HABILLER LA VILLE NOUVELLE DE LILLE-EST LES REVÊTEMENTS DE SOL DANS LA VILLE NOUVELLE DE LILLEEST SONT-ILS RÉVÉLATEURS DE L’AMBIANCE DES ESPACES PUBLICS?
LARGE CLÉMENT
ECOLE NATIONALE SUPÉRIEURE D’ARCHITECTURE ET DE PAYSAGE DE LILLE SÉMINAIRE ARCHÉOLOGIE DU PROJET ANNÉE UNIVERSITAIRE 2014- 2015
"Dès lors que l’on considère les rues comme de simples voies de circulation, où l’on donne presque toute la place aux voitures pour rouler ou pour stationner, alors dehors, dans la rue, nous sommes chez elles, pas chez nous. Mais ce n’est pas qu’une question de voitures. C’est aussi une question de riverains. Pour être vivante, une rue résidentielle a besoin d’être habitée, et non simplement parcourue. Si nous tolérons que la rue devant chez nous ne soit qu’un tuyau pour circuler c’est que nous oublions que c’est un espace qui fait partie de notre habitat. Quand nos habitations se referment sur ellesmêmes et que nous tournons le dos à la rue, nous n’avons plus d’échange avec elle. La rue se retrouve morne. Les riverains la désertent. L’habitat reste figé."
NICOLAS SOULIER
Table des matières INTRODUCTION ............................................................................................................................... 8 I / LES REVETEMENTS DANS LE PAYSAGE URBAIN..............................................................12 1.1 SURFACES DE CONTACT ...................................................................................................13 LES SOLS : MATERIAUX POUR LA MEMOIRE................................................................ 13 LE PAYSAGE URBAIN OU INTERIEUR..............................................................................19 PREOCCUPATIONS ENVIRONNEMENTALES ..................................................................26 CROQUIS D'AMBIANCE DE L'HÔTEL DE VILLE .................................................................31 1.2 IMAGINAIRE DE LA VILLE NOUVELLE DE LILLE-EST............................................... 32 GRAPHISME ...........................................................................................................................32 LES RÉSEAUX ....................................................................................................................... 36 DES ESPACES SANS COMPLEXE........................................................................................40 CONCLUSION DU CHAPITRE 1 ............................................................................................. 44 II / LA VILLE NOUVELLE DE LILLE-EST : LES CIRCULATIONS CONSTRUISENT DES PAYSAGES ....................................................................................................................................... 45 2.1 GRAND PROJET URBAIN ...................................................................................................46 BESOIN DE PLANIFICATION ............................................................................................ 46 2.2 TRAITS DE PIERRES .......................................................................................................... 50 POLITIQUE PUBLIQUE ........................................................................................................ 50 ORGANISATION DES ESPACES PUBLICS ........................................................................ 54 ZONE D'AMENAGEMENT CONCERTÉ ............................................................................. 54 2.3 ILLUSTRATION .................................................................................................................... 58 DESSINER POUR CHEMINER ........................................................................................... 58 L’ENTRE-DEUX UNIVERSITES .......................................................................................... 60 LE TRIOLO ............................................................................................................................ 62 HÔTEL DE VILLE .................................................................................................................. 66 PONT DE BOIS........................................................................................................................ 72 BILAN DES DIFFERENTES GESTIONS ............................................................................. 76 CONCLUSION DU CHAPITRE 2 .............................................................................................. 80 III / BILAN DE L’ESPACE PUBLIC ENTRE HIER ET AUJOURD’HUI : UN COCKTAIL DE TEXTURES........................................................................................................................................81 3.1 RÉALITÉ URBAINE.............................................................................................................. 82 3.2 LA MOSAïQUE MODULAIRE............................................................................................. 88 PAVÉS ET DALLES BÉTON ..................................................................................................88 « LES CLASSIQUES »............................................................................................................ 94 LE BOIS D'EXTÉRIEUR.........................................................................................................96 LES MODULES ENGAZONNÉS .......................................................................................... 96 3.3 LES MATÉRIAUX COULÉS ............................................................................................. 100 L'ASPHALTE ........................................................................................................................ 100 LES BETONS BITUMINEUX ..............................................................................................102 LES BÉTONS DESACTIVÉS ...............................................................................................102 3.4 LA MOSAÏQUE INCONGRUE ..........................................................................................104 CONCLUSION DU CHAPITRE 3 ............................................................................................ 110 CONCLUSION ET PERSPECTIVES DE RECHERCHE ..............................................................111 ANNEXES .......................................................................................................................................115 INTERVIEW DE PHILIPPE BOIZART .................................................................................... 115
INTRODUCTION INTRODUCTION
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INTRODUCTION
Ce mémoire a pour axe de réflexion les revêtements de sol ainsi que les circulations de la ville nouvelle de Lille-Est :Villeneuve d’Ascq. J’évoquerai tout d'abord les divers éléments qui m’ont fait choisir ce thème de recherche pour le séminaire d’histoire et d’archéologie du projet. La ville nouvelle de Lille-Est est une opération d’urbanisme qui vise à accueillir une part importante de l’enseignement supérieur du Nord-Pas-deCalais et de grands équipements pour la métropole lilloise. Son objectif est de structurer et d’aider au développement de cette métropole. Projet décidé en 1967, la ville ne commence à sortir de terre qu'entre 1969 et 1970 ; l’objectif est alors d’atteindre une population de près de 45 000 habitants et de faire de ce territoire un secteur attractif pour l’économie régionale. Ce mémoire se penche principalement sur la période où l’EPALE 1 planifiait la ville, c'est-à-dire entre 1967 et 1983. Bien entendu, pour analyser l’évolution de l’espace public, il est impossible d’écarter les 33 années suivantes. C’est donc en retraçant plus de 40 ans d’histoire, que ce mémoire va chercher à comprendre comment Lille-Est tente de s’inventer une image, une identité, un futur, grâce à une utopie et un imaginaire atypique ! Afin de savoir si les revêtements de sol étaient un élément de programme de la ville nouvelle et s'ils sont révélateurs des ambiances des espaces publics de la ville, nous évoquerons l’histoire des circulations de Villeneuve d’Ascq en trois grandes parties : une première sur le contexte et les préoccupations de l'époque, une deuxième sur les outils et leur mise en œuvre au travers de plusieurs exemples et la troisième sur le relevé concret de la matérialité. La première partie plantera le décor : elle va permettre de comprendre pourquoi il est important de parler des revêtements de sol. Pour cela, nous tâcherons tout d'abord de définir le terme « matériau de sol » en nous appuyant sur des exemples faisant référence à des éléments caractéristiques 1 EPALE : L'Établissement public d'aménagement de Lille-Est
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INTRODUCTION
de la ville nouvelle de Lille-Est (1 % artistique, travail sur la colorimétrie des bâtiments...). Cela nous permettra de mieux comprendre pourquoi nous cherchons à parler de circulations. Si Villeneuve d'Ascq est devenue celle qu’elle est aujourd’hui, c’est grâce à son idéologie et son traitement de l’espace public qui semblent être représentatifs des idées novatrices des années soixante ;on peut qualifier ce concept de « paysage intérieur ». En effet, le paysage est une notion qui n’est pas prise à la légère à l’époque puisque les préoccupations environnementales ainsi que le cadre de vie des habitants étaient au coeur des recherches. LilleEst reflète probablement un imaginaire, une époque, un mode de réflexion sur la ville. La méthode de travail, les nouvelles représentations, les graphismes, les dessins ainsi que la nouvelle organisation spatiale de la ville nous apporteront des informations sur le sujet. La seconde partie a pour objectif de montrer comment les circulations construisent des paysages. En effet, la planification de la ville se fait avec de nombreux outils comme les schémas directeurs, le SDAU ou le cahier blanc. Mais les revêtements sont-ils au coeur de ces préoccupations ? Et l’étaient-ils dans les précédents grands projets ? La division par quartier montre que les préoccupations fluctuent en fonction des programmes : on peut donc penser qu'il en sera de même pour les revêtements. A ce titre, c’est véritablement la procédure de ZAC qui apportera les premières informations concrètes et techniques sur le sujet car c’est cet outil de planification qui va permettre à l’EPALE de mettre en oeuvre la ville quartier par quartier. Mais, les villes nouvelles se développent aussi en fonction des enseignements tirés des ZUP2. Il s'agit de deux modèles, deux approches, deux échelles, deux conceptions, toutes deux différentes. Pourtant, en étudiant leurs évolutions et leurs organisations de cheminement, on observe des similitudes. Ainsi, la question des circulations en ville ne date pas d’hier ; or, sa chronologie dans Villeneuve d’Ascq est intéressante à observer. 2 ZUP : Une zone à urbaniser en priorité
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INTRODUCTION
Pour entrer plus précisément dans le sujet, on étudiera la liaison piétonne entre les deux universités et passant par l’hôtel de ville. Dans ce croissant regroupant le quartier de Triolo, de l'hôtel de ville et de Pont de bois, a été mise en place une circulation piétonne isolée des flux automobiles où le concept de paysage intérieur est réellement appliqué. Cette voie traverse trois types d’espaces publics différents, on peut
donc se demander si les
revêtements sont cohérents sur la continuité ou indépendants les uns des autres ? Enfin, dans une troisième partie, nous évoquerons la réalité urbaine en démontrant, grâce à une méthode de relevé, le panel des matériaux du sol de la ville.
A la suite de témoignages, on comprendra également comment
l'espace public est géré et entretenu. C'est à la suite de cela que nous pourrons ouvrir le sujet sur des questions plus larges. Nous allons donc maintenant tenter d’expliquer, de détailler et d'analyser cette matière de recherche ainsi que ces différentes pistes de réflexion.
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INTRODUCTION
CHAPITRE I LES REVÊTEMENTS DANS LE PAYSAGE URBAIN -
I / LES REVETEMENTS DANS LE PAYSAGE URBAIN
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I / LES REVETEMENTS DANS LE PAYSAGE URBAIN
1.1 SURFACES DE CONTACT LES SOLS : MATERIAUX POUR LA MEMOIRE Depuis que les villes existent, les pierres, et plus généralement, les revêtements de sol, ont toujours eu une affinité particulière avec l’espace public, que ce soit dans le choix du matériau, dans sa mise en forme ou l’organisation spatiale de celui-ci (grâce aux calpinages). Par définition, les revêtements
de
sol
sont
les
matériaux
de
construction
(naturels
ou
manufacturés) qui couvrent le sol. Comme tout autre revêtement, ils servent de protection ou de décoration mais sont spécifiquement adaptés pour résister aux passages des personnes, des animaux ou des engins. Ils constituent la surface de contact entre les personnes et l’espace public et forment ainsi la membrane protectrice de la ville, d’où le titre de ce mémoire : « habiller la ville nouvelle ». Avant l’arrivée récente des revêtements hydrocarbonés, les matériaux de sol naturels et minéraux jonchaient les avenues, les places mais également les routes de campagne (comme les voies romaines) et les simples ruelles de village. Ces revêtements naturels résistent face à l'invasion des revêtements hydrocarbonés. Cependant, malgré les contraintes économiques et d’usage, une association des deux types est également possible : c’est le cas pour une grande partie des aménagements piétons à Villeneuve d’Ascq. Les matériaux de sols, en participant aux nuances des bâtiments, jouent un rôle non négligeable dans l'harmonie qui rend l’espace public facile à vivre. Villeneuve d’Ascq, dans le contexte de la création d’une ville nouvelle, a sans aucun doute travaillé sur cette problématique, reste à savoir comment. De nos jours, les aménageurs, les collectivités et les fabricants de matériaux, soucieux de cette problématique, proposent des catalogues très fournis en matériaux ; ils sont plus ou moins onéreux, plus ou moins rapides à 6
I / LES REVETEMENTS DANS LE PAYSAGE URBAIN
CROQUIS SUR LES FRANCHISSEMENTS DE PASSERELLES 1978, Voirie, passerelle, chaussée haute, 11EP592, EPALE
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I / LES REVETEMENTS DANS LE PAYSAGE URBAIN
poser, mais ont tous un but commun : dessiner et faciliter les parcours en ville. En effet, les revêtements répondent principalement à des problématiques d'usage ; néanmoins, l’esthétique est aussi pris en considération : elle a même, par endroit, été poussée à son maximum. C'est le cas des 1% artistiques, symboles de l’intérêt porté à la composition ainsi qu’à la ponctuation des espaces piétons. Ils ont pour objectif d'apporter de l'art dans la ville. Ils sont présents dans les écoles, les universités et se généralisent sur tout l’espace public de la ville. Voyons plus en détail comment le 1% artistique a participé à la mise en valeur des revêtements de sol à Villeneuve d'Ascq.
« L’art, c’est le plus court chemin de l’Homme à l’Homme. » André Malraux
Le 1% artistique date de 1936. A l’origine, il s'agit d'une initiative de Mario Roustan, sénateur, et de Jean Zay, ministre de l'Éducation Nationale : ils voulaient sensibiliser le public à l'art, faire en sorte qu'il soit accessible en dehors des musées. Ils érigent alors une loi qui oblige les collectivités à réserver 1% du budget alloué à la création d’écoles ou d’universités, à la création d’oeuvres d’art (loi du 18 mai 1951). Puis, la circulaire datant du 1 er décembre 1972 assouplit les règles : les 1% des projets architecturaux peuvent alors être étendus à l’espace public. Ainsi, depuis 1983, les communes, les départements ainsi que les régions doivent consacrer 1% de leurs investissements aux oeuvres d’art. C’est donc dans ce contexte, qu’entre 1979 et 1983, l’EPALE a fait intervenir de nombreux artistes afin de ponctuer le paysage de Villeneuve d’Ascq. De nombreux exemples de 1% nous prouvent que les revêtements de sol y sont étroitement associés. Les deux ouvrages suivants en font d'ailleurs état : 1% Villeneuve d’Ascq ou l’art dans la ville, réalisé par l’Unité Pédagogique d’architecture de Lille, coordonné par Gérard Simonet en 1978, 8
I / LES REVETEMENTS DANS LE PAYSAGE URBAIN
Yasuno MIZUI, FONTAINE Photo personnelle, Mai 2015
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I / LES REVETEMENTS DANS LE PAYSAGE URBAIN
et L’art, c’est le plus court chemin de l’homme à l’homme, réalisé par les archives de Villeneuve d’Ascq, qui tire son titre de la célèbre citation d'André Malraux. On retrouve dans ces ouvrages, deux exemples des
détournements
artistiques liés aux revêtements de sol fait par l'artiste Yasuno MIZUI3. Le premier « FONTAINE », a été réalisé entre 1976 et 1977 sur la place Léon Blum dans le quartier de Pont de bois, entre le lycée Raymond Queneau et l’ancien collège Léon Blum. Il s'agit d'une structure en béton et gravillons lavés qui cherche à s’adapter aux formes naturelles de l’environnement, les gravillons imitant la fluidité de l’eau et épousant la forme de la nature ainsi que de la pente existante. Le second exemple, intitulé « Cime 2 », date de 1976 et est situé sur la chaussée de l’hôtel de ville ; en lien avec l’école Jules Verne et Verharen, il s'agit également d'un travail sur la pente où les revêtements et les formes en béton créent une silhouette rappelant celle d'une créature mythologique. Par sa recherche de modernité, Villeneuve d'Ascq a donc voulu être inventive sur de nombreux thèmes, tels que les façades des bâtiments. Un travail sur la silhouette urbaine de la ville a donc été fait. Il propose un contraste ainsi qu'un dégradé de couleurs permettant, au travers d'une colorimétrie des bâtiments, une compréhension des fonctions et des situations des bâtiments. Ceci nous amène donc à la question des revêtements de sol : façades et sols sont intimement liés, y a-t-il eu un travail aussi poussé sur les sols que sur les façades ? On comprend donc bien en quoi Villeneuve d'Ascq a cherché à être innovante, ce qui est cohérent avec les préoccupations de l'époque puisque, comme nous l'avons vu, c'est à ce moment qu'on assiste à l'émergence de la notion de paysage. C'est pourquoi nous insisterons, dans le paragraphe suivant, sur ce que peut être la notion de paysage urbain ou intérieur. 3 Yasuo Mizui est un sculpteur, né à Kyoto (Japon) en 1925 et décédé à Apt (France), en septembre 2008, à l’âge de 83 ans.
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I / LES REVETEMENTS DANS LE PAYSAGE URBAIN
Yasuno MIZUI, CIME 2 Photo personnelle, Mai 2015
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I / LES REVETEMENTS DANS LE PAYSAGE URBAIN
LE PAYSAGE URBAIN OU INTERIEUR De
prime
abord,
on
pourrait
penser
qu'il
s'agit
d'une
expression
antinomique, mais cette notion a justement pour objectif de prouver que ce n’est pas le cas. En effet, la notion de paysage est bien présente dans les villes et dans les centres urbains, même extrêmement denses. On retrouve d'ailleurs déjà un intérêt pour ces paysages chez les peintres du Moyen-âge. Mais c'est au milieu du XXème siècle, période où la politique d’urbanisme est à la recherche d’un nouveau cadre de vie, qu'on cherche à amener la campagne dans la ville plutôt que la ville à la campagne, comme pouvait le faire les cités-jardins du début du XXème siècle. Il s'agit alors des prémices de la notion de paysage de Michel DESVIGNE4. Dans les années 60, le traitement de l’espace public a beaucoup été étudié : ainsi, le corpus d'étude d'Hélène JANNIÈRE5 et de Frédéric POUSIN6 balaye la notion de « paysage urbain ». Ce terme provient de l’architecture, de l’urbanisme et de la planification des territoires. Il est utilisé en premier lieu en Angleterre sous le nom de « townscape ». De nombreuses campagnes éditoriales et photographiques ainsi que des enquêtes publiques font la promotion du paysage intérieur et favorisent l'émergence de nouvelles idées, mais ce sont les revues qui ont eu le plus d'impact dans le développement de cette notion, notamment la revue « the architectural review » qui est la première à y faire référence. De même, en France, l’idée se propage via différentes revues d’urbanisme et de paysage qui commencent à se construire une véritable identité professionnelle, grâce notamment à la revue « espaces verts » (1964-1982) ; l'objectif de cette revue était de promouvoir le rôle du paysage dans l’aménagement au sens large. Jacques Simon, célèbre paysagiste, prend en charge la revue en 1969. En 1968, il consacre un numéro complet sur les 4 Michel Desvigne est un paysagiste français né à Montbéliard le 24 Janvier 1958. 5 Hélène Jannière est professeur d'histoire de l'architecture et de l'urbanisme à l'époque contemporaine. 6 Né en 1957, Frédéric Pousin est paysagiste DPLG et docteur de l’EHESS.
