Intervention Gauche Populaire

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Permettez-moi, avant d’ouvrir mon propos, de remercier Laurent Baumel, Philippe Doucet, François Kalfon et tous les militants de la Gauche populaire pour l’initiative de ce débat.

Nous avons tous en tête la perspective des élections européennes du mois de mai prochain.

Dans un contexte où la construction européenne est marquée par une double crise : une crise de projet et une crise économique sans précédents, il est essentiel de s’engager, de proposer des réponses, et de ne pas ajouter à ces deux crises une troisième, je veux parler de la crise démocratique, qui risque d’être fatale à l’Europe si nous ne faisons rien. *** Notre débat intervient au lendemain du vote militant sur le texte de la Convention nationale Europe et à la veille du Conseil européen des 27 et 28 juin prochain, qui sera la dernière chance d’avancer sur les thèmes de la croissance et de l’emploi avant les élections allemandes. 1


S’agissant du document pour la convention nationale de dimanche prochain, je sais le choix que la gauche populaire a fait d’apporter sa contribution au débat européen sur un autre mode, que vous avez jugé mieux à même de porter vos convictions. Je respecte ce choix.

Mais j’ai aussi le sentiment que nous avançons au parti socialiste avec des repères communs. Je veux en citer cinq en particulier : - Un, nous faisons le choix de l’Europe : ce choix s’impose à nous comme un défi mais plus comme une question : non pas si l’Europe doit être notre horizon commun, mais comment l’ordonner selon nos valeurs de justice et de progrès ; - Deux, notre adversaire, ce sont les droites conservatrices européennes : les partisans de l’austérité contre les partisans de la croissance, les partisans de la discipline contre les partisans d’une Europe solidaire et sociale ;

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- Trois, notre devoir, c’est d’avancer unis vers les élections pour faire barrage à un raz-de-marée populiste aux élections européennes : ce serait un coup terrible pour l’Europe ; - Quatre, il faut traiter l’urgence sociale : cette urgence, c’est la désespérance des peuples face à la crise économique et au chômage ; et de même que l’urgence est commune à tous les Etats européens, le traitement passe également par l’Europe ; - Cinq, la première réponse à apporter est économique et sociale : c’est mettre fin à la politique d’austérité, c’est remettre les économies européennes sur les rails de la croissance, de l’emploi et du pouvoir d’achat. Viendra ensuite

le

temps

des

réflexions

sur

les

autres

imperfections de la construction européenne : son déficit démocratique, son architecture incompréhensible, son effacement sur la scène internationale.

Ces cinq principes me paraissent suffisamment solides pour que nous puissions tous nous les approprier. Il peut y avoir ensuite des différences de sensibilité sur la manière de les 3


décliner : la contribution de la Convention nationale en est une, j’en partage les grandes orientations.

Mais j’admets aussi que cette contribution prête à débat, et qu’il est nécessaire, sur les questions de croissance et d’emploi d’aller puiser au fond de nos ressources pour construire des alternatives.

J’ai en effet la conviction qu’il faut faire preuve, sur ce terrain, d’une certaine radicalité. A quoi nous heurtons-nous en effet ? A un mur idéologique qu’ont dressé les droites européennes et la doxa libérale depuis 20 ans en Europe : c’est le mélange du libéralisme anglo-saxon et de l’ordo-libéralisme allemand qui a fait triomphé l’Europe des règles et l’Europe de l’austérité.

*** L’Europe des règles, c’est croire que l’on peut construire un projet politique pour l’Europe à partir de procédures et de règles formelles : ainsi le pacte de stabilité et de croissance qui 4


définit les niveaux de déficits souhaités et le ratio dette sur PIB que les Etats membres doivent adopter.

Ce n’est pas en soi un non-sens de se donner ces objectifs. Ce qui est en revanche un non-sens, c’est que ces règles nominales tiennent lieu de politique économique pour l’Europe. On en voit chaque jour les résultats :

- le pacte de stabilité et de croissance était censé assurer la convergence de nos trajectoires budgétaires. Or celles-ci n’ont jamais été aussi hétérogènes ;

- le pacte de stabilité et de croissance était aussi, comme son nom l’indique, supposé assurer une croissance potentielle de bon niveau sur le continent européen. Or l’Union européenne est la seule zone économique au monde en situation de croissance négative en 2013.

