CABARET DE CURIOSITÉS
LE PHÉNIX SCÈNE NATIONALE VALENCIENNES | COÉDITION
Cabaret de curiosités
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Version numérique Version epub et version imprimée disponibles via subjectile.com En application de la loi du 11 mars 1957, il est interdit de reproduire intégralement ou partiellement le présent ouvrage sans autorisation de l’éditeur. Direction artistique : Romaric Daurier Conception éditoriale : Clarisse Bardiot © Le phénix scène nationale Valenciennes, 2013 Boulevard Harpignies, BP 39 – 59301 Valenciennes Cedex www.lephenix.fr © Éditions Subjectile et Clarisse Bardiot, 2013 8, rue Ferrand, BP 40506 59321 Valenciennes www.subjectile.com ISBN version imprimée : 978-2-36530-015-5 ISBN version numérique pdf : 978-2-36530-017-9
Avant-propos Les Cabarets de curiosités sont un temps fort de la programmation artistique du phénix scène nationale Valenciennes. En clin d’œil aux cabinets de curiosités des xvie et xviie siècles, lesquels rassemblaient des objets avec un goût pour l’hétéroclite et l’inédit, les Cabarets réunissent des artistes venus des arts de la scène, des arts visuels et de la littérature. Cet ouvrage rassemble des textes inédits, des productions plastiques et des entretiens avec certains artistes invités dans cette fenêtre de programmation de la saison 2012-2013. À cet ensemble s’ajoutent des textes historiques et théoriques, mais aussi des portfolios qui entrent en résonance avec la thématique proposée : audelà d’une querelle entre théâtre de texte et théâtre d’images, qui a marqué durablement les esprits lors du Festival d’Avignon 2005, nous avons souhaité renverser les termes de la problématique et inviter différents artistes nourris de l’héritage de la performance et qui considèrent l’espace du théâtre, le plateau, comme un nouveau lieu d’exposition.
Som- Som- maire maire
La Monnaie Time La Monnaie Based vivante vivante Exhibition Portfolio p. 6 pavillon du «Le cobaye est-il responsable palais de Tokyo de l’expérience ?» . ......................................
Dorota Sajewska........................ p. 15 «L’inconscient n’est pas un théâtre, mais une usine (...)» Pierre Bal-Blanc ������������������������� p. 19
La conquête de l ubiquité La performance performance La déléguée : déléguée : La compression comment comment sous-traiter sous-traiter du monde l’authenticité l’authenticité Claire Bishop p. 26 Dark Lens Manifeste Manifeste (Star Wars) pour un un Musée Musée pour de de la la danse danse Boris Charmatz Laissez-nous p. 54 Time Based Time Based juste le temps Exhibition Exhibition ................................
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Pavillon Neuflize OBC................ p. 60
Three Headed Monsteromancy Rémy Héritier............................ p. 62 Note d’intention Rémy Héritier............................ p. 63 Dialogue Rémy Héritier, Ange Leccia & Christian Merlhiot................. p. 65
Les visiteuses visiteuses Les de de l’art l’art
Gisèle Vienne & Dominique Gonzalez-Foerster...................... p. 70
Un entre-deux entre-deux Un fragile fragile avec avec les les fantômes fantômes
Christian Rizzo............................ p. 76
Après Après le le spectacle spectacle
Jacquie Bablet............................. p. 82
«Ça marchera «Ça marchera jamais/Vous jamais/Vous allez au-devant au-devant allez de de sérieux sérieux problèmes» : problèmes» : deux contrecontredeux exemples exemples
Halory Goerger............................ p. 90
Marcel Marcel Duchamp Duchamp
Guillaume Désanges & Frédéric Cherbœuf. ................ p. 100
Inviter Inviter à à l’écoute l’écoute
Benjamin Dupé........................... p. 104 Biographies. ............................. p. 110 Programme............................... p. 112
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Page précédente : La Monnaie vivante, Théâtre Dramatyczny/ musée d’Art moderne, Varsovie, 2010 : Prinz Gholam, EKOGPMCFAeD, 2008. Photo Pierre Bal-Blanc. Courtesy CAC Brétigny.
Ci-dessus : La Monnaie vivante, studios de danse Micadanses, Paris, 2006 : Teresa Margolles, In the Air, 2003 ; Jens Haaning, Light Bulb Exchange, 1999 ; Prinz Gholam, Ein Ding mehr (One More Thing), 2006 ; Santiago Sierra, Person Facing Into a Corner, 2002. Photo Giasco Bertoli. Courtesy CAC Brétigny.
Ci-dessus : La Monnaie vivante, Tate Modern, Londres, 2008 : Tania Bruguera, Tatlin’s Whisper #5, 2007 ; Annie Vigier et Franck Apertet, X-Event2 LES SALIVES, 2007. Photo Sheila Burnett. Courtesy CAC Brétigny/ Tate Modern Londres.
Pages suivantes : p.g. La Monnaie vivante, studios de danse Micadanses, Paris, 2006 : Teresa Margolles, In the Air, 2003 ; Jens Haaning, Light Bulb Exchange, 1999 ; Ceal Floyer, Garbage, 1996 ; Santiago Sierra, Person Facing Into a Corner, 2002. Photo Giasco Bertoli. Courtesy CAC Brétigny.
p.d. La Monnaie vivante, Théâtre Dramatyczny/ musée d’Art moderne, Varsovie, 2010 : Robert Breer, Rug, 1970 ; Franz Erhard Walther, Standing Piece in Three Sections, 1975 ; Roman Ondák, Teaching to Walk, 2002 ; Santiago Sierra, 111 CONSTRUCTIONS MADE WITH 10 MODULES AND 10 WORKERS, 2004. Photo Yan. Courtesy CAC Brétigny.
Ci-dessus : La Monnaie vivante, Théâtre HAU 1, Berlin, 2010 : Tadeusz Kantor, Dividing Line, 1966; Teresa Margolles, In the Air, 2003 ; Jens Haaning, Kabul Time, 2010. Photo Uwe Walter, 2010. Courtesy Berlin Biennale for Contemporary Art, 2010.
Ci-contre : La Monnaie vivante, Théâtre HAU 1, Berlin, 2010 : vue générale. Photo Uwe Walter, 2010. Courtesy Berlin Biennale for Contemporary Art, 2010.
La Monnaie vivante est une exposition évolutive et itinérante conçue par Pierre Bal-Blanc, directeur du Centre d’art contemporain de Brétigny. Le titre de cette exposition est emprunté à un ouvrage éponyme de Pierre Klossowski publié en 1970.2 Pour reprendre les termes de Pierre Bal-Blanc, «[la] forme et [le] contenu [de l’exposition] proposent une relecture de l’héritage de la performance et apportent de nouveaux liens pour comprendre le rapport entre les arts plastiques et la théâtralité.
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La Monnaie vivante
Cette exposition replace dans l’espace le point de convergence des processus employés par les auteurs et les artistes dans le champ des arts plastiques et des arts vivants. Elle cherche à créer, dans un espace et une durée définis, les conditions d’une expérience qui soient communes à ces processus de création. L’exposition s’attache à cerner les moyens spectaculaires et antispectaculaires avec lesquels ces disciplines artistiques gèrent la présence et l’absence du corps aujourd’hui. Comment elles contaminent le corps du public et montrent aussi bien le morcellement que l’unité de l’individu. Cette exposition expérimente l’écart entre performance, chorégraphie, mise en scène et mise en espace pour saisir comment ces pratiques engagent l’individu, qu’il soit artiste, performeur, acteur, danseur, figurant ou spectateur dans l’exercice d’une nouvelle économie des corps.» 3 La Monnaie vivante a donné lieu à cinq présentations, dans des lieux et avec une sélection d’artistes différents pour chaque occurrence : studios de danse Micadanses (Paris, 2006), théâtre Stuk Art Center (Louvain, 2007), Hall des turbines de la Tate Modern (Londres, 2008), musée d’Art moderne et Théâtre Dramatyczny (Varsovie, 2010), et Théâtre HAU 1 (Berlin, 2010).4 La présentation de La Monnaie vivante à Varsovie en 2010 a donné lieu à de vifs débats, en particulier entre Dorota Sajewska, adjointe du directeur artistique et dramaturge principale du théâtre Dramatyczny (qui accueillait La Monnaie
vivante) et son commissaire, Pierre Bal-Blanc. La revue polonaise Krytyka Polityczna s’est fait l’écho de ces réflexions. Nous présentons ici la traduction française de deux des articles publiés en polonais à cette occasion.
Dorota Sajewska «Le cobaye est-il responsable de l’expérience ?»5 La confrontation de l’art contemporain et du théâtre porte à n’en pas douter l’espoir d’interférences productives. L’incursion dans le domaine du théâtre d’une autre approche de la matière, du corps, du temps, de l’espace, d’un autre type de présence de l’acteur/performeur dans la relation avec le spectateur/ participant, enfin d’une différente conception du travail, de la production ou de la gestion donne non seulement une chance à un choc des esthétiques de se produire, mais avant tout à l’existence de ce que Bertolt Brecht appelait «l’expérience sociologique» – ce qui du point de vue politique semble le plus intéressant. Il s’agit d’une activité où «c’est par l’usage de moyens appropriés que les contradictions présentes de façon immanente dans la société seront
provoquées et rendues visibles. L’expérience sociologique est à la fois une tentative de comprendre le fonctionnement de la “culture”. La pensée publique est libérée et de là suit sa voie dans des rôles distincts. La matière devient vivante et se révèle en tant que telle, elle agit et n’est plus seulement un objet à regarder» (Bertolt Brecht, Un Procès de quat’sous).6 Nous avons accueilli avec intérêt l’idée du musée d’Art moderne de laisser la Grande Scène à la disposition d’un peu plus d’une dizaine d’artistes et de performeurs, d’autant plus que nous avions déjà eu l’occasion de confier les deux scènes à des performeurs – Franko B et Ron Athey. L’exposition La Monnaie vivante proposée par le commissaire français Pierre Bal-Blanc n’était certes pas la première rencontre de ces deux champs d’action. En revanche, pour la première fois, l’expérience n’était pas uniquement pensée comme un événement autonome mais comme une série de «performances antithéâtrales», incluses dans le cadre de l’exposition et ensuite introduites dans la structure espace-temps de la représentation théâtrale. Les travaux et les mises en place, au sens large du terme, qui composent l’exposition exploitent les situations du quotidien et les états extrêmes, la volonté d’un individu et son assujettissement, la nudité et la pathologie, afin de montrer le corps humain aux prises avec le discours économique, politique, médiatique, de divertissement. La Monnaie vivante promettait également une démarche critique – en bouleversant la distinction entre espace public et théâtral et en
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montrant que le corps en tant que matière demeure sous l’influence constante du marché (et n’est rien d’autre que la «seule forme authentique d’argent»), elle devait proposer une «alternative au modèle d’échange économique». Cela s’est-il passé ainsi ? Est-ce en montrant effectivement au centre de la scène du théâtre les corps des artistes ou leurs organes qu’ont pu être dévoilées la violence symbolique, la manipulation et l’exploitation économique du corps humain ? Ce qui a été dévoilé dissimule en fait autre chose. Au théâtre, on construit toujours une forme d’identité collective entre le/les spectateur(s) et l’/les acteur(s) rassemblés dans un temps et un espace déterminés. Les gens sont, comme le remarque à juste titre Louis Althusser, «d’abord unis par cette intuition qu’est le spectacle, mais plus profondément unis par les mêmes mythes, par les mêmes thèmes qui nous gouvernent sans notre aveu, par la même idéologie spontanément vécue» (Louis Althusser, Pour Marx). Par ailleurs, le théâtre en tant qu’espace parfaitement prédisposé à l’activité idéologique cache souvent le spectacle lui-même, cette gigantesque accumulation d’images où tout ce qu’on peut vivre directement dans sa singularité s’éloigne au cours de la représentation dans une uniformité totale. Ce spectacle (et le théâtre) est un monde de mythes et d’ivresse, voire d’asphyxie due à cette forme de totalisation à laquelle cède l’initiateur de La Monnaie vivante. Il a cédé à la tentation de faire du théâtre, à la magie de la scène, et est lui-même devenu – de façon performative
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également – metteur en scène. Au lieu de l’antithéâtralité promise, on nous a offert une représentation théâtrale de cinq heures avec un montage programmé, à la dramaturgie invariable de scènes s’enchaînant les unes après les autres. De tous ces êtres autonomes – performeurs – Pierre Bal-Blanc a créé une unité caractéristique du spectacle théâtral. L’espace délimité par le travail des performeurs a installé sur la scène un réel archétype d’assemblée théâtrale. Cette organisation dans l’espace a immédiatement établi une relation entre la scène et le public. Outre des exceptions mineures, la majorité du public n’a pas franchi l’espace de jeu – il est plutôt resté passif, assis par terre, adossé au mur, à regarder tout simplement les faits présentés. La dernière scène, dans laquelle le metteur en scène joue lui-même en tant qu’acteur dans la performance Eve’s Game de Sanja Ivekovic, clos la représentation par une boucle au caractère théâtral fort. Pourquoi le projet de Pierre Bal-Blanc, qui rassemble de nombreux travaux critiques envers les mécanismes du marché et du spectacle, a-t-il lui-même l’allure d’un événement conservateur pas du tout distancié vis-à-vis du théâtre ? Selon moi, les choses se sont déroulées ainsi car Bal-Blanc est venu au théâtre pétri d’images de ce que celui-ci doit être – au lieu d’opter pour une confrontation avec sa matérialité (et à la fois son altérité). Ces illusions quant au théâtre montrent une conception faussée des possibilités d’interaction dans ce qui se passe sur scène. Cette illusion est née de la conviction qu’il est possible de
transposer le geste critique du musée au théâtre. La simple équation, si le théâtre est un spectacle alors l’antithéâtre est un antispectacle, n’est peut-être pas faisable. Si comme Guy Debord on considère que le spectacle est une relation sociale entre les hommes par l’intermédiaire d’images – une forme extrême de dépossession de ce qui est commun qui « soumet les hommes vivants dans la mesure où l’économie les a totalement soumis » –, on ne peut faire une approche critique d’un spectacle qu’en révélant cette domination de l’économie. Au théâtre, cette dépossession spectaculaire ne se passe pourtant pas sur la scène mais au-delà. Puisque le théâtre en soi est un espace d’idéologie du spectacle, il est impossible, comme le souhaitait Pierre Bal-Blanc, d’y révéler les mécanismes du langage de l’artisanat culturel sans critiquer l’institution du théâtre elle-même et en même temps sa propre place au sein de cette institution. Toutes les illusions – comme Brecht l’avait compris en son temps – se révèlent justement dans l’attitude et le comportement des institutions publiques (comme la presse, l’industrie du cinéma, les tribunaux, mais aussi les théâtres et les musées). Elles représentent en l’occurrence «une petite part de l’immense complexe idéologique qui fabrique la culture ; on ne peut discuter de culture que lorsque ce complexe idéologique passe à des observations dans la pratique, mais aussi au travail, en pleine production ou lors du processus de sa transformation par la réalité tout comme de la transformation de la réalité par celui-ci. […] Tout ce qui se dit
au sujet de la culture d’un point de vue général, selon des principes généraux, sans considérer la pratique, ne peut être alors qu’une illusion qui doit d’abord être vérifiée dans la pratique» (Bertolt Brecht, Un Procès de quat’sous). Au théâtre, la vraie critique doit être immanente ; elle doit être réelle et matérielle. En se plaçant dans cette perspective, La Monnaie vivante avait-elle une chance de révéler le fonctionnement idéologique d’un spectacle ? Y avait-il un moyen de mettre à profit cette différence entre des façons de travailler incompatibles et pourtant liées ? Et si oui, quelles illusions pouvaient être soumises à la critique ? Qu’aurait-on pu révéler qu’on n’a pas pu révéler ? Voici d’après moi les trois occasions ratées de mise en œuvre d’actions réellement antithéâtrales (antispectaculaires, plus exactement), d’actions qui auraient permis de révéler quelques éléments de fonctionnement du mécanisme du spectacle : a) que son langage est le signe de la production dominante, b) qu’il transforme le travail de l’homme en travail-marchandise, enfin c) que «dans le spectacle […] la division montrée est unitaire, alors que l’unité montrée est divisée», et «la réussite du système économique de la séparation est la prolétarisation du monde» (Guy Debord, La Société du spectacle). Occasion n° 1 : Le premier jour, une vive controverse est née lors de la performance de Teresa Margolles In the Air, au moment où le technicien du théâtre devait remplir
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une machine à bulles avec de l’eau apportée de façon illégale d’une morgue de Mexico et qui avait servi à nettoyer les corps de victimes de meurtres après les autopsies. Le technicien responsable des accessoires a refusé de le faire, n’ayant pas été informé par le metteur en scène ni de l’origine ni de la destination de ce matériau, ni même du sens de la performance. Il l’a appris par un prospectus. Le travail de Margolles, qui avait pour but de critiquer l’exclusion des gens à cause de leur position sociale, est devenu (en ne prenant pas en considération les spécificités du travail dans un théâtre) l’instrument de la dépossession de la force symbolique. Finalement, l’acte a été exécuté par un autre technicien après intervention du metteur en scène auprès des personnes en charge du théâtre.
Occasion n° 3 : Le dernier jour, l’événement entier est resté en suspens. Dans le carnet de liaison que j’ai pu consulter après la clôture de l’exposition était notée l’information suivante : «À 16 h 22, c’est-à-dire 38 minutes avant le début de la représentation, il n’y avait personne sur scène et pourtant tous les artistes (environ 20 personnes) attendaient les techniciens du théâtre.» Au bout de deux soirées, l’équipe technique avait compris comment se déroulait le spectacle et les employés se sont sentis libérés de leur devoir d’être sur place une heure à l’avance (comme le stipulait leur contrat) et sont venus (comme pour des spectacles faciles à préparer) exécuter leurs tâches de routine un quart d’heure avant l’arrivée des spectateurs. Ce manque de préparation fit perdre son sang-froid au metteur en scène de La Monnaie vivante.
Occasion n° 2 : Le deuxième jour, au cours d’une représentation de La Monnaie vivante, des acteurs du Théâtre dramatique de Varsovie qui sortaient de répétition sont entrés sur la scène, ont proposé leur propre performance en posant la question : Est-ce que quelqu’un a vu Don Quichotte ici ? interrompant ainsi le rythme du spectacle qui se déroulait sur scène et détournant efficacement l’attention des spectateurs du travail des autres performeurs programmés par le metteur en scène. Ce geste de contamination de la performance par le théâtre fut cependant aussitôt rejeté. Le metteur en scène a forcé le régisseur à chasser de la scène les acteurs institutionnels de ce théâtre.
Ces quelques exemples ne représentent qu’une part des malentendus nés de la confrontation du musée et du théâtre dans l’exposition de Pierre Bal-Blanc. Ceux-ci résultent du fait que la production et la présentation d’une exposition d’art moderne sur une scène de théâtre se sont déroulées ici sans prendre en compte les spécificités de cette institution qu’est le théâtre, sans tenter de comprendre les mécanismes qui la régissent ou la façon dont fonctionne un collectif théâtral dont l’axe est le metteur en scène. Le metteur en scène est la personne responsable de tout le groupe – il ne gère pas uniquement les artistes/acteurs, mais aussi le personnel technique impliqué dans les différents projets,
La Monnaie vivante
certes force de travail bon marché mais co-organisatrice de la représentation dotée de connaissances et de savoir-faire. Toutes les contradictions qui sont apparues au cours du travail sur l’exposition La Monnaie vivante ont été l’occasion de voir de réelles interférences dans l’espace public du théâtre – elles auraient pu devenir le vrai thème de l’événement qui devait justement présenter «la domination perverse de la sphère économique». Cela aurait pu arriver si les créateurs de l’événement avaient laissé de côté l’image qu’ils ont du théâtre et s’étaient ouverts à une situation issue de la pratique, s’ils avaient remarqué ce qui est radicalement différent au cours de leur travail et qu’ils l’avaient montré au public. Malheureusement, les contradictions nées de la différence entre le travail dans un musée et le travail dans un théâtre ont été effacées aussi vite qu’elles sont apparues. Et elles n’ont ainsi pu être offertes ni au regard ni au jugement du spectateur. C’est le mécanisme du spectacle qui a joué – cacher ce qui est dissocié, construire une unité de façade. Dommage que le sens de ce qui avait lieu sur scène soit resté voilé, non apparent, sous la surface, ce que ni les créateurs, ni les récepteurs ne semblent avoir compris. Le processus de dissociation est resté un processus inconscient. Et pour la suite ? Il ne reste qu’à penser comme Brecht : «Les contradictions sont notre seul espoir !» Texte publié en polonais, in Krytyka Polityczna, no 22, 2010, pp. 174-183
Pierre Bal-Blanc «L’inconscient n’est pas un théâtre, mais une usine (…)» 7 À la première lecture du commentaire critique de Dorota Sajewska sur l’exposition La Monnaie vivante présentée au Théâtre dramatique du Palais de la culture en avril dernier en coopération avec le musée d’Art moderne de Varsovie, ma réaction fut immédiatement enthousiaste. Je constatais à nouveau dans ces lignes la dynamique critique propre à la scène artistique polonaise actuelle et sa capacité à renouer avec un engagement polémique qui a disparu quand on va plus à l’Ouest pour laisser la place à des comptes rendus calqués sur des communiqués de presse. Intéressé par les arguments, même s’ils pouvaient être parfois confus ou contradictoires, je mettais plutôt ce dernier aspect sur le compte de l’intention urgente de l’auteur d’ouvrir une polémique. C’est la raison pour laquelle j’ai demandé à pouvoir répondre à ce texte qui pose un ensemble de questions et soulève des problématiques qui me sont chères et qui sont au cœur du projet La Monnaie vivante.
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La seconde lecture de ce texte a par contre été quelque peu différente, ayant été informé plus précisément des qualités de son auteur : à savoir qu’il s’agit de l’adjointe du directeur artistique et de la dramaturge principale du théâtre dans lequel s’est déroulée l’exposition La Monnaie vivante. Ce qui change en substance le contenu des arguments de ce texte, c’est d’apprendre que son auteur n’est pas extérieur au projet mais impliqué dans son organisation, même si c’est indirectement. Si j’en fais état c’est parce que Dorota Sajewska bâtit sa conclusion en révélant des contradictions entre l’ambition politique du projet et son organisation concrète, qui aurait été dissimulée au profit d’une illusion critique. Bien que je m’accorde avec l’auteur pour considérer que la validité d’un projet se mesure à la fois à son contenu et à sa mise en œuvre, l’accent mis sur mes responsabilités au niveau de l’organisation occulte le rôle des artistes et au bout du compte celui des œuvres auxquelles il n’est fait référence qu’accessoirement dans le texte de Dorota Sajewska. Serions-nous dans un discours qui cherche absolument à recréer un duel de pouvoir entre «responsables» dûment désignés là où il est justement menacé par les formes multiples d’organisation proposées par les artistes et leurs œuvres ? N’y a-t-il pas chez Dorota Sajewska une tendance à analyser essentiellement par le biais de critères théâtraux les échecs de La Monnaie vivante alors que ce projet vise justement à en introduire d’autres, liés à la musique, à la danse, aux arts
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plastiques et à la performance ? Les échecs pointés par l’auteur ne sont-ils pas au contraire les signes d’une mise en crise de l’institution théâtrale qu’elle appelle par ailleurs de ses vœux en se référant au théâtre de Brecht ? En s’appuyant principalement sur les déficits de responsabilités liés à ma fonction dans ce projet en tant que réalisateur, Dorota Sajewska nous démontre que l’inconscient de la domination est reconduit au lieu d’être démasqué par l’exposition ; qu’au lieu de favoriser la mise au jour des contradictions entre les régimes du théâtre et des arts plastiques, ils furent dissimulés par le metteur en scène. N’y a-t-il pas dans l’approche univoque de l’auteur une occultation manifeste des contenus esthétiques et des formes politiques mises en jeu qui traduit l’inconscient d’un pouvoir menacé sur son propre terrain ? Je propose de m’appuyer sur les différents points soulevés par le texte de la directrice artistique du théâtre dramatique en y associant plus étroitement les œuvres présentées dans La Monnaie vivante pour voir comment chacune d’elle a pu mettre en crise l’institution théâtrale. Je ne cherche pas à me défausser par rapport au rôle que je tiens dans cet événement. Comme a su le déceler Dorota Sajewska, la position de metteur en scène (préféré dans une certaine mesure à celle de commissaire d’exposition) me fait assumer dans ce dispositif performatif la responsabilité de la qualité du spectacle. Or pour Dorota Sajewska il est clair que j’usurpe cette fonction et que l’événement s’est avéré être un mauvais spectacle.
Ce projet pourrait pourtant poser les bases d’une réflexion sur ce qu’est au juste un réalisateur et comment on qualifie une expérience collective. Ce projet a été conçu en 2005 à Paris à l’invitation d’un festival de danse contemporaine. J’ai proposé l’idée d’articuler un ensemble d’œuvres au sein d’un studio de répétition qui possédait un miroir, un léger gradin correspondant au tiers de l’espace et dont le sol était recouvert d’un tapis de danse. La typologie de l’espace permettait de souligner le contexte lié au spectacle vivant dans lequel prenait place cette exposition tout en offrant une référence forte à une œuvre emblématique de Dan Graham, Performer/ Audience/Mirror (1977) par l’intermédiaire du face-à-face entre le public et le miroir. Les œuvres choisies ou créées pour le rapport central ou accessoire qu’elles entretiennent au corps étaient rassemblées sous le titre d’un texte-clef de Pierre Klossowski, La Monnaie vivante, qui proposait une piste théorique pour les appréhender. Néanmoins, durant trois jours, c’est bien une expérience physique et collective qui était proposée par l’intermédiaire de la présence des artistes et des personnes impliquées dans les dispositifs. Ce projet visait à favoriser les rapprochements esthétiques entre la pratique chorégraphique et la performance à un moment où nous étions encore très peu à réinvestir le champ de la performance. Sans pour autant faire appel à la danse, à des chorégraphes ou à des danseurs, La Monnaie vivante articulait
des œuvres d’époques et de générations différentes (on retrouve ces artistes dans les volets ultérieurs) dans un continuum d’exposition. Sur une durée de cinq heures, les œuvres se succédaient ou se superposaient. La révélation de cette expérience pour les artistes et moi-même en tant que commissaire d’exposition a clairement été de ressentir l’émergence d’un nouveau format autant sur le plan de la composition de l’événement qu’au niveau de sa perception. Conçue sur la base d’objets ouverts, la mise en espace et en temps est devenue un travail d’agencement collectif mené en temps réel et dont le déroulement se trouve affecté par les personnes en présence. La confiance et la collaboration nécessaires pour réaliser ce projet avec les artistes comme Santiago Sierra, Teresa Margolles, Roman Ondák, Artur Žmijewski ou Jens Haaning s’établissait à cette époque sur la base des projets que nous avions menés dès 2003 au sein du centre d’art, ou sur des collaborations encore plus anciennes comme avec David Lamelas. Ma collaboration avec la majeure partie des artistes impliqués dans La Monnaie vivante excède à ce jour ce projet. Si j’insiste sur ce point, c’est pour affirmer qu’il s’agit d’une expérience collective dont j’assume le rôle d’initiateur et de coordinateur mais dont je récuse détenir seul l’autorité du contenu et du déroulement. Depuis le premier volet parisien, La Monnaie vivante n’a cessé de générer des échanges entre les participants et créer de nouvelles contributions comme Tatlin’s Whisper #5 (2008, collection Tate Modern London) de Tania Bruguera pour le volet de la Tate
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Modern de Londres, 111 CONSTRUCTIONS MADE WITH 10 MODULES AND 10 WORKERS (2004-2010), de Santiago Sierra à Varsovie ou Näherei Nebtex (2010), de Jens Haaning à Berlin pour n’en citer que quelques exemples. Mais revenons aux incidents décrits par Dorota Sajewska comme les symptômes de l’échec de l’exposition et qui sont à mon avis plutôt les indices d’une crise de la représentation initiée par les œuvres, que le projet La Monnaie vivante prolonge au lieu de neutraliser. Le premier concerne le responsable des accessoires et sa réaction face à la réalité du contenu de l’œuvre In the Air (2003) de Teresa Margolles. Le travail de l’artiste consiste à utiliser comme adjuvant au processus de réalisation d’une forme sculpturale une eau usée ayant servi à la morgue de la ville de Mexico à laver les corps des victimes de faits divers. Cet indice physique et statistique plutôt que sociologique renvoie pour l’artiste à l’accomplissement d’un deuil offert à ces morts autant qu’au réveil des consciences des vivants. Dans le cas de cette œuvre, l’introduction de ce liquide dans le savon d’une machine à bulles fait basculer l’attraction féerique dans un sentiment de répulsion. Le revers du spectacle n’est pas déconstruit par un jeu mais par la réalité d’une substance qui s’impose à nous. Il s’agit d’une œuvre dont la qualité se fonde sur l’histoire des matériaux utilisés et non pas sur les propriétés représentationnelles d’un accessoire subordonné à une fonction théâtrale. Pour simplifier, nous ne sommes pas dans un jeu mais dans une confrontation avec une expérience
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La Monnaie vivante
matérielle réelle. La réaction de l’accessoiriste n’est pas différente de celle éprouvée par quiconque entre en relation avec cette œuvre, et c’est bien l’intention de l’artiste de nous placer dans cette situation. C’est le cas pour l’ensemble des œuvres convoquées dans La Monnaie vivante. Elles font rupture avec le régime de l’accessoire ou plus largement du décor propre au théâtre, que cela soit sur un plateau ou dans un espace d’exposition. Ce projet conteste donc la hiérarchisation des différents éléments qui composent une œuvre. Il tente également de rompre avec les codes théâtraux qui disciplinent les corps. Les ouvriers recrutés par Santiago Sierra accomplissent un travail, ils ne jouent pas eux-mêmes : ils sont présents en tant qu’exécutants pour réaliser une tâche. C’est également le cas de l’enfant que Roman Ondák invite pour faire l’apprentissage de la marche avec sa mère ou des couturières installées avec leur machine par Jens Haaning sur le plateau du Hebbel à Berlin afin de réaliser quotidiennement leurs huit heures de confection. Ainsi, La Monnaie vivante se déploie depuis le premier volet parisien et produit à chaque circonstance un spectre élargi de présences. Ces différentes présences initiées par les œuvres renouvellent la production d’évènements humains non plus seulement par le déroulement d’une action programmée mais par la présentation de ce que Walter Benjamin à propos du théâtre épique de Brecht appelle des «états de choses». L’identification est entravée à chaque fois par les chocs produits par ces présences multiples qui heurtent le spectateur et provoquent ainsi son étonnement.
