas de réponse.
Hugues Jallon : Désimaginer la perception. Appauvrir les propositions. Trop de livres ressemblent à des gâteaux trop sucrés.
Christian Salmon : Il me semble que la difficulté vient du fait que le récit, qu’on le considère dans sa dimension esthétique, comme un divertissement ou un art, qu’on l’étudie dans sa dimension de rituel dans une visée anthropologique, ou dans la perspective sociologique des récits de vie au travail, bénéficie d’une sorte d’innocence… La narratologie nous a habitués à considérer le récit comme un objet à étudier, à classer, mais jamais comme un enjeu de luttes…
Christian Salmon : Les théoriciens du «storytelling management» ont une expression formidable : ils parlent «d’expérience tracée». Le storytelling a pour but de tracer les expériences. Hugues Jallon : C’est la question posée plus généralement aux pratiques artistiques contemporaines, lesquelles constituent, qu’on le veuille ou non, le cœur de la productivité capitaliste. La créativité, mais aussi la fiction, la narration, le récit sont désormais au cœur de la production de valeur (les marques commerciales sont
Hugues Jallon : Je ne connais pas bien, mais il me semble que le théâtre a évolué, pour trouver d’autres matériaux, plus documentaires, une façon de
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retrouver le réel, en dehors des formes traditionnelles du récit – je pense à Rodrigo García, par exemple. Christian Salmon : Deleuze a ouvert la voie en nous invitant à politiser la «fonction fabulatrice» de Bergson. Selon lui, il faut distinguer la fonction fabulatrice des pauvres et les fictions régulatrices, normatives du pouvoir. Les expériences tracées et celles qui ne sont pas assignables à une fin, une stratégie ; c’est l’anthologie des exodes, des exclusions, c’est le grand bestiaire des devenirs deleuziens, devenir femme, devenir nègre, devenir oiseau, devenir landes… C’est l’immense atelier des transformations d’Ovide à Joyce qui sans cesse met en jeu, c’est-à-dire en mue, les corps et les langues… C’est l’immense vague qui sans cesse se reforme et se nourrit des souffrances, des exclusions, de ceux qui n’ont rien et doivent s’inventer à partir de ce rien, des patries imaginaires, des Indes de l’esprit… Propos recueillis par Clarisse Bardiot et Romaric Daurier.
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Politique de l’écriture
THE THE COSMOCOSMOPOLITAN POLITAN CHICKEN CHICKEN PROJECT PROJECT (CCP) CCP CCP Koen Vanmechelen
MECHELSE FAYOUMI CCP
MECHELSE CUBALAYA CCP
ANCONA ITALIE
MECHELSE ANCONA CCP
ORLOFF RUSSIE
MECHELSE ORLOFF CCP
SILKY CHINE
MECHELSE SILKY CCP
FAYOUMI ÉGYPTE
MECHELSE SÉNÉGAL CCP
STYRIAN SLOVÉNIE
«La poule est la métaphore de l’homme, l’œuf la métaphore du monde et le laboratoire la métaphore de l’avenir.» Koen Vanmechelen, artiste belge internationalement reconnu, résume ainsi son projet intitulé Cosmopolitan Chicken Project (CCP), lequel vient de recevoir le prix Ars Electronica 2013 dans la catégorie «Hybrid Art». À la croisée de l’art et de la science, CCP fait intervenir des scientifiques renommés, dont Jean-Jacques Cassiman, spécialiste en génétique et pionnier dans l’étude de l’ADN. CCP est une œuvre infinie dont l’objet est le croisement de différentes races de poules, jusqu’à l’obtention d’une «poule universelle» composée des gênes des races de gallinacés du monde entier. En 2008, le premier couple, franco-belge, est constitué d’un coucou de Malines et d’un poulet de Bresse. De leur union est née la première «poule cosmopolite». Celle-ci a ensuite été croisée avec une race anglaise, pour donner naissance à une seconde génération d’hybrides. Et ainsi de suite, avec pour le moment seize races provenant de tous horizons : Belgique, France, Angleterre, États-Unis, Allemagne, Pays-Bas, Mexique, Thaïlande, Brésil, Turquie, Cuba, Italie, Russie, Chine, Égypte, Sénégal et Slovénie. Aujourd’hui, la poule cosmopolite en est à la 17e génération. Des exemplaires vivants sont régulièrement présentés en cage dans des galeries ou des musées, accompagnés de sculptures, de vidéos, de dessins, de chimères empaillées, de photographies, etc.
Pour les scientifiques, CCP est l’occasion de nombreuses études, le génome de la poule étant à 60% identique à celui du génome humain, tout en étant trois fois moins important. L’étude du génome de la poule permet ainsi une meilleure compréhension de maladies humaines, comme la maladie d’Alzheimer. D’autres découvertes ont eu lieu. Chaque génération d’hybrides est plus résistante que les races du couple de parents : la progéniture vit plus longtemps, est moins malade et moins agressive que ses géniteurs. De manière plus surprenante, les caractéristiques morphologiques sont effacées. Pour Koen Vanmechelen, CCP touche à des préoccupations contemporaines telles que la globalisation, le racisme, le clonage, la manipulation génétique. Véritable miroir tendu aux hommes, CCP est une métaphore de la société globalisée dans laquelle nous vivons, à l’heure où les échanges s’accélèrent, tout comme la mixité entre les peuples. En s’emparant de la figure de la poule, l’animal le plus domestiqué au monde et dont chaque pays a créé une race, Koen Vanmechelen initie une narration fondée sur la combinatoire du vivant pour mieux interroger le devenir de l’être humain. Clarisse Bardiot
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EXPERTS EXPERTS DU QUO DU QUOTIDIEN TIDIEN CONTRE SPIN CONTRE SPIN DOCTORS DOCTORS
Béatrice Picon-Vallin
D
ans la société en mutation qui est la nôtre, si la politique est en mal d’histoires pour (re)dorer les blasons d’hommes politiques sans charisme et nous faire rêver d’eux et de l’avenir avec eux, l’artiste d’aujourd’hui est en mal d’Histoire et au lieu de viser le floutage des faits dans une optique consensuelle, il cherche, interroge, trouve des angles nouveaux pour poser des questions, mieux tenter de comprendre ce qui se passe ou ce qui s’est passé dans le monde et dont la mise en lumière peut éclairer le présent.
Les voix, les gestes, les souffrances authentiques, dont parle le cinéaste roumain Cristian Mungiu 1 qui les évoque avec respect dans son cinéma du réel : c’est d’eux que l’art d’aujourd’hui est prioritairement en quête lorsqu’il interroge le bruissement, les vibrations, les faits de la réalité passée ou qui nous entoure de toutes parts – «parts» proches ou lointaines, la distance concrète ne fait plus rien à l’affaire. La construction artistique que par exemple le théâtre «concocte» 2 en collectif (les acteurs, le metteur en scène devenant historiens ou collaborant avec des historiens), tente de les convoquer sur un plateau, pour informer le public sur de petits événements choisis et révélateurs, pour le faire douter de faits qu’il croit connaître, ou encore pour l’alerter. Autrement dit, à l’obscurité fumeuse mais médiatique du storytelling inventé par des communicants pour le marketing de produits à vendre, appliqué à des hommes politiques à vendre comme des produits, scintille la pauvre clarté
des arts documentaires qui me semble s’opposer de toutes pièces à ce dévoiement du politique et du journalisme. Car même si ces derniers utilisent parfois le montage et la narration, ce ne sont ni avec les mêmes techniques ni avec les mêmes objectifs. Le théâtre tient une belle place dans ce développement du genre documentaire qui s’est manifesté avec force au début du XXe siècle. Le metteur en scène américain Peter Sellars m’avait dit un jour – c’était en 2003 je crois : «Le théâtre aujourd’hui peut être un moyen d’information alternatif.» Peut, bien sûr, et non pas doit. En ces temps où le théâtre continue de conjuguer, avec une énergie renouvelée par le développement des technologies, formes et facettes dans une hybridation féconde avec les autres arts, où il s’empare des secrets numériques, aucun discours ne peut être prescriptif. Mais on se doit de constater aujourd’hui l’efflorescence des théâtres documentaires et de comprendre que dans le contexte marketingo-médiatique ambiant, ces scènes documentaires sont d’authentiques scènes politiques. Le terme de «théâtres documentaires» recouvre aujourd’hui les multiples possibilités de parler, au théâtre, au plus près de la réalité. J’utilise le pluriel à dessein, car notre époque diffère des deux temps historiques où naissent et se développent les expressions consacrées : «drame documentaire» (Erwin Piscator, Le Théâtre politique, 1929), puis «théâtre documentaire» (Peter Weiss, 19673),
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et où la signification de ces expressions est précise – même si Weiss la décline en «14 thèses». Un jour la fiction ne suffit plus et les colères et révoltes grondent aux portes des théâtres, les investissent. Dans les années vingt du XXe siècle, Piscator met en pratique le drame documentaire en actualisant les pièces qu’il monte par le recours aux images ou aux sons rendu possible par l’avancée des techniques (projections, cinéma, animation, radio). C’est une démarche identique que mènent V. Meyerhold en URSS dans sa collaboration avec S. Tretiakov, et les artistes du Front gauche de l’Art LEF qui conçoivent un «théâtre factuel». Dans les années soixante, Peter Weiss en Allemagne écrit L’Instruction (1965), pièce conçue à partir des documents et des notes qu’il a prises lors du procès de Francfort, et qui sera montée dans toute l’Europe à la fin de la décennie soixante. La question du théâtre documentaire est liée à celle du développement des médias : Piscator voulait que le théâtre rattrapât le journalisme en plein essor, fût aussi opérant que lui dans la diffusion de l’information. Peter Weiss voulait, lui, donner à entendre ce que les journaux cachaient et cherchait à ce que le plateau pût fournir la contre-information la plus complète possible. Aujourd’hui, «le journalisme est pris dans un affolement», comme le dit Ignacio Ramonet 4. L’époque est surchargée d’informations partielles, chacun pouvant en produire sur des millions de sujets. Tout circule sur internet et court-circuite la presse écrite, le journalisme
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Experts du quotidien contre spin doctors
d’investigation est en crise et menacé de disparition, les chaînes d’information font circuler en boucle images et textes identiques, dans une démarche proprement hypnotique. Et la sacro-sainte communication ajoute à ce désordre, à cet éblouissement, avec son désir de raconter de «belles» histoires, propres à rendre plus crédibles les programmes ou les décisions politiques. Le dramaturge Fabrice Melquiot écrit, à propos de la presse actuelle : «L’actualité d’un événement, on la couvre, on la surexpose ; au bout du compte trop de lumière et on n’y voit plus rien.»5 Le théâtre, les arts plastiques et ses installations, peuvent sans doute, comme de rares médias alternatifs engagés, ou très récemment les Midia Ninija (acronyme pour Narrations indépendantes, journalisme et action) au Brésil, «éclairer» autrement, à leur façon, l’actualité comme l’Histoire, pour que le public y voie plus clair, en tout cas voie autre chose. En liaison avec cette crise de l’information, et aussi avec l’effacement, le brouillage de la coupure symbolique entre le domaine de la fiction et celui de la réalité, les arts documentaires et en particulier ceux qui s’expriment à la scène ont aujourd’hui de multiples facettes. Les méthodes de collecte, le choix et le traitement des documents, leur montage, leur dosage déterminent une typologie. Mais il ne s’agit pas pour eux de raconter une histoire sur un produit ou sur un homme-produit destiné à emporter la conviction, l’adhésion, l’achat ou le vote, il s’agit ici de dévoiler une parcelle de vérité pour faire
avancer une idée en péril qui est celle de démocratie. Pas un formatage des esprits, mais leur ouverture vers le doute, le questionnement, voire l’enquête personnelle. Les spin doctors du storytelling prennent des faits qu’ils tordent (to spin), auxquels ils confèrent «un effet» comme on dit d’une méchante balle au ping-pong, impossible à rattraper, pour mythifier des histoires personnelles, par lesquelles ils remplacent le débat d’idées. À l’inverse, Verbatim fut le nom du mouvement théâtral anglais des années 1960 qui voulait baser la dramaturgie contemporaine sur la reproduction intégrale de discours enregistrés. La communication politique narrative est loin des préoccupations des artistes documentaires qui font des études de cas particuliers, travaillent sans filtre sur des témoignages, des entretiens, tous directement extraits du grand chaos du monde. Ainsi Le Dernier Caravansérail (2003), au Théâtre du Soleil, est une des premières œuvres de théâtre traitant d’un problème central qui caractérise la fin du XXe siècle et le début du XXIe, celui du flux ininterrompu des migrants humains, les réfugiés, sous une forme «semi-documentaire». La troupe base en effet son travail théâtral sur des entretiens avec des témoins et des victimes, qui résonneront en V.O. dans le spectacle, seront traduits sur grand écran, et accompagneront des scènes de fiction théâtrale improvisées à partir d’une documentation serrée par des acteurs dont certains ont été les témoins authentiques des tragédies représentées.
