Cliopsy - N° 21 avril 2019

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revue électronique

clinique d'orientation psychanalytique dans le champ de l'éducation et de la formation

ISSN 2100-0670

n°21 avril 2019


Comité de rédaction Directrice de publication Claudine Blanchard-Laville (Cref, Paris Nanterre) Rédacteur en chef Louis-Marie Bossard (Cref, Paris Nanterre) Secrétaires de rédaction Patrick Geffard (Circeft, Paris 8) Catherine Yelnik (Cref, Paris Nanterre) Françoise Bréant (Cref, Paris Nanterre) Arnaud Dubois (EMA, Cergy-Pontoise) Laurence Gavarini (Circeft, Paris 8) Caroline Le Roy (Circeft, Paris 8) Bernard Pechberty (EDA, Paris Descartes) Illaria Pirone (Circeft, Paris 8)

Comité scientifique Jacques Arveiller, université de Caen José Luis Atienza, université d'Oviedo (Espagne) Alan Bainbridge, Canterbury Christ Chruch University (Grande-Bretagne) Serge Boimare, centre Claude Bernard Michèle Bourassa, université d'Ottawa (Québec) Teresa Carreitero, université fédérale Fluminense (Brésil) Mireille Cifali-Bega, université de Genève (Suisse) Christophe Dejours, Conservatoire National des Arts et Métiers Leandro de La Jonquière, université Paris 8 et de Sao-Paulo (Brésil) † Dominique Fablet, université Paris Ouest Nanterre La Défense † Jean-Claude Filloux, université Paris Ouest Nanterre La Défense Charles Gardou, université Lyon 2 Jean-Luc Gaspard, université Rennes 2 Haute Bretagne Florence Giust-Desprairies, université Paris VII Michèle Guigue, université Lille 3 Cristina Kupfer, université Sao-Paulo (Brésil) Martine Lani-Bayle, université de Nantes Isabelle Lasvergnas, UQAM Montréal (Québec) Serge Lesourd, université de Strasbourg François Marty, université Paris Descartes Denis Mellier, université de Franche-Comté Patricia Mercarder, université Lyon 2 Sylvain Missonnier, université Paris Descartes Jean-Sébastien Morvan, université Paris Descartes † Jacques Natanson, université Paris Ouest Nanterre La Défense † Jacques Nimier, université de Reims Annick Ohayon, université Paris 8 Dominique Ottavi, université Paris Nanterre Françoise Petitot, psychanalyste Sylvia Radosh, université de Xochimilco (Mexique) Renata Salecl, université de Lubjana (Slovénie) André Sirota, université Paris Nanterre Marta Souto, université de Buenos Aires (Argentine) André Terrisse, université Toulouse Jean Jaurès Mariette Théberge, université d'Ottawa (Québec) Angela Verdanyan, université d'Erevan (Arménie) Linden West, Canterbury Christ Church University (Grande-Bretagne)


Sommaire Éditorial Claudine Blanchard-Laville et Louis-Marie Bossard

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Articles de recherche Dix ans de parution de la revue Cliopsy Louis-Marie Bossard

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La balade des mots clés Caroline Le Roy

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Les usages de la notion de médiation dans la revue Cliopsy Arnaud Dubois

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Clinique et écriture dans la revue Cliopsy Françoise Bréant

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L’adolescence : une thématique de recherche en progression en sciences de l’éducation Antoine Kattar

55

À propos de l’usage du terme « dispositif » dans la revue Cliopsy Patrick Geffard

63

Les études psychanalytiques en éducation et formation au Brésil. Pour une conversation entre cousins transatlantiques Léandro de Lajonquière

79

Mise en scène de la parole magistrale dans un cours de philosophie Dominique renauld

89

Icare et ses prothèses. Itinéraire d’un adolescent « augmenté » Catherine Weismann-Arcache

105

Une alternative à l’injonction de mise à distance des affects : une forme de « professionnalisation clinique » Mej Hilbold

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Parcours de chercheur D’une position de professionnelle du travail social à une position de chercheuse clinicienne Narjès Guetat-Calabrese

135

Entretien Entretien avec le comité de rédaction restreint de la revue Cliopsy Caroline Le Roy et Léandro de Lajonquière

151

Autres écrits Recensions Thèses Résumés - Abstracts

167 177 181


Revue Cliopsy, n° 21, 2019

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Éditorial

Dix ans se sont écoulés depuis le premier numéro de la revue Cliopsy proposé en avril 2009. Nous voici en 2019 et vingt numéros ont été mis en ligne à dates fixes, 30 avril, 30 octobre ; ces dates-limites n’ont pratiquement jamais été transgressées grâce à l’opiniâtreté de notre rédacteur en chef. C’est en nous retournant sur cette période pour penser à la confection de ce nouveau numéro-ci, le numéro 21, avec lequel nous souhaitions marquer cet anniversaire, que nous avons pris conscience du travail réalisé : tout d’abord par nous, les membres du comité de rédaction ; mais aussi par tous les collègues qui nous ont soutenus avec la réalisation de leurs expertises pour faire nos choix parmi les propositions d’articles reçues ; et surtout par les auteures et les auteurs qui, grâce à leur créativité et leur rigueur, ont alimenté ces vingt parutions. Ce n’est que lorsque nous avons lu les résultats des comptages et des analyses effectués par Louis-Marie Bossard dans le texte que nous publions en entrée de ce numéro 21 que nous avons commencé à réaliser plus précisément le voyage effectué depuis 2009. Tout au long de la traversée de ces dix ans, la première question que nous avions en tête après chaque mise en ligne d’un numéro était : « comment confectionner le prochain numéro pour qu’il soit de bonne tenue, intéressant et cohérent ? » Cette question était immédiatement suivie de celle-ci : « Comment faire pour que ce numéro s’inscrive pleinement dans notre ligne éditoriale et nous aide à circonscrire le périmètre du champ de la clinique d’orientation psychanalytique en éducation et formation tout en montrant la richesse et la diversité des travaux de ce courant de recherches ? » On le voit, nous avions les yeux rivés vers l’avant, soucieux avant tout de la suite à donner. Sans abandonner aujourd’hui cet objectif, les informations que nous mettons en lumière dans les pages qui suivent consacrées aux dix années passées devraient nous aider – et nous espérons qu’il en sera de même pour les lecteurs et les lectrices – à préciser ce qui n’était pour nous que des impressions fugitives du voyage aperçues par la fenêtre du train. Nous proposons ainsi quelques photos, sortes d’arrêts choisis sur images.

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Claudine Blanchard-Laville et Louis-Marie Bossard

Après la typologie de l’ensemble des textes publiés au cours de ces dix ans proposée par Louis-Marie Bossard et la manière dont il fait ressortir quelques caractéristiques des auteur·e·s des articles de recherche et des recensions, nous sommes invités à une balade, toute personnelle, proposée par Caroline Le Roy. À partir des 551 mots clés liés aux articles de recherche, elle propose un parcours singulier qui donne à voir la diversité des réalités éducatives et cliniques dont ces mots clés rendent compte. Cette balade très originale à travers ce que les auteur·e·s ont choisi de souligner au fil des parutions prend parfois des allures de course d'orientation dans le foisonnement dû à la très grande variété des termes retenus. Les quatre textes qui suivent sont très largement centrés sur une notion chère à chacun·e de leurs auteur·e·s. Ainsi, Arnaud Dubois se penche sur les usages dans la revue, depuis sa création jusqu’au numéro 17, de la notion de médiation. À partir d’une recherche menée dans le cadre de la rédaction de sa Note de synthèse pour l’Habilitation à diriger des recherches, il commence par rappeler quelques éléments sur l’usage de la notion de médiation dans les sciences de l’éducation et souligne comment cette notion a été au centre de nombreux travaux assez vite après la création de la discipline. Il présente ensuite la manière dont il en analyse les usages dans la revue Cliopsy et repère cinq acceptions de la notion dans les articles de recherche. Ce qui lui permet de constater que beaucoup d’auteur·e·s font usage de cette notion sans la référer explicitement à un champ théorique. Françoise Bréant propose ensuite une relecture des treize articles portant sur l’écriture parus dans la revue Cliopsy entre 2009 et 2019. Après quelques repérages quantitatifs, elle témoigne des résonances avec ses propres travaux cliniques sur l’écriture réflexive et identifie des points de convergence avant de repérer les auteur·e·s de différents courants psychanalytiques les plus cités. Elle reprend alors plus en détail quelques passages d’articles publiés dans la revue qui l’inspirent plus particulièrement. Antoine Kattar s’intéresse au thème de l’« adolescence » tel qu’il apparaît dans les 20 premiers numéros de la revue Cliopsy. Pour cela, il repère les articles où figure le mot se rapportant à cette thématique, soit sous sa forme adjectivée « adolescent·e·s », soit sous sa forme nominale « adolescence » ; il en compte 27, ce qui constitue une part non négligeable de l’ensemble des articles de recherche publiés. À partir de la présentation des articles retenus, l’auteur distingue les disciplines universitaires d’inscription des auteur·e·s et trois grandes tendances qui se dégagent à la lecture de ces articles.

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Éditorial

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À partir du relevé des occurrences du terme « dispositif » dans le corps des articles de recherche des vingt premiers numéros de la revue Cliopsy, Patrick Geffard étudie ce que désigne ce terme et les usages qu’en font les auteur·e·s. En prenant appui sur quelques exemples à partir de citations tirées des articles, il repère ainsi trois registres principaux au sein desquels le mot apparaît. Tout en remarquant que ces registres ne découpent pas des zones imperméables les unes aux autres, il note aussi que de nombreux dispositifs présentés dans les pages de Cliopsy lui sont apparus comme des créations singulières. Il termine enfin par une réflexion sur la notion de dispositif dans le contexte de ses propres travaux. Après ces quatre perspectives, en sa qualité de rédacteur en chef de la revue Estilos de Clinica – revue brésilienne en quelques points comparable à la revue Cliopsy – Léandro de Lajonquière apporte son point de vue « étranger ». Il commence par présenter les grandes lignes du développement des études psychanalytiques en éducation et formation au Brésil, depuis l’arrivée de l’invention freudienne jusqu’à aujourd’hui. Ce qui lui permet de faire apparaître comment ce qui est singulier de ce champ au Brésil et ce qui le différencie du courant français de l’approche clinique d’orientation psychanalytique résulte à la fois des débats internes au développement de la psychanalyse au Brésil, des particularités du système d’éducation et de formation de ce pays et des idiosyncrasies propres à la langue brésilienne. Trois articles « varia » sont ensuite proposés aux lecteurs et aux lectrices. Lui-même professeur de philosophie, Dominique Renauld explore certains aspects du discours tenu par une professeure de philosophie de l’enseignement secondaire qu’il a rencontrée dans le cadre d’une recherche liée à sa thèse et consacrée à la manière dont des professeurs de philosophie vivent l’acte d’enseigner leur discipline. Partant d’une élaboration psychique de ressentis contre-transférentiels en résonance avec plusieurs éléments d’énonciation du discours de cette enseignante qui concernent le spectacle et la mise en scène, l’auteur analyse des mécanismes psychiques inconscients qui semblent sous-tendre l’évocation, par cette professeure, d’une certaine théâtralisation de sa pratique d’enseignement. Catherine Weismann-Arcache propose ensuite une réflexion sur l’impact de la révolution numérique sur les nouvelles représentations de l’enfance et de l’adolescence, tant à l’école qu’au sein de la famille. Pour cela, elle se penche plus particulièrement sur l’enfant à haut potentiel intellectuel qu’elle considère comme une figure de l’enfant « augmenté ». Puis elle illustre son propos par une étude longitudinale du matériel qu’elle a recueilli, en tant

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Claudine Blanchard-Laville et Louis-Marie Bossard

que psychologue, à l’aide de tests psychologiques auprès d’un garçon rencontré à l’âge de 9 ans, 13 ans et 19 ans. Enfin, partant du constat que, dans un contexte de « féminisation » massive du secteur de l’accueil de la petite enfance, la professionnalisation des professionnel·le·s de crèche s’accompagne le plus souvent d’une injonction de mise à distance des affects, Mej Hilbold aborde quelques enjeux des processus de professionnalisation dans ce secteur. Elle confronte pour cela deux visions de la professionnalisation, l’une d’inspiration sociologique, l’autre d’inspiration clinique. À partir d’un entretien avec une auxiliaire de puériculture et en lien avec une observation longue de ce milieu, l’auteure indique que les professionnels inventent des positionnements plus ou moins en décalage avec le discours injonctif et s’efforcent de garder une part de « jeu » leur permettant d’accueillir l'enfant et sa famille. Après ces articles de recherches, la rubrique « Parcours de chercheur » vient compléter ce numéro 21. Sollicitée par un des membres de son jury de thèse à en écrire quelque chose, Narjès Guetat-Calabrese retrace son cheminement l’ayant conduite à opérer une distinction entre démarche clinique d’accompagnement et démarche clinique de recherche. L’ensemble des textes venant marquer l’anniversaire des dix ans de la revue se termine par un entretien : Caroline Le Roy et Léandro de Lajonquière ont interrogé trois des membres du comité de rédaction de la revue. Ainsi, Claudine Blanchard-Laville, Catherine Yelnik et Louis-Marie Bossard retracent l’histoire de la création et du développement de la revue avant de suivre plus en détail le cheminement d’un article depuis le moment où il est reçu par le comité de rédaction jusqu’à sa publication effective. Les rubriques habituelles, les recensions puis les résumés des thèses et des articles de recherche, viennent clore ce numéro. Les recensions ont été rédigées par : Marc Guignard à propos du livre de Patrick Geffard, Expériences de groupes en pédagogie institutionnelle, et Cathy Luce pour L’éducation inclusive : un processus en cours de Magdalena Kohout-Diaz. Les thèses concernent Céline Rössli (Les pratiques d‘écriture des éducateurs spécialisés : perspectives cliniques), Dominique Renauld (Enseigner la philosophie au lycée. Hypothèses cliniques d’orientation psychanalytique), Sylvie Tricas Barrio (« Souffrance d’enseigner », « avec ou contre », les troubles du comportement des élèves. Vers une Plasticité Posturale Psychique de l’Enseignant), Narjès Guetat-Calabrese (Diriger une Maison

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d’Enfants à Caractère Social. Regard clinique sur la fonction de direction) et François Le Clère (Le travail du lien éducatif. Recherche socio-clinique d’orientation psychanalytique à partir d’interventions aux côtés de professionnels impliqués dans des dispositifs dédiés aux adolescents décrocheurs). En rejoignant Jean-Bertrand Pontalis, ce psychanalyste-écrivain si inimitable et si inégalé dans ses écrits autour du temps, souhaitons-nous de continuer à garder les yeux sur la ligne d’horizon, tout en pensant qu’avec l’évocation du passé qui a été tentée dans ce numéro, nous puissions nous dire collectivement que « ce retour en arrière [nous] porte en avant » (1997, p. 13) et souhaitons qu’« entre mouvements et immobilité, bon vent et vents contraires, tempêtes et bonace, la traversée se poursuive, pourvu que l’embarcation et ses passagers tiennent le coup ! » (Id. p. 65) Bon anniversaire et bonne lecture, Claudine Blanchard-Laville et Louis-Marie Bossard

Pontalis, J.-B. (1997). Ce temps qui ne passe pas. Paris : Gallimard.

