Assemblée Générale de la Chambre de Commerce et d’Industrie de la Seine-Saint-Denis Discours de Claude Bartolone Président de l’Assemblée nationale 12 décembre 2013
Monsieur le Président de la Chambre de commerce et d’industrie de Seine-Saint-Denis, Monsieur le Président de la Chambre de commerce et d’industrie d’Ile-de-France, Monsieur le Président du Conseil Général, Mesdames, Messieurs, C’est un sentiment fort que j’éprouve ce soir en vous accueillant ici, à l’Hôtel de Lassay. Un sentiment rare. Un sentiment fier et ému, pour tout vous dire. Il y a des moments comme ça, dans la vie, où tout converge. Toutes ses convictions, toutes ses passions, tous ses combats. Le moment que nous partageons ce soir fait partie de ceux-là. L’un de mes amis appelait ça le « kairos », ce moment où tout bascule, où tout cristallise. La Seine-Saint-Denis est pour moi un territoire-passion. Ça ne date pas d’hier. Je la connais par cœur parce que je l’ai vu naître et n’ai cessé de cheminer avec elle. Je n’en suis pas un théoricien, mais un praticien, et je sais à quoi ses habitants aspirent et ce dont ils ne veulent plus. Les habitants de la Seine-Saint-Denis ne veulent pas qu’on les plaigne (et encore moins qu’on se plaigne) : ils veulent les conditions de l’égalité réelle. Ils ne veulent pas de mise en scène de la souffrance : ils veulent des solutions pour leur permettre de réussir. Lorsque je suis devenu président du département de la Seine-Saint-Denis, j’ai essayé de défendre quelques idées fortes.
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J’ai dit qu’il nous fallait changer l’image de la Seine-Saint-Denis et sortir ce département des pages des faits divers pour le faire entrer dans celles des initiatives et des réussites. J’ai dit qu’il nous fallait sortir du discours misérabiliste pour faire voir et faire valoir les atouts de ce département : sa jeunesse, ses terrains disponibles, sa position au cœur de l’agglomération. J’ai dit qu’il nous fallait être accueillant vis-à-vis des nouvelles populations désireuses de quitter Paris – notre banlieue – pour s’installer en Seine-Saint-Denis et gagner une pièce, deux pièces, et surtout beaucoup de chaleur humaine. J’ai dit qu’il ne fallait pas qu’une population chasse l’autre, et que nous avions le devoir de faire vivre ensemble les nouveaux habitants avec les Séquano-dionysiens de toujours. J’ai dit qu’il nous fallait assumer un discours et une ambition : le développement économique. Parce que, quand on est un homme de gauche – et je le suis – on ne se résout pas à voir, d’un côté, des territoires qui se développent, et de l’autre, des portions condamnées à perpétuité à l’état de friche. Nul progrès social en Seine-Saint-Denis sans un développement économique équilibré et durable. J’ai dit, du coup, qu’il nous fallait changer de discours vis-à-vis des entrepreneurs. En finir avec cette idée folle selon laquelle il faudrait choisir son camp entre la chose économique et la chose sociale. Comme si l’une ne dépendait pas de l’autre ! Comme si l’entreprise n’était pas un « bien commun » ! Alors j’ai lancé cet appel : « venez ; nous vous proposons le foncier, les cerveaux et les bras ; donnez-nous l’emploi. » J’ai dit enfin qu’il nous fallait renverser la table, faire sauter les verrous, exploser les tabous, mettre fin à tous les conservatismes frileux pour permettre à la Seine-Saint-Denis de s’asseoir, confiante, à la table du Grand Paris. Si je vous rappelle tout cela, Mesdames et Messieurs, c’est parce que, d’une certaine manière, votre présence ici figure toutes ces convictions qui pourraient se résumer en deux combats : le combat économique et le combat métropolitain.
