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Une alternative viable pour le logement en France ? sd
L’ARCHITECTURE INCRÉMENTALE
Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Lyon Mémoire de Fin d’Etudes
L’architecture incrémentale, une alternative viable pour le logement en France ?
D’une architecture des pays en développement, Vers une architecture pour les pays développés ?
Clément TARDIVET travail dirigé par Nune CHILINGARYAN dans le cadre du séminaire AMTH, conduit par les enseignants Noura Arab, Julie Cattant, Nune Chilingaryan, Luna d’Emilio, Mathieu Lamotte, François Nowakowski, Thibault Romany et Nadine Roudil, soutenance le 23/24 janvier à l’ENSAL
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REMERCIMENTS
Je tiens à remercier tous ceux qui m’ont permis de réaliser ce mémoire. Je remercie CHILINGARYAN Nune, ma directrice d’étude pour avoir pris le temps de suivre mon mémoire et d’avoir trouvé le temps pour organiser des échanges malgré la distance. Je remercie ma famille et ma petite amie pour leur intérêt, leur soutien. Merci Microsoft Word et Gabrielle pour avoir corrigé mes fautes d’orthographes et de grammaire... Merci à Corentin Morgan de Rivery pour les discussions et les conseils. Merci à mon ordinateur qui a subi ce lourd travail et a su tenir bon même avec des dizaines de logiciels ouverts simultanément.
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« Il faut éclater nos certitudes fermées du modernisme datant du siècle dernier pour mieux comprendre les nouveaux enjeux. Un exercice salutaire est celui des bidonvilles. Ils ont la forme intemporelle de l’urbanisme participatif. Essayons d’oublier un moment leur pauvreté pour observer comment ils sont condamnés à l’intelligence communautaire et comment les espaces se forment et se transforment. Quel exemple pour nous qui possédons les sciences humaines, la psychologie des groupes, l’analyse institutionnelle, les techniques de gestion de la complexité construite, etc… La densification des villes réclamée par l’écologie ne peut se conduire qu’avec des attitudes de coopération, parallèles à celle des bidonvilles. Oserait-on aujourd’hui en proposer le modèle comme source d’inspiration ? Les moyens contemporains de compréhension et d’action ont dû devenir complexes pour saisir et traiter des paysages également complexes et mobiles, ils n’ont rien à voir avec les manières carrés et simplistes des architectes modernistes qui visaient toujours des « solutions définies » … » Lucien KROLL
(1) Lucien Kroll, (2006), L’invité Lucien KROLL, Revue Urbanisme, mars-avril 2006, Thierry Pacquot
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PRÉAMBULE
L’année dernière, j’ai eu la chance de me rendre à Montréal pour y passer une année en échange international. Là-bas, j’ai découvert un univers rigoureux, strict et répétitif de ce qu’est finalement la ville américaine. Dû à une histoire proche et un développement rapide, la ville a grandi selon une trame orthogonale précise résultante du découpage parcellaire. La forme urbaine rigide et inflexible à laquelle j’étais confronté, s’opposait brusquement aux rues courbées et hasardeuses dans lesquelles j’aimais flâner à Strasbourg. Je me trouvais dans de longs couloirs ennuyeux dont je ne voyais pas le bout. Les “condos“ en briques rouge se reproduisaient les uns à côté des autres, sans cesse et sans contraste. Par ailleurs, j’aimais observer à quel point les habitants avaient à cœur de personnaliser leurs façades pour les rendre identifiables. Il fallait être attentif aux couleurs, aux matériaux et aux détails qui rendaient tout de suite la balade bien plus agréable et intéressante. Le rapport entre une ville orthogonale et bien normée et une autre sinueuse et aléatoire m’a longuement fait réfléchir. Quelle est la ville appropriée pour l’Homme ? Dans quelle sphère souhaitons-nous vivre ? Il y a deux ans déjà, je m’étais intéressé à l’architecture vernaculaire. Je voulais savoir quelle est aujourd’hui la réponse la plus appropriée entre une architecture classique et une autre issue des cultures et des savoirs faire du peuple. J’ai trouvé dans le livre d’Hassan Fathy, Construire avec le peuple, la révélation de l’inefficacité de ce système face à une société pauvre mais culturellement et collectivement très riche. Depuis, je pense qu’une architecture juste doit être le résultat d’une somme très complexe de paramètres dont on ne peut pas toujours avoir la maitrise. Elle doit abriter ses occupants en respectant leurs besoins, leurs modes de vies, leurs cultures et leurs identités. L’architecture ne peut être réduite à un produit industriel, à une machine à habiter... ce qu’on a fait semblant d’avoir arrêté de penser, mais ce qu’on construit toujours...
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C’est alors que je me suis retourné en m’intéressant à ce qui se faisait à l’opposé : le modèle du bidonville. Ces lieux sont une bibliothèque d’architecture et d’urbanisme formidable et illimité dans laquelle on peut s’inspirer sans fin. Ils sont décrits et perçus par certains comme terribles, miséreux et inhumain, tandis que d’autres y trouvent une certaine poétique qu’ils n’hésitent pas à romaniser. Aujourd’hui, il est communément accepté que la vérité se trouve entre ces deux observations. La ville informelle est à la fois une part du problème, mais aussi une part de la solution. Ces populations autonomes, livrées à elles-mêmes et contraintes de se soumettre à l’intelligence collective ont développées d’elles même des solutions pour survivre à la précarité. Pourtant, les gouvernements de tous les pays du monde (aujourd’hui surtout les pays en développement) ont essayé d’effacer ces informalités dans leurs territoires… sans réelle réussite. Je me suis rendu compte que pour la plupart, les solutions proposées étaient copiées sur des modèles occidentaux. Les incohérences révélées par les dégradations, les abandons et les pillages de ces architectures entre ces populations fragiles et cette architecture rustre m’a amené à poser mon postulat. La population qui vie dans les bidonvilles est fragile, précaire et instable. Ils vivent hors des lois régies par la ville et ont appris à être autonomes en ne dépendant que d’eux-mêmes. Ils ne vivent que de l’essentiel et sont exemptés de toute futilité que constitue le monde occidental. Ils sont probablement les citadins qui sont les plus proches de l’Homme en tant que tel. En étudiant leurs réactions face à l’environnement dans lequel ils sont plongés, je suis persuadé que nous pouvons tirer des leçons sur le rapport entre l’humain et son habitat. Finalement, en me penchant sur plusieurs études, j’ai recherché un modèle, un concept qui offrirait l’opportunité d’allier les points positifs du formel et de l’informel.
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SOMMAIRE INTRODUCTION
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L’ARCHITECTURE INCRÉMENTALE, UNE SOLUTION DANS LES PAYS EN DÉVELOPPEMENT
I/
UNE RÉPONSE AUX BIDONVILLES ET ETAT DE L’ART DE LA MÉTHODE
1 / Le bidonville, une architecture et un urbanisme évolutif.
26
2 / Bref historique des stratégies d’interventions face aux bidon-
29
3 / L’incrémental aujourd’hui
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villes dans les pays en développement.
II /
III /
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PRINCIPES DU MODÈLE INCRÉMENTAL SELON ALEJANDRO ARAVENA (ELEMENTAL)
39
1 / Origines et fondements des idées.
40
2 / Principes architecturaux.
44
3 / La participation des habitants.
52
ATOUTS, POTENTIELS / FAIBLESSES LIMITES
57
1 / Potentiel économique
59
2 / Potentiel social
62
3 / Potentiel environnemental
65
4 / Critiques et limites
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10
L’ARCHITECTURE INCRÉMENTALE, UNE SOLUTION DANS LES PAYS DÉVELOPPÉS ?
I/
II /
DANS LES PAS DE LUCIEN KROLL
74
RÉINTERPRÉTATION DU MODÈLE POUR LA MAISON INDIVIDUELLE
81
1 / Construire soi-même sa maison, un rêve compliqué.
84
2 / Principes à employer et apprendre des leçons
86
3 / Avantages et limites de la démarche
89
RÉINTERPRÉTATION DU MODÈLE POUR LE LOGEMENT COLLECTIF EN VILLE 1 / Un besoin de flexibilité ?
94
2 / Principes à employer et apprendre des leçons
98
Étude photographique à Barcelone.
3 / Avantages et limites de la démarche
III /
93
PROSPECTIVES FUTUR(ISTES)
103
107
Exemples de divers de tours du futur !
CONCLUSION
115
11
12
INTRODUCTION
13
HYPOTHESE Dans ce mémoire, je me suis intéressé à des pratiques d’habiter fondamentalement différentes des nôtres : celles des bidonvilles. En étudiant les différentes stratégies pour pallier aux conditions difficiles de ces territoires, je me suis rendu compte que des architectes du monde entier ont proposé des solutions. Souvent basées sur des modèles occidentaux, les réponses apportées ne sont pas adaptées à ces populations fragiles. En 2016, le monde de l’architecture a connu un jeune architecte Chilien, Alejandro ARAVENA, qui venait de remporter le prix le plus convoité en architecture, l’équivalent du Nobel : le prix Pritzker. Cet architecte engagé dans une démarche sociale se démarque de ses compères et rompt avec cette image de “starchitecte“ produisant des “éléphants blancs“1. L’intention du Chilien s’inscrit dans la démarche d’une lutte noble visant à éradiquer la pauvreté grâce à l’intervention d’une architecture au concept novateur : L’incrémental. Si cette stratégie est relativement jeune (le premier projet du groupe dirigé par ARAVENA : ELEMENTAL date de 2004), elle est pour beaucoup très prometteuse et nécessite qu’on lui porte une attention particulière. Cette approche établie dans (et pour) le contexte spécifique chilien, c’est-à-dire un pays en voie de développement, s’adresse à une population dans une situation très particulière. En tant que jeune étudiant français en architecture, je me suis posé la question si cette méthode ne pouvait pas s’employer aussi dans le contexte dans lequel je vie. En étudiant les principes qui régissent cette méthode, peut-être est-il pertinent d’interroger notre approche de l’architecture et notre façon de la penser et de la produire. Peut-être existe-t-il une alternative. Si cette architecture semble si bien être reçu au Chilie, pourquoi pas rompre nos présupposés sur l’habitat et l’habité, et venir proposer une autre stratégie de construction du logement qui a déjà fait ses preuves ? (1) Olivier NAMIAS, Qui est vraiment Alejandro Aravena, lauréat 2016 du Pritzker Prize ? - D’architectures. (s. d.). Pour définir les productions des “starchitectes“
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Dessin du projet Quinta Monroy de l’agence ELEMENTAL © Crit Day
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MÉTHODOLOGIE
Pour réaliser cette étude, le premier travail est de faire le point sur l’état de l’art de ce concept. Cette pratique peu employée de nos jours et récemment mis en lumière ces dernières années par l’architecte Alejandro ARAVENA devra être saisi dans son ensemble. Ce dernier a rédigé quelques ouvrages dont le livre ELEMENTAL1 où il explique tout le déroulement de ce processus et ce qu’il en retient comme enseignements. Son travail étant le plus documenté, constitue la base sur laquelle je m’appui pour comprendre le concept « incrémental » appliqué à l’architecture. À travers les différentes documentations que j’ai consulté, je présenterai les multiples principes de l’architecture incrémentale. Aujourd’hui, elle est mise en place principalement dans les pays en développement (dans notre exemple au Chili) pour apporter des solutions de logements viables pour les populations dans le besoin. Nous verrons quels résultats elle procure dans ce contexte particulier. Ensuite, il faudra identifier comment cette architecture (dans ce contexte spécifique) peut être économiquement, socialement et écologiquement bénéfique. Nous parlerons également des limites et des critiques exprimées. La stratégie mise en place par le groupe ELEMENTAL est plutôt récente. Il est donc compliqué d’avoir le recul nécessaire pour savoir si, dans la pratique, elle apporte des solutions tangibles sur la durée. Il sera intéressant de confronter des opinons opposées pour tester le modèle. L’objectif de ce mémoire n’est pas de faire l’apologie d’un système, mais de se rendre de compte de ses atouts autant que de ses limites. Suite à ce travail, nous aurons défini clairement les différents principes qui régissent ce concept, et nous aurons compris comment il fonctionne dans un pays en développement. Nous aurons également établi ses atouts, ses potentiels, ses faiblesses et ses limites. Le travail à suivre sera de déterminer les problématiques que l’on trouve dans un pays développé (et plus particulièrement (1) Alejandro ARAVENA, Elemental. (s. d.).
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en France) pour voir comment l’incrémental peut (ou non) y répondre. Pour tester ce modèle dans un autre contexte, nous allons nous intéresser à 3 situations précises, correspondant à 3 échelles. La première est celle de la maison individuelle. En France, le rêve de construire sa maison est toujours d’actualité, mais pour certains il reste inabordable. La seconde est celle du logement collectif en ville. Ces territoires de plus en plus complexes demandent à l’architecture de répondre à un ensemble d’enjeux variés. Nos bâtiments calqués sur ceux de la génération précédente semblent s’essouffler et ne sont plus en mesure de répondre seuls à l’ensemble des problématiques posées. D’autres approches doivent être envisagées, pourquoi pas celle de l’incrémentalité ? Enfin, pour la dernière, nous allons nous intéresser aux perspectives architecturales de plus grande ampleur, à des projets fictifs, parfois utopiques, qui ouvrent vers des prospectives futuristes. Pour procéder à la réinterprétation, nous allons dans un premier temps nous pencher sur le travail de Lucien Kroll. Cet architecte Belge est probablement l’un des premiers à prôner l’emploie de l’architecture dite incrémentale face à l’architecture des grands ensembles. Son travail nous permettra de se rendre compte que cette méthode peut s’employer d’une certaine façon dans des pays aussi règlementés que la France, la Belgique ou encore les Pays bas. Ensuite, pour chacun des cas, il sera important de déterminer différentes problématiques auxquelles l’architecture en France doit répondre. Avec les différentes leçons apprises dans le chapitre précédent et en s’appuyant sur des cas concrets et des recherches effectuées en Europe, nous verrons si oui ou non il est méthodique d’employer l’incrémental dans un pays comme la France et comment il peut être la source d’apport de réponses pour le logement. De cette manière, nous allons essayer d’ouvrir la voie sur la question que pose ce mémoire : L’architecture incrémentale, est-elle aussi une solution adéquate pour les pays développés ?
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L’INCRÉMENTAL, QU’EST CE QUE C’EST ?
S’il me semble pertinent de réinterpréter cette approche dans le contexte d’un pays développé, et plus particulièrement en France, c’est que cette dernière se montre très timide dans ces pays. La documentation en français, dans les livres ou les recherches universitaires est extrêmement restreinte. Dérivé du latin incrementum, signifiant “accroissement“, le mot “incrémental“ ne figure même pas dans les dictionnaires français où il est beaucoup plus démocratisé en Anglais ou en Espagnole par exemple. En France, on préfère utiliser le mot “évolutif“ pour parler de ce type d’architecture. Seulement, évolutif et incrémental ne signifient pas la même chose. L’idée d’évolutivité est bien plus vague. L’évolution fait référence à des « transformations graduelles ou faites par une suite de petits changements successifs, allant dans le même sens »1. L’incrémental est en fait comme une sous-catégorie de l’évolutivité, qui s’exprime de manière plus précise. Pour faire simple, elle est l’évolution progressive d’un système par ajouts successif d’entités. Pour mieux comprendre la notion d’“incrémentalisme“, je vous invite à lire certaines définitions qui sont donnés de ce concept.
(1) Definition du mot «évolution sur le dictionnaire en ligne cordial.fr
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Le premier homme à aborder la notion Incrémental et Charles Lindblom, un professeur d’Economie de l’Université de Yale, à travers un article paru en 1959 : « The Science of Muddling Through » (La Science de la Débrouillardise). À travers cette stratégie, il « illustre ainsi un avancement à tâtons, conduisant à une stabilité certaine et à une gestion sûre de données nombreuses et complexes. »2 Il divise cette approche en 3 points3 : - Concentrer les analyses du décideur sur les éléments connus de lui et si possible desquels il possède une certaine expérience. - Réduire volontairement le nombre de politiques à analyser - Réduire le nombre et la complexité des facteurs à analyser.
Ensuite, il justifie l’incrémentalisme en tant qu’outil de recherche de solutions rationnelles4 : - Personne ne peut être certain de prévoir le sens et l’importance des changements que l’on souhaite introduire pour modifier la situation actuelle. - Cette méthode repose sur l’expérience pour déterminer les préférences de la société. - Une personne peut poursuivre simultanément plusieurs objectifs quelque fois contradictoirs. - Il s’agit d’un très bon moyen de vérifier les résultats de ses choix, par comparaison des situations précédant et suivant le changement - Le décideur voit sa tâche simplifiée - La situation est réversible - L’incrémentalisme permet souvent la survie d’une organisation et l’adaptation continue et progressive de ses opérations. - Cette méthode est pratiquée dans toutes les démocraties. (2) Marion GOUGES. (2014). L’Habitat Incrémental une stratégie de construction progressive du logement. (p18), Mémoire. (3), (4) SOUBRIER, R. (2000). Planification, Aménagement et Loisir. (p40), Google e-book
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« L’incrémentalisme ne veut décider de chaque étape au moment où elle l’aborde et pendant son cours : à chaque étape, il regarde en arrière. Il refuse de décider trop tôt les étapes suivantes ni surtout la totalité de l’opération sans la soumettre aux événements de chaque phase. Ainsi, la fin n’est pas définie dès le début. L’incrémentalisme est la façon écologique de décider : par la participation continue de toutes les informations et de tous les informateurs qui surgissent au cours de l’opération. Cette méthode signifie : “On apprend à marcher en marchant“. Charles Lindblom l’a nommé Disjointed incrementalism : the science of muddling through (je traduis : ajout d’un élément après l’autre, sans cohérence – la science de la débrouillardise pour arriver à travers tout). C’est une méthode intuitive, “darwinienne“ à l’image des tâtonnements de la nature... {...} C’est ainsi que je me suis reconnu comme incrémentaliste depuis toujours. »5 Lucien KROLL
« L’incrémentalisme est une méthode d’action sociale dans laquelle le planificateur prend la réalité du moment comme base de la détermination des objectifs de la planification. Il se réfère constamment à cette situation pour évaluer les choix introduits lentement et progressivement dans le système pour le modifier. De cette façon, il peut expérimenter les avantages et les désavantages de chacun des choix par rapport à une situation de départ connue. » Robert SOUBRIER
(5) Lucien Kroll, (2012), Pour une éco-alphabétisation, in Alter architectures, Manifesto, Thierry Paquot, Yvette Masson-Zanussi, Marco Stathopoulos, Eterotopia, (p.213) (6) SOUBRIER, R. (2000). Planification, Aménagement et Loisir. (p40), Google e-book
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« L’incrementalisme est une méthode de travail consistant en l’ajout à un projet de plusieurs petits changements (souvent non planifiés) à la place de quelques grands sauts planifiés. Wikipédia illustre par exemple ce concept, en construisant une encyclopédie petit à petit, par des ajouts continuels. » « C’est une démarche dans laquelle les processus sont modifiés progressivement, par « piétinement ». Les changements sont très légers, mais leur accumulation peut aboutir à un changement radical par accumulation de ces changements imperceptibles. L’incrémentalisme permet souvent la survie d’une organisation par l’adaptation progressive et continue de ses processus opérationnels. En tant que méthode de management, c’est une démarche consciente, orientée et proactive. C’est une démarche pragmatique permettant d’ajuster les organisations de façon flexible. » Wikipédia
« Logement livré non-fini mais dont l’extension maximale est encadrée dès le départ par des dispositifs architecturaux afin de préserver le cadre urbain dans lequel s’inscrit l’habitat. Les rôles sont répartis entre les acteurs : l’architecte prend en charge le dessin des parties requérant une connaissance spécifique, à savoir le noyau technique et le dessin de l’environnement urbain. L’habitant est, quant à lui, responsable de l’implémentation de son logement qui se fait de façon progressive dans le temps, en fonction de ses propres besoins et des ressources disponibles. » Marion GOUGES
(7) Wikipédia, https://fr.wikipedia.org/wiki/Incrémentalisme (8) Marion GOUGES. (2014). L’Habitat Incrémental une stratégie de construction progressive du logement. (p154), Mémoire.