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Dix ans de parution de la revue Cliopsy

Louis-Marie Bossard

Comment rendre compte du contenu de vingt numéros d’une revue ? C’est la question que je me suis posée lorsque j’ai réalisé que la revue Cliopsy passait le cap de ses dix ans d’existence.

Introduction Les termes mêmes de la question sont à interroger : que peut-on entendre par rendre compte du contenu d’une revue ? S’agit-il d’être exhaustif, de proposer une synthèse condensée ? Faut-il choisir des écrits qui seraient particulièrement marquants ou alors représentatifs de l’ensemble ? De manière plus globale, faut-il tenter – et est-ce souhaitable – d’approcher d’une restitution qui présente une certaine objectivité ? Faut-il s’efforcer de repérer ses propres ressentis afin de les tenir à distance ou, à l’inverse, de n’écrire qu’en fonction d’eux ? Bref, comment appréhender toutes ces pages mises en ligne durant ces dix années ? J’ai choisi d’essayer de me mettre à la place d’un lecteur découvrant la revue et souhaitant en analyser le contenu à partir d’éléments mesurables. Or, j’ai à peine commencé à essayer de réfléchir à une manière de procéder selon cette perspective que déjà de nouvelles questions émergeaient. Par exemple, si l’on veut comptabiliser le total des pages, sachant que les pages blanches n’ont pas de contenu et qu’elles sont pourtant nécessaires à la mise en page de la revue, faut-il compter toutes les pages ou seulement celles noircies en excluant les pages blanches ? Le clinicien que je suis n’est pas très surpris de constater que toute mesure n’est pas en soi objective et c’est l’occasion de me rendre compte, une fois de plus, que ce que je présenterai comme des éléments de réponse à la question initiale va dépendre à la fois de la précision de mes prises d’information et de mes choix. Pourtant, ayant successivement occupé les places de secrétaire de rédaction puis de co-rédacteur en chef avec Jean-Luc Rinaudo et enfin de seul rédacteur en chef, je dois bien avoir une certaine connaissance du contenu que je cherche à approcher. Or, je ne sais pas ce que je sais. J’ai évidemment des impressions et des souvenirs, mais ce sont des éléments — 11 —


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un peu flous, assez impalpables et qui ne peuvent pas rendre compte des contenus de la revue pour le lecteur duquel j’ai imaginé prendre la place : ces souvenirs sont plutôt liés à l’histoire vécue durant plus de dix ans au sein du comité de rédaction de la revue et plus particulièrement liés aux moments qui préparent la confection d’un numéro et précèdent sa mise en ligne. Dix ans, vingt numéros publiés, un total de 2782 pages numérotées, ce n’est pas rien ! Pour commencer, j’ai décidé d’identifier les éléments qui pouvaient se rapporter à chaque texte publié : rubrique, titre, mots-clés, renseignements concernant l’auteur (nom, sexe, nationalité, université de rattachement, etc.). Même si c’est très fastidieux, établir un tableau regroupant toutes les données que l’on peut attacher à un texte paraît simple et finalement assez facile. Ici, le tableau comporte 14 colonnes et 194 lignes. Cela fait environ 2500 cellules renseignées. En plus de l’interrogation concernant le choix de ces critères, le travail s’est accompagné d’une foule de questions sans doute liées à ma position de clinicien. Tout cela vaut-il la peine d’être mesuré ? Est-ce ce qui est mesurable qui compte vraiment ? Au bout du compte, que puis-je découvrir que je n’ai pas envie de savoir ou, à l’inverse, que je souhaite trouver et comment cela peut-il m’amener à utiliser ou modifier mes critères de mesure ? Et surtout, ce que renferment toutes les cellules du tableau est-il le plus important ? Que dire, par exemple, de l’énergie et du temps passé pour confectionner ces vingt numéros, tant par les auteurs, les experts, les correcteurs ? Est-il seulement possible d’imaginer les mesurer ? Et puis, comment mesurer aussi l’apport, l’écho, les résonances des articles chez les lecteurs ? On aura compris que ce que je pourrai dire du contenu de ces dix ans de parution de la revue Cliopsy ne sera que très partiel et forcément subjectif. Pour autant, il m’apparaît que ce travail peut être source de réflexions à venir, tant pour les lecteurs que pour les membres du comité de rédaction. C’est la raison pour laquelle je me suis attaché à présenter avec rigueur les données que j’ai retenues. Je reste en effet persuadé que si l’on veut rendre crédibles des hypothèses interprétatives, on ne peut pas s’accommoder de données dont les critères de choix dans leur recueil ne sont pas précis. Une fois mes choix explicités, les informations qui suivent sont essentiellement le résultat de comptages.

Typologie des textes publiés Cette typologie établie avec l’aide d’Arnaud Dubois repose sur les titres des rubriques tels que l’on peut les trouver dans les sommaires de chaque numéro.

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Dix ans de parution de la revue Cliopsy

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Éditoriaux Chaque numéro s’ouvrant sur un éditorial, ceux-ci sont au nombre de 20. Parmi eux, 3 sont signés « Le Comité de rédaction », 1 est signé « La rédaction », 4 sont l’œuvre d’un membre du comité de rédaction seul, 2 sont signés par au moins deux membres du comité, 4 le sont par au moins un membre du comité accompagné du rédacteur en chef et 6 sont l’œuvre du rédacteur en chef seul. En première approximation, cette répartition ne m’apparaît pas significative : seule la conjoncture présente au moment du bouclage de chaque numéro et de sa mise en ligne a présidé à ce choix.

Articles de recherche La dénomination « Articles de recherche » apparaît dans le numéro 12. Cette rubrique était initialement intitulée « Recherches », puis « Recherche » (nos 7 et 9). Les articles la composant sont également regroupés sous l’appellation « Dossier » (nos 8 et 10) et « Du colloque Cliopsy 2013 » (n° 11). Il s’agit de textes inédits publiés après expertises par deux lecteurs qui ne savent pas qui sont les auteurs (résultat de l’anonymisation des propositions d’articles). Ils présentent des résultats de recherche dans le domaine de l’enseignement, de l’éducation ou de la formation, font référence à la psychanalyse et comportent l’analyse d’un matériel empirique. Leur taille ne dépasse qu’exceptionnellement 50 000 caractères (espaces comprises), la limite donnée dans les consignes aux auteurs étant de 45 000 signes. 129 textes sont à ranger dans cette rubrique, soit qu’ils apparaissent effectivement sous cette appellation, soit qu’ils soient publiés dans des dossiers. Ils sont présents dans chaque numéro, leur nombre variant de 4 à 9, le plus souvent ils sont au nombre de 6, avec une exception pour le numéro 6 de la revue (2011) publié à la suite d’un colloque qui s’est tenu en Angleterre : les textes sont écrits en anglais et ce numéro compte 15 textes. À chaque fois qu’un même texte a été publié en deux langues différentes – la langue originale et en français pour le texte traduit –, je l’ai compté comme s’il s’agissait de deux articles pour le(s) même(s) auteur(s) puisqu’il a été expertisé pour chaque langue. Présentant une forme très singulière, la bibliographie signée ARAPP dans le numéro 17, bien qu’étant parue dans la rubrique « Articles de recherche », n’a pas été retenue dans ce décompte. La question « qu’est-ce qu’un article de recherche ? » souvent discutée au sein du comité de rédaction de la revue est toujours d’actualité. Le texte de la conférence de Claudio Neri dans le numéro 9 a un statut particulier de ce point de vue : deux textes sont publiés, le premier en italien, le second issu d’une lecture de la traduction française de son texte par l’auteur, lecture commentée, enregistrée et transcrite avant d’être en partie reprise pour la traduction de certains termes. On peut dire que s’il s’agit bien de deux textes de recherche, ce n’est pas au sens classique.

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Louis-Marie Bossard

Jeunes chercheurs Cette rubrique n’est présente que dans le premier numéro pour un seul texte (compté ci-après parmi les articles de recherches). Elle correspondait au souhait de marquer la présence d’auteurs ayant récemment soutenu leur thèse. Il nous est très vite apparu peu utile de maintenir cette distinction. Entretiens Dès le premier numéro, il s’est agi d’entretiens menés par un·e seul·e intervieweur·euse qui allait rencontrer une des personnes que nous considérons comme importantes dans notre courant et ce, afin de recueillir le témoignage de son cheminement. À partir de l’entretien avec Nicole Mosconi (n° 5), il est arrivé que les intervieweurs soient deux, voire trois. Tous les entretiens ont été enregistrés et transcrits, puis mis en forme par les intervieweurs, enfin relus et révisés par la personne interviewée avant leur mise en forme définitive. On note le cas particulier de l’entretien avec Jacques Natanson (n° 9) effectué en présence de Madeleine Natanson qui intervient à plusieurs reprises. À partir de 2013, le vivier des interviewé·e·s a été élargi à des universitaires qui ne se réclament pas du champ des sciences de l’éducation : ils sont issus de disciplines voisines et leurs travaux portent sur des thématiques proches de l’éducation ou de la formation. De même, on note que deux interviewé·e·s ne sont pas universitaires. Tous ont été retenus dans la mesure où ils ont contribué de manière significative à l’évolution de notre réflexion. Sont également récemment apparues de nouvelles formes d’entretiens : avec Janine Puget (n° 18), il s’agit d’un entretien public mené par trois intervieweurs. Le dernier (avec Eugène Enriquez, n° 20) est aussi un entretien public mené cette fois par deux chercheurs. De manière générale, les notions abordées lors des entretiens nourrissent nos questions de recherche et sont susceptibles de nous aider dans nos propres travaux. 13 textes ont été publiés dans cette rubrique, 7 numéros ne comportent donc pas d’entretien.

Parcours de chercheur Cette rubrique a été inaugurée en 2012 avec le texte de Hubert Vincent dans le numéro 8, suivi par celui de Christian Sarralié dans le numéro 9. La rubrique ne réapparaît que dans le numéro 20 avec le texte de Françoise Bréant. Harmoniques Il s’agit là d’une rubrique assez récente puisqu’elle n’apparaît qu’en 2016 dans le numéro 16. Elle est d’ailleurs présentée dans l’éditorial de ce numéro. Inaugurée avec le texte de Dominique Ottavi, on y trouve ensuite des textes de Hubert Vincent (n° 18) et de Gabriela Patiño-Lakatos (n° 19).

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Dix ans de parution de la revue Cliopsy

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Ces trois textes étant à rapprocher de ceux des articles de recherche, ils seront comptabilisés avec eux dans la suite de cette étude.

Reprises C’est la rubrique la plus récente puisque son apparition date de 2018. Présentée dans l’éditorial du numéro 19, elle ne comporte que des textes anciens déjà publiés. C’est le texte d’introduction d’Arnaud Dubois pour le texte de Hans Zulliger qui l’inaugure dans ce numéro 19. Elle donne ensuite à lire un texte d’Eugène Enriquez dans le numéro 20. Il est à noter qu’alors que cette rubrique n’existait pas encore, des textes anciens avaient déjà été publiés : il s’agit des deux textes de Jacky Beillerot publiés dans le numéro 12 qui, pour cette raison, seront comptabilisés dans cette rubrique. Autres écrits Dans la revue Cliopsy, cette rubrique regroupe les recensions d’ouvrages, les présentations de thèses et d’HDR, les appels à contributions et quelques textes divers. On la rencontre dans tous les numéros sauf dans le numéro 10. La partie « Recensions » est absente 4 fois ; dans les 16 numéros où on la trouve, une fois sur deux, elle comporte la recension de 2 à 4 ouvrages. La longueur des textes se situe le plus souvent entre 8 000 et 15 000 signes (espaces comprises). Sauf pour le numéro 16, la partie « Thèses et HDR » est toujours proposée par Catherine Yelnik ; la rubrique n’est absente que trois fois. Au total, sont présentés 50 résumés de thèses et 13 résumés de notes d’Habilitation à Diriger des Recherches. On trouve cinq appels à contributions : deux pour des colloques internationaux d’actualité de la clinique d’orientation psychanalytique en sciences de l’éducation et trois autres pour des dossiers à venir qui seront publiés dans la revue. Restent 9 textes divers (comptes rendus, témoignages, etc.) qui n’entrent dans aucune catégorie.