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*** Nous avons fait un bout de chemin ensemble… J’ai encore le souvenir précis de mes longues conversations avec l’un des premiers chefs d’entreprises à avoir fait le choix de la Seine-Saint-Denis. Il me racontait à la fois le bonheur de l’entrepreneur qui faisait un bon choix de rationalité économique ; et dans le même temps la solitude de l’homme que ses petits camarades regardaient, la mine basse et l’œil humide, en se disant « mais qu’est-il allé faire dans cette galère ? » Eh bien il est allé faire le choix que tous ont fait par la suite ! Ceux que j’appelle la « 2e génération » de chefs d’entreprises en Seine-Saint-Denis, qui vous disent tous aujourd’hui : « Ce département, on y va contraint et forcé par la rationalité économique, et on y reste finalement pour bien d’autres raisons. » Et de meilleures. Et voilà que nous assistons aujourd’hui à l’arrivée de la 3e génération… Sans doute la moins spectaculaire… Mais probablement celle qui nous adresse le signal le plus prometteur : la Seine-Saint-Denis, on y vient maintenant parce que c’est un territoire qui donne envie d’y venir. La Seine-Saint-Denis, Mesdames et Messieurs, ce n’est plus un pari. Ce n’est plus un risque. Ce n’est plus un fait d’arme. Ce département est entré dans une bienheureuse banalité. Ecoutez plutôt : BNP Paribas, Generali, Alstom, Saint-Gobain, Eurocopter, Hermès, Orange, Havas, L'Oréal, Chanel, Dior, Ubisoft, Paprec… Et bientôt Veolia, SFR… C’est presque un poème ! C’est une aubade pour qui a connu la terrible période de désindustrialisation de ce département, et son cortège de souffrances sociales et de violences urbaines.
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Et, côte-à-côte avec ces mastodontes, nos PME locales – auxquelles j’ai toujours tenu à ce que nous soyons très attentifs –, nos jeunes entreprises innovantes, nos artisans et nos commerçants qui composent ainsi la « mosaïque économique » de la Seine-Saint-Denis. La Seine Saint-Denis que, jadis, on montrait du doigt, c’est elle aujourd’hui qui montre la voie. Mais, Mesdames et Messieurs, je le dis très simplement : nous ne sommes encore qu’au milieu du gué.
Le chômage n’a pas disparu de Seine-Saint-Denis, notamment celui des jeunes. La pauvreté et la délinquance, non plus. Pas plus que les discriminations, véritable cancer de notre société, absolument insupportables au regard du gâchis que représente cette jeunesse laissée en sommeil. Rien ne serait pire que d’offrir aux habitants le spectacle du développement économique et de l’installation d’entreprises en bas de leur immeuble, sans qu’ils puissent y décrocher leur rôle. Rien ne serait pire que de laisser, désœuvrés, des jeunes femmes, des jeunes hommes, formés, qualifiés, diplômés, et désespérément bloqués à la porte de l’emploi. Rien ne serait pire qu’une Seine-Saint-Denis réduite à faire de l’hôtellerie d’entreprises sans que les habitants ne profitent des fruits de cette activité.
Si l’on ne parvient pas très rapidement à apporter des réponses à ces maux-là, alors nous prendrons le risque d’attiser les rancœurs, le ressentiment, le désespoir.
L’embauche des jeunes et la lutte contre les discriminations, ce n’est pas simplement une priorité : c’est une cause. *** Mesdames et Messieurs, le combat pour la Seine-Saint-Denis se mène sur tous les fronts.
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Le front économique – qui est aussi un front social et éducatif. Et laissez-moi vous dire la fierté que je ressens lorsque je vois ces collèges sortir de terre les uns après les autres. Avec le pari des partenariats public-privé, nous sommes en train de rattraper des décennies de retard en une poignée d’années. Enfin ! Même les élus qui nous accusaient de vouloir faire entrer Coca-Cola dans nos collèges, peuvent désormais y scolariser leurs enfants ! Ce combat, disais-je, se mène également sur le front métropolitain. Là encore, que de chemin parcouru ensemble… Croyez-le ou non, mais lorsqu’en 2008, nous sommes arrivés aux responsabilités dans le département, figurez-vous que la Seine-Saint-Denis avait oublié le Grand Paris… Et que le Grand Paris avait oublié la Seine-Saint-Denis… Figurez-vous que rien n’était prévu entre Saint-Denis et Noisy-le-Grand, alors que le Val-deMarne, lui, avait une demi-douzaine d’années d’avance avec Orbival… Imaginez le choc… Alors, nous nous sommes battus, pied à pied, pour défendre – pourquoi ne pas le dire – les intérêts vitaux du département. D’abord, dans le domaine des transports. Parce qu’on le sait bien : tout commence par les transports. On peut bien avoir toutes les politiques sociales du monde, on peut créer autant d’emplois qu’on veut : si nous ne donnons pas les moyens aux habitants de sortir de leur quartier et de leur ville pour accéder à l’emploi, à la culture et aux loisirs, alors c’est que nous consentons au ghetto. Nous refusons le ghetto. Au final, nous avons réussi à nous tailler la part du lion dans le projet du Grand Paris Express. Et bientôt, la double boucle sera une réalité pour les habitants de la Seine-Saint-Denis.