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PARTIE 1 L’ARCHITECTURE I N C R É M E N TA L E U N E S O LU T I O N POUR LES PAYS EN DÉVELOPPEMENT
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I
UNE RÉPONSE AUX BIDONVILLES ET ETAT DE L’ART DE LA MÉTHODE
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1 /
LE BIDONVILLE, UN URBANISME ET UNE ARCHITECTURE ÉVOLUTIVE
Le bidonville est un lieu particulier où l’informalité architecturale et urbaine s’exprime en raison de la précarité de ses populations. L’exode rurale intensif (aujourd’hui particulièrement dans les pays en développement), amène de plus en plus d’anciens paysans très pauvres, venus chercher une vie urbaine pleine de promesses. Malheureusement, la plupart du temps, ces gens qui atteignent les portes de l’agglomération ne sont pas en mesure de payer le coût de la ville. Ils sont alors inévitablement rejetés dans “l’antichambre de la ville“1. Le bidonville se caractérise par Le manque de “hard ressources“2 (matériaux de construction et nourriture) et de “soft ressources“3 (éducation, assurance, représentation politique, sécurité, sanitaire, eau potable, routes, électricité, transport publique, accès à la santé...), la vulnérabilité aux catastrophes naturelles, le fort taux de mortalité, l’exposition aux déchets, à la pollution de l’air et de l’eau, la violence, etc. exposent ces habitants dans une situation de précarité. S’en suit un processus de survie. Les nouveaux habitants débarquent dans un “hors lieu“4 où aucune réglementation ne régit les espaces construits. Le terme “hors lieu“, instauré par Michel Agier, désigne le type de lieu de quelqu’un qui arrive en étant absolument perdu. « Le hors-lieu, cela revient à dire que c’est un espace en dehors de tout ce qui fait liens, relations, droits. Il faut être quelque part pour avoir des droits humains, en l’occurrence dans un État, dans une ville. Là, on est dans quelque chose d’autre. Le droit humanitaire, c’est quelque chose qui n’existe pas en tant que tel, et les droits de l’homme, c’est une idée qui a beaucoup de mal à s’appliquer, à se localiser littéralement. C’est à décrire cette (1) Belguidoum, S., & Mouaziz, N. (2010). L’urbain informel et les paradoxes de la ville algérienne : politiques urbaines et légitimité sociale. Espaces et societes, n° 143(3), 101‑116. (2), (3) Lizarralde, G. (2014). The Invisible Houses: Rethinking and designing low-cost housing in developing countries (1 edition).(p18) New York: Routledge. Kobo e-book. (4), (5) Agier, M. (2017) ENTRETIEN : VILLE, BIDONVILLE, CAMPEMENT : DE LA RELATIVITÉ URBAINE, Daniel FLORENTIN. http://www.revue-urbanites.fr/ville-bidonville-campement-de-la-relativite-urbaine/
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extériorité que sert le concept de hors-lieu. »5 Ainsi, la personne arrivant dans le bidonville doit construire, sur un morceau de terrain le moins éloigné des limites de la ville, un abri, un lieu où habiter, car il est un besoins physiologique élémentaire de la vie de l’homme6. Ce lieu sera alors la base de ce qui pourra être l’occasion d’y développer un réseau de voisinage qui est indispensable pour se développer socialement et économiquement. La plupart des habitants d’un bidonville sont d’anciens paysans qui possèdent tous une habileté dans le domaine de la construction, ce qui leur permet eux-mêmes de réaliser leurs chez-soi, et ainsi, de l’améliorer au fil du temps. Ce phénomène de construction individuel est la cause de la forme urbaine et architecturale du bidonville. Quand on assemble des histoires personnelles mais équivalentes, le résultat obtenu est celui de ces périphéries informelles. En 2009, on estimait que plus d’un milliard de personnes vivaient dans des bidonvilles7 et on estime que ce nombre va doubler d’ici 20308 ! Il n’est donc pas étonnant de voir que ces territoires ne cessent de grandir. Sans loi, les formes hasardeuses des petites ruelles construisent un paysage à part qui sont le résultat d’une culture d’un savoir-faire et d’une force collective nécessaire à la survie de ces populations. Le bidonville a (et est toujours) été montré du doigt par les décideurs et les politiques comme les maux principaux de la société. Ce territoire désorganisé et incontrôlable est sujet à des critiques souvent basées sur des préjugés9. On l’imagine comme un environnement invivable et en déclin, où les résidents les plus pauvres de la planète attendent la première occasion pour rejoindre la ville parce qu’ils vivent un monde de misère et de désespoir. Ce qui n’est pas vrai. Pourtant, compte tenu de leur ingérabilité, ils sont souvent désignés comme des territoires à faire disparaitre à coup de bulldozer, comme si ses problèmes allaient disparaitre avec. Cette approche contemporaine Haussmannienne10 a pourtant tendance (6) Voir la pyramide de Maslow (7) UN-Habitat. (2009) Planning Sustainable Cities : Global Report on human Settlement 2009. London : Earthscan (8) Mehta, B. and A. Dastur, eds. (2008), Approches to Urban Slums : A Multimedia Sourcebook on Adaptive and Proactive Approaches. Washington : The World Bank (9), (10) Lizarralde, G. (2014). The Invisible Houses: Rethinking and designing low-cost housing in developing countries (1 edition).(p20) New York: Routledge. Kobo e-book.
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à être plutôt vecteur de problèmes que de solutions. D’autres y trouvent une esthétique, une poétique, qu’ils n’hésitent pas à romaniser. D’ailleurs, dans certaines favelas, on voit apparaitre le terme de « favela-chic »11 où ces quartiers consolidés se sont peu à peu gentrifiés. La vérité serait plutôt celle de dire que le bidonville est une part du problème et une part de la solution dans la construction urbaine12. Le caractère évolutif de l’urbain, mais plus particulièrement de l’architecture des bidonvilles est un processus très intéressant qui n’existe pas (ou peu) dans un pays développé. Nous avons vu à travers ce chapitre, que l’architecture d’un bidonville commence par être un abri de survie, et qu’il peut (avec le temps) évoluer en attirant des populations plus riches, séduits par le mode de vie découlant de la forme urbaine. C’est cette notion d’évolutivité qui m’a captivé et qui m’a censé être essentiel pour repenser la manière de penser l’architecture. À travers cette altérité, j’ai rapidement été persuadé qu’on pouvait envisager de reconsidérer notre manière de construire et d’habiter.
« Informality is often associated with chaos, disoder, illegality, insecurity, and inefficiency. Yet, {…} the informal settlements are not necessarily chaotic, and informality and illegality do not necessarily go hand in hand. Pejorative representations of informal settlements, companies, workers and construction have largely been used to justify and legitimize evictions, segregations, persecutions and other forms of social injustice »14
(11) FROGET J. (2016) La favela comme potentiel architectural, (p85), mémoire (12) Lizarralde, G. (2014). The Invisible Houses: Rethinking and designing low-cost housing in developing countries (1 edition).(p20) New York: Routledge. Kobo e-book. (13) Idem.(p26)
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2 /
BREF HISTORIQUE DES STRATÉGIES D’INTERVENTIONS FACE AUX BIDONVILLES DANS LES PAYS EN DÉVELOPPEMENT
Le secteur informel qui construit le bidonville est à la fois le problème et la solution. Il est vecteur d’un fort potentiel exploitable, mais il est pourtant source indubitable de problèmes en terme de qualité architecturale. Il m’est paru évident qu’une réponse adaptée à la problématique du logement pour les bidonvilles, devait intégrer la notion d’informalité. Je me suis alors intéressé aux stratégies architecturales mises en place dans les pays en développement pour permettre à ces populations de vivre dans des lieux décents. En effet, un des rôles majeurs des gouvernements est d’être concerné par le bien-être de l’ensemble de ses citoyens. Le droit au logement fait parti des droits de l’homme établi par les États membres de l’Organisation des Nations unies1. Un gouvernement se doit donc de proposer des solutions pour que l’ensemble de la communauté puisse vivre sous un toit de manière décente. Je me suis alors rendu compte que selon les époques, bon nombre de stratégies très variées ont été proposées pour répondre à cette crise. Dans cette partie, je vous propose de découvrir comment les stratégies se sont succédées en échouant jusqu’à arriver à celle qui est le sujet de ce mémoire.
(1) Office of the United Nations High Commissioner for Human Rights. “International Covenant on Economic, Social and Cultural Rights“
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Les grands ensembles – Des projets “clé en main“2 (Un projet clé en main est un projet qui, une fois réalisé, est immédiatement prêt à être utilisé) Wikipédia.
À partir de la fin de la seconde guerre mondiale et jusque dans les années 70, les politiques ont adopté une stratégie de relogement pour palier au problème des bidonvilles. Jugeant le cas de ces territoires uniquement comme des lieux de misère et de pauvreté, la solution était de fournir aux familles un logement “décent“. « it is now accepted that public provision of turnkey project housing projects is a first generation policy for solving the housing problem »3 La stratégie mise en place par les gouvernements à cette époque était de détruire les quartiers informels pour les remplacer par des logements “dignes“ en y intégrant tout le “confort moderne“4. La production de masse mise en place pour avancer des solutions au logement a pourtant été un échec pour plusieurs raisons. Des pays comme l’Inde, la Colombie, la Jamaïque, le Nigeria, le Vietnam et bien d’autres témoignent de l’inefficacité de ce système5. D’abord, les gouvernements se sont fait rattrapé par l’aspect “buisness“ (sans parler de la corruption) au lieu de s’attacher à la mission de construire des bâtiments et de les gérer6. Ensuite, ces projets étaient localisés sur des terrains très peu onéreux, loin de toute opportunité de travail et de services7. Les familles les plus pauvres n’ont pas été en mesure de s’installer dans ces endroits à cause de leurs coûts trop élevés. Les gouvernements n’avaient en réalité pas assez de fond pour fournir un logement à toute cette population8. Le paradoxe dans cette histoire est qu’il a été révélé que la plus part du temps, beaucoup plus de logements ont été détruit dans les bidonvilles que de logements neufs ont été construits9. De plus, à cette époque, la question du logement n’est pas la seule. La santé ou la sécurité sont autant de sujets qui devaient être abordés en priorité. Aujourd’hui, cette stratégie est globalement abandonnée.
(2), (3), (5), (6), (7), (8) Lizarralde, G. (2014). The Invisible Houses: Rethinking and designing low-cost housing in developing countries (1 edition).(p28-30) New York: Routledge. Kobo e-book. (4) A. COURBEBESSE (2018, Les grands ensembles ont leurs raisons (9) C. ZANETTA (2001) The evolution of the World Bank’s Urban Lending in Latin America : From Sites-and-Services to municipal reform and beyond, Habitat international 25, no. 4
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Site-and-Services10 Face à l’échec de la politique décrit dans la partie précédente, une nouvelle stratégie a vu le jour à partir du début des années 70. Né des écrits de John Turner : Freedom to Build et Housing by People, et de l’exposition très connue : Architecture without Architects: A Short Introduction to Non-Pedigreed Architecture présentée en 1964 au MoMa de New York, l’architecte britannique apporte un nouveau regard sur l’auto-construction. La question du bidonville est alors reconsidérée. Turner est un des premiers à évoquer l’idée que l’habitat n’est pas un produit, mais un processus complexe11. De là, va naitre une nouvelle politique pour les bidonvilles qui est celle de créer des programmes pour encadrer l’auto-construction. L’idée principale qui va fonder cette nouvelle politique est de penser qu’en faisant participer les futurs usagers, cela permettra de faire diminuer les prix. En 1972, la Banque Mondiale ayant approuvée ce nouveau mode de conception, a institué une politique pour encourager les gouvernements à fournir des “trames d’accueil“ (sites-and-services)12. Il s’agit de terrains qui sont donnés, fournissant un accès aux services élémentaires pour ceux qui veulent y construire leur maison. Cette stratégie a en effet réduit drastiquement les coûts. Malheureusement, on se rend compte que là encore, souvent, les gouvernements ne sont pas allés au bout de leurs engagements et de leurs responsabilités. Les populations pauvres n’ont donc pas pu pleinement mettre à profils leurs compétences et leurs potentiels. En effet, les terrains étaient déjà trop onéreux pour 20% de la population urbaine13. Les réseaux d’approvisionnement en eau et les égouts ont couté trop cher et ceux qui y ont habités sont finalement retournés dans les bidonvilles14. En Amérique Latine, entre 1972 et 1981, seul 10% des “sites-and-services“ prévus ont été construit15. De plus, cette méthode de construction de l’habitat a alimenté beaucoup de débats politique sur la notion d’éthique16. (10), (12), (14,),(16) Lizarralde, G. (2014). The Invisible Houses: Rethinking and designing lowcost housing in developing countries (1 edition).(p30-32) New York: Routledge. Kobo e-book. (11) Marion GOUGES. (2014). L’Habitat Incrémental une stratégie de construction progressive du logement. (p10), Mémoire. (13) CHOGUILL, The search for poicies to Support Sustainable Housing (15) R. Keivani et E. Werna. (2001), Refocusing the Housing Debate in Developping Countries from a Puralist Perspective. Habitat international, 25, no.2
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Finalement, la Banque Mondiale reconnaitra dans le milieu des années 80 que cette stratégie n’a pas fonctionnée comme prévu17. Cette stratégie a été récemment utilisée en Afrique du Sud, apportant des résultats hétérogènes. Elle aura permis d’offrir un toit à beaucoup de familles, même si la qualité de ces constructions reste critiquée.
Améliorer les conditions dans les bidonvilles.18 Après les échecs des stratégies de relogement des populations des quartiers informels, et face au développement continu et incontrôlable des bidonvilles, les spécialistes du logement et les décideurs politiques se sont mis d’accord pour adopter une méthode plus résiliente19. Ils se sont rendu compte qu’en améliorant les infrastructures existantes comme les sanitaires, les égouts, les réseaux électriques, les routes, les transports en communs, les services communautaires, cela améliorerait sensiblement les conditions de vies des habitants des bidonvilles. Cette approche apparait comme une main tendue aux habitants qui n’étaient pas reconnus et étaient sous la menace d’une expulsion à tout moment. Sans, ce sentiment d’intégration les habitants ne peuvent être en mesure d’améliorer et de consolider leur habitat. Yann Barnet nous parle très bien de ce problème récurrent : « Ils ne peuvent pas se projeter dans l’avenir, ni tenter d’améliorer leur habitat car ils restent perpétuellement sous la menace de l’expulsion qui réduirait à néant leurs efforts. Donc les conditions de vie stagnent, les gens préférant manger un peu plus, plutôt que de réparer un toit ou agrandir une pièce. Cela détermine aussi un type de construction “démontable“ : “Les maisons en bois sont plus chères que celles en dure mais le terrain ne nous appartient pas ; on a aucun papier de la mairie ni du gouvernement. Alors on construit (17), (19) A. GILBERT. (2004) Helping the poor through Housing Subsidies : Lessons from Chile, Colombia and South Africa. Habitat international 28, no. 1 (18) Lizarralde, G. (2014). The Invisible Houses: Rethinking and designing low-cost housing in developing countries (1 edition).(p33-35) New York: Routledge. Kobo e-book.
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en bois“ »20. Abdelmalek Sayad, un homme qui a longtemps vécu dans ces territoires raconte : « Le bidonville, c’est aussi l’histoire de la « ville qui n’existait pas », -une honte refoulée- auquel on a refusé le statut de réalité ».21 Malgré des résultats satisfaisants, le problème ici est que ces initiatives ne sont pas faites sous des tenures légales. Ceci limite forcement les actions lancées par le gouvernement. Ces projets sont en fait plutôt portés par des organisations dans le but de consolider des coopératives22. De plus, les investissements sont exorbitants. La fabrication de routes et de réseaux divers coûtent entre 2 à 3 fois plus cher que si elles étaient faites sur des terrains nouveaux23. Cette politique ne peut donc s’appliquer qu’a une échelle réduite. Ensuite, il a été pensé que la solution serait de limiter (voir stopper) le développement des bidonvilles dans les périphéries. Ceci permettrait dans le même temps de limiter ce genre d’action (nécessaire) et donc de limiter les dépenses. Ce qui ne fonctionnera pas.
Autres stratégies Sans rentrer dans les détails, d’autres stratégies d’interventions ont été mises en place dans beaucoup de pays en développement. Parmi elles, l’idée de réduire les mouvements de population vers la périphérie de la ville. Elle est issue d’une pensée nostalgique : « Nostalgia for productive small towns and village »24. L’objectif de cette démarche était de proposer des zones productives et attractives entre la ville et la campagne pour limiter l’inflation des quartiers informels en contact avec la ville. « According to this logic, the problem of inadequate housing urban centres can be reduced by creating productive centres in small settlements, and thus attracting and retaining rural residents »25. Cette
(20), (21) Yann Barnet : http://barnet.yann.free.fr/site%20bidonville/bv-analyse%20urbaine. htm (22), Lizarralde, G. (2014). The Invisible Houses: Rethinking and designing low-cost housing in developing countries (1 edition).(p34) New York: Routledge. Kobo e-book. (23) B. FERGUSSON et J. NAVARRETE (2003) A Financial Framework for Reducing Slums : Lessons from Experience in Latina America. Environnment and Urbanization 15, no.2 (24), (25), Lizarralde, G. (2014). The Invisible Houses: Rethinking and designing low-cost housing in developing countries (1 edition).(p35) New York: Routledge. Kobo e-book.
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stratégie est pourtant inefficace simplement car les mouvements de population vers les zones urbaines ne sont pas restreignables car le processus d’urbanisation est « an inevitable outcome of development process »26. Une autre solution proposée était d’améliorer les infrastructures dans les bidonvilles pour fertiliser le développement des bidonvilles. Entre les années 80 et 90, les spécialistes ont reconnu que ces territoires souffraient de problèmes liés à la compacité et au désordre27. Ainsi, la solution ne viendrait pas en proposant des politiques de relogement, mais en affectant une législation administrative, économique, légale et institutionnelle28. Ainsi, en 1993, la Banque Mondiale a encouragé la privatisation de la production des logements dans les quartiers informels29. Cette approche a connu un succes relatif : « First, structural reforms were not implemented at the pace or on the scale that the World Bank and the International Monetary Fund (IMF) policies anticipated. Secondly, the strategies failed to sufficiently stimulate action and participation from community-based organizations. Third, by concentrating poor residents in specific neighborhoods built by private developers, most projects undertaken in this approach have exacerbated social segregation? Fourth, the solutions hacve rarely reached the poorest sector of society. Finally, and more worryingly, most housing projects have failed to adapt to the needs and aspirations of low-income residents »30. Enfin, de nos jours, beaucoup de jeunes architectes sont intéressés à participer à des programmes organisés par des ONG. Ces interventions dont les intentions ne peuvent être que louées ont au final des résultats trop peu satisfaisants. Elles interviennent trop souvent dans une logique individuelle dont les stratégies ne s’établissent que sur du court ou moyen terme, en réponse à une urgence31. Le travail de ces organisations se base sur des fonds provenant des donateurs externes dont leurs envies ne coïncident pas forcement avec les priorités des populations pauvres32. Les personnes engagées dans ces projets sont souvent des jeunes professionnels (26), UN-Habitat. (2011), State of the World’s Cities 2010/2011 (27), CHOGUILL, The Search for Policies to Support Sustainable Housing (28), (29), (30) Lizarralde, G. (2014). The Invisible Houses: Rethinking and designing low-cost housing in developing countries (1 edition).(p38-40) New York: Routledge. Kobo e-book. (31) Lizarralde, G. (2014). The Invisible Houses: Rethinking and designing low-cost housing in developing countries (1 edition).(p43) New York: Routledge. Kobo e-book. (32) Rahman, M.M, (2002), Problems of the NGOs in Housing the Urban Poor in Bangladesh, Habitat international 26, no. 3
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avec peu d’expérience33 dont le manque de recul peut avoir des incidences néfastes sur la qualité du projet.