Résumés Cette rubrique est toujours présente et se situe à la fin de chaque numéro ; elle ne concerne que les articles de recherche. Les résumés sont accompagnés de mots-clés dont le nombre varie de 3 à 8 avec une tendance marquée des auteurs à se limiter à 5. En plus des résumés en français et en anglais, on trouve quelques résumés en italien et en portugais. Le total de ces courts textes (le plus souvent autour de 1000 signes) est de 120 ; il y a donc 9 articles de recherche qui ne sont pas accompagnés d’un résumé (dans les nos 6, 9 et 11), principalement d’auteurs étrangers.

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Louis-Marie Bossard

Récapitulatif Compte non tenu des résumés, les ensembles qui rassemblent les textes les plus nombreux sont : les textes sous l’appellation « articles de recherches » (133 textes), les résumés de thèses et d’HDR (63), les recensions (29), les éditoriaux (20) et les entretiens (13). Viennent ensuite les textes divers (9), les reprises (4) et les parcours de chercheurs (3).

Les auteurs des textes Pour l’analyse qui va suivre, les résumés de thèses et d’HDR n’ont pas été retenus. On peut cependant remarquer que cet ensemble ne mentionne que des auteurs qui inscrivent leurs travaux dans le champ de la clinique d’orientation psychanalytique en éducation et formation. Les auteurs des éditoriaux appartiennent tous au comité de rédaction. Trois éditoriaux sont signés par « Le comité de rédaction » et un par « La rédaction ». Les 16 autres sont signés nominativement : 10 fois par une seule personne et 6 fois par plusieurs personnes, ce qui donne un total de 24 signatures qui sont le fait de 8 membres du comité de rédaction. Parmi les 13 entretiens publiés, 7 ont été réalisés par une seule personne, 4 par deux intervieweurs et 2 par trois intervieweurs, ce qui donne un total de 21 signatures d’intervieweurs. Parmi les signataires, 4 ne sont pas membres du comité de rédaction, les 17 autres étant membres de ce comité au moment de la passation de l’entretien et de sa publication.

Les auteur·e·s des articles de recherche Les 133 textes regroupés dans cet ensemble sont signés le plus souvent par une seule personne. Ainsi, 103 textes sont en nom propre tandis que 22 sont signés par deux personnes et 8 portent trois ou quatre signatures. On rencontre 85 auteur·e·s différent·e·s pour les 103 articles de recherche écrits en nom propre. Parmi elles/eux, 16 auteur·e·s ont publié deux articles et une seule en a publié trois. Les 30 articles collectifs font apparaître 70 signatures. Parmi celles-ci, on retrouve 20 signatures appartenant à 16 auteur·e·s ayant aussi publié en leur nom propre. On note aussi que 6 auteures totalisant 13 signatures ont participé à plusieurs écrits collectifs sans avoir de texte en nom propre. Ces décomptes successifs permettent de constater que 128 auteur·e·s différent·e·s ont au moins signé une fois un des 133 textes. On peut remarquer que le nom d’un membre du comité de rédaction apparaît parmi les signataires de 26 publications (sur 133) et, comme il n’y a qu’un écrit où ils sont 2 à signer, le nombre total de signatures des membres du comité de rédaction est de 27 (sur 173 signatures en tout). Si l’on affine ces décomptes, on constate que les membres du comité de rédaction ont 18 écrits en nom propre (sur 103) et apparaissent dans 9 écrits collectifs (sur 70) — 16 —


Dix ans de parution de la revue Cliopsy

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Le sexe des auteur·e·s d’articles de recherche Pour les 103 articles de recherche écrits en nom propre, les 85 auteur·e·s se répartissent ainsi : 45 femmes auteures de 56 articles et 40 hommes auteurs de 47 articles. Concernant les 70 signatures des 30 articles collectifs, elles se répartissent entre 50 signatures féminines et 20 masculines. Les 20 signatures dues aux 16 auteur·e·s ayant aussi publié en nom propre sont 8 fois féminines et 12 fois masculines et les 37 signatures d’auteur·e·s ayant participé une seule fois à un écrit collectif sont 29 fois féminines et 8 fois masculines. Ainsi, les 133 articles de recherche sont l’œuvre de 80 auteures femmes et 48 auteurs hommes. On peut remarquer que la répartition femme – homme est proche de l’égalité pour les écrits en nom propres (45 – 40) tandis que l’écart est très net pour les auteur·e·s d’écrits collectifs n’ayant pas d’articles en nom propre (35 – 8). On constate également que plus d’une femme sur deux (41 sur 80) a participé à un écrit collectif et seulement à peine plus d’un homme sur trois (18 sur 48). Ainsi, sur les 30 articles de recherche signés à plusieurs, 17 le sont uniquement par des femmes, 5 uniquement par des hommes et 8 sont mixtes.

La nationalité des auteur·e·s d’articles de recherche Si 81 des 128 auteur·e·s sont de nationalité française, on rencontre 47 auteur·e·s de 12 autres pays : Angleterre (9), Argentine (2), Brésil (15), Canada (1), Espagne (1), Italie (11), Luxembourg (2), Mexique (2), Norvège (1), Suisse (1), Turquie (1), Uruguay (1). Plus d’un·e auteur·e sur trois n’est donc pas de nationalité française. On peut noter que les auteur·e·s étranger·e·s signent souvent à plusieurs puisque l’on en compte 33 dans ce cas (sur 47), ce qui les amène à représenter près des trois quarts des auteur·e·s des textes collectifs (33 sur 43).

Le statut des auteur·e·s d’articles de recherche La parution des vingt premiers numéros de la revue s’étalant sur dix ans, le statut de quelques auteur·e·s s’est modifié. On rencontre ainsi un doctorant devenu maître de conférences, une docteure devenue maîtresse de conférences et deux maîtres de conférence (dont un HDR) devenus professeurs. Afin d’être rigoureux, c’est le statut de l’auteur·e au moment de la parution de son article qui a été retenu, ce qui a pour effet de porter le nombre total de références statutaires à 132. Le statut des 128 auteur·e·s d’articles de recherche n’est pas toujours connu. C’est ainsi le cas pour 9 d’entre elles/eux qui signent 4 articles en nom propre et 2 articles collectifs, soit 9 signatures. On rencontre aussi 9 auteur·e·s qui ne sont pas universitaires et qui signent 11 fois pour 10 articles en nom propre et 1 article collectif. Ce qui nous permet de constater que la très grande majorité des auteur·e·s des articles de recherche (110 — 17 —


Louis-Marie Bossard

sur 128) a une relation directe avec l’université et qu’ils signent 153 fois sur le total des 173 signatures répertoriées. On rencontre ainsi 20 doctorant·e·s qui signent 22 fois. Dans ce groupe, 9 auteur·e·s présentent un article en nom propre et 8 signent un article collectif en premier nom. On trouve ensuite 30 docteur·e·s signant 36 fois, 23 articles étant signés en nom propre et 6 articles collectifs en premier nom. Avec 46 articles en tout, les 34 maîtres·ses de conférences (dont 7 HDR) signent 35 articles en nom propre et 3 articles collectifs en premier nom. Quant aux 30 professeur·e·s d’université présents 49 fois, ils signent 24 articles en nom propre et 10 articles collectifs en premier nom. Ces différents comptages font apparaître le fait que c’est aux deux extrémités du parcours universitaire que l’on rencontre le plus d’articles collectifs signés en premier nom : ils représentent près du tiers des productions des doctorant·e·s et le cinquième de celles des professeur·e·s d’université tandis que cette proportion est d’un sixième pour les docteur·e·s et qu’elle tombe à moins d’un dixième pour les maîtres·ses de conférences. À l’inverse, ce sont les docteur·e·s (deux tiers des signatures) et les maîtres·ses de conférences (trois quarts des signatures) qui proportionnellement présentent le plus d’articles écrits en nom propre, cette proportion s’établissant à un sur deux pour les professeur·e·s d’université et à quatre sur dix pour les doctorant·e·s.

Les disciplines des auteur·e·s d’articles de recherche Pour comptabiliser les différentes appartenances disciplinaires de manière certaine, les auteur·e·s pour lesquel·le·s cette appartenance était sujette à interprétation n’ont pas été retenus. C’est en particulier le cas des auteur·e·s du numéro 6 (entièrement en anglais), les dénominations liées aux systèmes non francophones étant souvent difficilement compatibles avec celles de l’université française. Quant aux auteur·e·s n’étant pas universitaires, leurs productions n’ont pas été prises en compte ; 16 auteur·e·s d’au moins un article en nom propre ont ainsi été exclu·e·s de cette recension de même que 11 auteur·e·s d’au moins un article collectif. Pour les 69 auteur·e·s ayant au moins un article en nom propre et pour lesquels il est possible d’indiquer sans erreur la discipline d’appartenance, la discipline la plus représentée est celle des sciences de l’éducation avec 47 auteur·e·s ; la psychologie vient ensuite avec 17 auteur·e·s. Les autres disciplines représentées sont : l’anthropologie (1), la didactique (2), les sciences du langage (1) et les sciences et techniques des activités physiques et sportives (1). Pour les 32 auteur·e·s d’écrits collectifs qui n’ont pas d’écrit en nom propre et pour lesquels il est également possible d’indiquer sans erreur la discipline d’appartenance, la discipline la plus représentée est, là aussi, les sciences de l’éducation avec 19 auteur·e·s, la psychologie comptant 13 auteur·e·s.

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Dix ans de parution de la revue Cliopsy

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Ainsi, sur les 128 auteur·e·s d’articles de recherche, 27 ne peuvent être identifiés dans une discipline sans risque d’erreur, 66 se réclament des sciences de l’éducation, 30 de la psychologie et 5 d’autres disciplines.

Les universités des auteur·e·s d’articles de recherche En plus des auteur·e·s qui ne sont pas universitaires, la mention de leur université de rattachement n’est pas précisée pour 9 auteur·e·s. Les 110 autres sont rattaché·e·s à 45 universités différentes, 26 en France et 19 hors de France. Parmi les universités françaises, celles qui fournissent les plus gros contingents d’auteur·e·s sont les parisiennes : Paris Nanterre (20), Paris 8 St Denis (14) et Paris Descartes (9). L’ensemble du territoire français est ensuite assez bien représenté. La plupart des 19 universités étrangères sont implantées de manière sensiblement égale en Europe et en Amérique du sud.

Les auteur·e·s des recensions La principale raison d’être de la revue étant la publication d’articles de recherche, les recensions sont évidemment de moindre importance. Cependant, leur total (29) étant loin d’être négligeable, leur ensemble donne aussi une idée du contenu de la revue. De fait, tant les ouvrages présentés que les textes qui les présentent sont l’œuvre d’auteur·e·s qui s’inscrivent dans le champ de la revue. Les 29 recensions sont presque toujours signées par une seule personne : seules deux sont écrites collectivement et chaque fois par les deux mêmes personnes. À l’exception d’un auteur qui en signe quatre et d’une auteure qui en signe trois, les 20 autres auteur·e·s ne signent qu’une recension. Les 24 auteur·e·s de recensions se répartissent également entre 12 femmes et 12 hommes. Tou·te·s les auteur·e·s sont de nationalité française, même si deux ouvrages présentés sont en anglais. Les statuts des auteur·e·s sont aussi variés que pour les articles de recherche, mais dans des proportions parfois différentes. Ainsi, 6 auteures sont doctorantes, soit un quart des auteur·e·s de recensions, alors que l’ensemble de cette catégorie représentait moins d’un sixième des auteur·e·s d’articles de recherche. La situation des professeur·e·s d’université étant identique (à peine plus d’un cinquième du total dans les deux cas), ce sont les apports des docteurs (4 recensions) et des maîtres·ses de conférence (7 recensions) qui sont en proportion moins importante que pour les articles de recherche. Notons que les statuts de tous les auteur·e·s sont connus et que deux auteures ne sont pas universitaires. Concernant les universités d’appartenance des auteur·e·s, on retrouve les principales contributrices (Paris Nanterre, Paris 8 St Denis et Paris Descartes) avec chacune 5 auteur·e·s tandis que la province fournit 7 — 19 —


Louis-Marie Bossard

auteur·e·s sans ajouter de nouvelle université. La discipline sciences de l’éducation est de très loin la plus présente avec 17 auteur·e·s. On peut encore remarquer que seulement 5 auteur·e·s sont membres du comité de rédaction, mais qu’elles/ils signent 11 recensions.

Pour conclure Il s’agit moins de conclure que de s’arrêter de compter, même s’il est évidemment possible de poursuivre ces décomptes. En effet, en dehors du fait que le lecteur pourrait commencer à se lasser – si ce n’est pas déjà le cas –, il est nécessaire de se reposer périodiquement la question : ce qui peut être mesuré vaut-il la peine d’être mesuré et est-ce ce qui est mesurable qui compte vraiment ? Je disais au début de ces lignes que de tels décomptes pourraient éventuellement être source de réflexions. Certains des textes des membres du comité de rédaction publiés dans ce numéro en portent peut-être un peu la marque. Pour ma part, ce travail m’aura permis de constater que, durant ses dix premières années d’existence, la revue Cliopsy a effectivement suivi la direction annoncée dans son premier éditorial : elle « offre aux chercheurs confirmés comme aux jeunes chercheurs un espace de valorisation de leurs travaux » et, si elle publie des travaux d’enseignants et de chercheurs se réclamant principalement des sciences de l’éducation, elle donne aussi une place aux chercheurs de disciplines voisines. Ce travail me permet également de souligner que la revue Cliopsy n’est pas une revue attachée à un laboratoire : non seulement les nombreux auteurs étrangers (plus du tiers) lui confèrent une dimension réellement internationale, mais la variété des appartenances universitaires de l’ensemble des auteurs montre qu’il s’agit plutôt du support d’un véritable réseau. En tant que rédacteur en chef, j’ai en même temps pu relever l’importance toute relative des contributions des membres du comité de rédaction à l’ensemble des articles de recherche : seulement 27 signatures sur 173 (18 écrits en nom propre sur 103 et dans 9 écrits collectifs sur 70). Ce travail m’aura enfin amené à imaginer de nouvelles pistes de recherches plus pointues et davantage en lien avec la démarche clinique d’orientation psychanalytique. Par exemple, il serait possible de mener une étude des bibliographies des articles de recherches ; ce qui permettrait, entre autres, d’apporter des éléments de réponse à des questions comme : quels sont les auteurs s’inscrivant dans le courant de la clinique d’orientation psychanalytique en éducation et formation qui sont le plus souvent convoqués pour soutenir les travaux de recherche présentés ? Quels sont les textes des sciences de l’éducation et de la formation auxquels il est fait appel ? Quels sont les psychanalystes régulièrement cités ? De manière plus

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générale, que peut-on en inférer quant au lien entre éducation et psychanalyse ? On le voit, les pistes de recherches ne manquent pas. Aussi, j’encourage vivement les personnes intéressées à se mettre à leur tour au travail.