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Je l’ai dit, la règle des 3% a quelque chose d’absurde si elle ne tient pas compte de l’état du cycle économique. C’était à l’automne dernier et ma déclaration avait à l’époque provoqué des protestations et des cris d’orfraie.

Ce discours était pourtant frappé au coin du bon sens et je laisse volontiers ceux qui hier encore était en butte contre ce raisonnement se l’approprier aujourd’hui : la Commission européenne, qui vient de donner deux années supplémentaires à la France dans nos efforts de consolidation budgétaire, les grandes institutions internationales même, FMI, OCDE, qui battent aujourd’hui leur coulpe.

L’Europe des règles est une illusion : on ne gouverne pas avec des réglementations et des procédures formelles. J’en ai eu très tôt l’intuition. Les reculs des plus solides idéologues sur les 3% me donnent raison.

Il faut donc revenir aux fondamentaux : redonner un contenu politique à la construction européenne et ne pas laisser la main 6


aux comptables. C’est ce cap, ce sens politique, qui manque aujourd’hui à l’Europe et qui explique que l’adhésion au projet européen n’a jamais été aussi faible. *** J’en viens à présent à l’Europe de l’austérité : elle est le pendant de l’Europe des règles. L’Europe de l’austérité, c’est le résultat de l’emprise idéologique du libéralisme sur la construction européenne, qui rencontre deux tendances : - le néo-libéralisme anglo-saxon, qui récuse l’intervention de l’Etat, les régulations keynésiennes de l’économie, d’une part, - l’ordo-libéralisme allemand, d’autre part, qui fait primer la règle sur la décision politique et l’équilibre sur l’ajustement conjoncturel. C’est au nom de cette doctrine par exemple que l’on a fait primer l’objectif d’inflation sur l’objectif de croissance, ou la création d’une banque centrale indépendante qui n’a pas de compte à rendre aux politiques.

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De cette rencontre est née l’Europe de l’austérité, qui fait de la purge budgétaire un préalable au retour de la croissance, parce qu’on suppose que la croissance est le produit de la confiance, et qu’il n’est pas de confiance sans respect absolu des règles et des équilibres.

Voilà comment l’Europe s’est enfoncée dans la crise et comment la cure d’austérité risque d’achever le malade avant de le guérir. *** Cette Europe des règles et cette Europe de l’austérité, je la résumerai d’une formule : c’est le consensus de Bruxelles, un mélange d’idéologie et de technocratie, comme il y a eu dans les années 1990, un consensus de Washington qui a imposé des cures d’austérité d’une violence inouïe aux pays placés sous la tutelle financière du FMI et de la Banque mondiale en Amérique latine et en Asie.

Voyez la manière dont les plans de sauvetage sont appliqués en Grèce, en Espagne, au Portugal, à Chypre sous la direction 8


de la troïka : il y a quelques analogies frappantes. Je m’érige bien entendu en faux contre cette politique économique dangereuse et aveugle : l’Europe ne peut pas être le seul continent où l’on dit austérité, austérité, austérité… sans voir la souffrance et la désespérance des populations, les drames humains liés aux chômages, celui des jeunes en particulier.

Ce qu’il faut, c’est briser le glacis idéologique construit autour du consensus de Bruxelles. Et le moment est propice : avec François Hollande, la France a remis le thème de la croissance sur le devant de la scène : c’est le pacte de croissance qu’il a fait adopter au Conseil européen de juin 2012, avec 120 milliards d’euros débloqués pour des mesures de croissance ; c’est aussi les avancées très importantes de ce printemps : un plan pour l’insertion des jeunes, qui fait l’objet d’une initiative franco-allemand et, je veux le dire, l’avancée considérable que constituerait la mise en place, sous deux ans, d’un gouvernement économique de la zone euro, comme le président l’a proposé à ses partenaires en mai. J’ajoute que nous ne sommes pas isolés. Regardons du côté de l’Italie : Enrico Letta vient d’arriver au pouvoir avec un projet 9


pour l’Europe véritablement progressiste, qui rencontre nos attentes et qui peut nous aider à faire bouger les lignes.