Ces stratégies d’intervention que Gonzalo LIZARRALDE avance dans son livre ont toutes connues des résultats mitigés. Dans un sens, elles sont des leçons sur lesquelles nous pouvons nous baser pour ne pas répéter les mêmes erreurs. Après avoir fait le tour de la complexité du problème du logement à bas-prix dans les pays en développement, il proposera dans le dernier chapitre de son livre « The invisible houses », une stratégie pour repenser l’approche de l’aménagement du logement social dans ces pays. C’est en analysant les résultats de ses recherches, qu’il en vient à proposer l’idée d’aborder l’habitat incrémental comme solution au problème posé. La stratégie ne consiste pas tant en une réponse architecturale pure, selon lui : « It is not About simplifying the problem, but rather communitting to collective sustained effort and embracing complexity »34 (Il ne s’agit pas de simplifier le problème, mais bien de participer à un effort collectif soutenu en introduisant la complexité).
(33), Rahman, Problems of the NGOs in Housing the Urban Poor in Bangladesh
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L’INCRÉMENTAL AUJOURD’HUI
Pour faire l’état de l’art de cette pratique, je me base sur les écrits de la jeune architecte Marion GOUGES qui a fait un travail dans le but de recenser l’ensemble de la pratique incrémentale. Dans sa démarche, elle identifie deux moments où des stratégies incrémentales ont été adoptés dans l’architecture : « il s’agit du Proyecto Experimental de Vivienda (PREVI)i et des nombreux projets plus récents de l’agence chilienne Elemental. La première est le résultat d’un concours international d’architecture mis en place au Pérou entre 1968 et 1973, tandis que la seconde, plus récente, débute en 2004 avec la réalisation de la Quinta Monroy au Chili, et se poursuit encore aujourd’hui avec la construction de nombreux logements sociaux suivant un développement incrémental. »1 La pratique s’établie donc particulièrement dans les pays d’Amérique latine où elle connait des expérimentations qui ont été les plus largement mis en lumière. Pourtant, d’autres projets ponctuels existent dans d’autres pays (sans compter les bidonvilles dont l’urbanisme et l’architecture est basée sur une stratégie incrémentale involontaire). Parmis eux, nous trouvons des exemples à Casablanca, (immeubles Seriamis et Nid d’abeille, Candilis et Woods, 1954(Maroc))ii, en Inde (stratégie incrémentale de densification d’un quartier à Pune)iii, à Belapur (évolution urbaine sous forme d’un développement fractal, (Inde))iv. Dans les pays développés, Lucien Kroll, un architecte Belge, est probablement l’un des premier (si ce n’est le seul) à avoir promu une approche incrémentale dans le domaine de l’architecture. C’est à travers le projet de la Mémé (Maison médicale) qu’il a su tirer sa notoriété. Son approche en discordance avec la production architecturale du mouvement moderne lui a permis de réaliser une architecture innovante. En plaçant l’usager au centre des attentions, il propose une nouvelle façon d’appréhender l’architecture ; avant-gardiste, presque visionnaire, sa philosophie reste néanmoins très controversée. (1), Marion GOUGES. (2014). L’Habitat Incrémental une stratégie de construction progressive du logement. (p155), Mémoire.
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Schéma d’évolution des différentes typologies réalisées par des grands noms de l’architecture © Marion GOUGES
i
ii
iii
iv
immeubles Seriamis et Nid d’abeille, Candilis et Woods, Casablanca 2013 © J.L. Cohen
immeubles Seriamis et Nid d’abeille, Candilis et Woods, Casablanca 1954 © S. Newberry
stratégie incrémentale de densification d’un quartier à Pune (Inde) © F. Balestra S. Göransson
évolution urbaine sous forme d’un développement fractal Incremental Housing in Belapur (Inde) © C. Correa
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Photo des pages 428 et 429 du livre : Š Elemental
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II
PRINCIPES DU MODÈLE INCRÉMENTAL SELON ALEJANDRO ARAVENA (SUTDIO ELEMENTAL)
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ORIGINES ET FONDEMENTS DES IDÉES
Le groupe ELEMENTAL est fondé en 2000 à Harvard par les architectes Alejandro ARAVENA, Pablo ALLARD, et l’ingénieur Andrès IACOBELLI. Aujourd’hui basé à Santiago, dans la capitale du Chili, le studio regroupe un effectif aux compétences variées. Ensemble, les architectes, urbanistes, ingénieurs, designers... ont comme objectif de développer des solutions aux problèmes du logement au Chili (bien que cela ne soit pas leur unique intérêt, c’est sur cet objectif que nous allons nous concentrer). Le groupe travaille donc pour concevoir des concepts architecturaux à bas coût pour les citadins les plus démunis. Les premières recherches furent réalisées dans des d’ateliers où les étudiants devaient concevoir des habitations sans dépasser 3,200$ (atelier US$3200)1. Après s’être penché sur l’habitat individuel, le groupe touche à une échelle urbaine et collective. En réaction aux traumatismes posés par les grands ensembles, ils souhaitent fournir des solutions qui soient à faible hauteur (3 niveaux au maximum), Mais dense en évitant la surpopulation. En 2016, Alejandro ARAVENA, le directeur exécutif d’ELEMENTAL se voit être remis le prix le plus prestigieux qui existe dans le monde de l’architecture : Le prix Pritzker. Cette récompense gratifiant l’ensemble des œuvres de cet architecte lui permettra d’avoir une reconnaissance accrue auprès de la sphère publique et de diffuser sa philosophie au monde entier. Tout le développement intellectuel que va réaliser le studio ELEMENTAL, part d’une équation très concrète. L’intention qu’ils ont est celle de se confronter au défi mondial de l’urbanisation. Notre époque correspond plus que jamais à celle de l’exode rurale. Les gens qui habitent les campagnes fuient une intense pauvreté pour chercher une vie meilleure dans les villes2. Ce phénomène s’observe partout dans le monde, mais il s’exprime particulièrement (1), A. ARAVENA, (2016), Elemental. (s. d.). (p34) (2) Yann BARNET, http://barnet.yann.free.fr/site%20bidonville/bv-analyse%20urbaine.htm : «Le bidonville est en premier lieu le point de chute des paysans qui fuient la pauvreté des campagnes»
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dans les pays en développement. Pour certains, cela peut sembler être paradoxal, mais en réalité, c’est une bonne nouvelle. D’abord, il a été démontré que les gens se sentent mieux dans les villes3. L’efficacité dû à la compacité améliore les qualités de vie. Les réseaux d’eau, d’électricité, des services sont plus efficients, et les liens sociaux sont plus faciles dû à la proximité. Finalement, tout est plus efficace quand les gens sont concentrés dans les villes plutôt que quand ils sont séparés dans les aires urbaines4. Par contre, le problème est que ce monde urbain grandit trop vite... plus vite que les réponses ne peuvent être proposées. Aujourd’hui, on compte plus de 3 000 000 000 de personnes habitant en ville, dont 1 000 000 000 vivant sous le seuil de pauvreté. D’ici 2030, 5 000 000 000 de personnes vivront dans les villes dont 2 000 000 000 sous ce même seuil de pauvreté5. Ce qui nous amène à cette fameuse équation : Pour répondre à la crise mondiale du logement, il faut construire chaque semaine une ville d’1 000 000 d’habitants avec 10 000$ par famille pendant 15 ans.6 Si cette équation ne se résout pas, cela n’empêchera pas les gens de venir. C’est juste qu’ils vivront dans des quartiers informels comme des bidonvilles. Pour résoudre cette crise de logement, les politiques urbaines sont menées à mettre en place une stratégie afin de fournir un logement abordable aux familles. Pour cela, on trouve systématiquement deux solutions. Avec les mêmes subventions, on peut soit construire un logement de 80m2 en périphérie car les terrains coutent moins cher. Soit il faut diviser par deux la taille des constructions pour qu’elles soient accessibles. 7 (3),(4), A. ARAVENA, (2016), Elemental. (s. d.). (p24) (5),Dejan Sudjic et Ricky Burdett, (2011), Living in the Endless City (London 2011) (6) A. ARAVENA, (2016), Elemental. (s. d.). (p27) (7) Aravena, A. (s. d.). Transcript of « Ma philosophie architecturale ? Engager la communauté dans le processus ». https://www.ted.com/talks/alejandro_aravena_my_architectural_philosophy_bring_the_community_into_the_process/transcript
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« Si le design possède un seul pouvoir, c’est le pouvoir de synthèse. Plus un problème est complexe, plus il a besoin de simplicité »8. C’est donc avec le pouvoir de synthèse architecturale, qu’Alejandro ARAVENA et son équipe vont tenter de résoudre cette fameuse équation. Le modèle qui va aboutir est issue d’un projet atypique dont ils ont reçu la commande. Au milieu des année 2000, le gouvernement Chilien leur demande de proposer une solution face à l’occupation illégale de 100 familles qui se sont installées illégalement depuis trente ans sur un terrain dans le centre d’Iquique. Avec 10 000 dollars de subventions, ils devaient acheter le terrain (qui coute 3 fois plus cher dans le centre qu’en périphérie), fournir l’infrastructure et construire les logements. En considérant l’industrie du bâtiment au Chili, il se sont rapidement rendu compte qu’avec cette somme d’argent, ils ne pourraient pas proposer des habitats de plus de 40m2 (ce qui est convenable pour une famille de classe moyenne est d’environ 80m2). Ensuite, en suivant le modèle de la maison individuelle, on ne pouvait loger que 30 familles. Avec des maisons mitoyennes, seulement 60 familles. En réalité, la seule solution était de construire en hauteur à l’image des grands ensembles. Le problème est que dans cette configuration, il est impossible aux familles d’agrandir leurs unités minuscules. Ainsi, quelle architecture proposer aux habitants pour qu’ils puissent vivre dans un logement avec assez d’espace, mais sans argent ?
© Elemental S.A.
(8) Aravena, A. (s. d.). Transcript of « Ma philosophie architecturale ? Engager la communauté dans le processus ». https://www.ted.com/talks/alejandro_aravena_my_architectural_philosophy_bring_the_community_into_the_process/transcript
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Equipe ELEMNTAL lors de la remise du Pritzker Prize © arquine.com
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PRINCIPES ARCHITECTURAUX
“HALF A GOOD HOUSE ≠ ONE SMALL HOUSE”1 Quelle architecture proposer aux habitants pour qu’ils puissent vivre dans un logement avec assez d’espace, mais sans argent ? C’est alors qu’intervient la méthode incrémentale ! Suite à ce constat, l’agence ELEMENTAL se rend compte que l’espace nécessaire à une famille de classe moyenne nécessite 80 m2 et qu’on ne peut fournir que la moitié pour une famille qui n’a pas assez d’argent. Alors, ils imaginent un concept nouveau en avançant l’idée que la réalisation d’une petite maison n’est pas identique à la réalisation de la moitié d’un bien construite. « HALF A GOOD HOUSE ≠ ONE SMALL HOUSE ». C’est de la que va naître le principe incrémental.
«HALF A GOOD HOUSE ≠ ONE SMALL HOUSE» © Elemental
(1) A. ARAVENA, (2016), Elemental. (s. d.). (p17)
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LA RECHERCHE D’UN ÉQUILIBRE URBAIN Selon eux, le logement social doit être une réponse qui puisse permettre une densité à faible hauteur en évitant le surpeuplement en étant capable d’évoluer2. La faible hauteur est essentielle pour proposer une architecture qui élimine des espaces qui ne peuvent être entretenus. Les couloirs, les escaliers, les ascenseurs sont des espaces qui demandent de l’argent pour ne pas être détériorés. Par conséquents, ils peuvent être à la base de conflits sociaux3. Par ailleurs, une densité élevée est nécessaire pour diviser au maximum le coût des terrains qui, dans le centre, sont particulièrement élevés. Enfin, la capacité d’un logement à s’agrandir influe sur la capacité d’une famille d’accéder progressivement à un logement décent.
Low-rise DENSITY4
Without OVERCROWDING6
With possibility to GROW5
(2) A. ARAVENA, (2016), Elemental. (s. d.). (p20) «Densidad en baja altura sin hacinamiento con posibilidad de drecer» (3) Idem (p21) «Low rise is necessary to eliminate common areas like halls and elevators that connot be maintained and may as a consequence cause deterioration and value loss» (4) Densité à faible hauteur (5) Avec la possibilité d’évoluer (6) Sans sur-population
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QUELLE MOITIÉE CONSTRUIRE ? La méthode incrémentale demande à l’architecte de fournir un cadre. Ce cadre est le socle sur lequel les habitants peuvent construire l’extension de leur maison. Ainsi, avec l’argent qui est subventionné par l’État, il est indispensable de fournir la partie de la maison que les habitants ne peuvent pas construire eux-mêmes. Plus encore, il est indispensable de fournir la partie de la maison sur laquelle les habitants pourront construire par eux-mêmes. Alors, L’architecture des maisons incrémentale doit être capable de fournir les murs anti-feux, les éléments de base pour la cuisine et la salle de bain, les escaliers, un toit solide et étanche, et surtout une structure solide7. Finalement, l’architecture est « clos couvert avec accès à l’eau courante »8
© Elemental
L’AUTRE MOITIÉ La moitié qui est laissé aux habitants est libre. La construction ne dépend (presque) plus de l’architecte lui-même. Les espaces qui vont être créés découlent directement des besoins et des envies spécifiques de ses usagers. Dans cette partie, on prône plutôt une architecture légère qui peut être construite par les habitants euxmêmes, par des entreprises informelles ou des artisans du quartier. Les matériaux employés peuvent être divers. Il est concevable qu’un ménage face le choix de recycler leurs anciennes maisons. L’espace libéré doit être en mesure de permettre à la construction informelle de faire exprimer son savoir-faire et ses compétences. (7) A. ARAVENA, (2016), Elemental. (s. d.). (8) NAMIAS, O. (s. d.). Qui est vraiment Alejandro Aravena, lauréat 2016 du Pritzker Prize ? D’architectures.
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TYPOLOGIE L’élaboration de la typologie des logements se fait en collaboration avec les habitants. C’est à travers un dialogue entre les familles et l’équipe de maîtrise d’œuvre que l’arrangement des espaces se défini (voir partie “participation des habitants“). Cependant, dans tous les projets on peut observer des récurrences. La partie laissée libre est située contre des espaces construits (de façon latérale). Les espaces créés sont là aussi souvent identiques : toutes possèdent à minima les pièces suivantes : une salle de bain, une cuisine et une pièce à usage non défini9. Les typologies urbaines se ressemblent d’un projet à un autre. Les habitations sont positionnées les unes à côtés des autres, en bande, de sorte à ce que chaque unité puisse accueillir la partie“ à construire“ de l’unité voisine.
Plan urbain et typologie du projet Quinta Monroy à Iquique © Archdaily
Différentes typologies mises en place des projets incrémentaux de l’agence ELEMENTAL En noir, ce qui est fourni par l’architecte; En rouge, partie après incrémentation © Marion GOUGES
(9) Marion GOUGES. (2014). L’Habitat Incrémental une stratégie de construction progressive du logement. (p158), Mémoire.
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MATERIALITÉ L’architecture de l’unité de base doit être solide et peu onéreuse. La partie structurelle des maisons suit une industrialisation et une préfabrication d’éléments en béton. Par ailleurs, le “remplissage“ se fait avec des parpaings. Cette architecture communique avec son usager. L’habitant sait facilement quelles sont les éléments structuraux ou non, ce qui lui permet de déterminer ceux qu’il peut détruire ou non dans le cas d’un réaménagement spatial. Les parpaings pouvant ainsi être réutilisés par l’habitant. Les matériaux utilisés par les habitants pour construire le reste de son habitation sont libres. Nous avons vu qu’il peut entre-autre recyclé les parpaings de son habitation sur une partie qui serait détruite. Ces derniers ont tendance à réemployer les matériaux de leurs habitations. « Incremental improvement of the houses. Available evidence indicates that immediately after taking possession of a basic house nucleus, beneficiaries expand it using the precarious materials of their previous dwelling or other, generally recycled, materials that are easy to install. »10 M. Greene & E. Rojas, 2008
Photo du projet Quinta Monroy à Iquique (Chili) après incrémentation © Archdaily (10) “Améliorations incrémentales des logements. Les preuves disponibles indiquent qu’immédiatement après avoir pris possession d’une unité d’habitation basique, les bénéficiaires l’étendaient en utilisant le matériel précaire de leur logement précédent ou d’autres matériaux, généralement recyclés, faciles à mettre en oeuvre.” T.d.A
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UNE STRUCTURE ADAPTÉE. Dans le monde de la construction du logement social, le rôle de la structure est primordial. Alejandro ARAVENA identifie que dans une construction traditionnelle, la structure ne coûte qu’1/3 du cout total d’un logement. Par contre dans une construction pour du logement social, ce même coût peut atteindre jusqu’à 80 % du prix total11. La structure doit par conséquent être particulièrement bien pensée pour ce genre d’architecture. Dans l’architecture incrémentale, ce qui est le plus compliqué à concevoir est la moitié imprévisible. Donner la liberté aux gens de construire une partie de la maison demande à l’architecte la responsabilité de l’encadrer. L’architecture doit être pensée de sorte à réduire au maximum les risques issues de la construction informelle. Ainsi, la structure doit être étudiée de manière à ce que l’habitant puisse facilement construire les bases de son extension. On ne peut savoir exactement ce qui va être construit, quel programme va être intégré, quels matériaux vont être utilisés, etc. On ne sait donc pas quelle va être la charge de la future extension. Dans cette optique, il est indispensable que la structure soit calculée de sorte à accueillir le “pire scénario“.12
Des poutres sont posées pour accueillir un futur plancher © archinect.com (11) A. ARAVENA, (2016), Elemental. (s. d.). (12) idem (p467)
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LA RÉPÉTITION COMME ESTHÉTIQUE Dans les nombreux projets incrémentaux menés par l’agence ELEMENTAL, on remarque qu’ils utilisent systématiquement la répétition. Au moment où le bâtiment est livré, on observe des rangées d’unités qui se répètent les uns après les autres. Ce style d’architecture bétonné peut faire surgir de vieux souvenirs qu’on identifie aux barres des grands ensembles. Pourtant, cet esthétique est volontaire et assumée. D’abord, la standardisation et la préfabrication sont les éléments positifs de l’industrialisation dû au fait que ce sont des procédés qui permettent de faire réduire les coûts. Ils sont donc fondamentaux dans la construction de logement social. Cependant, le résultat final, c’est-à-dire une fois le processus incrémental abouti, le résultat ne tend pas à être chaotique. Au contraire, il est bénéfique pour chaque habitant de prendre soin de l’aspect que sa maison renvoie sur l’espace publique car celle-ci prendra de la valeur. De plus, le geste étant collectif, il est de la responsabilité de chacun d’entretenir correctement son bien afin que les uns concordes aux autres dans une certaine esthétique. Chaque maison est unique, mais l’ensemble est cohérent «In the case of incremental housing, monotony and repetition may be the only way to face an uncertain cenarios of building expensions in the future. In this way, self-construction may no longer be seen as a threat of deterioration and become viable alternative for personalizing urban space»13.