Louis-Marie Bossard Savoir, rapport au savoir et processus de transmission CREF, université Paris Nanterre Pour citer ce texte : Bossard, L.-M. (2019). Dix ans de parution de la revue Cliopsy. Cliopsy, 21, 11-21.

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La balade des mots clés

Caroline Le Roy

10 ans, 20 numéros, 133 articles de recherche, 551 mots clés. Que racontent ces mots clés du contenu de la revue ? À quelle rencontre avec la clinique1 et la psychanalyse invitent-ils ? Que restituent-ils de la démarche, de ce qu'elle s'emploie à remettre au travail dans les sciences de l'éducation ? Dans les champs de pratiques qui leur sont reliés ? Quel fil tirer pour tenter d'en dégager des tendances ? L'amplitude est telle – 551 mots clés différents pour la plupart – que, même après regroupements entre des formulations ou expressions proches, les fréquences restent très faibles, trop sans doute pour prétendre être suffisamment significatives au plan purement statistique. Ce ne sont donc pas à proprement parler les tendances lourdes qui intéressent le propos ici, mais la diversité des réalités éducatives et cliniques dont ces mots clés rendent compte. Je propose un aperçu du chemin que cette dispersion m'a fait parcourir à travers les articles de recherche, une fois accompli le travail statistique et de regroupement2. Une balade particulière à travers ce que les auteurs ont choisi de souligner au fil des parutions, prenant parfois des allures de course d'orientation dans le dédale formé par cette variété.

Un noyau On peut d'abord percevoir un bloc, se dégageant assez clairement, une sorte de noyau constitué des onze mots clés les plus cités Ainsi, depuis 2009, la revue Cliopsy s'est emparée du champ de l’éducation et principalement celui de l'enseignement largement en tête du palmarès. Elle a transporté ces champs dans ceux de la clinique et de la psychanalyse pour y étudier les phénomènes de groupe et les dynamiques du transfert et du contre-transfert. Elle a porté une attention un peu plus particulière à l'enfance et l’adolescence ; aux professionnels et à l'analyse clinique de leur pratique ; à la question de la formation ; et plus transversalement, aux dimensions du pédagogique, du savoir, de l'apprendre. — 23 —

1. Les termes en italiques correspondent aux motsclés.

2. 11 articles, parmi les 133 articles de recherche parus, ne comportent pas de mots clés (dont 4 articles étrangers et 2 articles de la rubrique Harmoniques). Le nombre de 551 mots clés se rapporte donc à 122 articles, pour lesquels n'ont été comptabilisés que les cinq premiers mots clés indiqués par leurs auteurs.


Caroline Le Roy

Nuage créé avec le générateur en ligne nuagesdemots.fr, après calcul des fréquences et regroupements thématiques et statistiques des formulations ou expressions proches. La taille de la police est proportionnelle à la fréquence d'apparition de chaque mot. Par contre, l'emplacement des mots et les couleurs sont aléatoires, générés automatiquement. Le même procédé s'applique pour les nuages suivants.

À travers champs En s'écartant un peu de cette veine principale, nous pouvons croiser une variété de segments, le plus souvent clairsemés, voire éparpillés, étant

donné que plus de 65% des mots clés ne sont cités qu'une seule ou deux fois ; une constellation inscrite dans la diversité des réalités, systèmes ou formes éducatives : travail social, thérapeutique, école maternelle, éducation musicale, éducation physique et sportive, éducation spéciale, — 24 —


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activités extra-scolaires, politiques sociales, formation à distance, réseau, famille, classes, tutorat, etc. Autant d'espaces où se déploient le rapport élève ou étudiant et enseignants ; adultes et enfants ; équipes et programmes, systèmes, politiques éducatifs et sociaux. Dans cette densité, cependant, un sentier un peu plus dégagé conduit vers certaines questions vives en éducation et formation, telles celles autour de l'éducation inclusive ou encore le décrochage scolaire.

Médiations et dispositifs Une autre piste se dessine, plus nette que la précédente. Médiations et dispositifs (13% des mots clés) jalonnent le parcours, signalent comment la revue propose de saisir les réalités éducatives aussi bien que les méthodologies qui permettent cette appréhension dans le champ de la recherche.

D'un côté, on y retrouve certains classiques de la recherche clinique : Entretien, écriture, observation, intervention. De furtifs détours invitent à revisiter les associations libres ou encore les techniques narratives, le genre monographique, le processus de transcription du chercheur, etc. D'un autre côté, ces dispositifs observent en premier lieu des pratiques professionnelles. Dispositifs d'analyse des pratiques, supervision, conseil, etc. forment le cadre d'un travail d'élaboration après-coup de cette pratique. — 25 —


Caroline Le Roy

En second lieu, l'investigation porte également sur d'autres dispositifs ou médiations éducatifs : pratiques culturelles, artistiques, musicales, littéraires, audiovisuelles, numériques, TIC et forums électroniques... Par moment, dispositif de recherche et dispositif à médiation s’emboîtent. En particulier, ceux de la pédagogie institutionnelle ou, plus à la marge, la pratique du dessin, s'érigeant tantôt comme outils de formation, d'accompagnement, des professionnels ; tantôt comme espaces de construction des données de la recherche. Mais surtout, sur ce chemin, on ne manquera pas de remarquer que l'écrit et l'écriture d'une part, le processus groupal d'autre part, traversent à part égale l'ensemble de ce paysage et représentent chacun plus d'un quart des mots clés se rapportant à ceux que l'on peut regrouper au titre des dispositifs cliniques. Écriture praticienne, réflexive, clinique, créative..., Groupe de réflexion, groupe de parole, groupe de lecture, groupe de soutien, groupe institué, groupe-classe, on agit sur et par le processus d'écriture – d'écriture de la parole – ainsi que sur et par la groupalité.

Un horizon À l'horizon campe une réflexion méthodologique et épistémologique relative à l'orientation et au champ scientifique, clinique et psychanalytique en sciences de l'éducation.

Elle se saisit du cadre théorico-clinique et de celui de l'analyse pour y interroger la production de connaissance, la transmission, le statut de la singularité et de l'interprétation produite à travers narration et narrativité, construction de cas... pour concevoir une éthique de l'étude du lien éducatif. Plus secondairement, ce cadre inscrit dans les sciences du psychisme est également apprécié à partir d'une approche interdisciplinaire ou convoque — 26 —


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d'autres disciplines : anthropologie, philosophie, psychologie, psychosociologie, histoire littérature, sociologie clinique ou sociologie issue de la théorie critique. La revue a ainsi étudié l'acte et le lien éducatifs, du champ pédagogique à la pulsion épistémophilique, également dans ses rapports avec le groupal et les masses, la culture, le socius. Quelques grands noms surgissent pour baliser l'itinéraire : Freud, Winnicott, Bion, Balint, Zulliger, Aichhorn, Devereux, Searles, Arendt, Oury. Rapprochés des éléments bibliographiques des textes de la revue, ces balises dans le chemin des mots clés sont évidemment peu significatives du large spectre des références d'auteurs et des tendances qui s'en dégagent. Mais ceci serait l'affaire d'une autre balade.

Rebroussons chemin À travers tous ces axes de recherche, les phénomènes éducatifs étudiés forment une première ligne directrice.

Quelques phrases pourraient-elles en retracer les contours ? Tentons celles-ci sous forme de questionnement : comment circule la parole dans la relation éducative, et plus largement dans le lien ? De quelle vulnérabilité et de quel malaise dans la scolarisation, dans la construction identitaire, dans l'institution se fait-elle le vecteur jusqu'à parfois les inscrire dans les corps au sein de contextes, d'environnements devenus incertains, maltraitants ? Qu'est-ce qui s'en retrouve altéré dans le rapport au savoir, dans le processus de connaissance, dans l'élaboration de la pensée ? Quel passage trouver pour aider les sujets à reconstruire du sens, se prémunir des décrochages, des abandons ou autres ratages, maintenir du continuum dans l'altérité ?

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Un passage ? Plus de 30% des mots clés (168) peuvent être rattachés plus directement à des processus psychiques inconscients. Parvenant à la dernière étape de cette traversée, c'est une kyrielle de passages que nos auteur-es ouvrent devant nous. La palette des enjeux psychiques que chacun-e propose de rattacher à leur objet trace le mieux le fil d’Ariane de nos 551 mots.

Ce sont majoritairement les mouvements transférentiels (17% des mots clés répertoriés au titre des processus inconscients ; 5,1% de l'effectif total des mots clés) qui, pour partie, organisent cette plongée dans la conflictualité intrapsychique et intersubjective des phénomènes et champs étudiés. Transfert et contre-transfert, inter-transfert, double-transfert, etc. font liaison entre le singulier et le pluriel ; entre émotion, affect, refoulement, désir, conflits sexuels ou liés à la bisexualité psychique ou encore à la latence, et formations groupales ; entre fantasme personnel et imaginaire groupal. Ils relient le sujet, ses enjeux narcissiques, ses fictions, son identité à ses scènes groupales, par effet d'identification, de projection, d'idéalisation, de répétition... orchestrées par un interlocuteur interne qui s'invite à la balade, fidèle compagnon de route depuis la genèse, l'origine, du temps de l'infantile et de l'omnipotence à la socialisation primaire jusqu'à — 28 —


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la constitution du soi-adolescent et bien après à travers leurs traces à l'âge adulte. Certaines tensions se déplacent alors dans l'aire de la relation d'objet, celle du ternaire Réel-symbolique-imaginaire, celle des transactions entre filiation et affiliation aux groupes et à l'institution, où se négocie le contrat narcissique. Chaque étape est susceptible de faire épreuve. Diverses modalités de déliaison (17% des processus psychiques répertoriés) surgissent alors en fonction de la nature des traumas, affectent aussi bien les axes progrédients ou régrédients de la symbolisation. Des acting-out, des excès d'excitation, notamment, témoignent de sentiments de détresse, de deuil à faire, d'identification adhésive, de répétition blanche... ; font effraction, dans le silence de l'élève par exemple, aussi bien qu'à travers des phénomènes de dérive perverse ou encore d'emprise. Avec l'écroulement du sol des évidences, un sillon se creuse davantage conduisant vers plus d'étrangeté au fur et à mesure que le travail du négatif fait œuvre d'incorporation. Clivage, situation-limite, confusion mènent vers une clinique de la lacune (dans la psyché) ou introduit au domaine de la pulsion de mort. En réponse, le champ de l'éducation s'efforce de se déployer comme un espace-temps de transformations psychiques, sur les limites des espaces privés/publics ou dans leur entre-deux. On s'emploie à en capter la tonalité émotionnelle pour en assurer l'étayage, la contenance, introduire du jeu, et apprécier quelle traduction, quelle rêverie, en restituer aux sujets. De ce travail psychique, où le savoir prend les caractéristiques d'un objet transitionnel et d'un objet transgénérationnel, dépend la restauration du processus de subjectivation et d'historisation du sujet, les conditions de sa créativité ; entre désir de savoir et principe de réalité. C'est sur cette poétique du savoir que je propose de terminer cette balade.

Caroline Le Roy CIRCEFT, CLEF-apsi Université Paris 8 St Denis Pour citer ce texte : Le Roy, C. (2019). La balade des mots clés . Cliopsy, 21, 23-29.

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Les usages de la notion de médiation dans la revue Cliopsy

Arnaud Dubois

Une « promenade » Lorsqu’il a été question, entre les membres du Comité de rédaction, de célébrer le dixième anniversaire de la revue Cliopsy, j’ai proposé de rédiger un article sur les usages de la notion de médiation dans la revue depuis sa création. J’ai fait cette proposition au retour du colloque de l’association européenne de recherche en éducation (EERA) qui venait d’avoir lieu à Bolzano, en Italie du Nord. En marge de cette manifestation scientifique, j’ai eu la chance de partager avec quelques collègues et amis, une randonnée sur la « Freud promenade » qui se situe à quelques kilomètres de la capitale du HautAdige. Cette « Promenade » tire son nom du fondateur de la psychanalyse qui, lors de plusieurs étés consécutifs, passa ses vacances dans cette région du sud Tyrol qui faisait alors partie de l’empire d’Autriche-Hongrie. Elle fut inaugurée à l’occasion d’une commémoration : celle du cent cinquantième anniversaire de la naissance de Sigmund Freud. Pour l’atteindre depuis Bolzano, il faut quitter les rives de la rivière Adige qui traverse la ville et prendre de la hauteur jusqu’à Soprabolzano. La « Promenade » est un sentier parsemé de « stations » où le promeneur est invité à se souvenir des séjours de Freud dans cette région en lisant des extraits des textes qu’il y a écrits – articles et correspondances, notamment avec Fliess et Jung. Ma proposition de parcourir les dix-sept numéros de la revue Cliopsy publiés entre 2009 et 2017 pour y repérer les usages de la notion de médiation, ne vise pas seulement à distraire le lecteur ou à une commémoration, à la différence de la « Freud Promenade ». J’espère cependant qu’elle aidera à prendre un peu de hauteur, elle aussi. Ce travail de repérage est le résultat d’une recherche que j’ai menée dans le cadre de la rédaction de ma Note de synthèse pour l’Habilitation à diriger des recherches (Dubois, 2017), dans laquelle j’ai montré comment je considère aujourd’hui le groupe d’analyse de pratiques professionnelles que je mets en place – le groupe d’écriture monographique – comme un dispositif à médiation, dans le sens des travaux développés par le Centre de Recherche en Psychopathologie et Psychologie Clinique (CRPPC) de — 31 —


Arnaud Dubois

l’université Lyon II (Brun, Chouvier et Roussillon, 2013). Le travail de recherche auquel je me suis livré dans la revue Cliopsy visait à situer cette proposition au sein du courant de recherche clinique d’orientation psychanalytique.