L’absence de distanciation par rapport à la machine théâtrale dont parle Dorota Sajewska à propos de La Monnaie vivante est donc seulement le constat d’une attente déçue. Celle de retrouver les stratégies formelles employées par Brecht auxquelles elle ne cesse de faire référence. Le propos de La Monnaie vivante consiste au contraire à alterner dans un rythme aléatoire des stratégies multiples pour tenter d’échapper à toute esthétique normative. L’intérêt de l’unicité des personnages, des objets et des évènements chez Kantor ou de la distanciation brechtienne ne doit pas masquer ce que ces stratégies peuvent avoir de normatif. Si elles sont reconduites telles quelles, elles risquent de perdre tout leur impact critique. Il en va de même pour les procédés plastiques (décolorer et épurer le décor en usant les étoffes et les matériaux) ou des techniques de jeu (être sur scène à jeun pour décoller son corps du rôle au profit d’un jeu dépersonnalisé) employés par Brecht. Si elles pouvaient agir comme des ruptures esthétiques au moment où elles ont été initiées, ces techniques sont aujourd’hui une direction épuisée. Le propos de La Monnaie vivante consiste dans ce cas à multiplier les tactiques d’incarnation et de continuité plastique pour échapper au phénomène de réification marchand. La tentative de rendre impossible la survie du happening après la mort de son auteur par Kantor ou par de nombreux artistes issus de la performance pour résister à la réification peut également être vue comme un échec. L’unicité et l’originalité de chaque happening ont perdu de leur pertinence au regard du phénomène de fétichisation dont les documents ou les
œuvres issus de ces performances font désormais l’objet de la part des musées. La distanciation ne devrait donc pas seulement être considérée comme une forme. Elle devrait être appréhendée comme le rapport d’une forme et d’un contenu, ainsi que l’affirme Barthes. Une œuvre d’art n’est réellement que la rencontre d’une histoire et d’une forme, c’est-à-dire d’une résistance à l’histoire. La forme doit produire son renouvellement face à une histoire qui change en se répétant. L’étonnement pour ne pas dire le choc créé par Brecht au xxe siècle lorsqu’il déconstruit le principe d’identification du théâtre bourgeois est alors dans le cas de La Monnaie Vivante réinvestit par une interpassivité qui rompt avec l’interactivité mercantile propre au début du xxie siècle. L’interpassivité telle qu’a pu la théoriser Slavoj Žižek8 aspire au renversement de signification de l’interactivité. Le sujet y est sans cesse, et même frénétiquement, actif, tout en déplaçant vers autrui la passivité fondamentale de son être. Le point commun des œuvres présentées dans La Monnaie vivante est de rendre visible la subordination des impulsions de l’individu aux règles économiques et sociales et la déclinaison de ces règles en lois de l’émission et de la réception par le divertissement. L’interpassivité dévoile ce que l’interactivité dissimule, elle est l’aveu de dépendance de l’usager, alors que l’interactivité donne l’illusion que le sujet maîtrise son langage. Les artistes de l’exposition maintiennent le langage logiquement structuré des
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normes de la diffusion culturelle pour rendre visible, par une logique inversée, ce que le langage occulte : l’échange marchand du corps, son assujettissement aux variations de la valeur, sa dépendance au langage, sa dégradation en objet. L’organe et l’outil chez Franz H. Walther ou chez Cool et Balducci, la force de travail et la marchandise chez Sierra ou chez Haaning, l’anatomie et la norme chez Gholam ou Iveković, la chair et la matière chez Kowanda, Margolles ou Floyer, sont autant de stratégies contradictoires qui font naître un trouble qui affecte les organisateurs, les participants, les employés et qui emporte les visiteurs dans le même sentiment d’interpassivité. L’interpassivité produite par les œuvres nie la présence du spectateur pour mieux en fixer l’attention. Personne n’en sort indemne, pas même les acteurs réguliers de ce théâtre qui ont tenté de «grimacer» (pour employer la terminologie de l’analyse antithéâtrale de Diderot) une action interactive avec le public afin de manifester la validité de leur pratique. Car à l’occasion de La Monnaie vivante, tous les protagonistes, organisateurs et visiteurs inclus, prennent part à un événement qui met en scène la résistance et la passivité, de vies réduites à des jeux de rôles et d’espaces soumis à des régimes spécialisés. Cette adaptation de La Monnaie vivante de Pierre Klossowski ne cherche pas à proposer un modèle alternatif à l’échange économique, comme le prétend son détracteur, mais d’une part consiste, par le biais de la performance, à réincarner la
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La Monnaie vivante
communauté dans une économie qui isole et neutralise les corps par la division du travail, et d’autre part s’attache par le régime de l’exposition à re‑territorialiser un espace d’échange (le théâtre), comme en témoigne la fonction unique de son architecture et de son administration. Cette exposition vise à exposer un simulacre d’échange qui réside sous la forme d’une monnaie vivante, inavouée en tant que telle. Elle cherche à créer un effet de surprise comparable à celui que Klossowski ménage quand il déçoit notre imagination en nous indiquant que l’utopie qu’il nous demande d’imaginer (que des hommes soient payés en femme et des femmes en «garçons») existe en fait. L’exposition et les œuvres retournent l’argument critique de Klossowski pour le renouveler, elles ne font pas appel à notre imagination, ni à une représentation, mais à des contenus, qui convoquent la réalité pour en dénoncer l’artifice, qui ré-instrumentalisent le théâtre pour en critiquer l’usage. La distribution fatale du théâtre en envers et endroit est contrariée par le projet de La Monnaie vivante non seulement en donnant accès au public par l’arrière depuis l’entrée du personnel qui conduit directement sur le plateau, mais aussi en organisant l’ensemble de l’évènement sous les yeux du public. Si, à l’occasion de l’événement, le théâtre fut en crise, comme le déplore Dorota Sajewska, qui représente son organisation verticale et hiérarchique, c’est qu’il révélait sa véritable nature d’usine. Une usine dont la hiérarchie
qui cantonne le personnel dans un rôle et une présence interchangeable était menacée par une organisation horizontale des participants et par une improvisation quotidienne qui échappe à la routine d’un programme que l’on reconduit. Cette organisation de la durée et des personnes, inspirée des partitions ouvertes créées par Cornelius Cardew ou par Christian Wolff, rendent tout un chacun responsable de ce qui est produit. Il apparaît ainsi pour ce qu’il est, un travailleur, un enfant, des modèles vivants, un employé, un adolescent, une étudiante, des artistes, un coordinateur, des musiciens, une personne affectée par une maladie, une femme de ménage, etc. Si la conception de cette exposition traduit dans son commissariat une critique du théâtre, son approche vise aussi à dépasser les contraintes du musée qui neutralisent l’accès aux objets des artistes pour en garantir la conservation. De la même façon, en contournant les critères du marché de l’art qui supprime l’usage de ces «outils plastiques» pour obéir aux normes commerciales, La Monnaie vivante favorise une expérience collective qui ne craint pas le débat, mais qui au contraire le suscite. Pour répondre à la citation de Brecht de mon interlocutrice dans sa conclusion, je lui en propose une de Barthes : «L’avant-garde est une affaire de famille» qui montre que nos points de vue ne sont pas si éloignés, ils sont simplement parfois aveuglés par la passion. Texte publié en polonais, in Krytyka Polityczna, no 24-25, 2010, pp. 276-280
1. Pierre Klossowski, La Monnaie vivante, Paris : Éd. Joëlle Losfeld, 1970. 2. Pierre Bal-Blanc, Notes de mise en scène. La Monnaie vivante, 2008. Publié sur Internet : www.cacbretigny. com
3. Les programmes de ces différentes expositions ainsi que plusieurs textes relatifs à La Monnaie vivante sont disponibles sur Internet : www.cacbretigny. com 4. Tadeusz Konwicki, La Petite Apocalypse, 1979. 5. Bertolt Brecht, «Un Procès de quat’sous», in Sur le cinéma, trad. J.-L. Lebrave et J.-P. Lefebvre, Paris : L’Arche, 1970 (NdT).
6. Gilles Deleuze et Félix Guattari, L’Anti-Œdipe, Capitalisme et schizophrénie, Paris : Éd. de Minuit, 1972. 7. Slavoj Žižek, La Subjectivité à venir (traduction de François Théron), Paris : Flammarion, 2006.
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LA PER LA PERperfor- FOR- FOR mance MANCE MANCE déléguée: déléguée: comment sous traiter comment sous-traiter comment sous-traiter l’authenticité l’authenticité
Claire Bishop
C
ommençons par une généralité : l’une des manifestations les plus notables du «tournant social» survenu dans l’art contemporain depuis les années 1990 aura été de confier des performances artistiques à des nonprofessionnels. Le contraste est total avec les pratiques traditionnelles de la performance depuis la fin des années 1960 et le début des années 1970, où c’étaient les artistes eux-mêmes qui prenaient en charge ce travail : on pensera notamment à Vito Acconci, à Marina Abramović, à Chris Burden ou encore à Gina Pane. Alors que cette tradition valorisait la présence directe et l’immédiateté à travers le corps de l’artiste, on constate dans les deux dernières décennies que cette présence n’est plus celle du seul interprète, mais du corps collectif d’un groupe social. 1 Bien que cette tendance prenne plusieurs formes, dont je décrirai certaines cidessous, le travail qui s’y inscrit conserve un lien confortable avec le lieu de la galerie, la prenant tantôt comme cadre pour les performances, tantôt comme espace d’exposition pour les objets photo ou vidéo qui en résultent. Pour désigner cette tendance, j’emploierai l’expression de «performance déléguée», comprise comme l’action d’engager des nonprofessionnels ou des spécialistes d’autres domaines pour prendre en charge la présence artistique et l’exécution de la performance, à un moment et dans un lieu définis, pour le compte de l’artiste et selon ses instructions. Il y a une différence cruciale entre cette stratégie et la tradition théâtrale ou cinématographique consistant à employer des gens à jouer pour le compte d’un metteur en scène :
les artistes dont je vais parler demandent généralement aux personnes qu’ils engagent de donner à voir par la performance leur propre catégorie socioprofessionnelle, sur le plan de l’appartenance sexuelle ou sociale, de l’ethnie, de l’âge, de la présence ou non d’un handicap, ou même (plus rarement) de la profession. La plupart de ces travaux n’ont pas été abordés ni analysés en profondeur par les historiens de l’art ou les critiques ; le point de vue développé ici ne répond donc pas tant à des écrits existants qu’aux réactions que ces travaux suscitent de manière répétée, de la part du grand public mais aussi du public spécialisé, dans les colloques, les tables rondes et les journées d’étude. L’une des ambitions de cet essai est de donner des arguments contre ces réactions majoritaires et de proposer une manière plus nuancée d’aborder la performance déléguée comme pratique artistique engagée dans des réflexions éthiques et esthétiques sur le travail dans le monde contemporain, et non pas simplement comme micro-modèle de réification. Je commencerai par passer en revue trois manifestations différentes de cette tendance, et les différentes traditions de performance artistique auxquelles elles se rattachent : le body art, le Judson Dance Theater et Fluxus, et le docudrame.2
Typologie provisoire Ma première catégorie de performance déléguée regroupe des actions soustraitées à des non-professionnels à qui l’on demande de donner à voir par la performance un aspect de leur identité,
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souvent dans la galerie ou dans l’espace de l’exposition. Cette tendance, que nous appellerons «installation live», est représentée entre autres dans les premières œuvres de Pawel Althamer (son travail avec des hommes SDF dans Observator en 1992, et avec des femmes vigiles pour l’exposition de Zachęta Germinations en 1994) ou chez Elmgreen & Dragset, lorsqu’ils chargent tantôt des homosexuels de flâner dans la galerie avec des écouteurs sur les oreilles (Try, 1997), tantôt des chômeurs et des chômeuses de travailler comme vigiles à la galerie (Reg[u]arding the Guards, 2005). Il est significatif que ce travail se soit développé avant tout en Europe : sa tonalité légère et ludique marque une rupture décisive avec les formes plus austères inspirées par les politiques identitaires, particulièrement cruciales pour l’art américain des années 1980. Penchons-nous, par exemple, sur l’un des premiers exemples de cette tendance, Maurizio Cattelan. En 1991, l’artiste italien forma une équipe de football composée d’immigrants d’Afrique du Nord, qui étaient chargés de jouer des matchs locaux en Italie (les rencontres furent des défaites à chaque fois). Leurs maillots portaient le nom d’un sponsor fictif, RAUSS, «dehors» en allemand, comme dans l’expression Ausländer raus, «dehors les étrangers». Le titre du projet, AC Forniture Sud, fait allusion à la main-d’œuvre immigrante («fournie» par les pays du Sud), mais aussi à la tendance, à cette époque tumultueusement débattue dans la presse nationale, consistant à faire entrer des footballeurs étrangers dans les équipes
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La performance déléguée : comment sous-traiter l’authenticité
italiennes. Le geste de Cattelan donne à voir un contraste entre deux types de main-d’œuvre étrangère aux deux extrémités de l’échelle économique – les footballeurs vedettes sont rarement perçus de la même manière que les ouvriers immigrés – mais sans l’accompagner d’aucune rhétorique marxiste perceptible. De fait, à travers cette œuvre, Cattelan réalise le fantasme masculin de posséder son propre club de football, et il semble insulter les joueurs en leur faisant porter des maillots marqués «RAUSS». Mais en même temps, il produit une image déroutante : le mot «RAUSS», combiné à la photographie saisissante d’une équipe de football italienne entièrement sombre de peau, a une force ambiguë et provocatrice, surtout lorsque l’image circule dans les médias, car elle semble cristalliser la peur sourde des Européens de se faire submerger par des immigrés venus de l’extérieur de la «forteresse européenne». AC Forniture Sud est une sculpture sociale sous forme de performance cynique, insérée en temps réel dans le système social d’un championnat de football.3 C’est pourquoi il me semble que Francesco Bonami se trompe de valeur lorsqu’il déclare que Cattelan cherchait «une nouvelle manière, plus démocratique, d’être artiste, tout en gardant une place centrale dans l’œuvre en se faisant entraîneur et directeur de l’équipe».4 Tout au plus pourrait-on dire que le dispositif de collaboration mis en place dans AC Forniture Sud permettait de partager la vedette, mais il reste fortement directif et il est loin d’être clair dans son message politique.
Cattelan avait choisi le sport comme point de référence populaire, mais la musique donne plus souvent lieu à des collaborations de ce genre. L’artiste suédoise Anna Eriksson, dans son Copenhagen Postmen’s Orchestra (1996), et l’artiste britannique Jeremy Deller, dans son Acid Brass (1997), invitèrent l’un et l’autre des orchestres d’ouvriers à jouer de la musique pop dans leurs styles respectifs. L’orchestre des postiers de Copenhague jouait une chanson du groupe de trip-hop britannique Portishead, tandis que la fanfare de Williams Fairey (historiquement liée à une usine d’aéronautique de Manchester) interprétait un choix de morceaux d’acid music. La manifestation d’Eriksson donna lieu à une vidéo de cinq minutes et celle de Deller à une série de performances live, à un CD et à un diagramme reliant minutieusement ces deux formes de musique ouvrière régionale. Au-delà du frisson artistique que l’on peut éprouver à mélanger deux types de musique populaire, l’intérêt des deux projets réside en partie dans le fait que ces artistes emploient de vrais orchestres. Ce ne sont pas des comédiens auxquels on demanderait de jouer de la musique électronique sur des cuivres, mais d’«authentiques» ouvriers qui ont accepté de participer à une expérience artistique – assez formelle dans le cas d’Eriksson (la caméra demeure immobile tout au long de la vidéo), plus expérimentale dans le cas de Deller.5 Les musiciens donnent à voir leur personnage public (déterminé par leur emploi et étroitement lié à leur classe sociale) et deviennent l’illustration d’une passion collective (en l’occurrence, jouer de la musique en public), thème récurrent
dans l’œuvre des deux artistes. Les deux exemples correspondent à cette tendance de légèreté et d’humour que l’on trouve dans la performance déléguée européenne des années 1990 pour donner à voir la classe sociale, l’appartenance raciale, l’âge ou le genre. Le corps des participants est un abrégé métonymique d’une identité politisée, mais le fait que le corps mis en scène ne soit pas celui de l’artiste signifie que ces opinions politiques peuvent s’exprimer avec distance, humour et ironie. On observe en 1999, avec les performances de l’artiste espagnol Santiago Sierra, une rupture avec cet état d’esprit. Avant 1999, le travail de Sierra consistait en un alliage vigoureux de minimalisme et d’intervention urbaine ; mais cette annéelà, ses installations jusqu’alors fabriquées par des ouvriers mal payés se mirent à donner à voir ces mêmes ouvriers, mettant en avant les transactions économiques dont les installations dépendaient. Il y a une trajectoire très claire entre 24 blocs de béton constamment déplacés par des employés rémunérés sur une journée de travail à Los Angeles, en juillet), où les ouvriers n’étaient pas visibles mais où leur présence et leur rémunération nous étaient explicitement mentionnées, et Huit personnes rémunérées pour rester à l’intérieur de boîtes en carton, métaphore de leur invisibilité sociale. La première œuvre où les participants étaient rendus visibles est 465 personnes rémunérées (Museo Rufino Tamayo, à Mexico, en octobre) ; elle l’amena à une autre œuvre, qui garde encore un caractère incendiaire : Ligne de 250 cm tatouée sur six personnes (Espacio Aglutinador, à La Havane, en
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décembre). Beaucoup de ces performances de l’époque supposaient de trouver des volontaires qu’on chargeait d’accomplir des tâches banales ou humiliantes pour un salaire minimal. Les œuvres de Sierra sont dépourvues de la légèreté humoristique qui accompagne les projets mentionnés plus haut, notamment parce qu’elles prennent place le plus souvent dans des pays victimes de la mondialisation, notamment d’Amérique centrale et d’Amérique du Sud. De ce fait, on lui a beaucoup reproché de s’être borné à reproduire les inégalités du système capitaliste, et plus précisément de la mondialisation, dans lesquels les pays riches «sous-traitent» la main-d’œuvre à des ouvriers sous-payés des pays en voie de développement. Cependant, Sierra ne cesse d’attirer l’attention sur les systèmes économiques qui encadrent la fabrication de ses œuvres et sur l’impact de ces systèmes sur la réception des œuvres. Dans son travail, la performance est sous-traitée par le biais d’agences de recrutement, et une transaction financière a lieu qui tient l’artiste à distance des interprètes ; cette distance est évidente dans la rencontre phénoménologique du spectateur avec l’œuvre, produisant une troublante sensation de froideur et d’étrangeté. Contrairement à de nombreux artistes, Sierra s’emploie à intégrer les détails des rémunérations des ouvriers dans la description de l’œuvre, faisant du contexte économique l’un de ses principaux matériaux.6 En mettant l’accent sur l’immédiateté phénoménologique du corps en présence
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La performance déléguée : comment sous-traiter l’authenticité
et sur des identités socioéconomiques spécifiques, on peut considérer que ce type de performance déléguée doit beaucoup à la tradition du body art de la fin des années 1960 et du début des années 1970. En même temps, il en diffère de plusieurs manières notables. Les artistes des années 1970 se servaient de leur propre corps comme support et matériau de l’œuvre, en insistant du même coup sur un effet de transgression physique et psychologique. Aujourd’hui, la performance déléguée confère toujours une grande valeur à l’immédiateté, mais si elle est transgressive, c’est essentiellement parce qu’elle donne l’impression que les artistes exhibent et exploitent d’autres sujets. C’est pourquoi ce type de performance où l’artiste utilise d’autres personnes comme matériau de son œuvre occasionne souvent des débats houleux sur l’éthique de la représentation.7 En attendant, la durée n’est plus considérée dans sa dimension spirituelle de résistance et d’endurance individuelle, mais devient une préoccupation économique, celle de disposer de ressources suffisantes pour continuer de payer quelqu’un pour sa présence. Un second courant de la performance déléguée, apparu vers la fin des années 1990, concerne l’usage de professionnels d’autres domaines de compétence : on pensera à Allora et Calzadilla, qui emploient des chanteurs d’opéra (Sediments, Sentiments, Figures of Speech, 2007) ou des pianistes (Stop, Repair, Prepare, 2008) ; à Tania Bruguera, qui emploie des agents de la police montée
pour présenter des techniques de contrôle des foules (dans Tatlin’s Whisper #5, 2008) ; ou à Tino Sehgal, qui emploie des professeurs d’université et des étudiants pour ses nombreuses situations discursives (This Objective of That Object, 2004 ; This Progress, 2006).8 Ces interprètes sont souvent spécialisés dans d’autres domaines que ceux de l’art ou du spectacle, et comme ils sont généralement recrutés en fonction de leur identité professionnelle (choisie), plutôt que comme représentants d’une classe ou d’un groupe racial particulier, ce type d’œuvres est beaucoup moins ambivalent et suscite
moins la controverse. L’attention des critiques se concentre plutôt sur le cadre conceptuel et les activités ou capacités spécifiques de l’interprète concerné, dont les compétences sont intégrées dans la performance comme le serait un ready-made. Le fait que leur travail se base sur des consignes très précises, outre le fait que les interprètes de ces œuvres soient blancs et de classe moyenne, a facilité sa répétition et son acquisition par les musées. L’exemple le plus célèbre de cette tendance est sans conteste Tino Sehgal, qui insiste pour que l’on désigne sa pratique non
Allora & Calzadilla, Stop, Repair, Prepare: Variations on ‘Ode to Joy’ for a Prepared piano, 2008. Piano Bechstein préparé, pianiste (Andrea Giehl), 81”. Courtesy Allora & Calzadilla et Lisson Gallery.
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pas comme «performance artistique» mais comme «situations», et que ses participants soient appelés «interprètes».9 Si cette insistance peut sembler quelque peu pédante, elle attire néanmoins notre attention sur la dimension de notation quasi musicale de l’œuvre de Sehgal et sur son rapport à la danse : comme tous les critiques de ses productions l’ont observé, l’artiste a suivi une double formation de chorégraphe et d’économiste avant de s’intéresser aux arts visuels. This Objective of That Object, par exemple, place le spectateur dans un dispositif très contrôlé : quand vous entrez dans la galerie, cinq interprètes se tournent vers vous en vous priant de prendre part à une discussion sur la subjectivité et l’objectivité. Les interprètes sont généralement des étudiants de philosophie, mais leur dialogue semiscénarisé donne l’impression d’être dépersonnalisé et récité machinalement, et les contributions que l’on peut apporter au débat paraissent empruntées et creuses, puisqu’il est impossible d’altérer la structure de l’œuvre ; la seule liberté que l’on ait, c’est d’assumer son rôle de l’intérieur. (Si le visiteur ne dit rien, les interprètes s’effondrent par terre jusqu’à ce qu’un nouveau visiteur entre dans la galerie.) Bien que Sehgal ait pour principe de s’abstenir de reproductions photographiques, ses œuvres semblent conçues pour mettre à mal toute équation entre performance live et authenticité ; en effet, le fait que l’œuvre se déroule en continu dans l’espace pendant toute la durée d’une exposition, prise en charge par un nombre variable d’interprètes, sape tout attachement résiduel à l’idée d’une performance originale ou idéale.
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Autre démarche artistique aux méthodes similaires, mais moins connue et moins enracinée dans l’univers des galeries : les performances conceptuelles de l’artiste espagnole Dora García. Plusieurs de ses performances artistiques du début de sa carrière font explicitement référence aux avatars et à la surveillance (par exemple Proxy/Coma, 2001) mais ses projets les plus fascinants s’intègrent au monde extérieur et sont susceptibles de durer des années, comme The Messenger (2002). Dans cette œuvre, l’interprète (le « messager ») doit faire passer un message dans une langue étrangère qu’il ne comprend pas – mais pour cela, il ou elle doit trouver quelqu’un capable d’identifier et de comprendre cette langue.10 Le participant est chargé de cette tâche, et il est important de noter que García – comme Sehgal – est un recruteur très méticuleux : The Beggar’s Opera (2007) nécessitait un participant pour jouer le rôle d’un mendiant charmeur dans les rues de Münster, tandis que The Romeos (2005) supposait d’engager de beaux jeunes gens pour entamer des conversations faussement spontanées avec les visiteurs à la foire d’art contemporain Frieze.11 Cette forme de «théâtre invisible» visait moins à sensibiliser les esprits (comme dans le modèle d’Augusto Boal) qu’à introduire un instant de doute et de soupçon dans les expériences ordinaires de vie urbaine du spectateur.12 García trouve généralement un équilibre minutieux entre une partition libre et l’exécution de ses instructions par l’interprète. Si les œuvres de Sehgal sont autoréflexives et cérébrales, encourageant la contribution subjective du public, celles de García sont moins clairement participatives et semblent plutôt renforcer le doute et la gêne.
Dora García, The Romeos, Frieze Art Fair, 2008. Photo Dora García. Courtesy de l’artiste et de la galerie Michel Rein, Paris.