Projet de maisons sociales à Monterrey, au Mexique © idealista.it (13) A. ARAVENA, (2016), Elemental. (s. d.). (p493) : “Dans le cas de l’habitat incrémental, la monotonie et la repetition sont peut-être l’unique façon de faire face à un scénario incertain du processus d’agrandissement dans le futur. De cette manière, l’auto construction ne doit pas être perçu comme une marque de deterioration, mais devenir une alternative valable pour personaliser l’espace urabin.»
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QUI PAYE ? La stratégie incrémentale demande un financement particulier car l’habitant n’a pas les ressources financières nécessaires pour s’approvisionner lui-même un tel habitat. Dans un premier temps, l’unité de base doit être fournie grâce des subventions. Il faut donc s’assurer que l’Etat soit réellement capable de fournir un financement suffisant. Pour le payer la partie à construire (devant être financé par l’habitant), il est nécessaire de créer un système de financement nouveau. « L’économiste bangladais Muhammad Yunus a mis en place la notion de micro-crédits et de la microfinance. Prix Nobel de la Paix en 2006, il est surnommé ‘le banquier des pauvres’. »14 Ainsi, avec ce concept de micro-crédit, les populations pauvres peuvent emprunter graduellement des petites sommes d’argent. Cela leur permet d’assurer un équilibre financier. De plus, cette stratégie de financement va de pair avec l’évolution incrémentale de son habitat. Il peut emprunter petit à petit pour construire petit à petit. « It appears that there is a natural complementarity between incremental construction and microfinance. The need of the time is to integrate this process with efficient, safe and aesthetically acceptable architectural house designs. For these pre-designed houses the costs involved in material and labor can be financed by micro loans and credit facilities offered by building material suppliers. In this way poor people can build incrementally designed, safe homes. »15 « Quand il n’y a pas assez d’argent, une alternative à la réduction (de taille et de qualité) peut-être de cerner le problème dans le logement incrémental. À travers cette démarche, l’autoconstruction peut arrêter d’être perçue comme un problème et plutôt envisagée comme une solution. Les favelas, les « slums », les squats, etc. sont habituellement perçus comme un symptôme de l’incapacité d’accès d’une population à l’habitat formel ; mais ils peuvent également être envisagés comme illustrant l’énorme capacité des gens à se créer un habitat malgré le manque d’outils dans le cadre des mécanismes imposés par la construction légale. »16 (14) C. LACOMBE, (2017) Muhammad Yunus : « Tout le monde peut devenir entrepreneur », Lepoint.fr (15) F. Tariq, 2012 “Une complémentarité naturelle entre la construction incrémentale et la microfinance semble évidente. Les nécessités du moment est d’intégrer ce processus grâce à une conception architecturale de maisons efficaces, sûres et esthétiquement acceptables. Pour ces maisons préconçues, les coûts des matériaux et de la main d’oeuvre peuvent être financés grâce à des micro-crédits et facilités par les fournisseurs de matériaux de constru tion. De cette façon, la population pauvre peut construire et concevoir incrémentalement. des maisons sûres.” T.d.A. (16) A. ARAVENA, (2016), Elemental. (s. d.).
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PARTICIPATION DES HABITANTS
Le rapport qu’ARAVENA entretient avec les usagers et au centre dans sa réflexion. Lors d’une intervention pour la TEDGlobal 20141, en octobre, il présente les projets du studio ELEMENTAL, le titre de son intervention est : « Ma philosophie architecturale ? Engager la communauté dans le processus ». L’architecte Chilien entreprend dans l’ensemble des projets qui lui sont confiés, un rapport très attentif au dialogue qui peut s’engager entre l’architecte et les futurs usagers. Il est donc un des fondements de l’approche incrémentale du studio ELEMENTAL qui mérite qu’on lui consacre un chapitre en entier. Le premier travail qu’entretient l’agence avec les futurs usagers est celui de la communication. Selon eux, il est important de passer du temps à informer les familles sur l’ensemble des contraintes auquel il faut répondre. Il est nécessaire que les habitants soient au courant des normes légales, techniques et environnementales et urbaines qui affectent le projet architectural. Cette introduction est élémentaire pour engager par la suite une communication où les deux parties pourront avoir un dialogue en toute connaissance de choses.2 La seconde phase consiste à ouvrir le processus de décision aux familles. Dans une architecture participative, il est important de ne pas se limiter à “informer“ l’habitant et avoir son avis, mais de l’impliquer pour connaitre clairement quelles sont ses attentes. Dans le design du logement social, on a tendance à croire que « To design is to prefer ». Cela revient à dire que si on veut quelque chose, c’est qu’il faut en sacrifier une autre. C’est surtout (et avant tout) pour cette raison que l’implication des habitants est tellement nécessaire. Il faut que les familles se mettent d’accord sur les besoins principaux qu’ils appréhendent car ils sont les seuls à vérita-
(1) Aravena, A. (s. d.). Transcript of « Ma philosophie architecturale ? Engager la communauté dans le processus ». (2) A. ARAVENA, (2016), Elemental. (s. d.). (p452)
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blement les connaitre.3 Enfin, l’architecture incrémentale est basée sur le fait que l’habitant puisse participer à la construction de la maison. Ce dernier, ne possède pas l’ensemble des compétences et qu’un architecte possède. Des réunions et des workshops sont prévus pour que les connaissances nécessaires soient transférées pour qu’il puisse sainement participer au processus dynamique d’agrandissement. 4 La responsabilité de l’architecte n’est pas seulement celle de prévenir et d’informer, il se doit d’accompagner les futurs usagers tout au long du processus. 4 étapes de suivi sont identifiées : DESIGN / BIDDING / CONSTRUCTION / HABITATION (esquisse / appel d’offre / construction / habitation)5 DESIGN6 Cette partie est probablement la plus importante, elle est celle où il faut être le plus juste car elle va constituer le socle sur lequel les habitants vont appréhender le projet. Elle peut se répartir en 3 phases distinctes : communiquer les restrictions, développer une esquisse et aboutir au projet. Dans la première phase, il est nécessaire d’informer des responsabilités de chacun (en fonction des corps de métier), d’établir un planning pour les appels d’offre et les phases constructives. Ensuite, à travers divers ateliers et discussions, les familles doivent définir entre elles, indépendamment de la maitrise d’œuvre, quelles sont les spécificités qu’ils souhaitent donner à leur projet, permettant à la propriété de garantir et d’acquérir une valeur ajoutée. Il faut concerter les opinions par rapport aux typologies qui seront mises en place en n’excluant pas l’idée d’innover. C’est dans cette partie, où les architectes doivent informer les contraintes liées à la topologie, au climat, et à la construction auquel le projet est confronté. La seconde phase détermine les potentialités du site et engage une réflexion sur les différentes typologies à envisager. La détermination de ces choix se font par des ateliers et des discussions en groupes élargis. On discute de surface nécessaire, mais surtout du nombre de pièces qu’il faut appréhender. (3), (4) A. ARAVENA, (2016), Elemental. (s. d.). (p452) (5) Idem (p 453-463) (6) Idem (p453-455)
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Enfin, la dernière phase consiste en une présentation synthétique du dessin suggéré par les architectes. Des discussions sont menées pour avoir un retour des familles. Les professionnels avancent un design auquel les familles peuvent porter des commentaires. Le but étant d’arriver à un commun accord pour engager les démarches pour l’obtention du permis de construire et faire un appel d’offre. BIDDING7 Suite à la concertation des habitants pour aboutir à l’élaboration des plans, il a été réalisé un travail nécessaire pour établir quelles sont les pièces qui seront subventionnées par l’Etat et quelles sont celles qui sont laissées à la charge de l’habitant luimême. Il faut connaitre les surfaces exactes pour transmettre les informations aux constructeurs dans lesquelles seront détaillés les niveaux de finition attendues. Il aura aussi fallu déterminé quelles sont les infrastructures urbaines nécessaires. Chaque élément devra être rigoureusement précisé et chiffré. CONSTRUCTION8 Lors de la construction, l’équipe de maitrise d’œuvre doit être présente pour préparer les habitants à agrandir leur bien. Ils doivent être entraînés pour comprendre comment on peut au mieux tirer parti de cette architecture. Des stages collectifs sont organisés pour faire rencontrer les gens et leur apprendre ce qu’il y a à apprendre. Ils organisent « the construction site visits, expension workshop, and collective space workshop » (des visites, des ateliers d’extension et des workshops d’espaces communs). HABITATION9 Une fois que les habitants s’installent dans leurs nouvelle maison, l’agence cherche à identifier une personne qui aurait les ressources nécessaires pour compléter immédiatement son logement. Il faut que ce dernier soit d’accord pour inviter les autres habitants voire les réalisations qui ont été nécessaire pour “finir le travail“. Ainsi, les habitants pourront prendre exemple sur cet habitation pour agencer comme il le souhaite le leur. Ainsi, les archi(7) Idem (p 456) (8) Idem (p 457-461) (9) Idem (p462-463)
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tectes ne sont pas forcément obligés de suivre chaque construction. Il est admis qu’un travail en amont suffisant a été entrepris pour que chaque famille soit en mesure de finir la construction de son bien de manière indépendante. Les étapes qui ont été présentées les unes après les autres ne sont dans la pratique pas entrepris de façon linéaire. Des allers-retours entre les différentes phases sont souvent nécessaires. Ainsi, il est par exemple arrivé d’avoir à communiquer les contraintes du site lors de la phase de la construction.
Schémas sur les phases de concertation avec les habitants en fonction du temps et selon les projets. © Elemental
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III
ATOUTS, POTENTIEL / FAIBLESSES, LIMITES
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(UNE STRATÉGIE POUR LE DÉVELOPPEMENT DURABLE)
En architecture comme dans beaucoup de domaines, la notion de développement durable est au centre des préoccupations. Cette conception, pensée dans une perspective à long terme, se veut assurer une croissance économique en mettant en avant les facteurs sociaux et environnementaux1. Trouver un équilibre juste entre l’économie, le social et l’environnemental est un défi auquel il faut être en mesure de répondre sur chaque coin de la planète. Aujourd’hui à peu près tout le monde s’accorde pour dire qu’il est impératif que nos agissements soient en mesure de résoudre ces équations2. De plus, cet enjeu est souvent un élément central dans les convictions politiques devant lequel des responsables s’engagent pour assurer équité et viabilité. Il est donc de la responsabilité d’un architecte d’assurer que sa production puisse être pensée de manière durable, car il en est profitable pour tous. Une pensée durable et sur le long terme basée sur des méthodes structurées sont essentiels pour réduire les vulnérabilités et améliorer la résilience3. Dans les parties qui suivent, j’ai regroupé l’essentiel de bénéfices que pourraient apporter la méthode incrémentale dans la logique du développement durable.
(1) Wikipedia, Developpement Durable, https://fr.wikipedia.org/wiki/Développement_durable (2) Taglioni, F. (2013). Insularité et développement durable. IRD Éditions. (3) Lizarralde, G. (2014). The Invisible Houses: Rethinking and designing low-cost housing in developing countries (1 edition).(p251-253) New York: Routledge. Kobo e-book.
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POTENTIEL ÉCONOMIQUE
L’approche particulière de l’architecture incrémentale que propose le groupe ELEMENTAL se base sur une position économique. L’objectif de rendre accessible le logement aux personnes les plus vulnérables montre déjà à quel point l’aspect économique est pris en compte et est un thème central de cette pensée. L’accessibilité à un toit sûr est un besoin physiologique de l’homme auquel les gouvernements se doivent d’apporter des solutions. De par l’intelligence de la méthode combinée avec celle de l’architecte, on en est capable. Il est possible d’apporter des logements décents et économiquement accessibles pour les plus pauvres. Tout ça en respectant leurs paroles et en préservant les liens de voisinages qui sont essentiels pour le développement et l’évolution saine des personnes intéressées. L’architecture qui est proposée est celle qui fait confiance aux compétences informelles des populations précaires. En fournissant un socle, l’habitant à la place de construire lui-même l’agrandissement de son bien pour arriver à atteindre des surfaces qui sont celles qu’occupent les classes moyennes. Le bien se consolidant petit à petit, il va prendre de la valeur et tendre à correspondre à ceux de la classe moyenne au Chili. Ce système permet donc à l’usager d’évoluer socialement1, ce qui peut avoir que de bonnes répercussions économiques sur l’habitant concerné. Déjà, il aura le sentiment d’appartenir à cette nouvelle classe, et il gagnera de l’argent s’il souhaite vendre son bien puisqu’il (et l’ensemble de la communauté) aura participé à enrichir l’environnement dans lequel il vie. ARAVENA reçut d’ailleurs la visite d’une personne qui lui annonça qu’une famille avait vendu sa maison complétée pour 65 000 $ !2
(1) Lizarralde, G. (2014). The Invisible Houses: Rethinking and designing low-cost housing in developing countries (1 edition).(chapitre10) New York: Routledge. Kobo e-book. (2) MP. Natalie, (2018) Les « demi-maisons » d’Aravena ou le social autrement, https://leblogdenathaliemp.com/2018/04/21/les-demi-maisons-daravena-ou-le-social-autrement/
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La valeur d’une maison ne dépend pas seulement de son architecture, elle est également liée à son environnement. Le fait que cette architecture permette à une famille en difficulté d’accéder aux opportunités de la ville est véritablement profitable3. Souvent, les politiques de relogement déplacent les populations vers des territoires où les opportunités de trouver du travail sont très faibles. En effet, ceux-ci se trouvent dans un environnement nouveau, sans repère ni réseau social. Les anciens liens qu’ils avaient pu développer sont alors rompus. Dans l’exemple de Quinta Monroy, les gens qui occupaient le terrain ont pu rester au même endroit. Ainsi, les différents réseaux qu’ils se sont construits tout au long de leur occupation n’ont pas été rompu. Au-delà d’avoir accès à diverses opportunités d’emploi qu’offre la ville, ils gardent des liens socio-économiques qu’ils ont pu entretenir auparavant. Préserver des liens économiques est une des vertus de cette stratégie. Elle permet à ces occupants de continuer de développer une activité économique dans un secteur qu’ils connaissent. Un autre aspect essentiel des avantages que procure la solution incrémentale se trouve dans l’architecture elle-même. Si une partie de la maison est aménageable par ses occupants, c’est qu’ils ont la liberté de construire la suite comme bon leur semble. Nous avons tendance à imaginer qu’ils vont construire des pièces simples comme des chambres, mais il n’est pas exclu que celle-ci puisse accueillir l’aménagement d’une autre fonction comme celle d’un local commercial4. Dans ce cas, la famille peut envisager de développer une activité économique sur une base stable. Dans les quartiers informels, 50% des maisons possèdent des espaces appropriés au commerce. Ils rapportent 60% des revenus du salaire. Par contre, dans un centre-ville renforcé, le rapport peut monter jusqu’à 75%5 ! Apporter des solutions à ces familles pour développer leurs économies est essentiel et c’est ce qu’est en mesure d’apporter cette méthode.
(3) Lefebvre, H. (2015). Le droit à la ville. Paris: Ed. Economica. (4) Lizarralde, G. (2014). The Invisible Houses: Rethinking and designing low-cost housing in developing countries (1 edition).(p251-253) New York: Routledge. Kobo e-book. (4’) A. ARAVENA, (2016), Elemental. (s. d.). (p490) (5) Lizarralde, G. (2014). The Invisible Houses: Rethinking and designing low-cost housing in developing countries (1 edition).(p249) New York: Routledge. Kobo e-book.
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Les bénéfices du système économique doivent aller dans les deux sens. Dans ce modèle et cette pensée, c’est le gouvernement qui apporte les subventions pour permettre la construction de ces bâtiments. Seulement, comment savoir si cet investissement ne serait pas vain, comme il en a souvent été le cas dans d’anciennes politiques ? Les architectes chiliens répondent à cela en affirmant que se loger ne doit pas être une dépense sociale, mais un investissement6. En effet, trop souvent, dans notre époque contemporaine, le logement est réalisé pour être vendu. Il est donc un bien de consommation. Or, ça ne devrait pas être le cas. Quand on achète un logement, on attend de celui que sa valeur augmente. Finalement, c’est en ça que le gouvernement devient gagnant. En finassant cette architecture, il participe à aider les populations pauvres à accéder à un statut social supérieur vu l’augmentation de la valeur de leur bien dont ils sont les responsables. Une fois installés, le gouvernement n’aura pas à dépenser autant d’énergie que s’il avait fallu les reloger encore et encore avec des solutions rapides et inefficaces sur le court terme.
(6) A. ARAVENA, (2016), Elemental. (s. d.). (p18)
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POTENTIEL SOCIAL
Une architecture pour les gens Il n’est plus nécessaire de démontrer que l’approche du groupe ELEMENTAL propose une approche radicalement sociale. Le prix Pritzker qu’ARAVENA a reçu récompense est la meilleure manière de le justifier. Pour le président du Jury, Tom Pritzker, le lauréat de l’année 2016 a « incarné la renaissance d’un architecte plus socialement engagé »1. « Le jury a sélectionné un architecte qui approfondit notre compréhension de ce qui est vraiment un très beau design. Alejandro Aravena a été le pionnier d’une pratique collaborative qui produit des œuvres d’architecture puissantes et traite aussi des défis majeurs de 21e siècle ». « Innovant et inspirant, il montre comme l’architecture, dans ce qu’elle a de meilleure, peut améliorer la vie des gens »3. L’architecture incrémentale est construite pour les gens et avec eux. Il s’agit d’une collaboration saine et fructueuse qui amène à des résultats efficaces. Une architecture avec les gens Construire avec les gens est un des grands principes de la philosophie d’ELEMENTAL. Plus que ça, elle est essentielle. Au-delà du fait d’inclure les futurs habitants dans une démarche collaborative, elle permet de créer une pré-relation entre les habitants. Ces derniers apprennent donc à se connaitre en composant ensemble leur futur cadre de vie. Le lien qui va être tissé lors des rencontres pendant les réunions et les workshops vont pouvoir s’étendre dans la vie quotidienne de ces familles4. Le défi de l’architecture incrémentale est grand et il demande beaucoup de volonté et de courage. Tout le monde n’est pas forcement en mesure de pouvoir construire l’annexe de leur habitation. Le logement incrémental nécessite l’entraide, la cohésion et la solidarité. Le sentiment d’avoir fait ensemble est nécessaire pour réduire, voir annihiler les
(1) Discours du president du prix Pritzker (Tom Pritzker) lors de la remise du prix en 2016 (2) Idem (3) Idem (4) voir partie «participation des habitants»
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conflits sociaux dans le voisinage. Ainsi, cette architecture est le moteur d’un cercle vertueux, qui créé une complicité entre les gens, permettant d’améliorer le cadre de vie, stimulant cette complicité et ainsi de suite5. Un sentiment d’appropriation La partie du logement que l’habitant doit construire permet un regard nouveau sur la notion d’appropriation dans l’habitat. Quand il s’agit de fournir un toit à une population dans le besoin, il a toujours été question d’équiper un abri solide d’équipements nécessaires à ce qu’on appelle le “confort standard moderne“6. Il a été admis qu’une maison correspondant à ces critères serait gage de qualité. Dans le livre ELEMENTAL, ARAVENA avance qu’il faut redéfinir cette notion de “qualité“. Selon lui, elle dépendrait de la valeur d’appréciation aujourd’hui trop souvent associé à la taille et à la robustesse d’une unité d’habitation. Celle-ci devrait en fait être repensée selon le lien que l’habitant entretient avec son habitat. Dans le livre The invisible Houses, l’auteur commence son ouvrage par le récit d’un homme, M.SANCHEZ, qui s’est fait expulsé de son village où il a vécu toute sa vie. Là où il se réfugie, il ne reconnait plus rien de son village, il est sans repère dans un monde qu’il ne connait pas. Il va habiter une minuscule maison qu’il décide d’agrandir pour accueillir ses enfants quand ils lui rendent visite. Il en profitera pour construire un solarium, une pièce essentielle de l’habitat traditionnel de son village. C’est là-dedans qu’il passera la majeure partie de son temps libre, car c’est là qu’il s’y sent le mieux7. Finalement, une des grandes qualités du concept incrémental en architecture est celui de l’humilité. L’architecte n’a pas la prétention de connaitre les histoires personnelles de chacun et d’être en mesure d’y apporter une réponse juste et sensible. En faisant confiance à l’habitant, on lui permet de construire un espace avec une sensibilité nostalgique qui lui ressemble dont il est le seul à pouvoir l’appréhender. Le sentiment d’appropriation qui en résulte est essentiel pour assurer un rapport harmonieux et consensuel entre l’habitant et l’habitat. (5) A. ARAVENA, (2016), Elemental. (s. d.). (pSocialization lessons, p451-463) (6) Frey, P. (2010). Pour une nouvelle architecture vernaculaire. Arles: Actes sud. (7) Lizarralde, G. (2014). The Invisible Houses: Rethinking and designing low-cost housing in developing countries (1 edition).(p16-18) New York: Routledge. Kobo e-book.