1. J’ai effectué cette recherche dans les numéros 1 à 17, publiés au moment de la préparation de mon Habilitation à diriger des recherches.

Je vais commencer par rappeler quelques éléments sur l’usage de la notion de médiation dans les sciences de l’éducation afin de présenter la typologie que j’ai mobilisée pour en analyser les usages dans la revue entre 2009 et 20171.

Dans les sciences de l’éducation Un premier constat s’impose : il n’existe pas de note de synthèse sur la notion de médiation dans la Revue française de pédagogie. Il n’est pas question ici de faire une revue de littérature exhaustive, d’autant que ce travail a été fait en partie par Renaud Hétier dans sa Note de synthèse pour l’Habilitation à diriger des recherches (Hétier, 2017). Pour ma part, j’ai montré dans d’autres publications la place centrale de la notion de médiation dans le courant psychanalytique de la pédagogie institutionnelle, notamment dans les travaux de Francis Imbert, après ceux d’Aïda Vasquez avec Fernand Oury (Dubois, 2019). Je veux seulement souligner ici que la notion de médiation a été au centre de nombreux travaux en sciences de l’éducation depuis les années 1980. Parmi les auteurs qui ont eu recours à cette notion dans leurs travaux en sciences de l’éducation, Philippe Meirieu – aujourd’hui professeur émérite de sciences de l’éducation à l’université Lyon II – en a proposé une définition dès 1987. Dans le glossaire de son livre intitulé Apprendre… oui, mais comment ?, il la définit comme « un point fixe par rapport auquel apprenant et formateur se “mettent en jeu” » (Meirieu, 1987, p. 187). Il ajoute qu’elle « est aussi ce grâce à quoi ils se “dégagent” » (Ibid.). L’influence de la pédagogie institutionnelle est très explicite chez cet auteur, notamment lorsqu’il ajoute que ce sont « des institutions, des règles, des objets » (Ibid.) qui peuvent faire médiation. Pour P. Meirieu, le mot médiation « désigne à la fois ce qui, dans le rapport pédagogique, relie le sujet au savoir et sépare le sujet de la situation d’acquisition. Elle assure ainsi, contradictoirement, mais indissolublement, la transmission du savoir et l’émancipation du sujet » (Ibid.). Pour lui, la médiation, envisagée comme « un point fixe », extérieur aux sujets, doit permettre de déjouer « le danger de la relation pédagogique [qui] peut être un facteur de régression » (Id., p. 95). Parmi ces « points fixes » permettant de médiatiser la relation pédagogique, P. Meirieu repère les institutions de la pédagogie institutionnelle, ou le projet : « en centrant les élèves sur une production, l’on introduit un référent qui médiatise leur relation à l’adulte [pour] éviter les identifications incontrôlées » (Id., p. 99). Pour P. Meirieu, le projet des élèves permet au maître, par « la médiation de la tâche [de ne plus se] confondre avec le savoir » (Ibid.). Dans ses travaux, P. Meirieu prend clairement en compte la dimension groupale de la situation d’enseignement, — 32 —


Les usages de la notion de médiation dans la revue Cliopsy

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comme F. Oury et A. Vasquez avant lui. Selon lui, des « périls » guettent une classe quand s’y établissent « des couples qui s’accomplissent [et] excluent la plupart des élèves » (Id., p. 95). L’influence de la pédagogie institutionnelle est très nette dans ce texte de P. Meirieu et dans son appréhension de la notion de médiation. Les publications de F. Oury avec A. Vasquez et C. Pochet sont citées en référence. Les travaux sur la notion de médiation en éducation se sont multipliés dans les années 1990 (Astolfi, 1996 ; Cardinet, 1995 ; Chappaz, 1995 ; Collectif, 1990) comme en témoignent les publications de F. Imbert que j’ai choisies de situer par rapport à celles de F. Oury et A. Vasquez dans le courant de la pédagogie institutionnelle, mais qui pourraient aussi figurer ici dans la mesure où F. Imbert était Maître de conférences dans cette discipline. C’est aussi à cette époque que Jacky Beillerot a rédigé une notice sur cette notion dans un Dictionnaire encyclopédique de l’éducation et de la formation (Beillerot, 1994/2005). Dans cette notice, il rappelle son origine qui se trouve dans « le recours aux diplomates pour établir des liens entre deux nations en conflit » (Beillerot, 2005, p. 627). Il repère ensuite quatre emplois de la notion de médiation en éducation : « la première sert à interpréter la fonction de l’enseignant [qui] agit pour être l’intermédiaire entre l’élève et les savoirs […] le deuxième usage est explicite dans les “remédiations cognitives” » (Id., p. 628). Le troisième usage concerne « la fonction assurée par certains personnels comme les assistants sociaux » et le dernier est réservé à l’emploi de jeunes adultes nommés « médiateurs éducatifs ou pédagogiques » (Ibid.) dans les établissements scolaires. Depuis 1994, date à laquelle il a écrit cet article, d’autres usages du terme sont apparus et se sont développés. C’est le cas par exemple des élèves médiateurs dans les établissements scolaires, qui ont pour fonction de réguler les conflits entre les membres de la communauté éducative pour désamorcer les situations duelles conflictuelles, avec une visée de responsabilisation des élèves. J’ajoute aujourd’hui le développement de la médiation culturelle et du métier de médiateur culturel dans les institutions artistiques. Dans tous ces cas, la médiation est envisagée comme un intermédiaire, par exemple entre un public et des productions artistiques ou entre un apprenant et les savoirs. Dans sa notice, J. Beillerot cite le travail de F. Imbert en bibliographie et, même s’il ne mentionne pas la pédagogie institutionnelle, il considère que la médiation assure « une fonction indirecte […] Aux relations d’affrontement liées à une vision duelle et dichotomique de la réalité, la médiation offre […] la possibilité de relations plus élaborées, plus raisonnables et moins frontales, donc moins brutales » (Beillerot, 2005, p. 628). Cette position est proche de celle d’Oury et Vasquez, comme celles de P. Meirieu et de F. Imbert. Dans un texte plus récent, Régis Malet, professeur des universités en sciences de l’éducation à l’université de Bordeaux et directeur du laboratoire Cultures, éducation, société, souligne que « la médiation a envahi l’espace social » (Malet, 2010, p. 9) et que cette notion a connu un grand succès dans le champ des recherches en sciences de l’éducation. Dans l’introduction d’un ouvrage qu’il a dirigé sur la notion de médiation à l’école, en lien avec — 33 —


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les réformes curriculaires, il considère que « dans le champ scolaire », son usage désigne deux types d’approches et « indique de façon générale des médiations humaines » (Ibid.). Il situe la première sur un « plan sociocognitif et pédagogico-didactique, celui du processus enseignementapprentisage » : elle concerne « la relation enseignant-enseigné sur le plan de la transmission des savoirs scolaires et sur celui de la construction de savoirs par le sujet apprenant » (Ibid.). Pour lui, dans cette première approche, la médiation scolaire concerne le rôle de l’enseignant qui joue un rôle de médiateur entre les élèves et les savoirs. Il distingue une seconde approche qu’il situe sur un « plan socioéducatif » et « désigne les moyens déployés pour créer du lien social entre les acteurs de l’école » (Ibid.). Il s’agit alors des médiations entre les élèves et l’institution scolaire mises en œuvre par des acteurs qui peuvent être des enseignants.

2. Sur ce point, voir notamment: Clot, Y. (2015). Vigotsky avec Spinoza, audelà de Freud. Revue philosophique de la France et de l'étranger, 140, 205224.

Dans sa Note de synthèse pour l’Habilitation à diriger des recherches, R. Hétier, maître de conférences en sciences de l’éducation à l’université catholique d’Angers, se situe dans une orientation plutôt philosophique : il a fait sa thèse sous la direction de Michel Soëtard et son garant d’HDR était Michel Fabre, tous deux aujourd’hui professeurs émérites en sciences de l’éducation, menant des recherches philosophiques en éducation. R. Hétier distingue cinq usages de cette notion dans le champ de l’éducation. Le premier usage envisage « la médiation comme expérience symbolique » (Hétier, 2017, p. 85). Cette notion de « médiation symbolique » est très marquée par les travaux de P. Ricœur sur le récit et R. Hétier rappelle que pour ce philosophe, « le récit joue […] le rôle d’une médiation décisive » (Id., p. 86). Le second usage de la notion de médiation repéré par R. Hétier relève d’un « point de vue psychologique » (Id., p. 87). Pour R. Hétier, cet usage « psychologique » doit beaucoup aux travaux de Vygotski qu’il ne cite pas directement : les lectures de Lucien Sève et Yves Clot lui servent de référence. De cette lecture de Vigotsky par un philosophe – Lucien Sève – et par un psychologue du travail – Yves Clot –, R. Hétier retient que le psychologue russo-soviétique apporte par son usage de la notion de médiation « une compréhension dialectique de l’intériorité et de l’extériorité » (Ibid.), articulant le « psychisme individuel » (Ibid.) avec la « dimension sociale » (Ibid.). Ce travail mériterait de mon point de vue un approfondissement théorique que je ne peux pas mener ici, mais qui permettrait, me semble-t-il, d’affiner la distinction entre cette approche et celle dans laquelle je m’inscris2. R. Hétier repère un troisième usage qui recouvre ce qu’il nomme « la médiation langagière » (Hétier, 2017, p. 88) : il s’agit d’une approche « psychologique et culturaliste » (Ibid) à la suite des travaux de Jérôme Bruner. Pour ce psychologue américain, le langage constitue une médiation entre « l’enfant et son environnement […] relationnel/interactionnel et culturel » (Ibid). R. Hétier ajoute que, pour Bruner, « la médiation du langage ne se limite pas à la médiation de la langue » (Ibid) : par exemple, « les récits [qui nous précèdent] font médiation dans notre expérience de vie et du monde » (Ibid). La quatrième acception repérée par R. Hétier est « psychopédagogique, notamment avec Serge Boimare » (Hétier, 2017, — 34 —


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p. 89). Même si elle est en marge des sciences de l’éducation dans la mesure où S. Boimare n’est pas chercheur dans cette discipline, je vais m’attarder sur ses travaux dans la mesure où on y trouve les échos d’une approche psychanalytique. La notion de médiation est centrale dans ses publications. Par exemple, dans son ouvrage publié en 1999, intitulé L’enfant et la peur d’apprendre, il évoque un élève « empêché d’apprendre » nommé Guillaume (Boimare, 1999, p. 28), pour lequel il est nécessaire de « faire un détour par l’intérieur de lui-même » (Id., p. 29). Travaillant sur les mythes, l’auteur montre l’évolution de cet enfant qui semble se projeter dans la figure d’Héphaïstos, dieu boiteux, artisan représenté au travail dans sa forge, reflet de l’enfant « qui commence à pouvoir accepter de ne pas savoir, de rencontrer le manque et le doute » (Id., p. 49). Pour S. Boimare, le travail sur les mythes constitue une médiation psychopédagogique. Même s’il n’existe pas encore de note de synthèse spécifiquement sur la notion de médiation en sciences en l’éducation, le travail récent de R. Hétier est très utile pour repérer les usages de cette notion et les approches théoriques dans lesquelles elles s’inscrivent. Il qualifie de « psychanalytique » (Hétier, 2017, p. 89) la dernière acception de la notion de médiation qu’il repère, mentionnant principalement les travaux de F. Imbert. C’est pour aller plus loin dans ce travail de repérage des usages de la notion de médiation qualifiés de « psychanalytiques » par R. Hétier que j’ai choisi de mener une recherche sur les usages de cette notion dans la revue Cliopsy, seule revue référencée en sciences de l’éducation spécifiquement inscrite dans le courant de recherche articulant psychanalyse et éducation.

Dans la revue Cliopsy En 2017, dix-sept numéros de la revue Cliopsy avaient été publiés depuis 2009. La recherche des occurrences du terme « médiation » dans le corpus constitué par ces dix-sept numéros m’a permis un premier repérage. Il faut souligner qu’aucun article parmi les cent dix-huit articles de recherche publiés dans les dix-sept premiers numéros de la revue Cliopsy que j’ai examinés ne porte exclusivement sur cette notion. La plupart des usages qui en sont faits renvoient à ceux déjà repérés dans le champ de la pédagogie institutionnelle et des sciences de l’éducation. Si la période choisie est trop courte (2009-2017) pour tenter de repérer des variations quantitatives dans l’usage du terme « médiation » au cours du temps, j’ai pu néanmoins repérer cinq acceptions de la notion de médiation dans les articles de la revue Cliopsy. Je vais les présenter successivement.