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I / LES REVETEMENTS DANS LE PAYSAGE URBAIN
REVUE ESPACE VERT / J. SIMON 2007, Circulation d’un modèle rhétorique mobilisateur, Frédéric Pousin
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I / LES REVETEMENTS DANS LE PAYSAGE URBAIN
villes nouvelles, l’innovation, la découverte et la critique sont au coeur de ce numéro. Cette revue fournit de nombreuses informations sur les villes nouvelles. Dans Utopies et mythologies urbaines à Villeneuve d'Ascq de Bénedicte LEFEBVRE et Michel RAUTENBERG, on comprend que Villeneuve d'Ascq est une ville de 60 000 habitants mais construite en seulement 40 ans. Quelle est la représentation que s'en font ses habitants ? Comment s'est passée cette construction ? Qui étaient les premiers habitants appelés par les auteurs des « pionniers » ? Des idées nouvelles d'urbanisme se sont mises en place en peu de temps avec pour objectif de répondre à la problématique du "mieux habiter". Malgré ces belles intentions, de nombreux problèmes
(malfaçons,
poussière etc.), habituels dans une ville en permanent chantier, ont perturbé le lancement de cette belle utopie. Les chartes d'aménagement, les concertations et les fêtes de quartier, ont tout de même permis de mettre en œuvre les valeurs "post soixante-huitardes" des aménageurs, qui ont permis et voulu une "poétique sociale7" à l'échelle de la ville. Cet ouvrage nous montre donc comment l'espace public de proximité a été traité et comment il cherche à le rétrocéder à ses habitants en jouant avec les limites et le partage. Il nous montre comment les aménageurs de Villeneuve d'Ascq étaient utopistes, rêvant d'une ville plus humaine et plus conviviale. Avec le temps et l'arrivée de nouveaux habitants, la ville se transforme. Si une ville procède des politiques d'aménagement et des manières de l'habiter, une "bonne ville", celle où l'on se sent bien, c'est aussi une ville qu'on peut rêver et imaginer. Ce livre, entre sociologie et témoignages, nous apporte un regard concret sur les réalités de l'espace public ainsi que ses perceptions. Les préoccupations sur l'espace public et le paysage urbain sont symboliques de cette époque. Nombreux professionnels ont travaillé sur le sujet et cherché à définir cette notion ; le travail n'est pas figé pour autant. Les recherches se poursuivent, s'alimentent d'expériences diverses : c'est 7 Termes de l'anthropologue Michael Herzfeld 14
I / LES REVETEMENTS DANS LE PAYSAGE URBAIN
LE TRIOLO EN CONSTRUCTION 1987, Le Livre blanc de la ville nouvelle de Lille-Est, Communauté urbaine, EPALE
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I / LES REVETEMENTS DANS LE PAYSAGE URBAIN
notamment le cas de Frédéric Pousin, paysagiste DPLG8 enseignant à l'ENSP9 de Versailles, spécialisé sur la question du paysage urbain et le rôle du visuel dans la construction des savoirs. Le texte qui va suivre n'aborde pas directement le sujet du paysage intérieur mais nous fait comprendre à quel point la méthodologie de projet est déterminante dans ce métier. Les préoccupations environnementales, qui seront développées dans le prochain paragraphe, en sont une clef d'entrée possible.
« En outre, nous pouvons considérer qu'un projet de paysage ne saurait se réduire au traitement végétal des espaces, pas plus qu'au traitement de la signalétique des zones d'activité, même si un projet de paysage peut mettre en oeuvre de telles actions. Le paysage n'étant pas un objet, mais une relation symbolique et culturelle entre des individus et leur environnement, nous faisons l'hypothèse qu'il peut contribuer au renouvellement des façons classiques d'aborder l'aménagement, grâce à une approche qualitative, sensible, et culturelle, qui passe par l'étude des caractéristiques physiques et pluri-sensorielles de l'espace, et grâce à des méthodologies de projet qu'il reste à inventer dans un contexte de renouvellement des démarches d'aménagement.»
Frederic Pousin
8 DPLG : Diplômé Par Le Gouvernement 9 ENSP : École Nationale Supérieure du Paysage (Versailles-Marseille)
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I / LES REVETEMENTS DANS LE PAYSAGE URBAIN
CARTE D'AVANCEMENT DU PROJET 1975, Étude des voies de circulation et de stationnement dans le quartier de l'Hôtel de ville , EPALE
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I / LES REVETEMENTS DANS LE PAYSAGE URBAIN
PREOCCUPATIONS ENVIRONNEMENTALES Alors que les préoccupations environnementales se font sentir au près des politiques et de l'opinion publique, dans les années 70, on assiste à l'émergence des paysagistes en France. Mais quels ont été les éléments déclencheurs de ces préoccupations ? Jusqu’à la création d’une filière spécifique de formation, les architectes paysagistes
étaient issus de champs disciplinaires indirects et variés :
l’aménagement de l’espace par le biais de l’architecture et de l’urbanisme, la domestication du monde végétal par le biais de l’horticulture, du jardinage et de l’agronomie ou le monde de l’art par le biais des peintres, des sculpteurs et des écrivains. Précisons qu'une section « paysage » existe néanmoins depuis 1947 au sein de l’Ecole Nationale Supérieure d’Horticulture de Versailles, fondée en 1874. Cependant, jusqu’aux années 60, la profession demeure inconnue car l’école ne forme pas plus de dix étudiants par an. Avec la création de l’Ecole Supérieure de l’Art des Jardins à Paris en 1966, tout s’accélère. Ainsi, dans les années 70, on commence à sentir une réelle émergence du métier : des sections « paysage » font leur apparition dans les CAUE10, l’Ecole Nationale d’Ingénierie et des Techniques d’Horticulture et du Paysage est créée à Angers en 1971 et l’Ecole Nationale Supérieure du Paysage de Versailles obtient son autonomie en 1976. Même si les paysagistes restent très minoritaires, ils vont progressivement faire connaitre la profession aux pouvoirs publics qui prennent alors conscience de la nécessité d’intervenir différemment sur l’espace public et les territoires. Ces politiques de valorisation du cadre de vie amènent de nombreuses transformations qui demeurent aujourd'hui. Par exemple, dans les années 70, à Lille-Est, des paysagistes11 s'installent dans l’agglomération lilloise mais se mettent également à travailler pour l'EPALE. Ainsi, bien que l’équipe de LilleEst ne comprenne pas de paysagiste, certains ont été mandatés par l’EPALE ; c'est le cas de Jacques Simon, Jean Challet, Pierre Mas ou Christian Rault, qui 10 Conseil d'Architecture, d'Urbanisme et de l'Environnement 11Le sujet des paysagistes dans l'EPALE, et plus généralement sur la métropole lilloise, a été traité dans la thèse d'Isabelle Estienne.
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I / LES REVETEMENTS DANS LE PAYSAGE URBAIN
CROQUIS D'AMBIANCE DE L'HÔTEL DE VILLE Dossier de création de la ZAC de Valmy, EPALE
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I / LES REVETEMENTS DANS LE PAYSAGE URBAIN
participent aux études et ont la chance, pour certains, de recevoir des missions de maitrise d’œuvre (Bernard DEBROUX, Christiane DELVAUX, Jean CHALLET et Michel BOURNE). De plus, Martine GUITON, Marguerite MERCIER et Serge AUBÉPART, interviennent indirectement dans le cadre des missions d’expertise confiées à l’ONF12. Les paysagistes sont donc présents dans les étapes du projet, qu'elles soient à un stade d'analyse, d'expertise ou de maitrise d'oeuvre, mais ne sont pas directement présents dans la maitrise d'ouvrage. A cette époque, très peu de paysagistes exercent en libéral. Ainsi, au moment de la création de la ville nouvelle, l’EPALE a dû faire appel à l’agence DEBROUX-DELVAUX, située à Sebourg (Valenciennois), ainsi qu’à l’agence d’Alain DÉPRET, architecte-paysagiste diplômé de Gembloux 13 en 1971. Ce manque d’architectes-paysagistes va donc laisser une large place aux entrepreneurs de jardins et d'espaces verts qui vont jouer un rôle déterminant dans
l’aménagement
des
espaces
verts.
L’entreprise
MASQUELIER
par
exemple, interviendra à de nombreuses reprises avec l'EPALE. Ce n'est qu'à partir des années 80 que trois agences sont créées à Lille : Didier LARUE fonde son agence à Lille en 1980, Aline LECOEUR, paysagiste diplômée de l’ENSP en 1979, s’installe en 1981 et l’agence PAYSAGES est fondée en 1982 par François-Xavier
MOUSQUET,
Thierry
LOUF
et
Philippe
THOMAS,
trois
paysagistes diplômés de l’ENSP de Versailles. C'est donc dans un contexte où le métier d'architecte-paysagiste fait son apparition que les aménageurs commencent à se préoccuper de l'implantation même de la ville nouvelle, mais surtout, de son intégration. C'est cette réflexion métropolitaine
qui va forcer les aménageurs à intégrer
des
paysagistes dans les équipes. Leur premier travail fut d'imaginer une série de lacs pour drainer le territoire. Ceci donne lieu à la création du parc du héron, d'une superficie de 110 hectares. Ces aménagements purement fonctionnels vont également recevoir les zones de dépôts et les déblais de la construction de la ville. Cet espace a toujours été programmé pour être plus « aéré » que le 12 ONF : Office National des Forêts 13 Gembloux Agro bio tech est une école supérieure de paysage belge formant des architectespaysagistes.
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I / LES REVETEMENTS DANS LE PAYSAGE URBAIN
LEITMOTIF - SCHEMA DES GRANDES INFRASTRUCTURES 1973, Voirie, schéma de voirie de la ville nouvelle : plans, EPALE
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I / LES REVETEMENTS DANS LE PAYSAGE URBAIN
centre ville, mais n'avait pas pour objectif de devenir l'espace naturel qu'il est aujourd’hui. En effet, il devait être aménagé en marina, mais, face à la pression des habitants et pour pallier le manque cruel de parcs dans la métropole lilloise, cet espace devient alors le réel poumon vert de la ville nouvelle.
Les préoccupations environnementales de l'époque 14, centrées sur une nette amélioration du cadre de vie, se fondent sur plusieurs notions : les espaces libres, l'espace public, l'espace vert. Ces trois éléments sont liés à d'autres réflexions dont traitent les revues d’urbanisme comme les espaces ouverts, les espaces extérieurs, l'espace urbain et l'espace non construit. Toutes ces notions sont révélatrices de la prise en considération d'une spatialité déterminante pour l'amélioration du cadre de vie. Ainsi, comme on l'a vu précédemment, les ambiances et le paysage deviennent, dans les années 60, un élément moteur de développement urbain, c'est pourquoi les espaces verts ont autant d'importance. Pourtant, la notion d'espace vert est vague car elle ne définit pas d'usages. Le rapport au vivant et à la végétation va donc s'intensifier à travers des entités paysagères plus définies telles que les rues, les liaisons piétonnes, les parcs, les jardins, les squares. L'association de la végétation et de la matérialité des sols ouvre donc des pistes de réflexion plus formelles et stylistiques qui feront évoluer la pensée écologique.
14 Années 1970
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I / LES REVETEMENTS DANS LE PAYSAGE URBAIN
CROQUIS D'AMBIANCE DE L'HÔTEL DE VILLE Dossier de création de la ZAC de Valmy, EPALE
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I / LES REVETEMENTS DANS LE PAYSAGE URBAIN
1.2 IMAGINAIRE DE LA VILLE NOUVELLE DE LILLE-EST GRAPHISME Au vu du graphisme atypique et particulièrement novateur de la nouvelle ville de Lille-Est, sa codification dans les documents graphiques que produisait l'EPALE est particulièrement intéressante. Ces éléments sont révélateurs de la préoccupation pour le paysage et des ambiances qui doivent s'en dégager. En effet, les représentations de la ville nouvelle, mais plus généralement de la ville des années soixante, passent par des dessins ainsi qu'un letmotif 15 qui revient dans chacune des nouvelles procédures administratives de Lille-Est. Les schémas directeurs des différentes villes nouvelles de l'époque montrent de grandes similitudes quant à l'utilisation du noir et blanc ; ils sont également caractérisés par un vocabulaire graphique simplifié voire caricatural. On peut donc émettre l'hypothèse que ces codes sont probablement issus d'une charte graphique établie par les ministères de l'équipement, ou du moins d'une concertation visant une meilleur homogénéisation des modes de représentation émanant de l’EPALE. Cela permet une communication claire et simplifiée. Ces graphismes
innovants
se
retrouvent
dans
les
« indispensables »
de
l'aménageur sur les plans, les coupes, les croquis ou maquettes. Intéressons-nous tout d'abord aux plans. Les plans à grande échelle utilisent la couleur autant dans des aplats que des hachures : ces coloris sont synonymes de sectorisation. Ils montrent les différents quartiers et leurs rapports plus ou moins importants à l'urbain ou au végétal ; le vocabulaire urbanistique est donc une première indication du statut des espaces et de leur future fonction. De manière générale, tous les plans, qu'ils soient de secteur ou de la ville dans son ensemble, utilisent le noir et blanc. L’épaisseur des traits, qu'ils soient directs, en courbe, pointillés, fléchés, ou qu'il aient l'objectif de
15 Leitmotif : Formule, idée qui revient sans cesse dans un discours, une œuvre littéraire, une conversation, etc. (source : Larousse)
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I / LES REVETEMENTS DANS LE PAYSAGE URBAIN
VUE PLONGEANTE SUR LE FORUM VERT ET LA DIGUE Études de perception du centre A.U.A.E. Ciriani, M.CORAJOUD et B. HUIDOBRO
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I / LES REVETEMENTS DANS LE PAYSAGE URBAIN
montrer une limite, une circulation ou des connections, est volontairement accentuée. Cela provoque une double lecture : les enjeux globaux (en gras) et l'organisation spatiale sous-jacente. Cette organisation est, par moment, perturbante car elle apporte indirectement de l'information. En effet, dans de nombreux plans de planification de ZAC, les espaces publics de type parvis, voies piétonnes ou coulées vertes sont hachurés très finement avec un quadrillage régulier et carré. Cette codification n'apparait pas en légende, pourtant, elle laisse planer le doute quant à une utilisation de matériaux modulaires et plus précisément de dalles 50-50. Cette codification assure donc une cohésion de l'ensemble des documents (bien que chaque dessinateur ait sa patte, son propre mode d’expression). Voyons maintenant ce qu'il en est des dessins d'ambiance. Qu'il soit conceptuels ou réalistes, les dessins d'ambiance représentant l'espace public ont également plusieurs points communs : les traits de crayon insistent sur des circulations au caractère affirmé, des gestes forts et remarquables dans la ville. Ces dessins présentent toujours une relation forte au minéral et au végétal, les deux leviers d'action pour matérialiser une ambiance. C'est ce que l'on constate principalement dans les croquis mais c'est également le cas pour les perspectives ou les maquettes. Ainsi, le travail en maquette n'est pas à négliger, il est même, par moment, fondateur d'un nouveau concept. Par exemple, sur le quartier de l’hôtel de ville construit sur dalles avec un grand nombre de différences de niveaux, il démontre bien que l'espace public doit être en lien direct avec les bâtiments qui le jouxtent. Les fonctions et orientations des bâtiments ne font pas qu'influencer l'espace public : elles le créent aussi. La maquette permet donc de saisir ces informations qui demandent une appréciation en volume. On voit donc bien que cette période est représentative d'un besoin de créer de nouveaux codes, d'innover, quitte à être conceptuel, tout en assumant pleinement la volonté de changer les modes d'occupation de la ville. 26
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MAQUETTE DU CENTRE VILLE Techniques et architecture, n°302, Décembre-Janvier 1975, Lille-Est
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LES RÉSEAUX L'organisation spatiale de la ville, les nouveaux concepts de déplacement ou bien encore la ségrégation des circulations, font des réseaux l'outil d'aménagement préalable et indispensable à une nouvelle occupation de la ville. Quand
on
parcourt
Villeneuve
d’Ascq,
on
s'y
perd
relativement
rapidement. Ceci est en parti lié au réseau viaire qui possède une particularité urbaine : les voies piétonnes cheminent au-dessus du réseau viaire classique, réservé aux voitures. Quelle est donc l’origine de cette séparation entre les circulations automobiles et le réseau piéton ? Ce concept et cette idée peuvent être attribués aux congrès internationaux d’architecture moderne (CIAM), congrès nés du besoin de promouvoir une architecture et un urbanisme fonctionnels16. Voici par exemple une citation qui initie ce concept :
« Une cité prétendant être adaptée aux légitimes exigences de l’Homme d’aujourd’hui doit pouvoir permettre d’obtenir air, soleil, verdure. » CIAM, 1965
Le développement rapide des circulations automobiles et mécaniques a engendré du bruit, de l’insécurité et la disparition d’une partie de plus en plus importante du sol. Ainsi, l’organisation de ces nouvelles circulations et du stationnement qu'elles engendrent, demande à la ville de muter pour accueillir les véhicules. Les vieilles villes accusent alors deux problèmes majeurs :
la
gestion de la circulation des flux piétonniers dans un premier temps, puis la gestion des flux de voitures. L’une des solutions apportée est particulièrement drastique : tailler des rues au beau milieu des maisons. En effet, la surface au sol n’est plus suffisante pour accueillir toutes les fonctions que la ville veut lui 16Définition du Larousse
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MAILLAGE VIAIRE DE VILLENEUVE D'ASCQ En rouge : le réseau uniquement piétonnier Archive de l'EPALE
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donner : bâtiments d’habitation, groupes scolaires, centres commerciaux, édifices administratifs, terrains de sport, jardins, promenades, sans oublier évidemment les voies de circulation, indispensables pour créer une urbanité cohérente. Le stationnement des voitures des habitants et de leurs visiteurs est donc un problème qu'il faut prendre en compte en premier lieu ; viendront ensuite les préoccupations liées à l’hygiène et à la sécurité. Pour résoudre ce problème, la solution proposée par les CIAM est donc la création d'un sol indépendant de celui sur lequel circulent les piétons. Cette idée a été énoncé en ces termes : « Laissons le sol naturel supporter les voitures et construisons au-dessus un sol artificiel chargé de supporter les piétons. » (CIAM, 1965) Mais ce concept a des limites. En effet, suite à la mort de LE CORBUSIER en 1965, une crise de la pensée apparait par rapport au CIAM. Le Corbusier y faisait figure de leader depuis les années 30. Sa réflexion sur l’architecture et l’urbanisme a abouti aux « unités d’habitations » telles que les cités radieuses de Marseille, en 1947. L’unité d’habitation fédère un habitat ainsi que des équipements et des services publics, mais les fonctions d’habitation et de circulation en voiture y sont séparées ; cela crée malheureusement un « zoning » irrémédiable. Par exemple, à Grenoble, dans le quartier de l’Arlequin, l'objectif était que les voitures ne s’étalent pas sur des parkings ouverts aux pieds des immeubles. Les élus ont alors opté pour la conception de parkings souterrains ou en silo, permettant de libérer des espaces ; ces parkings furent un échec cuisant notamment à cause des problèmes d’insécurité. Néanmoins, ce quartier montre une application possible du concept de rue intérieure reliant, par une passerelle, cette galerie au silo de stockage des véhicules. Ceci est donc la preuve qu'effacer l’interstice entre voitures et piétons est possible et support de projets. Villeneuve d’Ascq diffère de ce système car la chaussée haute est présente sur un très long linéaire et surtout elle n’est pas mono-fonctionnelle : elle propose une alternance entre parkings souterrains, en surface, aux pieds d’immeubles ou sur la « digue ». Elle est plus polyvalente que l’exemple grenoblois, ce qui la rend plus urbaine et beaucoup plus attractive. 30
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ORGANISATION DES CIRCULATIONS DANS LE QUARTIER DE L'HÔTEL DE VILLE Annexes du dossier de création de la ZAC de Valmy, Archive de l'EPALE
« Laissons le sol naturel supporter les voitures et construisons au-dessus un sol artificiel chargé de supporter les piétons ». CIAM, 1965
Cela nous montre bien l'innovation dont ont fait preuve les concepteurs 31
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pour imaginer et créer ces quartiers. Comment ont-ils développé ces espaces sans complexe ?
