Présentation en réunion de groupe SRC de la proposition de résolution visant à modifier le règlement de l’Assemblée nationale par Claude Bartolone, Président de l’Assemblée nationale Chers Camarades, Je ne suis pas là pour vous raconter des histoires : nous ne pourrons pas réinventer la vie parlementaire et le fonctionnement de l’Assemblée nationale sans révision de la Constitution. Pour l’instant, la droite s’y oppose, mais je reste persuadé qu’un jour nous y viendrons. Car le régime actuel est à bout de souffle, qu’il est inadapté au nouveau monde dans lequel nous vivons. En attendant le grand soir constitutionnel, chers camarades, nous devons faire deux choses : Réfléchir à ce que devront être demain nos Institutions et engager le maximum de réformes en interne qui ne nécessitent pas de révision constitutionnelle mais qui permettent néanmoins d’améliorer le fonctionnement de notre démocratie. C’est justement tout l’enjeu de la proposition de réforme du règlement qui sera examinée fin novembre. Bismarck a dit un jour « Les lois c'est comme les saucisses, il vaut mieux ne pas être là quand elles sont faites». Au regard de nos conditions actuelles de travail, difficile de ne pas lui donner raison. Les séances où on légifère à 4h du matin, ça suffit ! Entre 2002 et 2004, 80 séances se sont achevées après 1h du matin. Depuis, 2012… 126 ! Les séances de nuit ont plus que doublé. Comment peut-on prétendre avoir un débat parlementaire clair et sincère alors que nous sommes endormis ? Les journées supplémentaires qui sont devenues la règle, ça suffit ! Entre 2002 et 2004, 45 journées supplémentaires avaient été ouvertes à la demande de l’ancien gouvernement en plus du mardi, mercredi et jeudi. Sur la même période, sous cette législature, le gouvernement nous a demandé d’en ouvrir 71 ! Le Parlement n’est pas uniquement là pour légiférer. Il a aussi pour mission de contrôler l’action du Gouvernement et d’évaluer les politiques publiques. Si nous passons tout notre temps sur les projets de lois quand est-ce que nous remplissons nos autres missions ? Et quand est-ce que nous sommes dans nos permanences ? Les amendements du gouvernement qui arrivent au dernier moment, par la bande, ça suffit ! En 2009, soit déjà après la révision constitutionnelle de 2008, on comptait 399 amendements déposés par le gouvernement. En 2013, on en compte 752 ! Nous devons redevenir maîtres de notre temps.
Je reprends totalement les propos du Président de la commission des lois, tes propos cher Jean-Jacques : nous devons « gagner la bataille de l’horloge ». Maintenant, la question est comment y parvenir ? Voilà pourquoi je propose de fixer des gardes fous dans notre règlement ! La bataille de l’horloge est au cœur de cette réforme. Il n’y a rien de révolutionnaire là dedans puisque la Constitution, elle-même, précise bien que « Les jours et les horaires des séances sont déterminés par le règlement de chaque Assemblée ». Nous devons simplement tirer toutes les conséquences de ces dispositions. Premièrement, je propose que l’ouverture de journées supplémentaires en plus des mardi, mercredi et jeudi, ne soit plus de droit à la demande du Gouvernement mais soumise à une autorisation de la Conférence des présidents, sauf pour les textes qui peuvent être inscrits par priorité à l’ordre du jour en vertu de la Constitution. Ce mécanisme existe d’ailleurs au Sénat. Nous proposons juste sa transposition. Deuxièmement, je propose qu’on ne puisse plus siéger au-delà d’1h du matin, sauf pour achever une discussion en cours. Là aussi, cela me semble relever du bon sens. Troisièmement, je propose que la Conférence des présidents fixe, au début de la législature, la durée maximale de la discussion générale et qu’elle ne puisse y déroger qu’à titre exceptionnel, pour un texte déterminé. Ainsi nous favoriserons des discussions générales plus brèves, et nous pourrons passer plus de temps sur l’examen des articles et des amendements, L’enjeu est clair : il est de créer de meilleures conditions d’élaboration de la loi. A Constitution constante, c’est un premier pas qui peut changer, si ce n’est nos vies, du moins nos nuits. C’est une première pierre. Le début de la réforme de la procédure législative qui nous appelle. Je tiens d’ailleurs à féliciter ici Régis Juanico, pour le travail remarquable qu’il a accompli à la suite de Thierry Mandon sur la simplification législative et le mieux légiférer. Les propositions qui en résultent pourraient sans doute venir alimenter cette réforme du règlement. Une chose est sûre, à la lecture de ce rapport, nous devons changer la manière dont nous élaborons la loi dans notre pays. C’est dans cette perspective que j’ai décidé d’organiser un grand colloque sur le mieux légiférer le 28 novembre prochain à l’hôtel de Lassay avec l’intégralité des acteurs de la fabrique de la loi. La résolution poursuit également le travail entrepris depuis deux ans à l’Assemblée en matière de transparence et de déontologie. D’abord, elle propose que la publicité des débats soit désormais la règle pour toutes les commissions.