Médiation et pédagogie institutionnelle Dans plusieurs articles, la notion de médiation renvoie aux travaux de F. Oury avec A. Vasquez et à ceux de F. Imbert. Sans surprise, c’est le cas dans les articles où cette notion est mobilisée dans le dossier publié sur la — 35 —


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pédagogie institutionnelle : pour Sylvie Canat (2015, p. 96) comme pour Catherine Pochet (2015, p. 112), médiation est synonyme d’institution, et pour Patrick Geffard, la monographie « en chantier est un objet de médiation » (2015, p. 121). On retrouve aussi cette référence dans les articles de Catherine Yelnik (2012) ou Willy Falla (2013) qui portent en partie sur la pédagogie institutionnelle. Dans son article sur Le groupe dans le monde scolaire, C. Yelnik considère que, dans la pédagogie institutionnelle, « la dimension collective des classes est affirmée avec l’obligation de la réciprocité des échanges, l’accès au symbolique grâce à des médiations et des institutions » (Yelnik, 2012, p. 21). La notion de médiation est implicitement reprise selon le sens que lui donnent les auteurs de ce courant pédagogique, sans qu’il fasse l’objet d’un questionnement par C. Yelnik. C’est le cas aussi dans l’article Groupalité et investissement du dispositif dans la pédagogie institutionnelle publié par W. Falla (2013). Le terme « médiation apparaît deux fois dans son article : la première dans une citation de F. Oury et A. Vasquez définissant la pédagogie institutionnelle (Oury et Vasquez, 1967, p. 248 ; cité par Falla, 2013, p. 38). Ensuite, décrivant une situation de formation, il utilise la notion de « médiation symbolique » (Falla, 2013, p. 46), considérée comme un moyen d’éviter « une logique de face-à-face » (Ibid.), dans la lignée des travaux d’OuryVasquez, comme j’ai pu le montrer précédemment. Ainsi, dans ces articles, la notion de médiation est mobilisée sans précisions théoriques par emprunt au champ de la pédagogie institutionnelle. De mon point de vue, il semble difficile de reprendre, pour désigner les usages de la notion de médiation dans ces articles de la revue Cliopsy, la proposition de R. Hétier à propos du travail de F. Imbert sur cette notion, car il ne s’agit pas réellement « d’une compréhension psychanalytique de la médiation » (Hétier, 2017, p. 89). Il s’agit d’usages qui renvoient implicitement à cette compréhension, mais n’apportent pas d’éléments nouveaux sur cette notion qui n’est pas centrale dans ces articles.

Médiation « symbolique » La notion de médiation, telle qu’elle est utilisée dans les articles de la revue Cliopsy, renvoie fréquemment à la notion de « médiation symbolique ». On peut la rapprocher de l’acception de cette notion qualifiée de philosophique par R. Hétier qui voit, sous l’influence de Paul Ricœur, une médiation dans le récit. Cette compréhension « philosophique » est infléchie aussi par les travaux de F. Imbert pour lequel la médiation des institutions de la pédagogie institutionnelle, par l’accès à la parole qu’elles soutiennent, favorise la réarticulation de la « Loi symbolique » et permet de sortir du face-à-face de la relation duelle (Imbert, 2004). La notion de médiation est utilisée dans ce sens dans différents articles, pour désigner un outil extérieur au sujet, qui serait susceptible d’éviter la dualité des relations en les triangulant par l’introduction d’un « tiers » qui est rarement défini. C’est le cas par exemple de Jean-Marie Weber qui, dans un article sur « Le lien tutorial et ses dysfonctionnements possibles », se dit favorable à « la mise en place d’espaces de médiation au service d’une — 36 —


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triangulation » (Weber, 2011, p. 35) ou, de manière moins explicite, pour Isabelle Lechevallier considérant que « l’autorité […] répond à un besoin de médiation » (Lechevallier, 2011, p. 68). Cette compréhension de la médiation symbolique préside aussi à l’usage qu’en font d’autres auteurs, de manière très périphérique dans leurs articles, à propos de dispositifs groupaux (Chandezon, 2012, p. 85 ; Gavarini, 2009, p. 55). C’est aussi le cas d’Ana Zavala lorsqu’elle présente un accompagnement d’enseignants en formation par la « médiation de l’écriture » (Zavala, 2013, p. 33). Lorsqu’elle convoque cette notion, il semble qu’elle renvoie à l’acception philosophique marquée par les apports de Ricœur et M. de Certeau sur l’écriture de l’histoire. Parmi les auteurs qui mobilisent cette acception de la notion de médiation symbolique, selon une approche plutôt philosophique, il faut faire une place particulière à un article de Marta Souto (Souto, 2012). En effet, alors que dans les articles précités, le terme médiation n’apparaît qu’entre une et trois fois, sans développements particuliers, M. Souto lui accorde une place plus importante. Professeure de sciences de l’éducation à l’université de Buenos Aires (Argentine), elle a publié un article dans la revue Cliopsy intitulé « Scènes et formations groupales autour de la connaissance » (Souto, 2012). Elle présente dans ce texte « un ensemble de notions théoriques à propos du “groupal” qui se dégagent des recherches » (Id., p. 9) qu’elle a menées en Argentine. Il est centré sur ce qu’elle nomme les « formations imaginaires » (Id., p. 12) et principalement sur « l’imaginaire groupal sur des scènes pédagogiques » (Id., p. 24). Dans son article, il me semble que les usages qu’elle propose du terme médiation rappellent les compréhensions proposées dans le champ de la pédagogie institutionnelle, reprises en sciences de l’éducation par P. Meirieu comme on l’a vu précédemment, et développées par les travaux de F. Imbert, même si ces auteurs ne font pas partie de ses références. En effet, pour elle, lorsqu’un certain type de « relation sans médiation se consolide, elle est régressive et ne favorise [pas] le développement psychique ni du sujet ni du groupe » (Id., p. 15). Je peux rapprocher cette perspective du texte de P. Meirieu que je citais plus haut lorsque celui-ci écrivait que la médiation doit permettre de déjouer « le danger de la relation pédagogique [qui] peut être un facteur de régression » (Meirieu, 1987, p. 95). M. Souto ajoute que le « groupe et/ou la connaissance, en prenant la place du tiers, permettent la rupture du lien duel (enseignant avec le savoir, avec un élève ou avec le groupe). Cet élément tiers facilite le passage vers une autre structure du lien qui permet la séparation, la médiation et la réciprocité » (Souto, 2012, p. 17). La fonction de « tiers » dans la médiation a déjà été mise en valeur par F. Imbert (1989, p. 106), tout comme les enjeux de « séparation » soutenus par la médiation (Imbert et le Grpi, 1994, p. 17).

Médiation entre intériorité et extériorité Dans cette revue, un seul auteur fait référence à Vygotski lorsqu’il emploie la notion de médiation. Il s’agit de Christian Sarralié, maître de conférences en sciences de l’éducation à l’Institut national supérieur de formation et de — 37 —


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recherche pour l’éducation des jeunes handicapés et les enseignements adaptés (INS-HEA). Dans un article publié en 2013 dans la rubrique « Parcours de chercheur », il fait le récit de son itinéraire qui l’a mené de l’enseignement des mathématiques vers la recherche en sciences de l’éducation sur « les élèves cérébrolésés » (Sarralié, 2013). Il s’est progressivement rapproché de la démarche clinique d’orientation psychanalytique et rappelle que dans la thèse (Sarralié, 2009) qu’il a soutenue sous la direction de G. Vergnaud à l’université Paris 5, il a proposé « le concept de Zone Proximale de Refonctionnement (ZPR) [s’inspirant] de la Zone Proximale de Développement de Vygotski » (Sarralié, 2013, p. 102). Dans son article C. Sarralié écrit : « Si Freud rencontre Charcot qui propose un lien entre neurologie et psychiatrie avec les patientes hystériques, Luria s’appuie sur les travaux de Vygotski pour l’influence de l’environnement dans le développement de l’individu. Or Vygotski fait pour moi le lien avec la didactique à travers la notion de médiation » (Sarralié, 2013, p. 101). Ainsi, il présente d’une certaine manière Vygotski comme un médiateur entre la psychanalyse et la didactique. Cette piste de travail qui consiste à interroger le lien entre Freud et Vygotski, piste déjà en partie explorée par Y. Clot, mériterait d’être approfondie.

Médiation par les savoirs et médiation culturelle Le quatrième type d’usage de la notion de médiation dans la revue Cliopsy renvoie plutôt à la médiation culturelle et à la médiation par les savoirs. Ces manières de recourir à la notion de médiation relèvent plutôt de l’approche que R. Hétier nomme « psychologique et culturaliste » (Hétier, 2017, p. 88) marquée par les travaux de Jérôme Bruner, ainsi que de l’approche « psychopédagogique [de] Serge Boimare » (Id., p. 89), dans la mesure où ce dernier propose des remédiations – un soutien apporté aux élèves pour remédier à leurs difficultés – par le recours aux récits mythologiques, c’està-dire à la culture. C’est le cas dans l’article dans lequel Sophie Lerner, maîtresse de conférence en sciences de l’éducation, présente une partie des résultats de sa thèse sur les professeurs de musique. Elle considère que pour une d’entre elles, qu’elle propose d’appeler Maud, « l’objet musique […] permet d’accéder à une position de médiation entre les élèves et le monde musical, il crée un espace intermédiaire entre le soi-musicien et le soi-enseignant » (Lerner, 2009, p. 90). Il me semble que, dans cette formulation, elle reprend par analogie un usage de la notion de médiation qui relève plutôt de la médiation culturelle, repris ici comme un synonyme d’intermédiaire, vraisemblablement inspirée par les travaux de S Boimare. Dans une perspective assez proche, Marie-France Carnus, professeure en sciences de l’éducation, évoque « la médiation des savoirs » (Carnus, 2010, p. 75) dans la relation enseignant-élève. L’expression « médiation culturelle » apparaît dans plusieurs articles, mais ce qu’elle recouvre n’est pas précisé (Di Rocco, 2010 ; Méloni et Petit, 2016 ; Valentin, 2014).

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Seule Jeanne Moll, dans l’entretien qu’elle a accordé à Françoise Allain, si elle ne définit pas précisément les contours de la médiation, donne des exemples de l’usage qu’elle en propose (Moll, 2012). Racontant son parcours, elle évoque son expérience de professeure en lycée : « certains élèves résistaient à l’apprentissage de l’allemand, mais en même temps je les trouvais sympathiques. Je leur ai présenté des reproductions d’œuvres d’art achetées dans les expositions. Ils en choisissaient deux qui leur plaisaient et essayaient de dire ce que la carte représentait et pourquoi le motif leur plaisait. Or, ces élèves qui résistaient à la langue s’exprimaient volontiers et pertinemment à partir d’une médiation culturelle » (Moll, 2012, p. 121). Plus loin, elle dit sa reconnaissance à l’égard de Jacques Lévine avec lequel elle a travaillé, de l’avoir « amenée à réfléchir sur les œuvres picturales comme des médiations permettant aux personnes qui les regardent de se sentir regardées » (Id., p. 134). Cet usage de la notion de médiation est assez proche de l’approche de S. Boimare : il s’agit d’avoir recours à la culture – ici les « œuvres picturales » – comme médiation vers l’apprentissage. On peut aussi rapprocher ces deux types de médiation par leur recours à un objet : des « œuvres picturales pour J. Lévine et des textes – des récits mythologiques – pour S. Boimare. Ce type de médiation relève de ce que Oury et Vasquez nommaient la « médiation par l’objet » (Oury et Vasquez, 1967, p. 255), repris par P. Meirieu lorsqu’il considère que « des objets » peuvent faire médiation (Meirieu, 1987, p. 187).

Dispositifs « à médiation » Il faut ajouter une dernière approche de la notion de médiation que l’on trouve dans la revue Cliopsy et qui ne renvoie à aucun des registres précédemment évoqués. Il s’agit d’une approche des « dispositifs à médiation » qui a été développée par ce qu’on nomme généralement l’école lyonnaise, pour désigner les chercheurs du Centre de Recherche en Psychopathologie et Psychologie Clinique (CRPPC) de l’université Lyon II. Ces travaux sur la notion de médiation s’inscrivent dans la continuité de ceux de René Roussillon sur la notion de « médium malléable », à la suite des propositions de Marion Milner. C’est Aurélie Maurin, aujourd’hui maîtresse de conférences en psychologie à l’université Paris XIII, qui a utilisé la première dans la revue Cliopsy l’expression « groupes à médiation » (Maurin, 2009, p. 54) dans le deuxième numéro. Dans son article, elle ne fait qu’évoquer, en note de bas de page, les « groupes à médiation » parmi « différents types de groupes (groupe de parole ou groupes à médiation) » (Maurin, 2009, p. 54) mobilisés pendant la recherche qu’elle présente. Il faut rappeler que A. Maurin faisait, au moment de l’écriture de son article, une thèse en sciences de l’éducation à l’université Paris 8 sous la direction de Laurence Gavarini (Maurin, 2010), après avoir suivi une partie de sa formation en psychologie à l’université Lyon 2 (Id., p 15). C’est sans doute dans le cadre de cette formation qu’elle a découvert les travaux que j’évoquais précédemment sur les groupes à médiation. Je rappelle aussi que R. Roussillon était membre de son jury de thèse et que, dans ce travail, elle a — 39 —


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consacré toute une partie aux « groupes à médiation » (Id., p. 177-236), citant notamment les travaux de C. Vacheret. A. Maurin a mis en place principalement des groupes de parole « inspirés de la technique du photolangage » (Id., p. 23) avec des adolescents. Elle ne précise pas dans son article de la revue Cliopsy, ce que sont les « groupes à médiation » qu’elle mentionne en note de bas de page.

3. Les membres de cette équipe sont : Laurence Gavarini (PR) ; Patrick Geffard (MCF HDR) ; Mej Hilbold (MCF) ; Léandro de Lajonquière (PR) ; Caroline Le Roy (MCF) ; Alexandre Ployé (MCF) ; Ilaria Pirone (MCF).