DES ESPACES SANS COMPLEXE Outre les graphismes, c'est la perception des espaces, l'imagibilité 17 de la ville qui est déterminante. En effet, on peut se demander comment passer d'un concept à une réalité ? L'EPALE avait la volonté de créer des ambiances différentes. L'analyse des croquis de l’époque montre bien le travail innovant qui a été fourni puisqu'ils mettent en valeur la matérialité ainsi que la végétation. Ces deux éléments de l'espace public sont les outils principaux de son traitement. Peu importe le dessinateur, peu importe la phase d'avancement du projet, qu'il s'agisse d'un croquis de référence ou d'un dessin en perspective : les sols occupent une grande responsabilité dans le fait de rythmer, séquencer, décaler ou accompagner, en utilisant probablement un vocabulaire commun à toute la ville. Prenons l'exemple de la chaussée haute : cette promenade de trois kilomètres est qualifiée de "cinématique", c'est-à-dire qu'elle obéit à un principe de mouvements contraires à la monotonie. Spatialement, cela se représente par une série de plans-séquences, et de travelling. L'objectif de ce principe est d'aller vers la construction d'espaces claires, lisibles, aux fonctions simples, afin d'éviter de perturber l’attention du piéton. L'utilisation du champ lexical du cinéma n'est pas nouveau. De nombreux aménageurs s'en sont inspirés tels que TSCHOUMI18 ou KOOLASS19 qui assument pleinement leur
17K. Lynch, dans L'image de la cité, donne à « imagibilité » la définition suivante : " C'est, pour un objet physique, la qualité grâce à laquelle il a de grandes chances de provoquer une forte image chez n'importe quel observateur. C'est cette forme, cette couleur ou cette disposition, qui facilitent la création d'images mentales de l'environnement vivement identifiées, puissamment structurées et d'une grande utilité. 18 Bernard Tschumi, né à Lausanne le 25 janvier 1944, de nationalités française et suisse, est architecte, théoricien et professeur. 19 Rem Koolhaas , né le 17 novembre 1944 à Rotterdam, est un architecte, théoricien de l’architecture, et urbaniste néerlandais.
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BERNARD TSCHUMI, LA PROMENADE CINEMATIQUE 1982, Parc de la Villette, BTA
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affiliation à ce domaine. Ainsi, Bernard TSCHOUMI, dans le parc de la Villette 20, propose une promenade cinématique avec une pellicule (ou une spaghetti) jetée au hasard dans le parc. Elle forme un sentier qui serpente sur 4,5 kilomètres de long. La bande-son peut être représentée par le sentier recouvert d'un sol en dalles bleues, bordé en continu par un talus planté de saules rampants, de frênes et de féviers. La bande-image, quant à elle, est une succession de jardins formant des séquences. Des passerelles métalliques permettent une transition entre chaque jardin, formant ainsi des cadrages. Il ne reste alors plus au promeneur qu'à se faire son cinéma ! Nous allons maintenant étudier deux situations, l'une sur Paris, l'autre sur Villeneuve d'Ascq. Elles ont toutes deux pour objectif d'éviter une homogénéisation de l'espace public et de créer des dynamiques propres aux promenades.
La chaussée haute à Villeneuve d’Ascq a été réalisée avant le
parc de la Villette, pourtant, les similitudes sont troublantes. En effet, dans les deux cas la redondance des revêtements de sol permet de former une continuité, les jeux de passerelles créent des transitions et marquent les cadrages, tandis que la diversité des fonctions et des usages rythme le parcours de la promenade. Néanmoins, on peut noter des variations de vocabulaire : J.Rémy parle « d'espace cinétique » alors que Bernard Tschoumi parle de « promenade cinématique ». Bien que ces termes se ressemblent, le sens n'est pas identique. A la Villette, le parallèle avec le cinéma est claire et on comprend bien que la promenade est rythmée par les ambiances successives. Alors qu'à Villeneuve d'Ascq, on engage la promenade plutôt sur l'axe de la vitesse. Néanmoins, ces deux notions recouvrent un objectif commun : rendre la promenade plus vivante, plus intéressante, en interaction avec ses utilisateurs. Allons donc voir maintenant si les sols des promenades de Villeneuve d'Ascq sont aussi riches que ceux de la Villette.
20 Le parc de la Villette date de 1983. Il est situé dans le XIX ème arrondissement de Paris. C'est l'un des plus grands parcs de la capitale. Il est construit sur le site des anciens grands abattoirs de Paris. Il s'étend sur 55 hectares.
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« C'est une succession d'ambiances paysagères soigneusement orchestrées le long d'un circuit sinueux. Une multiplicité de sensations : voilà ce que nous avons cherchée à La Villette. Il y a eu d'emblée la volonté d'éviter la création d'un espace trop homogène. » Alain Orlandini, Le Parc de La Villette de Bernard Tschumi, Paris, Somogy, 2001
« Un espace public est d'abord un espace cinétique, c'est-àdire un espace qu'on s'approprie en se déplaçant. Une place est dynamique dans la mesure où il y a des entrecroisements de flux, et que ces entrecroisements de flux donnent lieu à des rencontres occasionnelles non programmées. » Jean Rémy, Utopies et mythologies urbaine à Villeneuve d’Ascq, 2004
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CONCLUSION DU CHAPITRE 1 Nous avons donc défini la notion de revêtement de sol ainsi que son contexte d'apparition dans le paysage urbain. Nous avons ainsi vu que les matériaux de sol ne sont pas que des revêtements fonctionnels : ils participent également à une qualité spatiale et de composition, et ce depuis toujours. Pourtant, c'est à la création de la ville nouvelle (fin des années 60 21) qu'on cherche à réinventer la ville pour lui trouver un visage plus moderne, en adéquation avec son temps. L'apparition des notions de paysage (paysage urbain, paysage intérieur, espace public ou espace vert) à cette époque, marque d'ailleurs bien cette volonté de créer des villes plus viables, avec un cadre de vie agréable, qui soient occupées par ses habitants. C'est dans ce contexte qu'on assiste à l'émergence du métier de paysagiste et que les préoccupations environnementales dans la ville nouvelle sont prises en compte. Nous avons également vu que ce nouveau visage de la ville passe par une composition et une créativité débordante. Les aménageurs le prouvent d'ailleurs, tant dans leur graphisme novateur que dans les montages administratifs et urbanistiques permettant une application du projet rapide et efficace. C'est donc dans ce contexte que nous allons chercher à trouver des documents permettant de justifier de l’utilisation des matériaux de sol comme outils d'ambiances paysagères. Cela nous permettra de voir si les circulations construisent, à elles seules, des ambiances, et comment cela a pu être engagé ?
21Décret n° 69-326 du 11 avril 1969 portant sur la création de l’établissement public chargé de l’aménagement de la ville nouvelle de Lille-Est (Villeneuve d’Ascq), Code de l'urbanisme.
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CHAPITRE II LA VILLE NOUVELLE DE LILLE-EST ` LES CIRCULATIONS CONSTRUISENT DES PAYSAGES - DE LILLE-EST : LES II / LA VILLE NOUVELLE CIRCULATIONS CONSTRUISENT DES PAYSAGES
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2.1 GRAND PROJET URBAIN BESOIN DE PLANIFICATION Nous allons maintenant comparer les Zones à Urbaniser en Priorité (ZUP) et les villes nouvelles. Il est intéressant d'étudier ces deux modèles d'aménagement qui se sont succédé à peu d'intervalle de temps, car ils sont représentatifs de deux époques, deux échelles, deux méthodes de travail et d'aménagement. En effet, en comparant l'origine de ces outils d'urbanisme, on comprend alors mieux la manière dont ont été traités les espaces publics. Mais qu'est-ce qu'une ZUP ? Une ZUP est une procédure administrative d'urbanisme qui a été utilisée en France entre 1959 et 1967, afin de répondre à la demande croissante de logements. Les ZUP étaient alors destinées à permettre la création ex-nihilo de quartiers nouveaux, ayant leurs propres logements,
commerces
et
équipements.
L'expression
ex-nihilo
est
ici
déterminante car partir de rien est une chance pour développer de nouvelles urbanités, de nouveaux schémas d'organisation et de circulations ou bien encore de nouvelles matérialités. Cependant, son inscription dans le territoire ainsi que ses relations au milieu environnant peuvent être parfois complexes. Ces ZUP prennent la forme de grands ensembles ; elles ont ainsi contribué à résorber la pénurie de logements, mais n'ont généralement pas permis la création de quartiers dynamiques. Une ZUP se différencie donc de la ville nouvelle sur plusieurs points. En effet, une ville nouvelle est une ville (ou un ensemble de communes) qui se créent suite à une décision politique. Sa construction est généralement très rapide ; elle a souvent lieu sur un emplacement peu voire pas habité. Les projets de construction de villes nouvelles suscitent des réflexions riches sur les manières innovantes d'habiter et d'occuper idéalement la ville. Elles découlent d'idées du CIAM et de la charte d’Athènes. En France, la politique des villes nouvelles date de 1965 : elle débute avec la mise en place du 38
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ESQUISSE DE SCHÉMA ORGANIQUE 1970, Schéma d'aménagement et d'urbanisme du secteur Est de Lille, EPALE 39
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Schéma Directeur d'Aménagement et d'Urbanisme de la Région de Paris (SDAURP). Au niveau national, la création d'autres villes nouvelles a rapidement suivi autour des agglomérations de Rouen, Lyon, Lille et Marseille. Un groupe central des villes nouvelles a alors été mis en place pour coordonner le programme ; ceci permettait à l'État d'avoir la main mise totale sur l'urbanisme du territoire concerné. Au niveau local, de nouvelles structures administratives
autonomes
ont
également
été
mises
en
place :
les
Établissements Publics d'Aménagement (EPA), constitués de fonctionnaires d'État, et chargés de l'élaboration de projets urbains, de l'achat du foncier ainsi que de leur revente à des investisseurs. Au total, neuf villes ont fait l'objet d'une OIN22 et de la création d'un EPA 23 (dont cinq en Île-de-France) :
-
Lille-Est, devenue Villeneuve-d'Ascq, en 1969 ;
-
L'Isle-d'Abeau, près de Lyon, en 1972 ;
-
Étang de Berre, près de Marseille, en 1973 ;
-
Vaudreuil, près de Rouen, devenue par la suite Val-de-Reuil, en 1972 ;
-
Cergy-Pontoise (1969), Évry (1969), Saint-Quentin-en-Yvelines (1970), Marne-la-Vallée (1972) et Sénart (1973), près de Paris. Comment la politique publique de la ville nouvelle de Lille-Est s'est mise
en place et quels documents vont nous permettre d’appréhender concrètement la matérialité du projet ?
22 Une Opération d'Intérêt National (OIN) est, en France, une opération d'urbanisme à laquelle s'applique un régime juridique particulier en raison de son intérêt majeur. L'État conserve dans ces zones, la maitrise de la politique d'urbanisme. Pierre Merlin, L'Aménagement du territoire en France, La Documentation française, Paris, 2007 23 Un Établissement Public d'Aménagement (EPA) est, en France, un type d'établissement public à caractère industriel et commercial, qui consiste en une structure opérationnelle sous l'autorité de l'État ayant pour vocation de réaliser des opérations foncières et d'aménagement pour le compte de celui-ci, d'une collectivité territoriale ou d'un établissement public. Pierre Merlin, L'Aménagement du territoire en France, La Documentation française, Paris, 2007
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SCHÉMA DE SECTEUR D'AMÉNAGEMENT ET D'URBANISME 1970, Schéma d'aménagement et d'urbanisme du secteur Est de Lille, EPALE 41
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2.2 TRAITS DE PIERRES POLITIQUE PUBLIQUE Pour mieux comprendre la naissance de la matérialité de la ville nouvelle, on peut exploiter différents outils ayant participé à la planification urbaine de Villeneuve d'Ascq : le SDAU et le cahier blanc.
Voyons
tout
d'abord
ce
qu'est
le
SDAU.
Le
Schéma
Directeur
d'Aménagement et d'Urbanisme (SDAU) a été mis en place par la loi d'orientation foncière de décembre 1967. Il était, à l'époque, le document d'urbanisme qui permettait de définir les règles locales d'aménagement intercommunal. Il fixait les orientations stratégiques du territoire sur le long terme ainsi que les lois générales de l'occupation des sols. Il permettait de coordonner et de mutualiser les intentions et programmes à l'échelle locale avec la politique d'aménagement du territoire. La carte du SDAU de l'arrondissement de Lille date de 1969. Elle permet de comprendre l'objectif du projet de Lille-Est. Cette carte nous apporte de nombreuses informations : l'existant, l’occupation des sols (habitat, espaces verts, industries, emplois et équipements) mais également les infrastructures de transport. Bien entendu, ces catégories sont subdivisées en sous-catégories afin de permettre une lecture du territoire tout aussi fine que complexe. En effet, la lecture peut s'avérer complexe car les graphismes sont novateurs : couleurs vives, hachures grossières, lignes et traits épais. Néanmoins, et malgré une orientation du nord perturbante, on comprend rapidement le périmètre d'intervention et la proximité immédiate de Lille. De plus, notre oeil est rapidement attiré par la couleur orange représentant les surfaces déjà urbanisées, et les hachures noires symbolisant leurs futures extensions ; des variations de ces hachures permettent de rendre compte des divers typologies et usages. Ces cartes montrent bien l'organisation du territoire : le Sud-Est de
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CARTE DU SDAU SECTEUR LILLE EST Annexe du dossier de création de la ZAC du Triolo, EPALE 43
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la carte offre une densité beaucoup moins importante qu'au Nord, qui, grâce à un réseau de parcs et de lacs, laisse tout de même entrer le rural dans cette programmation urbaine. Au niveau des circulations, la carte met bien en évidence les réseaux viaires composés d'autoroutes, de voies express, de boulevards et de noeuds d'échangeurs qui vont, en partie, irriguer Villeneuve d'Ascq. À cette échelle, on nous expose donc les prémisses de la ville nouvelle, la
programmation
d'origine,
l'organisation
générale.
Ceci
nous
permet
d'émettre l'hypothèse suivante : les revêtements de sol sont fonctions de la hiérarchie des circulations, de la densité des zones urbaines, ainsi que de la fonction des espaces. Cependant, nous ne pouvons vérifier cette hypothèse sur une carte avec une échelle aussi importante. Voyons donc quelles informations supplémentaires nous apporte le « cahier blanc ».