Sehgal et García sont les illustrations d’un type de performance qui fait valoir des instructions simples, exécutées d’une manière qui permette des variations individuelles et une esthétique du quotidien. En tant que tels, ils renvoient à leurs précurseurs des années 1960 et 1970. Le «théâtre invisible» de Boal semble être un point de référence immédiat, mais ni l’un ni l’autre n’adhère à son programme politique ; un autre point de référence pourrait être Fluxus et ses instructions participatives, ancrées dans les tâches du quotidien.13 En mettant l’accent sur les gestes, les vêtements et les mouvements du quotidien comme base d’invention chorégraphique, les œuvres jouées au Judson Dance Theater constituent sans doute le précédent le plus proche,
notamment les œuvres ambulantes de Steve Paxton au milieu des années 1960. L’une d’elles, Satisfyin’ Lover (1967), fut créée par 42 danseurs, qui n’exécutaient que trois mouvements : la marche, la station debout et la position assise.14 La partition de Paxton est structurée en six parties : dans chacune d’entre elles, les interprètes exécutent un certain nombre de pas de marche, restent debout pendant plusieurs mesures et sortent, à des intervalles d’environ 30 secondes. Il décrit le pas de la marche comme «une marche facile, mais pas lente. Le style de la performance est calme et serein» ; les costumes sont décontractés.15 Comme l’observe Yvonne Rainer, «C’est comme si l’on n’avait jamais vu des personnes ordinaires traverser un espace en marchant. C’était hautement
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révélateur.»16 Il y a une filiation directe entre le Judson Dance Theater et The Show Must Go On (2001) du chorégraphe contemporain Jérôme Bel, qui utilise les mouvements du quotidien pour traduire littéralement les paroles de chansons pop. Plusieurs de ces tendances se retrouvent réunies, sous une forme plus professionnelle, dans le Work No. 850 de Martin Creed (2008), où des sprinteurs professionnels parcouraient en courant les 86 mètres de la Duveen Gallery de la Tate Britain, à des intervalles de 15 secondes ; l’artiste comparaît les pauses situées entre ces sprints aux pauses d’une partition musicale, renforçant ainsi le lien entre chorégraphie et vie quotidienne.17 Une troisième tendance de performance déléguée regroupe des situations construites pour la vidéo et le film ; parmi les artistes principaux de ce courant figurent Gillian Wearing, Artur Żmijewski et Phil Collins. Les images enregistrées sont alors cruciales, car ces exemples s’emparent souvent de situations trop difficiles ou trop sensibles pour être répétées. (Je tiens à redire ici que mon intérêt ne porte pas sur des travaux de tradition documentaire, mais sur des œuvres où l’artiste conçoit l’ensemble de la situation filmée et où l’on demande aux participants de se donner eux-mêmes à voir.) Selon la manière de filmer, ces situations peuvent parfois brouiller la frontière entre le direct et le différé, au point que les spectateurs se demandent dans quelle mesure une performance a été mise en scène ou écrite. Parce que l’artiste assume un rôle éditorial fort, et parce que le succès de l’œuvre dépend souvent des qualités spectaculaires
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des interprètes, ce genre d’œuvre a également tendance à susciter des critiques éthiques, tant de la part d’une gauche particulièrement vigilante que de la part de médias libéraux ou de droite. They Shoot Horses (2004), de l’artiste britannique Phil Collins, est un exemple frappant de cette tendance. Collins a sélectionné et rémunéré neuf adolescents à Ramallah pour qu’ils effectuent un marathon de danse disco de huit heures devant un mur rose vif sur une compilation de tubes pop particulièrement kitsch des quatre dernières décennies. Les vidéos qui en résultent sont présentées sous la forme d’une installation comprenant deux écrans. L’image projetée des interprètes mesure à peu près la même taille que les spectateurs, ce qui crée un effet d’équivalence entre eux. Même si nous n’entendons pas les adolescents parler, leur danse en dit long : au fur et à mesure de leur journée éreintante, leur performance passe de la pose individuelle à l’effort collectif (avec des mouvements de plus en plus loufoques, dans un souci de divertissement mutuel). À plusieurs reprises, en parlant de cette œuvre dans des tables rondes, j’ai entendu des membres de l’assistance exprimer des inquiétudes concernant l’«exploitation» par l’artiste de ses interprètes – le fait, par exemple, que leur nom ne figure pas dans le générique.18 Cependant le principe du projet de Collins n’était pas de créer un cas exemplaire de collaboration artistique, mais d’universaliser ses participants en abordant plusieurs sortes d’expériences artistiques et populaires : le portrait, le body-art d’endurance, la téléréalité (et son
précurseur, le marathon de danse, créé pendant la Grande Dépression, et auquel son titre fait allusion).19 C’est également une manière délibérément perverse d’aborder les spécificités territoriales : les Territoires Occupés ne sont jamais explicitement montrés mais ils sont constamment présents comme cadre ou hors-cadre*. Cette conscience modifie notre réception des paroles banales des chansons pop, qui semblent commenter la manière dont les jeunes endurent à la fois le marathon et la crise politique dans laquelle ils se trouvent embourbés. En soumettant les adolescents à un assaut de pop occidentale, Collins joue un rôle ambigu : à la fois allié et patron, il donne à voir ces adolescents comme des produits génériques de la mondialisation, alors
qu’habituellement les médias représentent les Palestiniens comme des victimes ou des fondamentalistes (d’où le recours par Collins à un mur de fond rappelant le mur devant lequel les policiers alignent les suspects pour les faire identifier). Artur Żmijewski, dans son œuvre Them (2007), met en place une histoire plus dérangeante, moins dans le souci de faire portrait que de montrer le rôle des images dans le renforcement des antagonismes idéologiques. L’artiste commença par monter une série d’ateliers de peinture pour quatre groupes différents à Varsovie : des femmes appartenant à l’Église catholique, de jeunes socialistes, de jeunes juifs et des nationalistes polonais. Chaque groupe devait produire une représentation
Martin Creed, Work No. 850, 2008. Coureurs. Tate Britain, Londres, UK, 2008. Photo: Hugo Glendinning. Courtesy de l’artiste et de Hauser & Wirth.
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symbolique de ses valeurs, faire imprimer cette représentation sur des t-shirts et porter ces t-shirts aux séances suivantes. Żmijewski encouragea alors chaque groupe à réagir aux représentations des autres en modifiant ou en rectifiant les images comme bon leur semblerait. Les gestes furent d’abord modérés – couper la porte d’une église pour l’ouvrir, ouvrir davantage un bâtiment – mais ils se firent de plus en plus violents, aboutissant à des impasses explosives : recouvrir entièrement une image de peinture, y mettre feu et même agresser les autres
participants en découpant leur t-shirt en morceaux ou en mettant du ruban adhésif sur leur bouche. Comme dans de nombreuses vidéos de Żmijewski, l’artiste adopte un rôle ambigu, et il est toujours difficile d’établir clairement dans quelle mesure ses participants agissent de leur propre chef ou ont été discrètement manipulés pour satisfaire aux exigences de l’histoire telle qu’il l’avait imaginée. L’action se déroule avec apparemment très peu d’interventions de l’artiste, qui établit néanmoins la structure des rencontres, consigne l’escalade du conflit entre les
Gianni Motti, Pre-emptive Act, 2007. Frieze Projects, 2007. Photo Linda Nylind. Courtesy de l’artiste et de Frieze Art Fair.
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participants et monte l’ensemble pour en faire un récit. En assistant à la première projection de cette œuvre à Varsovie, de nombreux participants découvraient avec colère la représentation pessimiste de ces ateliers qu’on voyait déboucher sur un antagonisme insoluble.20 Cependant les artistes comme Żmijewski cherchent moins à faire un documentaire fidèle qu’à construire un récit, fondé sur la réalité, qui communique une série d’idées sur le conflit social. Them présente une méditation prenante sur l’identification collective et le rôle des images dans la formation de ces identifications, ainsi qu’une sévère parabole sur les antagonismes sociaux et la facilité avec laquelle les différends idéologiques peuvent se durcir et mener à des blocages de communication insolubles. La généalogie de ce type de performance est complexe. D’un côté, il est en lien étroit avec l’émergence contemporaine de la téléréalité, issue de la mort du documentaire télévisé et du succès de la télévision américaine à sensation dans les années 1990.21 Comme la téléréalité, il s’enracine dans une tradition plus ancienne de documentaire d’observation, de faux documentaire et de performance documentaire ayant émergé dans les années 1960 et 1970.22 Bien que le cinéma néoréaliste italien, en particulier les derniers films de Roberto Rossellini, confie à des acteurs non professionnels des rôles secondaires afin d’élargir les frontières de ce que l’on appelait alors «réalisme», la singularité de l’approche des artistes contemporains est plutôt à comparer à celle de cinéastes à part comme Peter
Watkins. Dans ses premières œuvres, Watkins avait recours à des acteurs non professionnels, à la caméra à l’épaule et à un cadrage étroit pour aborder des questions sociales et politiques controversées, comme les conséquences de l’attaque nucléaire dans son film La Bombe de 1966.23 Watkins constitue une référence récurrente chez les artistes contemporains, et pas seulement à cause de ses contenus ou de son recours à des interprètes amateurs : tout d’abord, ses films dépassent la longueur conventionnelle du cinéma grand public et peuvent être extrêmement longs (huit heures pour La Commune, 2001) ; de plus, il donne souvent à la caméra une place d’agent ou d’interprète à l’intérieur du récit, même quand l’histoire est située à une période antérieure à l’invention du cinéma ; le principe de départ de La Commune, par exemple, est que les protagonistes sont interrogés à la télévision pour rendre compte des événements de 1871 en direct. Cette rapide vue d’ensemble nous permet de voir que ce que j’appelle performance déléguée, sous toutes ses formes contemporaines (de l’installation live à des situations construites), fait clairement bouger les conventions du body art telles que les années 1960 nous les ont transmises. La performance artistique contemporaine ne privilégie pas nécessairement le direct ni le corps de l’artiste, mais au contraire s’engage dans toutes sortes de stratégies de médiation qui incluent la délégation et la répétition ; en même temps, elle continue de s’investir dans l’immédiateté
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à travers la présentation d’authentiques interprètes non professionnels qui représentent des groupes sociaux spécifiques. Si le body art des années 1960 et 1970 était produit de manière rapide et bon marché (puisque le corps de l’artiste était le matériau le moins cher possible), en revanche aujourd’hui la performance déléguée est souvent un jeu luxueux.24 Il est significatif que le body art soit d’abord apparu dans l’Ouest et que les foires et les biennales d’art contemporain aient été parmi les premiers lieux où il fit l’objet d’une consommation populaire. Jack Bankowsky a inventé le terme «art fair art» («art de foire d’art contemporain») pour désigner une forme de performance où le contexte spectaculaire et économique de la foire d’art contemporain fait partie intégrante de la signification de l’œuvre et présente avec le geste de l’artiste un point de friction quelque peu amusant.25 Beaucoup de ces œuvres sont des performances déléguées, et la foire de Frieze se révèle être un incubateur particulièrement déterminant pour ce type d’œuvres : on pensera notamment à la manière dont Elmgreen & Dragset ont reproduit l’espace de leur galerie berlinoise Klosterfelde, avec les mêmes œuvres d’art et un sosie du galeriste (2005) ; au Pre-emptive Act (2007) de Gianni Motti, où l’on voit un policier méditer en position de yoga ; ou à de nombreuses performances présentées par la Cattelan’s Wrong Gallery, comme 100 Chinese de Paula Pivi (1998-2005), où 100 Chinois vêtus de manière identique se tenaient debout dans l’espace de la galerie.
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Tandis qu’autrefois la performance artistique cherchait à rompre avec le marché de l’art en dématérialisant l’œuvre et en la transformant en manifestations éphémères, aujourd’hui la dématérialisation et la rumeur sont devenues deux des formes de publicité les plus efficaces.26 La performance suscite l’attention des médias, qui à leur tour augmentent le capital symbolique de la manifestation – comme le montrent les nombreux articles du supplément annuel du Guardian en lien avec la foire Frieze, mais aussi la controverse récente autour des «décorations de table humaines» de Marina Abramović pour le gala de LA MOCA : 85 participants étaient payés 150 dollars pour se tenir agenouillés sur un plateau tournant au-dessous des tables en faisant dépasser leurs têtes, fixant leurs yeux dans ceux des convives qui avaient payé leur entrée jusqu’à 2 500 dollars.27 Bien que le projet semble être un exemple clair d’auto-parodie (manifestement involontaire) de la part d’Abramović, je voudrais insister sur le fait que la performance déléguée ne mérite pas d’être systématiquement ternie par l’étiquette d’«art fair art» ou d’«art de gala» : de meilleurs exemples présentent des expériences plus pointues, plus nuancées et plus troublantes, tant pour les interprètes que pour les spectateurs, ce qui rend problématique toute critique purement marxiste qui reprocherait à ces performances de réifier ses participants.
La performance comme travail et comme plaisir Comme je l’ai indiqué, le caractère réitérable de la performance déléguée – comme manifestation live ou par une
boucle vidéo – est central dans l’économie de la performance depuis 1990, puisqu’il la rend susceptible d’être achetée et vendue par des institutions et des individus, jouée et rejouée dans de nombreux lieux.28 Ce n’est pas une coïncidence que cette tendance se développe en même temps que surviennent des changements de méthodes de direction dans le contexte économique général, ce qui donne à ces œuvres une généalogie économique en plus de la généalogie d’histoire de l’art exposée plus haut. La «sous-traitance» de la main-d’œuvre est devenue un mot à la mode au début des années 1990 pour désigner le transfert systématique
à d’autres compagnies d’activités importantes mais périphériques, depuis les centres d’appel des services clientèle à l’analyse et à la recherche financières. Avec l’accélération de la mondialisation, la «sous-traitance délocalisée» est devenue un terme qui désigne – avec des connotations qui ne sont pas entièrement positives – le recours à des embauches de maind’œuvre et à des «entreprises virtuelles» dans les pays en voie de développement, en profitant des considérables différences de salaires entre les pays. Les théoriciens des affaires présentent la sous-traitance comme un outil pour développer les
Artur Żmijewski, Them, photographie tirée de la vidéo, 2007. Courtesy de l’artiste et de la Foksall Gallery Fondation.
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Maurizio Cattelan, Southern Suppliers FC, 1991. Courtesy de l’artiste et de Marian Goodman Gallery, New York.
profits au maximum ; aux États-Unis, des controverses en ont résulté, car la sous-traitance était perçue comme une menace pour les chiffres de l’emploi national (ainsi que pour la sécurité). Pour les sceptiques de la mondialisation, la sous-traitance n’est guère plus qu’une faille de la législation permettant aux entreprises nationales et multinationales de se décharger de toute responsabilité légale à l’égard de conditions de travail dérégulées et basées sur l’exploitation des travailleurs. Il est étrange et frappant que la plupart des manuels de soustraitance au Royaume-Uni insistent sur l’importance de la confiance : les entreprises confient à une autre entreprise la responsabilité de certains aspects de leur production, avec tous les risques
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et tous les avantages que comporte cette responsabilité partagée. À la lumière de la présente discussion, il est significatif que tous ces manuels tombent d’accord sur l’idée que le but premier de la sous-traitance est d’«améliorer les performances» (comprises ici comme bénéfices). Mais on remarque également d’importantes différences : si le but de la sous-traitance commerciale est de diminuer les risques, à l’inverse les artistes y ont recours afin d’augmenter la part d’imprévisible – même si cela signifie qu’une œuvre peut risquer d’échouer complètement.29 Faire remarquer l’augmentation de la sous-traitance dans les deux champs de l’économie et de l’art dans les années 1990
ne revient pas à suggérer que le second est complice du premier, même s’il semble significatif qu’une vogue de la performance déléguée ait coïncidé avec la bulle du marché de l’art dans les années 2000, ainsi qu’avec la consolidation d’une industrie des services de plus en plus dépendante de la commercialisation de certaines qualités humaines.30 La performance et le commerce donnent tous deux beaucoup d’importance au recrutement, et dans de nombreux cas la recherche des interprètes adéquats est confiée au conservateur, qui se retrouve dans le rôle d’un directeur des ressources humaines (négociation des compétences, des postes et des contrats). Bien que des qualités uniques soient recherchées pour chaque interprète, elles sont aussi – paradoxalement – remplaçables à l’infini : comme la performance contemporaine tend de plus en plus à être présentée pendant toute la durée d’une exposition, un travail posté par équipes devient nécessaire. L’accent est moins mis sur le frisson d’une performance unique, même lorsque l’impact du direct demeure : la performance intègre le «temps de la galerie» sur le mode de la présence permanente, huit heures par jour pendant toute la durée d’une exposition, au lieu de quelques heures d’intensité (comme c’est généralement le cas pour le «temps du théâtre»). La présence, aujourd’hui, est sans doute moins une question d’immédiateté anti-spectaculaire (comme c’était le cas dans les années 1960) que le signe visible d’une main-d’œuvre précaire, même si les artistes ont plutôt tendance à nourrir cette économie qu’à la remettre en question.
Si je donne l’impression de m’appesantir à l’excès sur ces changements économiques, c’est parce qu’ils ne constituent pas seulement la toile de fond contextuelle de l’art contemporain, mais un facteur à part entière de notre réception. Les transactions financières sont de plus en plus essentielles à la réalisation de performances déléguées, comme peuvent le confirmer tous ceux qui ont un jour organisé une exposition de ce type d’œuvre : le salaire contractuel des interprètes constitue le principal poste budgétaire de ces manifestations, qui fonctionnent selon une économie inverse à celle des événements d’art plus conventionnels : comme le souligne Tino Sehgal, plus une sculpture d’acier de Richard Serra est exposée longtemps, moins le coût de son installation sera élevé, tandis que les œuvres de Sehgal lui-même coûtent d’autant plus cher à l’institution qu’elles sont exposées longtemps.31 Mais malgré la place centrale des considérations économiques dans la performance déléguée et son impact sur notre perception de la durée, il est rare que les artistes parlent explicitement des transactions financières ; ces arrangements sont généralement tacites. Contrairement au théâtre, à la danse et au cinéma, où il existe depuis longtemps des codes pour comprendre le rapport d’un interprète au travail, l’art contemporain fonctionnait jusqu’à récemment de manière relativement artisanale, en se fondant sur l’image romantique de l’artiste-interprète singulier (et à peine payé). C’est seulement dans les vingt dernières années que la performance artistique s’est «industrialisée», et ce changement – du festival à l’espace de
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musée, qui mobilise des nombres élevés d’interprètes, des modes de rémunération encadrés par les syndicats et des publics encore plus nombreux – signifie que l’art contemporain existe de plus en plus dans un champ de collaboration proche de celui du théâtre et de la danse, alors même qu’il conserve la valorisation par l’art du statut individuel de l’auteur. (Il n’y a pas de marché sérieux, par exemple, pour les photographies signées de productions théâtrales). L’un des projets d’exposition les plus réussis au cours des dernières années abordait de front ce croisement de la performance et de l’économie : l’exposition itinérante de trois jours La Monnaie vivante, du conservateur français Pierre Bal-Blanc. Cette expérience de performance en mutation continuelle commença à Paris en 2006 ; des versions ultérieures furent présentées à Louvain (2007), à Londres (2008), à Varsovie (2010) et à Berlin (2010).32 La plupart des œuvres exposées sont des performances déléguées, venues de diverses générations (des années 1960 à aujourd’hui) et de diverses origines géographiques (de l’Europe de l’Est et de l’Ouest à l’Amérique du Nord et du Sud). La Monnaie vivante met la performance d’arts visuels en résonance directe avec l’intérêt des chorégraphes contemporains pour le «degré zéro» de la danse, comme la compagnie Les Gens d’Uterpan (Anne Vigier et Franck Apertet) et Prinz Gholam. En termes de conservation, La Monnaie vivante se distingue en donnant à voir des performances qui se chevauchent dans l’espace et le temps, combinant ainsi
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exposition et festival ; ce format établit une proximité intense et continuellement changeante entre les différentes performances, mais aussi entre interprètes et spectateurs, qui occupent le même espace que les œuvres et se déplacent au milieu d’elles. À la Tate Modern en 2008, par exemple, des performances de durées variables prenaient place sur le pont du Turbine Hall, allant d’une installation live de six heures de Sanja Iveković (Delivering Facts, Producing Tears, 1998-2007) à de très brèves pièces de Lawrence Weiner (tirer un coup de fusil vers un mur, vider une tasse d’eau de mer sur le sol). Il en découla des juxtapositions sublimes, comme Un groupe de personnes face au mur et une personne face au coin (2002) de Santiago Sierra en toile de fond du Tatlin’s Whisper #5 de Tania Bruguera, qui entourait quant à lui six danseurs tenant des poses et bavant sur le sol, selon une chorégraphie de Vigier et Apertet. Le titre de l’exposition de Bal-Blanc est emprunté à l’énigmatique et presque impénétrable ouvrage du même nom publié en 1970 par Pierre Klossowski, qui y décrit une troublante imbrication mutuelle de l’économie et de la jouissance au lieu d’une perception séparée de l’une et de l’autre. La «monnaie vivante» de son titre est le corps humain. Se fondant sur ses lectures de Fourier et de Sade (notamment pour Le Philosophe scélérat, 1967), le texte de Klossowski part du principe que la mécanisation industrielle introduit de nouvelles formes de perversion et de jouissance.33 Klossowski définit la perversion comme la séparation qui s’opère dès lors que l’humain
La Monnaie vivante, Théâtre HAU 1, Berlin, 2010 : Teresa Margolles, In the Air, 2003 ; Simone Forti, Huddle (dance construction), 1961 ; Prinz Gholam, Ein Ding mehr (One More Thing), 2006. Photo Uwe Walter, 2010. Courtesy Berlin Biennale for Contemporary Art, 2010.
a conscience d’une distinction entre les instincts reproducteurs et la jouissance («émotion voluptueuse») : cette première perversion distingue l’humain du mécanique, le fonctionnel du nonfonctionnel, mais il fait par la suite l’objet d’une appropriation et d’un contrôle par les institutions afin d’organiser les processus de production en vue de fins spécifiques et hautement contrôlées.34 En tant que telle, l’industrie se livre à une action perverse (réduire les actions humaines à un outil fonctionnel, attaché à l’accomplissement d’une seule tâche) tout en rejetant comme pervers tout ce qui dépasse et excède ce geste fonctionnel. Selon Klossowski, l’art (qu’il classe dans la catégorie des simulacres) ne peut que disparaître dans ce champ de l’excès parce
qu’il n’est pas fonctionnel, mais il devrait en fait être aussi vu comme un outil, car il est compensatoire et crée de nouvelles expériences («l’usage, c’est-àdire la jouissance»).35 Klossowski force la dialectique de l’usage et du non-usage, invalidant cette distinction pour soutenir que le fonctionnel et le non-fonctionnel, les processus industriels et l’art, sont tous à la fois pulsionnels et rationnels, car les pulsions ignorent ces distinctions imposées de l’extérieur. Les humains sont de la «monnaie vivante», et l’argent est le médiateur entre le plaisir libidinal et le monde industriel/institutionnel de la contrainte normative. S’appuyant sur ce texte pour interpréter la performance artistique, Bal-Blanc
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La Monnaie vivante, Tate Modern, Londres, 2008 : Tania Bruguera, Tatlin’s Whisper #5, 2007 ; Santiago Sierra, Group of Persons Facing a Wall, 2002. Photo Sheila Burnett. Courtesy CAC Brétigny/Tate Modern Londres.
considère que l’élan apparu dans les années 1970 pour produire une «forme ouverte» constitue une inversion ou un renversement du système industriel, qui est lui-même une forme de perversion.36 Les artistes sont donc aujourd’hui en train de redéfinir la transgression, en appelant à la fois à la réification du corps et à la personnification de l’objet – deux pôles qu’il résume dans les quasi-oxymores évocateurs «vivant/objet» et «inanimé/ corps». Ce n’est pas une coïncidence que la performance déléguée constitue une majorité des œuvres exposées dans La Monnaie vivante, mais Bal-Blanc place ces corps rémunérés aux côtés de la performance d’art conceptuel
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fonctionnant par instructions (comme celle de Weiner) et des œuvres à la dimension participative plus manifeste (comme Caminhando de Lygia Clark (1963), ou les Standing Pieces en acier de Franz Erhard Walther, datant des années 1970). Ces œuvres brouillent la frontière entre de nombreux types d’art participatif, effet encore renforcé dans la documentation photographique de La Monnaie vivante, où des formes plus récentes d’art dit «exploiteur» sont placées à côté d’œuvres plus anciennes, ce qui nous rappelle que les danseurs du Huddle (1961) de Simone Forti, par exemple, sont eux aussi rémunérés pour leur travail corporel. Cette juxtaposition de générations
et de types différents d’œuvres d’art (participatives, conceptuelles, théâtrales, chorégraphiques) opère aussi une mise en question de l’interpassivité (plutôt que l’interactivité), parce que celle-ci constitue le mode dominant mis en place par les médias de masse et la société de l’information. Bal-Blanc défend l’idée que toutes les œuvres qu’il expose montrent la subordination des désirs individuels aux relations économiques et sociales et que ces règles se traduisent dans les lois de transmission et de réception dans le domaine de l’industrie du spectacle («l’interpassivité dévoile ce que l’interactivité dissimule, elle est l’aveu de dépendance de l’usager, alors que l’interactivité donne l’illusion que le sujet maîtrise son langage»).37 En d’autres termes, l’interpassivité est la langue secrète du marché, qui dégrade les corps au rang d’objets, et c’est aussi la langue utilisée par les artistes pour penser cette dégradation. Il n’est pas sans importance que le développement de ce projet par Bal-Blanc s’enracine dans sa propre expérience de performance avec Untitled (Go-Go Dancing Platform) de Felix González-Torres pendant deux mois et demi en 1991. Dans cette œuvre, un homme en petite tenue porte un casque audio et danse sur un podium minimaliste planté d’ampoules pendant au moins cinq minutes par jour pendant toute la durée de l’exposition.38 L’impression démoralisante d’assujettissement ressentie par Bal-Blanc après un mois de cette performance souleva chez lui plusieurs
questionnements auxquels il ne parvint à répondre que plus tard, en rencontrant les performances de Santiago Sierra.39 Comme de nombreux artistes représentés dans La Monnaie vivante, Sierra semble recourir à la perversité pour proposer une méditation sur la manière dont les institutions sociales et économiques assurent le triomphe de la perversion. Pour Bal-Blanc, la différence entre les œuvres d’art et le capitalisme est que les artistes s’approprient pour eux-mêmes le pouvoir perverti afin de produire des rôles réorientés et multiples (par opposition aux rôles singuliers résultant de l’industrialisation). En tant que tels, ils proposent de nouvelles formes de transgression et provoquent une «secousse» chez le spectateur. Comme le suggère Bal-Blanc, deux types de perversion s’affrontent dans la performance déléguée : la perversité exercée par les institutions et présentée comme une norme, et celle à laquelle les artistes ont recours, qui à l’inverse apparaît comme une anomalie.