Après A. Maurin, d’autres chercheurs de l’équipe Clinique de l’éducation et de la formation, Approches psychanalytique, socio-clinique, institutionnelle (CLEF–APSI) ont eu recours, dans plusieurs articles, à la même expression « à médiation » pour désigner des dispositifs méthodologiques mis en œuvre dans une recherche collective sur le décrochage scolaire, pilotée par L. Gavarini. Cette dernière, professeure de sciences de l’éducation à l’université Paris 8, est membre de l’équipe CLEF–APSI 3, au sein du Centre interdisciplinaire de recherche « Culture, éducation, travail » (CIRCEFT). Dans un article publié en 2015, Caroline Le Roy évoque en note de bas de page plusieurs dispositifs méthodologiques : « groupes de parole, entretiens collectifs, entretiens individuels, entretiens à médiation (dessins), travail sur des rapports d’incidents, analyses de pratiques professionnelles » (Le Roy, 2015, p. 95). Son article porte sur l’analyse de données recueillies par entretiens et observations (Id., p. 96) ; elle ne fait qu’évoquer les « entretiens à médiation ». Dans un autre article présentant la même recherche, M. Hibold et P. Geffard évoquent des « entretiens à médiation par le dessin avec des collégiens » (Hilbold et Geffard, 2016, p. 55) sur lesquels ils ne donnent pas davantage de détails. Dans ces trois articles sont mentionnés des « groupes à médiation » (Maurin, 2009), puis des « entretiens à médiation par le dessin » (Hilbold et Geffard, 2016 ; Le Roy, 2015) : l’usage de la notion de médiation semble bien renvoyer aux travaux de l’équipe lyonnaise, mais cette référence n’apparaît pas explicitement dans ces articles. Parmi les chercheurs de l’équipe CLEF-APSI, c’est Ilaria Pirone qui explicite le plus précisément cette filiation théorique dans l’usage qu’elle fait de l’expression « à médiation » pour désigner un « dispositif groupal » dans un article publié dans la revue Cliopsy en 2013 (Pirone, 2013, p. 49). Dans le dossier que j’ai coordonné avec Claudine Blanchard-Laville sur « Clinique et écriture », I. Pirone présente les résultats de la recherche qu’elle a menée pour sa thèse sous la direction de L. Gavarini (Pirone, 2011). Dans cet article, elle décrit « un dispositif narratif spécifique […] qui a été pensé [et créé par elle] pour accompagner [des] adolescents dans un processus d’écriture fictionnelle groupale et de création cinématographique » (Pirone, 2013, p. 37-38), dispositif qu’elle qualifie de « groupal à médiation » (Id., p. 49). Elle propose de nouvelles pistes d’élaboration dans cet article, par rapport à sa thèse, et considère que dans ce dispositif, « l’histoire est devenue un objet malléable, “médium malléable” dirait R. Roussillon (2010) à la suite de M. Milner (1955/1979), un objet que les adolescents ont pu manipuler dans cette forme groupale et dans un cadre contenant » (Pirone, 2013, p. 49). Elle explique ensuite brièvement comment elle a mis en relation ce dispositif avec les propositions de R. Roussillon dans le champ — 40 —


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thérapeutique, comme l’indique le titre de l’article de cet auteur qui lui sert de référence – Propositions pour une théorie des dispositifs thérapeutiques à médiation – vers celui de la recherche en sciences de l’éducation. Au terme de ce repérage dans les articles publiés dans la revue Cliopsy, il apparaît donc que les chercheurs de l’équipe CLEF-APSI ont été influencés par les travaux de R. Roussillon sur les « dispositifs à médiation », mais peu de références explicites sont faites à ceux d’autres membres du CRPPC ayant travaillé sur cette notion. Comme je l’ai déjà précédemment indiqué, pour affiner cette suggestion, il faudrait élargir le corpus aux autres articles qu’ils ont publiés dans d’autres revues. Le dépouillement des articles de la seule revue Cliopsy ne fournit que des indices de la pénétration des travaux du CRPPC sur les groupes à médiation dans le champ de l’éducation et de la formation. Outre l’article d’I. Pirone dans lequel il est fait référence explicitement aux travaux de R. Roussillon et à l’article de M. Milner sur le « médium malléable » (Milner, 1955/1979), c’est dans un article publié en 2014 dans la revue Cliopsy par Vincent Di Rocco, que l’on trouve aussi la référence aux travaux de R. Roussillon sur la notion de médiation et indirectement à ceux de M. Milner. En effet V. Di Rocco, actuellement maître de conférences en psychologie à l’université Lyon II et membre du CRPPC, a fait sa thèse sous la direction de R. Roussillon (Di Rocco, 2006). Dans cet article intitulé « Enseigner à des adolescents “difficiles” : rencontrer pour transmettre », il écrit : « quand la pratique pédagogique ne fait pas médiation d’emblée, c’est l’enseignant qui fait médiation, qui se propose comme “médium malléable” au sens donné par R. Roussillon (1991) dans sa théorisation des médiations utilisées dans le cadre des psychothérapies. C’est-à-dire, qui tolère une certaine déformation, sans être détruit, qui se prête au jeu tout en gardant sa consistance, qui accepte l’agressivité sans retrait ni rétorsion. » (Di Rocco, 2014, p. 26) Malheureusement il n’explicite pas davantage cette proposition de considérer « l’enseignant […] comme “médium malléable” » et, malgré mes recherches, je n’ai pas trouvé d’autre article de cet auteur développant cette proposition qui me semble porteuse et mériterait d’être précisée et approfondie. On retrouve ici une des étymologies du terme médiation, qui désigne une fonction pouvant être assumée par une personne : un médiateur, à l’image du haut fonctionnaire qui recevait les plaintes à la Cour du roi de Suède. Comme nous le verrons plus loin, « le médium malléable désigne à la fois le matériau, la matière dans sa concrétude, et le thérapeute qui présente le médium » (Brun, 2016, p. 20) dans les groupes thérapeutiques à médiation. Si on accepte la proposition de V. Di Rocco de considérer « l’enseignant [...] comme “médium malléable” » à l’image du « thérapeute qui présente le médium », le savoir ne pourrait-il pas

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constituer ce que A. Brun appelle « le matériau » ? Cette hypothèse mériterait d’être affinée et étayée. C’est dans le dernier numéro de la revue constituant le corpus que j’ai analysé, que C. Blanchard-Laville avance « l’hypothèse que le dispositif [d’analyse de pratiques qu’elle] propose est sans doute à rapprocher des dispositifs cliniques groupaux dits à médiation » (Blanchard-Laville, 2017, p. 69). Je ne détaillerai pas ici ce dispositif qu’elle anime depuis 1982, renvoyant à ses publications (Blanchard-Laville, 2013), mais je tiens seulement à préciser que, dans ce cadre, les participants présentent des récits oralement. Dans son article de 2017, elle étaye clairement cette proposition à la fois de considérer son dispositif d’analyse de pratiques comme s’inscrivant dans les pratiques cliniques et considère que pour elle, « le “récit du moment professionnel à explorer” serait ce que les tenants de ces dispositifs nomment le médium malléable » (Blanchard-Laville, 2017, p. 71). L’argumentation est serrée et cet article témoigne de la pénétration progressive des propositions de l’équipe lyonnaise dans le champ des sciences de l’éducation. Je remarque d’ores et déjà que, dans le dispositif de C. Blanchard-Laville, la matérialité de l’objet médiateur – le récit oral – a des caractéristiques distinctes de celles d’un récit écrit.

Conclusion Au terme de ces lignes, j’espère avoir montré que les articles publiés dans la revue Cliopsy peuvent constituer un corpus dont l’analyse permet de mesurer des inflexions théoriques et épistémologiques dans le courant clinique d’orientation psychanalytique en éducation et formation. Pour aller plus loin dans un tel travail, il faudrait élargir le corpus, car tous les chercheurs s’inscrivant dans ce courant, s’ils publient dans cette revue, publient aussi dans d’autres revues scientifiques. Cependant, l’analyse des usages de la notion de médiation dans la revue Cliopsy, entre 2009 et 2017, permet de repérer d’abord que beaucoup d’auteurs font usage de cette notion sans la référer explicitement à un champ théorique. Le plus souvent, quand elle est utilisée, elle renvoie implicitement à des usages proches de ceux déjà repérés en sciences de l’éducation et que l’on peut regrouper selon la typologie proposée par R. Hétier. Cependant, cette analyse permet aussi de mettre en valeur l’émergence d’un nouvel usage de la notion de médiation, inspiré des travaux du CRPPC sur les « groupes thérapeutiques à médiation ». Puisse cette « Promenade » scientifique inspirer d’autres chercheurs qui à l’avenir utiliseront cette revue comme un corpus à l’intérieur duquel ils trouveront intérêt et plaisir à flâner.

Références bibliographiques Astolfi, J.-P. (1996). Médiations. Éducations, 9, 13. — 42 —


Les usages de la notion de médiation dans la revue Cliopsy

Revue Cliopsy n°21, 2019, 31-44

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Arnaud Dubois

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Arnaud Dubois Université Cergy Pontoise

Pour citer ce texte : Dubois, A. (2019). Les usages de la notion de médiation dans la revue Cliopsy. Cliopsy, 21, 31-44.

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Clinique et écriture dans la revue Cliopsy

Françoise Bréant

Pour ce numéro anniversaire des dix ans de la revue, au cours de l’échange que nous avons eu en comité de rédaction, l’idée est venue de suggérer à quelques enseignants-chercheurs ayant soutenu leur Habilitation à Diriger des Recherches (HDR) depuis 2010 de porter un regard rétrospectif, en lien avec leurs propres travaux, sur les vingt premiers numéros de la revue. C’est dans cette perspective que l’envie est née de me pencher sur les articles portant sur le rapport entre clinique et écriture. J’ai soutenu mon HDR Le sujet en formation : écriture réflexive et approche clinique (Bréant, 2013a) le lendemain du quatrième colloque international d’actualité de la clinique d’orientation psychanalytique dans le champ de l’éducation et de la formation (avril 2013) intitulé : « De la psychanalyse en sciences de l’éducation. Ruptures et continuités dans la transmission ». J’avais été invitée à faire une conférence à l’une des tables rondes et, parallèlement, je fus sollicitée pour écrire un article dans le cadre du dossier « Clinique et écriture » dirigé par Claudine Blanchard-Laville et Arnaud Dubois dans le numéro 10 de la revue (Bréant, 2013b). Ainsi, les articles portant sur l’écriture parus dans la revue à partir de cette date ne faisaient pas partie des ressources à ma disposition lors de l’écriture de ma Note d’HDR. Je les ai lus avec intérêt au moment de leur parution. Six années plus tard, relire tous les articles parus entre 2009 et 2019 dans le but de faire le point à propos de leur contenu, m’offre l’opportunité d’affiner mon regard sur les travaux de mes collègues et, en conséquence, sur les miens. J’espère ainsi avant tout donner envie aux lecteurs, notamment ceux qui s’intéressent au travail de l’écriture en formation ou en recherche, de lire ou de relire ces articles, comme un étayage possible à la prise de risque dans leur pratique éducative, formative ou de soin et sur la question essentielle de la transmission.

Première investigation Pour ce faire, j’ai commencé par rechercher tous les textes portant sur l’écriture : treize articles et un entretien. Puis j’ai noté le numéro de la revue, la date et l’auteur. Pour la présentation, j’ajoute ici le titre de chaque article : — 45 —


Françoise Bréant

n° 2 – décembre 2009 : Carmen Strauss-Raffy, De l’histoire scolaire à l’école intérieure. n° 10 – octobre 2013 : Dossier Clinique et écriture. Mireille Cifali (Suisse), Pour une poétique du savoir. Ana Zavala (Uruguay), Accompagner l’écriture par l’écriture. Un dialogue aux marges du texte. Ilaria Pirone, Une approche clinique de la narrativité adolescente. « Madame, comment ça s’écrit ? ». Françoise Hatchuel, Modalités d’écriture en situation de formation clinique. Élaborer le rapport à l’« interlocuteur interne ». Muriel Briançon et Chantal Eymard, Écriture et projections inconscientes de l’apprenti-chercheur. Françoise Bréant, De l’écriture réflexive en formation. Entre psychanalyse et littérature. Christophe Niewiadomski, Entre ombre et lumière : rapport à l’écriture et déterminants biographiques. Giovana de Castro Cavalcante Serafini (Brésil). Lire et écrire en atelier thérapeutique. Celia Hunt (Angleterre), Effets thérapeutiques de l’écriture créative en formation d’adultes. Entretien (réalisé par Claudine Blanchard-Laville et Arnaud Dubois) avec Jean-François Chiantaretto. n° 13 avril 2015 : Arnaud Dubois, Le « groupe monographique » : un dispositif de formation pour enseignants débutants. n° 18 octobre 2017 : Maryline Nogueira-Fasse, L’écriture de soi comme étayage psychique à la construction identitaire professionnelle. n° 20 octobre 2018 : Simone Zanon Moschen, Carla Karnoppi Vasques et Cláudia Bechara Fröhlich (Brésil), La psychanalyse, l’éducation spécialisée et la formation des enseignants : écriture, lecture et rature. D’un point de vue quantitatif, on peut constater que les travaux sur l’écriture sont présents dès le début de la revue, avec un temps fort au moment du numéro 10, jusqu’à un article dans le dernier numéro. Sur les treize articles, on peut relever cinq articles de recherche émanant d’auteurs étrangers (une auteure suisse, une auteure uruguayenne, cinq auteurs brésiliens et une auteure anglaise). Pour ce qui est d’une approche qualitative, je tiens tout d’abord à témoigner du grand plaisir que j’ai pris à la (re)lecture des textes de mes collègues qui nous font partager des expériences passionnantes et des développements théorico-cliniques très riches. Les résonances sont nombreuses avec mes pratiques d’écriture en formation ou en recherche et avec mes propres écrits ; ma lecture sera donc imprégnée de subjectivité. Plusieurs couples de mots ou de formulations me sont d’abord apparus : démarche clinique et écriture, écriture et littérature, écriture et psychanalyse, écriture et formation, analyse de pratique et conceptualisation, écriture de recherche et transmission, insurrection singulière et production de savoir collective, fiction et production de savoir, — 46 —


Clinique et écriture dans la revue Cliopsy

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imagination et travail de la pensée, plaisir de penser et transformation subjective, une place pour l’énigme dans la production de savoir, une place pour le rêve dans le processus de transmission, le travail associatif comme mode d’accès aux processus inconscients, travailler avec l’inconscient pour une pensée en mouvement dans une écriture plus subtile entre rationalité et poésie, travailler sur les résonances entre l’écrivain et le lecteur, aller chercher ces résonances dans les zones obscures, en soi-même… Ni exhaustivité ni objectivité cependant, au fur et à mesure de ma lecture de ces articles ; m’interrogeant sur la manière dont j’allais en rendre compte, je tentai un travail d’objectivation en identifiant d’abord des points de convergence, puis des domaines où des différences pourraient apparaître.