Le « cahier blanc » ou « livre blanc » est un document mis en place par l'EPALE afin d'apporter des informations à un public volontairement très large. Le contenu y est avant tout programmatique et se limite à la ville nouvelle, contrairement au SDAU qui mobilisait un périmètre beaucoup plus large. Il recense donc de la documentation sur les quartiers, les infrastructures, la planification et surtout sur les équipements majeurs de la ville. C'est donc un outil intéressant qui permet d'obtenir des informations plus précises, plus concrètes, et centrées sur la politique d'aménagement de la ville. Bien que ce document nous conforte dans l’hypothèse que des espaces comme le parc du héron, les abords du stade ou le quartier de la mairie, de par leurs usages variés, ont des compositions très différentes les unes des autres, on y trouve que peu d'informations permettant d’appréhender les sols de la ville.
Ainsi, le SDAU comme le cahier blanc s'attachent à définir les éléments programmatiques qui composent la ville nouvelle mais ne nous apportent pas d'information sur les préconisations concernant la matérialité des sols. Les commentaires sur ces directives en terme d'espace public doivent donc se trouver à une échelle inférieure. 44
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PLAN DE DECOMPOSITION PAR QUARTIER (ZAC) DE LA VILLE NOUVELLE Annexe du dossier de création de la ZAC du Triolo, EPALE 45
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ORGANISATION DES ESPACES PUBLICS La composition de la ville nouvelle s'est faite en zoning via une division quartier par quartier. Ceci a facilité la création et l'organisation rapide du projet. En effet, au vu des cartes d'avancement du projet de Lille-Est, il apparait que les opérations immobilières sont regroupées par quartier formant des secteurs à aménager. La carte suivante montre l’étendue des chantiers en cours et l'étalement qu'ils provoquent. Elle montre également l'organisation de la ville : la priorité est mise sur les quartiers centraux situés à proximité de l’existant, tandis que ceux situés en périphérie ne sont pas encore aménagés. Cette carte expose également très bien les travaux de drainage, les aménagements de lacs ainsi que l'importance des espaces de loisir. On peut alors se demander quels sont les moyens et les outils qui ont permis de mettre au point cette planification ?
ZONE D'AMENAGEMENT CONCERTÉ C'est l'analyse des dossiers de création de la ZAC qui nous apporte les premières réelles informations concernant la matérialité. Mais qu'est-ce qu'une ZAC ? Une ZAC est une Zone d'Aménagement Concerté, un élément juridique et urbanistique déterminant pour la création d'aménagements urbains. La définition est en page de droite. Cet outil a été créé par la loi d’orientation foncière datant du 30 décembre 1967, soit deux années avant le lancement de l'EPALE : c'est donc un outil jeune et nouveau. Cette loi d’orientation foncière, ou LOF, a établi les principaux documents d’urbanisme nécessaires à l’aménagement local, à savoir : les Plans d'Occupation des Sols (POS),le Schéma Directeur d'Aménagement et d'Urbanisme (SDAU), la taxe locale d'équipement, le Coefficient d'occupation des Sols (COS), la Zone d'Aménagement Concerté (ZAC) ou le Plan d'aménagement de zone (PAZ).
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« Les zones d’aménagement concerté sont les zones à l’intérieur desquelles une collectivité publique ou un établissement public y ayant vocation décide d’intervenir pour réaliser ou faire réaliser l’aménagement et l’équipement des terrains, notamment de ceux que cette collectivité ou cet établissement a acquis ou acquerra en vue de les céder ou de les concéder ultérieurement à des utilisateurs publics ou privés. »
définition du code de l'urbanisme et le 1 er alinéa de l'article L. 311-1
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Une ZAC est donc un outil d'aménagement pour les organismes publics. Il est nécessaire pour réaliser des opérations extrêmement différentes telles que des réseaux d'assainissement, des routes, des écoles, ou bien encore des habitations. Une ZAC s'établit à partir d'un programme de construction et d'équipements publics précis (logements, activités, etc.). C'est un compromis entre l’aménagement d'initiative exclusivement privée et uniquement publique car la ZAC nécessite la gouvernance d'une collectivité publique mais également les investissements de privés. L'une des particularités de la ZAC est que, contrairement aux ZUP, elles sont dirigées par un architecte coordinateur chargé de répartir le projet en lots, qui seront ensuite distribués à d'autres architectes. Il n'y a donc plus un seul architecte pour dessiner et organiser tout un quartier. Ceci présente l'avantage de permettre une plus grande diversité et d'éviter de reproduire les erreurs du passé. La distinction entre partie privée et publique est également plus claire ce qui évite de créer des interstices où la gestion
est
mal
contrôlée,
obligeant
souvent
les
bailleurs
à
une
résidentialisation24 quelques années plus tard. C'est donc dans les dossiers de création des ZAC que se trouvent les premiers éléments précis concernant la matérialité des sols et l'organisation des circulations que nous allons étudier maintenant.
24 Résidentialisation : L’idée maitresse est de créer, aux abords immédiats des bâtiments, des espaces plus conviviaux qui permettent aux habitants de se réapproprier les abords de leurs logements.
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PAZ HOTEL DE VILLE Dossier de création de la ZAC de Valmy, EPALE
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2.3 ILLUSTRATION DESSINER POUR CHEMINER Afin de mieux comprendre les variations et évolutions opérées dans l'organisation spatiale des circulations quartier par quartier, nous allons étudier quatre schémas de circulations ; ils ont été annexés au document de création de la ZAC de VALMY qui fait référence à une étude de faisabilité sur les circulations. Ces schémas permettent une comparaison relativement simple entre
Ascq,
Résidence,
Triolo
et
Pont
de
Bois.
Ces
quartiers
sont
particulièrement intéressants car ils sont tous situés sur la commune de Villeneuve d'Ascq et sont chacun représentatifs d'une époque. Le numéro 1, Ascq, est présenté comme le schéma « traditionnel » : il y a très peu de variations au niveau du gabarit de voirie et la composition urbaine est aléatoire. Les circulations sont incurvées, très peu régulières, sans organisation réglée ; cela forme de nombreux « accidents » de type chicanes, « S » ou « Y ». Le numéro 2, Résidence, est présenté comme le schéma « moderne » ; formé sur un quadrillage droit et régulier, il est composé de deux types de voiries hiérarchisées : l'une d'importance, pour assurer un flux régulier, l'autre de desserte, plus étroite, et par moment en impasse. Le numéro 3, Triolo, est présenté comme le schéma « contemporain » car il présente une organisation novatrice, particulière voire complexe de prime abord. La hiérarchisation y est importante et suit l'ordre suivant : autoroute, boulevard,
route
inter-quartier,
desserte
locale
et
circulation
piétonne
traversant tous le quartier et permettant ainsi une réelle continuité. L'ensemble des circulations (excepté le boulevard) sont en courbe : ceci forme un maillage complexe, irrégulier sans être anarchique puisqu'il existe une cohérence entre circulation piétonne et automobile. Le
numéro
4,
Pont
de
bois,
est
présenté
comme
le
schéma
« fonctionnel » : les infrastructures de transport sont peu nombreuses mais 50
II / LA VILLE NOUVELLE DE LILLE-EST : LES CIRCULATIONS CONSTRUISENT DES PAYSAGES
SCHÉMA COMPARATIF DES 4 QUARTIERS ANNEXE du dossier de création de la ZAC du Triolo, EPALE
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très variées puisqu'on y trouve des autoroutes, des voies ferrées, des boulevards, des voiries inter-quartier et des dessertes en impasse. Le qualificatif fonctionnel est donc tout à fait adéquat puisque ce quartier semble très bien desservi ; cependant, la proximité de ces grandes infrastructures provoque également un enclavement. Ces quatre exemples nous montrent donc bien que la ville de Villeneuve d’Ascq présente une belle diversité d'organisation de ses espaces publics et de ses circulations. Cette diversité, alliée aux variations programmatiques, permet déjà de créer des ambiances différences. Mais comment sont-elles traitées et matérialisées au sol ?
L’ENTRE-DEUX UNIVERSITES Pour illustrer concrètement la matérialité des revêtements de sol à Villeneuve d'Ascq, nous avons choisi un parcours symbolique et représentatif des circulations de la ville nouvelle : la liaison piétonne entre les deux universités. Cette voie de circulation s'est naturellement imposée car son principe repose sur une séparation complète des flux automobiles et piétons, séparation matérialisée par une « chaussée haute » ponctuée de nombreux équipements et commerces. En observant le maillage piétonnier, on voit très clairement se dessiner un croissant reliant les deux pôles universitaires via le quartier de l’hôtel de ville. Cette liaison traverse donc les quartiers du Triolo, de l'hôtel de ville et de Pont de bois. Ces trois quartiers sont organisés différemment, et ont des gestions de l'espace public divergentes ; on constate cependant que ces divergences sont directement liées aux différences d'ambiances et d'occupations de l'espace public. Nous allons donc maintenant montrer quelles sont les spécificités de chacun de ces quartiers et comprendre comment y sont construites les circulations. Ceci nous permettra de voir en quoi l'espace public est révélateur des
variations d'ambiances. Pour
cela,
nous
nous
appuierons
sur les
publications des revues d'architecture ou d'urbanisme, et les documents issus des recherches d'archives. 52
II / LA VILLE NOUVELLE DE LILLE-EST : LES CIRCULATIONS CONSTRUISENT DES PAYSAGES
SCHÉMA DE L'ENTRE DEUX Réinterprétation du schéma extrait de Techniques et architecture, n°293 Concours Pont de bois
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II / LA VILLE NOUVELLE DE LILLE-EST : LES CIRCULATIONS CONSTRUISENT DES PAYSAGES
LE TRIOLO Le Triolo est le premier grand quartier réalisé dans le cadre de la ville nouvelle. Son nom vient du lieu-dit où il a été construit. Il permet d'établir une liaison urbaine entre le quartier de résidence existant et la cité scientifique jusqu'à lors isolée au milieu des champs de betterave. Pour ce projet, l'EPALE fit appel à des architectes coordinateurs : BERTRAND, GUISLAIN, GOGOIS et LA VAN KIM pour l'ouest, et DELECOURT et PERETZ à l'est, laissant ainsi aux maitres
d'ouvrages
et
aux
architectes
d'opérations
leurs
pleines
responsabilités. Dans ce quartier, l'objectif était de créer une diversité d'habitations afin d'accueillir une population variée. Cet objectif fut atteint grâce à la dimension limitée du projet, au traitement coloré des façades ainsi qu'aux aménagements de sol laissés très naturels. Les pavés y sont largement présents, les circulations sont étroites et laissent place à de grandes surfaces engazonnées. Le système de circulation scinde systématiquement les flux piétons et automobiles grâce à des passerelles piétonnes. Ce quartier intègre donc un grand nombre de mouvements de terrains permettant de placer ces passerelles et d'éviter les croisements entre piétons et voitures. La principale circulation du quartier est d'ailleurs exclusivement piétonne ; on y retrouve la plupart des équipements collectifs. Ces circulations sont sinueuses et intégrées dans la composition urbaine du quartier. Ce sont ces circulations structurantes qui créent une véritable identité au Triolo. Ces ouvrages lourds sont très bien intégrés dans les aménagements paysagers et participent à rythmer le quartier de manière douce et progressive. Les croquis d’ambiance montrent la volonté de créer un quartier vert, piétonnier, propices à l'investissement des habitants. Les croquis et plans montrent à quel point l'utilisation des pavés est importante : ils sont présents en bordure mais surtout dans des dispositifs ludiques et graphiques ; ils créent des arrondis, des virages, des bols, des dômes ; ils deviennent un terrain de jeux pour les enfants mais également des points de repère car ces éléments 54
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PHOTO APRÈS CHANTIER Ville nouvelle actualités, EPALE
PLAN MASSE DU TRIOLO 1977, Les espaces verts ; études et documents, ville nouvelle de Lille-Est, EPALE
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II / LA VILLE NOUVELLE DE LILLE-EST : LES CIRCULATIONS CONSTRUISENT DES PAYSAGES
sont marqueurs d'ambiances et d'identité pour le quartier. Ils marquent les zones de congestion de flux et forment un cœur de quartier paisible et multifonctionnel : les parents y attendent leurs enfants devant les écoles, les enfants y jouent. La réussite de cette espace est en partie due à la structuration des circulations, leur gabarit, leur emplacement, leur matérialité et leur inventivité. Dans les photos, maquettes et croquis qui illustrent ces aménagements, la matérialité est présente et on comprend bien que c'est une volonté des concepteurs de travailler avec une palette de matériaux, très peu étendue mais diversifiée dans ses utilisations. Les revêtements participent donc bien à la création d'ambiances : ils ont été pensés dans ce but. Le rapport de J.J . DE ALZUA25 sur l'imagibilité de Villeneuve d'Ascq signale d'ailleurs que les revêtements de sol du Triolo ont fait l'objet de tests grandeur nature afin d'être sélectionnés avec le plus grand soin.
PHOTO DE MAQUETTE DU TRIOLO Ville nouvelle actualités, EPALE
PHOTO DE CHANTIER DU TRIOLO Ville nouvelle actualités, EPALE 25 J.J. DE ALZUA, architecte coordinateur du quartier de l'hôtel de ville, est auteur d'ouvrages sur la ville nouvelle : Création d'un quartier, Triolo, EPALE (1979) et Une ville plus humaine, séminaire STU
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II / LA VILLE NOUVELLE DE LILLE-EST : LES CIRCULATIONS CONSTRUISENT DES PAYSAGES
CROISÉE DES CHEMINS DU TRIOLO Ville nouvelle actualités, EPALE
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HÔTEL DE VILLE La séquence de l'hôtel de ville se compose principalement d'une dalle. L'espace public y est donc en surplomp du sol dit « naturel ». Sous cette dalle, l'espace est principalement utilisé comme parking, mais coté rue, c'est aussi un espace de stockage et de bureau. Le quartier de l’hôtel de ville a été coordonné directement par l'EPALE et par l'un de ces architectes : J.J. DE ALZUA. L'objectif de ce quartier était d'accueillir de nombreux équipements à destination de tous les habitants de la ville. Les équipements créent sont le centre commerciale V2 avec 31 000 mètres carrés de surface commerciale, la mairie (ou centre administratif), l’école d'architecture, le théâtre « la rose des vents », le centre de la petite enfance et de nombreux bureaux. La problématique
de
la
desserte
avec
différents
modes
de
transport
et
l'organisation des circulations était donc cruciale pour assurer une fluidité et une efficacité des différents accès. Ainsi, on peut y trouver une station de métro, une gare routière, des arrêts de taxis ainsi qu'un grand nombre de parkings (intérieurs et extérieurs). La proximité des autoroutes métropolitaines et internationales est également intéressante pour dynamiser le quartier. Le rapport entre la conception de ces circulations et les revêtements de sol sont ici purement fonctionnels. La qualité du centre ville passe par un traitement de l'espace public particulier ; en effet, le forum vert était prévu pour être le poumon vert du centre ville, mais c'est finalement la présence de la chaussé haute qui se veut fondatrice du quartier. Cette chaussée traverse et dessert tous les équipements cités ci-dessus. Elle est réservée aux piétons et cyclistes et elle structure le centre ville de manière originale car elle est surélevée par rapport au niveau du sol. Un grand nombre de documents iconographiques illustrent ce quartier. Nous en avons sélectionnés de trois types : les documents d’études de faisabilité qui sont souvent assez conceptuels, les documents d'esquisse, très proches de la réalité et les photos de la réalisation pour la finalité. Ces 58
II / LA VILLE NOUVELLE DE LILLE-EST : LES CIRCULATIONS CONSTRUISENT DES PAYSAGES
AXONOMETRIE DU PARVIS DE L'HÔTEL DE VILLE Ville nouvelle actualités, EPALE
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documents nous montrent l'évolution du projet et le travail de plus en plus concret sur la matérialité. Les croquis des études de faisabilité mettent en évidence une composition du quartier via des jeux de hauteur : en fond, une skylign d'immeubles d'hauteur volontairement exagérée, représentative du futur centre ville ; en premier plan, une circulation piétonne directe, avec un traitement du sol qui suggère une trame de pavés. Le chemin y est droit, en pont et surplombe « le forum vert » végétalisé. C'est également le cas du parvis de la mairie qui jouit d'une composition différente liée aux usages, à la confrontation des flux et aux sols qui organisent cette place. Dans les plans et perspectives, on appréhende la matérialité de manière encore plus concrète : les légendes nous montrent une distinction relativement simplifiée symbolisant de l'asphalte, des dalles gravillonnées, des pavés bétons ou
des
pelouses.
Ces
variations
se
perçoivent
dans
les
illustrations.
Néanmoins, l'agencement parait beaucoup plus complexe. En effet, la proximité de l’hôtel de ville a compliqué le traitement du sol pour plusieurs raisons : les calepinages se croisent, s'entremêlement et la gestion des réseaux parait approximative car les nombreuses grilles avaloir viennent perturber et polluer la trame dessinée au sol. Les réseaux et les sols ont donc dus être traités séparément, ce qui décrédibilise la thèse selon laquelle les revêtements sont représentatifs d'ambiance ; il semble qu'ils soient plutôt travaillés en dernier pour respecter au mieux les règles définies préalablement. La pression et l'usure que subit cet espace extrêmement sollicité, est une autre raison de l'échec du centre ville Villeneuve d'Ascq.
COUPE DE PRINCIPE STATION DE METRO HOTEL DE VILLE Ville nouvelle actualités, EPALE
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PERSPECTIVE DE LA RUE COURBE DANS LA CHAUSSEE HAUTE Techniques et architecture, n°302, Décembre-Janvier, 1975, Lille-Est
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II / LA VILLE NOUVELLE DE LILLE-EST : LES CIRCULATIONS CONSTRUISENT DES PAYSAGES
Pourtant le quartier de l’hôtel de ville est la vitrine de la ville nouvelle, les matériaux de sol y sont d'ailleurs voulus plus « nobles » à proximité de l'édifice. Ceci est logique26 depuis le Moyen-âge puis au 17ème siècle, l'espace public est un lieu religieux ou de pouvoir, très longtemps réduit aux parvis d'édifices. Cette qualité de matériaux voulue et ce besoin de mettre en avant ce lieu n'est malheureusement pas en accord avec son utilisation qui nécessite un renouvellement beaucoup trop régulier ; ceci a fini par faire perdre l'ambiance, la qualité et la simplicité créées au départ. En effet, comme on peut le voir sur les photos de chantier tirées de la revue « Ville nouvelle actualité », à l'origine le traitement était claire et simple puisque le parti pris était d'utiliser des matériaux sobres, peu chers et de jouer sur des variations de couleurs et d'agencements pour dynamiser l'espace public et le mettre en relation avec les bâtiments environnants, volonté présente dans toute la ville nouvelle.