Convaincre ou bien faire voir ? «La vérité est ce qui m’obsède le plus. Sur le plateau, j’essaie de la raconter.» Ainsi parle l’Italien Roberto Saviano, connu pour son combat héroïque contre la mafia sicilienne, dans une interview à propos de La Beauté et l’enfer (2010), un de ses spectacles-monologues, produit par le Piccolo Teatro de Milan. C’est là la caractéristique du théâtre «civil» de l’auteur-acteur Saviano, théâtre qui a pour objectif de rendre explosive une parole en la plaçant en dehors de tous les contextes qui la déforment, en la privant de toute fausse amplification médiatique, dans la confrontation, le face à face direct, physique, avec le public de théâtre. Les théâtres documentaires fleurissent dans les ex-«pays de l’Est». Ils ont à voir avec la réécriture nécessaire de l’Histoire qui doit y être menée, le remplissage des «pages blanches». En Roumanie le dernier spectacle de Gianina Cărbunariu, jeune auteur et metteur en scène, X millimètres d’ Y kilomètres (2012), se développe à partir d’une dizaine de pages tirées du volumineux interrogatoire par la Securitade d’un écrivain roumain, Dorin Tudoran, et donne à entendre quatre variantes possibles de lecture de ces textes, quatre narrations dissemblables. Le spectacle amène à penser que le document écrit ne fournit qu’une petite part d’information sur ce qui s’est réellement passé (en l’absence d’indications de placement, d’intonations, de pauses, de gestuelle, etc.). Ainsi G. Cărbunariu fait œuvre théâtrale
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en même temps que scientifique dans son approche théâtrale radicale du document d’archives. À Kichiniev, Nicoletta Niculescu prépare un spectacle intitulé La Vraie histoire, qui a pour sujet l’holocauste de Moldavie dont ne parlent pas les manuels scolaires, à base d’entretiens et de témoignages. Ici se crée sans aucun doute une narration nouvelle, historique et transmise par les moyens du théâtre et non de l’université. En Allemagne ou en Belgique, où le rapport à l’Histoire est différent, les théâtres documentaires prennent d’autres visages, plus ironiques, ou plus ludiques, tout en gardant les mêmes enjeux d’information alternative. Venu d’Anvers, le groupe Berlin crée, avec Tagfish (2010), un spectacle sans acteurs, par le tournage puis le montage d’une série d’entretiens vidéo successivement réalisés par les artistes avec les différents participants d’un projet de «site en développement» autour d’une immense mine de charbon de la Ruhr désaffectée et classée par l’Unesco, le Zollverein. Projetées sur les petits écrans-dossiers des fauteuils groupés autour d’une table ronde, les images des différents interlocuteurs, filmés en buste, semblent dialoguer entre elles. Ici le théâtre documentaire réalise une création de document original, une archive qui peut être mise au dossier de l’histoire de ce site, et qui dénonce des montages financiers douteux. Berlin complète la partie connue de l’histoire par son enquête serrée, son montage audacieux. La réalité n’est pas mythifiée, elle est sur-interrogée, par un dispositif raffiné mais identifiable par le public.
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Experts du quotidien contre spin doctors
Le groupe Rimini Protokoll rassemble également, dans chacun de ses projets qui le font voyager dans le monde, non pas des acteurs, mais ceux qu’il nomme des «experts du quotidien», personnes appartenant à un milieu où il a décidé de travailler – milieu professionnel qui lui permet de saisir et de dévoiler, à travers une réalité partielle, mais judicieusement choisie, des éléments cachés qui influent sur la vie de tous les jours. Dans Cargo Sofia (créé en 2006), le public est embarqué à bord d’un gros camion spécialement aménagé pour qu’il puisse voir des projections vidéo et des scènes d’extérieur lorsque le véhicule s’arrête. Il part pour un voyage d’une cinquantaine de kilomètres, conduit par deux camionneurs bulgares qui lui font découvrir de leur cabine la face cachée du transport routier européen des marchandises qu’il retrouve dans ses assiettes… Une expérience vécue qui est plus qu’une simple histoire. Ailleurs dans le monde, il s’agit de faire entendre les voix des laissés pour compte de la politique. À São Paulo, la démarche du Teatro Documentário, proche de Rimini Protokoll, s’attache à intégrer un travail social dans le processus même de création, à créer des liens dans une mégapole informe qui les détruit. Il s’agit ici d’un «théâtre documentaire de proximité» répondant à des questions urbaines propres aux différents quartiers de São Paulo, concernant l’orientation, le voisinage, la violence, les transformations rapides des rues et des paysages. Les enquêtes menées auprès des différentes personnes qui acceptent de «raconter»
visent à trouver des repères et à les ancrer dans la mémoire collective et personnelle pour résister au processus de dissolution propre à ce que Z. Bauman appelle «la société liquide». Les spectacles, gratuits, donnés pour un nombre réduit de personnes concernées, sont comme une alternative aux émissions de télé-réalité où tout est à vendre. La méthode, les protocoles de travail, d’investigation et de création, s’affinent au fur et à mesure que le groupe se déplace dans les différentes zones de São Paulo. Il peut aussi s’agir d’alerter, de diffuser une information plus ou moins confidentielle, que par exemple véhiculent des ouvrages non traduits. La compagnie Notoire, dirigée par Thierry Bédard, développe depuis 1989 des cycles de spectacles à tendance plus ou moins documentaire. Un des derniers en date, Blow up (2012), créé à partir de l’ouvrage Planet of Slums de Mike Davis, adopte la forme d’une conférence, accompagnée de musique, pour apprendre aux gens qu’un milliard d’habitants de la planète, près d’un sur dix, vit dans des taudis, dans des bidonvilles. Une actrice dit le texte au micro comme une chanteuse soul, décline des descriptions hallucinantes sur les alentours des grandes mégapoles. En 2012, dans Ten billions, l’Anglaise Katie Mitchell «signe» une conférence d’une heure trente tenue par un scientifique réputé, Stephen Emmott, neurobiologiste, directeur d’un laboratoire interdisciplinaire à Cambridge. Seul en scène, debout devant son ordinateur et manipulant un powerpoint,
il alerte le public sur l’augmentation inquiétante de la population mondiale, insistant sur le lien entre le réchauffement de la planète et la présence de plus de neuf milliards d’humains. «Mettre Stephen Emmott sur la scène oblige», selon K. Mitchell, «le public à prendre vraiment au sérieux la parole prononcée. Si c’est un acteur, le public peut passer, une fois encore, à côté du sujet»6. De son côté, S. Emmott assure que le déplacement de la parole scientifique, souvent peu écoutée et mal comprise, sur une scène de théâtre, permet de mieux faire comprendre à un public non spécialiste l’ampleur et la gravité de la situation. Descriptions, adresses directes pour des histoires de fin d’un monde, sans médiation communicationnelle et «à prendre vraiment au sérieux»… Une metteur en scène russe, Tatiana Frolova, qui a monté récemment un spectacle documentaire, Une guerre personnelle, à partir du livre La Couleur de la guerre écrit par Arkadi Babtchenko, journaliste engagé par deux fois dans la guerre en Tchétchénie, assure que «le théâtre est le lieu de la réalité la plus forte… Le théâtre est plus fort que le réel». On pourrait en conclure qu’il est donc bien le bon endroit pour étudier, interroger et faire connaître une partie de la réalité. Car si aujourd’hui la politique se raconte des histoires par l’intermédiaire de communicants, si le roman utilise la fiction, souvent débridée, pour explorer, expérimenter les possibilités d’un monde
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en mutation, au théâtre, ce sont la convocation de moments d’Histoire et l’utilisation, l’étude ou la confrontation des documents sur la scène, parfois fictionnalisés, qui aident à appréhender les multiples questions, grandes et petites, qui naissent à tout instant, et à tenter d’y répondre – autant d’ailleurs dans les spectacles que dans les discussions qui, très souvent, suivent ce type de représentations et en font partie intégrante. Et cet historytelling dont usent les collectifs d’artistes armés d’outils numériques et de lucidité critique n’est-il pas un contrepoison efficace au storytelling, quoique destiné à un public restreint ? Fragments remaniés d’un chapitre de l’ouvrage Les Théâtres documentaires dirigé par Béatrice Picon-Vallin et Erica Magris, à paraître en 2014 à L’Âge d’Homme, coll. th XX.
1. «Mais n’oublions pas, puisqu’il s’agit d’un prix d’écriture, que c’est une histoire vraie. Nous avons été inspirés de faits réels et donc, derrière cette histoire, il y a des gens qui ont réellement souffert…» Cristian Mungiu, Au-delà des collines, 27 mai à la cérémonie de remise des prix, Festival de Cannes 2012. 2. Je reprends le terme du
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vocabulaire de travail du Théâtre du Soleil. 3. Peter Weiss, «Notes sur le théâtre documentaire» (1967), in Discours sur la genèse et le déroulement de la très longue guerre de libération du Vietnam illustrant la nécessité de la lutte armée des opprimés contre leurs oppresseurs ainsi que la volonté des États-Unis
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d’Amérique d’anéantir les fondements de la révolution, traduction de Jean Baudrillard, Paris : Le Seuil, 1968, p. 8. 4. Ignacio Ramonet, «Le journalisme est pris dans un affolement», in Libération, 18 mars 2011, p. 16. 5. Cit. in Le Matricule des anges, Paris, n°38, 2002, pp. 7-8. 6. Programme de salle.
LES LES THERTHERMES MES France Distraction
L
’installation Les thermes est un bain de moralité, un spa dédié à la philosophie stoïcienne. Cette grande piscine en bois contient 25.000 balles en plastique noir souple, sur lesquelles sont gravés des fragments d’ouvrages stoïciens. Dans ce hammam de la pensée, le public peut s’immerger et s’imprégner lentement de ces aphorismes.
Les thermes peuvent être installés avec ou sans murs. Un pédiluve constitué d’une vidéo muette et d’un vestiaire vient compléter l’ensemble. Quelque part entre la piscine à balles et le sauna conceptuel, cet espace peut devenir un lieu de conférences ou de débats initiés par des invités divers, philosophes ou artistes. Installation créée en 2011
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UNE UNE DRAMADRAMADRAMA TURGIE TURGIE DE LA DE LA MATIÈRE MATIÈRE MATIERE
SERIE NOCTURNES SÉRIE SÉRIE NOCTURNES SÉDIMENTS/ SÉDIMENTS/ SEDIMENTS/ TUMBLEWEED TUMBLEWEED Les Baltazars
Une lumière, une température, une humidité, une couleur de sol, un spongieux de sol, ..., une couleur de feuille, ..., une épaisseur de silence, ..., tout constitue le paysage d’un instant. Tout et chacun y participe. Il est éléments qui ensemble le forment en se révélant les uns les autres.
C’est là sans qu’on s’en rende compte. Ça commence simplement. Puis ça continue. Et ça demeure.
Au départ une clairière un étang des roseaux auxquels s’accrochent les premiers fils du brouillard Au loin le ressac qui s’évanouit Le grondement sous le sable Une nuit qui tombe au-dessus de cela. Des oiseaux ou pas.
Au départ un son. Au départ le silence. Au départ un silence et un temps d’arrêt.