Mais il est urgent d’aller vite et loin, avant les élections de 2014, avec des mesures plus ambitieuses encore : un véritable budget

européen

doté

de

ressources

propres,

une

réorientation de la politique monétaire pour financer les dettes publiques et stimuler l’économie. Mais, je l’ai dit, cela suppose de briser définitivement le consensus de Bruxelles.

En bref il faut du sérieux budgétaire au plan national, et une vraie politique de relance au plan européen. Il faut également des réformes de structure pour redonner de la compétitivité à notre économie. L’Europe doit nous y aider, et ne pas imposer des diktats : c’est notre responsabilité de Français de faire de notre pays une terre de compétitivité et de croissance. Nous n’avons pas besoin des cours de morale de la Commission européenne.

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Le Président de la République a bien fait de le rappeler. Cette morale, ce n’est qu’une illustration du consensus de Bruxelles qui fait comme si les politiques n’étaient pas responsables devant les citoyens, comme si la parole ne leur revenait pas en dernier lieu. *** Si vous le permettez, je voudrais conclure ces réflexions par une remarque de bon sens : le consensus de Bruxelles, l’Europe des règles et l’Europe de l’austérité, c’est l’idéologie des droites conservatrices européennes.

Nous devons nous situer en confrontation avec cette droite et ses représentants. Je l’ai dit et j’assume mes propos : la confrontation avec l’Allemagne est nécessaire, et elle se situe sur un plan idéologique : l’Europe de l’austérité contre l’Europe de la croissance, l’Europe des disciplines contre l’Europe des solidarités.

Et je m’étonne chaque jour que ceux qui ont mis tant de fougue, de brutalité même, à condamner mes propos, usent de 11


tant de timidité face aux mises en causes frontales de la France par les représentants de la CDU.

Bien entendu je suis convaincu que l’Europe n’avancera pas sans le moteur franco-allemand. J’ai toujours défendu le rôle de nos deux pays dans la construction européenne, en particulier comme fer de lance de l’intégration politique des pays du premier cercle européen. Mais les bons compromis naissent de la confrontation. Avant les poignées de main, il y a toujours eu des bras de fer : Mitterrand et Kohl nous l’ont montré au moment de la création de l’union économique et monétaire.

Il ne faut pas avoir peur de ce débat, il ne faut pas avoir peur de politiser l’Europe, de l’ouvrir au débat démocratique sur l’Europe que nous voulons, bref de parler du fond, en politiques, plutôt que de parler des formes et des procédures, en technocrates et en comptables.

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Enfin il ne faut pas faire comme si le consensus de Bruxelles ne profitait pas à quelques-uns : il ne faut pas être dupe de ceux qui tirent profit d’un euro fort, de ceux qui répugnent aux transferts financiers impliqués par une Europe de la solidarité, et de ceux qui veulent tuer dans l’œuf l’Europe comme projet politique pour lui préférer une Europe zone de libre-échange.

Ainsi la France n’est pas dans la situation de l’Allemagne : notre pays a une natalité dynamique et ne profitera pas des politiques qui font primer la rente sur la jeunesse ; notre pays, qui consacre 2,2 % de son PIB à la Défense est beaucoup plus sensible à la norme des 3 % de déficits que l’Allemagne, qui n’y mobilise que 1,3 % de sa production nationale.

Nous avons des intérêts divergents, voilà ce que disent les faits. Et j’ajoute que c’est en défendant nos intérêts que l’on construira les meilleurs compromis. Ni plus ni moins.

En 2005 les prises de positions de certains d’entre nous avaient été taxées par un hebdomadaire bien connu de 13


« national-socialistes ». Pourquoi ? Pour avoir regardé la réalité en face, pour s’être affranchi des faux consensus et de la pensée unique.

Aujourd’hui je considère que cette lucidité est le seul moyen de sauver l’Europe du naufrage populaire qui la guette aux élections européennes, d’éviter un 21 avril européen. Nous avons tous en tête le sondage publié la semaine dernière pour valeurs actuelles : 21 % d’intentions de vote pour le FN, ex aequo avec le PS et l’UMP. C’est l’amorce d’une pente très dangereuse : il faut tout faire pour ne pas y sombrer.

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