CROQUIS D'AMBIANCE DE L'HÔTEL DE VILLE Techniques et architecture, n°302 Décembre-Janvier 1975, Lille-Est 26 Comme le souligne D. DELBARRE dans La fabrique de l’espace public, ville, paysage et démocratie
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PHOTO DU PARVIS DE L'HÔTEL DE VILLE DEVANT L'ENTRÉE DU METRO Ville nouvelle actualités, EPALE
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PONT DE BOIS Le Pont de bois a été coordonné par A. JOSIC. Il est composé de quatre zones principales : –
une zone dense, urbaine, comprenant les équipement principaux,
–
une zone universitaire,
–
deux zones d'habitats plus résidentielles, situées de part et d'autre de la zone centrale. L'habitat est caractérisé par un tissu tramé continu, destiné à renforcer le sentiment d'unité du quartier. Ce dernier a d'ailleurs fait l'objet d'un concours d'urbanisme en 1972 dont l'objectif était de trouver un mode d'habitat semi-collectif. La dernière séquence est celle de la chaussée haute située entre l’hôtel
de ville et l'université des lettres. Elle est totalement en surplomb du reste de la ville et globalement linéaire. Ce rehaussement de l'espace public est un véritable bouleversement mais est représentatif de l'innovation et de l'utopie de la ville nouvelle. Néanmoins, il provoque un grand nombre de problèmes. En effet, la variation de hauteur entre la chaussée haute et le sol « naturel » est approximativement de deux étages. Le raccord entre le niveau haut et le niveau bas est donc problématique, tant dans l'espace public que dans les bâtiments privés. Pour autant, des raccords existent, implantés plus ou moins finement, grâce à des programmes immobiliers, aux équipements qui la bordent ou au réseau viaire composé d'une multitude de rampes, escaliers ou pentes. La chaussé reste donc accessible de tous.
La principale raison de l’échec de la chaussé haute est l'abandon du projet de métro aérien. En effet, avec le changement de mairie en 1977, la construction du VAL27 aérien est remplacée par le projet actuel de métro en souterrain ; or, l'attractivité de la chaussée haute était liée à la présence d'un métro aérien. Avec la perte de cet élément moteur d'utilisation de l'espace public, la chaussée perd de son attractivité. 27 VAL est historiquement l'acronyme du projet Villeneuve-d'Ascq-Lille, qui est le premier projet de véhicules automatiques légers au monde. Il deviendra alors l'acronyme pour Véhicule Automatique Léger.
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II / LA VILLE NOUVELLE DE LILLE-EST : LES CIRCULATIONS CONSTRUISENT DES PAYSAGES
CROQUIS D'AMBIANCE DU PONT DE BOIS Techniques et architecture, n°293, concours Pont de bois
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II / LA VILLE NOUVELLE DE LILLE-EST : LES CIRCULATIONS CONSTRUISENT DES PAYSAGES
En conséquence, très peu d'investisseurs osent implanter des commerces sur la chaussée elle-même. Les commerces sont donc relayés au niveau routier pour gagner en visibilité et en confort d’accès. Même le centre commercial garde son entrée principale sur son parking, au niveau bas. L'espace public du haut, boudé au profit de l'espace public du bas, n'est donc pas la devanture du quartier mais plutôt son arrière boutique. De plus, cette chaussée est linéaire, étroite et très peu de parcours alternatifs existent. Elle condamne donc ses utilisateurs à aller dans une unique direction. Ce système ponctuel n'est pas généralisé à l'ensemble de la ville, l'énergie et les flux qu'elle arrive à contenir dans des espaces attractifs comme l’hôtel de ville ou le parvis Léon Blum à Pont-de-Bois sont rapidement circonscrits au reste de la chaussé haute à cause d'une dégradation progressive de l'organisation . Cette chaussé devient un objet qui va rapidement se réduire à un traitement architectural ayant pour vocation de marquer la fonction de centralité (homogénéité des façades et système d’arcades) comme un geste venant masquer les défauts d’urbanité.
SCHÉMA D'ORGANISATION DU PONT DE BOIS Techniques et architecture, n°293, Concours Pont de bois
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II / LA VILLE NOUVELLE DE LILLE-EST : LES CIRCULATIONS CONSTRUISENT DES PAYSAGES
PHOTOS DE LA CHAUSSÉE HAUTE Photos de la parcelle de la rue des Victoires / Archive ENSAP Lille
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II / LA VILLE NOUVELLE DE LILLE-EST : LES CIRCULATIONS CONSTRUISENT DES PAYSAGES
Pour autant la chaussée n'est pas déserte elle devient un terrain de jeux, un accès privilégié par les parents pour aller chercher leur enfants dans les écoles. Malgré le fait que l'utilisation de la chaussée ne soit pas celle souhaitée par ses concepteurs, elle reste une voie de circulation fonctionnelle et utilisée. Elle n'est peut être pas structurante (bien que l'organisation des quartiers qu'elle traverse étant en relation directe avec elle, on peut douter de cette idée) mais ce qui nous importe c'est de comprendre en quoi elle a pu être moteur de projet dans chacun des quartiers ? Mais comment lui donner plus d'importance, diversifier ses fonctions et comment imaginer son traitement ? A l'instar du quartier de l’hôtel de ville et du Triolo, différents documents iconographiques tentent de nous le montrer, mais, dans le cas de Pont-de-Bois, il est préférable de se concentrer sur les photos de la réalisation qui nous montrent à quel point le traitement est simplifié. En effet, une fois encore, mais plus spécifiquement sur la chaussée haute, l'utilisation des revêtements est liée
aux bâtiments.
Recouvert
d'asphalte, de dalles gravillonnées et de pavés béton, l'espace public pourrait paraitre pauvre et ennuyeux alors que les alternances de matériaux, de rythmes et de séquences, témoignent d'une modernité flagrante.
BILAN DES DIFFERENTES GESTIONS Cette chaussée haute est composée de séquences ; ceci fait référence au terme cinématographique de « travelling » car elle offre la possibilité de traverser trois quartiers via une seule et unique chaussée. Ainsi, l'idée de cheminement, voire de parcours, a été plus que travaillé. En règle générale, les obstacles à la progression en ligne droite sont les chicanes, les passerelles et l'organisation des matériaux de sol qui, généralement, alourdissent l'espace public. Pourtant, ici, en formant un ensemble dont l’accès est interdit aux voitures et autres véhicules à moteur, ces éléments font de la chaussée une promenade agréable et rythmée. Ils constituent des relais visuels marquant le début et la fin de différentes séquences. Ce confort visuel se traduit par des variations de largeur de la chaussée, qui va de 4,5 à 70 mètres. Ainsi, en
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II / LA VILLE NOUVELLE DE LILLE-EST : LES CIRCULATIONS CONSTRUISENT DES PAYSAGES
LÉGENDE REVÊTEMENT DE SOL DU QUARTIER DE L'HÔTEL DE VILLE 1980, Chaussée haute, quartier de l'Hôtel de Ville, 11EP296, EPALE
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II / LA VILLE NOUVELLE DE LILLE-EST : LES CIRCULATIONS CONSTRUISENT DES PAYSAGES
s’ouvrant sur l’esplanade des HLM de l’opération Schneider ou sur la place Léon Blum,
la
chaussée
déborde
de
son
lit
pour
aller
chercher
différents
équipements comme la station de métro de Pont-de-Bois ou les équipements scolaires. Tantôt étroite, tantôt large, elle se ramifie en rampes de 5 % pour les personnes à mobilité réduite. La chaussée contient donc une multitude de cheminements avec une qualité et une alternance de matériaux de sol adaptées à différentes activités : des activités spontanées tout d'abord, comme le patin à roulettes, le vélo ou les jeux de marelles qui se pratiquent sur des surfaces lisses et bitumineuses (telles qu’il en existe sur les parvis lorsque la chaussée s’élargit), ou des jeux de ballon et de pétanque sur le revêtement en granulat de l'esplanade, à l'abri des voitures. L’échelle des traitements de sols est celle des bâtiments qui les bordent. Il s'agit en général d'un enrobé noir, tramé de dalles de béton, qui prolongent au sol la trame des logements sous forme de bandes en dalles 50 par 50 gravillonnées et posées perpendiculairement aux façades. Ce dispositif affirme la soudure du bâti et de l’espace public suivant un principe simple généralisé à l’ensemble de la chaussée. Emile Aillaud, architecte de nombreux grands ensembles, résume ce principe ainsi :
« Le sol doit être traité comme une façade. » Emile AILLAUD, architecte Cette citation illustre bien la volonté de l'époque et la façon dont était pensé l'espace public. Les espaces publics sont en grand nombre comme le confirment les chiffres publier dans Nord-eclair. Cette quantité offre de nombreuse possibilité mais le concept générale était de comparer le sol aux façades, ainsi l’architecture des vides compte autant que celle des volumes construits. C'est pourquoi l'espace public devient à la fois œuvre d’art, terrain de jeu et cachette. On observe ce concept dans les plans du dossier de création de la ZAC du Triolo. Les documents techniques nous montre quatre grands types de matériaux qui vont permettre d'appliquer ce concept: les enrobés, les pavés, les dalles gravillonnées ainsi que les espaces engazonnés. 70
II / LA VILLE NOUVELLE DE LILLE-EST : LES CIRCULATIONS CONSTRUISENT DES PAYSAGES
TRIOLO : 7,5 HA HOTEL DE VILLE : 4,1 HA PONT DE BOIS : 4,5 HA CHATEAU : 5 HA COUSINERIE : 9,4 FLERS : 2 HA
Source : Nord-éclair du 12 mars 1982, chiffres provenant de la mairie de Villeneuve d'Ascq.
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II / LA VILLE NOUVELLE DE LILLE-EST : LES CIRCULATIONS CONSTRUISENT DES PAYSAGES
CONCLUSION DU CHAPITRE 2 Nous avons donc vu que la ville nouvelle de Lille-Est a été pensée au travers de grands schémas territoriaux. Suivant une logique temporelle et politique, l'aménagement s'est voulu cohérent au niveau régional et du secteur Est de Lille, au sein des différents quartiers étudiés. Cela nous apporte des informations déterminantes sur les circulations de la ville. Cette logique programmatique provient d'outils juridiques et urbanistiques permettant de planifier des aménagements. Ces aménagements se veulent modernes, en adéquation avec leur temps. Ces outils ont permis un travail fin qui devrait améliorer considérablement la qualité de vie au sein de ces quartiers. Cette nouvelle structuration de l'espace public sépare les circulations autos, des circulations piétonnes. En réunissant les deux universités par une longue chaussée haute traversant 3 nouveaux quartiers, cette nouvelle forme urbaine ne peut que laisser place à de nouvelles typologies ou organisations créant de l'espace public, espace à l'image de l'utopie de la ville nouvelle. Les matériaux de sol sont l'un des outils qui permettent l'application concrète d'ambiances qui rythment la ville et, plus particulièrement, la chaussée haute. Bien que ces revêtements soient généralement programmés de manière simple et fonctionnelle, ils répondent aux problématiques et aux intentions de départ. Mais quels en sont leurs déclinaisons ? Comment sont-ils interprétés ? Nous tenterons d'y répondre dans cette troisième et dernière partie. Pour cela, nous dresserons un panel des matériaux de sol utilisés puis nous ferons le bilan de la gestion actuelle.
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CHAPITRE III III / BILAN DE L’ESPACE - PUBLIC ENTRE HIER ET AUJOURD’HUI : UN COCKTAIL DE TEXTURES UN COCKTAIL DE TEXTURE BILAN DE L’ESPACE PUBLIC ENTRE HIER ET AUJOURD’HUI -
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III / BILAN DE L’ESPACE PUBLIC ENTRE HIER ET AUJOURD’HUI : UN COCKTAIL DE TEXTURES
3.1 RÉALITÉ URBAINE Dans la mesure où l'on sait maintenant que l'une des règles de l'époque était de traiter les sols comme une façade, on cherche à approfondir les critères graphiques de la matérialité des sols. Bien que la précédente partie le mentionne, on peut s’attarder sur la probable diversité de cette matérialité. Les extraits de légende montrent une diversité de produits relative. Les variations de pavés, dalles gravillonnées, asphaltes ou engazonnements vontelles être suffisantes pour créer les ambiances recherchées ? Seul un travail de terrain ainsi qu'une rencontre avec les services en charge de la gestion et de l'entretien de l'espace public pourront nous permettre de comprendre comment, aujourd'hui, en 2015, le sol de Villeneuve d'Ascq est composé, comment il est entretenu et si oui ou non, il reste représentatif de l'idéologie des concepteurs de l'époque. Plus de 40 années ont passé depuis les premières opérations, on imagine donc bien l'usure qui en découle, et donc les nombreux changements de fonctions et de revêtements nécessaires. C'est grâce à un relevé de terrain photographique associé à un repérage cartographique que nous allons appréhender et vérifier l'hypothèse selon laquelle les matériaux de sol sont révélateurs des ambiances de la ville nouvelle de Lille-Est. La méthode d’approche de cette étude est de se confronter à la réalité pour arriver à une énumération exhaustive des revêtements des espaces publics de la ville. Pour cela, nous avons travaillé en deux phases : un repérage in situ des matérialités suivi d'un traitement des données collectées. Pour la première phase, le repérage in situ, on poursuit le recentrage de la deuxième partie de ce mémoire, qui prenait comme périmètre d'étude la liaison piétonne entre les deux universités traversant les quartiers de Triolo, de l'hôtel de Ville et de Pont de Bois. Ainsi, les rues, places et jardins devront être explorés. Le périmètre d'étude n'est donc pas clairement fermé puisque l'on prend également en compte ce qui entoure l'infrastructure piétonne et, bien
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III / BILAN DE L’ESPACE PUBLIC ENTRE HIER ET AUJOURD’HUI : UN COCKTAIL DE TEXTURES
Asphalte rouge
Dalle béton gravillonné 50.50 blanc
Dalle béton pour fil d’eau
PHOTOS DE LA CHAUSSÉE HAUTE ACTUELLE Photo personnelle, passerelle de la rue des victoire, mai 2015
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III / BILAN DE L’ESPACE PUBLIC ENTRE HIER ET AUJOURD’HUI : UN COCKTAIL DE TEXTURES
entendu, ses limites (plus ou moins claires). En effet, la chaussée haute déborde sur de nombreux espaces publics dont cette étude devra tenir compte.Sur le terrain des photos ont donc été prises et des profils dessinés pour mieux comprendre la forme et la typologie de chacun des matériaux, l'objectif étant l'élaboration d'une base de données exhaustive de l'existant.
La seconde phase est le traitement des données collectées. Cette étape permet de classer et de diffuser les informations réunies lors de la première phase. À travers différents thèmes, les renseignements sont ordonnés pour offrir
une
lecture
comparative
des
différents
matériaux.
Le
point
de
comparaison principal est le critère géographique. Les matériaux sont ainsi classés selon une série de catégories : matériaux modulaires, non-modulaires et spécifiques. Ce sont ces variations qui vont nous permettre de comprendre comment est habillée Villeneuve d'Ascq. En effet, agencement entre dalles et pavés, entre asphalte et dalles, entre pavés et gazon, ou pavés et pavés : les possibilités sont infinies. On va donc chercher à comprendre quels sont les agencements les plus représentatifs, les associations de chaque matériau présent dans le panel observées majoritairement .
Il s'agit donc d'élaborer une liste de critères permettant un choix logique des matériaux. Le choix du matériau de revêtement dans un aménagement se fait en amont de la conception d'un projet. Il fait l'objet de discussions entre le maitre d’ouvrage, le concepteur, le maitre d’œuvre et le gestionnaire. Ces échanges permettent de déterminer la nature du revêtement (pierre naturelle, béton modulaire, enrobé...), ses dimensions et ses aspects, mais aussi la technique de pose et le calepinage (pour les matériaux modulaires). Il s'agit de prendre en compte les contraintes de conception, de réalisation, d'usage et d’entretien de l'ouvrage afin d'élaborer des critères de sélection qui soient également
compatibles
avec
les
objectifs
en
terme
de
coût.
Les
caractéristiques physiques et mécaniques à prendre en compte sont la gélivité,
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III / BILAN DE L’ESPACE PUBLIC ENTRE HIER ET AUJOURD’HUI : UN COCKTAIL DE TEXTURES
Croisée des chemins - Triolo
Enrobé
Ligne pavée
Pavés grés
PHOTOS DU TRIOLO ACTUEL Photo personnelle, mai 2015
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III / BILAN DE L’ESPACE PUBLIC ENTRE HIER ET AUJOURD’HUI : UN COCKTAIL DE TEXTURES
la compression, la résistance aux altérations ainsi que les caractéristiques liées aux conditions de sécurité et de confort (adhérence, planéité, lisibilité, nuisances
acoustiques).
Les
contraintes
d'usage,
de
conception
et
de
réalisation engendrent des usages de l'espace différents alors qu'il s'agisse de voies, de places piétonnes, de trottoirs, de chaussées ou de place de stationnement, les revêtements peuvent varier. L'environnement du projet est également déterminant car il implique des contraintes esthétiques (couleur, aspect...), architecturales (dimensions...), climatiques, etc. Le budget de l'opération est également un facteur non négligeable. Viennent ensuite les contraintes
de
chantier
:
normes,
réglementations,
délais
d'approvisionnement, phasage et quantités. En dernier lieu, il convient de prendre également en compte les contraintes de gestion ; en effet, le vieillissement étant l'aspect le plus dégradant d'un espace public, le mode de nettoiement est déterminant.