Au départ bien avant un désir Au départ une attente
Au départ une bassinée d’eau
et puis de la brume
Regarder longtemps. Elle est très légère. Ne presque pas bouger Au départ
Garder l’énergie sans lui donner de nom
Garder l’énergie son entière violence comme son inépuisable lenteur son ennui
Est-ce la scène qui reste dans l’ombre ? Est-ce le regard
Qui voit
Une fois sans l’histoire telle une page blanche
S’incrustent des morceaux d’hier et des morceaux de demain
nous sommes seuls en mouvement,
le temps est stable
Puis le spectateur va ailleurs, en lui, plus loin. Puis il est ailleurs : le spectacle peut continuer - commencer
Partir du vide - sculpter
à la lisière du formé dans l’amas de matière qui est et ne désire pas devenir trop vite
en sens inverse : à la frontière de l’ineffable, ne pas se laisser réveiller.
pour que dehors le visible soit visible, autrement pour que dehors l’invisible soit visible, de nouveau
pour la première fois
HISTOI HISTOIRES RES DE FOR DE FOR -MES MES Gunnar B. Kvaran
Vous défendez un retour du courant narratif dans l’art d’aujourd’hui. Comment expliquez-vous ce regain d’intérêt pour le récit, pour la narration chez les jeunes artistes ? J’ai pu constater au sein de la jeune génération un regain d’intérêt pour la narration et le questionnement des formes narratives, mais je dois dire que cet intérêt pour le récit ne concerne qu’un groupe restreint d’artistes. Le monde de l’art contemporain, en effet, n’a jamais été aussi multiple, complexe et riche qu’aujourd’hui, proposant une multitude de langages et d’intentions créatrices.
Gunnar B. Kvaran est le commissaire de la Biennale de Lyon 2013, dont le titre Entre-temps… Brusquement, et ensuite est en soi promesse de récits. Car c’est bien la question de la narration qui est l’enjeu de ce rendezvous, auquel ont contribué une soixantaine d’artistes. Gunnar B. Kvaran revient sur sa démarche dans cet entretien conduit par Claire Moulène.
Vous réunissez pour la Biennale de Lyon des artistes aux sensibilités diverses : certains nous parlent du monde, d’autres se tournent vers le biographique, le récit de soi. Qu’est-ce qui réunit ces artistes ? Qu’ont-ils en partage ? Une méthode, des formes, des pratiques ? La liste des artistes invités à participer à la Biennale de Lyon s’est constituée au fur et à mesure de mes voyages, à l’issue de nombreuses visites d’ateliers. Les artistes qui m’ont intéressé sont ceux qui adoptent des positionnements critiques à l’égard de la narration, ceux qui explorent d’autres façons de raconter ou qui, se saisissant de récits existants, en interrogent le mode de fonctionnement et l’impact sur nos vies.
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Tous font de la culture environnante la matière de leurs œuvres, mais ils le font chacun à leur manière, et selon des orientations, des références et des formalisations extrêmement variées.
Vous invitez à Lyon trois figures tutélaires (le peintre pop Erró, la performeuse Yoko Ono et l’écrivain et cinéaste Alain Robbe-Grillet) qui entretiennent tous trois des liens très divers avec la question du récit. Les avez-vous choisis pour leur capacité à balayer le vaste paysage du récit en art ? Que représentent-ils les uns et les autres dans ce courant artistique ? Pour l’exposition de la Biennale de Lyon 2013, j’ai répondu au mot de «transmission» proposé par le directeur de la Biennale Thierry Raspail par un autre mot, celui de «narration» et j’ai décidé de voir ce qu’il en était du récit dans l’art contemporain. Il n’était pas question pour moi de faire une exposition historique, mais à un moment du travail sur la structure de l’exposition, il m’a paru important d’inclure trois artistes qui, en plus d’être des références historiques, ont joué un rôle important dans ma façon d’envisager le récit. Erró, Yoko Ono et Alain Robbe-Grillet incarnent parfaitement la thématique de la Biennale en ce qu’ils ont remis en question les modèles narratifs existants et ont donné un nouveau rôle au spectateur-lecteur, chacun à sa manière et dans son domaine : Erró dans celui de la peinture, Yoko Ono dans ceux de l’art conceptuel et de la performance et Alain
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Histoires de formes
Robbe-Grillet dans ceux de la littérature et du cinéma. Ces créateurs, qui ne sont pas des artistes dits de biennale, m’ont guidé conceptuellement dans mes recherches sur les pratiques narratives de la jeune génération.
Pouvez-vous évoquer rapidement votre relation à Alain Robbe-Grillet et la façon dont son œuvre vous a permis de ré-envisager la question du récit dans l’art ? J’ai découvert l’œuvre d’Alain RobbeGrillet pendant mes études en histoire de l’art à l’université d’Aix-en-Provence et j’ai tout de suite aimé la radicalité de son propos, sa manière d’envisager la littérature et le cinéma comme des lieux d’expérimentation formelle. Sa pratique s’est en effet construite autour des idées de rupture, de subversion et d’invention continuelle. Or, il me semble que, précisément, le but du récit artistique est de remettre sans cesse en question les formes narratives dominantes, de bousculer l’ordre, y compris l’ordre établi par l’artiste lui-même. J’ai ensuite rencontré Alain Robbe-Grillet à Bergen où je dirigeais le musée des Beaux-arts. Nous avons eu de longues conversations sur des sujets variés et notamment sur l’art, sur Rauschenberg avec lequel il avait collaboré ou encore sur Matthew Barney qui l’intriguait. Je lui ai donné carte blanche pour organiser une exposition à partir des collections. Il a proposé un accrochage narratif, plaçant les tableaux dans l’ordre
d’une fiction plus ou moins flottante. Le plus étonnant était que ce récit visuel, fragmentaire et incertain, développait un texte narratif rédigé par l’écrivain dans le catalogue. Là encore, avec cette exposition, Alain Robbe-Grillet innovait, s’écartant alors des pratiques curatoriales habituelles qui s’appuient souvent sur un discours académique ou un raisonnement historique.
sont les mots-clés permettant d’entrer dans cet univers fantastique, basé en grande partie sur des références liées à l’histoire et à la culture japonaises (pêche à la baleine, cérémonie du thé, rites shinto, etc.).
Vous invitez également Matthew Barney dont l’œuvre a très peu été montrée ces dernières années en France. Pouvez-vous donner quelques indices sur l’œuvre inédite qu’il présente à l’occasion de la Biennale ?
J’ai décidé assez tôt de ne pas créer de méta-narration dans l’exposition. J’ai voulu présenter les œuvres des artistes pour elles-mêmes, comme autant de constellations narratives particulières, dotées de caractéristiques formelles et thématiques spécifiques. Cette biennale est faite d’histoires de formes et de contenus variés ; le spectateur passera à son rythme d’un univers narratif à l’autre ; il sortira de l’exposition avec une vision d’ensemble fragmentée et cacophonique, à l’image du monde réel.
Pour la Biennale, Matthew Barney propose une nouvelle version de Drawing Restraint 9 de 2005, œuvre-installation constituée d’un film long-métrage, d’une sculpture, d’un ensemble de dessins et de photographies qui s’associent en un réseau dense de renvois et de prolongements. L’histoire, comme toutes celles mises en forme par l’artiste, se joue à l’intérieur et à l’extérieur de l’écran, faisant éclater le cadre narratif, effaçant les frontières entre passé et présent, réel et imaginaire. L’action se passe à bord d’un baleinier japonais, superposant une histoire d'amour – celle qui réunit deux occidentaux interprétés par l’artiste lui-même et par sa compagne, la chanteuse islandaise Björk – à l’histoire de la construction et de la transformation d’une sculpture géante en vaseline. Métaphore et métamorphose
Au-delà des récits des uns et des autres, comment avez-vous pensé le récit d’exposition de la Biennale de Lyon, quel est le scénario général ?
Propos recueillis par Claire Moulène le 3 septembre 2013, partiellement publiés in «L’art du récit», Les Inrockuptibles, 11/09/2013.
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PRO PROPROCÉDÉS CEDES CÉDÉS NARRA NARRA -TIFS -TIFS TIFS Diederik Peeters
LA DIVERSION
Un procédé narratif est une situation, un objet ou un personnage de l’histoire dont le but est uniquement de conduire l’intrigue ou de résoudre des situations. Tout ce qui fait avancer l’intrigue ou la prolonge est un procédé narratif. Il existe un vaste choix de procédés narratifs archétypaux que l’on utilise régulièrement au cinéma et dans la littérature. Un procédé narratif forcé ou arbitraire risque d’agacer ou d’embrouiller le lecteur, qui sera en conséquence beaucoup plus sensible aux invraisemblances. En revanche, un procédé narratif astucieux, ou découlant naturellement du cadre ou des personnages de l’histoire, pourra être totalement admis, parfois même sans que le public le remarque.
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Procédés narratifs
Une diversion est une fausse indication qui détourne l’attention du public d’un élément significatif, ou le conduit à une conclusion fausse. C’est une orientation délibérément incorrecte qui sert à distraire le protagoniste et/ou le public afin qu’il ne trouve pas la bonne réponse, les indices pertinents ou la réaction appropriée. Ce procédé se trouve généralement dans les romans policiers ou à énigmes.
LE FAUX PROTAGONISTE Le faux protagoniste est un procédé servant à saper les attentes du public. Il consiste à présenter un personnage, au début du film, comme personnage principal, avant de s’en débarrasser, généralement en le tuant.
LE NARRATEUR FALLACIEUX Un narrateur fallacieux est un narrateur dont la crédibilité est sérieusement mise à mal. L’auteur peut développer ce procédé narratif pour différentes raisons, généralement pour tromper le public. Le plus souvent les narrateurs fallacieux parlent à la première personne, mais il arrive aussi que des narrateurs à la troisième personne ne soient pas fiables. La nature du narrateur est parfois claire dès le début. Par exemple, lorsque l’histoire commence, le narrateur peut faire une affirmation manifestement fausse ou délirante, ou avouer qu’il est atteint d’une grave maladie mentale,
ou encore l’histoire elle-même peut présenter un cadre où le narrateur apparaît comme l’un des personnages, ce qui laisse à penser qu’il n’est pas fiable. Pour un usage plus théâtral du procédé, on réservera la révélation pour la fin de l’histoire. Ce retournement final oblige les lecteurs à repenser leur perspective et la manière dont ils ont vécu l’histoire. Dans certains cas, on ne révèle pas vraiment que le narrateur n’est pas fiable, mais on le suggère, en laissant les lecteurs se demander dans quelle mesure ils doivent lui faire confiance et comment ils doivent interpréter l’histoire.
LE MACGUFFIN Un MacGuffin est un procédé narratif rendu célèbre par Alfred Hitchcock. Il désigne un objet matériel (ou un personnage) servant de moteur aux actions des personnages, qui le cherchent ou tâchent de l’obtenir, alors que sa nature exacte n’a aucune importance dans l’histoire. Il n’est qu’une excuse pour faire avancer les personnages. Un autre objet pourrait tout aussi bien faire l’affaire si les personnages lui donnaient la même importance. Hitchcock donne l’exemple récurrent du «collier» dans les thrillers ou des «documents» dans les histoires d’espionnage.
LE PIÈGE MORTEL ET LA TIRADE DU MÉCHANT
sympathique, tente de le tuer selon une méthode élaborée et généralement sadique. C’est souvent un moyen pour créer de la tension dramatique dans l’histoire et amener le méchant à révéler des informations importantes au héros, puisqu’il est sûr qu’il ne sera bientôt plus en état de les utiliser. Cela peut aussi être une façon de montrer l’ingéniosité du héros dans son évasion, ou l’habileté de l’écrivain à concevoir un sauvetage ou un deus ex machina de dernière minute.
RETOURNEMENT D’INTRIGUE Un retournement d’intrigue est un changement radical dans la direction ou l’issue attendues de l’intrigue. Il est fréquemment employé dans la narration pour stimuler l’intérêt du public, le plus souvent en lui faisant une révélation surprenante. Certains retournements d’intrigue se laissent deviner à l’avance. Quand un retournement d’intrigue survient vers la fin de l’histoire, surtout s’il change la manière de voir les événements précédents, on l’appelle «retournement final». On considère généralement que révéler l’existence des retournements d’intrigue gâche un film ou un livre, dans la mesure où l’essentiel de l’histoire repose le plus souvent sur le retournement. Traduction depuis l’anglais : Céline Candiard Photographies : Diederik Peeters, Red Herring, d’après le spectacle éponyme. Courtesy de l’artiste.