Perversion et authenticité Il semble que le travail de Klossowski constitue un pont, à l’intérieur de la French Theory, entre Bataille et Lacan d’une part et une génération ultérieure de penseurs d’autre part, parmi lesquels Lyotard, Baudrillard et Foucault, qui lui empruntent respectivement les idées d’économie libidinale, de simulacre et de discours institutionnel. Pour Klossowski, les perversions sexuelles de Sade s’exercent contre toutes les valeurs et structures normatives, tant rationnelles
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que morales, mais il est difficile d’établir de façon certaine le rapport de Klossowski au système qu’il décrit.40 L’intérêt de Klossowski pour le corps humain comme «monnaie vivante» semble être une méditation sur la manière dont les sujets peuvent pervertir leur propre aliénation au travail et ainsi y prendre plaisir, mais son invocation du travail industriel paraît aussi quelque peu datée. La Monnaie vivante fut publié en 1970, à un moment de transition entre ce que Luc Boltanski et Eve Chiapello identifient comme le second et le troisième esprits du capitalisme : le passage d’un modèle de travail industrialisé, organisé de manière directive, où le travailleur a l’impression d’être exploité et de ne pas se réaliser pleinement, à un modèle connexionniste, organisé par projets, structuré par réseaux, où le travailleur est sans doute encore plus exploité mais où il se sent plus épanoui et plus autonome. Dans la mesure où le troisième esprit du capitalisme est marqué par des formes complexes d’autoexploitation (plutôt qu’un mouvement unidirectionnel et hiérarchique), l’analyse que propose Klossowski du plaisir pervers que nous trouvons dans le travail est peut-être d’autant plus pertinente. Si l’on suit la logique de Klossowski, tout se passe comme si l’artiste de performance déléguée se plaçait dans une position sadienne parce qu’il ou elle sait par expérience que cette exploitation et cette auto-exhibition peuvent constituer en elles-mêmes des formes de plaisir.41 Dans cette perspective, on ne prend en compte qu’une partie du problème lorsqu’on fait remarquer que la performance déléguée
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réifie ses participants. D’un point de vue sadien, cette lecture ne montre pas le plaisir occulte du participant à exploiter sa subordination dans ces œuvres d’art, et ne rend pas compte non plus du plaisir évident des spectateurs à le/la regarder. Cet entrecroisement du voyeur et du voyant est essentiel dans les vignettes photographiques curieuses et troublantes de Pierre Zucca qui accompagnent la première édition de l’ouvrage de Klossowski (où deux hommes et une femme se livrent à des actes sadomasochistes), et il est fondamental pour repenser les enjeux de la performance déléguée, tant du point de vue du plaisir visuel du public que de celui du participant. (L’image récente la plus brutale de ce plaisir réciproque est la vidéo à image double Los Penetrados [2010] de Sierra, qui montre une série quasi industrielle de pénétrations anales entre couples de sexes et d’appartenances raciales différents.) Les écrits de Klossowski nous invitent donc à sortir de l’impasse de certaines positions intellectuelles héritées des années 1960 : d’un côté, les arguments selon lesquels la société en tant que dispositif de contraintes institutionnelles et disciplinaires exerce une détermination décisive (École de Francfort, structuralisme), et de l’autre ceux d’une vitalité active et perpétuelle du sujet qui subvertirait et saperait en permanence ces restrictions (poststructuralisme, Deleuze et Guattari). Au lieu de réduire ces positions, Klossowski nous invite à prendre en compte un réseau plus complexe de pulsions libidinales qui nécessitent une reconfiguration et une
renégociation perpétuelles. Cette tension entre structure et action, entre particulier et universel, entre spontané et scénarisé, entre voyeur et voyant, est fondamentale dans la création de l’effet esthétique et dans l’impact social des meilleurs exemples de performance déléguée. Bien que l’artiste délègue son pouvoir aux interprètes (en leur confiant l’action tout en affirmant une forme de hiérarchie), la délégation n’est pas qu’un geste à sens unique, de haut en bas. Les interprètes délèguent eux aussi quelque chose à l’artiste : une garantie d’authenticité, à travers leur proximité
avec la réalité sociale quotidienne, proximité que la convention ne reconnaît pas à l’artiste, qui travaille seulement sur les représentations. En transférant l’authenticité souveraine et auto-constitutive hors de l’artiste singulier (qui est nu, se masturbe, reçoit un coup de feu dans le bras, etc.) et vers la présence collective des interprètes, qui portent de manière métonymique une question clairement sociopolitique (les sans-abri, le racisme, l’immigration, le handicap, etc.), l’artiste sous-traite l’authenticité et compte sur ses interprètes pour la fournir de manière plus vivante, sans le filtre perturbateur de la célébrité.
La Monnaie vivante, Théâtre HAU 1, Berlin, 2010 : Santiago Sierra, 111 CONSTRUCTIONS MADE WITH 10 MODULES AND 10 WORKERS, 2004. Photo Uwe Walter, 2010. Courtesy Berlin Biennale for Contemporary Art, 2010.
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La Monnaie Vivante, Théâtre HAU 1, Berlin, 2010 : Simone Forti, Huddle (dance construction), 1961 ; Prinz Gholam, Ein Ding mehr (One More Thing), 2006. Photo Uwe Walter, 2010. Courtesy Berlin Biennale for Contemporary Art, 2010
En même temps, le réalisme invoqué par ce type d’œuvre ne marque clairement pas un retour à l’authenticité moderniste telle qu’Adorno et le poststructuralisme l’avaient mise à mal. En créant une situation qui se déploie avec un degré variable d’imprévisibilité, les artistes font naître une forme d’authenticité fortement dirigée : le statut d’auteur singulier est mis en question par le fait de déléguer aux interprètes le contrôle sur l’œuvre ; ces derniers confèrent au projet une garantie de réalisme, mais ils le font à travers une situation où l’auteur est très présent, bien
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que l’issue précise ne puisse pas être prévue. En tirant de cet événement une œuvre d’art, l’artiste abandonne et reconquiert tout à la fois le pouvoir : il ou elle accepte de perdre provisoirement le contrôle sur la situation avant de revenir sélectionner, définir et diffuser sa représentation.42 L’authenticité est invoquée, mais sous une forme interrogée et reformulée, par la présence indicielle des membres d’un groupe social particulier, à la fois individualisés et symboliques, présents et médiés, déterminés et autonomes.
En même temps, l’expérience phénoménologique de la confrontation avec ces interprètes montre toujours que les gens excèdent systématiquement les catégories sous lesquelles ils ont été recrutés. Le recours à des «amateurs», à cet égard, est essentiel, car il permet de s’assurer que la performance déléguée ne prenne jamais le caractère lisse du jeu d’acteur professionnel et garde ouvert un espace de risque et d’ambiguïté (comparable à l’histoire des opérations aléatoires dans l’art du xxe siècle). Que cet amateurisme suscite néanmoins un sentiment d’indignation morale donne à voir combien la perversion institutionnelle a été intériorisée comme pleinement normale, tandis que celle des artistes est perçue comme inacceptable. La logique est celle d’un désaveu fétichiste : je sais que la société n’est qu’exploitation, mais tout de même, je veux que les artistes soient une exception à cette règle. Quand les artistes donnent à voir et mettent à disposition du plaisir expérimental les schémas de subordination institutionnelle auxquels nous sommes soumis tous les jours, il en résulte un malaise moral ; et pourtant, l’analyse dérangeante de Klossowski démontre précisément la possibilité que cette subordination soit aussi une source de jouissance et un outil. Quelles perspectives de pensée nous sont ouvertes si le plaisir de la réification dans ces œuvres est précisément analogue au plaisir que nous prenons tous à notre propre exploitation ?
La performance en contexte Il est en principe clair, à présent, que j’essaie de donner des arguments en faveur d’une compréhension plus complexe de la performance déléguée que celle qui nous est fournie par le cadre marxiste de la réification ou un discours critique contemporain enraciné dans la pragmatique positiviste et des injonctions d’amélioration sociale, toutes écoles de pensée qui réduisent ces œuvres à des questions standard de politiquement correct. Les plaisirs pervers qui soustendent ces gestes artistiques offrent une forme alternative de connaissance sur la marchandisation de l’individu opérée par le capitalisme, surtout quand les participants et les spectateurs semblent tous prendre plaisir à l’acte transgressif d’une subordination à l’œuvre d’art. Si l’on décide de ne pas tomber dans le piège de condamner purement et simplement ces œuvres comme des réitérations de l’exploitation capitaliste, il devient essentiel de considérer l’art non pas comme étant en continuité homogène avec le monde du travail contemporain, mais comme constituant un espace spécifique d’expérience où ces normes sont suspendues et mises au service du plaisir de manière perverse (pour en revenir à Sade, un espace qui n’est pas sans points communs avec celui du sexe BDSM). Au lieu de juger l’art comme un modèle d’organisation sociale que l’on peut évaluer selon des critères moraux préétablis, il est plus productif de considérer la conceptualisation de ces performances comme des décisions
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proprement artistiques. Je ne veux pas dire ici que les artistes ne sont pas concernés par l’éthique, mais que l’éthique constitue le point de départ de toute œuvre d’art collaborative. Juger une œuvre à partir de sa phase préparatoire, c’est négliger l’approche singulière de chaque artiste, les conséquences esthétiques spécifiques qui en découlent et les questions plus larges qu’il ou elle s’efforce peut-être de poser.43 Et que pourraient être ces questions plus larges ? Certains artistes choisissent d’employer des personnes comme médium artistique pour de nombreuses raisons : pour contester les critères artistiques traditionnels en reconfigurant les actions quotidiennes en performances ; pour donner une visibilité à certaines réalités sociales et leur donner davantage de complexité, d’immédiateté et de présence physique ; pour explorer les effets esthétiques du hasard et du risque ; pour problématiser les oppositions binaires entre live et médiation, spontanéité et mise en scène, authentique et contraint ; pour étudier la construction de l’identité collective et la manière dont les gens dépassent toujours ces catégories. Dans les exemples les plus intéressants de ce type de travail, une série d’opérations paradoxales est mise en œuvre qui rend problématiques les accusations simplistes de réification des sujets par la performance déléguée (par la décontextualisation et la remise de nouveaux attributs). En jugeant ces performances selon une échelle allant de l’«exploitation» (tout en bas) à la pleine «prise de contrôle» (tout en haut), on passerait complètement à côté des enjeux.
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La performance déléguée : comment sous-traiter l’authenticité
La différence se situe plutôt entre l’«art fair art» et les œuvres qui réifient justement pour poser la question de la réification. À cette lumière, le risque de superficialité qui accompagne parfois le catalogage ou le conditionnement réducteur des identités sociales dans une œuvre d’art («les chômeurs», «les aveugles», «les enfants», «les membres d’une fanfare», etc.) doit toujours être mis en perspective avec les modes dominants de représentation médiatique contre lesquels ces œuvres cherchent si souvent à mener bataille.44 Pour moi, cela constitue la vraie ligne de partage entre d’un côté les gestes faciles de tant d’œuvres de gala ou d’art fair art et de l’autre ces œuvres plus troublantes qui ne se bornent pas à profiter des conditions de travail contemporaines mais viennent déranger le rapport que nous avons à elles en présentant des réalités conventionnellement sousexposées. Il est vrai que sous ses pires formes, la performance déléguée produit une réalité mise en scène de manière originale et pensée pour les médias, plutôt qu’une présence assurée par une médiation paradoxale. Mais dans les cas les plus réussis, la performance déléguée fait naître des événements perturbateurs qui attestent d’une réalité partagée entre spectateurs et interprètes et qui défient non seulement les manières convenues de penser le plaisir, le travail et l’éthique, mais aussi le cadre intellectuel qui nous a été transmis pour comprendre ces idées aujourd’hui. Traduction de Céline Candiard Ce texte a été publié in Claire Bishop, Artificial Hells. Participatory Art and the Politics of Spectatorship, Londres / New York : Verso, 2012.
1. Il y a bien sûr des exceptions, comme le cas de Cildo Meireles qui avait employé cinq «gardes du corps» pour surveiller sa sculpture inflammable Fiat Lux pendant vingt-quatre heures (1979), ou encore celui de Sophie Calle qui avait engagé un détective privé pour la suivre (Détective, 1980). La différence entre ces exemples et d’autres plus récents est une différence de degré, selon que l’identité des personnes employées constituait un élément plus ou moins central et visible de l’œuvre d’art. 2. Je n’aborderai pas ici le cas de la reconstitution (re-enactment), bien qu’elle couvre souvent des territoires similaires (voir, par exemple, les récentes rétrospectives de Marina Abramović au MoMA et de Tania Bruguera au Neuberger Museum of Art, toutes deux en 2010, ou la tournée européenne de «L’Art et la vie confondus» d’Allan Kaprow à l’initiative de la Haus der Kunst de Munich en 2006). La reconstitution, comme la performance déléguée, s’est imposée de plus en plus avec l’institutionnalisation de la performance artistique et facilite son acquisition dans des collections. Pour un bon récapitulatif sur la reconstitution, voir le catalogue Life, Once More, Rotterdam : Witte de With, 2005. 3. Les autres œuvres de Cattelan dans les années 1990 tournent également autour du déplacement de l’identité de l’artiste : Super Noi, par exemple, en 1992, comporte 50 portraits de l’artiste réalisés à partir de descriptions faites par ses amis et connaissances et dessinés par des agents de police spécialisés dans le portrait-robot. Ici, la description et la production se trouvent toutes deux déléguées à des catégories d’artistes dont les compétences ne sont généralement pas reconnues sur le marché de l’art contemporain. 4. Francesco Bonami, in Maurizio Cattelan, Londres : Phaidon, 2003, p. 58. 5. De manière significative, la collaboration avec Deller
fait aujourd’hui partie du répertoire de la fanfare de Fairey et figure sur son site Internet. Voir faireyband.com (lien consulté le 15 mai 2012). 6. Dans chacune des publications de Sierra, les œuvres sont rendues visibles par des photographies en noir et blanc, le titre de l’œuvre, une brève légende qui explique où et quand la performance a eu lieu, ainsi que des informations sur la rémunération des participants. Les œuvres plus récentes de Sierra sont plus sensationnalistes et ne mettent pas en avant la question de la rémunération. 7. Un point de référence revient fréquemment, celui des «spectacles ethnologiques» des Expositions universelles de la fin du xixe et du début du xxe siècles, comme le «village nègre» des Expositions universelles de Paris en 1878 et 1889. Ces manifestations faisaient la propagande de la mission coloniale de la France et avaient généré un enthousiasme fondateur pour l’art «primitif». Voir Burton Benedict, «International Exhibitions and National Identity», in Anthropology Today 7, no 3, juin 1991, pp. 5–9. Benedict fait remarquer que «l’Exposition coloniale de 1931 tout entière fonctionnait comme une représentation théâtrale» (p. 7). 8. Nous pourrions également évoquer ici le groupe berlinois Rimini Protokoll et son recours à des «experts du quotidien» comme point de départ de performances telle Soko São Paulo (2007, avec des policiers brésiliens), Airport Kids (2008, avec des enfants ayant vécu dans au moins trois pays), ou Deadline (2003, avec notamment un employé de crématorium, un médecin légiste, un tailleur de pierre et un fleuriste). 9. Ce terme, chez Sehgal, n’est pas à interpréter comme une référence aux situations construites de l’Internationale Situationiste.
10. Voir doragarcia.net pour un compte-rendu progressif de chaque édition de The Messenger.
16. Rainer, cité par Chrissie Iles, «Life Class», in Frieze, n° 100, juin-août 2006.
11. Les visiteurs étaient informés de la performance par une grande affiche présente dans la foire, mais un observateur de passage ne pouvait imaginer l’issue de ces rencontres. L’œuvre se fondait sur les mémoires d’un ancien espion est-allemand qui s’était servi de jeunes et beaux agents de sexe masculin pour séduire des secrétaires célibataires de Bonn et accéder ainsi à des informations confidentielles.
17. Creed, cité par Charlotte Higgins, «Martin Creed’s New Piece for Tate Britain: A Show That Will Run and Run», in Guardian, 1er juillet 2008. Ballet (Work No. 1020) (2009) de Creed comporte cinq danseurs, qu’il confine aux cinq positions essentielles de la danse classique, chacune correspondant alors à une note de musique.
12. García reconnaît généralement l’influence d’Augusto Boal, mais elle rejette l’idée que l’art doit avoir une utilité politique (dans un courriel à l’auteur, le 22 décembre 2010). 13. Prenons Make a Salad (1962) ou Shoes of Your Choice (1963) d’Alison Knowles : dans la première, l’artiste prépare une grande salade pour la donner à manger au public ; dans la seconde, elle invite les gens à montrer leurs chaussures et à en parler au public. 14. Satisfyin’ Lover a également été interprétée par des effectifs divers, allant de 30 à 84 personnes. Quarante-deux était le nombre d’«amis» dont disposait le chorégraphe pendant une résidence à Salt Lake City (courriel de Steve Paxton à l’auteur, 21 juin 2010). Pour la partition et les instructions complètes aux interprètes, voir Sally Banes, Terpsichore in Sneakers: Post-Modern Dance, Middletown, Conn : Wesleyan University, 1987, pp. 71-74. 15. Steve Paxton, Satisfyin’ Lover (1967), cité par Banes, Terpsichore in Sneakers, op. cit., p. 74. Voir aussi Sally Banes, Democracy’s Body: Judson Dance Theater, 1962–1964, Durham, N.C. : Duke University Press, 1993, p. 137 ; Jill Johnston, «Paxton’s People», in Village Voice, 4 avril 1968, réédité in Jill Johnston, Marmalade Me, New York : Dutton, 1971, p. 137.
18. Par exemple, aux colloques «Art in Politically Charged Places» (Photographers Gallery, Londres, 13 décembre 2004) et «Public Time : A Symposium» (musée d’Art moderne d’Oxford, 25 mai 2006). 19. Le film de Sidney Pollack On achève bien les chevaux (They Shoot Horses, Don’t They) (1969) suit un petit nombre de personnages participant à un marathon de danse pendant la Grande Dépression. Le film préfigure la culture contemporaine de la téléréalité, où la quête de célébrité et de réussite financière des candidats les livre en pâture à une impitoyable exploitation commerciale. 20. Voir la transcription de cette discussion dans Claire Bishop et Silvia Tramontana (sous la direction de), Double Agent, Londres : ICA, 2009, pp. 99-106. Żmijewski définit clairement son rôle d’auteur : «On peut dire que je décide quand l’intrigue commence, puis c’est la vie qui prend le relais. Cela se traduit par une perte de contrôle, au moins partielle, sur le cours des événements. C’est pourquoi la réponse est que les choses échappent toujours au contrôle – je ne sais pas à quoi le film va ressembler, je ne travaille pas avec des acteurs qui imiteraient la réalité. Je n’ai pas de scénario. Mes protagonistes sont imprévisibles et leur attitude échappe à mon contrôle… C’est un voyage dans l’inconnu. Il n’y a pas de plan, pas de scénario – je ne sais pas
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où ça va se terminer.» (Żmijewski, «Terror of the Normal: Sebastian Cichocki interviews Artur Żmijewski», in Tauber Bach, Leipzig : Galerie für Zeitgenössische Kunst, 2003, p. 112. 21. Voir Annette Hill, Reality TV: Audiences and Popular Factual Television, Londres : Routledge, 2005, p. 17. Hill remarque que «la réflexivité, la performance et les frontières entre réalité et fiction sont toutes des marques caractéristiques de la téléréalité» (p. 20). 22. Sur ces catégories, voir Jane Roscoe et Craig Hight, Faking It: Mock-Documentary and the Subversion of Factuality, Manchester : Manchester University Press, 2001. Le documentaire d’observation est né du «cinéma direct» américain des années 1960, du «cinéma vérité» français et de la télévision «fly on the wall» britannique des années 1970. Voir Hill, Reality TV, op. cit., p. 20. 23. Watkins décrit son processus de recrutement des participants, qui s’apparente plutôt aux arts visuels qu’aux castings de cinéma traditionnels, dans Alan Rosenthal, «The War Game», in The New Documentary in Action, Berkeley : University of California Press, 1971, pp. 151-163 : «Il faut apprendre à connaître la personne et l’attirer dans le processus collectif de fabrication du film… Ce qui les tient au projet, c’est peut-être ma personnalité, mais c’est aussi très certainement lié à ce qu’on leur a fait percevoir comme étant la signification du sujet.» (p. 159). 24. La performance était un «mode artistique démocratique, grâce auquel les jeunes artistes n’ayant pas accès aux galeries d’art ou pas assez d’argent pour produire des œuvres d’art de studio à exposer pouvaient montrer leur travail rapidement à d’autres artistes de la communauté» (Dan Graham, «Performance:
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End of the 60s», in Alexander Alberro (sous la direction de), Two-Way Mirror Power: Selected Writings by Dan Graham on His Art, Cambridge, Mass. : MIT Press, 1999, p. 143. 25. Jack Bankowsky, «Tent Community», in Artforum (octobre 2005), pp. 228-232. 26. Comme l’a écrit Philip Auslander, «On a beau dire que l’évanescence de la performance lui permet d’échapper à la marchandisation, c’est cependant son évanescence même qui lui donne sa valeur en termes de prestige culturel.» (Auslander, Liveness: Performance in a Mediatized Culture, Londres : Routledge, 1999, p. 58. Il poursuit : «Même dans notre culture hyper-médiatisée, on attache beaucoup plus de capital symbolique aux manifestations live qu’aux manifestations en différé.» 27. Yvonne Rainer adressa une lettre de protestation à LA MOCA, dénonçant ce «spectacle grotesque» et «exploiteur» et le comparant au Salò de Pasolini (1975). Voir «Yvonne Rainer Blasts Marina Abramović and MOCA LA», in The Performance Club, theperformanceclub.org/2011/ 11/yvonne-rainer- douglascrimp-and-taisha-paggett-blastmarina-abramovic-and-moca-la (lien consulté le 27 avril 2012). 28. La Tate a nommé un conservateur chargé des performances en 2002, et le MoMA a créé un Département du média (en rupture avec le Département du film) en 2006, avant de le rebaptiser Département du média et de la performance artistique en 2009. Le Centre Pompidou n’a jamais eu de conservateur chargé des performances et n’envisage pas de département qui leur soit consacré, car elles ont toujours dépendu de l’administration de l’Art contemporain (courriel de Bernard Blisthène à l’auteur, 17 août 2010).
La performance déléguée : comment sous-traiter l’authenticité
29. Pour l’exposition Double Agent (ICA, Londres, 2008), Mark Sladen et moi-même avons voulu passer commande d’une nouvelle œuvre à Phil Collins. Sa proposition, Ghost Rider, supposait d’engager un «nègre» pour écrire une chronique sur les «nègres», chronique qui paraîtrait dans le Guardian sous la signature de Phil Collins. L’article qui en résulta ne convint pas à Collins, tant dans le ton que dans le contenu, car l’employé avait décidé d’imiter le langage et le vocabulaire de l’artiste. La chronique ne fut pas publiée. 30. Luc Boltanski et Eve Chiapello ont désigné le fait de tirer des profits du caractère radicalement exceptionnel d’un lieu, d’une personne ou d’un service donné comme la «marchandisation de l’authentique» (Luc Boltanski et Eve Chiapello, Le Nouvel Esprit du capitalisme, Paris : Gallimard, NRF Essais, 1999, p. 536. Pour un point de vue promotionnel sur la question, voir James Gilmore et B. Joseph Pine II, Authenticity: What Consumers Really Want, Boston, Mass. : Harvard Business School, 2007. 31. Tino Sehgal, au cours d’une conversation à l’ICA, à Londres (19 novembre 2004). 32. Chaque version s’adaptait à un lieu différent : une salle de danse avec des miroirs (Paris) ; un théâtre (Louvain, Varsovie, Berlin) ; une galerie d’art (le Turbine Hall de la Tate Modern). 33. Klossowski fait référence à La Nouvelle Justine de Sade : d’Esterval ne peut coucher qu’avec quelqu’un qui accepte de se faire payer. Faire cas d’un partenaire (à l’exclusion de mille autres) est une forme de transaction financière. Voir Pierre Klossowski, La Monnaie vivante, Paris : Éd. Joëlle Losfeld, 1994, p. 62. 34. En d’autres termes, depuis l’avènement de l’industrialisation,
«l’émotion voluptueuse» n’est plus liée à l’aura de l’objet artisanal mais s’attache au produit superficiel, fabriqué en masse, qui permet à l’émotion de s’extérioriser et de s’échanger, mais toujours par le biais des normes institutionnelles de l’économie. 35. Klossowski, La Monnaie vivante, op. cit., p. 12. 36. Pierre Bal-Blanc, cité par Elisabeth Lebovici, «The Death of the Audience: A Conversation with Pierre Bal-Blanc», in e-flux journal, 13 février 2010, disponible sur le site e-flux.com (page consultée le 15 mai 2012). 37. Pierre Bal-Blanc, «Notes de mise en scène: La Monnaie vivante», p. 5 ; PDF consultable sur le site cacbretigny.com. 38. Présenté pour la première fois dans l’exposition Every Week There Is Something Different de Gonzalez-Torres (2 mai-1er juin 1991, Andrea Rosen Gallery, New York), Untitled (Go-Go Dancing Platform) fut ensuite exposé au Hamburger Kunstverein, où Bal-Blanc reprit le rôle du go-go dancer. 39. De toutes les personnes auxquelles j’ai parlé qui ont pris part à des performances déléguées, il est frappant que Bal-Blanc soit le seul qui n’y ait pas pris plaisir. La réaction la plus fréquente était le plaisir d’une expérience nouvelle. Comme le fait remarquer Joe Scanlan, le plaisir des participants va souvent jusqu’à exclure tout regard critique sur les œuvres auxquelles ils prennent part, ce qui donne lieu à une sorte de syndrome de Stockholm : ils sont reconnaissants envers leurs ravisseurs artistiques et incapables de reconnaître le manque relatif de réciprocité à l’égard du travail qu’ils lui ont consacré. Voir Joe Scanlan, réponse à Don Byrd, dans Artforum, septembre 2010, pp. 54 et 56.
40. La seconde édition de Sade mon prochain par Klossowski (1947) revient sur sa première lecture de Sade, qui correspondait à sa perspective post-catholique. Dans la version révisée qu’il présente alors, il considère les perversions sexuelles de Sade comme relevant d’une opposition universelle, plutôt que d’une affirmation secrète de l’existence de Dieu. Voir à ce sujet Ian James, Pierre Klossowski: The Persistence of a Name, Oxford : Legenda/ European Humanities Research Centre, 2000.
* En français dans le texte [ndt].
41. «Le sadique n’aurait jamais l’idée de trouver du plaisir à la douleur d’autrui s’il n’avait d’abord éprouvé “masochiquement” le lien de sa douleur et de son plaisir.» Gilles Deleuze, Présentation de Sacher-Masoch : La Vénus à la fourrure, Paris : Éd. de Minuit, 1967, p. 39. 42. De manière générale, il serait nécessaire d’accorder beaucoup plus d’attention aux modes de figuration de ce type de représentation (d’immenses tirages en Cibachrome, dans le cas de Vanessa Beecroft, ou de courts documentaires vidéo dans le cas de Żmijewski) au lieu de rejeter a priori ces artistes pour exploitation. 43. Par exemple, une distinction peut être faite entre les artistes dont le travail aborde l’éthique de manière explicite (par exemple 80064 de Żmijewski (2004)), et ceux qui utilisent le malaise éthique comme technique pour poser et mettre en avant les questions du travail (comme Sierra) ou du contrôle (comme Bruguera). 44. Comme Return of the Real (2006-7) de Phil Collins le montre clairement, la téléréalité repose sur les stéréotypes dans lesquels on cherche à tout prix à faire entrer les participants afin de construire des narrations conventionnelles et prévisibles conçues pour plaire à un grand nombre de spectateurs.
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Mani Mani- Mani feste feste feste
pour un pour un Musée pour un Musée Musée de la danse de de la danse la danse
Boris Charmatz
Je ne m’emporte pas, je propose simplement d’enlever le mot «centre», d’enlever le mot «chorégraphique», et d’enlever le mot «national» ! Le mot «centre» de Centre chorégraphique national est le résultat d’une formidable politique publique qui a prouvé que le centre pouvait être pluriel et se multiplier ailleurs que dans la capitale de France. Et pour que cet élan demeure, une autre émancipation doit s’énoncer aujourd’hui : la question du centre et du décentrement laisserait alors la place à un espace où cette problématique ne subsisterait que comme trace. La recherche du «centre»... Pour un danseur, le mot résonne d’abord physiquement. Il n’y a pas si longtemps, on lui demandait systématiquement, tout au long de son entraînement, de «trouver son centre». Mais aujourd’hui, il est généralement admis que le corps n’a pas de centre, et cela ne lui manque pas. Le corps de la modernité n’a pas besoin de centre, car ce centre absent, le noyau qui permettrait de se rassurer n’est pas là, n’est plus là. Car sur le vide d’un corps exproprié de tout centre, il y a de la place pour la danse. C’est pourquoi on peut aussi gommer le mot «chorégraphique», pour y revenir autrement. Certes la danse comprend une dimension proprement chorégraphique, mais elle déborde aussi allègrement de ce cadre. La danse est beaucoup plus large que le chorégraphique ; son territoire doit s’étendre si l’on veut voir s’ouvrir l’espace symbolique trop fermé dans lequel elle se tient encore dans notre société. L’espace d’un Centre chorégraphique national doit
balayer bien au-delà de ce qui relève du seul chorégraphique. On devrait même pouvoir donner la direction d’une telle institution à un danseur (et non aux seuls chorégraphes) ! Un danseur, c’est à la fois plus et moins qu’un chorégraphe : c’est quelqu’un qui travaille sous la direction d’autres chorégraphes, qui soutient aussi plus que son propre travail, et qui sait que son corps est travaillé par le travail de bien d’autres, du corps de ses parents au corps de ses professeurs, au corps social tout entier. Et s’il est parfois l’interprète d’une écriture chorégraphique, un danseur peut aussi être n’importe qui, car n’importe qui a, un jour, essayé. Je propose de gommer «chorégraphique» parce qu’un Centre chorégraphique national est bien plus qu’un espace où un chorégraphe trouve les moyens d’épanouissement de son travail. Au-delà du soutien à des compagnies de danse, il faut penser aussi en dehors du cadre chorégrapheinterprète-compagnie, dégager une matière symbolique plus riche… Alors tout le monde, les pratiquants, les croyants, les artistes, les incroyants, les exclus du monde de l’art, ceux dont on pense à tort qu’ils en sont exclus, les autres, tous les autres, qui ne savent pas encore où les Centres chorégraphiques se trouvent, pourraient y trouver de quoi activer l’imaginaire. Ce qui fait danse doit toucher aujourd’hui bien au-delà du cercle restreint de ceux qui la structurent au quotidien, et s’ouvrir à une dimension anthropologique qui éclate joyeusement les limites induites par le domaine proprement chorégraphique.
