Discours de Claude Bartolone – Président de l’Assemblée nationale Commémoration de la venue de Jean Jaurès au Pré-‐Saint-‐Gervais, 100 ans après Monsieur le Premier ministre, Cher Jean-‐Marc, Monsieur le Maire, Cher Gérard, Madame la Première-‐Adjointe, Chère Martine, Mesdames et Messieurs, Chers amis, 1913-‐2013... Un siècle... Un siècle qui fut si proche de tuer l’Europe et d’endeuiller à jamais la civilisation. Un siècle écrit à l’encre du sang des chaos, des haines fratricides et des folies meurtrières des hommes. Mais un siècle fait de réconciliations, de progrès et d'espoir. Ce siècle, Jaurès ne l'aura pas connu – ou si brièvement – lui qui est tombé, un soir d'été, le 31 juillet 1914, sous les balles « d'un dément », comme le disait alors mon prédécesseur, Paul Deschanel, Président de la Chambre des Députés. Pourtant, Jaurès aura incontestablement marqué ce siècle. Il aura été cette boussole pour la gauche qui – au fil de son Histoire – s'est souvent interrogée : « Qu'aurait fait Jaurès ? ». Il aura été cette lumière du pacifisme, cet éclat laïc, ce phare pour notre pays, trop longtemps plongé dans l'obscurité des guerres et parfois tenté par un repli obscurantiste. Oui, Jean Jaurès c'est la France et, au-‐delà de la France, c'est l'une des grandes histoires de la pensée et de l'action de notre temps. *** Le 25 mai 1913... Beaucoup a déjà été dit sur cette journée. Manifestation monstre en 1/1
mémoire de la Commune, regroupement populaire contre « la loi des 3 ans », meeting pacifiste où se succèdent des orateurs passionnés... Le soleil brûle… La foule agite des drapeaux rouges et noirs… Les vivats, les huées et les coups de clairon résonnent… Jaurès est acclamé… En arrière-‐plan, la ville impose sa présence. Habitations nouvelles, usines, cheminées et fumées. Car, il y a le lieu... Votre ville, notre ville, le Pré Saint-‐Gervais. D'abord champêtre, le Pré Saint-‐Gervais fait sa mue, au tournant du XXe siècle, et devient cette cité industrielle. « Pré je fus, Ville je suis », comme le dit la devise... Une ville en mouvement, une ville solidaire, une ville engagée. Car, ce n'est pas un hasard si les manifestants se retrouvent ici. La commune est certes accueillante et la chaleur de ses habitants n'est plus à démontrer. Mais surtout, le Pré Saint-‐ Gervais est la première ville de ce département – qui ne s’appelait pas encore la Seine-‐Saint-‐ Denis – à désigner, dès 1904, un maire socialiste, Jean-‐Baptiste Semanaz. Incontestablement, avec le Pré Saint-‐Gervais, la banlieue commence alors à jouer un rôle important dans la mobilisation des forces de progrès. Et cette tradition s'est perpétuée au fil des décennies. Quelles que soient les époques, ici en Seine-‐Saint-‐Denis, nous partageons la même force, la même envie, la même volonté, tous ensemble. Nous avons la même ambition : la réussite de la France. Cette réussite qui veut que chaque génération passe le flambeau du progrès à la suivante. Cette réussite qui fait que les enfants doivent vivre mieux que leurs parents. Et ce n'est pas un hasard, là non plus, si après Jaurès, Léon Blum, François Mitterrand et plus récemment, François Hollande ont arpenté les rues du Pré Saint-‐Gervais. Cher Jean-‐Marc, je veux que tu saches, à quel point, nous sommes heureux, avec Gérard Cosme 2/2
bien sûr, mais également Martine Legrand – l'instigatrice de cette journée – de te retrouver, à ton tour, au Pré Saint-‐Gervais. *** Jaurès au Pré Saint-‐Gervais, c'est une tranche de vie. Une vie, celle de Jaurès, passée à inscrire le combat des socialistes dans la geste républicaine. Bien entendu, je ne brosserai pas le tableau complet d'une telle existence. Je veux dire simplement quelques mots du parcours d'un homme, d'un républicain jusqu'au bout, qui a voulu incarner cette vieille devise « Liberté, Égalité, Fraternité ». L'égalité d'abord. Songez ce que cela pouvait signifier au début du siècle dernier où les travailleurs, des hommes, des femmes mais aussi des enfants, se trouvaient sans aucune protection, sans droits reconnus, sans moyens collectifs de défense. Pour Jaurès, l'égalité passait par les combats sociaux, pour la reconnaissance de nouveaux droits : journée de travail, avec les dix heures, puis revendication des huit heures, repos hebdomadaire, retraites « ouvrières et paysannes », premiers projets d'assurance sociale... Il fallait élargir la démocratie politique aux dimensions économiques et sociales, il fallait susciter chez les travailleurs une prise de conscience des conditions de leur émancipation. Et l'on voit, le lien indissociable qu'il établit entre la question sociale et la question scolaire. De l'égalité à la liberté. Car, l'instruction était pour Jaurès, comme elle l'est pour nous, le premier droit, la première des libertés. Ce « paysan cultivé » – comme il se décrivait lui-‐même – a beaucoup insisté sur les valeurs de l'enseignement. Oui, pour Jaurès, tout commence par l’École, tout commence par l'appréhension du savoir. 3/3