Un piège mortel est un procédé narratif dans lequel un méchant, après avoir capturé le héros ou un autre personnage
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LETTRE LETTRES LETTRES DE NON DE NONNON MOTI MOTI - VATION VATION Julien Prévieux
réfractaires ne montent pas sur scène, ces auditions-stages permettront de rencontrer des interprètes capables de faire résonner cette dynamique en creux, doués de cette présence singulière qui appartient à ceux qui résistent.
Le metteur en scène Vincent Thomasset s’empare des Lettres de non-motivation de Julien Prévieux, publiées aux éditions Zones en 2007, pour les porter à la scène. Il indique les principes fondamentaux sur lesquels il compte se baser pour conduire cette adaptation, entre casting de «réfractaires au plateau» et travail sur le langage. Au départ, un protocole simple : Julien Prévieux répond à des offres d’emploi par la négative. Ce faisant, il met au jour les rapports de force, les mécanismes à l’œuvre entre celui qui cherche du travail et ceux qui en offrent. Chaque individu ayant été à un moment donné confronté au processus de recherche d’emploi, le pouvoir cathartique de ces lettres opère immédiatement : le lecteur peut à la fois se projeter dans les différents personnages et postures qu’elles contiennent, mais également s’identifier à l’artiste, à sa démarche. Dans un premier temps, j’organise des auditions afin de constituer l’équipe, en travaillant sur la notion de «réfractaire au plateau». Dans la mesure où de vrais
Si le protocole mis en place par Julien Prévieux a eu un tel impact, c’est grâce à un formidable travail sur le langage : qu’ils tendent vers une hyper-écriture ou des oralités aux textures diverses, ces motifs littéraires hétérogènes constituent un véritable terrain de jeu. Ils devront trouver différents types de résolution sur le plateau. Nous étudierons les mécanismes à l’œuvre lors d’une lecture, comment ils peuvent être modifiés en fonction de leur nature (annonce, discours, fiction, etc.) et selon le contexte (lire pour soi, devant un auditoire). Nous observerons quand et comment il est possible d’incarner ces lettres ou, au contraire, de les faire entendre. Obéissant à un positionnement fort, ce projet à généré nombre de réactions, critiques et positionnements singuliers. Ces éléments perturbateurs viendront traverser la pièce, déranger la structure ternaire du projet (offre d’emploi, lettre de non-motivation, réponse de l’employeur). L’objet final sera de nature protéiforme. Ces notes d’intentions constituent des pistes de travail, elles nous aideront à garder cette liberté d’action qui caractérise le projet de Julien Prévieux, et plus largement, sa démarche. Vincent Thomasset
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AMORce amorce de la de lA goutte gOutte à la à a lA gouache, gOuAche, en passant en pAssAnt pAR la par lA main MAin
éric & Charles Duyckaerts Pennequin
Éric Duyckaerts à Charles Pennequin, 18 septembre 2013
En tant qu’aquarelliste, je me dois de vous donner un mot d’explication. Souvent les aquarellistes sont raillés. C’est regrettable. Mais bon. Chaque fois que je fais une aquarelle, je suis avec la goutte. Mon pinceau a une bonne trempe, d’accord, mais la goutte ? Où est-ce que je la laisse ? Tous les aquarellistes connaissent le problème. Parfois, il y a des génies qui laissent le goutte à la fin du pétale de rose. Mmh, ça c’est bon. On ne peut pas les voir, sauf autorisation spéciale, parce que les conservateurs ont peur que la couleur passe. Et c’est vrai que ce serait dommage... Voilà comment j’opère : mort de trouille pour commencer. Ensuite : c’est jamais qu’un vieux truc du dix-neuvième siècle, pour les dames. Ensuite : mon pinceau a une bonne trempe, mon aquarelle me comprend plus vite que moi. Oui, mais non ! Chut ! Quand je fais une aquarelle, je suis content, parce que les sports de glisse, c’est moi, depuis longtemps. Mais pourquoi va-t-il si vite ? Mystère ! D’autres choses, on en dira beaucoup, sur le goutte. Mais là, c’est le dessin. On n’y voit rien quand c’est parti. Concentration. Concentration. C’est fini. Bien avant, les gros marqueurs à l’alcool, l’odeur. Et aussi la goutte. Transperce le papier. L’aquarelle : les sports de glisse et de contrôle. D’accord. Et le dix-neuvième siècle chez les dames de la bonne société. Le goutte : un enfer. Je dessine au crayon, très délicatement, pour anticiper où ça va. Et puis j’oublie, ça coule ! Bordel ! Il faut reprendre à zéro. Ensuite, on est content. On rit. Tu sais, Charles – je peux continuer comme ça. Avec toi. Je te salue du fond coeur. Éric.
Charles Pennequin à Éric Duyckaerts, 19 septembre 2013
Le goutte ? tu as écrit il me semble par trois fois le goutte et puis il y a eu aussi la goutte, plusieurs fois, je n’ai pas compté, peut-être faudrait-il que je compte combien il y a de gouttes femelles et combien de gouttes mâles ? Je vais compter tout de même. Il y a trois femelles ! En tout cas ça marche sur trois pattes cette histoire où je n’y comprends goutte ! Pardon de ce jeu de mot un peu facile ! Cependant, un indice a été placé au bas de ce texte, comme s’il s’agissait d’une sorte de texte-tableau, peint avec des gouttes mâles et des gouttes femelles et tout ça à l’aquarelle, comme si ce portrait de l’aquarelliste cachait un secret. S’agit-il d’une anamorphose ? Ou alors il y aurait des secrets à chaque ligne du texte et pour finir une anamorphose en forme de texte, comme un tableau chiffré. Trois fois trois gouttes donne un neuf. Dix-neuvième siècle multiplié par deux, vu que c’est mentionné deux fois, ça donne comme résultat trente-huit, auquel j’ajoute mon neuf du résultat des gouttes et ça me donne mon âge : quarante-sept ans ! À mon âge me dis-tu, «il faut reprendre à zéro» ! Et continuer ensemble, du coup, cela va de soi ! De plus, ton tableau me parle d’aquarelle et c’est étrange car depuis plusieurs jours je n’ai pas arrêté de lire, de dire ou d’entendre ce mot. Tout d’abord un ami qui me parle qu’il fait de l’aquarelle, et me propose d’écrire un texte sur lui. J’étais très surpris qu’il s’agissait d’ailleurs de dessins à l’aquarelle chez cet artiste, car effectivement, comme tu le dis dans ce mystérieux portrait de l’aquarelliste, ça fait un peu «vieux truc du dix-neuvième siècle, pour les dames», alors qu’il s’agit d’un dessinateur à la pointe de la contemporanéité artistique. J’ai donc commencé mon texte en parlant de ce fameux aquarelliste et ça ne lui a pas plu que je le traite d’aquarelliste. Il est vrai que j’ai aussi ajouté qu’il aimait se déguiser en femme (alors qu’il peut aussi se déguiser en chien s’il le désire !) pour lire des B.D. pas aquarellées pour deux sous. Du coup je ne savais quoi faire, j’ai voulu écrire gouache à la place d’aquarelle. à quoi bon. Gouache ! Ça fait tache. C’est moche le mot gouache. Le gouache ! En même temps, si on appuie trop fort sur le tube : «Gouache !», ça fait. Voilà que maintenant je me mets à faire des tableaux-poèmes à la Francis Ponge ! Je te remercie très sincèrement en tout cas pour ce délicat tableau-piège sur l’aquarelle avec gouttes mâles et femelles que tu as fait pour moi ! Toute mon amitié. Charles.
Éric Duyckaerts à Charles Pennequin, 1er novembre 2013
Gouache ! On ne s’y retrouve pas. C’est le bordel. Gouache ! Au début du mois de septembre, avec Chloé Mathiez, on a peint sur un mur, chez Martine Aboucaya, sa galerie. à la gouache. Précisément. Je te joins une photo. Le liant de cette pâte, c’est la gomme arabique. Sève de l’acacia. Assez bon. On se rappelle le goût du dos des timbres poste. Très compliqué à utiliser, la gouache. C’est pour ça qu’on en met dans les fournitures scolaires des enfants. «T’as pas fini d’en chier». Valeur éducative de la gouache. Ça change tout le temps. Quand c’est sec, ça n’a rien à voir avec ce qu’on a posé quand c’était mouillé. Un vieux prof sadique de la Villa Arson proposait aux étudiants de première année de faire un mètre carré de monochrome à la gouache. C’est impossible. Ça change tout le temps. J’ai oublié de dire que le gouache se dilue à l’eau. On peut laver ce truc assez facilement. Évidemment les pigments ne sont pas toujours aussi bons à manger que la gomme arabique. Attention aux métaux lourds, qui ne s’éliminent pas. Il faudrait ne pas nettoyer les pinceaux à gouache dans l’évier. Métaux lourds. Mais bon. Ne mange pas ta gouache. En même temps, cette pâte est tentante. Ai‑je dit que c’était une pâte ? Oui, bien sûr. En tube, souvent. «Un tube de gouache». Tant que j’y suis, autant te signaler d’où sort cette image que nous avons peinte à la gouache. Il s’agit d’une lettre initiale ornée. La lettre «Q». Elle est issue du Tractatus in Evangelium Johannis, fait entre 1093 et 1132 (on ne sait pas trop). Le manuscrit est conservé à Vendôme. Cette pâte, diluons-la. Mais pas trop. La goutte ! Autrement : coulure ! Argh ! Comment effacer une coulure indésirée de gouache ? Voilà ce que j’ai appris sur le coup : éponger très vite avec du papier absorbant ET utiliser la même peinture qui avait servi à peindre le mur auparavant. Ça marche. Un petit mot encore sur ce Q. Le scribe a fait un entrelacs universel. On le trouve en Éthiopie, et chez les Hopi. Difficile de décrire un entrelacs avec des mots. Bon, je joins une autre photo. Napperon éthiopien. Restaurant parisien «La Reine de Saba» - très bon, pas cher. On sera attentif à l’entrelacs rouge-jaune-vert. Grosso modo, trois ronds de ficelle : au-dessous, en dessous et cetera. Cet entrelacs est-il borroméen ? Non. Il fait penser à toutes sortes de trucs, comme le nœud de marin qu’on appelle «bonnet turc» ou en encore le nœud de foulard des scouts. Celui du 11-12ème siècle est très serré, celui du napperon éthiopien l’est très peu. Et ce sont les mêmes, d’un point de vue topologique. Esthétiquement : rien à voir, bien sûr, bien sûr. éric.