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Et alors le «national» ne suffit plus non plus. L’espace mental d’une action d’envergure doit être au minimum locaglobalrégiœuropéointernationabretotranscontinensud. Universel et particulier. Aussi sur la façade, on pourrait tout simplement écrire :
musée de la danse Je propose donc de transformer un Centre chorégraphique national en un Musée de la danse. Sérieusement. Sérieusement et dans la joie. Je propose de fondre toutes les missions dévolues à un Centre chorégraphique national et de les agiter dans un cadre ancien et nouveau à la fois, un cadre drôle et désuet, poussiéreux et excitant, un musée comme il n’en existe nulle part ailleurs. Je voudrais opérer une transfiguration qui donne sens aux missions qui se sont façonnées au cours de l’histoire de cette institution. Toute l’activité du lieu serait repensée à travers un prisme différent, un prisme susceptible de rassembler en un seul mouvement le patrimonial et le spectaculaire, la recherche et la création, l’éducation et la fête, l’ouverture à des artistes singuliers et le désir de faire œuvre collective. Il me semble que l’intitulé, «Musée, Musée de la danse», est à même d’agir comme une porte grande
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Manifeste pour un Musée de la danse
ouverte vers la culture et l’art d’une danse dont nous ne ferons pas un sanctuaire. Un nouveau projet de Centre chorégraphique national ne peut aujourd’hui se contenter de développer et compléter les dispositifs mis en place au fur et à mesure de son développement. Si l’on veut que le Centre chorégraphique national de Rennes et de Bretagne soit la matrice d’une diffusion de la danse infiniment plus élargie et qu’il s’inscrive localement plus que jamais, qu’il devienne un pôle de stature internationale, il me semble que sa politique globale doit être portée par un projet artistique qui donne corps à toute son action. La ville de Rennes et la région Bretagne réunissent les conditions et l’énergie nécessaires pour fabriquer un véhicule symbolique qui transporte tout le monde, les artistes, les publics, les amateurs, les professionnels, les enseignants, les élèves, les spectateurs, les étudiants, les politiques, les visiteurs, les touristes, les chercheurs, les journalistes, les citoyens, tout le monde, au-delà du monde transporté habituellement. Et le dynamisme pour que ce véhicule assume toutes les missions dévolues à un Centre chorégraphique en prenant une direction radicale, nouvelle, inusitée. Il y a peu de musées de la danse. Très peu dans le monde. «Il y a en France cent dix-huit musées du sabot, mais pas un seul musée de l’esclavage.» Je pense souvent à cette remarque entendue un jour à la radio… Il n’y a pas non plus de véritable musée de la danse
en France. La danse et ses acteurs se sont souvent définis en opposition à des arts dits pérennes, durables, statiques, dont le musée serait le lieu de prédilection. Mais si l’on veut aujourd’hui ne plus occulter l’espace historique, la culture, le patrimoine chorégraphique, fût-il le plus contemporain, alors il est temps de regarder, de rendre visibles et vivants les corps mouvants d’une culture qui reste largement à inventer. Et si l’on veut que la création chorégraphique prenne à bras-le-corps les nouvelles circulations technologiques, et embrasse véritablement l’espace transmédiatique du monde contemporain, alors il me semble que sous l’appellation de «Musée», des artistes vont pouvoir s’amuser et créer librement.
se fait du musée ET l’idée que l’on se fait de la danse. Car il n’est pas question de fabriquer un musée mort, ce sera un musée vivant de la danse. Les morts y auront leur place, mais parmi les vivants. Il sera tenu par des vivants, brandi à bout de bras.
Car nous sommes à une époque excitante où la muséographie s’ouvre à des modes de pensée et des technologies qui permettent d’imaginer tout autre chose qu’une exposition de traces, de costumes défraîchis, de maquettes de décors et de rares photographies de spectacles.
En premier lieu, un Musée peut «avoir lieu» tous les samedis.
Nous sommes à un moment de l’histoire où un musée peut être vivant et habité autant que l’est un théâtre, inclure un espace virtuel, offrir un contact avec la danse qui soit à la fois pratique, esthétique et spectaculaire… Nous sommes à un moment de l’histoire où un musée n’exclut aucunement les mouvements précaires, ni les mouvements nomades, éphémères, instantanés. Nous sommes à un moment de l’histoire où le musée peut changer ET l’idée que l’on
Pour ce faire, il est d’abord nécessaire d’oublier l’image d’un musée traditionnel, parce que notre espace est d’abord mental. La force d’un musée de la danse réside en grande partie dans le fait qu’il n’en existe pas encore. Qu’il n’a pas encore de lieu approprié…, que l’esprit du lieu arrive avant le lieu…, que tout est à faire, et que le quotidien de ce chantier permet toutes les audaces, et tous les écarts.
(Un Centre chorégraphique national se tient aussi comme on tient un cabaret, un bal monté ou un dance floor. Ou encore comme on tient un siège. On peut le tenir contre vents et marées parce qu’une sorte de foi vous anime.) Le Musée comprendrait et inclurait le spectacle, car dans notre idée, le musée contient le studio de danse, le théâtre, le bar, l’école, l’exposition, la médiathèque. Ce Musée en déplacement sera le cheval de Troie d’un élargissement radical de la «production» de danse d’un CCN. Le chantier collectif d’un futur Musée de la danse vise à transformer une institution en un espace symbolique proche de l’épopée : il faut imaginer
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une politique de diffusion provocante qui réponde à la nécessité d’élargir radicalement le nombre de gens concernés. Le Musée ne se contentera pas de «programmer» des événements, mais sera une manière de faire vivre un lieu, un public, une équipée, et deviendra un endroit où l’on peut aller, comme dans un musée, sans connaître par avance le programme du jour. Un drôle d’endroit pour la rencontre de l’atelier, du dancing, du spectacle, de l’initiation au sens le plus fort. Pour ne pas finir, dix commandements :
Un micro-musée
mais un musée véritable : il assume pleinement ses missions de musée et respecte un équilibre entre ses différentes fonctions de conservation, création, recherche, exposition, diffusion, sensibilisation, médiation, sans en négliger aucune. C’est cette interdépendance qui justifie la création d’une structure muséale.
Un musée d’artistes
Des chercheurs, des collectionneurs, des commissaires d’exposition participent à la vie du musée, mais il est avant tout le fait d’artistes qui l’inventent en créant des œuvres. C’est donc un projet artistique initié par Boris Charmatz, mais mis en place par de nombreux artistes.
Un musée excentrique
Il veut être une introduction, une mise en appétit, un lieu de sensibilisation à la danse et à la culture chorégraphique
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Manifeste pour un Musée de la danse
au sens large, à l’histoire du corps et ses représentations. Il n’est pourtant pas exclusivement centré sur l’art chorégraphique : il ne cherche pas à établir une taxinomie de la danse, ne se fixe pas pour objectif d’offrir une définition arrêtée de la discipline. Il n’a pas non plus pour idéal de donner une représentation exhaustive des différentes danses pratiquées à travers le monde. Il veut stimuler le désir de connaître.
Un musée incorporé
Il ne s’élabore qu’à condition d’être construit par les corps qui le traversent, ceux du public, des artistes, mais aussi des employés du musée (gardiens, techniciens, personnel administratif, etc.), qui activent les œuvres, en deviennent même les interprètes.
Un musée provoquant
Il aborde la danse et son histoire à travers une vision résolument contemporaine. Il s’emploie à questionner les connaissances naïves que chacun se fait sur la discipline. Il provoque des rapprochements improbables, des confrontations entre des mondes habituellement étrangers l’un à l’autre. Il remet en cause les idées reçues qui circulent autour de la danse… et donc ailleurs dans la société.
Un musée transgressif
Il assume pleinement le fait que son activité ne se limite pas à la quête et à la présentation de l’objet «authentique» ; il encourage artistes et visiteurs
à s’emparer des œuvres, il stimule le piratage. La création artistique et l’expérience du visiteur sont au cœur de son action. Lieu de vie, espace social de controverse, lieu de discours et d’interprétation, il n’est pas seulement un espace d’accumulation et de présentation.
Un musée perméable
Il défend le principe selon lequel s’ouvrir à une conception élargie de la danse, c’est accepter de se laisser traverser par d’autres mouvements, sortir d’une identité fixée. S’ouvrir à la différence.
Il tisse des relations approfondies avec des individus, qu’il s’agisse d’artistes de renommée internationale tels que Mikhaïl Baryshnikov, Steve Paxton ou William Forsythe, ou d’amateurs passionnés.
Un musée immédiat Il existe dès le premier geste posé.
Fait à Leipzig, Berlin, Vienne, Rennes, Vanves, Bruxelles, Montreuil, en l’espace de quelques nuits tenaces. Texte écrit en 2009 et publié sur internet. www.museedeladanse.org
Un musée aux temporalités complexes
Il pense l’éphémère et le pérenne, l’expérimental et le patrimonial. Actif, réactif, mobile, c’est un musée viral qui peut se greffer sur d’autres lieux, diffuser la danse là où elle n’est pas attendue. C’est aussi un musée dont le programme évolue au rythme des saisons, capable de s’installer sur les plages en période estivale ou de proposer une université d’hiver…
Un musée coopératif
Il est indépendant, mais fonctionne en lien avec un réseau de partenaires, coopère avec les institutions liées à la danse (contemporaine, classique et traditionnelle, savante et populaire), les musées, les centres d’art et galeries, les centres de recherche et les universités, et ne se situe en aucun cas contre eux.
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TIME Time Time based based BASed exhib- exhib- EXHIB ition ition ITION 60
La conquête de l’ubiquité
Pavillon Neuflize OBC
Le Pavillon Neuflize OBC est le laboratoire de création du Palais de Tokyo à Paris. Créé par l’artiste Ange Leccia, qui le dirige depuis son ouverture en 2001, le Pavillon accueille chaque année dix jeunes artistes et commissaires d’expositions recrutés à l’issue d’un concours international. La durée du programme, défini par Ange Leccia et Christian Merlhiot (responsable pédagogique), est de huit mois. Les projets proposés aux résidents (expositions, publications, workshops), en France ou à l’étranger, sont placés sous la responsabilité d’un artiste ou critique invité qui en accompagne le déroulement. En 2012-2013, il s’agit de Rémy Héritier, chorégraphe. Le phénix scène nationale Valenciennes
a pris l’initiative d’inviter le Pavillon pour travailler sur son grand plateau, proposant ainsi aux artistes un autre espace-temps de travail. En 2012-2013, les artistes-résidents du Pavillon Neuflize OBC sont Carlotta Bailly-Borg (FR), Feiko Beckers (NL), Julie Béna (FR), Francesco Fonassi (IT), Daiga Grantina (LV), Peter Miller (USA), Julien Perez (FR), Agnieszka Ryszkiewicz (PL), Gonçalo Sena (PT) et Theo Turpin (UK). Le phénix scène nationale Valenciennes accueillera les artistes en résidence à plusieurs reprises en vue d’une création intitulée Time Based Exhibition. Les documents qui suivent sont issus d’étapes préparatoires et de la résidence qui a eu lieu en novembre 2012. 61
Rémy Héritier
Three Headed Monsteromancy
La première session de travail avec les artistes du Pavillon dans la salle de pédagogie du phénix a engendré une série d’expériences scéniques en vue d’élaborer et de tester des protocoles de travail commun.
Comme souvent, la partie la plus ardue du travail de création consiste à inventer les conditions qui faciliteront l’émergence du contenu, puis d’en inventer le contenant qui rendra grâce à la complexité et à l’intensité du travail élaboré en studio. C’est ici encore plus vrai qu’ailleurs car les paramètres de travail sont inhabituels, pour chacun des artistes présents comme pour moi. Nous avons donc fait l’expérience de processus performatifs à la croisée de nos pratiques respectives. Ces expérimentations mettaient en jeu le corps et l’objet dans des modalités de constructions chorégraphiques et plastiques. L’une de ces tentatives, proche du cadavre exquis, a consisté en un jeu de langage destiné à inventer ensemble la réponse à une question impossible, fruit de l’ajout successif de mots délivrés par chacun des participants. À bien y regarder, ce monstre à trois têtes est devenu le miroir de notre processus de création : la réponse collective à une question impossible. À l’occasion de cette publication, les artistes réunis autour du projet Time Based Exhibition se sont donné la tâche exigeante (généreusement partagée avec les lecteurs de ce catalogue) de poser les bases d’un nouvel art divinatoire : la Three Headed Monsteromancy. Marguerite Duras a affirmé un jour à la radio : «Je ne comprends pas toujours très bien ce que je raconte mais ce que je sais c’est que c’est vrai.» Les entrailles de ce monstre à trois têtes lui donneront-elles une fois de plus raison ? Le jeu a été mené en anglais puis en français. Le portfolio publié ici retranscrit une part de cette dynamique d’échanges. Novembre 2012
Rémy Héritier
Time Based Exhibition - Note d’intention
C’est à partir de l’énoncé minimal et évocateur de Time Based Exhibition proposé par Christian Merlhiot que j’ai commencé à réfléchir à un projet pour les artistes en résidence au Pavillon Neuflize OBC en 2012‐2013.
La Time Based Exhibition, outre ce changement de point de vue induit par un changement de lieu (de l’espace d’exposition au théâtre), conduira inévitablement à questionner les notions de temps et de durée. Temps et durée devenant le point de jonction entre arts visuels et art performatif (chorégraphique en ce qui me concerne). Elle posera aussi la question de la place et du rôle du visiteur regardeur spectateur et de l’envergure de son action : venir au théâtre pour assister à la représentation… d’une exposition. Pour nourrir le concept de Time Based Exhibition, j’ai pensé aux soirées historiques des 9 Evenings, Theatre and Engineering de 1966 qui ont permis la collaboration de dix artistes de la scène new-yorkaise avec 30 scientifiques et ingénieurs des laboratoires Bell Telecom. Je pense plus particulièrement à la pièce Open Score de Robert Rauschenberg. Les 9 Evenings sont restés bizarrement méconnus, pourtant ils allient dans leur fond et leur forme toutes les notions qui nous préoccuperont. Le dispositif d’Open Score est relativement simple : des spectateurs sont rassemblés sur un gradin. Face à eux, deux artistes (Frank Stella, Mimi Kanarek) jouent une partie de tennis sur un véritable court. Chacune des raquettes est équipée d’un micro HF qui amplifie le son du choc de la balle sur le tamis. Le système de son est relié à l’éclairage, si bien que chaque coup de raquette induit l’extinction d’un des projecteurs éclairant la partie. Les échanges conduisent irrévocablement à plonger la scène et la salle dans le noir total. Près de 500 figurants entrent discrètement sur le plateau et sont filmés en direct par des caméras à vision nocturne (dont ce sera la première utilisation non militaire) pour apparaître verts et floutés sur un écran incliné au-dessus du gradin. Le temps d’un match orchestré par deux artistes interrogeait donc non seulement les pratiques artistiques et performatives en leur temps et lieu, mais également le rôle du spectateur, témoin de l’action.
Il y aurait donc beaucoup à tirer d’une archéologie artistique, fictionnelle et lacunaire autant que performative ou chorégraphique pour créer un ou des objets performés et interroger les conditions d’existence d’une œuvre dans un dispositif de durée et de lieu qui n’est habituellement pas le sien. Les processus de réflexion et de création engagés nous permettront d’établir un dialogue artistique coupant court aux incompréhensions supposées liées aux différences de background, de médium, etc. L’objet naîtra de la pratique et non pas de l’idée. Ce projet est en soi une pratique du déplacement qui permettra je l’espère de mettre à jour la singularité de nos pratiques (qu’elles soient initiées depuis les arts visuels ou chorégraphiques). Comment une œuvre d’art plastique préservet‑elle une autonomie à partir du moment où elle est présentée dans un théâtre ? Comment s’y prend-elle pour ne pas se faire engloutir par le théâtre et esquiver le statut d’art appliqué ? Septembre 2012
En 2010, vous avez invité Boris Charmatz dans le cadre du Pavillon. Pourquoi avez-vous souhaité qu’un chorégraphe accompagne le travail d’artistes qui œuvrent pour la plupart d’entre eux dans le champ des arts plastiques ? Ange Leccia : À l’origine, le programme du Pavillon a été créé par des plasticiens. Au fur et à mesure des années, nous nous sommes aperçus que les propositions, les pratiques artistiques les plus intéressantes avaient souvent lieu à la périphérie des arts plastiques : dans l’architecture, la chorégraphie, le cinéma… Avec Christian Merlhiot, nous avons recherché des collaborateurs qui ne soient pas forcément des plasticiens et qui effectuaient des allers-retours entre leur pratique et les arts plastiques. C’est le cas de Boris Charmatz, chorégraphe très au fait de l’art contemporain.
Cet entretien a été réalisé en octobre 2012, avant la première session de travail du projet intitulé Time Based Exhibition.
Christian Merlhiot : La publication de son livre Je suis une école, issu de l’expérience pédagogique intitulée Bocal, nous a donné envie de le rencontrer. Ce projet avait certains points communs avec l’expérience du Pavillon. Nous avions envie de partager avec lui des éléments de réflexion sur ce qu’étaient ces moments de création à l’intérieur d’un groupe. Dans Bocal, Boris Charmatz avait constitué un groupe de personnes issues de pratiques artistiques mais aussi
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de champs scientifiques, notamment des sciences sociales. Nous l’avons contacté en 2009, au moment où il réfléchissait à son projet de musée de la Danse. Boris Charmatz a répondu à notre invitation par une autre invitation : il nous a demandé de venir au musée de la Danse pour y concevoir et y produire des pièces qui ont été présentées lors de deux moments d’exposition à Rennes.
Avez-vous souhaité renouveler cette expérience avec un autre chorégraphe ? Christian Merlhiot : Après Boris Charmatz, nous avons travaillé avec Philippe Quesne – auteur dramatique et metteur en scène – grâce à la directrice de la Ménagerie de verre, Marie-Thérèse Allier. Puis nous avons rencontré Rémy Héritier, chorégraphe, et nous lui avons proposé d’être l’artiste associé au Pavillon cette année. Ange Leccia : Nous étions très heureux de la collaboration avec Boris Charmatz, en particulier au niveau intellectuel. Cette expérience nous a permis de sortir du cadre que l’on fréquente habituellement, du lieu dédié aux arts plastiques, et de se confronter à d’autres règles, celles de la danse. Avec maladresse parfois, car ils ne connaissent pas ces règles, les jeunes artistes ont été amenés à se remettre en question. Ils ne devenaient pas chorégraphe ou danseur ; ils poursuivaient leur pratique de plasticien, mais autrement. Cette expérience les faisait réfléchir à un espace autre,
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en dehors de la galerie, du musée, du centre d’art. Nous avions envie de poursuivre dans cette voie. Tous les ans, nous devrions effectuer une expérience hors de la pratique muséographique ou artistique habituelle.
De quels champs artistiques viennent les artistes sélectionnés ? Rémy Héritier : La majorité vient des arts plastiques, à l’exception d’une danseuse (Agnieszka Ryszkiewicz). Certains artistes ont pour moi un lien très fort avec la performance, notamment dans leur rapport à l’espace. Ange Leccia : Inviter des artistes inadaptés au projet nous intéresse beaucoup : que va-t-il ressortir des chocs ainsi provoqués ?
Comment allez-vous collaborer avec ces jeunes artistes ? Rémy Héritier : Nous avons presque le même âge. Nos parcours sont similaires. Je suis un visiteur, un spectateur d’art contemporain. Eux n’ont pas forcément une connaissance de la danse. L’idée principale est celle de la rencontre. Comment travailler ensemble ? Je ne vais pas leur apprendre ce qu’est l’art contemporain, eux ne vont pas m’enseigner la danse. J’ai l’habitude de faire certaines choses dans un théâtre, eux vraisemblablement non. Comment se retrouver à partir d’un énoncé très simple ?
Plutôt qu’un énoncé, partons d’un lieu : un théâtre. Comment inviter des spectateurs à voir la représentation d’une exposition ? Christian Merlhiot : Dans les discussions préalables au projet Time Based Exhibition, un élément le rendait particulièrement difficile et excitant, du point de vue des arts plastiques : la question de la temporalité de l’œuvre. Celle-ci est rarement centrale. Les œuvres sont généralement pensées pour être montrées pendant une certaine durée – sans forcément être pérennes. Dans le cadre de ce projet, la réflexion se concentre sur la production d’œuvres qui auraient comme temporalité celle d’un spectacle. Autrement dit une temporalité très brève : une heure, une heure et demie. Cela signifie intégrer à l’objet une réflexion sur son apparition et sa disparition. Sur l’éphémère. Rémy Héritier : L’articulation du projet réside précisément à cet endroit. J’appartiens à une génération de danseurs, à une «école» de danse qui se méfie beaucoup de la forme. Cela m’intéresse vraiment de rencontrer des personnes pour qui la forme, et la pérennité d’une forme, sont le degré zéro de leur pratique.
Ce projet soulève une question sous-jacente, à savoir celle de la contemplation d’une œuvre d’art. Au théâtre, la temporalité est définie,
c’est celle de la durée du spectacle. Au contraire, dans l’exposition, le spectateur est totalement libre. Allez-vous interroger la position du spectateur dans le cadre de ce projet ? Ange Leccia : Il y a toujours la surprise. Par essence, l’artiste casse les codes. Comme le code du théâtre ou celui de l’institution. Peut-être certains voudrontils le mettre en question. La temporalité, la monstration, le déroulé ne sont que des suppositions qui peuvent prendre une forme différente – à moins que Rémy Héritier n’ait un cadre directif. Rémy Héritier : Non, je n’ai pas de cadre directif. Dans les enjeux que j’aimerais activer avec les résidents, il y a l’idée de construire un objet qui en inclut d’autres, plus petits. On en revient à la question de l’objet, de la forme. Une fois que l’artiste a construit cette forme, elle est là. Au contraire, dans la performance, une fois que l’on a pensé construire une forme, il faut la confronter au présent, et trouver les entrées pour pouvoir la reconduire aussi souvent qu’on le souhaite.
Déplacer les expériences, est-ce le rôle du Pavillon, présenté comme un laboratoire ? Ange Leccia : Ce n’est même plus un laboratoire. C’est devenu une pratique
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courante chez les artistes, un passage obligé. L’art ne peut plus respirer, ne peut plus s’oxygéner s’il ne se frotte pas à diverses expérimentations.
Dans vos documents préparatoires, vous évoquez
Christian Merlhiot : La confrontation à l’espace scénique et à la chorégraphie déplace une partie de leur pratique. Ce déplacement est sans doute l’une des raisons majeure de la venue des artistes au Pavillon. Pour mener des expériences qui forcent à faire un pas de côté, pour revenir – ou non – à la pratique qu’ils avaient définie. Il y a souvent des bifurcations. Chez certains au contraire, il y a réaffirmation de quelque chose qui s’écrit avec beaucoup plus de netteté.
qui a regroupé dix artistes et une trentaine d’ingénieurs en 1966 à New York pour réaliser dix performances avec des composantes technologiques. En quoi cette référence est-elle importante dans le cadre de ce projet ?
Ange Leccia : Le pavillon invite des artistes, ici Rémy Héritier, à vivre une expérience d’accompagnement, de réflexion avec d’autres artistes. Le terme «pédagogie» ne me plaît pas. Le Pavillon, c’est aussi une façon de rompre avec ce mythe galvaudé de l’artiste solitaire, dans son atelier. Être obligé de travailler ensemble, de cohabiter, d’échanger, c’est cela le Pavillon. Rémy Héritier : Concernant la transmission, j’enseigne depuis quelques années. C’est l’échange qui me plaît. Je ne pense pas avoir un savoir à délivrer à des étudiants. Je n’ai pas envie de me poser en spécialiste. C’est un déplacement autant pour eux que pour moi. Je ne sais pas comment on fait un accrochage. Ils ne savent pas pour leur part comment une pièce se construit sur un plateau. Comment élaborer un objet hybride issu de toutes ces expériences ?
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9 Evenings, Theatre & Engineering, un événement
Rémy Héritier : Pour moi, c’est la preuve tangible de la rencontre entre des artistes plasticiens et des artistes performeurs. Comme cette série de soirées est relativement peu connue, je souhaite m’en servir comme point de départ : comment échanger autour de ces artistes ? Tout le monde connaît Rauschenberg, mais tout le monde ne connaît pas cette période de son travail. Pour le moment, ce document source est suffisamment puissant pour déclencher des associations. Cette référence est aussi importante dans mon parcours en tant que chorégraphe car je suis issu de ce mouvement chorégraphique.
Time Based Exhibition
doit être présenté au phénix scène nationale Valenciennes. Que signifie être sur un plateau, dans une disposition
frontale, c’est-à-dire dans l’un des espaces les plus codés qui soient ? D’autres présentations, dans d’autres contextes, d’autres lieux, sont-elles prévues ? Christian Merlhiot : Si cela est possible, une forme plus légère, héritée de celle produite au phénix, sera présentée au Palais de Tokyo dans un second temps. Comme nous n’avons pas de scène, le projet doit être repensé dans un autre contexte, comme celui d’un centre d’art. Rémy Héritier : Ces dernières années, j’ai essentiellement travaillé hors du plateau. Souvent dans des théâtres ou via des théâtres, mais pas sur une scène à l’italienne. Aujourd’hui, j’effectue le chemin inverse, à la fois dans mes projets personnels et avec cette pièce. Toutes mes pièces sont «site specific», y compris lorsqu’elles se déroulent sur un plateau, c’est-à-dire dans un lieu on ne peut plus codé. Ce lieu codé n’est pas un lieu générique. C’est un lieu spécifique.
de résister à la partition de l’espace entre la scène et la salle. Rien n’était attendu, ni prévu, même par Philippe Quesne. Rémy Héritier : On ne sait pas ce qui adviendra. Ce que l’on sait, c’est que le lieu du théâtre est très codé, et que l’on ne peut pas tout faire dans un théâtre, ne serait-ce qu’en terme de respect des normes de sécurité. Ange Leccia : Les règles du théâtre prendront peut-être le dessus. Rémy Héritier : Cela fait partie des aléas des productions. Christian Merlhiot : La dimension de ce plateau est un élément de départ assez excitant. Certains des artistes du Pavillon n’auront peut-être jamais plus l’occasion de réinvestir un tel espace. Propos recueillis par Clarisse Bardiot, octobre 2012
Christian Merlhiot : Dans le projet réalisé avec Philippe Quesne, la réaction des artistes a été de dire : ce n’est pas possible de jouer dans cet espace de représentation, devant des gradins. Le premier geste a donc été de placer les spectateurs sur scène. Les artistes ne sont pas sortis de scène pour autant mais tout le monde était sur scène. Ils ont ressenti d’entrée de jeu la nécessité
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LES LES VISITEU VISITEU VISITEU -SES SES -SES DE DE l’art l’art Gisèle & Dominique Vienne Gonzalez-Foerster
L’une est artiste, l’autre chorégraphe. Mais au-delà de cette répartition trop simple des rôles, tout se mélange. Si Dominique Gonzalez-Foerster n’a cessé d’explorer le hors-champ de l’art, si elle a fait partie de cette vague des années 1990 qui a étiré le format et ouvert les portes de l’exposition, si elle s’est invitée sur scène en collaborant avec Bashung ou Christophe, de son côté Gisèle Vienne cosigne nombre de ses pièces avec l’écrivain américain Dennis Cooper et fait converger sur scène de multiples pratiques, de la performance à l’installation, du rock black metal aux arts de la marionnette. C’est donc autour de ces croisements des arts, du grand mix des pratiques artistiques que le dialogue s’établit.