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Une réponse rassurante Les populations qui sont visées par cette architecture sont principalement celles issues des quartiers informels. Dans ces territoires fragiles, les habitations ont tendance à être précaires et frêles. La cause principale de ce constat est dû au statut illégal de ces populations qui occupent de façon illicite des terrains qui ne leur appartiennent pas8. Ainsi, la peur d’être chassé empêche toute démarche d’amélioration et de consolidation de l’habitat, ce qui amplifie les vulnérabilités. D’un autre côté, les solutions bienveillantes proposées par les gouvernements et les organisations internationales pour palier à la précarité des habitants des bidonvilles sont souvent fini. Ce type de proposition enferme la personne concernée dans une bulle de charité. La proposition d’Aravena est positive dans ces deux sens. C’est-à-dire qu’elle offre un sentiment de légalité à l’habitant en procurant une situation stable, tout en évitant un assistanat néfaste en lui permettant de participer à la construction de son bien. Le droit à la ville9 Nous l’avons vu dans la partie « économique », cette architecture a la particularité de fournir (ou de préserver) les opportunités de la ville. Dans la situation d’un programme de relogement, les populations déplacées perdent tout rapport avec le lieu sur lequel elles ont créé des liens divers. Le fait de proposer une solution qui exclut le phénomène de périurbanisation permet à ces liens de voisinage de rester solides. Les liens sociaux sont particulièrement nécessaires pour les populations pauvres car elles sont obligées de développer une stratégie collective pour affronter cette pauvreté. La proximité à la ville, c’est la proximité avec les autres. Avec un réseau social riche, il leur est plus facile de réduire leur vulnérabilité.
(8) Yann Barnet : http://barnet.yann.free.fr/site%20bidonville/bv-analyse%20urbaine.htm (10) Lefebvre, H. (2015). Le droit à la ville. Paris: Ed. Economica.
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POTENTIEL ENVIRONNEMENTAL
Dans notre époque, toute intervention se doit d’être sensible à une approche écologique. Par leurs typologies, les demi maisons d’ARAVENA permettent une certaine densité. Celle-ci est nécessaire dans la construction d’une ville pour assurer l’efficacité des systèmes qui la compose. D’abord, elle permet de réduire les déplacements. L’environnement étant plus “compacte“, les différents services se trouvent plus proches et nécessitent ainsi moins l’emploie d’un moyen de locomotion polluant. La densité est le premier outil qui permet la mise en place de transports en communs valables. De plus, la densité améliore l’efficacité des systèmes d’éclairage, de chauffage et de climatisation qui sont facilement raccordés aux réseaux de la ville1. Intervenir dans le but de réduire l’emprise d’un urbanisme étalé et incontrôlable qui est celui des bidonvilles permet aussi de contrôler les zones sur lesquelles le bidonville se développe. En effet, celui-ci peut atteindre des lieux comme des réserves naturelles ou des parcs protégés. Leur développement peut venir altérer ces zones dans lesquelles se trouvent une biodiversité de plus en plus menacée2. Plus largement, c’est la lutte contre le phénomène de l’étalement urbain qui est essentiel. Trop souvent les interventions pour reloger les familles précaires des bidonvilles ont proposé un agencement de petites maisons individuelles dans une configuration détachée comme dans le village de Lumane Casimir Morne à Cabrit en Haïti. Enfin, l’approche peut apporter des bienfaits sur l’environnement dans la fabrication du logement. Comme l’architecture permet à ces gens de construire une partie de leur maison selon leurs ressources, il n’est pas inenvisageable que ces derniers réemploient les matériaux qui constituaient leur abri. Ainsi, on leur donne une deuxième vie. Ce recyclage limite de fait les déchets qui auraient pu être occasionné si on avait voulu anéantir complètement les habitations précaires. « sustainability in low-cost housing requires that the resources used in interventions, particularly those that are non-renewable, be optimize. »3. (1) A. ARAVENA, (2016), Elemental. (s. d.). (pSocialization lessons, p24) (2),(3) Lizarralde, G. (2014). The Invisible Houses: Rethinking and designing low-cost housing in developing countries (1 edition).(p252) New York: Routledge. Kobo e-book.
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CRITIQUES ET LIMITES
Les maisons que propose le studio ELEMENTAL sont aujourd’hui encore récentes. Le premier projet s’inscrivant dans cette démarche, celui de la Quinta Monroy, a été réalisé en 2004. Il est donc compliqué d’avoir un recul nécessaire pour attester le bon fonctionnement de cette méthode dans la pratique. Bien qu’il ne s’agisse pas du premier projet “incrémental“ qui est apparu, il est celui qui a eu le plus grand retour médiatique. Cette nouvelle vision de l’architecture a largement été loué par des journalistes du monde entier. Recevoir un prix Pritzer pour une approche profondément sociale ne peut être que loué tellement elle demande du courage, de l’implication et de la générosité. Par ailleurs, certains n’ont pas hésité à soulever des critiques et à remettre en question la cohérence et le bon fonctionnement de cette approche “nouvelle“. La plupart des critiques que l’on peut trouver sur le système des “demi maisons“ sont politiques. Les reproches qui sont fait à ARAVENA questionnent les rouages qui lui ont permis d’arriver à construire son architecture. Entre autres, on accuse son orientation politique néolibérale1 qui remet en question son engagement social. En effet, le néolibéralisme est critiqué entre autre pour accroitre les inégalités sociales, la précarité, d’être un frein au développement des économique des pays les plus pauvres et de transformer l’Homme en une marchandise2. Tout l’inverse de l’approche que prône l’architecte Chilien. ARAVENA est issu d’une formation qu’il reçut à l’université Catholique de Santiago perçu pour être le foyer de la pensé néo-libéral3. Cette doctrine lui a permis de se rapprocher des élites politiques et économiques du pays4, ce qui peut être perçu comme (1) NAMIAS, O. (s. d.). Qui est vraiment Alejandro Aravena, lauréat 2016 du Pritzker Prize ? D’architectures. (2) “Toupictionnaire“ le dictionnaire de politique, definition du néoliberalisme. Toupie.org (3) A. BELOT. (2017), Alejandro Aravena, un architecte anti-star, de la recherche d’un habitat social alternatif à la notoriété actuelle. (p118). Mémoire (4) NAMIAS, O. (s. d.). Qui est vraiment Alejandro Aravena, lauréat 2016 du Pritzker Prize ? - D’architectures. «la PUC est connue pour ses orientations néolibérales. Proche du pouvoir durant les années Pinochet»
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un écart de plus entre ses ambitions “sociales“ et les rapports qu’il entretient avec ceux qui dirigent le pays. La posture que l’architecte défend est celle de répondre aux crises sociétales par l’élaboration d’un plan architectural puisque les politiques semblent inefficaces. Pourtant, il déclare «Le point de départ de nos projets est aux antipodes de l’architecture»5, il y intègre en fait les réseaux économiques et politiques qu’il a su développer6. L’engagement de l’architecte est remis en question par Camillo Boano et Fransisco Veraga qui déclarent : « it is undoubtely a slap in the face of all the architects who works with communities, marginalities, humanitarian agencies or simply in their neighbourhoods offering their professional advice in pro-bono activities »7. Olivier NAMIAS, journaliste spécialisé en architecture, fait le tour de ces critiques dans un article qu’il publie dans la revue D’a8. Il pointe du doigt les rapports qu’il entretient avec l’élite Chilienne, notamment la collaboration qui existe entre ELEMENTAL et le groupe pétrolier COPEC (groupe AntarChile) classé 1029e société mondiale (3ème du pays)9. « Se trouvant dans l’impossibilité de réunir les financements publics nécessaires à la réalisation du projet, Aravena s’est tourné vers cette entreprise, qui a accepté de participer à l’opération. Dans la foulée, le groupe est entré dans le capital d’Elemental à hauteur de 40 % des parts, participation qui s’est traduite par le versement à l’agence de 1 million de dollars sur trois ans »10. Ces grandes puissances industrielles qui sont souvent accusées d’être acteur de l’augmentation des inégalités tellement les richesses engendrées sont grandes « Roberto Angelini (Le propriétaire d’AntarChile), dont la fortune est estimée à 1,6 milliard de dollars, fait partie des neuf familles pesant 15 % du PIB du Chili, un des pays qui présente selon l’OCDE le plus d’inégalités de revenus »11. Cependant, il est de moins en moins rare que les entreprises les plus fortunées s’inscrivent dans des démarches sociales (comme (5), (8), (10), (11) NAMIAS, O. (s. d.). Qui est vraiment Alejandro Aravena, lauréat 2016 du Pritzker Prize ? - D’architectures. (6) A. BELOT. (2017), Alejandro Aravena, un architecte anti-star, de la recherche d’un habitat social alternatif à la notoriété actuelle. (p118). Mémoire : «C’est en intégrant des réseaux politiques et économiques que l’architecte peut jouer un rôle et tenter d’apporter des réponses aux enjeux cntemporains» (7) BOANO, VERGARA PERUCICH, Half-Happy Architecture (en ligne) : «C’est certainement une claque pour toutes les agences qui travaillent avec les communautés marginalisées, les organisations humanitaires ou simplement dans leurs quartiers en donnant bénévolement des conseils prfessionnels» (Traduction : Antonin Belot) (9), Forbes.com, Global 2000, https://www.forbes.com/global2000/list/
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facebook, google, apple, etc...)12; il peut être paradoxale de le leur reprocher. Cependant, ARAVENA est conscient de son orientation politique et ne le cache pas. La sympathie qu’il a avec les écrits de l’économiste péruvien Hernando de Soto, « lui aussi controversé et accusé de favoriser les orientations libérales au détriment de l’action d’État. »13. Dans la politique du temps des Chicago Boys14 pendant la dictature, Antoine CASGRAIN explique que l’idée était de promouvoir l’individuel sur la communauté et ainsi de « substituer les demandes sociales faites auparavant à travers la lutte politique par des demandes individuelles, comptabilisées sous forme marchandes »15. Ainsi, pour l’époque, la méthode incrémentale permettait aux populations les plus précaires d’intégrer un système économique néocapitaliste en promouvant l’auto-entreprenariat à petite échelle. Natalie MP, qui a écrit un article sur le sujet, entend ces critiques mais estime que si une maison a pu être revendu à 65000$, il ne peut s’agir que d’« Une belle réussite pour la famille en question, une belle récompense pour lui (ARAVENA) et une belle confirmation des thèses d’Hernando de Soto Polar sur la propriété ! »16. Elle finira d’ailleurs par l’inclure la cathégorie “Lib’héros“ de sa rubrique “Les lib’Héros du quotidien », même si ce dernier atteste lors d’une conversation avec Vladimir Belogolovsky : « I’m not a hero »...17 « L’architecture est politique » disait Partick Bouchain dans une émission radio de France Culture18. Mais ce mémoire, bien qu’il se doive de s’intéresser à tous les aspects qui régissent l’architecture, parle d’architecture, d’espace, et non pas de politique. Les paragraphes précédents sont évidemment essentiels pour placer une pratique concrète dans son contexte, mais il ne faut pas oublier que (12) voir “The Giving Pledge“ : https://www.latribune.fr/actualites/economie/international/20101209trib000581317/57-milliardaires-prets-a-faire-don-de-la-moitie-de-leur-fortune. html (13)NAMIAS, O. (s. d.). Qui est vraiment Alejandro Aravena, lauréat 2016 du Pritzker Prize ? D’architectures. (14) Wikipeda : Le surnom de « Chicago Boys » désigne un groupe d’économistes chiliens des années 1970, formés à l’Université de Chicago et influencés par Milton Friedman et Arnold Harberger. (15) CASGRAIN. Habitation, marché et société. (p30). (16) MP. Natalie, (2018) Les « demi-maisons » d’Aravena ou le social autrement, https://leblogdenathaliemp.com/2018/04/21/les-demi-maisons-daravena-ou-le-social-autrement/ (17) BELOGOLVSKY Vladimir, (2015) conversation with architects : in the age of celebrity. Berlin : Dom publisher (p144) (18) P. BOUCHAIN, (2017) , Emission radio France Culture : Apprendre à ne pas enseigner
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nous ne parlons pas de l’architecture d’ARAVENA, mais d’architecture incrémentale inspirée de l’approche du Chilien. Ainsi, les ambitions politiques d’un homme ne peuvent pas être attribuées à un concept architectural. C’est pourquoi je souhaite que les critiques précédentes soient prises avec un recul nécessaire. Par ailleurs, à travers les recherches que j’ai effectué (l’incrémental n’étant pas un concept encore très démocratisé en France), je n’ai pu trouver de livre, de recherches ou d’articles qui nous parlent des limites de cette architecture en tant que tel. Pourtant, il est évident qu’il en existe et je vous propose d’en énumérer un certain nombre qui s’appuient sur les principes évoqués auparavant. L’ETHIQUE DE LA DEMARCHE / PRÉCARTIÉ DE LA LÉGITILITÉ DE L’EXPERTISE Comme nous avons pu le voir, l’architecture incrémentale demande à l’architecte de se questionner sur la manière dont il appréhende l’architecture. Il est nécessaire de faire un pas de côté par rapport à la manière dont on la pratique. Comme il ne s’agit pas de proposer un logement fini, la tâche de l’architecte est autre. Ainsi, si l’architecte n’assure pas l’ensemble des prestations, on peut se poser la question sur la légitimité de l’expertise de la fonction. Ceci dit, nous avons vu que la philosophie de l’agence consiste à suivre l’habitant de la conception jusque pendant la période d’habitation. Mais cela demande du temps, de l’énergie mais aussi un certain caractère. Savoir se confronter et communiquer avec les usagers n’est pas quelque chose qui est donné à tout le monde. Il faut savoir gérer à la fois l’équipe et l’ensemble de la communauté engagée dans le projet. De plus, il est indispensable d’élaborer un suivi perpétuel dans l’évolution du logement, ce qui atteste là encore d’une limite au vu des contraintes économiques et logistiques : il n’est pas dit que les architectes du studio ELEMENTAL pourront se déplacer chaque semaine aux 4 coins du Chili pour s’assurer de la pérennité des évolutions. LA SECURITÉ ET RESPONSABILITÉ Un des aspects de l’architecture incrémental qui peut être remis en cause est celle qui constitue son principe le plus important. La construction informelle n’est pas régie par des règlementations qui assurent la sécurité de celui qui construit. De plus, si l’architecte
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n’est pas consulté, comment peut-on s’assurer de la qualité des travaux qui ont été entrepris par l’habitant. La bonne volonté ne peut être gage de sécurité et de durabilité. Ainsi, il est primordial de penser à cette notion de sécurité. Même si on admet que les entreprises informelles dans le secteur de la construction sont compétentes, cela n’exclut pas qu’elles ne sont ni encadrées, ni protégées par des instances qualifiées19. Une des solutions pourrait être celle de fournir en amont des matériaux de qualtité pour être sûr de leur solidité et de leur longévité. Donc, lors du chantier ou de la durée de vie du bâtiment, si un sinistre intervient, qui est responsable ? Si ce n’est pas l’architecte, (qui n’assure qu’une des deux moitié) cela reviendrait à “rejeter la faute“ sur l’habitant lui-même, ce qui dans le fond, augmente la vulnérabilité de ces gens-là au lieu de la résoudre « Cette démarche est très critiquée aujourd’hui : de nombreux opposants dénoncent la déresponsabilisation des pouvoirs publics qui ne jouent plus que le rôle financier. Selon une telle approche, si les habitants ne parviennent pas à sortir des conditions précaires qu’ils pouvaient occuper, l’Etat ne sera pas le responsable car il aura “tout mis en œuvre pour qu’ils s’en sortent“ »20. L’architecte Emillio Pradilla dénonçait déjà ces manœuvres dans la stratégie des sites-and-services mis en place par la Banque mondiale21. JOUER LE JEU Comment s’assurer que le processus de l’architecture incrémentale aboutisse jusqu’à la fin ? Et si certaines familles n’en étaient pas capables ? Dans cette vision, il est important de comprendre que l’architecture incrémentale ne peut être penser comme un œuvre non finie. En effet, certaines familles n’ont pas le temps, les besoins, ou les moyens de finir les maisons. Il n’est pas question de proposer un habitat dans lequel les habitants seraient dans une situation plus précaire que si une autre stratégie avait été abordée. Ils ne doivent pas être dans l’attente ; l’extension est une chance, pas une obligation. Ainsi, l’habitat incrémental ne doit être réalisé comme un projet à finir, il doit être celui qui apporte des opportunités. En soit, cette partie ne peut être considérée comme une limite que si le design est pensé de la mauvaise façon. Il est donc de la responsabilité (19) Lizarralde, G. (2014). The Invisible Houses: Rethinking and designing low-cost housing in developing countries (1 edition). New York: Routledge. Kobo e-book. (20) A. BELOT. (2017), Alejandro Aravena, un architecte anti-star, de la recherche d’un habitat social alternatif à la notoriété actuelle. (p119). Mémoire (21) Valladares, L. (1987). Les initiatives d’autoconstruction dans les villes du Tiers monde : revue de la littérature. International Review of Community Development, (17), 13–24. https:// doi.org/10.7202/1034364ar (p20)
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de l’architecte de comprendre les besoins principaux des habitants et d’assurer une conception spatiale adaptée. LA VERTICALITÉ Cette limite est probablement celle qui est la plus architecturale. Entre-autre abordée par ARAVENA lorsqu’il s’exprime sur les contraintes structurelles, la croissance des bâtiments a du mal à se faire dans la hauteur. Le bâtiment incrémental est celui de l’incertitude. On ne sait pas quel va être la masse finale que le bâtiment devra supporter. La structure doit alors prévoir le “pire scénario“. Or, si on admet une typologie architecturale qui accorde une surélévation progressive, la structure doit être assez performante pour supporter des étages supplémentairs. Ainsi, une structure “sur-performante“ doit être mise en place alors qu’on ne sait pas si elle sera nécessaire au final. Ceci engendrerait des coûts supplémentairs et inutils qui rendrait l’approche économiquement paradoxal. Or, la verticalité est un outil essentiel à la densité qui est nécessaire dans la production d’une ville. Si toute fois “verticalité“ ne veut pas dire “densité“, il est évident que les bâtiments à trois étages maximums (argumentés par la limitation des espaces communs à entretenir) en limitent l’efficacité. Il serait pertinent de développer par exemple un concept où la structure peut être renforcée suivant l’évolution du bâtiment. Pour conclure cette partie, je tiens à insister sur l’idée que l’architecture incrémentale est un concept. L’étude de cas qui découle des réalisations du studio ne sont que quelques exemples parmi une diversité infinie de possibilités. Cette architecture peut prendre des formes et des typologies diverses et variées. Cette première partie présente une façon de faire qui, même si elle a subi certaines critiques, a fait ses preuves. Récompensé par la plus haute distinction de l’architecture, le travail de la firme chilienne est un exemple sur lequel il est pertinent de s’inspirer. Néanmoins, je recommande d’avoir une attention particulière sur l’engouement de cette méthode qui n’est en rien une recette miracle. Le critique d’architecture Fredy Massad a surement raison lorqu’il dit : « L’un des piliers sur lequel repose l’exaltation pour Aravena tient à l’envie de la société et du milieu architectural de croire dans des recettes miraculeuses et instantanées tout en se désintéressant de leurs résultats réels »22. Il est donc du devoir de chaque architecte de s’accaparer lui-même cette approche pour la rendre fonctionnelle dans un contexte donné.