PHOTOS DU FORUM VERT ACTUEL Photo personnelle, mai 2015
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III / BILAN DE L’ESPACE PUBLIC ENTRE HIER ET AUJOURD’HUI : UN COCKTAIL DE TEXTURES
Ligne de marbre
Pavés béton
Porphyre - Hôtel de ville
Agencement - Hôtel de ville
PHOTOS DE LA CHAUSSÉE DE L'HÔTEL DE VILLE Photo personnelle, mai 2015
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III / BILAN DE L’ESPACE PUBLIC ENTRE HIER ET AUJOURD’HUI : UN COCKTAIL DE TEXTURES
3.2 LA MOSAïQUE MODULAIRE Pour organiser et synthétiser la mosaïque de sol que forme Villeneuve d'Ascq, on peut la décomposer en catégories d'assemblage, à savoir : sol modulaire, coulé ou naturel. S'il fallait choisir un matériau représentatif de la ville nouvelle, c'est surement la dalle béton qui serait choisie car, non seulement elle est présente en quantité dans la ville, mais elle symbolise également cette époque. De plus, ses déclinaisons sont très nombreuses et sa composition est variée. Elle est très régulièrement associée à des asphaltes ; cette composition est relativement simple, pourtant, elle permet la création de trames au sol composant l'espace public et lui donnant une force. C'est une addition peu coûteuse qui laisse place à de nombreux usages fonctionnels et esthétiques qui répondent aux demandes de modernité. On analysera plus spécifiquement les déclinaisons possibles de ces associations dans la partie consacrées aux matériaux coulés. Les dalles en elles-mêmes proposent une mosaïque de formats de couleurs et de granulats. On les regroupe dans une catégorie appelée : pavés et dalles béton.
PAVÉS ET DALLES BÉTON Ce sont des modules moulés constitués d'un béton de ciment et de granulats
naturels
mécaniquement.
Ils
roulés sont
ou soit
concassés,
généralement
mono-couches,
c'est-à-dire
compactés composés
uniquement d'un béton de masse, soit bi-couches, c'est-à-dire composés d'un béton de masse et d'un béton de parement plus riche, en granulats de pierres naturelles sur la face apparente. Les dimensions les plus classiques de ces dalles sont 50 par 50 centimètres, mais on observe aussi des dalles de 40 par 40. Elles font généralement 4 cm d'épaisseur (1 centimètre de couche protectrice et 3 de support). Ce sont des modules moulés constitués d'un 80
III / BILAN DE L’ESPACE PUBLIC ENTRE HIER ET AUJOURD’HUI : UN COCKTAIL DE TEXTURES
Chaussée haute
Pavés béton - agencement
Pavés béton
MOSAÏQUE PAVÉS ET DALLES BETON Photos personnelles, Décembre 2014
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III / BILAN DE L’ESPACE PUBLIC ENTRE HIER ET AUJOURD’HUI : UN COCKTAIL DE TEXTURES
béton de ciment et de granulats naturels roulés ou concassés, généralement compactés mécaniquement. Elles sont composées en grande partie de silex. On en trouve des roses, blanches, noires et jaunes. Ces déclinaisons assurent des variations multiples et augmentent le panel d'associations possibles. On peut également y ajouter des granulats lavés qui permettent de nouvelles variations des caractéristiques d'aspect et de structure. Ainsi, la granulométrie et la colorimétrie intègrent un nuancier infini allant du blanc au noir. Il est intéressant de voir les divers modes d'agencement dont ce matériau a fait l'objet : il permet de créer des lignes accompagnant l'enrobé, les escaliers, les trottoirs, les limites de bâtiments, les caniveaux, les allées champêtres traversant des pelouses (comme le montraient les croquis d'ambiance). Qu'elles soient posées sur des sols naturels ou artificiels, l'objectif de ces dalles est de créer des circulations stables et faciles à poser. Leur format propose des compatibilités avec de nombreux autres matériaux : c'est le cas, par exemple, des dalles béton lisse ou des pavés béton. Leur faible coût permet un remplacement peu contraignant. Malheureusement, il est dépendant du bon fond de forme, qui est souvent l’élément engendrant des détériorations. Cette vétusté est visible dans différents cas, comme les escaliers subissant une pression importante des utilisateurs, par exemple. Dans ce cas précis, c'est le liant entre le fonds de forme en béton et la dalle qui se dégrade et qui fait décoller puis glisser les dalles. On observe également cette situation sur des surfaces planes et mal drainées. Un autre exemple de dégénérescence se retrouve sur des sols naturels entourés de pelouse, avec peu ou pas de bordure et une topographie généralement pentue, car cela provoque un glissement progressif du fonds de forme, souvent composé uniquement d'un lit de sable ou d'une grave légère. Cette disparition du fonds de forme produit un déplacement de la voirie, une porosité du sol support et un brisement des dalles. Malgré cela, et même après 40 ans d'utilisation, l'espace public reste parsemé de ce matériau.
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III / BILAN DE L’ESPACE PUBLIC ENTRE HIER ET AUJOURD’HUI : UN COCKTAIL DE TEXTURES
Dalles béton gravillonnées 50.50 blanc - hôtel de ville
Dalles béton gravillonnées 50.50 beige
Dalles béton 50.50 brutes
Dalles béton gravillonnées 50.50 rose
Mélange dalles béton pour escalier
MOSAÏQUE PAVÉS ET DALLES BÉTON Photos personnelles, Décembre 2014
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III / BILAN DE L’ESPACE PUBLIC ENTRE HIER ET AUJOURD’HUI : UN COCKTAIL DE TEXTURES
Il existe une variante à ces dalles : elle est de même format (50 par 50 ou 40 par 40) mais constituée d'une mono-couche sans granulats, uniquement en béton lisse. Les coloris de ce revêtement varient selon le ciment, mais sont généralement dans un nuancier de gris. Dans un format encore plus petit, les pavés de 12 sur 12 ou de 20 par 10 centimètres sont compatibles avec les précédents revêtements. Ils sont également très présents et utilisés en grande quantité sur des surfaces importantes comme le prouvent les photographies datant de la réalisation du centre-ville ou du centre de Pont-de-bois, deux lieux attractifs et fréquentés. Ils sont moulés de manière industrielle avec des formes parfaitement régulières ; ceci leur donne des qualités d’encastrement optimisées qui rendent les joints facultatifs en fonction de leur utilisation et de la pression qu'ils vont subir. Ils peuvent également être teintés suivant une large palette de couleurs. On les retrouve la plupart du temps dans des nuances de gris, mais on en observe également des noirs, beiges, rouges et roses.
On observe d'autres types de matériaux modulaires comme les pavés autobloquants par exemple. Leur prix est supérieur aux autres revêtements cités jusqu'alors, mais ils présentent de nombreux avantages : leur forme empêche le glissement des éléments et ils se posent très facilement par simple emboitement. Les pavés peuvent donc être posés dans des secteurs en pente ou dans des courbes : ils s'adaptent à toutes les configurations et situations. Il sont également ultra-résistants au trafic. En terme d'ambiance, ils simulent des agencements complexes, sans pour autant utiliser des calepinages difficiles à mettre en œuvre. Ils répondent donc aux envies d’ambiance que proposaient des croquis complexes comme ceux de l’hôtel de ville.
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Mélange pavés et dalles béton
Dalles béton gravillonnées 50.50 rose
Pavés béton autobloquants
Pavés béton
Dalles béton gravillonnées 50.50 blanc
Pavés béton et autobloquants
Porphyre - escalier - hôtel de ville
MOSAÏQUE PAVÉS ET DALLES BÉTON Photos personnelles, Décembre 2014
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« LES CLASSIQUES » Il était également nécessaire de démontrer que des revêtements dits « classiques », tels que les pavés grès de type 15-15-20, sont très utilisés. Leur coût est plus élevé que les dalles béton (130 euros du mètre carré) ; ils sont donc moins utilisés. Néanmoins, c'est un matériau de récupération : les anciennes voiries des trois villages transformés étaient faites de pavés ; la restructuration de nombreux secteurs a donc permis un recyclage important. Les exemples les plus flagrants d'utilisation des pavés sont ceux du carrefour piétonnier au centre du Triolo et sur le forum vert de l'hôtel de ville. Ces deux exemples restent surprenants car leur utilisation n'est pas limitée aux circulations puisqu'ils servent aussi à délimiter les espaces. Ainsi, ils sont utilisés en bordures, sur les rigoles, pour marquer des espaces de toutes sortes et servir de terrain de jeux aux enfant. Ils ajoutent donc aux circulations un geste ludique, naturel et beaucoup moins aseptisé que les dalles béton. Ils permettent des transitions fortes et donnent surtout aux espaces, un caractère naturel. Son utilisation est donc esthétique : cela accrédite une nouvelle fois la thèse selon laquelle les revêtements de sols sont révélateurs des ambiances de la ville nouvelle de Lille-Est, même avec des matériaux anciens. Les briques rouges peuvent également être considérées comme un matériau « classique », car elles sont extrêmement utilisées dans le nord, du fait de leur production locale. C'est un produit obtenu par pressage d'argile séchée ensuite cuite au four. Les couleurs sont de deux types : homogènes ou flammés. La gamme de coloris peut s'étendre du blanc au brun foncé en passant par les jaunes, roses et rouges, plus ou moins nuancés. Elles sont utilisées en bordure, sur des dallages, des escaliers ou des transitions entre divers revêtements ; l'usage est principalement piéton. Son coût moyen est approximativement de 60 euros du mètre carré, ce qui les rend extrêmement compétitives. Cependant, leur utilisation a tendance à alourdir l'espace public, car elles sont déjà beaucoup utilisées en façade de bâtiments.
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Pavés grès en arrondi
Pavés grès
Pavés grès, en bordure
Brique, en autobloquant
Pavés grès, en ligne
MOSAÏQUE « CLASSIQUES » Photos personnelles, Décembre 2014
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LE BOIS D'EXTÉRIEUR Le bois est utilisé dans les sols de Villeneuve d'Ascq sous la forme de platelage. On le trouve au niveau de la bibliothèque, entre le forum vert et le théâtre de la rose des vents, mais également sur des passerelles, notamment sur la chaussée haute entre Pont de bois et l’hôtel de ville, ou au-dessus de la gare routière. L'utilisation de ce matériau reste exceptionnelle, mais il marque fortement les lieux qu'il traverse car son aspect est chaleureux et offre une bonne intégration à des milieux arborés, comme peut l’être le forum vert. L'utilisation d'un traitement anti-dérapant, avec des patins de résine ou des baguettes métalliques., est indispensable. Le prix de la fourniture et de la pose est extrêmement variable : il peut aller de 30 à 260euros du mètre carré. Malheureusement ,sa durabilité dans l'espace public est limitée, ce qui le rend encore plus rare.
LES MODULES ENGAZONNÉS Mélange de minéral et végétal, les modules engazonnés sont des dalles ajourées en béton, briques ou plastique de récupération. Ils sont aussi appelés dalles ever-green, qui ont la particularité d’être maintenues par un substrat engazonné. Ce matériau est proche du gazon, car la surface d'engazonnement représente près des deux tiers de la surface totale de la dalle et doit normalement permettre une croissance normale du gazon à l'intérieur des cavités. Ce modèle doit également permettre une infiltration et un stockage temporaire des eaux pluviales. L'un de ses principaux avantages est une très bonne intégration paysagère. Néanmoins, il est adapté aux zones peu circulées comme les accès pompiers de la rue verte de l'ENSAP à Lille, ou aux parkings occasionnels dans le quartier du Triolo. Si la fréquentation est trop importante, la
dégradation
est
rapide ;
c'est
le
cas
au
Triolo
qui
supporte
des
stationnements quotidiens de véhicules et où le gazon est donc pratiquement inexistant et les dalles sont mouvantes. D'autre part, un entretien constant
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Platelage bibliothèque
Patins de résine
Baguettes métallique
MOSAÏQUE DE BOIS Photos personnelles, Décembre 2014
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(arrosage et tonte) est indispensable. De plus, la pose doit obligatoirement se faire sur un sol drainant. Ce n'est pas le cas de la rue intérieur de l'ENSAP où les modules engazonnés sont posés sur une couche de remblais de type mâchefer, extrêmement compacté. Ceci donne lieu a de nombreux flashes d'eau et à une détérioration progressive de la chaussée. Le coût moyen constaté est de 30 euros du mètre carré, ce qui lui vaut une utilisation fréquente mais trop souvent mal adaptée.
Ainsi, même si les légendes des matériaux de sols rendaient septiques quant à leur possible diversité, on constate qu'il existe une grande variété dans les matériaux modulaires utilisés. Ils sont donc un des éléments indispensables pour créer des ambiances car non seulement leurs textures, leurs formes, leurs couleurs sont variées mais ils répondent également à des fonctions différentes. La grande majorité des espaces piétonniers sont gérés avec des matériaux modulaires, mais ils s'associent aussi très bien avec des matériaux coulés. Nous allons maintenant en voir une série d'exemples.
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Rue intérieure, ENSAP Lille
Echantillon de dalles evergreen après sondage à l’ENSAP Lille
Parking - Triolo
Parking - Triolo
MOSAÏQUE D'EVERGREEN Photos personnelles, Décembre 2014
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3.3 LES MATÉRIAUX COULÉS Comme dans toute ville et tout type de circulation, les matériaux nonmodulaires ou coulés représentent la grande majorité des surfaces sur lesquelles nous marchons. Sur ces matériaux, les variations ou les innovations peuvent sembler rares mais elles sont pourtant bien présentes : en voici un panel simplifié.
L'ASPHALTE L'asphalte est un mélange de granulats concassés (22 à 30 %) et d’un liant bitumineux. Il est généralement noir, mais peut également être coloré. Ces colorations se font par ajout de pigments pour les teintes foncées (rouge, vert, bleu) ou par décoloration du bitume et ajout de pigments pour les teintes claires. Il est possible de traiter les surfaces par ajout de gravillons (on parle alors
"d'asphalte
clouté ») afin d'améliorer
l'esthétisme et l'adhérence.
L'impression de trames, permettant de lui donner l'apparence de revêtements modulaires, est également possible. Les intérêts de ce matériau sont : –
Sa souplesse, qui garantit un confort de marche,
–
Sa facilité de mise en œuvre manuelle (pas besoin de compactage) qui le rend adapté aux petites surfaces, aux espaces à géométrie complexe et aux tabliers de passerelles ou de ponts,
–
Son excellente étanchéité,
–
Sa facilité d'entretien, puisque les réparations pour l'asphalte noire sont extrêmement simples. De plus, on peut poser une couche superficielle d'asphalte sur une chaussée classique de type enrobée ou béton, sans qu'il n'y ait besoin de décaissement ou de détruire la précédente. Son échelle de prix varie autour de 50 euros du mètre carré en fonction
des additifs. 92
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MOSAÏQUE D'ASPHALTES Photos personnelles, Décembre 2014
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LES BETONS BITUMINEUX Le béton bitumineux est noir et éventuellement coloré. Coulé à chaud ou à froid, il se met en œuvre facilement. Il offre une capacité d'adaptation aux exigences urbaine très importante. L’ajout de pigments ou de granulats est possible : cela permet de nombreuses colorations (rouge, beige, bleu, etc.). Sa coloration permet une différenciation visuelle des fonctions de la rue. Sa granulométrie varie suivant le trafic et la destination de l’enrobé. Grâce à des moules, l'impression de trames permettant de lui donner une apparence de revêtement modulaire est possible. Les avantages de ce matériau sont sa valeur économique, sa rapidité de mise en œuvre, sa technique extrêmement bien maitrisée et sa mise en circulation quasi immédiate. De plus, son adhérence est excellente et il résiste aux trafics lourds. Son confort d’utilisation est adapté à tout mode de déplacement.
LES BÉTONS DESACTIVÉS Il s'agit de bétons hydrauliques de formule spécifique qui laissent apparaitre les granulats après un traitement de surface par application d’un désactivant puis un lavage. Il permet des couleurs et une rugosité variable en fonction des granulats. Ils sont principalement utilisés dans les espaces piétonniers et sur la chaussée pour les passages piétons. Il est relativement contraignant en cas d'interventions ultérieures. Le coût moyen constaté est de 70 euros du mètre carré.
La hiérarchisation des matériaux dépend de leur utilisation : ils varient donc suivant la fonction de l'espace public.