Dominique Gonzalez-Foerster : Ton spectacle This Is How You Will Disappear, que j’ai vu à Avignon, est l’œuvre qui m’a le plus marquée en 2010. Par sa précision, sa beauté absolue. J’ai été aussi captivée qu’au cinéma, aussi absorbée que par un livre. Ça m’a fascinée. Gisèle Vienne : Je connais le travail de Dominique depuis mes 18 ans, ça fait partie de mon éducation. Et ce que j’ai vu dans son exposition Moment Ginza au Magasin de Grenoble en 1997, ou dans le parc public qu’elle a conçu également à Grenoble, au fond ce sont des mises en scène. Là, il y a un lien entre nous, dans cette limite que nous explorons entre l’exposition et le spectacle. Ou entre le spectacle et le musée. Vous n’êtes pas si nombreux, dans le champ de l’art, à savoir mettre en scène des sculptures, un espace.
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Dominique Gonzalez-Foerster : Et à mettre en scène des spectateurs ! Pendant des années, je n’ai pensé qu’à captiver des spectateurs. Mais j’ai mis très longtemps à me dire que c’est de la mise en scène. Quand j’ai été gardienne de musée un été, j’ai vu que le public ne restait pas plus de trois secondes devant une œuvre. Il fallait faire quelque chose : construire des pièges, imaginer des chambres… J’ai toujours été obsédée par la circulation des spectateurs. Cette expérience me vient de l’exposition, où le spectateur est très libre. C’est très beau, mais très difficile aussi ! Il se déplace à droite et à gauche, décide du temps qu’il va passer devant telle ou telle œuvre, discute en marchant, il est très dur à captiver. Au théâtre, c’est l’inverse : le spectateur est davantage prisonnier ; je cherche à explorer une voie intermédiaire. J’ai aussi une adoration pour la position du spectateur de cinéma ou de théâtre, tellement absorbé. Gisèle Vienne : Ce rapport au temps dans l’exposition m’angoisse ! Maintenant que je suis invitée à présenter une installation au Centre Pompidou, à Tarbes, puis à la Whitney Biennial à New York, je me demande comment gérer ce temps du spectateur, comment le faire entrer dans un autre temps. On vient d’écrire une pièce avec Dennis Cooper, destinée à être jouée dans un musée. C’est de l’antispectacle vivant, du spectacle mort parce qu’on répète cette pièce à l’identique et en boucle, comme éternellement. Pour Beaubourg, je travaille sur un enchaînement de quatre pièces dans l’espace du musée. Pour la première fois, je me confronte
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Les visiteuses de l’art
à la déambulation du visiteur d’exposition. J’essaie d’imaginer les mille manières qu’il aura de le traverser et je réfléchis à une mise en abyme du statut de l’objet. Dans mes spectacles, je travaille souvent avec des poupées à taille humaine, et ici elles seront tantôt un objet de décor, tantôt une sculpture. Cette variation de statut m’intéresse. Je pense qu’on pourrait appeler ça une exposition.
Pour vous, la collaboration entre les arts a-t-elle toujours été une évidence ou s’est-elle élaborée au fur et à mesure que vous sortiez de votre propre champ ? Dominique Gonzalez-Foerster : Ça a toujours été fondamental pour moi. C’était un fait que tout pouvait rentrer dans l’exposition : architecture, cinéma, mode, performances… Au départ, je ne savais pas si je voulais être artiste, actrice, écrivain, commissaire d’exposition, ça a toujours été assez perméable et ça le restera. Mais quand je vois comment Gisèle rassemble des artistes très différents pour concevoir ses spectacles, le tout construit autour d’une narration, c’est comme un group show parfait, qui résonne avec ce que j’ai fait au cours des années 1990 avec Philippe Parreno ou Pierre Huyghe. Gisèle Vienne : Pour moi aussi, il était évident que toutes ces choses circulent. Je n’ai jamais non plus été dans un champ artistique à part entière. Ma formation
la plus longue, c’était la musique, j’étais harpiste ; ensuite, je me suis retrouvée en philo, puis dans les arts de la marionnette, tout en me sentant très proche de l’art contemporain. Donc je ne me suis jamais sentie à un endroit chez moi, j’ai toujours été une sorte de visiteuse.
Ce qui vous différencie peut-être, c’est que chez Gisèle les arts convergent alors que toi, Dominique, tu es sortie du champ de l’art, collaborant avec Bashung, Christophe ou Balenciaga, au point de ne plus avoir de galerie, jusqu’à la dilution de ton propre travail. Tu as extraordinairement flouté ton statut d’artiste… Dominique Gonzalez-Foerster : Parce que ça me plaisait d’être dans cette zone limite ; j’aimais beaucoup qu’on me demande parfois si c’était vraiment encore de l’art. C’est quand la question se pose que ça devient passionnant. C’est pourquoi j’ai fui tout ce que je connaissais, et que j’ai cherché ailleurs. Plan d’évasion. Gisèle Vienne : Quand je commence à créer quelque chose, j’essaie toujours de l’imaginer autrement. Comme une photographie, un film ou un roman. J’ai été très marquée par le fait de jouer avec un orchestre des pièces de Webern. Chez ce
compositeur, une phrase musicale n’est pas jouée par un instrument, mais par un enchaînement, harpe puis violon puis violoncelle… Je pense l’écriture scénique de cette façon : le son, l’objet, le texte sont pour moi différents instruments, et une phrase scénique, ce n’est pas un acteur qui prononce une tirade, c’est un enchaînement, un corps qui tombe, un objet qui apparaît, un éclairage particulier… C’est cette accumulation d’indices qui constitue pour moi une phrase. Dominique Gonzalez-Foerster : Là, on est très proches parce qu’au début, quand je faisais des chambres, c’était toujours en ces termes : il y avait des indices, un espace, des images, des objets, des blancs et le spectateur devait reconstituer cet ensemble d’éléments disparates. Gisèle Vienne : Le propre de l’art scénique, c’est d’être complètement mêlé. Dans les années 2000, on me disait que je faisais des choses nouvelles, transdisciplinarité, pluridisciplinarité, mais j’étais sidérée : ça fait longtemps qu’on se réfère aux années 1910. C’est comme si cette aventure esthétique n’était pas encore digérée dans la culture du spectacle vivant. L’art contemporain a une plus grande conscience de l’histoire, alors que dans le spectacle vivant, il y a une sorte d’amnésie. Dominique Gonzalez-Foerster : Parce qu’il y a moins de textes, moins de théorie dans les arts vivants. Et pas tout l’appareil critique de l’art ou du cinéma. Gisèle Vienne : C’est une excuse facile. Il y a des textes, moins nombreux, c’est
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vrai. L’archive est plus problématique dans la danse. Il y a aussi un rapport différent au moment de la pièce, à sa réception immédiate, si bien qu’on n’en tient pas forcément la mémoire. Mais ça n’explique pas cette amnésie.
On a assisté ces trente dernières années à un essor de l’industrie culturelle. Comment répond-on à la demande et à la surproduction ? Gisèle Vienne : J’ai toujours essayé d’être intransigeante vis-à-vis de ces pressions extérieures et vis-à-vis de moi, car on ne peut pas tout faire, même si on en a envie. J’essaie aussi de maintenir les pièces en tournée. Un spectacle que j’ai fait il y a sept ans n’est pas périmé, ni moins intéressant qu’une pièce récente. Dominique Gonzalez-Foerster : Il y a bien longtemps que je n’en fais qu’à ma tête. Je n’ai jamais cédé à cette pression, j’ai passé des années sans faire une seule grande exposition, ça fait aussi partie de la responsabilité des artistes. On se définit autant par ce que l’on choisit de faire que par ce que l’on refuse.
L’art contemporain a lui aussi rejoint cette industrie culturelle, ce qui n’était pas le cas il y a quinze ans. Pensez-vous qu’il a moins
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Les visiteuses de l’art
bien résisté et qu’il a perdu de sa radicalité au profit de l’entertainment ? Dominique Gonzalez-Foerster : Je ne sais pas. La radicalité est rare, et c’est ce que je recherche. Mais on peut trouver ces points d’intensité dans des formats populaires comme dans des centres d’art. Alain Bashung ou Christophe sont à mes yeux des hyperartistes, qui peuvent introduire des choses extrêmement artistiques dans les formats de l’industrie culturelle, c’est pourquoi j’ai travaillé avec eux. Parfois je trouve le marché de l’art plus compliqué que l’industrie du disque. Mais je n’ai pas non plus de fascination pour l’entertainment, même si j’adorerais faire quelque chose à Broadway ! À l’inverse, je vois le fantasme que représente le musée pour des musiciens ou des cinéastes, et je trouve très beaux ces fantasmes croisés. Gisèle Vienne : Je n’ai rien contre l’entertainment, je trouve même cela nécessaire. Mais ce sont malgré tout des démarches très différentes. Pour un spectateur, le contrat n’est pas le même entre une pièce de boulevard et un spectacle de danse expérimental, un strip-tease et une danseuse contemporaine. Et même si ça peut se ressembler, on n’est quand même pas au même endroit. Dominique Gonzalez-Foerster : Et puis il y a des interzones, comme le cinéma d’Hitchcock, par exemple, dans lequel on peut entrer de plein de manières.
Par moments, on a l’impression que tout le monde fait de l’art contemporain. Il y a eu cette crise de l’art au milieu des années 1990, mais ensuite il a reconquis une forte visibilité : tout le monde semble vouloir en être…
biais. Je rêve que tous les étrangers au spectacle vivant viennent envahir les plateaux. Quitte à ce qu’il y ait énormément de ratages, ce serait normal. Mais il faudrait tous ces ratages pour faire bouger les choses. Propos recueillis par Jean-Max Colard «Les visiteuses de l’art», entretien réalisé par Jean-Max Colard, a été initialement publié in Les Inrockuptibles, n° 830, 26/10/2011
Dominique Gonzalez-Foerster : Pour moi, la beauté du champ de l’art, c’est d’être ouvert et, depuis que c’est mon terrain de jeux, j’y ai vu passer la danse, la mode, le cinéma. Ça ne m’a jamais irritée, mais peut-être que ça m’a poussée à en sortir encore davantage. Le champ de l’art visuel est un lieu très fertile où tout le monde peut rentrer. Je suis tellement allée chez les autres, j’aime tellement qu’on m’accueille dans l’architecture ou le cinéma que je pourrais difficilement m’énerver de voir quantité de gens s’inviter dans le champ de l’art ! Ce serait ridicule. Gisèle Vienne : Je trouve ça très sain. La danse est assez ouverte, on y croise pas mal d’ovnis, alors que dans le champ du théâtre, j’ai l’impression qu’il y a beaucoup plus de gens qui pensent savoir la vérité du théâtre, et ça m’angoisse. On peut se sentir perdus dans le champ de l’art contemporain, mais il vaut mieux se perdre que de penser détenir la vérité d’un champ. Ça m’enchante de voir des artistes comme Dominique investir les plateaux à nouveau et par d’autres
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UN UN UN ENTRE ENTRE- ENTRE DEUX DEUX DEUX FRAGILE FRAGILE FRAGILE AVEC les AVEC LES LES FANTÔMES FANTÔMES Christian Rizzo
En complicité avec Le Fresnoy, Studio national des arts contemporains et la Maison Folie/le manège.mons, le phénix propose d’ouvrir un laboratoire d’expérimentation destiné à de jeunes artistes venant de toutes disciplines, afin d’inscrire leurs recherches dans une réflexion collective appliquée aux enjeux de la création interdisciplinaire. Ce laboratoire, organisé en trois sessions de résidences d’octobre à décembre 2012, est confié au chorégraphe Christian Rizzo, auteur qui incarne une démarche ouverte aux arts visuels et sonores comme aux arts numériques. Parcours attentif à la pédagogie, cette initiative offre des conditions de réflexion et de recherche, des partages de compétences fondés sur l’instauration de dialogues progressifs. Suite à l’appel lancé en juillet 2012, 12 candidats français et belges ont été retenus : Jannick Guillou, Nicolas Devos, Pénélope Michel, Nicolas
Tourte, Samuel Buckman, Claude Cattelain, Aurélie et Pascal Baltazar, Laurence Vray, Viviana Moin, Amélie Poirier et Gaëtan Rusquet. C’est autour de la thématique du train fantôme que les 12 jeunes artistes sélectionnés poursuivent leur travail de recherche et de création. Ce dispositif est une initiative pilote de la Drac Nord-Pas de Calais.
Vous participez actuellement à une expérimentation organisée par le phénix scène nationale Valenciennes, Le Fresnoy, Studio national des arts contemporains, et le manège.mons autour d’un regroupement de plusieurs artistes venus d’horizons très différents. Comment se déroule ce projet ? Christian Rizzo : Je participe à ce laboratoire qui regroupe 12 artistes issus de différentes disciplines. C’est un temps de recherche où des démarches peuvent ou non se rencontrer. Aucune forme spécifique n’est imposée. Il s’agit
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davantage de travailler sur des rencontres, des écritures croisées. Ce projet n’est pas un workshop avec moi. Il s’assimile à un laboratoire, à de la recherche. Je suis comme un observateur éclairé, chacun des participants venant à Mons observer pendant quelques jours les pratiques des uns et des autres. Pour le moment, l’objectif est de décloisonner : à quel moment les frontières de chacune des pratiques des 12 artistes présents deviennent-elles perméables ? La rencontre ne se fait pas immédiatement et ce laboratoire commence tout juste. Il faut du temps avant que la phase préliminaire d’observation se transforme en une pratique, puis devienne mot et image.
Quelle est l’importance de la pédagogie et du croisement avec d’autres disciplines dans votre parcours ? Afin de remettre en jeu sa propre pratique, à certains moments de l’évolution du travail, la rencontre avec l’autre devient une nécessité. Ce que je pourrais nommer «écriture croisée», et qui traverse tous mes projets, est la tentative d’exploiter les multiples ressources que propose un champ scénique élargi plutôt que de s’accrocher à une pratique déterminée lorsqu’elle est nommée (parfois cataloguée) comme danse, musique, arts visuels… Je crois que tous ces champs fabriquent notre imaginaire et nous poussent à imaginer des «objets hybrides» tout comme il y a déjà quelques
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décennies «l’installation» a bouleversé le cloisonnement de certaines spécificités dans les arts visuels.
Quand vous créez, apportez-vous un univers, une démarche plastique, des références littéraires ou artistiques particulières ? Chaque création soulève des questions de perspective, de graphie, de conception spatiale. Je ne fais pas de différence entre les influences littéraires et plastiques, elles sont simplement présentes. Cependant, la danse a sa propre capacité à être plastique.
Comment envisagez-vous les installations que vous réalisez, comme IL – 120609 (réalisée en collaboration avec l’artiste taïwanais Iuan-Hau Chiang), en 2009, présentée lors de Panorama 11 au Fresnoy ou Fom 1 (2011) exposée lors des dix ans de City Sonics à Mons, en 2012 ? S’assimilent-elles à des ponctuations, à des articulations de la chorégraphie ? Les installations s’inscrivent dans une continuité. À chaque fois, il y a, bien sûr, un contexte et une production
différente. La première installation avec des films en 3D correspondait à mon envie de concevoir des images de synthèse. Précisément, cette installation, IL – 120609, m’a amené à réfléchir sur une nouvelle écriture, car les images de synthèse permettent de concevoir des mouvements dans un cadre mouvant qui peut se chorégraphier. De nouvelles possibilités chorégraphiques qui n’appartiennent qu’à l’image ou à l’image virtuelle sont ouvertes par cette technologie. Même si les deux installations sont radicalement différentes, l’enjeu de la disparition puis de l’apparition reste un point commun. L’installation au Fresnoy était pensée comme un environnement (avec des mannequins) qui pouvait accueillir d’autres films que les miens, comme un objet à mi-chemin entre la sculpture, le design et l’installation.
Dans Le Bénéfice du doute (2012) ainsi que dans certaines installations antérieures, vous utilisez les mannequins. Est-ce un élément important de votre parcours artistique ? Non, pas du tout. Je n’entretiens pas un rapport privilégié avec des choses, des thèmes ou des pratiques. J’ai utilisé des mannequins pour l’exposition consacrée à Christian Lacroix en 2007 (en confrontation avec des personnes réelles), pour une installation au Fresnoy (IL – 120609, en 2009), ou pour le spectacle Le Bénéfice du doute. Pour cette dernière
création, les mannequins s’assimilent à des doubles inertes qui observent la danse. Ils signifient un rapport à l’inanimé. Ils sont là comme des «signes starters» de possibles fictions et récits, quelque chose d’entièrement indéterminé.
Avec Le Bénéfice du doute, allez-vous vers l’épure ? L’enjeu scénographique est le vide. La scénographie est invisible, elle s’apparente à une modulation de l’espace entre les spectateurs en mouvement. La recherche consiste à trouver des écritures autour de la compression et de la dilatation de l’espace tout au long de la pièce.
Quels sont vos rapports aux objets ? Les considérez-vous comme des accessoires ou comme des sculptures ? Les objets ne sont pas des accessoires, je ne les ai jamais considérés comme tels. Dans un premier temps, l’objet m’a servi d’élément transitionnel pour aller vers l’autre, pour aller vers l’espace. La présence de l’objet sur scène avait un rôle bien précis : renforcer l’organicité des corps et, ce faisant, rappeler que le corps humain n’est pas un objet. Petit à petit, les objets sont devenus des éléments abstraits intégrés à la scénographie. Actuellement, les objets concrets ont presque complètement disparu de mes créations. L’important réside dans le fait de réunir sur scène des choses que seul l’esprit peut créer : des objets abstraits comme un cube, une sphère parfaite au regard d’un corps.
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Lorsqu’il y a une réunion parfaite, lorsqu’un corps humain, animal, évoque un angle droit, s’opère alors quelque chose de l’ordre de la beauté absolue.
Développez-vous un rapport particulier à la lumière ? Je collabore depuis plus de treize ans avec Caty Olive, nous sommes en permanence dans une écriture croisée à quatre mains. La lumière n’est pas là que pour éclairer. Elle a une fonction dramaturgique fondamentale. Concevoir, imaginer une lumière atmosphérique comme nous le faisons renvoie aux plasticiens qui travaillent la lumière comme un véritable matériau. Caty Olive réfléchit sur le volume lumineux, l’épaisseur de la matière lumineuse.
Et le paysage ? La forêt qui semble devenir atonale ? Je pense notamment au projet des trois films
Tourcoing – Taipei – Tokyo, dont l’exposition se déroulait dans le jardin de l’Institut français de Tokyo, en septembre 2011.
Cette création en images de synthèse, cosignée avec Iuan-Hau Chiang, résulte de problématiques croisées : mon œil s’est formé à la perspective, mais je me dirige de plus en plus vers un aplat lié à la peinture asiatique, alors que Iuan-Hau Chiang fait le chemin inverse.
80 Un entre-deux fragile avec les fantômes
Le paysage, la forêt étaient nos points de rencontre. Les trois films interrogent les paysages virtuels dans un paysage naturel. L’environnement naturel révèle le cadre, le rapport du corps (qu’il soit là ou pas) dans l’espace. Récemment, à Seattle, pour le projet Néo-Fiction (2012), avec Sophie Laly, le paysage est devenu une préoccupation centrale dans mon travail.
Dans plusieurs de vos créations, une impression demeure : on a le sentiment que vous voulez approfondir la notion de l’entre-deux. Le moment suspendu s’apparente à la respiration : entre deux choses, entre l’inspiration et l’expiration. C’est un micro-moment d’attente, crucial, car tout peut basculer. C’est l’instant où des signes de récit peuvent émerger. Cette faille entre deux choses, entre deux moments, ce suspens dans cette indétermination ouvrent des lignes de fuite vers de nouveaux récits.
Dans L’Oubli, toucher du bois (en 2010, à l’Opéra de Lille), la porte présente dans le décor jouait un rôle important. Est-ce encore une manifestation de l’entre-deux ? Mes portes sont entrouvertes. La porte sépare, mais elle n’est jamais fermée, elle est susceptible d’être ouverte à tout
moment par les personnes sur le plateau et par le public aussi. [Rires.] Souvent, des personnes me disent qu’elles ont besoin de clefs pour comprendre, mais dans mes créations, il n’y a pas de serrures aux portes.
Quelles sont les caractéristiques de votre écriture chorégraphique ? Mon écriture fonctionne par touches, par signes, par ellipses temporelles, autant de traits qui s’approchent des procédés cinématographiques, visuels et musicaux. Je perçois mon écriture comme poétique et musicale, elle se caractérise presque par une musicalité visuelle.
Vous évoquez souvent les fantômes dans vos entretiens ou dans les textes qui décrivent certaines de vos œuvres. Sentez-vous encore la présence de fantômes ? Oui, beaucoup, tous les jours de nouveaux. Je n’ai jamais poursuivi de fantômes, ils m’accompagnent. J’ai envie de films, d’opéras, de disques, mais il y a un temps autre entre le désir et la réalisation d’une forme. Propos recueillis par Cyril Thomas, octobre 2012
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Après le Après Après le le spectacle spectacle Jacquie Bablet
Photographies de Salves, chorégraphie de Maguy Marin, 2010
À
la fin du spectacle, après la sortie des spectateurs, et avant l’arrivée des techniciens, à la lueur des lumières de service, Jacquie Bablet photographie. Les danseurs ont quitté le plateau. Pourtant, la scène bruit encore de leurs mouvements, de leurs assauts, de leurs fuites. Dans le silence interstitiel, Jacquie Bablet saisit l’écho de ce qui a eu lieu, de ce qui a fini. Cette série de photographies, qui se poursuit aujourd’hui, a commencé avec Salves, une chorégraphie de Maguy Marin, réalisée en collaboration avec Denis Mariotte en 2010. Suite incessante d’images fulgurantes, de flashes visuels et sonores fracassants, Salves entraîne dans une course folle sept personnages. À la fois évocation et conjuration des catastrophes collectives du xxe siècle, du chaos
du monde, le spectacle ne cesse d’entrechoquer corps et objets, jusqu’à la scène finale où le banquet vire à la farce, avec bris de vaisselle, jets de peinture et atterrissage d’hélicoptère transportant une statue du Christ. Les instantanés de Jacquie Bablet donnent un autre statut à ces traces de la représentation, à ces rémanences des corps. Résurgences du spectacle, soulignant la dimension plastique des œuvres de Maguy Marin, ils fabriquent l’un après l’autre une installation éphémère, que seule la photographie permet non seulement de fixer, mais de donner à voir. Comme si résonnait visuellement le texte de Samuel Beckett qui ponctue May B (1981) : «Fini, c’est fini, ça va finir, ça va peut-être finir.» Clarisse Bardiot
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«ça «ça «ça mar- mar- mar chera chera chera jamais/ jamais/
vous allez vous allez vous allez au-devant de sérieux au-devant de sérieux au devant de sérieux problèmes» : problèmes»: : problèmes» deux deux contre- deux contre- contre exemples exemples Halory
Goerger
ESPÈCES D’ESPACES
Donner à voir des objets plastiques dans un espace théâtral n’a rien d’évident. Toute forme est-elle présentable au plateau, quand la nature même de ce dernier altère le pacte qui unit traditionnellement les spectateurs à l’œuvre ? Modifier les modalités de monstration, c’est parfois prendre le risque de rendre inintelligible le propos. S’il y a des règles, comment jouer avec ? On partagera ici une expérience qui s’appuie sur deux œuvres imaginées pour la scène par des plasticiens : une performance installée (&&&&& & &&&), et une installation vivante (France Distraction), créées par l’Amicale de production, structure associée au phénix scène nationale Valenciennes à partir de 2013.
La salle de théâtre, par son architecture, fabrique non pas un point de vue, mais autant de points de vue qu’il y a de places assises – ce qui forme l’expression d’un idéal de vision relativement ancien qui peut convenir à de très nombreuses formes, y compris le théâtre d’images le plus exigeant. Prenons les trois cas de figure les plus courants (et rappelons que certains lieux disposent parfois des trois) : • Type 1 : un espace vide et plat dans lequel il est possible d’installer ou de déplier un gradin. • Type 2 : un espace divisé en deux parties : une vide et plate entourée par trois murs, et une en pente équipée de sièges. • Type 3 : un espace vide et plat qui sert à autre chose mais qui peut se transformer en espace de type 1 au prix d’une série d’opérations qui font regretter de ne pas être dans un espace de type 2. • Type 4 : il n’y a pas de type 4, parce qu’on a encore un porte-avions nucléaire à entretenir, au lieu de garder 6 % du budget pour la culture. Chaque type est potentiellement adapté à toute proposition plastique, dans la mesure où ce travail y est intelligemment serti. Mais l’économie du spectacle vivant permet rarement de faire dans l’orfèvrerie, car ses acteurs y sont le plus souvent confrontés à des délais qui transforment les adaptations en bricolage d’urgence, particulièrement lorsque l’on s’appuie sur de la machinerie, de l’accroche ou de la lumière traditionnelle.
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En outre, tout ne s’adapte pas : si l’on voulait montrer strictement le travail de Felice Varini dans un théâtre à l’italienne, on serait bien en peine de le faire, sauf à admettre une jauge de un spectateur. Contraindre le corps du spectateur dans un gradin, en l’assignant à une place fixe, ne permet pas toujours d’obtenir la précision qu’offre un espace d’exposition, où il est possible de fabriquer un point de vue idéal pour chaque œuvre. À cet égard, l’inscription du travail plastique dans l’espace théâtral implique une logique de compromis. On s’intéressera donc à ces expériences de négociation pour ce qu’elles disent de notre capacité à
dompter la boîte noire lorsque l’on arrive avec son pot de peinture blanche.
&&&&& & &&& SCÉNOGRAPHIE Dans &&&&& & &&& (2007)1 nous avons construit un discours performatif à l’intérieur d’une installation qui se visite. Le public est invité à se présenter dans un créneau de quatre heures, pendant lesquelles deux acteurs jouent en boucle une performance de 35 minutes. Un gradin à double pente sépare et distribue deux espaces, l’un dédié
&&&&& & &&&, 2007.
«Ça marchera jamais/Vous allez au-devant de sérieux problèmes» : deux contre-exemples
&&&&& & &&&, 2007.
à la performance, l’autre aux installations. Le public circule librement et en permanence d’un espace à l’autre. Le parcours le plus fréquent du spectateur est : • 1° Il traverse rapidement les installations pour aller voir la performance. • 2° Une fois qu’il constate qu’il est en train de revoir ce qu’il a déjà vu, il part visiter les installations (soit environ 35 minutes après son arrivée). • 3° Il revient voir tel ou tel moment de la performance, éclairé par la connaissance des matériaux qu’il a collectés dans l’installation.
Au total, le spectateur reste environ une heure, soit une durée «classique» de spectacle. Ce mouvement d’aller-retour est fondateur dans l’expérience du spectateur, notamment parce que le public est lui-même générateur de contenu, un contenu transformé sur scène en direct. Pour profiter pleinement de la performance, il est donc dans l’intérêt du spectateur de participer et de circuler, ce qui légitime semble-t-il notre proposition scénographique : sans mouvement, il ne peut faire l’expérience que nous lui proposons.
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Pour l’implantation, les grands espaces sans gradin (type 1) nous permettent de recréer un espace à notre convenance. Dans un théâtre à l’italienne (type 2), nous sommes contraints à nous passer de l’assise du lieu, et à faire cohabiter les installations, la performance et le gradin sur le plateau, s’il est assez grand. Enfin dans des espaces atypiques (type 3), le travail d’adaptation est considérable et l’expérience du spectateur, susceptible d’être dénaturée.
perdu, nous avons dû éclater la narration en courtes séquences monovalentes et enchaînées. Quel que soit son point d’insert dans le dispositif, le spectateur peut «rentrer» dans la pièce, même si «son» début n’est pas celui de son voisin.
L’un des problèmes majeurs de ce système de monstration est de maintenir un flux de spectateurs constant, une entrée régulière qui permet d’éviter au gradin de se vider et de se remplir brusquement. Et cette ambition pose, nous l’avons découvert en cinq années d’exploitation, des questions triviales (de billetterie, de communication, de contrôle de jauge, etc.) mais aussi soulève des questions quasiment ésotériques : si le sentiment de communauté chez le spectateur souffre du va-et-vient constant, il apparaît aussi qu’il se nourrit de cette promiscuité bordélique et joyeuse.