Charles Pennequin à Éric Duyckaerts, 6 novembre 2013
Je comprends bien ce que tu dis à propos de la difficulté à utiliser la gouache. Cette pâte, pour ma part, je ne saurais quoi en faire, je ne saurais déjà pas en parler aussi bien que toi de la gouache et des coulures, les peintures je ne sais pas quoi en dire, comme les peintres qui expliquent des choses sur leur pratique, ils disent des choses comme on entendrait de fins gourmets parler, comme s’ils parlaient de nourritures, ils vous parlent de peintures. J’ai l’impression («l’impression» !) d’être loin de là, des choses liquides et qui coulent, des choses à l’eau ou à l’essence, des poils à imbiber de matières colorées, même si j’ai fait des écritures plutôt visuelles avec du pastel gras, ça m’est arrivé et j’aimais bien ça, mais voilà : c’est parce que j’aimais le contact avec le dur, le ferme, la rencontre du papier avec la mine, la mine ou la craie, le truc qui craque, le bâton qui crisse, la pointe qui grince, le crincrin musical du crayon ou du pastel qui rejoint le crincrin des mots dans ma tête. Je ne sais pas pourquoi il faut qu’il y ait cette rencontre, pourquoi je me colle des feutres sur le haut de la tête pour écrire sur des bandes de papier en parlant (en plus souvent je suis accroupi devant les gens et mon pantalon descend, on commence à voir la fente de mon cul, quelle honte !), pourquoi essayer d’écrire et parler en même temps, car j’essaie d’écrire et de parler en simultané et c’est difficile, déjà le rythme n’est pas le même, je parle sans réfléchir mais je dois réfléchir tout de même à cette main qui pourrait écrire autre chose, quelque chose que je n’ai pas décidé. Une main qui partirait seule à l’aventure et sans moi et tout ce que je prétends penser et tout ce que je dis à l’instant même où elle parcourt la feuille. Par exemple, je pourrais dire que la voix doit sortir à l’air libre, que la voix se mêle à l’air, que le chant est la rencontre avec l’air et que tout ce qui a été pensé dans les organes a ensuite été monté dans la cervelle, comme on passe un plateau avec un monte-charge, ou lorsque la vaisselle est sale on l’envoie à la plonge, et juste après la plonge la pensée redescend en grosse boule à penser partout et pour n’importe quelle occasion, une boule qui descendrait en bouillie de la plonge des cervelets jusque dans la bouche, tandis que la main se mettrait au même instant à écrire que les doigts ne sont pas dans ma main, car les doigts sont des bouts en trop dans nos vies et sa main qui vit, dirait la main tandis que moi je parlerais en même temps, sa main n’est pas non plus dans la sienne, sa main désigne toutes les parties opérantes qui font que la pensée doit râper quelque part, la pensée s’enraye dans quelque chose quelque part, la pensée passe par la râpe des doigts, ainsi que de tous les membres, et tous les membres ainsi s’inventeraient une conscience pour la truquer, truquer ce qui se pense en dedans. Cela peut paraître bizarre de s’obséder à penser et surtout à détacher tous ses membres et de les occuper pour la journée à faire de la poésie, mais après tout c’est ce que nous
faisons tous les jours. Par exemple lorsque le micro-ondes tourne comme un grand et que nous on a un téléphone dans la main et que nous tournons en rond dans la cuisine, en attendant que le plat soit bien chaud et qu’on puisse le mettre dans une assiette ronde avant de l’enfourner, tout en continuant de parler à son interlocuteur qui fait la même chose chez lui en regardant la télé tandis que son esprit tourne dedans, comme un poulet. Dans chaque maison les éléments dansent ainsi dans la grande ronde du vivant et j’ai d’ailleurs appris par un danseur que son obsession à lui n’était pas son corps, car on voit souvent des danseurs se regarder sans cesse danser devant une glace, mais pour lui ce qui fait miroir c’est ce qu’il y a autour de son geste, et il est vrai que lorsque l’idée sort de nous, on peut avancer à juste titre qu’elle ne nous appartient plus, qu’elle se mesure enfin à l’air libre et qu’elle danse pour elle-même. Mais peut-être nous pourrions avancer qu’elle nous appartenait sans doute encore moins quand elle restait coincée comme une bulle au fond de nous. D’ailleurs avons-nous un nous ? Et le nous a-t-il un fond ? Un fond commun ? Un trésor sans commune mesure dans l’humain ? C’est pas humain d’avoir des mains, écrivais-je ensuite sur le papier tandis que je disais tout haut que l’idée sortait du penseur comme une balle et faisait un trou dans l’espace du vivant contemporain. Content pour rien. Voilà ce qu’on est en vérité à vouloir faire passer la pensée par tous les trous alors que c’est plutôt bas de plafond dans l’homme et qu’il va falloir qu’elle se tasse et se ramasse, qu’elle se griffe et qu’elle se ratatine et se raboulotte pour passer jusqu’à demain vers d’autres mains. Reçois toute mon amitié. Charles.
«tu «tu caucAucau ses ses ?» ?» a propos à à pROpOs d’AlAin sAvOuRet d’alain savouret
Benjamin Dupé
Entre raconter, se raconter ou se la raconter, la frontière est mince. Préférant parler d’un autre, donc, je convoque ici Alain Savouret. Parce que je ne me suis pas fait tout seul. Parce qu’il a formé dans sa classe tant de musiciens – ceux de Sphota par exemple. Parce qu’il sera présent au théâtre avec ses schémas et sa pensée, étrennant sa nouvelle conférence artistique. Enfin et surtout parce que, s’il existe un compositeur dont la musique raconte des histoires et parle à l’oreille, c’est bien lui. Les souvenirs de mon passage dans sa classe au Conservatoire sont le corps du «récit de cours» qui va suivre. «Tu causes ?» comme il dirait. Oui, je vais causer. Reste à voir ce qui est la cause, ce qui est l’effet…
Je lui dois bien ces quelques lignes, à Savouret. Un retour sur sa classe au nom barbare, le témoignage d’un ancien, comme on dit. J’avais pensé à un court papier, comme une reconnaissance de dette… «Je soussigné, …, déclare m’être passionné dans la classe d’improvisation générative, et continuer aujourd’hui à inventer de la musique grâce à ce que j’y ai appris.» Mais, aux actes officiels, Savouret préfère la tradition orale, c’est sûr. Je serai donc moi-même, partial et peut-être inexact… Car les faits s’éloignent dans le passé, s’emmêlent, et la légende prend corps. Cela remonte à 1995. J’étais entré au Conservatoire un an auparavant en classe de guitare. Dans la liste des «disciplines optionnelles» proposées figurait ce qui s’appelait alors «improvisation libre d’ensemble». Il est troublant de chercher après coup les raisons d’un aiguillage qui allait se révéler capital pour ma vie musicale. Dans mon désir de m’inscrire, il y avait la mémoire de ma première improvisation en public, au Musée des Beaux-Arts de Nantes, où j’avais découvert que l’espace pouvait être partition. Je terminais une aventure avec une troupe de théâtre, qui avait suffisamment duré pour que je sente le besoin de pouvoir apporter de la musique dans le temps de la mise en scène, au plus proche de l’instant. Il y avait le répertoire de mon instrument que je voulais exploser. Et ces mots : «libre», «ensemble» qui forcément parlaient au guitariste destiné à une carrière d’interprète soliste.
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Pour improviser il fallait descendre au deuxième sous-sol du Conservatoire, plateau trois pour être précis. Je suis persuadé que la localisation de la classe a participé de sa direction artistique. Je ne fais pas de misérabilisme : rien de glauque dans ce sous-sol signé Portzamparc, plutôt spacieux et donnant sur une cour intérieure. Certes, un lieu sans fenêtres, mais où justement se déroulait l’activité du Conservatoire sans doute la plus ouverte sur l’extérieur. On aurait pu s’y sentir écrasé par les étages de musique savante empilés au-dessus de nos têtes, il s’y produisait justement le contraire : la survie du populaire. N’étions-nous pas voisins de la classe de jazz d’ailleurs ?
Illustration d’Alain Savouret. Courtesy de l’artiste.
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«Tu causes ?» À propos d'Alain Savouret
Mais c’est surtout la géographie imaginaire qui mérite d’être relevée : le sous-sol, c’est le lieu où l’on installe le laboratoire. Méprisant totalement les règles élémentaires d’hygiène musicale, ce laboratoire était régulièrement contaminé par des germes extérieurs : musique balte, auvergnate, exercices corporels, même des articles du Parisien. Son équipement succinct (instruments, chaises, grand tableau et marqueurs, quelques microphones, un enregistreur pupitres exclus, sauf à taper dessus) révélait son fonctionnement : nous étions à la fois les savants et les cobayes.
Parce qu’avec le recul, je peux définir l’objet d’étude. Ni le son, ni la musique, mais le musicien : comment il sonne ? Que dit-il quand il joue, et à qui ? Le jeudi nous descendions donc prendre cours. Et ce n’était pas que Savouret ou Boesch donnassent cours, selon l’expression consacrée, c’était bien plus héraclitéen : nous nous plongions dans le flux collectif qu’ils avaient su susciter. Cette collectivité était certainement la première richesse de la classe. Car improviser de façon non idiomatique consiste essentiellement à développer une virtuosité dans l’écoute de l’autre, et à travailler la pertinence de l’inscription de sa présence dans un groupe. Riche, complexe et mouvant était ce groupe. Par les spécialités, d’abord. Entre les instrumentistes, à la technique et à la musicalité affûtées, les compositeurs, rodés au maniement des concepts, les chanteuses, affirmées dans l’espace, et quelques électrons libres (métiers du son, musicologues) se produisait une émulsion artistique et intellectuelle d’autant plus puissante que chacun se mettait devant les autres dans le danger vertigineux de l’énonciation directe de sa musique, celle du «je, ici, maintenant». Par les cultures, aussi. Assumons, et même soyons heureux du prestige international du Conservatoire, cette structure d’élite qui attire des musiciens de toutes les nationalités. Si nous étions déjà rassemblés dans les autres classes pour jouer de la musique (cent pour
cent occidentale, soit dit en passant), là, nous inventions la musique ensemble : cela vaut toutes les ambassades. Je me rappelle ainsi, pêle-mêle, les héros de cette superproduction expérimentale… Le Japonais Hirano, aussi posé dans les discussions que réellement fou dès qu’il était en jeu, l’Allemand Armbruster, au jeu minimaliste et sur-précis, la Macédonienne Pavlovska, véritable bombe musicale, le Bulgare Lutzkanov, dont on ne savait jamais s’il souriait de nous ou riait en musique, énigmatique provocateur. Je repense à ce qu’avait dit Dupin, en bon directeur accueillant les nouveaux étudiants du Conservatoire : «Dans cette maison, vous allez rencontrer beaucoup de gens, dont certains resteront vos amis pour la vie.» Impossible ici de ne pas citer De La Fuente et Sighicelli, qui sont de ceux-là. Depuis nous avons parcouru les routes pour jouer la musique de notre compagnie Sphota, où œuvrèrent un temps Fèvre et Ogura… Ami aussi, Savouret l’est vite devenu. Il faut dire qu’il n’était pas difficile de tomber sous son charme. En pédagogue impérial, il n’était pas au-dessus, ni avant, mais avec nous, dans la matière, au travail. Son humour désamorçait bien des situations, car que l’on ne s’y trompe pas : il peut y avoir une grande violence dans l’accouchement de musique, et une grande réticence à reconsidérer ses acquis de musicien classique, déjà chèrement payés d’années d’études exigeantes, au profit d’une mise en perspective plus large. À force de susciter et d’accompagner la pratique
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expérimentale, Savouret ouvrait des espaces, que nous cartographions par l’analyse et la réflexion. C’est là qu’intervenait sa dimension d’intellectuel, puissant, sauvage et récupérateur. Pour beaucoup d’étudiants, le caractère hétéroclite des nombreuses notions convoquées dans les premiers mois se transformait bientôt en un système de pensée cohérent. Autrement dit, une façon pour le musicien d’entendre le monde, assez inattaquable (hormis quelques lacunes sur la question de la représentation musicale) et d’autant plus fédératrice que la générosité de sa vision, contrairement à celle de certains papes de l’improvisation, n’excluait rien, ni personne. Savouret n’était pas seul, qui formait avec Boesch un duo aussi complémentaire que désynchronisé – il était rare qu’ils interviennent en même temps. Excellent double suisse, feignant de pontifier, Boesch était un pince-sans-rire qui commençait immanquablement ses séances par une indication au moins déstabilisante, sinon incompréhensible. Capable dans la même séance de parler de Beethoven, de Keith Jarrett, du comportement des oiseaux en vol et de la programmation musicale en langage Lisp, il rajoutait de la perspective à la perspective. La fin du siècle approchait, et s’affirmait la solidité d’un bâtissage. Entretemps, la classe était devenue classe «d’improvisation générative», changement de terme caractéristique d’un projet qui se redéfinissait
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«Tu causes ?» À propos d'Alain Savouret
régulièrement, en permanence au travail, jusque dans son appellation. Pourtant des rituels s’étaient installés, et nous nous reconnaissions entre nous comme se reconnaissent ceux qui ont été initiés. Il y avait quelque chose de sacré dans le cérémonial de l’écoute : douze paires d’oreilles tendues vers la plus improbable manifestation du sonore, dans l’espace vide que délimitait le cercle des chaises. Brook n’était pas tellement cité, car inconnu de beaucoup, mais nous redécouvrions dans la musique, j’allais m’en rendre compte plus tard au contact de chorégraphes et de metteurs en scène, quelques principes fondamentaux des arts vivants. Dans cet écrin d’attention se multipliaient les mises en jeu, de l’improvisation libre du début de matinée aux improvisations à consignes, dont la liste même s’inventait sur le terrain. Propositions d’énergies, de vitesses, de rôles, de durées, de formes, d’espaces, de mémoire, de nombre : des façons de s’entendre, pas des façons de faire. Car qui jouait le jeu à fond faisait le plus possible à sa façon. Le cadrage temporaire des perceptions servait à révéler ce qu’il y avait de plus singulier dans chacun. Je ne considérais pas les technologies comme essentiellement indispensables à un renouvellement de la parole musicale. Mais je dois avouer que le magnétophone qui nous enregistrait régulièrement, pour une écoute et une analyse a posteriori, était un outil important.