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PARTIE 2 L’ARCHITECTURE I N C R É M E N TA L E U N E S O LU T I O N POUR LES PAYS DÉVELOPPÉS ?
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DANS LES PAS DE LUCIEN KROLL
« De ce présent qui combine les héritages aux origines bien lointaines et des changements si récents, si soudains si brusque parfois si difficile d’en saisir les conséquences. Il ne semble pas étonné, ouvert qu’il est à toutes les surprises, attentif à ce qu’il ne connait pas. Il accepte l’inattendu comme une chance et non comme un désagrément qui l’obligerait à se remettre en cause. Il ne croit aucunement au modèle, au système, à l’application d’un schéma valable partout. Il n’y a qu’une certitude, entendre la parole de l’autre. Le faire parler et transcrire cette parole en architecture. » (Thierry Paquot)
Lucien Kroll, Enfin chez soi… Réhabilitation de préfabriqués, Berlin-Hellersdorf, Allemagne, 1994 © Atelier Lucien Kroll ©ADAGP
Lucien Kroll est un architecte Belge né en 1927, connu pour exercer son métier de manière peu banale. Dans les années 60, il s’oppose à la rigidité triste et ennuyeuse que propose le mouvement moderne. Il critique violemment cette production répétitive qu’il compare à des cages à lapins. Pour lui, l’architecture moderne post-guerre s’affilie avec l’apparition du capitalisme ayant comme “coupables“ : Henri Ford et Frederick Taylor. Il critique la monotonie de ces procédés machinistes et compare cela avec la charte
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d’Athènes. Il ne faut pas y voir de revendication politique, mais plutôt un cri de détresse, une alarme sur notre vision du monde. Il cible les grands ensembles en les définissant comme des parkings à humains, et ainsi affirme que l’architecture moderne avec tout ce qu’il y a derrière est déshumanisante. « Comment se débarrasser de cette modernité là et dénoncer l’impact de son architecture sur les gens et de sa rationalité égocentrique, géométrique, constructive, financière, médiatique, etc… » (Lucien Kroll). C’est une critique ferme, mais basée sur une réflexion humaniste. Il propose une approche sensible, basée sur un dialogue avec l’habitant pour proposer des réponses variées en fonction du besoin de chacun. Il est donc un précurseur du participatif, mais il est aussi un des premiers à appliquer l’écologie à l’architecture. La pratique qui lui permet de sortir de cette “architecture moderne“ est la participation. Il compare le processus de conception moderniste à un “cadavre exquis“ pour exprimer l’incohérence d’un projet sans dialogue… Lui, souhaite en premier lieu de faire appel aux habitants. Face à cette rétraction, il désigne avant tout une angoisse, une peur de la confrontation avec “l’Autre“. Pourtant, cette approche trop timidement envisagée à l’époque (et peut-être encore aujourd’hui) détient un passé consistant qui devrait être la première démarche du projet. Cela ne demande pas de renoncer à ses compétences d’architectes, mais au contraire les affirmer et les « justifier devant l’usager ». Il s’agit là d’un exercice plus « héroïque ». Le rapport conflictuel qu’il entretient entre l’architecture moderniste et celle qu’il revendique se constate dans ses projets. Il proposera toujours des formes variées, qui doivent répondre à un besoin très précis. L’espace construit devient la résultante de ce besoin précis. L’école don Milani en Italiei ou l’éco-quartier les Brichères à Auxerreii. En sont des exemples représentatifs. Plus intéressant encore, il propose souvent des actions sur des barres d’immeubles comme le projet de réhabilitation à Bethoncourt, à coté de Montbéliardiii. Un quartier de barres d’immeubles devait être rasé, mais Kroll proposa de sauver un immeuble de la destruction en le réhabilitant. L’architecte belge y a injecté sa recette pour faire en sorte que plus aucun des appartements ne soit identique. Une fois terminé, tout a été loué en moins de 1 mois !
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Si Lucien Kroll porte autant d’attention aux habitants, c’est aussi parce qu’il a un attachement particulier au contexte. Il dénonce une perte de la prise en compte de l’environnement dans sa globalité. Qu’il s’agisse des gens, des formes, de l’histoire, des savoir-faire, etc., on sent quelqu’un de touché en voyant un monde se griser. Il nous parle de la perte du savoir artisanal et des matériaux. Il estime qu’il y a une sérieuse perte de conscience constructive qui fait perdre de la valeur à l’habitation : « Le seuil minimum industriel ne se vérifie que pour certains objets mécaniques comme les interrupteurs électriques par exemple, qui sont usinés par millions, mais cela n’a aucun sens pour préfabriqué du logement. La main d’œuvre locale est moins chère que tous les préfabriqués que l’on connait, même (surtout) les mauvais. Les seuils économiques donnent des avantages d’échelle dans la fabrication en série : le bâtiment leur échappe. » (Lucien Kroll) Voilà donc le portrait d’un architecte critique et désœuvré face une architecture qui se transforme comme une marchandise. La rationalité amène l’esprit à se fermer. L’habitation devient un bien matériel alors qu’il devrait être une liturgie. La pratique architecturale n’est plus un geste social, mais économique où la finance rend frénétique et irrationnel les pratiques de l’habiter. Pour résister à cela, il faut rester ouvert, s’intéresser à d’autres processus de construction, prendre le contre-pied et se pencher sur des mécanismes inverses. « Il faut éclater nos certitudes fermées du modernisme datant du siècle dernier pour mieux comprendre les nouveaux enjeux. Un exercice salutaire est celui des bidonvilles. Ils ont la forme intemporelle de l’urbanisme participatif. Essayons d’oublier un moment leur pauvreté pour observer comment ils sont condamnés à l’intelligence communautaire et comment les espaces se forment et se transforment. Quel exemple pour nous qui possédons les sciences humaines, la psychologie des groupes, l’analyse institutionnelle, les techniques de gestion de la complexité construite, etc… La densification des villes réclamée par l’écologie ne peut se conduire qu’avec des attitudes de coopération., parallèles à celle des bidonvilles. Oserait-on aujourd’hui en proposer le modèle comme source d’inspiration ? Les moyens contemporains de compréhension et d’action ont dû devenir complexes pour saisir et traiter des paysages également complexes et mobiles, ils n’ont rien à voir avec les manières carrés et simplistes des architectes modernistes qui visaient toujours des « solutions définies » … » (Lucien Kroll)
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C’est probablement ce questionnement qui tout au long de sa carrière l’a amené à exploiter le potentiel de la méthode incrémentale (tout comme moi). Le projet le plus emblématique de sa carrière, celui de la mémé (Maison Médicale de Louvain)iv, montre qu’il est possible d’appliquer ce processus dans un contexte différent de celui des quartiers informels des bidonvilles. L’esthétique désordonnée de la façade aura entrainé de nombreuses critiques. Néanmoins, cette forme d’architecture est victime d’un succès tardif. Notamment mis en lumière par Patrick Bouchain, le travail de l’architecte belge s’est récemment vu attribuer une exposition à la Cité de l’Architecture et du Patrimoine en 2015. Dans son autobiographie qu’il écrit en 2009, il dira : « L’incrémentalisme ne veut décider de chaque étape au moment où elle l’aborde et pendant son cours : à chaque étape, il regarde en arrière. Il refuse de décider trop tôt les étapes suivantes ni surtout la totalité de l’opération sans la soumettre aux événements de chaque phase. Ainsi, la fin n’est pas définie dès le début. L’incrémentalisme est la façon écologique de décider : par la participation continue de toutes les informations et de tous les informateurs qui surgissent au cours de l’opération. Cette méthode signifie : “On apprend à marcher en marchant“. Charles Lindblom l’a nommé Disjointed incrementalism : the science of muddling through (je traduis : ajout d’un élément après l’autre, sans cohérence – la science de la débrouillardise pour arriver à travers tout). C’est une méthode intuitive, “darwinienne“ à l’image des tâtonnements de la nature... {...} C’est ainsi que je me suis reconnu comme incrémentaliste depuis toujours. » (Lucien Kroll) Cet architecte à part, avant-gardiste, et forcément très controversé, n’a pas établi ses idées en se basant sur des contraintes économiques. Cette approche éthique et philosophique personnelle aura eu le mérite de soulever bien des sujets dont celui de la méthode incrémentale. En revanche, le travail du groupe ELEMENTAL nous permettra d’avoir une vision concrète sur ce que l’incrémental peut apporter à l’architecture.
Presentation principalement tiré de l’entretient entre Thierry Pacquot et Lucien Kroll en 2006 : L’invité Lucien KROLL, Revue Urbanisme, mars-avril 2006, Thierry Pacquot.
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école don Milani en Italie photo Atelier Lucien Kroll ©ADAGP, Paris, 2015
Sauvetage d’une bar de 40 logemengts Bethoncourt, à coté de Montbéliard © archicree.com
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Éco-quartier les Brichères à Auxerre © lyonne.fr
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mémé (Maison Médicale de Louvain) © doc. Lucien Kroll
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RÉINTERPRÉTATION DU MODÈLE POUR LA MAISON INDIVIDUELLE
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PRÉAMBULE DE LA PARTIE
Dans la première partie, nous avons décortiqué les méthodes qui sont mises en place pour entreprendre une telle architecture dans les pays en voie de développement (et plus particulièrement au Chili avec le studio ELEMENTAL). Nous avons vu comment architecturalement parlant, le processus de conception est mis en place et en quoi elle est bénéfique. Maintenant, l’objectif est de se poser la question si le concept de l’architecture incrémentale est applicable pour le logement dans un pays développé comme la France. En s’appuyant sur ce que nous avons étudié, en interrogeant les potentiels et les limites, nous allons nous poser la question de la légitimité de cette pratique dans un contexte diamétralement différent. Toute l’architecture réalisée jusqu’à maintenant dans le monde occidental n’est évidemment pas à jeter, bien au contraire. L’ambition de cette seconde partie est d’encourager une approche alternative, qui permette de répondre à des besoins spécifiques, pour des populations spécifiques. La critique que je formule envers la construction rationnelle de l’habitat ne se veut pas absolue. Celleci fonctionne très bien dans beaucoup de cas, il ne s’agit pas de la remplacer. Seulement, il est évident que cette seule manière de penser ne pourra répondre à toutes les situations. Il en est de même pour l’architecture incrémentale, elle ne peut être systématisée est devra être employée pour atteindre des objectifs précis sur une population ciblée.
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Une nouvelle approche demande d’avoir une ouverture d’esprit attentive. En effet, cette recherche cherche aussi à ouvrir les yeux des architectes sur la manière dont ils appréhendent le projet architectural ; particulièrement celui du logement qui a tendance à être systématisé. Une telle approche demande forcement de reconsidéré son métier sur ses compétences et ses responsabilités. Ici, il ne s’agira plus de livrer un logement prêt à être consommé, le processus habituel devant être repensé et réorganisé La vocation de cette recherche n’a pas pour but de révéler une recette miracle, applicable partout, tout le temps et dans chaque situation. L’architecture ne peut être développé en suivant un modèle défini. Elle doit s’adapter à un ensemble de contraintes et d’enjeux qui dépendent du contexte, de l’époque, des ressources, des intervenants et des futurs usagers. Les formes que prennent les demi maisons d’ARAVENA ne sont certainement pas les seules à pouvoir accueillir une architecture incrémentale. Celles-ci sont le résultat synthétique d’un ensemble de problématiques traduit en architecture. Il est très probable que dans le contexte d’un pays développé, ces maisons ne puissent connaitre un tel succès. L’incrémental est un concept, il n’est pas un gabarit. Notre rôle est de se poser question sur la pertinence de l’évolution progressive du logement.
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CONSTRUIRE SOI-MÊME SA MAISON, UN RÊVE COMPLIQUÉ
Qui n’a jamais rêvé de sa maison idéale ? Avoir la chance de s’offrir une maison est pour beaucoup un rêve compliqué, voir inatteignable. Au vu des coûts qu’un tel projet engendre, s’offrir son propre foyer est l’investissement d’une vie. Alors, toutes les techniques sont bonnes pour en réduire les dépenses. Des milliers d’articles sur internet expliquent comment économiser de l’argent avant de se lancer dans une telle entreprise. Parmi elles, l’auto-construction en est une qui en a séduit plus d’un. Selon le site consortium immobilier, les économies de main d’œuvre peuvent représenter 30 à 60% d’économie sur l’ensemble de l’opération1. L’auto construction serait donc un facteur pour faciliter l’accession à la propriété de plus en plus dure de nos jours : « En France, le prix de l’immobilier a été multiplié par 2,5 entre 1975 et 2011 alors que, dans le même temps, le revenu disponible des ménages n’a, lui, progressé que de 61 % » (Chiffres meilleursagents.com). Cette approche économiquement alléchante n’est pas sans risque. Le fait d’exclure diverses interventions par des professionnels peut bien sûr affecter négativement la qualité des prestations. S’improviser comme constructeur peut devenir périlleux et amener beaucoup plus de complications que prévu2. De plus, les contraintes juridiques s’ajoutent à celles constructives comme la nécessité d‘ obtenir un permis de construire ou d’aménager auprès de sa mairie. Si le domaine de la construction nous est inconnu, il semble compliqué de s’engager dans une telle entreprise.
(1) https://www.consortium-immobilier.fr/guide/achat-vente/4/21/67/ «Le recours minimum aux intervenants professionnels tels que le constructeur de maisons individuelles, permet d’économiser de 30 à 60% de son budget.» (2) P. Chevillard, (2017), Maison : les risques de l’autoconstruction, construiresamaison.com
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Ce phénomène se vérifie par le fait que seul environ 1000 français s’engagent chaque année dans de l’auto-construction pure3. Beaucoup y voient une façon de réaliser eux-mêmes la maison qui leur convient en termes de gouts et d’espaces. D’autres cherchent à expérimenter, à amener des solutions innovantes qui ne sont pas proposés dans une architecture classique (ou qui couterait trop cher). Certains construisent leur maison pour répondre à leurs attentes et à leur vision de l’habitat écologique. Il existe donc des profils très variés qui deviennent auto-constructeurs ; rassemblés par la fierté d’avoir fait soi-même.4 (https://www.consoglobe.com/autoconstruction-un-reve-qui-devient-accessible-cg) Seulement, comme nous l’avons vu, cela reste un rêve limité. Peu de personnes en sont capables. Une solution alternative entre l’habitat classique et l’auto construction pourrai alors être envisagée pour limiter les couts à travers une construction progressive du logement où l’architecte aurai un rôle d’expert à jouer. Ainsi, une stratégie incrémentale pourrait être abordée pour établir un concenssus. Elle peut être envisagée dans le but de réduire les coûts des travaux en intégrant le savoir-faire et la volonté de l’habitant tout en assurant la construction du bien par l’expertise d’un architecte. Ainsi, en suivant le principe de la “demi maison“ d’ARAVENA, serait-il envisageable de proposer une architecture prévue de telle sorte à ce que l’habitant puisse entreprendre des travaux lui-même pour agrandir progressivement son habitat ?
(3) Investissementimmo.com , Quel est le coût en auto construction d’une maison en France ? «Environ 1000 propriétaires en France, chaque année, se lancent dans cette aventure» (4) https://www.consoglobe.com/autoconstruction-un-reve-qui-devient-accessible-cg)%20 Seulement,%20comme%20nous%20l’avons%20vu,%20cela%20reste%20un%20rêve%20 limité.%20Peu
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PRINCIPES À EMPLOYER ET APPRENDRE DES LEÇONS
« HALF A GOOD HOUSE ≠ ONE SMALL HOUSE ». Dans l’idée où l’accès à la propriété est de moins en moins accessible en France, pourquoi ne pas repenser notre approche sur les stratégies mis en place pour la construction d’une maison. Si la formule apportée par ARAVENA s’applique au contexte Chilien, est-il possible de l’envisager pour construire moins cher sa maison en France ? Quand on repense au principe de la demi maison, rien empêche d’envisager de se lancer dans une telle entreprise. Imaginons un jeune couple avec des moyens limités, mais avec le projet de devenir propriétaire d’une maison. Ils ne savent pas de quoi demain sera fait et souhaite anticiper l’arrivée de futurs enfants sans avoir à déménager sans cesse. Pourquoi ne pas leur proposer une architecture qui permettrai d’anticiper l’ajout d’espace en fonction des moments où ils en auraient besoins : « Il refuse de décider trop tôt les étapes suivantes ni surtout la totalité de l’opération sans la soumettre aux événements de chaque phase »1 Alors, quelle architecture proposer dans la mise en place d’un projet suivant une stratégie incrémentale ? D’abord, j’exclus l’idée de proposer une forme, il est à la charge de l’architecte de développer la réponse la mieux adaptée pour son client. Seulement, d’un point de vue architectural, nous allons nous poser la question des éléments à reprendre de l’approche de l’agence chilienne. Par ailleurs, cette partie n’interroge pas l’aspect urbain. Si le cas de la maison individuelle est choisi, c’est aussi pour se concentrer sur l’architecture en elle-même. Il ne s’agit pas de développer une pensée collective, mais individuelle. Bien sûr l’argument consistant à dire que la réduction du prix d’une maison permettant d’amortir le cout d’un terrain plus cher, s’approchant ainsi du centre et limitant l’étalement urbain fonctionne toujours.