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MOSAÏQUE DESACTIVÉE Photos personnelles, Décembre 2014
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3.4 LA MOSAÏQUE INCONGRUE Cette dernière partie s’attarde sur certaines incohérences et cherche à mettre en évidence les défaillances de Villeneuve d'Ascq en terme de revêtement de sol. Ces constats amènent de nouvelles questions et réflexions sur la gestion des espaces publics d'une ville. Ainsi, certaines grandes ambiances de Lille-Est ont subi quelques désagréments. C'est le cas notamment des 1% artistiques décrits dans le chapitre 1. Leur forme ludique les a transformés en aire de jeux et offre de nombreuses utilisations qui n'avait pas été imaginées au départ. Le choix du béton et des galets était surtout fonction d'un critère technique : une mise en œuvre relativement simple, mais c'est ce qui leur vaut aujourd'hui, une dégradation relativement rapide. Les équipes en charge de leur entretien sont donc confrontées à de grandes difficultés pour réussir à conserver les œuvres, car cela requiert un entretien régulier et nécessite des matériaux rares et des équipes formées aux techniques de remise en état. Ceci n'est pas aisé : les dégradations vont croissantes ce qui ne fait que dévaloriser ces espaces publics (comme le montre la photo d'état des lieux en page de droite). Les allées, escaliers, surfaces planes, angles ou dalles evergreen ont également leur failles. L'espace public de la ville nouvelle est jeune innovant, et surtout très sollicité puisque la ville compte en 2011, 62 681 28 habitants. Il subit donc une pression importante. De plus, il est parfois l'objet de premières expérimentations. Il a donc besoin d'un entretien important. Aujourd'hui, je suis confronté à de nouvelles problématiques, notamment grâce à mon interview de Monsieur Boizart et à mon voyage d'étude à Berlin. En effet, cela m'a ouvert les yeux sur les questions de gestion et d'entretien de l'espace public. Monsieur Boizart, de l’unité territoriale de Roubaix-Villeneuve d'Ascq, en charge de l'entretien et de la conservation du domaine public, m'a permis d'être confronté à la réalité du terrain. Cette rencontre a fait émerger de nouvelles réflexions et interrogations qui ont nourri ce travail de recherche. 28 Source INSEE
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Chemin du Triolo
Chaussée haute - Hôtel de ville
Chaussée haute - Hôtel de ville
Chaussée haute - Pont de bois
Escalier - Triolo
MOSAÏQUE INCONGRUE Photos personnelles, Décembre 2014
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J'ai ainsi pris conscience que la gestion et l'entretien de l'espace public au quotidien était parfois en grand décalage avec les idées des concepteurs. En effet, les services de l’état en charge de cette mission doivent avant tout sécuriser les chaussées le plus rapidement possible et garantir la pérennité des ouvrages. Ces objectifs ne sont pas forcement en adéquation avec les ambiances voulues à l'origine, tout simplement car la diversité des matériaux vus dans la troisième partie ne peut que compliquer la tâche de ce service. Dans ce sens, Villeneuve d'Ascq peut donc être assimilé à un laboratoire de recherche sur l'espace public, et cela, pour plusieurs raisons. Il n'y a pas, selon Monsieur Boizart, de matériaux ou d'assemblage de revêtements représentatifs de la ville nouvelle ; c'est plutôt leur diversité, beaucoup importante que dans les autres villes, qui rend Villeneuve d'Ascq spécifique. Cela contredit l’hypothèse selon laquelle la diversité de la ville nouvelle est « relative » et qu'il y a, en réalité, une homogénéité des matériaux à l’échelle de la ville. Selon Monsieur Boizart, cette diversité est liée à la jeunesse de la ville, à sa construction extrêmement rapide et surtout aux nombres important de formes urbaine atypiques à savoir : la chaussée haute, les circulations piétonnes, les variations de densité d'habitats et les oppositions entre milieu rural et urbain. Il s'agit d'autant d'éléments qui expliquent la diversité et la complexité des sols de la ville nouvelle, à l'origine des variations importantes d'ambiances. Les revêtements font donc partie intégrante de l'organisation de l'espace public : c'est l'un des outils qui permet de le créer. Qu'il soit simple, complexe, rare ou noble, il donne une texture aux espaces. Cette texturisation va déterminer le cadre de vie, mais c'est le temps qui forgera la qualité de l'espace public ou d'une circulation or, cela dépend de l'entretien ; ceci explique pourquoi l’innovation et l'entretien sont par moment antinomiques. La solution trouvée par Lille métropole communauté d'agglomération pour répondre à cette complexité, est la création d'un catalogue de matériaux de voiries et d'espaces publics. La première version date de 1993, une seconde version de 2003 est toujours utilisée actuellement, et une troisième version est en cours de mise à jour.
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Escalier - Pont de bois
Placette - Triolo
Bordure - Triolo
Chaussée haute - Hôtel de ville
Escalier - Pont de bois
MOSAÏQUE INCONGRUE Photos personnelles, Décembre 2014
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Élaboré par les concepteurs et les gestionnaires du domaine public, ce document montre que les choix de matériaux sont une étape stratégique dans la construction des projets métropolitains. Ce recueil est donc un outil pour l'amélioration du cadre de vie. Il est pércisé dans le préambule que « cette version du catalogue est un outil de dialogue, qui s’est donné pour stratégie de convaincre plutôt que d’imposer » 29. Il faut nuancer ces propos et les commenter car la MEL30 crée ce document comme base et outil de dialogue, mais fait tout pour que ses nouveaux aménagements soient créés avec cette palette de matériaux, mais, comme on l'a vu précédemment, le critère de choix principal est le temps, c'est ce que le gestionnaire et le concepteur doivent le prendre en compte. Mais l'EPALE l'a-t-elle fait ? Le gestionnaire est aujourd'hui maitre dans le choix du revêtement, bien qu'il ait besoin de l'aval de la mairie pour toute nouvelle intervention, qu'il s'agisse d'un aménagement neuf ou d'un renouvellement. Naturellement, le gestionnaire va vouloir diminuer son panel de matériaux pour faciliter des interventions rapides et à moindre coût alors que l'architecte ou le paysagiste concepteur du projet vont avoir comme critère principal les ambiances associées aux fonctionnalités du lieu. Ces divergences d'opinion entre maitrise d'ouvrage et maitrise d'œuvre peuvent donner lieu à des échecs : c'est notamment le cas du renouvellement urbain du quartier résidence. On voit donc bien ici toute la complexité de l'aménagement de l'espace public dont l'enjeu est de réussir à garantir un espace de qualité à l'épreuve du temps.
29 Citation extraite du préambule du catalogue des matériaux de voirie s et d’espaces publics de LMCU 30 MEL : Métropole Européenne de Lille
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III / BILAN DE L’ESPACE PUBLIC ENTRE HIER ET AUJOURD’HUI : UN COCKTAIL DE TEXTURES
Bibliothèque - Hôtel de ville
Chemin - Triolo
Voie piétonne - Triolo
Pont - entre le Triolo et l’Hôtel de ville
Chemin - Triolo
MOSAÏQUE INCONGRUE Photos personnelles, Décembre 2014
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CONCLUSION DU CHAPITRE 3 Ce troisième et dernier chapitre nous a offert la possibilité de nous confronter à la réalité pour voir comment sont réellement composés les revêtements de Villeneuve d'Ascq. Ainsi, nous avons vu que la création, et surtout l'entretien, des circulations et des espaces publics d'une ville requièrent une palette de matériaux importante. Cependant, quatre types de revêtements peuvent être suffisant. En effet, il a suffi de dalles béton, de pavés, d'enrobés et de gazon pour créer des variations presque infinies à Villeneuve d'Ascq. Ceci a été rendu possible par la multitude de variantes en terme de mesure, mais également en terme de couleur ou de composition, de chaque matériau. De plus, ces matériaux coulés ou modulables peuvent s'associer avec d'autres et créer des agencements et des compositions diverses. Avec une gamme de départ relativement simple et fonctionnelle, on a tout de même réussi à obtenir une gamme de matériaux importante, permettant de varier les espaces publics tout en gardant une cohérence globale. Nous avons aussi vu que s'intéresser aux revêtements de sol pose également la question de la gestion et de la sécurisation du patrimoine public. En effet, un panel de revêtement aussi important et une construction de ville aussi rapide engendrent des défaillances. Néanmoins, les ambiances voulues à l'origine restent relativement cohérentes et préservées, même si la gestion des circulations et la réduction des dépenses publiques ont tendance à les uniformiser.
Ainsi, ce travail de recherche soulève de nombreuses questions et problématiques. Après un bref rappel du déroulé de ce mémoire, nous verrons donc les pistes de réflexions qu'il m'a amené à explorer.
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CONCLUSION ET PERSPECTIVES DE RECHERCHE
CONCLUSION ET PERSPECTIVES DE RECHERCHE « Le véritable voyage ne consiste pas à chercher de nouveaux paysages, mais à avoir de nouveaux yeux. » Marcel PROUST
Cette citation résume bien comment je peux désormais dégager plusieurs perspectives de recherche. En effet, après plusieurs mois d'étude et de réflexion sur un sujet, le regard change et la problématique de départ évolue. Même si, par nature, un travail de recherche n'est jamais figé et qu'il témoigne de l'avancée des connaissances à un instant T, il ne permet pas seulement de vérifier les hypothèses de départ ; c'est également un moyen d'approfondir un sujet, d'aller plus loin dans sa réflexion, ses investigations et son questionnement. L'objectif même de ce mémoire de recherche est d'explorer ce qui a été fait dans le passé, à une époque bien définie, pour le comprendre et en tirer des enseignements. J'ai donc choisi ce sujet car la chaussée haute m'a beaucoup questionné. Ce n'est pas une unique visite mais de nombreux parcours entre l’école d'architecture et la faculté de lettre (lieu du restaurant universitaire), sous tout type de temps et à toute époque de l'année, qui m'ont fait prendre conscience de la particularité des formes urbaines de Villeneuve d'Ascq et plus spécifiquement de la « digue ». Je vois maintenant plus loin que cet objet urbain.
En étudiant de manière approfondie les revêtements de sol ainsi que la mise en valeur du cadre de vie dans un paysage urbain, j'ai pris pleinement conscience que les matériaux de sol ne sont pas uniquement fonctionnels mais qu'ils participent à la composition de l'espace public. J'ai également compris que la création de Villeneuve d’Ascq s'est faite grâce à la créativité débordante des aménageurs, que ce soit dans leurs graphismes novateurs ou dans les
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CONCLUSION ET PERSPECTIVES DE RECHERCHE
montages administratifs et urbanistiques ayant permis une application des projets dans des délais incroyablement courts. Ceci a rendu possible la planification des circulations à l'origine de l'organisation inter-quartier. Les multiples fonctionnalités, densités et méthodes d'engagement des quartiers ont ainsi permis les variations d'ambiances constatées. Nous avons également vu que la construction de la ville s'est faite quartier par quartier mais que cette sectorisation a eu un effet néfaste sur sa cohérence générale. En effet, le schéma d'organisation des voies de la ville entraine une mauvaise gestion des franges des quartiers ; ceci rend les liaisons difficiles entre les quartiers. Ainsi, les personnes parcourant Villeneuve d'Ascq ont tendance à se perdre. On peut cependant reconnaitre que cette logique programmatique a permis de planifier des aménagements qui se veulent modernes, en adéquation avec leur temps. Ce travail a permis d'améliorer considérablement la qualité de vie au sein de ces quartiers, en séparant les circulations autos des circulations piétonnes, par exemple. Ceci a d'ailleurs été à l'origine de l'émergence de nouvelles typologies urbaines. Dans ce contexte, les matériaux de sol ont été un des outils qui a participé à la création d'ambiances rythmant la ville. Bien qu'ils y aient de nombreux dysfonctionnements, les revêtements de sol ont été programmés de manière simple et fonctionnelle, en répondant aux problématiques et aux intentions originelles. Nous avons d'ailleurs étudié les déclinaisons des matériaux utilisés. Ce panel de matériaux, associé au décryptage de la gestion actuelle des revêtements de sol, nous expose une lecture technique de l'espace public. Ceci nous a permis de mettre en évidence leur diversité. Pourtant, notre hypothèse de départ était qu'il existait une faible diversité des matériaux et une cohérence générale à l’échelle de la ville. Ceci a été confirmé par les documents de création de la ZAC qui préconisait quatre grands types de matériaux : dalles béton, pavés, enrobés et gazon. La « mosaïque » de matériaux nous prouvent cependant le contraire grâce à un savant jeu de déclinaisons de ces revêtements, qui leur permet d'offrir une diversité importante et même supérieure aux autres villes du secteur. La cohérence
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CONCLUSION ET PERSPECTIVES DE RECHERCHE
vient donc des grands types de matériaux et les variations d'ambiance de leurs nombreuses déclinaisons.
Pour conclure, l'ensemble de cette recherche a permis de démontrer que les revêtements étaient révélateurs des ambiances de la ville nouvelle de LilleEst. Ils ne sont pourtant pas érigés en symboles de l’innovation et de la créativité à l'origine de cette ville nouvelle. A contrario, les circulations, leur planification et leur modernité, à travers de nouvelles formes urbaines comme la séparation des circulations piétonnes et autos, l'ont été. La chaussée haute, la dalle de l’hôtel de ville et les cheminements piétonniers accompagnés de passerelles dans le quartier du Triolo, l'ont été. Evidemment, les revêtements de sols était tout aussi novateurs mais ils répondaient plus à un phénomène de mode, au code de la décennie. Sinon, comment expliquer l’utilisation de mêmes matériaux en masse, dans différents quartiers, différentes villes nouvelles ou ZUP ? Le concept y est certainement différent pourtant, le traitement et l’habillage peuvent, par endroit, être sensiblement les mêmes. Cette homogénéité est relative, mais nous force à croire qu’il existe de réelles similitudes. Alors évoquons l’idée qu’il puisse exister un parallèle entre le salon des matériaux et la fashion week... Oui c’est incongru, mais c'est pourtant bien l’une des explications les plus probables ! Ce travail m'a d'ailleurs permis d'approcher certaines limites de la recherche : en effet, il est parfois impossible de trouver une explication logique aux paysages observés. Je m'explique : lors de la conférence du 19 mai 2015, organisée à l'initiative du laboratoire de recherche de l'ENSAP de Lille, et animée par J.C RALITE, S. OBEPA et P. ELDIN réciproquement ingénieur, paysagiste et architecte, ayant participé à la création de la ville nouvelle, j'ai compris que parfois, les concepteurs eux-mêmes ne pouvaient expliquer tous les tenants et aboutissants de leur travail. Par exemple, J C. RALITE a dit qu'il n'y avait pas eu de composition globale de la ville nouvelle mais une construction quartier par quartier, ce qui expliquait que la trame de l'espace public ne soit pas cohérente et que les coulées vertes n'aient pas abouti. Il a 105
CONCLUSION ET PERSPECTIVES DE RECHERCHE
également avancé que la chaussée haute était surtout due à la nécessité de passer au-dessus de la voie ferrée. Enfin, il a avoué que c'est surtout le manque de temps et la précipitation qui avaient obligé les concepteurs à innover et à prendre certaines décisions. Ainsi, il n'y a parfois comme explication à certains choix des concepteurs que des contraintes de temps. Pour finir, je tiens à souligner que cette étude m'aura permis de m'interroger sur des questions plus larges comme la gestion de l'espace public, sa durabilité et les divergences d'opinion existantes entre maitrise d'oeuvre et gestionnaire. Alors comment, dans ce contexte, garantir une qualité d'espace public à long terme ? Cela pourrait faire l'objet d'un vaste mais intéressant sujet d'étude...
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ANNEXES
ANNEXES INTERVIEW DE PHILIPPE BOIZART DE L'UNITEE TERRITORIALE DE ROUBAIX/ VILLENEUVE D’ASCQ DATANT DU MARDI 12 MAI 2015 FAITE À LYS LEZ LONROY Quel est votre métier et quel est son lien avec les revêtements de sol ? Je suis responsable de l’unité fonctionnelle qui gère l’entretien du domaine public et la conservation du patrimoine ; il s'agit de maintenir et conserver en l’état la sécurité des voiries, chaussées et trottoir. Faire les réparations nécessaires c’est aussi entretenir de manière à pérenniser les ouvrages. Toute notre partie d’entretien et gestion des interventions de tiers sur l’espace public, toute personne qui intervient sur l’espace public doit faire une demande d’intervention et d’autorisation préalable. L’autorisation ou non est faite en fonction de l’ancienneté de la voirie et on donne des prescriptions techniques de réparation afin que se soit fait correctement, toujours dans le souci de pérenniser les voies de circulation. Donc quand par exemple EDF ou GDF veulent intervenir, l’autorisation est donnée selon des critères d’ancienneté de la voie et un contrôle ainsi qu’un suivi est fait par l’unité pour voir si c’est fait correctement. L’unité territoriale est compétente pour l’entretien et la création de l’ensemble des circulations et donc de tous les revêtements de sol de l’espace public et où est la limite des compétences entre la MEL et la ville ? La ville s’occupe de son patrimoine, la voirie et les espaces publics sont gérés par la MEL. La ville conserve les arrêtés de circulation mais tous les travaux et l'entretien c’est nous. Toute les voies dites communautaires, c’est donc une grande partie des voies.
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ANNEXES
Avez-vous connaissance de documents ou directives généralisées à l’échelle de la ville préconisant l’utilisation de certain matériaux de sol ? Est-ce que vous vous appuyez sur des inventaires ou catalogues ? Je fais les entretiens et l’idée est de reprendre tout à l’identique. Un repérage sur place suffit, pas besoin de catalogue ou d’inventaire. Mais la communauté urbaine de Lille dispose d’un catalogue de matériaux, qui est actuellement en remise à jour. Pour tout ce qui est aménagement et travaux neufs. On s’aperçoit aujourd’hui que l’on a une multitude de matériaux surtout sur Villeneuve d’Ascq et qu'il n'est pas forcement utile d’en avoir autant parce que ça complique forcement le travail et celui des concessionnaires. Le catalogue de matériaux est aujourd’hui revu pour tenter de restaurer justement le panel de matériaux pour garantir de bonnes utilisations et de bons positionnements. Par exemple aujourd’hui, mettre des matériaux modulaires sur des chaussées avec un fort trafic est à proscrire. C’est beau mais très peu durable et difficilement réparable. L’utilisation des matériaux selon les usages est bien évidement déterminant ; on pense aux places de marché par exemple ou certaines villes ont utilisé un beau matériau très claire mais qui avec le temps se tache et perd en esthétique. Il faut tenter d’anticiper les usages et le matériau qui va avec même si ce n’est pas toujours simple. Les concepteurs recherchent souvent les innovations mais il faut également penser à la gestion futur des espaces public. [Présentation du catalogue des matériaux voirie et espace public.] C'est l'ancien catalogue, toujours actif, qui comprend tous les matériaux et les fiches techniques avec pour chaque matériau, l’utilisation qu’il faudrait en faire leurs coûts, de nombreuses informations. C’est un inventaire de matériaux que vous avez en stock ou global ? C’est global. Il permet de définir la politique d’aménagement de la métropole. L’objectif
était
de
s’imposer
des
règles
sur
les
87
communes
de
l’agglomération lilloise, pour homogénéiser un peu ; par exemple, définir 108
ANNEXES
l’usage d’un matériaux noble et le restreindre à un type d’espace public, justement pour faire des économies. Aujourd’hui, on revoit le catalogue aussi pour le mettre à destination des maîtres d’oeuvres extérieurs pour les guider un peu et garantir une meilleure intégration et éviter les gros décalages et faciliter la gestion et l’entretien des nouveaux aménagements. Rien que les enrobés ont une diversité énorme avec des variations de liant, de teinte … sauf que les interventions sur les voiries nécessitent parfois des petites ouvertures et de retrouver des revêtements très spécifiques en petite quantité est très compliqué. On préfère donc limiter la diversité pour garantir la cohérence et éviter de créer des patchwork de tranchés. Après un dépouillement d’archive ainsi qu’une analyse de terrain, j’arrive au constat que l’asphalte, les dalles gravillonnées 50-50 mais également les pavés auto-blocants sont très présents. Quels sont, pour vous, le ou les matériaux de sols représentatifs de Villeneuve d’Ascq ? Non, il y a un peu de tout à Villeneuve d’Ascq, c’est pas simple… c’est plutôt cette diversité entre quartier qui est représentative. Cette diversité est plus important à Villeneuve d’Ascq qu’ailleurs ? Oui, le fait que ce soit une ville aisée, récente et nouvelle, construite en très peu de temps avec des thématiques de regroupement de quartiers, on a vraiment une diversité de matériaux importante qui sont liées également aux variations d’environnement : zone rurale très dense, des zones commerciale, des chemins piétonniers... Il y a beaucoup d’aménagements spécifiques et ce sont ces variations qui créent des zones piétonnes, des escaliers, des passerelles. Ces éléments ne se retrouvent pas sur les autres villes ou pas en aussi grand nombre en tous cas. Et d’ailleurs, on est souvent embêté pour trouver les limites du domaine qui nous appartient. On fait donc appel à un service spécifique de gestion du domaine pour savoir où ça s’arrête car les limites ne sont jamais claires.