Rapide typologie de ces installations :
ÉCRITURE Lorsque l’on défend au plateau une forme qui ne s’appuie pas sur un contrat classique, on peut être amené à devoir redoubler d’efforts pour adresser l’œuvre au spectateur. Dans &&&&& & &&&, nous jouons non pas pour un public constitué, mais pour un continuum de personnes, comme en théâtre de rue. Pour que le spectateur puisse prendre la performance à n’importe quel moment sans avoir le sentiment d’être
En outre, nous avons tenté de développer un discours plastique narratif : les installations distillent des informations qui complètent celles que nous donnons au plateau.
– Vidéos en boucle (dont le contenu a été pensé comme un continuum dès le départ). Exemple : trois pianistes jouent sans interruption, à six mains, un morceau sans fin. – Vidéos à la demande (appuyer sur un bouton pour déclencher la diffusion d’un message adressé au spectateur). Exemple : une caméra placée à un angle différent donne un point de vue éclairant sur une scène enregistrée sur le plateau. – Installations interactives nécessitant la participation du spectateur comme producteur de contenu. Exemple : ses réponses à un sondage sont exploitées sur le plateau sous forme de représentation graphique de l’opinion du public sur un sujet donné. – Textes de contextualisation. Exemple : une nouvelle d’anticipation à l’eau de rose éditée sous forme de livre sans fin, dont la forme narrative répond à celle que nous construisons au plateau. L’inscription de la narration dans l’espace
«Ça marchera jamais/Vous allez au-devant de sérieux problèmes» : deux contre-exemples
se fait dans un rythme différent de celui du plateau : celui du visiteur d’exposition. La cohabitation de ces deux rythmes génère de la complexité : les spectateurs de l’installation sont témoins auditifs de ce qui se passe dans la partie plateau, et les spectateurs assis dans le gradin peuvent entendre les réactions des spectateurs qui visitent les installations. La posture du spectateur est marquée par une attention double, à la fois spatiale et temporelle.
TECHNIQUES DE JEU Dans cette opération, les comédiens incarnent de nombreuses figures, lesquelles ne sont jamais des personnages, même si elles sont caractérisées. Nous alternons des techniques de jeu complètement différentes (poésie sonore, comédie, théâtre musical…) et des focalisations tour à tour internes ou externes. Si cette stratégie un peu curieuse est perturbante pour le comédien, elle permet une grande liberté d’écriture adaptée à la nature de nos recherches du moment sur le langage. L’énergie qui nous anime pendant quatre heures est celle de deux corps installés, investis par des logiques de permanence.
LIMITES Il est confortable de rationaliser cette expérience a posteriori, mais nous avons bien évidemment avancé à tâtons, en commettant de nombreuses erreurs. La pièce s’est stabilisée au fil des représentations. Nous avons dépensé une certaine énergie pour faire comprendre
le projet, et permettre son inscription dans le paysage théâtral contemporain. Nous avons pour ce faire dû lutter avec les impératifs de communication qui, parfois, rendent inaudible le discours artistique sous prétexte de le rendre plus intelligible. Lorsque la forme est complexe, il faut pouvoir déployer la pensée au-delà des 200 mots réglementaires. Nous avons dû assouplir les règles de présentation du travail. Aujourd’hui sauf exception, nous jouons trois heures et non quatre, pour qu’il soit possible de démonter dans la foulée. Il arrive que les spectateurs entrent par paquets, parce que des impératifs de billetterie compliquent notre idéal de renouvellement de jauge. En dépit de notre envie de jouer la pièce dans des espaces d’exposition, cela se révèle rarement possible pour des raisons techniques (pas de gril, pas de lumière, pas de matériel). Nous avons également construit une forme baptisée &, constituée d’une performance de 50 minutes, linéaire et frontale, sans les installations. Nous avons dû repenser totalement la pièce. Si & est un spectacle à part entière que nous jouons volontiers, elle ne déplace pas le regard du spectateur de la même façon.
FRANCE DISTRACTION Le regroupement d’artistes «France Distraction»2 a créé une œuvre éponyme qui consiste en un agrégat d’installations
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activées par cinq présences se relayant pour les rendre vivantes. Environ 450 mètres carrés dans un ou plusieurs espaces sont nécessaires. Nous expérimentons en ce moment même des stratégies pour donner une place juste à la dimension performative de ce travail majoritairement plastique. La dynamique de monstration y est semblable à celle de &&&&& & &&& : ouverture dans un créneau de quatre heures avec entrée en continu. Nous proposons ici un tour d’horizon des outils de dramaturgie spatiale que nous tentons de mettre en œuvre.
DÉDRAMATISER L’EXPÉRIENCE DE RÉCEPTION Dans la salle dite «des châteaux», un acteur lit sur scène un discours politique en suivant son texte sur un prompteur de type karaoké. Un autre acteur le relaie et le discours semble ne jamais s’achever. Le public qui pénètre dans l’espace est invité à le regarder, en s’asseyant dans un gradin mou géant, fait de trois énormes châteaux gonflables assemblés anarchiquement dans la pente du gradin. En rendant l’assise à la fois bruyante, débile et avachie, il est manifeste que l’on détermine un niveau d’attention à l’avenant. Nous obtenons du spectateur qu’il entre et sorte du gradin librement, sans que sa sortie soit un désaveu de la performance en cours. La communauté de spectateurs est constituée autour d’une attention flottante de groupe, laquelle supporte bien le va-et-vient puisque la nature même de l’assise semble le suggérer. Formellement, la «salle des
châteaux» est une installation mettant en scène un comédien, dont la stratégie d’énonciation combinée au dispositif de réception empêche la constitution d’une expérience purement théâtrale. Et c’est précisément notre but.
EN BOUCLE OU PAS Dans le cas de &&&&& & &&&, les comédiens ayant un statut de sculpture vivante, la nature bouclée des actions semble légitime. Leur cycle de jeu est inscrit dans la permanence et construit une boucle parfaite. De même, dans France Distraction, le discours politique de la salle des châteaux est prononcé en boucle pendant quatre heures. Là, l’opération fait sens – du moins nous l’espérons – parce que la vanité du geste renvoie à celle du discours. Il y a dans le texte une dimension épique, et chez l’orateur qui se bat – de dos – avec son prompteur, un côté Don Quichotte. Toute action ne gagne pas forcément à être présentée en boucle. Pensons un instant aux problèmes que pose traditionnellement la présentation de la vidéo dans l’espace de l’exposition : les pionniers de l’art vidéo ont immédiatement investi comme sujet la légitimité de la présence de leur travail dans ces espaces. En créant une temporalité dans un espace de l’intemporel, ils ont mis au jour un puits sans fond de questions – par ailleurs passionnantes. Leurs œuvres sont construites en prenant en compte ces conditions de monstration particulières. Aujourd’hui, lorsque l’on reconstruit de petits cinémas à l’intérieur d’un espace d’exposition, c’est une victoire au sens où
«Ça marchera jamais/Vous allez au-devant de sérieux problèmes» : deux contre-exemples
l’œuvre est présentée dans des conditions optiques optimales ; c’est un échec quand ces modalités de présentation forment une parenthèse dans le système général qui l’accueille. On aboutit à une situation où la vidéo n’a pas «gagné» sa place mais a imposé un régime d’exception, lequel n’est pas toujours la meilleure option. C’est aussi un échec si l’œuvre pâtit de ce traitement : certains travaux vidéo souffrent d’être pris en cours de route. Nous ne sommes pas forcément prêts à faire l’expérience de cette temporalité lorsque nous sommes «pris» par celle de l’exposition. D’une manière générale, il nous semble crucial de mettre en relation le discours plastique et son environnement, dans un
mouvement d’aller-retour où l’un comme l’autre peuvent être tordus à loisir. Si nous avons pu présenter France Distraction dans de telles conditions, c’est aussi parce que le lieu d’accueil nous a permis de disposer librement d’un espace théâtral pendant une durée suffisante pour expérimenter.
LES THERMES Les «thermes» sont une piscine à balles close, construite en bois, où, sur chaque balle, est gravée une citation (4 x 3 mètres, 80 phrases différentes, 23 000 balles, 80 % Marc Aurèle et 20 % Baltasar Graciàn). Les spectateurs sont regroupés par 20 de façon organique :
FRANCE DISTRACTION
IL SE N O C LE
OPEN SPACE
LE DISCOURS
6,3m
24m
AC
CU
EIL
LES RE
5m
POND
EURS
LES CHATEAUX
14m
6,5m
6m
LES THERMES
MACHINES A CAFE
LE STANDARD
14m
France Distraction, 2010-2012.
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ils entrent en continu jusqu’à ce que la jauge soit atteinte, et sortent quand ils le souhaitent de ce que nous avons appelé un «spa zarbi de la pensée». Un intervenant vient dispenser à intervalles réguliers une leçon de philosophie morale aux spectateurs immergés. Sa présence est courte (15 minutes), régulière (deux fois par heure) et annoncée. Il est possible de ne pas y assister. Le spectateur qui n’a pas pu entrer reviendra à l’heure dite en patientant dans une autre installation. C’est un rapport quasi forain à l’œuvre. Ici, l’apport du vivant tient à sa capacité à activer l’œuvre, à développer son potentiel. Si, après un temps d’immersion ludique et innocent, vient – en principe – un temps de lecture des balles, il arrive que certains spectateurs passent totalement à côté de la dimension philosophique. L’intervention que nous proposons permet en théorie de créer des conditions d’attention suffisantes pour qu’un groupe de spectateurs s’empare de la situation et entre dans un moment d’étude. Il est bien évident que cela n’est qu’un vœu pieux et les batailles rangées sont légion.
OPEN SPACE Dans «l’open space», un décor glauque de bureaux vides et de cafétéria d’entreprise accueille les spectateurs invités à interagir avec de petites installations. À l’entrée, deux standardistes jouent en boucle une musique d’attente au synthétiseur, que des téléphones disposés
sur les bureaux diffusent pour le spectateur curieux. La seule présence performative est mise à distance. Ce qui est – somme toute – un concert a lieu en boucle, et sans fin, parce que c’est inscrit dans sa logique interne. «L’open space» est animé par un cycle mêlant évènements lumières, sonores et machinerie. Une énorme masse de câbles issue d’un puisard noirâtre s’élève dans les cintres tandis que des radiateurs diffusent une musique abstraite. Des ordinateurs affichent des diaporamas de photos d’espaces multimédias vides. Des imprimantes crachent à intervalles réguliers des dessins que l’on peut emporter. Ce cycle d’événements institue l’espace comme lieu de représentation, vide de toute présence performative, peuplé par les spectateurs assis aux bureaux, ou flânant dans la cafétéria.
LIMITES ET MASSE CRITIQUE Dès lors qu’une certaine masse critique est atteinte, le spectateur parvient à l’état de disponibilité dans lequel nous cherchons à le placer, quelque part entre visiter une exposition et traîner dans une fête gentiment ratée. Pour parvenir à un niveau de fréquentation suffisant pour que l’opération fonctionne, il faut inscrire le travail dans une logique plus complexe que la simple programmation d’une forme dans un créneau temporel et spatial. Pour ce faire,
«Ça marchera jamais/Vous allez au-devant de sérieux problèmes» : deux contre-exemples
il faut intervenir au plus tôt et réfléchir à l’élaboration avec le lieu d’accueil, ce qui implique une logistique importante. L’installation est grande, lourde, son temps de montage est pour l’instant important. Pour des raisons économiques, nous avons dû renoncer à la participation d’artistes invités et de figurants, qui étaient venus densifier le discours performatif dans les précédentes éditions. Nous parvenons à montrer les pièces de façon séparée. Monter l’opération complète demande une énergie considérable. ****** Le plasticien, la musicienne, le metteur en scène ou la dresseuse d’ours, lorsqu’ils sont confrontés aux espaces théâtraux, cessent d’être déterminés par leur pratique, et deviennent des usagers, comme on disait avant à la SNCF. Dans une salle de théâtre, nous sommes tous des usagers, unis par les problèmes auxquels nous faisons face dès que nous mettons un pied sur le plateau. Un théâtre, c’est un public formé et informé ainsi que des usages de fréquentation du lieu qui rendent les temporalités expérimentales plus difficiles à aborder. La communauté des spectateurs est instituée par des rituels puissants (billetterie, entrée public, rideau, noir salle, etc.). Lutter contre cela, c’est allumer des contre-feux, créer de la complexité, voire de fausses pistes. Remettre en question cette communauté, la bousculer, est primordial pour faire place nette. C’est aussi prendre le risque de la dissoudre,
ou pire, de l’unir autour de la détestation de l’œuvre. Il nous faut donc entamer un processus d’ostéopathie du regard du spectateur et le malaxer jusqu’à le rendre disponible pour toute forme d’expérience, à toute heure, dans tout lieu et dans tout espace. Pour ce faire, il nous faut communiquer mieux, inventer des situations, repenser la notion d’accueil du public. La malédiction du théâtre tient à ce qu’il est souvent un espace bien équipé, qui permet de monter des opérations plastiques d’une grande complexité technique – au risque d’en formater la mise en espace en les inféodant à des usages caducs ou hors sujet. Sans renoncer aux joies de cette complexité, il nous faut braconner3 dans ces terres théâtrales, avec une certaine innocence. Cet article a été nourri par des discussions avec Mylène Benoit et les autres membres de France Distraction (Belinda Annaloro, Antoine Defoort, Julien Fournet, Sébastien Vial).
1. &&&&& & &&& (Conception & interprétation : Antoine Defoort & Halory Goerger. 2007).
2. France Distraction (France Distraction / Belinda Annaloro, Antoine Defoort, Julien Fournet, Halory Goerger, Sébastien Vial, 2010-2012)
3. Comme disait joliment Michel de Certeau.
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mar marMAR cel cel cel du du- du champ champ Guillaume & Frédéric Désanges Cherbœuf
Marcel Duchamp est certainement la figure majeure de l’art au xxe siècle. Son influence sur la création contemporaine reste prodigieuse. Considéré comme le précurseur de tout ce qui fonde la modernité artistique : l’art conceptuel, la performance, l’art cinétique, le pop art, l’installation… On ne compte plus les millions de pages qui sont consacrées à son travail, sans que jamais les commentaires et les interprétations parviennent à épuiser la signification de l’œuvre. De fait, l’œuvre de Duchamp reste un mystère, opérant comme un écran de projection de tous les fantasmes et toutes les spéculations.
Dès lors, une question se pose : comment un homme peut-il à lui seul endosser la responsabilité de tant d’enjeux ? Comment un artiste dont on connaît bien la biographie, qui a lui-même laissé de nombreux commentaires et discours sur son travail, continue-t-il de susciter une telle fascination ? Pourtant, l’œuvre et l’artiste restent mal connus du grand public. À la fois projet théâtral et curatorial, ce spectacle aura pour moteurs la fascination et l’admiration. À partir de recherches précises et subjectives de faits, anecdotes mais aussi concepts et idées, l’idée est de partager avec le public cette magie de la sphère duchampienne. Notre intention : transformer en performance, en images, en texte, en sons et en exercices chorégraphiques la complexité de cette œuvre fondatrice et énigmatique ; sans prétendre imaginer un spectacle définitif, car il ne peut exister de lecture close de l’œuvre. Marcel Duchamp, par le biais du théâtre, sera tour à tour incarné, évoqué, invoqué et convoqué.
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Extraits du tableau Excel de Guillaume Désanges et Frédéric Cherbœuf. Ce tableau est le document principal utilisé par les concepteurs pour l'élaboration du spectacle.
Extraits du tableau Excel de Guillaume Désanges et Frédéric Cherbœuf. Ce tableau est le document principal utilisé par les concepteurs pour l'élaboration du spectacle.
INVIINVI- INVI TER à TER à ter à l’écou l’écou l’écou -te te Benjamin Dupé
Vous êtes compositeur associé au phénix à partir de la saison 2012-2013. Comment envisagez-vous cette collaboration dans le cadre d’une institution avant tout consacrée au théâtre ? Musicien et compositeur, Benjamin Dupé met en scène dans ses spectacles des invitations à l’écoute, comme en témoignent ses deux dernières créations : Comme je l’entends (2009) est une «performance auto bio scénique» qui se joue avec humour des préjugés liés à la musique contemporaine, en invitant les voix enregistrées de spectateurs novices ; Fantôme, un léger roulement, et sur la peau tendue qu’est notre tympan (2012) est une expérience sensorielle et mémorielle jouée par des automates pour quelques spectateurs. D’un spectacle à l’autre, un parcours de l’écoute se dessine en filigrane, en dehors des sentiers battus de la forme concertiste traditionnelle.
C’est assez naturel. Je ne considère pas les outils à ma disposition comme uniquement réduits à des matériaux sonores : tous les matériaux expressifs ont un potentiel musical. Il ne s’agit pas de travailler en illustrant la musique, mais de trouver ce qu’il y a de musical dans l’apparition d’une image, le mouvement d’un corps, la narration, le mot… De ce point de vue, la majorité de mes pièces a une dimension qui dépasse le simple cadre du concert et interroge la représentation de la musique. J’essaye toujours de proposer une relation particulière entre l’auditeur et le discours musical, entre l’auditeur et le phénomène sonore. Souvent, cela passe par l’invention de formes qui ne sont pas le concert traditionnel. L’une de ces formes est le spectacle vivant.
Envisagez-vous des collaborations avec d’autres chorégraphes, ou metteurs en scène, de la même manière que vous aviez travaillé précédemment
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avec des artistes tels que Declan Donnellan et Thierry Thieû Niang ?
s’élabore, dont la danse se construit. C’est une interrogation perpétuelle sur ce qu’est le phénomène musical, sur la place de la musique dans notre société.
Je déteste travailler seul. J’ai besoin d’échanger, d’où l’importance d’être en résidence dans un lieu, afin de favoriser les rencontres en vue de futures collaborations. Concernant les projets que je vais développer au phénix, j’en serai le directeur artistique. J’assumerai notamment les questions de mise en scène et de dramaturgie. Dans le cadre d’une carte blanche, j’inviterai un certain nombre d’artistes, y compris issus d’autres disciplines, comme des danseurs, des auteurs, des musiciens des musiques actuelles… Nous allons essayer de construire une programmation qui mette en avant les croisements.
Pourquoi est-il important de solliciter l’écoute du spectateur, et comment en rendre compte dans un spectacle ?
Qu’apportent ces échanges avec la littérature ou la danse par rapport à votre pratique de compositeur ou d’interprète ? Lorsque je travaille sur un projet avec de la danse, ou avec un metteur en scène qui a la responsabilité artistique du projet – et c’est plutôt une exception, en général je dirige aussi mes projets sur le plan théâtral – mon écriture musicale est identique. Souvent, les gens me choisissent souvent parce que je ne fais pas de la musique de scène. J’apporte mon écriture dans la globalité d’un projet, ce qui implique des discussions y compris sur la manière dont le théâtre
106 Inviter à l’écoute
La conquête de l’ubiquité
L’écoute, c’est aujourd’hui l’endroit de l’écriture. Ayant une formation de musicien classique, je suis très au fait de toute l’histoire de la musique, à la fois classique et contemporaine – dans le sens musique savante occidentale. Une piste intéressante est de travailler sur l’écoute, c’est-à-dire sur le vivant. Comment une personne qui écoute de la musique est-elle aussi en train de la créer, de l’interpréter ? Comment jouer avec la bascule de ses sensations, la troubler, la perdre, susciter sa mémoire ? Selon moi, c’est plus intéressant que d’échafauder une musique nouvelle, sur des procédés mathématiques par exemple. Tous ces courants issus de la seconde moitié du xxe siècle ont évidemment leur intérêt, mais ils ont déconstruit l’idée d’une musique sensible. La représentation du monde a changé, tout comme la manière dont on est capable – ou non – d’écouter le monde. Le phénomène musical a lieu lorsqu’il y a écoute de quelque chose. L’endroit de l’écoute est mon endroit de l’écriture, là où je démultiplie des projets, des expérimentations, y compris les archétypes musicaux qui jouent là-dessus : le trouble, l’imperceptible, le dérangeant, le seuil de la douleur,
le vestige d’une musique que l’on peut reconnaître… C’est aussi très concret d’un point de vue technique et musical. En tant que spectateur de musique contemporaine, je suis convaincu qu’il faut inventer des situations qui favorisent l’écoute. L’écoute est une chose difficile. Si l’on me place à 15 mètres d’un quatuor qui interprète la dernière création pour quatuor à cordes et dispositif électronique, je ne suis pas certain de me sentir concerné. J’ai envie d’inventer à cet endroit-là.
La question du spectateur est absolument essentielle dans Comme je l’entends. Dans ce spectacle, vous allez à la rencontre des auditeurs, lesquels vous livrent leur propre perception de la musique contemporaine. Le point de départ de Comme je l’entends est la création d’un solo, abordé de la manière dont on procède en théâtre ou en danse, c’est-à-dire en se mettant en danger soi-même, comme personne, comme être social, comme citoyen. Depuis des années, à côté de mon travail, des études au conservatoire, au sein du petit milieu dans lequel j’évolue professionnellement puis dans mes projets, il y avait un hiatus : je n’étais jamais très à l’aise pour parler à des gens rencontrés au hasard de ma musique. J’appréhende toujours de répondre à des questions telles que : «Et vous, vous faites quoi ?», «Quel sens cela a-t-il de se dévouer encore à cette activité aujourd’hui ?», «Est-ce vain, cela peut-il
toucher ?» Avec Comme je l’entends, j’ai mis les pieds dans le plat, en faisant écouter à des gens de la musique contemporaine et en enregistrant leurs réactions. J’ai réutilisé ces éléments comme matériau dramaturgique et musical.
L’un des fils rouges de vos projets est l’invention de formes distinctes du concert traditionnel. Comme je l’entends peut être considéré comme une installation habitée. Avez-vous imaginé faire une installation sonore de ce dispositif ? Ce type de réflexion a conduit au spectacle suivant : Fantôme, un léger roulement, et sur la peau tendue qu’est notre tympan. Je ne suis pas un spécialiste de l’installation dans les arts plastiques, ce qui rend mon positionnement difficile. Comme je l’entends est très lié au spectacle vivant : il y a une complicité énorme entre le public, disposé en arc de cercle, et moi-même, qui interprète le spectacle. Ces voix qui existent autour de moi seraient la partie installation. Cependant, il y a un jeu triangulaire qui s’établit, avec les spectateurs qui observent mes réactions vis-à-vis de ces voix. Elles sont comme la conscience globale des spectateurs : un processus de déconstruction de l’écoute, de mise en écoute, de mise en abyme de la musique qui s’apparente à un trajet pour le spectateur afin d’aboutir à une pièce
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pour guitare électrique et électronique d’une durée de 18 minutes. Ce spectacle est une mise en condition à l’écoute de la musique. Pour revenir à cette idée d’installation, proposer à un petit groupe de spectateurs privilégiés un état, à la fois de corps, de conscience, de perception qui ne soit pas celui du quotidien m’intéresse particulièrement. Tous les détails qui influent sur cet état sont importants : le confort de l’assise, la lumière, la couleur… C’est un peu contradictoire : je souhaite que l’auditeur construise le plus possible par lui-même son imaginaire – même si c’est un terme galvaudé ; en même temps, en tant que musicien, que compositeur, j’éprouve le besoin de construire une dramaturgie, que le spectateur parte d’un endroit, qu’il traverse des mouvements, des tensions. Fantôme, un léger roulement, et sur la peau tendue qu’est notre tympan est très organisée temporellement. Ce n’est pas une installation sonore construite en boucle, et dans laquelle les spectateurs peuvent déambuler librement. Ces derniers ne sont pas mobiles, ils sont fixes et suivent une histoire, une réminiscence du mythe d’Orphée et Eurydice.
Ce parcours sur l’intimité et sur l’écoute trouve-t-il dans Fantôme… un point d’aboutissement ? C’est une ligne qui aboutit aussi à la disparition du musicien ! Cela n’a pas été une mince affaire de réaliser une pièce
Inviter à l’écoute
uniquement jouée par de petites machines qui bougent toutes seules. On a dû développer de nombreuses ressources artistiques et technologiques. Le projet est de réutiliser au moins en partie cet instrumentarium et les techniques musicales qui lui sont liées pour investir des lieux de vie, les scénographier et les musicaliser, en injectant dans la trame musicale des traces du quotidien de ce lieu. Pour le moment, c’est une idée sur le papier.
Quelles seraient pour vous les conditions d’une bonne écoute ? La proximité est-elle un élément important ? Oui, mais peut-être par défaut. Lorsqu’on connaît les conditions de production des artistes contemporains, le fait de se retrouver dans une forme d’intimité, presque les yeux dans les yeux, les oreilles dans les oreilles, est un élément qui s’impose. Cela ne veut pas dire qu’il n’y aurait pas de sens, du moins pour ce qui me concerne, à développer des projets de plus grande ampleur. J’aimerais par exemple faire une création pour un public nombreux dans un panorama naturel. C’est une question d’échelle de moyen qui fait que l’on travaille dans l’intime. Par contre, les entre-deux ne fonctionnent pas. Pour reprendre mon exemple, le quatuor à cordes avec électronique à 15 mètres de distance ne me touche pas beaucoup. Le grand orchestre, ou encore les spectacles de Heiner Goebbels, fonctionnent notamment grâce à l’ampleur scénographique. Le lieu où l’on entre en relation avec la musique est
une question capitale. Le chemin esthétique parcouru à un moment donné détermine cela. Comme je l’entends et Fantôme… sont dans une esthétique qui travaille sur la douceur, l’effleuré, le grain, des matières assez fines… Un rapport intime avec le public se crée. Au contraire, en 2008, j’avais créé, à la demande du GRM, une pièce pour guitare électrique et 60 haut-parleurs (Duende eléctrico) plus «démonstrative», «performative», présentée devant un public de plusieurs centaines de spectateurs à Radio France, dans une salle à l’italienne.
L’éclairage, la scénographie sont des éléments importants dans vos spectacles. Vous citiez Heiner Goebbels, qui est à la fois compositeur et metteur en scène. Est-ce une référence importante pour vous ? Il est toujours difficile de parler de modèles. Les œuvres d’Heiner Goebbels ont participé de ma formation. En même temps, il n’y a rien de paralysant, car on ne travaille pas exactement au même endroit. Par exemple, il ose emprunter des musiques à d’autres compositeurs. Pour l’instant – c’est peutêtre aussi une question de jeunesse –, je ne me sens pas autorisé à utiliser la puissance de Bach ou de Stravinsky au service de mes spectacles. Peu de figures musicales investissent le plateau, à part Aperghis, Goebbels et quelques autres. Ma culture ne vient pas spécialement de la mise en scène «à la Heiner Goebbels». J’ai croisé
par hasard le théâtre (et pas de la manière la plus avant-gardiste qui soit) lors de mes études au conservatoire, en jouant pour un spectacle. Même si cela n’était pas très inventif, pour des gens comme moi qui étaient en formation de musique classique, c’était beaucoup plus riche, beaucoup plus risqué qu’un concert. Par la suite, je me suis pris de passion pour le théâtre et la danse contemporaine. En réalité, je vois davantage de pièces théâtrales et chorégraphiques que de concerts.
Quels sont vos prochains projets ? Je souhaite travailler à partir de La Haine de la musique de Pascal Quignard (Calmann-Lévy, 1996). Cela devrait être une forme moins intime, qui investit le plateau de manière plus frontale. Le projet est de réaliser une pièce pour un ensemble instrumental et un récitant, toujours dans cette idée de mise en abyme de l’écoute, dont Pascal Quignard parle superbement. La pièce est prévue pour l’automne 2014. Propos recueillis par Clarisse Bardiot, novembre 2012
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Biographies Jacquie Bablet Jacquie Bablet est photographe et réalisatrice. De 1980 à 2001, elle a été membre du Laboratoire de recherches sur les arts du spectacle au CNRS. S’intéressant au processus de la création théâtrale, elle a notamment suivi les mises en scène de Svoboda, Vitez, Mnouchkine, Ulusoy, Langhoff, Tanguy, Régy, Peyret, etc. et plus particulièrement celles de Kantor, qu’elle a accompagné en répétitions et en tournées. Avec Denis Bablet, elle a coréalisé le film Le Théâtre de Tadeusz Kantor en 1985. Jacquie Bablet publie régulièrement des photographies dans des ouvrages sur le théâtre et les arts plastiques. Elle a réalisé plusieurs expositions personnelles sur Tadeusz Kantor en France et à l’étranger.