(1) Thierry Pacquot, (2006), L’invité Lucien KROLL, Revue Urbanisme, mars-avril 2006,
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Si l’approche est celle de limiter les coûts, l’architecture prévue doit répondre à des critères formels de base. En effet, il faut favoriser l’élaboration d’une maison compacte. C’est mathématique : plus une maison suit une forme carré (ou un volume cubique), plus on économise en quantité de matériaux2. De plus, cela permet de limiter le nombre de façades en contact avec l’extérieur, optimisant l’efficacité climatique de la maison. Ensuite, il faut favoriser une architecture en hauteur3. En effet, à surface égale, cela réduit le coût des terrains nécessaires à l’achat. De plus, une surface qui s’étend au sol augmente par conséquent les coûts de fondations, de terrassement et de toiture qui représentent des lots particulièrement couteux. La principale question à se poser dans l’architecture incrémentale est de savoir quelle partie on construit et quelle partie on laisse à l’habitant. Selon ARAVENA, elle doit d’abord être le fruit d’un dialogue avec l’habitant. Comme dans toute architecture, on ne peut se permettre de construire des espaces sans connaitre les attentes de ces futurs usagers. Seulement dans cette situation, il est nécessaire de comprendre les attentes présentes et futures pour proposer des espaces libres que l’habitant pourra investir. L’idée devrait en fait être celle de se reposer sur les limites de l’auto-construction. Ainsi, la partie constituant la base devrait être celle que l’habitant n’est pas capable de construire lui-même. Plus encore, elle doit être pensée de sorte à permettre l’expression des compétences de l’usager lui-même. Ces éléments seront donc ceux qui sont les plus compliqués et qui doivent être les plus durables : “les murs anti-feux, les éléments de base pour la cuisine et la salle de bain, les escaliers, un toit solide et étanche, et surtout une structure solide“3. Dans le contexte d’un pays occidentale où on porte une attention toute particulière au climat, les performances thermiques doivent être assurées. Pour se faire, il faut trouver des solutions pour limiter les ponts thermiques dans le cas où une extension émergerait. La solution serait peut-être de faire en sorte que l’espace aménageable se trouve à l’intérieur de l’enveloppe elle-même (mais ce qui pose problème dans l’idée où il faudrait chauffer des espaces “inutiles“).
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Enfin, il faut se questionner sur le rôle que doit jouer l’architecte dans cette entreprise. L’agence chilienne établi un rapport très proche avec les familles en question, sur lequel il semble nécessaire de se baser. Le suivi qu’ils proposent tout le long du processus est généreux, nécessaire et exemplaire. Le rapport classique que l’architecte entretient avec son client doit être remis en question dans l’approche incrémentale. Si cette architecture établi l’idée que la construction peut être étendue, il est élémentaire qu’un processus de renseignement et de transfert de connaissance s’établisse. Il peut se mettre en place par des discussions, des exposés, mais aussi des ateliers et des workshops. Dans cette situation, l’architecte doit avoir un rapport particulièrement proche et poussé. C’est toute la question de la responsabilité de l’évolution qui est mise en jeu dans ce nouveau rôle.
La maison incrémentale © TARDIVET Clément
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AVANTAGES ET LIMITES DE LA DÉMARCHE
Les principes économiques sur lesquels se base l’architecture incrémentale argumentée par ARAVENA peuvent être repris. Dans les pays en développement, Gonzalo LIZARRALDE identifie que le processus incrémental est le seul qui est mesure de s’adapter aux capacités de financement des populations les plus pauvres1. Nous pouvons ici nous questionner sur cet aspect financier (qui est forcément au cœur des préoccupation de l’acheteur) et de s’en inspirer. En effet, le fait de se procurer un logement initialement plus petit permettrait à la famille d’avoir recours à un prêt moins important. Ceci en faciliterait d’abord l’obtention et prendrait par définition moins de temps à être remboursé. Cette méthode permet de ne pas crouler sous les dettes et d’investir par la suite, étape par étape, selon son budget. L’architecture incrémentale est celle qui doit être capable d’encadrer une auto-construction qui peut être source de problèmes en tout genre. Grâce à une architecture bien pensée, elle devrait être en mesure de permettre l’habitant de construire lui-même son bien en s’appuyant sur des éléments dont la qualité est contrôlée et sûre. L’architecte se doit d’identifier les compétences et les lacunes de l’habitant dans le domaine de la construction pour voir avec lui jusqu’à quel point il est nécessaire d’encadrer l’habitant dans ses œuvres. Elle permet donc de limiter les coûts de la construction d’une maison tout en assurant la viabilité de l’architecture, de son rapport au contexte. Ainsi, le rôle de l’architecte consistant à assurer des architectures dont « la qualité des constructions, leur insertion harmonieuse dans le milieu environnant, le respect des paysages naturels ou urbains ainsi que du patrimoine »2 est maintenu. Ce rapport est positif dans le sens où la communication devrait permettre un transfert de savoir issu d’un dialogue bénéfique dans les deux sens.
(1) Lizarralde, G. (2014). The Invisible Houses: Rethinking and designing low-cost housing in developing countries (1 edition).(p259-) New York: Routledge. Kobo e-book. (voir les chapitres “Financing Incremental construction“ / “Savings Mechanism“ / “Home based entreprise“ / “Rental Husing) (2) Loi n° 77-2 du 3 janvier 1977 sur l’architecture
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Cette approche peut être vue comme une nouvelle manière sociale d’aborder l’architecture pavillonnaire en France. D’abord elle permettrait à des ménages modestes d’avoir accès plus facilement à la propriété, ce qui aurait été plus compliqué dans le cas d’une maison classique. Des familles peuvent réaliser la maison de leur rêve et avoir un logement dont la qualité relève de la valeur d’appréciation qu’elles lui portent, issue de la fierté d’avoir participé à la réussite de leur ouvrage. L’accès à la propriété, mêlé avec le potentiel évolutif peut être vu comme un investissement qui rapporte. L’habitat social en France relevant majoritairement du parc locatif3, celle-ci demande d’envisager un accès à la propriété où la valeur du bien pourra s’agrandir grâce à l’intervention de l’habitant. De plus, cette dernière serait capable de s’adapter aux mutations dans le temps. On ne sait jamais de quoi demain est fait, cette approche est celle qui n’a pas la prétention d’anticiper l’imprévisible. L’architecture s’adapte à une évolution progressive des habitants et non l’inverse. Elle est celle de la démocratie, elle permet à l’habitant d’être acteur et décideur de la création de son bien. Seulement, la maison incrémentale reste limitée dans le sens où il n’est pas de l’envie ou du besoin de tout le monde d’habiter dans une maison qui évolue dans le temps. Cette architecture ne peut être généralisable et ne doit pas être vu comme une solution révolutionnaire. L’habitant qui est concerné dans un tel projet nécessite de sa part de l’implication ; c’est un processus long qui demande de l’effort et du courage. Dans le cas où le ménage ne semble pas prêt à s’y investir pleinement, le projet peut devenir un échec plus qu’autre chose. Les familles qui peuvent être ciblées seront par exemple des jeunes ayants des moyens limités avec des perspectives d’avenir grandissantes (ceci n’est qu’un exemple parmi d’autres...). Cette pratique encore inexistante mérite également de s’y investir plus en profondeur. Finalement, le risque le plus important ne serait-il pas de ne pas envisager cette stratégie incrémentale afin de comprendre par la pratique quels sont précisément les tenants et les aboutissants de cette architecture ?
(1) Goffette-Nagot, F., & Sidibé, M. (2012). Logement social et accession à la propriété. Economie prevision, n° 200-201(2), 141‑159.
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RÉINTERPRÉTATION DU MODÈLE POUR LE LOGEMENT COLLECTIF EN VILLE
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UN BESOINS DE FLEXIBILITÉ ? ÉTUDE PHOTOGRAPHIQUE À BARCELONE`
Cette première partie constitue une approche sur la question de l’appropriation et de l’habitat évolutif. J’ai profité de mes vacances à Barcelone en octobre pour rassembler une série de photographies. En me baladant dans les rues, de manière plutôt aléatoire, je me suis pris au jeu de dénicher des signes d’appropriations visibles sur les façades des bâtiments. Je cherchais des exemples qui montrent comment et à quel point, un usager peut se donner des libertés dans la modification de son habitat. Cela m’a permis de me rendre compte à quel point il est nécessaire qu’un logement évolue. J’ai décidé de centrer cette étude sur l’élément du balcon. Depuis un trottoir, tout ce qu’on peut voir sur une façade s’arrête à des fenêtres, de la maçonnerie et des balcons. Ce dernier est le témoin le plus fréquent d’interventions des habitants. Les questions qui pourront être soulevées ici sont : comment est-on capable de faire évoluer son logement ? Quel impacte cela peut avoir sur le paysage ? Comment un ménage est-il capable de s’approprier luimême des espaces ? Comment est-il capable lui-même de le transformer ? Quel est la demande ? Autant de questions ouvertes dont les images présentées sont laissées à l’interprétation de chacun. Les photographies qui seront exposées dans les prochaines pages sont simplement représentatives. Elles ne permettent pas de connaitre les fonctions de ces aménagements. Il est important de souligner aussi, que l’exploration qui est proposée ici, n’a rien de scientifique. C’est une approche sensible vouée à démontrer la légitimité de la thématique de recherche.
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Carrer del Sardenya, Barcelone Extension par une veranda sur le balcon
Carrer de Pi i Margall, Barcelone Extension par une veranda sur le balcon
Carrer d’Arago, Barcelone Installation d’un filet sur un balcon
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Carrer de Sicilia, Barcelone Des elements de façade viennent fermer l’espace de balcon. S’agit-il du même appartement ?
Rambla de Mercedes, Barcelone Installation d’une veranda sur le balcon pour faire secher le linge et autre ?
Carrer de l’Escorial, Barcelone Installation d’une veranda sur un balcon
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Carrer de Wellington, Barcelone Plusieurs balcons ont été fermés. S’agit-il d’une intervention collective ?
Plaça de Tetuan, Barcelone Plusieurs aménagements ponctuels sur cette façade avec des élements diiférents. Intervention collective ou non ?
Carrer d’Arago, Barcelone Des élements de façade de natures différentes sur cette même façade.
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PRINCIPES À EMPLOYER ET APPRENDRE DES LEÇONS
Quand on se base sur des exemples précis pour les réinterpréter, la faute à ne pas commettre est de les répéter bêtement. Nous avons pu voir que l’approche incrémentale de Lucien Kroll n’a d’ailleurs rien à voir avec celle d’ARAVENA. Il faut donc nous poser les bonnes questions. En quoi le logement aura besoin d’évoluer dans le temps. L’étude photographique que j’ai réalisé à Barcelone montre que dans certains cas il existe un besoin d’évolution ; et il se manifeste. En effet, il ne s’agit que de photos et les raisons de ces interventions sur les balcons de la capitale catalane me sont étrangères. En fait, l’importance n’est pas de savoir quels sont les besoins, c’est d’observer qu’il y en a. Selon moi, un des atouts majeurs du processus incrémental est celui d’accepter l’inattendu. Thierry Pacquot décrit très bien cette idée lorsqu’il présente KROLL : « Il accepte l’inattendu comme une chance et non comme un désagrément qui l’obligerait à se remettre en cause »1. Savoir s’il faut anticiper ou non ces espaces supplémentaires (c’est-à-dire en connaitre leur nature) dépend de l’appréciation de l’architecte. L’important est de proposer des espaces adéquats où l’habitant peut faire évoluer son cadre de vie quand il en est nécessaire. Le travail de l’architecte est celui de concevoir des espaces, comment ces derniers doivent être pensés ? Dans un pays comme la France, les contraintes, l’environnement et les populations auxquels l’architecture doit s’adresser sont différents. La doctrine sur laquelle se fonde l’architecture incrémentale dans les pays en développement ne peut être le même. Il n’est pas question de répondre à la problématique du mal logement des quartiers informels... Vu l’exercice précédent, nous allons essayer de trouver des pistes pour répondre à la problématique de l’évolution du logement par une stratégie de construction progressive dans un pays occidental. (1), Lucien Kroll, (2006), L’invité Lucien KROLL, Revue Urbanisme, mars-avril 2006, Thierry Pacquot
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Le cabinet d’architectes Stavy pointe du doigt la manière dont nous avons de construire l’espace. Ces architectes identifient que le processus de conception n’a pas suivi les modes de vies sociétaux qui ont pourtant été bouleversés ses dernières années. Comme on a l’habitude de l’entendre, nous vivons dans un monde de plus en plus rapide et instable. Les pratiques de l’habiter changent en se diversifiant et en se complexifiant. Au sein d’un même foyer, il peut arriver un nouveau-né qui s’ajoute, un enfant qui part faire ses études, un divorce qui éclate, une famille qui se recompose, un emploi qui se perd, un nouveau projet pro qui se dessine, une reconversion professionnelle etc. La vie est incertaine, imprévisible et évolutive, ce qui n’est pas le cas des logements1. Le principe est relativement simple. L’architecte se charge de dessiner un « plateau libre » en simple ou double hauteur. Les “blocs“ de béton brut peuvent être superposés les uns sur les autres pour créer un immeuble de plusieurs étages favorisant ainsi la densité urbaine. Les menuiseries sont intelligemment positionnées de sorte à favoriser une flexibilité maximale. L’aménagement est libre en plan et en coupe. En effet, pour les unités à deux niveaux, il sera possible d’ajouter un second niveau pour densifier progressivement le logement. Une fois le “bloc“ fourni, le travail de l’architecte ne s’arrête pas là... Bien au contraire. La suite des opérations consiste en la personnalisation de l’appartement. A l’heure actuelle, aucune pièce n’est définie, l’aménagement de l’appartement dépend de son propriétaire « Notre proposition est une alternative qualitative au logement « prêt à habiter » standardisé, conçu pour tout le monde (c’est à dire pour personne, car personne n’est comme tout le monde) ». Maintenant, la responsabilité du maitre d’œuvre est d’abord d’accompagner le client dans son projet. Il a le rôle et le devoir d’accompagner l’habitant dans ses entreprises. Une fois le projet dessiné, c’est à lui d’assurer la qualité et le bon déroulement
(1), Agence d’architecture Stavy : https://www.stavy-architectes.com/fr/habitat.html :«Pourtant, les plans de logements que les architectes dessinent, que les entreprises constuisent et que les familles habitent ne diffèrent que peu des cellules d’habitations chères au mouvement moderne» (2), Agence d’architecture Stavy : https://www.stavy-architectes.com/fr/habitat.html
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de travaux.2 L’habileté du projet est celle de proposer une typologie adaptée qui est autre que celle des maisons d’ELEMENTAL. L’architecture “enveloppe“ l’ensemble de l’habitation. Les espaces laissés à la liberté de l’habitant se trouvent déjà à l’intérieur de l’habitation. Ceci permet de contrôler les performances thermiques du bâtiment vu que l’habitant n’a pas besoin de réaliser l’extension à l’intérieur du bâtiment en lui-même. Dans les pays d’Europe, le climat demande des performances d’isolation. Si la moitié de la maison construite doit être la plus compliquée, l’enveloppe doit en faire partie. Les règlementations imposent des qualités thermiques strictes qui demandent une expertise, des connaissances et de l’expérience dont l’architecte à la maitrise. Proposer une extension à l’extérieur augmenterait les vulnérabilités aux pont thermiques et aux fuites si l’aménagement n’est pas maitrisé. De plus, grâce à cet agencement, on limite les interventions impromptues sur les façades des bâtiments qui peuvent être perçues comme des “verrues“
Schéma du principe évolutif du lgement de l’agence d’architecture Stavy © Stavy
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et dégrader le paysage urbain. À Londres, l’agence Peter Barber Architects s’est lancé dans la conception d’un projet incrémental. Le projet Donnybrook Quarter cherche à mettre en forme une sitation Benjamin Walter : « the passion for improvisation, which demands that space and opportunity be at any price preserved. Buildings are used as a popular stage. They are all divided into innumerable, simultaneously animated theatres. Balcony, courtyard, window, gateway, staircase, roof are at the same time stages and boxes. »3. L’architecte met en place une typologie en dents de scie (ressemblant à celle de la Quinta Monroy) offrant à chaque unité une terrasse privée. Les architectes souhaitaient que chaque habitant puisse s’approprier cet espace pour l’utiliser selon leurs envies. Malheureusement, les résultats ne sont pas à la hauteur des attentes. Selon Luke Perry4, cet échec est notamment dû à la “pureté“ de la production que l’habitant ne voudrait pas perturber « In fact, it is almost as if the buildings are too pure for additions and personalization to happen »5. Après cinq ans l’appropriation a eu du mal à se développer surtout qu’une des premières personnes ayant acheté un bien, en a acheté 4 autres, limitant le nombre de propriétaires qui est pourtant nécessaire pour que l’habitant se donne les moyens d’investir les lieux à moyen ou long terme. Cette expérience est une leçon sur laquelle nous pouvons nous appuyer pour mener à bien un projet incrémental. Celui-ci pose question sur la prestation finale d’un projet qui se veut être progressif (dans son modèle, l’agence Stavy propose par exemple de livrer chaque unité avec une finition en béton brut). Le bâtiment doit-il être livré avec des prestations aussi bien finies que celles d’un logement classique ? Comment faire comprendre à l’habitant qu’il a le droit d’investir des lieux, et de ce fait qu’il peut être acteur dans la composition de la ville ? L’architecture incrémentale doit adopter un langage formel et physique adapté pour
(3) «la passion de l’improvisation, exige que l’espace et les opportunités soient préservés à tout prix. Les bâtiments sont utilisés comme une scène populaire. Ils sont tous divisés en d’innombrables théâtres animés simultanément. Balcon, cour, fenêtre, portail, escalier, toit sont à la fois la scène et la boite.» (4) (2008) Site internet “The incremental House“ pour le projet «London: Donnybrook Quarter Housing» (5) L. PERRY (2008) The incremental House : «En fait, c’est presque comme si les bâtiments étaient trop purs pour que des ajouts et des personnalisations soient possibles»
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Donnybrook Quarter, London © Peter Berber Architects
communiquer avec l’usager et accueillir une extension. À travers ces deux exemples, nous avons vu que dans le contexte d’un pays occidental, il est possible d’aborder la question du logement collectif en suivant une stratégie incrémentale. Celleci doit s’adapter à son environnement, aux personnes, et aux modes d’habiter. Nous avons vu à travers l’exemple des recherches faites par l’agence Stavy, qu’une stratégie incrémentale peut être abordée pour répondre à des problématiques du monde contemporain occidental. Les formes que prennent ces architectures sont complètement différentes que celles avancées dans la première partie de ce mémoire ; pourtant, elles sont sensiblement régies par les mêmes principes. Si les réflexions qui régissent cette approche sont dissemblables, elles sont chacune source d’alternative nouvelle pour ce programme qui manque d’options.
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AVANTAGES ET LIMITES DE LA DÉMARCHE
Le monde contemporain pose chaque jour de nouveaux défis, de nouvelles problématiques auxquels l’architecte se doit de porter des réponses par son architecture. La critique que j’ai formulé en préambule de ce mémoire questionne notre processus de conception classique. Avec une approche comme celle-ci, il est compliqué d’élargir la palette de compétence d’une architecture qui stagne depuis des décennies. Dans cette partie, nous allons examiner comment l’architecture incrémentale est capable de répondre aux différentes problématiques que pose le monde contemporain occidental. Dans notre époque, la mode est aux écoquartiers1. Ce “nouveau“ type de planification urbain veut s’adapter aux enjeux contemporains. Avec une philosophie basée sur le concept écologique, ces nouvelles formes d’urbanité doivent également répondre à des problématiques économiques et sociales. Des politiques locales mettent beaucoup d’espoirs dans ces programmes qui sont des éléments clé dans de leurs stratégies politique. Parmi ces enjeux, la mixité sociale. L’objectif est de faire cohabiter, au sein d’un même territoire, des individualités aux statuts sociaux hétérogènes (riches, modestes, étudiants, personnes âgées, etc.). En général, cette différenciation se fait suivant les bâtiments. Chacun propose des prestations précises (en termes de confort, d’espace et qualité architectural) ce qui permet d’accueillir une classe ciblée.