Ensuite, elle inscrira les règles fixées par le bureau en matière de déontologie dans le marbre de notre règlement. Enfin, la résolution vise à mieux valoriser le travail effectué dans le cadre des activités de contrôle, notamment en essayant de davantage coordonner la publication des différents rapports. Nous devons aussi utiliser ce temps pour réfléchir à l’avenir de nos institutions. Parce que, oui, je le pense profondément : notre démocratie est en crise. Une abstention qui monte en flèche, la défiance qui atteint des niveaux records, des citoyens qui ne se sentent ni écoutés, ni compris, un fossé entre les électeurs et les élus qui se creuse à ce point sont une triste réalité à laquelle nous devons répondre. Une évolution des institutions, même si, elle ne peut pas, à elle seule, résoudre cette crise, elle constitue néanmoins un préalable indispensable. Doit-on rappeler que selon encore un sondage récent, 69 % des Français pensent que notre démocratie ne fonctionne pas ? Les élus sont-ils les seuls responsables ? La Vème République d’aujourd’hui n’ plus grand chose à voir avec la Vème de 1958 : nous avons modifié 24 fois notre Constitution. Jusqu’ici nous avons préféré ne pas avoir de réflexion d’ensemble. Nous avons préféré modifier notre norme fondamentale par petites touches, sans penser aux conséquences de toutes ces modifications. Nos Institutions sont certes solides. En ce sens, il n’y a pas de crise de régime. Les lois sont votées, les décisions sont prises. Pour autant, ce qui faisait autrefois la force de la Vème République fait aujourd'hui sa faiblesse. Car notre monde a changé. Il a connu de profondes mutations, culturelles, politiques, économiques et sociales. Nous vivons dans un monde différent de celui que nous avons connu il y a 50 ans. Nos Institutions sont solides mais à quel prix ? Car le problème fondamental c’est que la Vème République a fait le choix de donner tous les moyens à l'exécutif pour gouverner, et de sacrifier pour cela le débat démocratique dans notre société. Elle a fait le choix d’une verticalité totale, dans un monde de plus en plus horizontal. De même, pour obtenir la stabilité nous avons également sacrifié le principe de responsabilité. Nous avons mis le Président de la République à l'abri, derrière de larges murailles, et demandé au Premier ministre d'assumer la responsabilité des décisions prises à l'Elysée. Et puis, camarades, il y a une dernière chose : cela a toujours été le rôle de la gauche de penser l’avenir et le renforcement de la démocratie. La place du citoyen. Si nous ne le faisons pas qui le fera ? Doit-on se caler sur le modèle césariste qu’affectionne la droite ? Ce n’est pas ma vision des choses.
Voilà pourquoi je pense que nous devons nous saisir de ce débat, ici à l’Assemblée nationale. Je veux qu’on revienne à une autre tradition, héritée de la tradition française, où les Assemblées, à travers un débat démocratique ouvert aux citoyens, pensaient l’avenir de nos Institutions. Je veux sortir du discours technocratique ou de spécialistes. Je ne veux pas d’un simple mécano institutionnel. Il faut partir de la France telle qu’elle est. Il ne s’agit pas de rester dans les vieux débats pour ou contre la Vème République mais élargir le débat. Pour amorcer ce débat, j’ai constitué une mission ad hoc sur l’avenir des Institutions que je présiderai aux côtés de l’historien Michel Winock et qui sera composée de parlementaires mais aussi de juristes, d’historiens, de philosophes et d’acteurs de la société civile. Elle rendra ses conclusions avant l’été prochain. Le débat ne fait que commencer.