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Vous intervenez souvent sur ces espaces particuliers, comme la chaussée haute, ces espaces piétonniers car on sent qu’il y a une bonne gestion et que les revêtements de l’époque sont encore là, alors que ça fait 40 ans ? Justement on a beaucoup de zones qui nécessitent de l’entretien. Et l’accessibilité n’est pas un frein à cet entretien ? C’est vrai qu’il y a des endroits où l’accès camion n’est pas possible et cela nécessite des interventions spécifiques. Une autre spécificité de Villeneuve d’Ascq c’est les 1% artistiques, et ces aménagements posent encore plus de problèmes de gestion et de réparation plutôt complexes. C’est vrai que les 1 % sont en mauvais état. Il y avait des exemples comme des pavés au sol qui formaient un dessin d’ombre d’arbre. C’est très beau mais compliqué à pérenniser dans le temps. Quels sont les problèmes récurrents que vous observez sur les espaces publics, les réseaux ? C’est surtout le trafic, avec les nouvelles lignes de bus (lianes), on a des trafics qui s’intensifient énormément et les voiries ne sont pas prévues pour cela. Parfois donc, les voies les moins adaptées se détériorent et créent des nids de poule, faillansage sur les chemins et voies piétonniers... On est plutôt sur des changements de dalles cassées ainsi que toutes les interventions sur les tranchés de réseau parfois mal faites, ou même bien faites mais avec des conséquences de diminutions de structures supports ou sur la bonne stabilité du fonds de forme, qui diminuent la durée de vie de la chaussée. C’est systématiquement les concessionnaires qui reprennent leurs tranchées ? Vous n’avez jamais envisagé de le faire en interne pour garantir une durée de vie plus longue ? C’est possible uniquement quand ils font mal leur travail, avec une mise en demeure. Mais ce stade là arrive rarement et le dialogue se fait avant car c’est 110
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un travail d’équipe avant tout. La mise en demeure arrive uniquement quand les concessionnaires trainent trop sur près de 22 communes et environ 5000 interventions
par an qui vont du branchement
au grand linéaire
de
canalisation. Dans quelle mesure changez-vous les revêtements et pourquoi ? Le facteur est surtout la vétusté. Répondez-vous à des obligations de conservation des matériaux pour garder les ambiances ou esthétiques créées à l’époque ou vos critères sont purement fonctionnels ? C’est la mairie qui a l’accord pour un changement à cause d’une disparition du matériaux, un manque d’adaptation. Les matériaux en voie de disparition existent vraiment ? Oui il y en a : des matériaux qui viennent de loin ou des grès dalles, ou des matériaux en pierres naturelles. Quand on sort du classique enrobé et béton, les réparations sont plus compliquées. La réparation est compliquée quand on a besoin de nouveaux matériaux. Le fait d’être juste désolé ne pose pas de problème mais les fortes détériorations nécessitent des renouvellements. Les espaces publics du centre ville sont souvent plus travaillés, plus complexes dans les calpinages avec des agencements compliqués et les matériaux plus nobles ; c’est le cas du parvis de l’hôtel de ville. Êtes-vous confronté à des problèmes spécifiques sur ce type de revêtement ? Oui on intervient régulièrement, notamment les jardiniers avec 3 types de matériaux : le béton, le parement en briques et des dalles en pierres naturelles. Ces trois matériaux ont différentes manières de réagir avec les intempéries ou leur utilisation et pour les retrouver c’est compliqué.
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Votre service compte combien de personnes ? 25 que pour l’entretien des voiries, avec une équipe en régie qui gère la mise en sécurité ou les réparations provisoires. Après c’est des entreprises qui font les travaux, notamment les campagnes annuelles de renouvellement de tapis en chaussée mais aussi les trottoirs et des entreprises de travaux ponctuels, pour les mobiliers urbains. Tout est sous-traité ? Oui nous avons une dizaine d’entreprises, on assure aussi le fauchage le long des voies communautaires donc des entreprises d’espaces verts. Avez-vous des paysagistes qui interviennent dans vos services ? Non pas du tout, les espaces verts c’est la ville. Les paysagistes à la MEL travaillent sur les nouveaux aménagements surtout à l’unité centrale. L'unité territoriale fait également des projets dans deux bureaux suivant la grandeur du projet mais les maitrises d’oeuvres extérieures sont aussi souvent sollicitées. La contrainte économique est déterminante ? Etant donné que les crédits sont de moins en moins nombreux oui elle l’est. Le catalogue est également fait pour ça. La ligne de crédits des entretiens ne diminue pas mais en création, oui il y a de moins en moins d’argent. On se retrouve confronté à de nouveaux problèmes : c’est que depuis 3 ou 4 ans on sait qu’il y a de l’amiante dans les enrobés et il y a obligation de vérifier la présence ou non d’amiante. Comment c’est fait ? Un laboratoire analyse chaque rue de la MEL, pendant une durée de 3 ans car c’est un ancien procédé de fabrication qui incorporait dans la composition des enrobés, des fibres d’amiante. Quand il y a de l’amiante, c’est une société spécifique de désamiantage très onéreuse qui s'en occupe.
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Quand c’est comme ça, quelle est la démarche ? Il faut enlever : tout l’enrobé contaminé. C’est cher, surtout à cause des décharges spécialisées. Et cette année, une directive de l’état nous oblige à aller vérifier les hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP) ; en fonction de la teneur, les déchets sont dirigés vers des décharges de classe 1 ou 2 très onéreux. Quels sont les linéaires ? Pour l’amiante c’est 7 rues sur le secteur et environs 12 km sur la métropole. La campagne annuelle se fait en fonction de ce qui était dégradé et prévu avec les secteurs contaminés en priorité. Techniquement, comment vous détectez la contamination ? Un laboratoire gagne un marché et s’occupe de tout ; c’est eux qui font un carottage sur toutes les rues puis des analyses. À la fin de cet entretien Monsieur Boizart m'a remis plusieurs documents : •
le catalogue des matériaux de voirie S et d'espaces publics fait par Lille métropole communauté urbaine, datant de 2003
•
la charte des espaces publics de Lille métropole approuvée par le conseil de
communauté
le
30
mars
2007
et
publié
par
l'agence
du
développement et d'urbanisme de Lille métropole ainsi que Lille métropole communauté urbaine •
un rapport d'analyse – HAP fait par GINGER CEBTP
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SOURCES DOCUMENTAIRES ET ARCHIVES Revues, articles, presses Ville nouvelle actualités, EPALE 28 numéros de 1972 à 1981 Techniques et architecture n°293 concours pont de bois / n°302 Dec-janvier 1975 Lille-EST n°330 / n°350 Architecture d’interieure n°166 Recherche et architecture n°39 / n°41/ n° 42 Architecture d’aujourd’hui n°146 oct-novembre cergy, comparaisons 1969 Lille-EST double page n°196 construire la rue exemple de marne la vallée ou la ville nouvelle d’evry (1978) n°230 groupe scolaire réné claire Moniteur n°3 Architecture n°23 1995 : La séquence du promeneur côté VilletteBalade nocturne et «cinématique» sous les lumières des dix jardins à thème, LE MONDE , ARRIGHI Marie-Dominique Thèses, Mémoires et TPFE 2010, GENESE ET EVOLUTION DE LILLE III, Myriam Mabrouki, ENSAP Lille 2010, Intervention du paysagiste dans la ville , sabelle Estienne 2003 ,Développement urbain et insécurité routier : l’influence complexe des formes urbaines , Marine Millot Livres 1970, Vivre à l’oblique, Ed. Jean Michel Place, PARENT Claude. 1976,Approche des problèmes d’imagibilité et de lisibilité de la ville nouvelle de Lille-Est de l'EPALE par CALAIS (Patrick) 1978, 1% Villeneuve d’ascq ou l’art dans la ville, Unité Pédagogique d’architecture de Lille Service documentation, EPAL, de Gérad simonet. 1980, Villeneuve d’ascq une ville est née, chez CANA, Pascal Percq et Jean-Michel STIVENARD. 1980 L'aménagement des villes nouvelles, Annales de géographie, Armand Colin. 1984, Villeneuve d’ascq ville nouvelle un exemple d’urbanisme concreté , édition moniteur, Baudelle
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ANNEXES 1986, Villeneuve d’Ascq : des interventions foncières superposées, BAUDELLE (Guy) 2007, En vert et contre tout, par les archives municipales de villeneuve d’ascq. 2007, Du townscape au « paysage urbain », circulation d’un modèle rhétorique mobilisateur, Frédéric Pousin 2010, Utopies et mythologies urbaines à Villeneuve d'Ascq, Presses Universitaires du Septentrion, Bénédicte Lefebvre, Aout 2010, Villeneuve d’ascq à la conquête de l’est, par les archives municipales de Villeneuve d’ascq, Marie-Andrée bouillon et Céline Sename. 1977, Les espaces verts ; études et documents, ville nouvelle de Lille-Est, (EPALE) 1999 « Présentation de la ville nouvelle de Villeneuve-d'Ascq », sur Programme interministériel d'histoire et d'évaluation des villes nouvelles françaises, Documents juridiques 1969, Décret n° 69-326 du 11 avril 1969 portant création de l’Etablissement public chargé de l’aménagement de la ville nouvelle de Lille-est (Villeneuve d’Ascq), Code de l'urbanisme. 1970, Arrêté préfectoral du 25 février 1970 (la fusion des 3 communes d’Annapes, Ascq et Flers en une seule commune) , PREFECTURE DE LILLE,J.O 1983, Décret n° 83-1185 du 27 décembre 1983 portant dissolution de l’Etablissement public chargé de l’aménagement de la ville nouvelle de Lille-Est JO. Circulaires, enquêtes publiques, rapports et dossiers 1968, Livre blanc : pour une politique d’aménagement régional OREAM Nord (juin 1968) et avis des instances régionales, OREAM. emes 5 Mai 1969, comité d'organisation des X jeux olympiques d'hiver rapport officiel Grenoble 1968. Rédigé par le Bureau de Presse du COJO Conçu et mis en page par EDIPRESS. 1970, Schéma d'aménagement et d'urbanisme du secteur Est de Lille , EPALE 1973, Notes d’organisation générale, EPALE, RALITE (Jean-Claude) 1987, Le Livre blanc de la ville nouvelle de Lille-Est, Communauté urbaine, EPALE 1996, Projet urbain pour le parc olympique, annexe : infrastructures et franchissements, Agence de Développement et d’Urbanisme de la Métropole Lilloise, coll."Lille 2004, ville candidate », ADUL, LARUE (Didier), DESVIGNE (Michel). 2014 La modération de la circulation en Europe Programme francilien pour une ville à vivre , Frédéric Héran. 2007, L'Aménagement du territoire en France, Pierre Merlin, La Documentation française, coll. « Les études de la Documentation française » Paris 2012 Vélo et politique globale de déplacements durables Convention, n° 09/243 , Frédéric Héran.
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ANNEXES 2013 stationnement des deux roues, Recommandations pour la prise en compte des deuxroues motorisés, sécurité routière, ministère de l’écologie et du developpement durable. Avril 2005 L ’ESPACE PUBLIC EN VILLES NOUVELLES Evolution de la notion d’espace public et réalisation d’espaces publics à Villeneuve-d’Ascq et Vitrolles (Rives de l’Etang-de-Berre), Rapport de synthèse rédigé par Arlette Hérat WEB souslesjupesdelametropole.wordpress.com http://www.cairn.info/zen.php?ID_ARTICLE=ETHN_031_0051 / histoire de villeneuve d’ascq évolution des formations projetsdepaysage.fr
de
professionnels
du
paysage
en
France
:
1930-2005
/
Conférences, films 2004, conférence architecture du paysage, tendances européennes – deux exemples France et Allemagne,Laure Planchais, Bologne. Font d'archive de l'EPALE Sans date, Principes généraux de desserte en équipements d'infrastructure : voirie, assainissement, réseaux concédés, télédistribution, éclairage public : étude (sd), 6EP74, 1968-1976 Passerelles dans les quartiers du Triolo, de l'Hôtel-de-Ville et du Pont-de-Bois, 7EP46, 1969, Démarrage des travaux de la voie nord-sud de la ville nouvelle : étude de la DDE. 1969, Voirie, étude de la voie des centres : plans, 11EP96, 1969, Voirie, étude de la voie des centres, 11EP90, 1970, 17 juin : dossier de création des Z.A.C. d’habitat de la Borne de l’Espoir et de Brigode et de la Z.A.C. d’activités Potron-Minet. 1970, Projet des voies de communication du Centre-Ville,7EP192 , 1971, ZAC de Potron-Minet. - Dossier de création : correspondance (1970 - 1972), plans, programme, plan d'aménagement de zone (PAZ), règlement (1971) 1992, Dossier Josic/Cotraba du concours du l’Equipement et EPALE
quartier du Pont-de-Bois, ministère de
1971-1976, Projet des voies de communication du Centre-Ville,7EP92 , 1972, Projet du centre commercial du Triolo : dossier technique (1974), cahier des charges (1974) ; règlement de la ZAC de la Borne de l'espoir (1972), esquisse du panneau de chantier, cahier des prescriptions de chantier.
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ANNEXES 1973, Voirie, schéma de voirie de la ville nouvelle : plans. 1972-1977 Propositions de restructuration de la voirie dans la ville nouvelle,3EP548, 1974, Zone d'aménagement concerté (ZAC) de Brigode. - Modification du plan d'aménagement de zone (PAZ), EPALE 1975, Etude des voies de circulation et de stationnement dans le quartier de l'Hôtel-deVille,11EP795, EPALE 1976, Finition du quartier du Triolo, travaux de réintervention,2EP125, EPALE 1978, voirie passerelle, chaussée haute,11EP592, EPALE 1980, Chaussée haute, quartier de l'Hôtel-de-Ville,11EP296, EPALE 1978, Charte d’aménagement concerté : Quartier du Pont de Bois, document de travail,IA 17779 , EPALE 1979, dossier de réalisation de la ZAC de Villeneuve-d'Ascq,EPALE 1978, Charte d’aménagement concerté : Quartier de l’Hôtel de ville. 1. IA 17778, EPALE 1980, ZAC de Valmy. - Dossier de création : correspondance, plans, programme de logements, rapport de présentation au conseil d'administration de l'EPALE, rapport de présentation du plan d'aménagement de zone, rapport et étude d'impact. Dossier de réalisation : notes, rapport justificatif. EPALE Production personnelle Novembre 2014, panel des matériaux de sols secteur Triolo. Novembre 2014, reportage photo pour comparer photos ou croquis ancien. Décembre 2014, panel des matériaux secteur Pont de bois et Hôtel de ville. Décembre 2014, réinterprétation des cartographies de voiries douce. Décembre 2014, réinterprétation du schéma directeur. Décembre 2014, cartographie des voiries douce associer au panel des matériaux.
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HABILLER LA VILLE NOUVELLE DE LILLE-EST La création de la ville nouvelle de Villeneuve d’Ascq à proximité immédiate de Lille a été le support d’innovations architecturales, urbanistiques et paysagères. Cette ville, pratiquement créée de toutes pièces, possède une trame de circulations routières et piétonnes particulièrement novatrice, synonyme d’ambiances et de traitements de sol atypiques. Ce mémoire nous propose une lecture historique sur près de 40 années afin de nous exposer la matérialité de ses espaces publics. Quels étaient les grands courants de pensée de l’époque ? Comment les concepteurs ont-ils maîtrisé leur créativité ? À quoi ressemblent les sols aujourd’hui et comment sont-ils gérés ?
TO DRESS THE NEW CITY OF LILLE-EAST The creation of the new town of Villeneuve d’Ascq, close to Lille, was the support of architectural, urban and landscape innovations. This city has been created pratically from scratch. It has a frame and pedestrian traffic particularly innovative synonym of different ambiances and a typical ground treatment. This thesis proposes a reading history of nearly 40 years who treats about the materiality of public spaces. What were the main thought mouvement at that time ? How designers have mastered their creativity ? What looks like the ground today and how are they managed ?