(1) Sylvie Laidet (2009) écoquartiers, effet de mode ou mode de vie ? 20minutes.fr
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L’agence Stavy propose un concept de logement évolutif qui va dans ce sens. La méthode incrémentale qu’ils proposent permettrait d’accueillir une mixité sociale au sein d’un même bâtiment. En effet, leur stratégie permet de réduire de 30% le prix de vente, ce qui admet un accès à la propriété plus facilement atteignable. Ainsi, des classes plus modestes peuvent avoir l’opportunité de s’offrir un bien sur un lieu où ils n’en auraient pas eu les moyens pour un logement classique. Par ailleurs, rien n’empêche à des classes supérieures de s’offrir un même logement. La différence entre ces deux familles est que celle qui est modeste va pouvoir construire petit à petit son environnement en auto-construction en fonction de ses ressources. La surface utile va alors s’agrandir en fonction des étapes que le ménage va rencontrer. Les familles plus aisées quant à elles, peuvent se permettre de faire appel à des professionnels leur assurant une qualité supérieure dans les prestations. Leur confort peut également se jouer selon la surface et les volumes qu’ils souhaitent. Ainsi, il est possible d’imaginer un couple prospère être voisin avec une famille nombreuse, ayant acheté le même appartement qui seraient devenus fondamentalement différents. Ainsi, grâce à la multitude et à la diversité des possibilités de construire la partie “incomplète“, on est capable d’apporter au sein d’un même logement des profils aux statuts sociaux variés qui construiront des prestations et des volumes différents. Cette stratégie occasionnerait naturellement des rencontres entre des personnes appartenant à des sphères sociales différentes grâce à un réseau collaboratif qui peut se mettre en place grâce aux compétences singulières et complémentaires de chacun « La participation des habitants dans la conception et l’aménagement de leur logement permet de créer un réseau collaboratif d’échanges de matériaux et de services entre voisins, afin de construire une économie solidaire et humaniste ». Cette approche permet aussi de considérer le logement comme un investissement dont la valeur peut augmenter grâce aux interventions réalisées.
(1), Agence d’architecture Stavy : https://www.stavy-architectes.com/fr/habitat.html
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Cette architecture se compose dans le temps. On peut diviser le processus en deux parties : la première consiste en l’élaboration de la base ; la seconde elle se fait dans le temps en fonction de l’habitant lui-même. Si le premier travail consiste à fournir le “clos-couvert“ (en suivant les principes de l’architecture incrémentale du groupe ELEMENTAL) réalisé par des grosses entreprises de construction (pouvant assurer l’apport d’éléments industrialisés et préfabriqués limitant ainsi les coûts de construction), la seconde partie peut promouvoir (autre que l’auto-construction) le travail d’entreprises locale et d’artisans. En effet, les Français sont très sensibles à l’artisanat. Selon une étude réalisée par Samira Hamiche, il est un secteur auquel 81% des français ont confiance. Cette approche architecturale permettrait d’associer différentes échelles d’entreprises pour la réalisation d’un habitat unique. Malgré tout, nous avons vu à travers le projet de l’agence Peter Barber Architects que cette forme d’architecture a du mal à exprimer tout son potentiel. Il s’agit là de l’un des seuls projets concrets qu’on peut trouver dans un pays développé, et le résultat reste mitigé ; le processus incrémental n’a pas pris... Cet exemple qui démontre la timidité des interventions des habitants sur cet habitat, néanmoins, il est important de préciser que l’objectif du projet n’était pas semblable à ceux d’ELEMENTAL. Il n’est pas forcement question d’agrandir son logement, mais dans ce cas, de l’investir grâce à des terrasses généreuses. Cette proposition n’en est qu’une parmi d’autre mais elle montre à quel point les résultats peuvent être limités. À travers cet exemple, il est important de se poser la question si la population vivant dans un pays développé est véritablement prête à habiter une architecture qui évolue dans le temps et dont ils sont acteur ? Difficile de répondre à cette question avec un seul exemple. D’autres expériences doivent être menées dans ce sens pour s’assurer (ou non) de la viabilité d’intégrer le processus incrémental dans l’habitat d’un pays développé.
(1),S.Hamiche, (2017) Les Français «préfèrent l’Artisanat». lemondedesartisans.fr
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PROSPECTIVES FUTUR(ISTES)
Dans cette dernière partie, j’ai voulu regrouper un certain nombre de projets qui ont été réalisés lors de concours. Ces architectures aux allures futuristes, parfois utopiques, ont été sélectionnées car elles abordent toutes des thématiques évolutives. Elles peuvent inspirer les architectes pour mettre en place l’architecture de demain, celle qui se construit petit à petit en s’adaptant au monde contemporain.
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THE ENDLESS CITY IN HEIGHT
Le premier projet présenté est celui qui a remporté le concours Organic Skyscrapers 2014. L’agence chinoise Sure a imaginé une architecture capable de croitre verticalement. Localisée à Londres, juste au nord de la City, cette tour est une réelle ville verticale accueillant des programmes divers et variés. « L’objectif, pour les participants à l’événement, était de concevoir un gratte-ciel écologique et innovant, disposant de la capacité de croître au cours du temps, afin de répondre à d’éventuels besoins de croissance et d’expansion. Il s’agit donc d’une alternative à la conception habituelle des tours. » Pour cela, ils dessinent une structure ouverte avec deux rampes ayant de très légères pentes, qui viennent accueillir les niveaux qui se développent depuis le rez-de-chaussée. La tour est efficace écologiquement car «Les pertes sont minimisées et les recyclages optimisés». Sa forme permet d’accueillir une lumière abondante toute la journée. De plus, une attention toute particulière a été portée à la climatisation naturelle. Il n’est pas nécessaire d’avoir recours à une surconsommation en climatisation mécanique. Le bâtiment communique avec son contexte. Elle respecte le vis-à-vis en se rétrécissant à la base pour s’ouvrir au sommet et accueillir un maximum de lumière. Précédemment, nous avons vu qu’une des limites de l’architecture incrémentale était sa capacité à se développer verticalement à cause des contraintes structurelles. La manière dont l’agence a répondu à cette problématique mérite d’y porter intérêt. D’abord, La tour prévoit de mesurer 200m. La structure doit être déjà assez solide pour en supporter les charges. Techniquement, ce sont six tubes triangulés en aciers qui permettent de tenir la tour, mais aussi d’assurer les circulations verticales de personnes et de fluides. Ces derniers sont en fait des modules préfabriqués, qu’il suffit d’assembler directement au sommet. Par ailleurs, il n’est pas précisé que les éléments déjà posés soient capables de résister à de nouvelles charges. Voir : https://www.archdaily.com/530801/sure-wins-competition-with-endless-city-skyscraper
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© SURE
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ORGANIC SKYSCRAPER
La réponse qu’apporte les architectes français Chartier-Corbasson architectes en collaboration avec VS-A au même concours que le précédent pose les mêmes questions d’évolutivité. Leur projet, bien qu’assurément utopique a reçu la mention spéciale “découverte“. Ils proposent l’idée originale qu’une tour pourrait évoluer en recyclant les déchets de ces habitants. Grâce au réemploie du papier et des bouteilles en plastiques, on peut imaginer construire peu à peu des façades, l’engagement n’est pas seulement écologique, il est économique et social. De quoi satisfaire M. Développement Durable. Le cout d’une façade pourrait être fortement amorti par ce processus et la diversité programmatique prévu sera bénéfique pour ceux qui souhaite s’y implanter. « Comme un corail, le bâtiment est auto-généré par ses occupants qui produisent sa structure, inspire par les formes de croissance organique. Nous avons calculé qu’en une année, les occupants produisent de quoi assurer la production d’une surface de façade équivalente à celle qu’ils occupent (panneaux de papiers compresse ou de bouteilles plastique)», avec de tels paramètres, l’ambition de ce projet de tour, baptisé «Organic Skyscraper», est fortement marquée par une tendance d’économie circulaire. Rien ne se perd, tout se recycle ! » La structure s’inspire des échafaudages en bambou que l’on trouve en Asie. Celle-ci accueillerait les futurs programmes qui souhaiterait s’y implanter, mais elle permettrait aussi de servir comme véritable échafaudage lorsque la tour devra évoluer. Cette structure peu banale est également utilisée pour ventiler le bâtiment. Les tubes d’aciers ou de bois préfabriqués (qui font la même taille facilitant l’assemblage) laissent passer l’air ce qui rafraichit le bâtiment. Enfin, pour assurer le fonctionnement de ce système, «Des centrales de retraitement seront installées en haut du building dans la zone de chantier, minimisant les trajets de collectes par véhicules lourds. Au pied de l’édifice, des containers de récupération de différents matériaux, comme le verre seront installés» Une approche prométteuse de l’incrémental pour servir l’écologie Voir : https://www.archdaily.com/524225/organic-london-skyscraper-grows-as-residents-recycle
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© ARCHDAILY
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POD VENDING MACHINE SKYSCRAPER
Ce projet unique en son genre est imaginé par l’architecte Malaisien Haseef Rafiei dans le cadre du concours eVolo en 2017. Dans cette compétition de conception de ce gratte-ciel, il recevra la mention honorable. Ici, l’architecte imagine une tour incluant un concept nouveau. L’idée est de proposer un bâtiment rassemblant des nouvelles technologies disponibles pour proposer un bâtiment évolutif, dynamique et flexible. Souvent comparé au célèbre jeu russe “Tetris“, c’est ce bâtiment qui créé lui-même des habitats en fonctions des besoins de ces usagers. Le principe est simple : La structure fonctionne comme une immense grille métallique prête à recevoir les futurs modules. Ensuite, une imprimante géante est située au sommet de la tour. Elle créé des modules que les habitants ont commandés. Enfin, c’est une sorte de grue immense se déplaçant sur l’axe verticale de la tour qui va aller positionner le module à son emplacement adéquat. De plus, avec ce concept, il est possible d’envisager de faire évoluer son habitat en fonction de ses nouveaux besoins (ou opportunités). Ainsi, une famille s’agrandissant peu commander un module supplémentaire pour y installer une nouvelle chambre. De même, une entreprise en expansion peut également accroitre sa surface. Dans le cas où des places ne sont plus disponibles pour réaliser ce souhait, la grue est également capable de déplacer les modules à d’autres endroits. Cela permet à la fois de proposer une extension quasi infinie de son espace, mais aussi de pouvoir choisir son voisinage !
Voir : http://www.evolo.us/pod-vending-machine-skyscraper/
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© INHABITAT
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CONCLUSION
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L’architecture incrémentale récemment mise en lumière par les réalisations du studio ELEMENTAL marque un nouveau tournant dans le monde de l’architecture. Cette nouvelle manière d’appréhender l’architecture est innovante et inédite. En impliquant l’habitant dans tout le processus du projet architectural, une nouvelle vision de l’architecture est née. Basée sur des principes irréfutables, s’adaptant à chaque situation, ce processus est capable de déclencher une somme non négligeable d’avantages dans des domaines très variés. Cette méthode et cette approche restent néanmoins contestées par certains et affichent des limites dont il est nécessaire de se nourrir pour en tirer des leçons. Ce mémoire ne fait pas l’apologie de l’incrémental, il veut en établir les tenants et les aboutissants. L’incrémental appliqué dans l’architecture reste aujourd’hui une approche peu envisagée par les architectes du monde occidental. L’idée de proposer un bâtiment accueillant de l’auto-construction ne fait pas partie de notre culture et n’est pas forcement encouragé pendant les enseignements. Cette approche qui a fait ses preuves dans les pays en développement pourraient dans certaines situations être également envisagée dans des pays développés. Si l’architecture classique s’essouffle, d’autres approches novatrices doivent être envisagées par les architectes. En s’inspirant des principes établis par le studio ARAVENA, et en les situant dans leur nouveau contexte, chaque architecte peu composer un habitat qui se construise de façon progressive. Si dans les pays en développement elle est présentée comme la solution contre les problèmes du mal-logement dans le monde, elle peut être utilisée dans un pays comme la France dans l’optique d’une alternative qui engage des habitants volontaires à être acteur du bon fonctionnement. Entre les aspects économiques, sociaux et environnementaux, l’approche incrémentale est celle qui peut y répondre d’une manière différente. À travers l’expérience Chilienne, nous avons maintenant les outils pour s’aventurer dans une démarche qui prend en compte les problématiques liées au développement durable. C’est donc une stratégie qui doit être envisagée dans l’optique
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de répondre aux maux auxquels notre société est confrontée. En réaction à une architecture classique du logement qui s’essouffle face aux enjeux auxquels nous sommes tous confrontés, il faut envisager sérieusement d’autres stratégies. Si l’incrémental se pratique dans l’architecture depuis les années 60, elle restait très timide. Depuis l’obtention du Pritzker Prize par ARAVENA, cette approche se démocratise et se repend dans le monde entier. Néanmoins trop peu d’étude sérieuses sont envisagées pour réinterpréter ses codes dans le monde occidental. Des recherches doivent être poursuivies dans ce sens pour transformer la théorie en pratique. L’incrémental dans le pays développé c’est aussi la réponse à une attente qui est celle de construire en étant plus proche de l’habitant. Le rapport entre l’architecte et ses “clients“ tendent peu à peu à se rapprocher en s’éloignant de la vision autoritaire de l’homme rigide vêtu de noir. L’architecte de l’incrémental établi une nouvelle approche sur le processus de conception, de construction et d’accompagnement du projet. Son rôle n’est pas réduit, il peut paraitre plus délicat et plus responsabilisant. Comme le souligne Lucien Kroll, l’engagement avec l’habitant demande à l’architecte d’être en mesure d’élever le niveau de ses compétences. Face à sa clientèle, il doit démontrer qu’il est la personne apte pour mener à bien le projet. Finalement, en recoupant les travaux du studio ELEMENTAL et l’ensemble du travail de Lucien Kroll, nous avons vu qu’il est possible d’envisager des solutions architecturales alternatives pour répondre aux problématiques des pays développés. Le processus incrémental encore peu connu et expérimenté en France peut être vecteur d’une qualité architecturale nouvelle qui s’accorde avec les questionnements contemporains. L’approche du groupe dirigé par ARAVENA nous ouvre la voie pour construire des modèles qui ne sont plus des produits, mais des opportunités. Une architecture bien pensée peut permettre d’engager un dialogue saint avec son usager. Il est nécessaire d’avoir confiance en les capacités de l’Autre quand on souhaite construire le bien commun.
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Cette approche est celle de la démocratie. En rupture avec le mouvement moderne qui cherchait à identifier l’homme idéal à l’instar du modulor de Le Corbusier, l’incrémental suggère une vision plus libre de la relation entre l’homme et l’habitat. L’architecte qui se fait roi, mérite qu’on lui coupe la tête et que le peuple reprenne ses droits. Un pays démocratique ne peut être régie par un seul homme, et il en est de même pour l’habitat. Seul on va plus vite. À plusieurs on va plus loin. L’époque où il fallait construire vite est révolue. Aujourd’hui, notre rôle est de construire juste, durable, et censé. Seul une pratique responsable et éthique est en mesure d’apporter des réponses adéquates aux problématiques contemporaines. Nous sommes tous différents, et nous nous ressemblons beaucoup. Les gouts de chacun appartiennent à chacun. Les croyances de chacun appartiennent à chacun. Les idées de chacun appartiennent à chacun. La vie de chacun appartient à chacun. L’évolution de chacun appartient à chacun. La maison de chacun correspond à chacun.
Toutefois, la stratégie incrémentale ne peut pas être généralisée à toutes les situations. Elle doit répondre à des besoins précis que les professionnels se doivent d’identifier. Il n’est pas question de vulgariser une approche pour l’employer à tout va. Il est évident que tout le monde ne peut avoir l’envie, le temps, ou le besoin d’acquérir un tel logement. Nous pouvons même nous demander si nous sommes véritablement prêts à envisager d’autres formes d’habiter auxquels nous sommes habitués. Il s’agit en tout cas de la proposition d’une stratégie qui existe, basée sur des principes qui peuvent être remis en question, au potentiel indéfinissable, ayant déjà prouvé son efficacité. Les bâtiments d’ARAVENA ne sont qu’une infime partie de ce que l’incrémental est capable de fournir. L’incrémentale n’est pas une forme, c’est un concept : la construction progressive du logement. Il est maintenant de notre devoir (nous architectes) de se l’approprier pour construire un monde meilleur.
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«Value appreciation is the most direct way to measure the quality of housing ; value appreciation is in fact a redefinition of the notion of quality, conventionally associated with size and material solidity.» A. ARAVENA
A. ARAVENA, (2016), Elemental. (s. d.). (p21) : «La valeur d’appréciation est la mesure la plus directe pour caractériser la qualité d’un logement. La valeur d’appréciation doit en fait redéfinir la notion de qualité, conventionnellement associé à la taille et à la sildité des matériaux.»
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MÉMOIRE.
TARDIVET Clément L’objectif de ce mémoire est d’explorer des alternatives sur la manière d’appréhender le processus de conception du logement en France. L’architecture figée ne peut plus être en mesure de répondre seule à tous les besoins des usagers et à toutes les problématiques que pose la ville. J’ai alors entrepris mes recherches à travers l’étude d’une altérité : celle des bidonvilles. En m’intéressant aux stratégies d’interventions mises en place pour résoudre les problématiques liées à l’informalité de ces quartiers, j’ai découvert le concept de l’architecture “incrémentale“. Cette stratégie récemment démocratisée grâce à l’obtention du prix Pritzker de l’architecte Chilien Alejandro ARAVENA, a largement été louée par la presse internationale. Cette approche sociale, qui prétend être en mesure de résorber les problèmes liés au mal-logement en engageant la communauté dans le processus, se base sur des principes définis. Le travail de ce mémoire consiste dans un premier temps à relever à la fois les divers éléments qui font que cette architecture est efficace et pertinente, mais aussi à soulever les limites et les critiques auxquelles elle est soumise. Cette étude constitue alors la base de réflexion sur laquelle se repose la réinterprétation du modèle dans le contexte d’un pays développé. À travers divers exemples et figures, l’objectif est de déterminer les principes architecturaux à mettre en place pour proposer une stratégie de construction progressive du logement étant capable de répondre aux problématiques posées par le monde occidental contemporain. The purpose of this thesis is to explore alternatives on how to understand the housing design process in France. The fixed architecture can no longer be able to meet all the needs of users and all the problems posed by the city. I then began my research through the study of an otherness: that of shantytowns. By looking at the intervention strategies put in place to solve the problems related to the informality of these neighborhoods, I discovered the concept of "incremental" architecture. This strategy recently democratized thanks to the Pritzker Prize of the Chilean architect Alejandro ARAVENA, has been widely praised by the international press. This social approach, which claims to be able to address the problems of poor housing by engaging the community in the process, is based on defined principles. The work of this memoir consists first of all in identifying the various elements that make this architecture effective and relevant, but also in raising the limits and criticisms to which it is subject. This study then constitutes the basis of reflection on which the reinterpretation of the model rests in the context of a developed country. Through various examples and figures, the objective is to determine the architectural principles to put in place to propose a strategy of progressive construction of housing being able to answer the problems posed by the contemporary western world.
INCRÉMENTAL RÉINTERPRÉTATION Incremental Reinterpretation
ALTERNATIVE Alternative
LOGEMENT Housing