Illustration d’Alain Savouret. Courtesy de l’artiste.
Cet aller-retour entre le jeté et l’écouté permettait de pointer ensemble les forces en jeu dans une improvisation. Nous savions que ce témoin objectivé n’était qu’une partie de ce qui s’était réellement passé, mais il rendait compte de l’enchevêtrement complexe des paramètres. Il permettait des parallèles entre ce que nous avions déjà appris ailleurs et ce que nous découvrions là : entre l’orchestration et la matérialité du sonore, entre les formes et la dramaturgie (radiophonique), entre la polyphonie de notes et l’intervalité, entre la dimension soliste et l’oralité d’un personnage.
Grâce à un savant dosage que, là encore je dois attribuer à Savouret, la rigueur de nos préoccupations analytiques n’a jamais tué le plaisir de faire du son, primitif et sacré. Nous nous délections de la résonance des cordes à vide (redécouvrant au passage que le plus simple techniquement n’est pas forcément le moins intéressant), nous jubilions des synchronisations collectives (pulsations primaires et vitales), nous nous acharnions sur les transitoires d’attaque comme des enfants sur les pattes d’une fourmi (en véritables scientifiques du grincement). L’oreille se formait à une poétique de l’étrangeté, tandis que nous parlions un dialecte inouï, suffisamment réalimenté
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Schéma d’Alain Savouret. Courtesy de l’artiste.
par les nouveaux arrivants pour ne pas s’enfermer dans une pseudo-esthétique de la modernité. C’est donc une matière en mouvement qui se cristallisait de manière ponctuelle, quelques soirs dans l’année, à l’espace Fleuret, au contact du public. En investissant le temps et l’espace de la représentation avec ces musiques «jamais entendues et plus jamais à entendre», nous passions de l’écoute protégée du laboratoire à une écoute démultipliée à l’espace, la tension et la résonance. Surtout, nous éprouvions la perception par le profane. Fait hautement
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«Tu causes ?» À propos d'Alain Savouret
comique : ce pompier de service et ces trois mamies «abonnées» à tous les concerts du Conservatoire, qui n’étaient pas les moins enthousiastes. Il faut dire, sans aucune hiérarchie des valeurs, que ce qui se jouait alors n’était rien d’autre, dans la programmation du Conservatoire, qu’une colossale détonation. Ce n’était pas tant le style des musiques prises une par une qui était original. Ouverts nous étions, certains conscients d’être naturellement sous influence. Grisey pour la dimension spectrale, Ligeti, Lachenmann et Sciarrino pour les objets et matières, Vivier et Ohana
pour le rituel, l’école du GRM pour le temps-matière, Cage pour la perméabilité… À chacun par la suite de creuser sa propre couleur ou de tenter une synthèse. Le plus marquant résidait dans l’articulation ou la transformation de ces tranches de musique, déterminées par la personnalité de qui entre en jeu, à quel moment, dans quel coin de la scène. Sensation d’immense liberté partagée par le spectateur et le musicien, d’autant plus grande que, loin du défoulement, c’est l’écoute qui était au travail, et donnée à voir. Ces soirs-là, tout pouvait arriver, car nous essayions de tout entendre.
Stochl, avec ses gammes venues du théâtre et de la danse, était passé par là. Nous devenions un peu plus conscients du plateau, nous déverrouillions le geste instrumental – en partie, justement, grâce à la maîtrise technique (travailler son instrument est très utile), nos corps devenaient porteurs de sens artistique. Ébauche d’un nouvel art de la scène : le théâtre musical sans paroles. Les concerts donnés au Conservatoire (ou dans le cadre plus professionnel de festivals qui invitaient la classe) étaient aussi l’occasion d’un apprentissage, sur le tas, de la «maîtrise d’œuvre».
Illustration d’Alain Savouret. Courtesy de l’artiste.
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Sur une échelle modeste, comment organiser le temps, les personnes et les énergies tout au long de la journée de préparation précédant la rencontre avec le public ? Qu’il s’agisse du croisement avec un autre art (l’image, la danse) ou de l’utilisation d’outils technologiques (traitement du son, dispositifs sonores), nous déroulions la question : que faire ? Les éléments de réponse se dessinaient quand nous caressions les potentialités présentes, comme on apprivoise un instrument, quand nous sentions l’équipe artistique comme le matériau même. Penser, organiser : non pour régler, mais pour favoriser les possibles.
Schéma d’Alain Savouret. Courtesy de l’artiste.
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«Tu causes ?» À propos d'Alain Savouret
Je lirais plus tard, avec le plaisir de la reconnaissance, les lignes de Brook sur le moment de la représentation. C’est comme un décollage, quelque chose d’une autre nature que la phase de préparation et de réglage des répétitions. Nous qui avions tellement l’habitude d’un morceau abouti, peaufiné, à donner tel quel, à exécuter (!), nous éprouvions pour une fois une autre façon de faire : charger un terrain, en amont, et vivre le jaillissement, le surgissement de la vie. Un jour nous quittions la classe, un prix de plus en poche, récompense absurde mais non dénuée de valeur sentimentale. Il faudrait donner la parole à chacun
des étudiants passés par là pour savoir avec quoi nous repartions. L’expérience individuelle n’est pas soluble dans les bilans pédagogiques. Mais parions : au moins une oreille mieux formée et un son personnel plus affirmé. Bien que de belles rencontres aient eu lieu avec des improvisateurs reconnus (Léandre, Achiary, Matthews), je n’ai jamais eu le sentiment que le sujet était là, dans une fabrique d’improvisateurs. C’était seulement une des voies possibles, pour qui s’épanouirait dans un milieu paradoxalement assez exclusif philosophiquement et esthétiquement. De mon côté je gardai plutôt un principe fondamental, au-delà du jeu improvisé : la réinvention de mon métier, et les outils de cette réinvention. C’est cela qui a changé ma vie professionnelle. La qualité des nombreux enseignements que j’ai reçus au Conservatoire m’a permis de rencontrer beaucoup de personnes, artistes ou plus simplement êtres humains. Mais un seul enseignement, celui de la classe d’improvisation générative, m’a servi dans la rencontre, une fois passée la mise en relation. C’est l’hommage que je rends à une classe qui m’a formé aussi humainement. Quelques années comme des leçons ludiques d’un précieux savoir-vivre, toujours à cultiver : savoir-entendre, les hommes, les mondes. Ce texte a paru aux éditions Symétrie en 2010, dans l’ouvrage d’Alain Savouret, Introduction à un solfège de l’audible.
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Biographies AURÉLIE ET PASCAL BALTAZAR
BENJAMIN DUPÉ
RODRIGO GARCÍA
Les Baltazars conçoivent des formes dramaturgiques hybrides entre spectacle et arts plastiques. Ils créent des œuvres in situ ou des installations-spectacles plastiques, sculptures de matière en mouvement. Ils affectionnent particulièrement la lumière, le son, la fumée. À travers ces différents matériaux, leur attention se porte principalement sur une dramaturgie de la matière et de l’espace : à l’intersection du visuel, du sonore et du sensitif, ils proposent des univers sensibles travaillant sur l’attente, la fragilité, la suggestion.
Benjamin Dupé est guitariste et compositeur. À l’issue de ses études au Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris, il se consacre à la création musicale : écriture instrumentale et électroacoustique, improvisation et performance, réalisation et programmation de dispositifs technologiques… Sa proximité avec le monde du spectacle vivant contemporain l’aide par ailleurs à interroger la représentation de la musique et à inventer des formes distinctes du concert traditionnel. De 2012 à 2014, Benjamin Dupé est compositeur associé au phénix scène nationale Valenciennes.
Auteur, metteur en scène, vidéaste, Rodrigo García crée à Madrid en 1989 la compagnie La Carnicería Teatro. Il est l’auteur de nombreuses pièces dont il assure le plus souvent la mise en scène et dont les titres donnent la couleur : J’ai acheté une pelle chez Ikea pour creuser ma tombe (2003), Jardinería humana (2004), Et balancez mes cendres sur Mickey (2006)… Chacun de ses spectacles procède au dépeçage systématique des rituels que la collectivité a mis en place, pour mieux dévoiler le désarroi des individus qui la composent.
CLARISSE BARDIOT Titulaire d’un doctorat sur Les Théâtres virtuels, Clarisse Bardiot est chercheur associé au CNRS et maître de conférences. Elle obtient en 2005 la bourse de chercheur résident de la Fondation Daniel Langlois. De 2009 à 2010, elle coordonne deux projets européens (CECN2 et Transdigital), conduit de nombreux projets de formations et de résidences d’artistes autour des arts de la scène et des technologies, et est rédactrice en chef de la revue Patch. Membre du collectif Nunc, elle crée en 2011 les éditions Subjectile puis en 2013 la Galerie Up à Bruxelles.
ROMARIC DAURIER Romaric Daurier est directeur du phénix scène nationale Valenciennes depuis 2009, où il développe un projet fondé sur l’ouverture et l’innovation. Après des études littéraires et une activité critique, il devient directeur et commissaire d’exposition pour l’Espace Gantner en 1999, puis secrétaire général de la Maison de la Culture de Grenoble en 2002 et de Bonlieu - scène nationale d’Annecy en 2004. S’intéressant particulièrement à l’économie et à la gestion des organisations, il est titulaire d’un Executive MBA de Sup de Co Lyon.
HUGUES JALLON
France Distraction (Belinda Annaloro, Antoine Defoort, Julien Fournet, Halory Goerger et Sébastien Vial) fait feu de tout bois, qu’il soit de palette ou précieux. La ligne esthétique qui se dégage de leurs projets tient du terrain multisports vu du ciel. Les enjeux proxémiques et les associations libres sont au centre de ce travail mutant, qui réunit des artistes à cheval entre spectacle vivant et arts visuels.
Ancien directeur éditorial des éditions La Découverte, Hugues Jallon rejoint en septembre 2010 les éditions du Seuil où il est conseiller pour le développement éditorial. Depuis juin 2011, il est le directeur éditorial du département Documents et sciences humaines du Seuil. Hugues Jallon est l’auteur de trois fictions : La Base. Rapport d’enquête sur un point de déséquilibre majeur en haute mer, Le Passant, 2004 ; Zone de combat, Verticales, Paris, 2007 (Prix de l’inaperçu, 2008) ; Le Début de quelque chose, Verticales, Paris, 2011.
ÉRIC DUYCKAERTS
GUNNAR B. KVARAN
Éric Duyckaerts est né à Liège en 1953. Son travail articule avec humour les arts plastiques et des savoirs exogènes, tels que les sciences, le droit, la logique mathématique, etc. Il s’est aussi attaché à une exploration des figures de l’analogie et des entrelacs. La vidéo et la conférenceperformance lui servent très souvent de médium, mais il n’hésite pas à utiliser l’ensemble des médiums traditionnels. Éric Duyckaerts a occupé le pavillon belge de la Biennale de Venise en 2007. Il est l’auteur de Hegel ou la vie en rose (l’Arpenteur, Gallimard, 1992) et de Théories tentatives (Léo Scheer, 2007).