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Ensuite, dans le domaine de la gestion financière. Nous avons réalisé des économies, nous avons fait reculer les emprunts toxiques – ce véritable scandale de la finance moderne – et nous avons obtenu un effort inédit de la Région Ile-de-France dans le cadre du Contrat de Plan Région-Département. Je n’en remercierai jamais assez Jean-Paul Huchon. Enfin, nous nous sommes battus pour faire sauter le verrou des conservatismes au nom desquels, la métropole non plus, ce n’était pas pour nous. Au nom de quelle lubie ? Les puissances européennes s’arment de métropoles ; Partout en Province, on voit émerger des pôles d’excellence ; Et nous, en Ile-de-France, nous n’y aurions pas droit ? Alors, là aussi, nous avons défendu notre vision de l’avenir. Pas pour les 3, 5 ou 10 ans à venir. Pour le siècle qui vient, comme Haussmann a pu le faire jadis à Paris. Nous croyons au Grand Paris. Dans le monde nouveau dans lequel nous entrons, les métropoles occuperont une place de premier rang. C’est un enjeu de compétitivité de notre économie. C’est aussi un enjeu de solidarité des territoires : si les intercommunalités permettaient une véritable répartition des richesses, ça se saurait… C’est la vocation du Grand Paris que de faire émerger une métropole d’excellence en Europe, dans laquelle la Seine-Saint-Denis occupe toute sa place. Nous avons pris les décisions politiques. Nous devons maintenant les faire fructifier et les traduire en une multitude de projets : des projets urbains, des projets industriels, des projets culturels qui façonneront la ville de demain. Une ville fondée sur l’efficacité énergétique et l'inclusion sociale, l’accès au logement et aux transports à des conditions de prix raisonnables. Le scénario du Grand Paris, il nous revient de l’écrire ensemble. C’est autant votre projet, à vous qui investissez, que celui des Grand-Parisiens qui rêvent d’un cadre de vie plus confortable, que celui des entreprises publiques qui le pilotent, et que celui des élus qui le gouvernent.
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*** Mesdames et Messieurs, j’en termine. La France ne traverse pas une crise. Je déteste cette expression. Elle est tellement loin de la réalité. Nous entrons dans un nouveau monde, et cela appelle des questionnements chez tous les Français, chez tous les entrepreneurs, chez tous les élus. Quelle est ma place ? Quel est mon rôle ? Quelle sera ma vie dans ce nouveau monde ? Face à cela, notre responsabilité, c’est de faire renaître en France l’esprit de conquête. Nous pouvons réussir ensemble. A condition toutefois de bien définir et de bien maintenir le cap. Quel est-il ? Le goût du progrès social. Aucun habitant, aucun territoire ne saurait être laissé à l’abandon, au bord du chemin. Il n’y a pas de salut individuel. C’est toute la société qui doit aller de l’avant, sous peine de créer des fractures dans notre cohésion nationale. La culture de la performance. Nous le savons, la France ne sera jamais le pays du low-cost et de la grande braderie de notre modèle éducatif et social. Investissons dans la montée en gamme, dans l’excellence, dans la recherche, dans la formation… Dans l’Ecole de la République ! Cultivons l’esprit d’entreprise, le goût du risque sans lesquels nulle conquête n’est possible. La passion du collectif, enfin. Face aux défis colossaux à relever, nous avons besoin de toutes les forces : élus de la République, militants associatifs, forces syndicales, chefs d’entreprises, monde consulaire.
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Je sais pouvoir compter sur les chambres de commerce et d’industrie qui, par leur ancrage, connaissent les besoins des entreprises de nos territoires et complètent l’action de l’Etat et des collectivités locales. Je sais pouvoir compter sur vous, chefs d’entreprises qui avez fait le choix de la Seine-SaintDenis, pour faire en sorte que nous grandissions ensemble. Je sais pouvoir compter enfin sur toi, cher Stéphane Troussel – qui croyais que j’avais oublié de te citer, alors que je gardais le meilleur pour la fin… C’est à toi que je veux adresser mes derniers mots, un peu plus personnels. Laisse-moi te dire la fierté qui est la mienne de te savoir à la tête de notre département. Je te regarde, du perchoir. Je vois les efforts que tu déploies pour faire vivre cette belle idée du progrès partagé. Pour défendre les habitants de ce beau département. Quitte quelquefois à te fâcher avec le gouvernement – surtout, ne change rien… Quand je vois le travail que tu mènes, je sais que la Seine-Saint-Denis est entre de bonnes mains. Alors, à toi et à ton équipe, à vous tous, Mesdames et Messieurs, Vive la République, Vive la Seine-Saint-Denis, Vive la France !
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