Clarisse Bardiot Titulaire d’un doctorat sur Les théâtres virtuels, Clarisse Bardiot est chercheur associé au CNRS et maître de conférences. Elle obtient en 2005 la bourse de chercheur résident de la Fondation Daniel-Langlois. De 2009 à 2010, en tant que directrice adjointe du manège.mons/CECN (Belgique), elle coordonne deux projets européens (CECN2 et Transdigital), conduit de nombreux projets de formations et de résidences d’artistes autour des arts de la scène et des technologies, et est rédactrice en chef de la revue Patch. Membre du collectif Nunc, elle crée en 2011 les éditions Subjectile.
Pierre Bal-Blanc Pierre Bal-Blanc est directeur du Centre d’art contemporain de Brétigny où il développe depuis 2003 le «Projet Phalanstère», une composition permanente d’œuvres spécifiques réalisées en parallèle au programme d’exposition temporaire. Il est commissaire de plusieurs expositions, en France et à l’étranger, aux occurrences et variations multiples :
Frédéric Cherbœuf
La Monnaie vivante – The Living Currency (2006-2010), The Death of the Audience (2009) Reversibility (2008-2012), Draft Score For An Exhibition (2011-2012). Pierre Bal-Blanc est co-commissaire de l’exposition Cornelius Cardew and the Freedom of Listening (2009-2010) et Anarchism Without Adjectives: on the Work of Christopher D’Arcangelo, 1975-1979 (2011-2012).
Comédien et metteur en scène, Frédéric Cherbœuf entre en 1993 à l’école du théâtre national de Strasbourg. Il est interprète pour le théâtre (Jean-Marie Villégier, Catherine Delattres, Adel Hakim, Stuart Seide, Daniel Mesguich…), le cinéma et la télévision (Cédric Kahn et Benoît Jacquot entre autres). Parallèlement, il écrit pour le théâtre, notamment Too Much Fight, créé en 2008 par Sophie Lecarpentier, avec laquelle il collabore régulièrement. En 2011, il met en scène Les Amnésiques n’ont rien vécu d’inoubliable d’Hervé Le Tellier au théâtre du Lucernaire à Paris.
Claire Bishop
Romaric Daurier
Claire Bishop est maître de conférences en histoire de l’art au CUNY Graduate Center à New York. Elle a publié Installation Art: A Critical History (Tate, 2005), et dirigé une anthologie sur l’histoire de la participation dans les pratiques artistiques depuis les années 1950 (Participation, Whitechapel and MIT Press, 2006). En 2008, elle a été co-commissaire de l’exposition Double Agent à l’ICA (Londres). Elle contribue à des revues consacrées à l’art contemporain, dont Artforum, October et e-flux. Son dernier ouvrage, Artificial Hells, vient de paraître aux éditions Verso.
Boris Charmatz Danseur et chorégraphe, Boris Charmatz a signé une série de pièces qui ont fait date, d’Aatt enen tionon (1996) à enfant (2011). En parallèle, il poursuit ses activités d’interprète et d’improvisateur notamment avec Médéric Collignon. Directeur du Centre chorégraphique national de Rennes et de Bretagne depuis janvier 2009, il propose de le transformer en un Musée de la danse d’un genre nouveau. Il cosigne avec Isabelle Launay Entretenir/à propos d’une danse contemporaine (Centre national de la danse/Les presses du réel, 2003), puis signe Je suis une école aux éditions Les Prairies Ordinaires. Boris Charmatz a été l’artiste associé de la 65e édition du Festival d’Avignon.
Romaric Daurier est directeur du phénix scène nationale Valenciennes depuis 2009, où il développe un projet fondé sur l’ouverture et l’innovation. Après des études littéraires et une activité de critique, il devient directeur et commissaire d’exposition pour l’Espace Gantner en 1999, puis secrétaire général de la Maison de la culture de Grenoble en 2002 et de Bonlieu – scène nationale d’Annecy en 2004. S’intéressant particulièrement à l’économie et à la gestion des organisations, il est titulaire d’un Executive MBA de Sup de Co Lyon.
Guillaume Désanges Guillaume Désanges est critique d’art et commissaire d’exposition. Il dirige Work Method, structure indépendante de production, et contribue à plusieurs revues (Trouble, Exit Express, Exit Book). Il a coordonné les activités artistiques des Laboratoires d’Aubervilliers de 2001 à 2007, et organisé plusieurs expositions (notamment pour la Villa Arson, le musée Patio Herreriano, le Centre Pompidou-Metz). Guillaume Désanges a développé plusieurs projets curatoriaux de types performatifs dont Une histoire de la performance en 20 minutes. De 2009 à 2011, il a été commissaire invité au Plateau – Frac Île-de-France.
Benjamin Dupé Benjamin Dupé est guitariste et compositeur. À l’issue de ses études au Conservatoire national supérieur de musique de Paris, il se consacre à la création musicale : écriture instrumentale et électroacoustique, improvisation et performance, réalisation et programmation de dispositifs technologiques… Sa proximité avec le monde du spectacle vivant contemporain l’aide par ailleurs à interroger la représentation de la musique et à inventer des formes distinctes du concert traditionnel. De 2012 à 2014, Benjamin Dupé est compositeur associé au phénix scène nationale Valenciennes.
Halory Goerger Halory Goerger conçoit des spectacles et des installations au lieu de construire des maisons ou de réparer des animaux, parce que c’est mieux comme ça pour tout le monde. Il travaille sur l’histoire des idées, parce que tout était déjà pris quand il est arrivé. Dans ses opérations, l’indigence absolue flirte avec la rigueur formelle, dans un rapport détendu aux pratiques artistiques, et avec le souci d’en sortir vivant. Il partage ses activités entre un travail solo/duo/collectif, et la codirection artistique de l’Amicale de production (Lille/Bruxelles), associée au phénix scène nationale Valenciennes à partir de 2013. Dominique
Gonzalez-Foerster Après des études à l’école des beauxarts de Grenoble, Dominique GonzalezFoerster réalise ses premières Chambres, des environnements rappelant les espaces intimes d’un appartement. Ses installations (Intérieurs, Stedelijk Museum, 1994 ; Une chambre en ville et Shadow II, ARC – musée d’Art moderne, 1996 et 1998) recréent des espaces à partir d’impressions et de sensations. Parallèlement, elle développe une œuvre cinématographique, dont Île de Beauté (1996, avec Ange Leccia). Dominique Gonzalez-Foerster a été désignée lauréate du prix MarcelDuchamp 2002. Son travail a fait l’objet de plusieurs expositions personnelles,
en particulier au Dia Art Foundation, à la Tate Modern et au musée d’Art moderne de la Ville de Paris.
Rémy Héritier Rémy Héritier est danseur et chorégraphe. Depuis 1999, il est l’interprète de nombreux chorégraphes, dont Latifa Laâbissi, Mathilde Monnier et Loïc Touzé. Depuis 2005, il crée ses propres chorégraphies, présentées en France et à l’étranger, dont La Jeune fille à la bombe (en collaboration avec l’écrivain Christophe Fiat, 2007), Chevreuil (2009), Une étendue (2011). Artiste associé aux Laboratoires d’Aubervilliers de 2008 à 2009, Rémy Héritier développe depuis 2002 des projets de recherche qui réunissent différents artistes. Il enseigne régulièrement dans de nombreux lieux tels que le Tanzquartier Wien, l’Arsenic à Lausanne, EXERCE à Montpellier.
pointligneplan et responsable pédagogique du Pavillon Neuflize OBC, laboratoire de création du Palais de Tokyo. Christian Merlhiot a séjourné à la Villa Kujoyama en 2011 pour y tourner son nouveau film, Slow Life.
Dorota Sajewska Dorota Sajewska est dramaturge, codirectrice du festival de théâtre international Warszawa Centralna et enseignante à l’université de Varsovie. Elle a notamment publié Degenerated Plays. Disease/Identity/Drama en 2005 et Under Occupation of Media en 2012. Elle a aussi traduit depuis l’allemand de nombreuses pièces de théâtre et écrits sur les arts de la scène, dont l’ouvrage de Hans-Thies Lehmann sur le théâtre postdramatique. De 2008 à 2012, elle a été adjointe du directeur artistique et dramaturge principale du Théâtre Dramatyczny de Varsovie.
Ange Leccia
Cyril Thomas
Après des études en arts plastiques, Ange Leccia utilise le 16 mm pour son premier film, Stridura (1980), et engage une réflexion sur les images de télévision avec TV + (1979). De 1981 à 1983, il est pensionnaire à la Villa Médicis. Parallèlement, Ange Leccia développe ses arrangements, installations minimales qui revisitent le ready-made comme en atteste Séance, sa première exposition à l’ARC en 1985. Il expose dans de nombreuses institutions internationales. Depuis 2000, il dirige le Pavillon Neuflize OBC, laboratoire de création du Palais de Tokyo à Paris. En 2009, il réalise son premier long métrage de fiction, Nuit bleue.
Cyril Thomas est commissaire d’expositions et critique d’art. En 2012, il réalise une exposition collective avec neuf artistes et sept écrivains à la galerie de Roussan (Paris) et participe au projet Situation(s) au Mac/Val. Il travaille sur les nouvelles approches du commissariat et sur les nouvelles formes de publications électroniques. Il collabore également à diverses revues sur papier ou sur Internet, notamment Monstre, Scènes et Poptronics.fr.
Christian Merlhiot Christian Merlhiot a suivi des études à l’école nationale des beaux-arts de Bourges. En 1995, il est pensionnaire à la Villa Médicis, et réalise son premier long métrage, Les Semeurs de peste (2003) suivi de Silenzio (2006), Des Indes à la planète Mars (2008) et Le Procès d’Oscar Wilde (2010). Christian Merlhiot a enseigné le cinéma et la vidéo dans des écoles d’art, notamment à Angoulême, Nancy et Bourges. Il est l’un des membres fondateurs de
GisÈle Vienne Gisèle Vienne est chorégraphe-metteur en scène, interprète et plasticienne. Après des études de philosophie, elle suit, de 1996 à 1999, l’enseignement de l’École supérieure nationale des arts de la marionnette. Pour l’élaboration de ses pièces, elle collabore notamment avec Étienne Bideau-Rey à Splendid’s, de Jean Genet (2000), Showroomdummies (2001), Stéréotypie (2003), Tranen Veinzen (2004), et, avec l’écrivain américain Dennis Cooper, à I Apologize (2004), Une belle enfant blonde (2005), Kindertotenlieder (2007), Jerk (2008). Lauréate de la bourse Villa Kujoyama en 2007, elle expose régulièrement ses photographies et installations.
Cabaret de curiosités : Springbreak, l’éveil du printemps 5 au 15 février 2013 ALAIN BUFFARD BARON SAMEDI conception et mise en scène Alain Buffard assistante Fanny de Chaillé fabrication et interprétation Nadia Beugré, Hlengiwe Lushaba, Dorothée Munyaneza, Olivier Normand, Will Rawls, David Thomson musiciens Sarah Murcia, Seb Martel direction et arrangement musical Sarah Murcia lumières Yves Godin dispositif scénographique Nadia Lauro costumes Alain Buffard, Nadia Lauro direction technique Christophe Poux régie son Félix Perdreau régie lumières Thalie Lurault chargée de production Marion Gauvent production déléguée Latitudes Prod (Lille) production pi:es Alain Buffard est artiste-associé au Théâtre de Nîmes pour les saisons 2010-2011 et 2011-2012
Avec le soutien de la fondation d’entreprise Hermès dans le cadre de son programme New Settings coproduction Théâtre de Nîmes, Ménagerie de Verre, Opéra de Lille, Latitudes Contemporaines, La Bâtie – Festival de Genève, le phénix scène nationale Valenciennes, Pôle Sud – scène conventionnée pour la danse et la musique (Strasbourg), CNDC Angers. coproduction et résidence Centre national de danse contemporaine, Angers avec le soutien de FUSED (French US Exchange in Dance), La Condition Publique
(Roubaix) et Texen avec le soutien de la Région Languedoc-Roussillon, le conseil général du Gard, la Ville de Nîmes, l’Institut français pour ses projets à l’étranger avec le concours de la préfecture de région du Languedoc-Roussillon – Direction régionale des affaires culturelles, au titre de l’aide à la compagnie conventionnée
NUIT DE LA PERFORMANCE 1 PARCOURS HORS LES LIVRES dans le cadre de la résidence de Louise Desbrusses Louise Desbrusses est en résidence au phénix scène nationale Valenciennes pour Une saison particulière à l’initiative du Centre régional des lettres et du livre Nord-Pas-de-Calais LOUISE DESBRUSSES Le corps est-il soluble dans l’écrit ? à l’espace Pier-Paolo-Pasolini, Valenciennes EMMANUEL ADELY Somme ÉDITH AZAM Micro-Microbe CÉLIA HOUDART Voyage imaginaire au Japon JEAN-CHARLES MASSERA Savoir quel appauvrissement de la communication nous voulons mettre en œuvre EMMANUEL RABU* Lecture-concert *dans le cadre du dispositif ARTS de Valenciennes Métropole
NUIT DE LA PERFORMANCE 2
PARCOURS WHITE, BLACK, LIVE BOX ANTOINE BOUTE Tout à coup présenté à l’H du Siège à Valenciennes JOANA HADJITHOMAS ET KHALIL JOREIGE Aida sauve-moi Première française à l’auditorium du musée des Beaux-Arts de Valenciennes c oproduction Les Halles de Schaerbeek, Chantier Temps d’images, 2009 avec le soutien du Centre national des arts plastiques PAMINA DE COULON Si j’apprends à pêcher je mangerai toute ma vie conception et interprétation Pamina de Coulon régie générale Marion Benhammou coproduction Piano Nobile – festival « Points d’Impact » (Genève), montévidéo – centre de créations contemporaines (Marseille), L’L, lieu de recherche et d’accompagnement pour la jeune création (Bruxelles) Pamina de Coulon est accompagnée par L’L (Bruxelles)
CLAUDE CATTELAIN close installation de trois vidéos : Close-up, From Sand to Dust et une création à venir, tournée au phénix scène nationale Valenciennes
GUILLAUME DÉSANGES FRÉDÉRIC CHERBœUF MARCEL DUCHAMP Création
conception et mise en scène Guillaume Désanges, Frédéric Cherbœuf régisseur technique Thierry Charlier production Work Method coproduction le phénix scène nationale Valenciennes et le Centre Pompidou, Paris remerciements Palais de Tokyo, Théâtre des quartiers d’Ivry, Parc de la Villette
GISÈLE VIENNE JERK solo pour un marionnettiste d’après une nouvelle de Dennis Cooper conception et mise en scène Gisèle Vienne dramaturgie Dennis Cooper musique originale Peter Rehberg et El Mundo Frio de Corrupted lumières Patrick Riou créé en collaboration avec, et interprété par Jonathan Capdevielle voix enregistrées Catherine Robbe-Grillet et Serge Ramon stylisme Stephen O’Malley et Jean-Luc Verna marionnettes Gisèle Vienne et Dorothéa Vienne Pollak maquillage Jean-Luc Verna et Rebecca Flores confection des costumes Dorothéa Vienne Pollak, Marino Marchand et Babeth Martin formation à la ventriloquie Michel Dejeneffe traduction du texte de l’américain au français Emmelene Landon remerciements à l’atelier de création radiophonique
de France Culture, Philippe Langlois et Franck Smith. À Sophie Bissantz pour les bruitages. Les voix et bruitages ont été enregistrés pour l’Atelier de création radiophonique remerciements à Justin Bartlett, Nayland Blake, Alcinda Carreira-Marin, Florimon, Ludovic Poulet, Anne S – Villa Arson – Thomas Scimeca, Yury Smirnov, Scott Treleaven, la galerie Air de Paris, Tim/IRIS et Jean-Paul Vienne avec l’accompagnement technique de l’équipe du Quartz – scène nationale de Brest direction technique Nicolas Minssen régisseur lumières Christophe Delarue production déléguée DACM avec la collaboration du Quartz scène nationale de Brest coproduction Le Quartz scène nationale de Brest, Centre chorégraphique national de Franche-Comté à Belfort dans le cadre de l’accueil-studio et Centro Parraga, Murcia La compagnie DACM reçoit l’aide de la Drac Rhône-Alpes, ministère de la Culture et de la Communication, de la Région Rhône-Alpes, du conseil général de l’Isère et de la Ville de Grenoble ; et de l’Institut français pour ses tournées à l’étranger
BENJAMIN DUPÉ COMME JE L’ENTENDS ARTISTE ASSOCIÉ conception, musique, guitares Benjamin Dupé informatique musicale, régie son Laurent Sellier avec les voix des auditeurs de l’atelier nomade mené au phénix scène nationale Valenciennes regards, oreilles et conseils Bertrand Bossard, Benjamin de la Fuente, Laurence Perez une commande du GMEA avec le soutien de l’État
coproduction le Merlan – scène nationale de Marseille production Sphota avec le soutien de la Sacem dans le cadre du projet transfrontalier Espace(s) Son(s) Hainaut(s), soutenu par les fonds européens Feder Interreg IV Coopération territoriale européenne, France – Wallonie – Vlannderen Benjamin Dupé est artiste associé au phénix scène nationale Valenciennes
HALORY GOERGER, ANTOINE DEFOORT GERMINAL ARTISTES ASSOCIÉS conception Antoine Defoort et Halory Goerger distribution Arnaud Boulogne, Ondine Cloez, Antoine Defoort et Halory Goerger direction de production, regard extérieur Julien Fournet assistante de production, téléconseillère Mathilde Maillard administration Sarah Calvez direction technique et régie plateau Maël Teillant régie lumière et vidéo Sébastien Bausseron régie son Robin Mignot construction Christian Allamano (Subsistances), Cédric Ravier et Danny Vandeput (Kunstenfestivaldesarts) consultante lumière Annie Leuridan diffusion mathilde@ amicaledeproduction.com Germinal a été accueilli en résidence et créé aux Subsistances, dans le cadre de la Biennale de la Danse de Lyon
production Amicale de production coproduction La Biennale de la Danse de Lyon, Théâtre de la Manufacture - Centre Dramatique National Nancy Lorraine, Kunstenfestivaldesarts (Bruxelles), le phénix scène nationale Valenciennes, Buda Kunstencentrum (Courtrai), Kunstencentrum Vooruit (Gand), le Vivat-Scène conventionnée d’Armentières, le Manège.mons/CECN/
technocITé, alkantara festival (Lisbonne), le TnBA-Théâtre National de Bordeaux en Aquitaine, Théâtre de la Manufacture - Centre Dramatique National Nancy Lorraine, Festival Baltoscandal (Rakvere ) , Noorderzon Performing Arts Festival Groningen, Rotterdamse Schouwburg, NTXSTP( avec le soutien du Programme Culture de l’Union Européenne)
Fonassi (Italie), Daiga Grantina (Lettonie), Agnieszka Ryszkiewicz (Pologne), Peter Miller (États-Unis), Julien Perez (France), Gonçalo Sena (Portugal), Theo Turpin (Royaume-Uni)
soutien ce projet bénéficie du soutien du Conseil Régional Nord-Pas- de-Calais et du Ministère de la Culture et de la Communication (DRAC Nord-Pas-de-Calais)
avec le soutien permanent du ministère de la Culture et de la Communication, l’Institut français, la Cité Internationale des arts, les Amis du Palais de Tokyo, l’École nationale supérieure d’Arts de Cergy
réseau Europe ce projet bénéficie du soutien du programme européen apap/ Performing Europe (DGEACProgramme Culture) Antoine Defoort, Halory Goerger et Julien Fournet sont artistes associés au phénix scène nationale de Valenciennes, au BeursschouwburgBruxelles, au CENQUATRE - Paris et à APAP/Performing Europe (DGEAC - Programme Culture). Antoine Defoort est artiste associé au Vivat, Scène conventionnée danse et théâtre d’Armentières L’Amicale de production bénéficie du soutien du Ministère de la Culture et de la Communication (Conventionnement DRAC Nord-Pas-de-Calais), du Conseil régional du Nord-Pas-de-calais, de la Ville de Lille.
RÉMY HÉRITIER ET LE PAVILLON NEUFLIZE OBC, LABORATOIRE DE CRÉATION DU PALAIS DE TOKYO TIME BASED EXHIBITION CRÉATION de Rémy Hétitier et le Pavillon Neuflize OBC, laboratoire de création du Palais de Tokyo une proposition à l’invitation d’Ange Leccia, Christian Merlhiot et Romaric Daurier avec les résidents du Pavillon Neuflize OBC 2012-2013 Carlotta Bailly-Borg (France), Feiko Beckers (Pays-Bas), Julie Bena (France), Francesco
production Palais de Tokyo et le phénix scène nationale Valenciennes, partenaires du Pavillon Neuflize OBC, mécène principal
CHRISTIAN RIZZO LABORATOIRE DE CRÉATION > le train fantôme CRÉATION artistes retenus Jannick Guillou, Nicolas Devos, Pénélope Michel, Nicolas Tourte, Samuel Buckman, Claude Cattelain, Aurélie et Pascal Baltazar, Laurence Vray, Viviana Moin, Amélie Poirier et Gaëtan Rusquet en partenariat avec le phénix scène nationale Valenciennes, Le Fresnoy, Studio national des arts contemporains, la Maison Folie/Manège de Mons, la Drac Nord-Pas-de-Calais
Les partenaires du phénix partenaires publics du phénix
club phénix entrepreneur
Ministère de la Culture et de la Communication Ville de Valenciennes conseil régional Nord-Pas-de-Calais conseil général du Nord Feder dans le cadre du programme Interreg IV Valenciennes Métropole
Vallourec SA du Hainaut Biogroup PSA Peugeot Citroën site de Valenciennes La Caisse des dépôts La chambre de commerce et d’industrie Nord de France Transvilles
Les cabarets de curiosités sont soutenus par
et la culture, Nomade est l’un des leviers de développement du territoire transfrontalier en matière de culture et de technologie sur le long terme. Nomade œuvre à la mise en place d’un maillage via la mise en réseau des opérateurs culturels et sociaux des trois partenaires. Le bus Nomade arpente les rues et places du Hainaut entre Valenciennes, Mons et Maubeuge. Équipé d’ordinateurs, de tablettes numériques et de caméras, il permet la tenue d’ateliers et tisse des liens entre
Nomade > Culture, Citoyenneté & Nouvelles Technologies en Hainauts Les objectifs poursuivis par le projet Nomade permettent de sensibiliser les populations les plus fragiles aux enjeux de l’innovation, par la sensibilité artistique et culturelle. Dans la perspective de Mons 2015 dont la thématique est la rencontre entre la technologie
BNP Paribas Le cabinet BDL Sevelnord Le Grand Hôtel Auchan Petite-Forêt
Partenaires culturels du Cabaret de curiosités : Espace Pier Paolo Pasolini, musée des Beaux-Arts de Valenciennes, l’H du Siège
les territoires et leurs populations. Le but est de les familiariser avec le monde artistique et culturel et de développer leurs potentialités.En lien avec les programmations respectives des trois structures, ce véhicule sera le lieu de convergence des publics belges et français tout au long du projet. Le projet réunit trois structures de la zone transfrontalière Mons/ Borinage –Val de Sambre – Valenciennois : le manège.mons, le manège scène nationale de Maubeuge et le phénix scène nationale Valenciennes.
Espace(s) Son(s) Hainaut(s) > Plateforme transfrontalière pour les musiques innovantes
fichier Illustrator CS3 du logotype PRINT Fonds Européen de Développement Régional Interreg efface les frontières
CMJN 00/80/100/00
Fonds Européen de Développement Régional Interreg efface les frontières
noir seul
noir + soutien de bleu CMJN 60/00/00/100
Ce projet regroupe au sein d’un cluster les différents acteurs de la création sonore et musicale sur le territoire des «Hainauts». Cet exemple unique en Europe regroupe l’ensemble Musiques Nouvelles (au sein du manège.mons, en lien avec les festivals City Sonic et Transnumériques coproduits avec Transcultures), Art Zoyd-Valenciennes, le manège. mons, le phénix scène nationale Valenciennes.
L’équipe du phénix scène nationale Valenciennes Romaric Daurier directeur général Patricia Gorka secrétaire générale Hermann Lugan administrateur Nicolas Ahssaine directeur technique Dorothée Deltombe directrice des relations publiques Hugo Dewasmes directeur de la communication Alexandra Davenne relations publiques Renaud Laithienne relations publiques Romain Carlier audiovisuel/multimédia Isabelle Grave accueil/billetterie Amandine Top relations publiques/ accueil/billetterie Fanny Decraene accueil/billetterie Anne Laden secrétaire de direction Gabrielle Maliet assistante administrative Delphine Debureaux chef comptable Christelle Dick assistante secrétariat général Fabrice Loez régie générale Richard Adonel régie plateau Philippe Reinhalter régie plateau Ludovic Loez régie lumières Gilles Renard régie son Émilio Giliberto gardien Bernard Herbin gardien Salima Terfous agent d’entretien et l’ensemble des personnels intermittents et vacataires Christophe Huysman, Benjamin Dupé, Halory Goerger, Antoine Defoort artistes associés Nicolas Turquet professeur missionné par le rectorat Clarisse Bardiot conseillère éditoriale cabarets de curiosités Myra (Rémi Fort, Magda Kachouche) relations presse nationale Le conseil de surveillance du phénix Patrick Roussiès président du conseil de surveillance Dominique Riquet représentant la Ville de Valenciennes Pierre Giraud président de l’Association des enseignants de Valenciennes Anne-Marie Petieau représentant la Ville de Valenciennes Bernard Moreau directeur Moreau Music Carole Dussart représentant la Ville de Valenciennes Bariza Bourega Caisse des dépôts Guy Marchant représentant la Ville de Valenciennes Gonicodé Kahissim représentant la Ville de Valenciennes Danièle Ferte représentant la Ville de Valenciennes Sophie Dictus représentant la Ville de Valenciennes Jean-Marie Desfossez représentant la Ville de Valenciennes
Ours direction éditoriale Clarisse Bardiot et Romaric Daurier coordination éditoriale Hugo Dewasmes conception graphique les designers anonymes traducteurs Céline Candiard (anglais) et Isabel Jannès-Kalinowski (polonais) secrétaires de rédaction Anne Séror Delphine Bertrand adaptation numérique émeline Brulé remerciements Emmanuel Adely Jennifer Allora Anne André Fabienne Arvers Susannah Ash, Lisson Gallery, Londres Philippe Asselin Edith Azam Jacquie Bablet Pierre Bal-Blanc Catherine Belloy, Marian Goodman Gallery, New York Philippe Bétrancourt Claire Bishop Bernard Blistène Natascha Borel Frédéric Bourdin Antoine Boute Michèle Braconnier Alain Buffard Annick Bureaud Guillermo Calzadilla Jonathan Capdevielle Claude Cattelain Maurizio Cattelan Boris Charmatz Frédéric Cherbœuf Pamina de Coulon Marie-Christine de la Conté Martin Creed Antoine Defoort Emmanuelle Delapierre Guillaume Désanges Louise Desbrusses Françoise Dubois Benjamin Dupé Alain Fleischer Julien Fournet François Frimat Dora García Halory Goerger Matthieu Goeury Dominique Gonzalez-Foerster Joana Hadjithomas Rémy Héritier
Darragh Hogan Kerlin Gallery Dublin Célia Houdart Les Inrockuptibles Khalil Joreige Julian Kutyła Serge Laurent Ange Leccia Nathalie Lecorre Mélanie Lerat Maguy Marin Jean-Charles Massera Christian Merlhiot Gianni Motti Galerie Michel Rein, Paris Pascal Pesez Nathalie Piat Éric Prigent Emmanuel Rabu Christian Rizzo Patrick Roussiès Jean-Luc Soret Cyril Thomas Gisèle Vienne
Crédits photographies p. 33 © Dora García p. 35 © Martin Creed p.36 © Gianni Motti p. 39 © Artur Zmijewski p. 40 © Maurizio Cattelan pp. 83-90 © Jacquie Bablet pp. 92-93 © Jeff Philips p. 98 © Sébastien Bausseron pp. 102-103 © Guillaume Désanges et Frédéric Cherbœuf Subjectile ISBN : 978-2-36530-017-9 dépôt légal : janvier 2013 Partagez votre lecture sur facebook