Titulaire d’un doctorat en histoire de l’art en 1986 à l’Université de Provence, Gunnar B. Kvaran a dirigé le Musée de sculpture Asmundur Sveinsson puis le Musée d’art moderne de Reykjavik, et enfin le Musée d’art de Bergen. Depuis 2001, Gunnar B. Kvaran est directeur du Musée Astrup Fearnley à Oslo. Entre 2006 et 2012, Gunnar B. Kvaran a été co-commissaire de la deuxième Biennale de Moscou, de l’exposition China Power station dévolue à la création contemporaine chinoise à Londres et à Oslo, et de l’exposition itinérante Indian Highway. En 2013, il est le commissaire de la Biennale de Lyon.
FRANCE DISTRACTION
CLAIRE MOULÈNE Journaliste aux Inrockuptibles et correspondante pour Artforum, Claire Moulène est également commissaire d’exposition indépendante. Elle a, entre autres, réalisé les expositions Enlarge your Practice (Friche de la Belle de Mai, 2007, en collaboration avec Jean-Max Colard et Mathilde Villeneuve), Grand Chaos et Tiroirs (Printemps de septembre, 2008, en collaboration avec Mathilde Villeneuve), Sécession (La Caserne Niel, 2010). Claire Moulène est par ailleurs co-fondatrice de la Biennale de Belleville et l’auteur de Art contemporain et lien social paru en 2007 aux éditions du Cercle d’Art.
DIEDERIK PEETERS Après des études en arts visuels, Diederik Peeters s’est fourvoyé dans la création de spectacles. Interprète pour différents metteurs en scène (Guy Cassiers, Alain Platel, Jan Fabre, Erna Omarsdottir, Superamas …) et collaborateur entre autres de Lies Pauwels et Kate McIntosh, il crée plusieurs performances et installations pour des théâtres ou des galeries. Diederik Peeters est l’un des membres fondateurs de SPIN, une plateforme de recherche et de soutien aux artistes basée à Bruxelles.
CHARLES PENNEQUIN poète de merde / pas de majuscule / pas de projet de carrière / producteur de revues / de textes / de dessins / de videos / et de livres / au dernier télégramme, al dante, pol,… / petits livres avec daniel nadaud, notamment à la belle époque / nombreux textes lus en france et un petit peu à côté (taiwan) / charles pennequin est vivant absolument vivant c’est-à-dire dans la merde / dernier livre paru : pamphlet contre la mort (pol)
BÉATRICE PICON-VALLIN Béatrice Picon-Vallin est directrice de recherches émérite au CNRS, ARIAS. Elle dirige trois collections («Arts du spectacle» - CNRS Editions, «th XX» - L’Âge d’Homme, «Mettre en scène» - Actes Sud-Papiers).
Spécialiste du théâtre russe, de l’histoire de la mise en scène et du jeu de l’acteur en Europe, des rapports du théâtre et des autres arts, elle est l’auteur de nombreux ouvrages personnels (en particulier Meyerhold, Les Voies de la création théâtrale, vol. 17, CNRS Éditions (1990) 2004) et a dirigé plusieurs ouvrages collectifs importants. Elle collabore à de nombreuses éditions et revues spécialisées en France et à l’étranger.
JULIEN PRÉVIEUX Diplômé de l’École Supérieure d’Art de Grenoble et de l’École Nationale Supérieure des Beaux-Arts de Paris, Julien Prévieux est également titulaire d’une maîtrise de biologie. Dans ses œuvres, il s’applique à décrypter un monde marqué par des changements idéologiques profonds. Entre humour absurde et tentative de révolte, les stratégies qu’il développe sont fondées sur la confrontation volontaire d’un individu solitaire avec un système donné (architectural, social, économique…). Julien Prévieux est représenté par la galerie Jousse Entreprise à Paris.
CHRISTIAN SALMON Dans Storytelling, la machine à fabriquer des histoires et à formater les esprits (La Découverte, 2007), Christian Salmon décrit l’impact des nouveaux usages du récit dans la communication politique, le management et le marketing. En 2010, il étend à l’univers de la mode son enquête sur le «nouvel ordre narratif» dans Kate Moss Machine. Christian Salmon a publié de nombreuses chroniques dans Le Monde, réunies dans Storytelling, Saison 1 (Les prairies ordinaires, 2011) et Ces histoires qui nous gouvernent (JC. Gawzewitch, 2012). Son essai La cérémonie cannibale (Fayard, 2013) a reçu le prix de l’essai du magazine L’Express. Depuis septembre 2013, il collabore à Mediapart et au magazine Les Inrocks.
ALAIN SAVOURET Alain Savouret a reçu une double formation : «classique» au CNSMD
de Paris (élève d’Elsa Barraine, d’Olivier Messiaen, de Marcel Beaufils) et «expérimentale» au Service de la Recherche de l’ORTF dirigé par Pierre Schaeffer. Au cours de sa carrière, il développe une démarche transversale : composition, direction d’orchestre, improvisation, communications écrites ou orales. Grâce à plusieurs commandes de l’État, il entreprend notamment des actions innovantes de «mission-résidence» auprès des collectivités territoriales. Grand Prix des compositeurs de la SACEM en 1982 et membre de l’Académie Internationale de Musique Électroacoustique, il crée la classe d’Improvisation Générative au CNSMDP en 1993.
VINCENT THOMASSET Après des études littéraires à Grenoble, Vincent Thomasset travaille en tant qu’interprète avec différents metteurs en scène dont Pascal Rambert. En 2007, il intègre la formation Ex.e.r.ce, qui sera le point de départ de trois années de recherches. Lors de performances in situ, il accumule différents matériaux et problématiques à la fois littéraires, chorégraphiques et plastiques. Aujourd’hui, il s’inscrit dans la production de formes reproductibles en créant notamment une série de spectacles intitulée Serendipity. En 2013, il crée Bodies in the Cellar à la Ménagerie de Verre.
KOEN VANMECHELEN Koen Vanmechelen est un artiste belge internationalement reconnu. Il collabore depuis plus de 10 ans avec de nombreux scientifiques. Ses œuvres concernent essentiellement la diversité bioculturelle et l’identité. Elles ont été présentées lors de nombreux événements, dont la Biennale de Venise en 2009. Ses trois travaux principaux, The Cosmopolitan Chicken, The Walking Egg et CosmoGolem ont donné lieu à la création de The Open University of Diversity (OpUnDi), un réseau permettant d’approfondir les sujets initiés par ces œuvres. En 2013, il a reçu le prix Ars Electronica dans la catégorie Hybrid Art.
Cabaret de curiosités #11 Storytelling 1 7 et 8 février 2014
création 2011
FC BergMAn
avec Éric Duyckaerts
VAn Den VoS (le roman de renart) rÉSiDenCe / CrÉAtion FrAnÇAiSe
texte Josse De Pauw composition musicale Liesa Van der Aa, Michael Rauter, Daniella Strasfogel, Solistensemble Kaleidoskop de FC Bergman avec Stef Aerts, Joé Agemans, Viviane De Muynck, Gregory Frateur, Bart Hollanders, Dirk Roofthooft, Thomas Verstraeten, Marie Vinck E. A costumes Ann D’Huys musique en direct Solistensemble Kaleidoskop Conception lumière FC Bergman e.c.a. Ken Hioco Consultant en mouvement Ken Hioco Remerciements AMADEA, VRANCKX, FLOOR GRES, GAVRA, Agfa-Gevaert N.V. production toneelhuis, muziektheater transparant, solistensemble kaleidoskop en collaboration avec stadsschouwburg amsterdam, kaaitheater, le phénix scène nationale valenciennes, wiener festwochen, operadagen rotterdam, stichting theaterfestival boulevard, berliner festspiele/foreign affairs projet financé avec le soutien de la commission européenne
AMiCAle De ProDUCtion JoUrnÉe D’ÉtUDeS ArtiSteS ASSoCiÉS
Julien Fournet, Halory Goerger, Antoine Defoort en partenariat avec l’ESAD valenciennes et l’ESA cambrai
FrAnCe DiStrACtion leS tHerMeS Julien Fournet, Halory Goerger, Antoine Defoort, Belinda Annaloro, Sébastien Vial
production l’amicale de production coproduction le centquatre - paris, le vivat, scène conventionnée danse théâtre - armentières, budakunstencentrum - courtrai, réseau apap, le musée de la danse / centre chorégraphique national de rennes et de bretagne - rennes, tnb théâtre national de bretagne - rennes, le beursschouwburg - bruxelles partenaire la malterie antoine defoort, halory goerger, julien fournet et l’amicale de production sont artistes associés au centquatre, au beursschouwburg et au phénix scène nationale valenciennes / antoine defoort et halory goerger sont membres du réseau apap / antoine defoort est associé au vivat d’armentières, scène conventionnée danse et théâtre
PUCe MoMent lA lenteUr rÉSiDenCe / CrÉAtion
Nicolas Devos, Pénélope Michel avec Nicolas Devos et Pénélope Michel (musique et images), Gaëtan Rusquet (performance) production rch coproduction le phénix scène nationale valenciennes, le vivat scène conventionnée d’armentières, fructôse à dunkerque, l’aéronef scène de musiques actuelles de lille, le métaphone scène de musiques actuelles de oignies avec le soutien du ministère de la culture et de la communication, pictanovo, le channel scène nationale de calais
Cie ontroerenD goeD AUDienCe CrÉAtion FrAnÇAiSe
Alexander Devriendt avec Maria Dafneros, Matthieu Sys, Tiemen Van Haver, Joeri Smet
scénographie et costumes Sophie De Somere lumières et son Timme Afschrift caméra Aaron De Keyzer technicien Wim Hermans coproduction richard jordan productions ltd avec le soutien du national theatre studio-londres, drum theatre-plymouth, vooruit-gand, la communauté flamande, la province est-flandre et la ville de gand
VinCent tHoMASSet lettreS De nonMotiVAtion de Julien Prévieux distribution en cours en partenariat avec le musée des beaux-arts de valenciennes
CHArleS PenneQUin PerForMAnCe en partenariat avec l’h du siège
constructions et informatique David Lemarechal, Jean-Marc Delannoy, Bertrand Boulanger production cie tantôt coproduction pronomade(s) en haute-garonne - centre national des arts de la rue / culture commune scène nationale du bassin minier du pas-de-calais / excentrique - festival mis en œuvre par culture o centre ateliers de développement culturel / la maison folie de moulins de lille / le boulon - centre national des arts de la rue - vieux-condé réalisé avec l’aide du ministère de la culture et de la communication, la région nord-pas-de-calais, pictanovo, l’espace périphérique mairie de paris - parc de la villette, du 104 - mairie de paris, du garage compagnie de l’oiseau-mouche, du manège - scène nationale de maubeuge et du zeppelin - centre d’art et de culture de saint-andré en partenariat avec le boulon centre national des arts de la rue vieux-condé
CAtHerine gAUDet Je SUiS Un AUtre
leS BAltAZArS
interprètes Dany Desjardins, Caroline Gravel lumières Frédérick Gravel concepteur et compositeur musical Jacques Poulin-Denis conseillère artistique, répétitrice Sophie Michaud
noCtUrne n°2 - tUMBleWeeD
production catherine gaudet créé en résidence à la chapelle en partenariat avec l’espace athéna de saint-saulve
Cie tAntÔt Fil De Fer CrÉAtion
Eric Bézy, Arnaud Boulogne création lumière et régie générale Juliette Delfosse dramaturgie Youness Anzane administration de production Nina Vandenberghe
rÉSiDenCe / CrÉAtion
direction, scénographie et dramaturgie Aurélie Baltazar composition et interprétation intermedia Pascal Baltazar lutherie et régie numériques Nicolas Hincker construction du dispositif scénographique Diane Dekerle conception électromécanique Francis Bras (Interface-Z) développement logiciel Théo de la Hogue (GMEA) production l’arboretum coproduction labri/scrime, (projet de recherche i-score) / gmea, centre national de création musicale d’albi-tarn (projet de recherche ossia) / le phénix scène
Cabaret de curiosités #12 Storytelling 2 nationale valenciennes cofinancement pictanovo, dans le cadre du fonds expériences interactives avec le soutien du conseil régional nord-pas-de-calais, de lille métropole communauté urbaine, de la cci grand-hainaut, du centre national du cinéma et de l’image animée en partenariat avec l’équipe edesac (laboratoire ceac, université lille 3), l’institut numédiart et la plaine images / l’imaginarium. la recherche plastique préalable a reçu le soutien de l’aide individuelle à la création arts plastiques de la drac nord-pasde-calais
CerCUeil Nico Devos et Pénélope Michel
9, 10 et 11 avril 2014 roDrigo gArCÍA DAiSy texte, scénographie et mise en scène Rodrigo García traduction Christilla Vasserot avec Gonzalo Cunill, Juan Loriente assistant à la mise en scène John Romão création lumières Carlos Marquerie création vidéo Ramón Diago espace sonore Daniel Romero sculpture «Daisy» Cyrill Hatt perruques Catherine Saint-Sever costumière Méryl Coster construction décor Frédéric Couade éducateur canin José-Claude Pamard direction technique Roberto Cafaggini régisseur son Vincent Le Meur régisseur plateau Jean-Yves Papalia direction technique Roberto Cafaggini avec la participation d’un quatuor à cordes spectacle de la compagnie Rodrigo García
Benjamin Dupé, Samuel Sighicelli), Frédéric Nevchehirlian dans le cadre du dispositif espace(s) son(s) hainaut(s) avec le soutien de la Sacem
MyriAM MArZoUKi le DÉBUt De QUelQUe CHoSe rÉSiDenCe
de Hugues Jallon avec Johanna Korthals Altès, Christophe Brault, Radhouane El Meddeb, Alain Gintzburger, Charline Grand et un chœur d’amateurs assistante à la mise en scène Charline Grand scénographie Bénédicte Jolys costumes Laure Mahéo lumières Ronan Cahoreau-Gallier image Philippe Rouy régie vidéo Julie Pareau musique Toog production compagnie du dernier soir coproduction festival d’avignon, le phénix scène nationale valenciennes avec le soutien de la région île-de-france, du théâtre du fil de l’eau - ville de pantin, du conseil général de la seine-saint-denis
production bonlieu scène nationale annecy coproduction la bâtie - festival de genève avec le soutien de saint-gervais genève le théâtre dans le cadre du projet pact bénéficiaire du feder avec le programme interreg IV A france-suisse production déléguée bonlieu scène nationale annecy
FrAnCe DiStrACtion
BenJAMin DUPÉ
production l’amicale de production coproduction le centquatre - paris, le vivat, scène conventionnée danse théâtre - armentières, budakunstencentrum - courtrai, réseau apap, le musée de la danse / centre chorégraphique national
CArte BlAnCHe ArtiSte ASSoCiÉ
avec Mathieu Fèvre, Art Zoyd, Alain Savouret, Sphota (Benjamin De La Fuente,
leS tHerMeS Julien Fournet, Halory Goerger, Antoine Defoort, Belinda Annaloro, Sébastien Vial création 2011 avec Hugues Jallon, Christian Salmon, Stéphane Gornikowski et la Générale d’Imaginaire.