Et, il n'a pas cessé de se battre pour que cette chance soit accessible à tous. Dans ce long combat, il a mis ses pas dans ceux de Jules Ferry pour que la République se dote d'un enseignement public et laïc. Nous tous, ici rassemblés, mesurons le chemin parcouru depuis Jaurès. Mais il faut avancer encore et encore... Avancer pour l’École, avancer pour l'emploi, avancer pour le progrès social. Avancer, comme le fait la majorité parlementaire et toutes les forces de progrès autour de toi, cher Jean-‐Marc, et derrière le président de la République. Et pour avancer, vous en conviendrez, nous avons besoin de la force de la fraternité. Dans ce département de toutes les origines, couleurs et religions, nous savons ce que signifie ce beau mot de « fraternité ». Comme Jaurès, nous croyons aux infinies possibilités humaines et nous agissons chaque jour, dans la fidélité à notre histoire, en portant la même exigence de respect et de justice. *** Jaurès, nous l'avons dit, c'est « une certaine idée » de la France. Mais c'est également « une certaine vision » de l'Europe. Avant beaucoup d'autres, il avait déjà compris que la dimension de l'Europe devenait indispensable. Jaurès avait su, avait vu, plus que le chemin, la destination. Bien après lui, c'est une poignée d’hommes et de femmes qui ont bâti cette paix qui s’est transformée en réconciliation, cette réconciliation en amitié, et cette amitié en communauté de destin. Cette « nouvelle Europe », nous en sommes aujourd'hui les dépositaires. Et, cela nous oblige. 4/4
Privilégions la mémoire active, la mémoire utile et éclairons ! Éclairons ce que doit être l'Europe de demain dans ce nouveau monde qui s'ouvre. Lorsque nous appelons de nos vœux une réorientation européenne, c'est exactement la même démarche depuis le premier jour. C'est une suite sans interruption. Nous nous plaçons, quelque part, dans la lignée de Jean Jaurès. Oui, faisons valoir les vertus de notre modèle en Europe ! Et, n'ayons pas à en rougir ! Nous devons parachever l'Union économique et monétaire, aujourd'hui au milieu du gué ; mais aussi fonder une Union politique et sociale capable de démontrer que, dans le tourbillon de la mondialisation, l’Europe, ce « vieux continent », a su trouver son élixir de jeunesse. Tous les débats sont non seulement permis, mais je les crois nécessaires, tant les défis qui nous attendent sont grands ! *** Mesdames et Messieurs, j’en termine. J'en termine avec cette fascination pour Jean Jaurès. Il y a une « fascination Jaurès »... Son être, sa façon d'être, sa façon de penser, sa révolte contre l'ordre des choses, son goût du combat et de la controverse, exercent à distance – et exerceront toujours – une fascination. Il reste une référence personnelle ou politique, présente, constamment. Mais en même temps, permettez-‐moi de dire que personne ne peut se l'approprier. Parce que c'est trop différent. L'extraordinaire parcours de Jean Jaurès s'est développé dans un monde qui n'a plus aucun rapport avec celui dans lequel nous sommes. Le monde a trop changé. La France n'est plus la même. La gauche n'est plus la même. La politique n'est plus la même. Les comportements ne sont plus les mêmes. 5/5
On ne peut pas transposer. Alors, n'oublions pas... N'oublions pas... Nous qui sommes ses héritiers, directs ou indirects... Nous, qui voulons prolonger, rebondir, recréer, à partir de lui dans les étapes suivantes que nous allons écrire... N'oublions pas qu'il ne nous appartient pas. Nous ne sommes pas propriétaires de Jean Jaurès. C'est, certes, l'un des grands créateurs de la gauche et du parti socialiste, mais c'est avant tout l’héritage de la France… un visage de la France. Fermez les yeux un court instant… Jaurès est là, coiffé d’un melon, l’habit en bataille, véritablement suspendu sur cette butte du Chapeau rouge. Il harangue, il crie, s’enflamme et pérore. Jaurès, c’est cette tête puissante, cette barbe fluviale, ce teint fleuri… C’est ce corps ramassé, cette corpulence acquise par péché de gourmandise et ces bras toujours en mouvement. Il y a quelque chose de Gambetta dans ce physique, il y a la puissance de Danton dans cette gestuelle. Tout, en lui, sert son éloquence. Et puis, il y a cette voix… Cette voix – la voix des travailleurs, la voix pour la paix… Cette voix, on la devine… Une voix enrayée puis emportée… Une voix sincère qu’il faut aller chercher au fond de soi, à s’en fendre les cordes vocales pour transmettre… Transmettre au plus grand monde avec toujours la même précision, la même verve. Car Jaurès, c’est cette puissance émotive, cette puissance de la raison. Ce génie profondément humain. Dans la voix de Jaurès, c’est tout le peuple qui gronde. 6/6
Dans la voix de Jaurès, c’est le vent de l’histoire qui souffle. Mesdames, Messieurs, Comme le veut la tradition républicaine, j'achèverai mon propos par les mots de Jaurès, lui qui écrivait en 1885 : « Ne séparons jamais, chers Concitoyens, le cri de Vive la France ! du cri de Vive la République ! ». Alors, Vive Jaurès, Vive la République, Vive la France.
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