de rennes et de bretagne - rennes, tnb théâtre national de bretagne - rennes, le beursschouwburg - bruxelles partenaire la malterie antoine defoort, halory goerger, julien fournet et l’amicale de production sont artistes associés au centquatre, au beursschouwburg et au phénix scène nationale valenciennes / antoine defoort et halory goerger sont membres du réseau apap / antoine defoort est associé au vivat d’armentières, scène conventionnée danse et théâtre
DieDeriK PeeterS reD Herring musique, son Lieven Dousselaere plateau Sarah & Charles lumières Henri-Emmanuel Doublier assistant lumières Ivan Fatjo costumes Christoph Hefti et Carmel Peritore réflecteurs Bill Aitchison et Philippe production spin coproduction beursschouwburg, kunstencentrum buda en collaboration avec pianofabriek kunstenwerkplaats, stuk kunstencentrum, kunstencentrum vooruit, four days association prague (cz) avec le soutien du gouvernement flamand et de la commission de la communauté flamande.
Les partenaires du phénix Partenaires publics du phénix
Club phénix entrepreneurs
Ministère de la Culture et de la Communication Ville de Valenciennes Conseil régional Nord-Pas-de-Calais Conseil général du Nord Feder dans le cadre du programme Interreg IV Valenciennes Métropole
Vallourec SA du Hainaut Biogroup PSA Peugeot Citroën site de Valenciennes La Caisse des dépôts La Chambre de Commerce et d’Industrie Nord de France Transvilles
Les Cabarets de curiosités sont soutenus par
ce véhicule est à nouveau le lieu des soirées de programmation de convergence des publics belges artistique intitulées Open Latitudes et français. Showcases dédiées à l’émergence artistique ainsi qu’aux pièces Les partenaires : particulièrement audacieuses. - le manège.mons La médiation auprès des publics, - le Manège – Maubeuge y compris les moins sensibilisés, - le phénix scène nationale se succèderont tout au long Valenciennes du projet.
Nomade > Culture, Citoyenneté & Nouvelles Technologies en Hainaut(s) Les objectifs poursuivis par le projet Nomade permettent de sensibiliser les populations les plus fragiles aux enjeux de l’innovation, par la sensibilité artistique et culturelle. Dans la perspective de Mons 2015 «Where Technology Meets Culture», Nomade sera l’un des leviers de développement du territoire transfrontalier en matière de culture et de technologie à longue échéance.
Open latitudes (3)
Depuis 2008, le réseau de partenaires européens du projet Open Latitudes a affirmé le besoin de développer un accompagnement spécifique en terme de production et de diffusion à l’échelle européenne pour les formes pluridisciplinaires hybrides. En considérant la crise économique européenne conjuguée par la baisse générale des financements Le bus Nomade arpente donc les publics culturels, Open Latitudes rues et places du Hainaut depuis (3) poursuit son travail plus d’un an maintenant, entre de mutualisation et de mise Valenciennes, Mons et Maubeuge. en réseau pour une durée Équipé d’ordinateurs, de tablettes de quatre ans avec deux nouveaux numériques et de caméras, il a déjà partenaires particulièrement accueilli de multiples ateliers touchés par ce contexte : la Grèce à destination des plus exclus et le Portugal. Open Latitudes (3) de la «fracture numérique». orientera son action autour Citons par exemple le projet de quatre volets au profit des Royale Bibliothèque en lien avec artistes soutenus : la constitution la bibliothèque de Valenciennes entre partenaires d’un fonds et l’écrivain Dominique Sampiero de coproduction européen dans le quartier de la Chasse et transnational ; le développement royale, ou encore la participation de master class et workshops de nombreuses écoles primaires pour permettre le temps de la à l’atelier "Passe ton permis web". recherche et de l’expérimentation artistique ainsi que des temps Lors de la saison 2013 / 2014, de résidences ; la diffusion en lien avec les programmations conjointe de pièces programmées respectives des trois structures, et/où créées chez les partenaires ;
BNP Paribas Le cabinet BDL Sevelnord Le Grand Hôtel Val’Hainaut Habitat
Partenaires culturels des Cabarets de curiosités
Musée des Beaux-Arts de Valenciennes l’H du Siège, Valenciennes l’Espace Athéna, Saint-Saulve le Boulon, Centre National des Arts de la Rue, Vieux-Condé
Espace Pier Paolo Pasolini, Valenciennes
Le conseil de surveillance du phénix
Monsieur Patrick Roussiès Président du Conseil de surveillance Monsieur Dominique Riquet Représentant la Ville de Valenciennes Les partenaires en 2013 : Monsieur Pierre Giraud - Coordination : Latitudes Président de l’Association contemporaines (F) des Enseignants de Valenciennes - Vooruit Kunstencentrum, Madame Anne-Marie Petieau Gand (B) Représentant la Ville - Cialo Umysl Foundation de Valenciennes à Varsovie (PL) Monsieur Bernard Moreau - Teatro delle moire à Milan (I) Directeur Moreau Music - SinArts à Budapest (HU) Madame Carole Dussart - le phénix scène nationale Représentant la Ville Valenciennes (F) de Valenciennes - Materiais Diversos, Minde (PT) Mademoiselle Bariza Bourega - Deux partenaires associés : Caisse des Dépôts l’Arsenic à Lausanne (CH) / MIR Monsieur Guy Marchant festival, Athènes (G) Représentant la Ville de Valenciennes Espace(s) Son(s) Hainaut(s) > plateforme transfrontalière Monsieur Gonicodé Kahissim pour les musiques innovantes Représentant la Ville de Valenciennes Ce projet regroupe dans un cluster Madame Danièle Ferte les acteurs de la création sonore et Représentant la Ville musicale des «Hainauts». de Valenciennes Madame Sophie Dictus Les partenaires : Représentant la Ville - ensemble Musiques Nouvelles de Valenciennes (au sein du manège.mons, en lien avec les festivals City Sonic Monsieur Jean-Marie Desfossez Représentant la Ville et Transnumériques coproduits de Valenciennes. avec transcultures) - Art Zoyd Valenciennes - le manège.mons - le phénix scène nationale Valenciennes
L’équipe du phénix
Ours
Romaric Daurier directeur général Hermann Lugan administrateur Patricia Gorka secrétaire générale Nicolas Ahssaine directeur technique Dorothée Deltombe directrice des relations publiques Hugo Dewasmes directeur de la communication et programmation jazz à l’avant-scène Alexandra Davenne relations publiques et chargée de projets Amandine Top relations publiques Renaud Laithienne relations publiques Romain Carlier audiovisuel / multimédia Isabelle Grave accueil / billetterie Fanny Decraene accueil/billetterie Anne Laden secrétariat de direction Gabrielle Maliet assistanat administratif Delphine Debureaux chef comptable Christelle Dick assistanat secrétariat général Justine Drag secrétariat, accueil Fabrice Loez régie générale Richard Adonel régie plateau Philippe Reinhalter régie plateau Ludovic Loez régie lumières Gilles Renard régie son Bernard Herbin gardien Salima Terfous agent d’entretien
direction éditoriale Clarisse Bardiot et Romaric Daurier
Et l’ensemble des personnels intermittents et vacataires. Halory Goerger, Antoine Defoort, Julien Fournet (L’Amicale de production), Benjamin Dupé et Cédric Orain artistes associés Étienne Visinet, professeur missionné par le rectorat Clarisse Bardiot, conseillère éditoriale cabarets de curiosités agence Myra (Rémi Fort, Magda Kachouche), relations presse nationale
coordination éditoriale Chloé Andries Hugo Dewasmes et Amélie Boudier conception graphique les designers anonymes traducteurs Céline Candiard (anglais) Christilla Vasserot (espagnol) secrétaire de rédaction Chloé Andries remerciements Les Baltazars François Berreur Philippe Bétrancourt Frédéric Bourdin Christophe Chaillou Jean-Max Colard Emmanuelle Delapierre Marie-Christiane de la Conté Antoine Defoort Benjamin Dupé Éric Duyckaerts Virginie Foucault Julien Fournet France Distraction Rodrigo García Salvador García Halory Goerger Matthieu Goeury Les Inrockuptibles Hugues Jallon Gunnar B. Kvaran Vincent Leclerc Nathalie Lecorre Mathilde Maillard Maria-Carmela Mini Claire Moulène Mouvement Diederik Peeters Charles Pennequin Pascal Pesez Nathalie Piat
Béatrice Picon-Vallin Julien Prévieux Thierry Raspail Christian Rizzo Patrick Roussiès Thierry Rungette Christian Salmon Alain Savouret Vincent Thomasset Koen Vanmechelen Crédits photographies pp. 23-34 © Koen Vanmechelen, Cosmopolitan Chicken Project pp. 45-49 © designers anonymes pp. 50-52 © Pierre Borasci pp. 56-57 © Cécile Picard-Limpens pp. 69-75 © Sarah & Charles et Diederik Peeters pp. 80-95 © Julien Prévieux pp. 100-101 © Chloé Mathiez p. 103 gauche © Richard Volante p. 103 droite © Yannick Dauby pp. 106-112 © Alain Savouret Subjectile ISBN : 978-2-36530-005-6 Les Solitaires Intempestifs ISBN : 978-2-84681-409-6 Dépôt légal : janvier 2014 Achevé d'imprimer par l'imprimerie Albe De Coker / Boombekelaaan 12 / BE-2660 Antwerpen (Hoboken)