Les références La psychanalyse Dans la logique de l’orientation de la revue, on ne s’étonnera pas de la présence de nombreuses références à la psychanalyse, à travers ses différents courants (voir plus loin la liste des auteurs cités). On la retrouve dans tous les textes, soit centrale, soit plus en retrait (Niewiadomski), soit pour beaucoup de textes, en articulation avec d’autres disciplines ou domaines comme la littérature, la philosophie, l’anthropologie, la psychosociologie, les sciences de l’éducation ou la didactique. Le dispositif clinique et l’implication du chercheur Dans chaque article, on peut repérer la mise en œuvre d’un dispositif clinique destiné à faire écrire, soit des étudiants ou des enseignants dans une visée de formation, soit des adolescents dans une visée de recherche (Pirone). Sauf Jean-François Chiantaretto dont les travaux portent essentiellement sur des écrivains, tous les auteurs sont impliqués dans ces dispositifs. Ils en sont les concepteurs, tenant une double posture : praticien-chercheur, enseignant-chercheur, formateur-chercheur, intervenant-chercheur ou thérapeute-chercheur. Autrement dit, ces auteurs font écrire, écrivent euxmêmes et se demandent ce qu’ils font lorsqu’ils le font. Certains donnent à voir comment se joue concrètement leur implication dans le processus d’écriture des étudiants (Zavala, Hunt). D’autres évoquent les mouvements contre-transférentiels liés à la spécificité de leurs propositions d’écriture au sein du dispositif et à l’écriture même de la recherche (Bréant, Cifali, Briançon).

La place du groupe dans le dispositif clinique Dans tous les dispositifs décrits et analysés, le groupe tient une place importante, par les relations qui émergent et s’y déploient, notamment à travers des propositions d’un travail associatif en groupe, en lien avec les — 47 —


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processus inconscients, au sein même de l’écriture et dans les moments de partage de paroles, avant ou après des séquences d’écriture.

La dimension éthique et l’accompagnement – l’écriture transformante Plusieurs auteurs s’interrogent sur les processus d’apprentissage et de transmission et cherchent à montrer comment la psychanalyse les nourrit et les oriente dans leur manière de faire et de réfléchir. Ils cherchent à montrer comment ils « s’inclinent » auprès de sujets qui « doivent » écrire et penser, qui souvent souffrent de cette obligation et qui évitent parfois de se confronter à ce qui les fait souffrir. Grâce à ces dispositifs, la plupart de ces derniers s’y engagent et parviennent à produire des textes réflexifs habités, d’autres parfois s’engluent dans leurs difficultés ou bien renoncent. Il apparaît qu’il s’agit essentiellement d’accompagner les sujets sur un chemin qui les mène inexorablement vers les sources de la souffrance comme les émotions et les affects pour, par l’écriture, les métaboliser, les transformer et les faire advenir comme sujets pensants capables de sublimer. Les dispositifs sont bien là à cet effet : non seulement ouvrir des espaces de parole avec l’écriture, parole et écriture, parole dans l’écriture, mais aussi favoriser le lien dialogique entre l’accueil d’un sujet manquant, vulnérable, fragile, et la production d’une réflexion féconde pour le sujet luimême en train de se transformer tout en construisant son identité professionnelle ou scientifique pour la communauté dans laquelle il s’insère. L’écriture apparaît ainsi comme fondamentalement transformante, comme un médium malléable (Pirone) qui transforme celui qui écrit. Au moment où il s’autorise à se dire, à travers le travail associatif déclencheur d’émotions et d’affects, dans le processus même de la division du sujet, un autre, étranger, advient : l’auteur se transforme en même temps qu’il ouvre un espace de création susceptible de donner naissance à un objet (écrit), sur le lieu de la rencontre – pourrait-on dire plutôt de la non-rencontre – entre l’interlocuteur interne (Hatchuel) et peut-être un interlocuteur externe tout aussi fantasmé. La notion de fiction de soi, présente dans plusieurs textes (Hatchuel, Nogueira Fasse), renvoie bien à ces processus psychiques en lien avec la question du rapport entre vérité et fiction, comme un dialogue vivant pour accéder à l’autre, l’étranger en soi, pour retrouver l’origine de ce qui fait crise, crise qui s’avère nécessaire pour s’engager dans une transformation sublimable (Pirone). L’écriture peut alors remplir une fonction de contenance transformante en elle-même, à la condition toutefois que la personne qui propose et soutient le dispositif, conçu comme un espace de transitionnalité, considère sa posture clinique d’accompagnement comme un objet de recherche. Ce qui amène à penser que la transmission ne se ferait qu’au prix de la transformation subjective, indissociable d’un travail d’écoute des sujets en détresse et d’un travail de lecture et de relecture des auteurs qui ont, avant nous, construit des savoirs ou inventé des théories : psychanalystes, écrivains, essayistes, chercheurs… — 48 —


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Les auteurs de référence J’ai tenté de repérer les auteurs les plus cités. L’idée n’est pas de faire une liste exhaustive, mais plutôt de donner une vue d’ensemble, laissant apparaître les auteurs des articles qui font référence à ces auteurs les plus cités. Dans chaque catégorie où les auteurs sont cités plusieurs fois, les auteurs des articles sont notés par ordre alphabétique. Freud (6 fois) : Bréant, Briançon, De Castro, Hunt, Pirone, Zanon Moschen. Lacan (5 fois) : Bréant, Briançon, De Castro, Pirone, Zanon Moschen. Blanchard-Laville (4 fois) : Bréant, Hatchuel, Nogueira-Fasse, Strauss-Raffy. Ricoeur (4) : Briançon, Cifali, Niewiadomski, Pirone. Winnicott (4) : Bréant, De Castro, Hunt, Zalava. Bion (3) : De Castro, Hunt, Zalava. Kaës (3) : Nogueira-Fasse, Pirone, Zalava. Aulagnier (2) : Hatchuel, Pirone. Chiantaretto (2) : Hatchuel, Nogueira-Fasse. Cifali (2) : Bréant, Strauss-Raffy. Damasio (2) : De Castro, Hunt. De Certeau (2) : Cifali, Zalava. Giust-Desprairies (2) : Bréant, Niewiadomski. Pineau, Legrand (2) : Niewiadomski, Strauss-Raffy. En ce qui concerne les auteurs cités une seule fois, on trouve notamment : Barthes (Bréant), Beillerot (Zalava), Bick (Hatchuel), Bishop (Pirone), Bréant (Nogueira-Fasse), Castoriadis (Bréant), Ciccone (Zalava), Costantini (Briançon), De Gaulejac (Niewiadomski), Deleuze (Zalava), Gantheret (Bréant), Hatchuel (Nogueira-Fasse), Imbert (Dubois), Kristeva (Pirone), Mendel (Hatchuel), Mijola-Mellor (Dubois), Oury et Vasquez (Dubois), Pennac (Strauss-Raffy), Prat (Hatchuel), Roussillon (Pirone). Ce tableau descriptif ne prétend pas rendre compte de la complexité des configurations théorico-cliniques présentes ici. Il nous fournit cependant quelques indications sur les lignes de force étayantes qui parcourent la recherche de compréhension des processus psychiques à l’œuvre, tant dans le travail de l’écriture que dans celui de l’accompagnement à l’écriture.

Un voyage réflexif à travers quelques articles Pour compléter ce tableau et afin d’évoquer davantage ma perception de la complexité des différents travaux, je propose une sorte de voyage personnel à travers quelques textes.

Avec Mireille Cifali Au cours de l’entretien que Louis-Marie Bossard a réalisé avec Mireille Cifali, celle-ci évoque peu l’écriture, mais un peu plus tard, dans son article Pour une poétique du savoir, elle développe sa pensée sur l’écriture, — 49 —


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essentiellement à travers le récit de son parcours. L’article résonne très fort avec mes propres travaux. Des mots, quelques phrases font écho à ce que je soutiens, dans ma pratique et dans mon écriture, notamment sur les liens entre une approche clinique et les processus de création, sur le travail dans la langue entre fiction et vérité, entre poésie et science. Elle propose d’aller « vers une poétique du savoir où il s’agit de prendre en compte les effets littéraires dans la construction du savoir et ses conséquences dans la transmission des connaissances. Par le travail dans la langue, lorsque les mots sont ressentis comme vivants, portés par quelqu’un qui donne à voir la construction de sa pensée dans le présent de sa parole, lorsque les mots viennent de l’intuition de ce qui se joue entre les interlocuteurs, alors la force d’ouverture de la langue peut mettre en mouvement pensée et compréhension ». Elle insiste sur les rapports entre psychanalyse et littérature et rappelle que pour De Certeau (qui a été son directeur de thèse), ce serait par la psychanalyse que la littérature aurait fait irruption dans le champ du scientifique, en particulier par l’usage de l’analogie. Elle insiste aussi sur les auteurs de disciplines différentes qui ont mis l’accent sur la question de la littérature nécessaire à la pensée, qui parle de la vie non séparée du corps, des émotions et des affects. Elle parle de son écriture et de celle de ses étudiants en accordant une place capitale au sujet qui raconte. Elle propose de sortir de la coque du concept pour donner envie de penser. Pour elle, à travers la métaphore, l’émotion est connaissance, comme un pas de côté nécessaire, bien qu’une vigilance à la dérive le soit tout autant. Dans une sorte de contre-point, j’ai été très touchée par le texte de Célia Hunt Les effets thérapeutiques de l’écriture créative en formation d’adultes. En effet, cette auteure entre très concrètement dans le détail de ses propositions d’écriture et nous fait vivre son expérience tout en approfondissant son questionnement épistémologique.

Avec Célia Hunt Célia Hunt a effectué la transposition des techniques psychodynamiques dans la formation d’adultes et, plus précisément, leur rôle dans le programme du Master en écriture créative et développement personnel de l’Université du Sussex en Angleterre qu’elle a fondé en 1996 et dirigé jusqu’en 2010. Ce Master « offrait aux participants l’opportunité, en premier lieu, de développer leur écriture créative dans un contexte de développement personnel, en deuxième lieu, d’étudier la relation entre la créativité et le soi, et enfin, d’acquérir les compétences nécessaires pour utiliser l’écriture créative comme un outil de développement ou de soin dans les services de santé, les services sociaux, ou dans des contextes éducatifs. […] Le Master fonctionnait, pour certains étudiants, comme une sorte d’"éducation thérapeutique" ou d’"apprentissage transformant". » — 50 —


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L’auteure note que « les exercices d’écriture créative réalisés par les étudiants lors de leur premier cours déjouaient très rapidement leurs défenses et ouvraient la psyché d'une manière similaire à la psychothérapie ». Elle explicite comment les exercices d’écriture créative ont contribué à ouvrir la psyché, à entrer en dialogue avec les émotions, à travers les notions de « réseaux de mots » et d’« écriture libre ». Elle souligne que les effets de l’écriture créative ne peuvent être isolés de l’expérience de partage en petit groupe par les étudiants tout au long du programme dans laquelle les notions de « contenance », d’« apprentissage transformant » et d’« espace potentiel et transitionnel » sont à l’œuvre. Ces effets vont dans le sens de développer et renforcer la capacité réflexive à se changer soi-même qui est précisément « un prérequis pour l’avènement de tout changement social d’envergure ».

Avec Ilaria Pirone Les rapprochements et les quelques différences avec mes propres propositions d’écriture et mes réflexions m’ont donné l’occasion de découvrir des auteurs que je ne connaissais pas ou peu et de conseiller cette lecture à mes doctorantes qui travaillent sur l’écriture. Ce fut pour moi le cas avec le texte d’Ilaria Pirone qui propose une clinique de la narrativité chez des adolescents en s’appuyant sur une recherche portant sur le décrochage scolaire. Elle raconte comment plusieurs dispositifs ont été mis en place. Le premier consiste en un « atelier dédié à un temps d’écriture ayant pour objectif de recueillir des récits de fiction produits par les élèves hors contrainte scolaire et sans la présence de leur enseignant, suivi d’un temps de parole portant sur leur rapport à l’écriture et à l’école ». Or ces formes de narrativité se sont avérées impossibles et mettaient en lumière un véritable résultat de recherche : « les difficultés [des élèves] n’étaient pas simplement dues à une forme de résistance à l’école mais plutôt à une véritable incapacité à raconter et à se raconter. » L’auteure reprend les trois principaux domaines théoriques qui soutenaient sa thèse : l’herméneutique, la narratologie et la psychanalyse, ce qui lui a permis de penser le remaniement identitaire adolescent à partir de l’analyse du rapport au temps, du processus fictionnel et du rapport à l’autre dans l’acte narratif. « La "capacité narrative", comme l'écrit Julia Kristeva, est censée dévier la charge pulsionnelle dans une forme de sublimation qui est à la fois un travail créatif fictionnel et ce qui peut soutenir le travail temporel du sujet. » Outre une dimension d’altérité propre au mouvement réflexif narratif d’un « Je » qui, en se racontant, se fait « soi », il y a aussi l’autre à qui le récit est adressé. I. Pirone nous montre comment son désir d’accompagner les adolescents dans un travail d’écriture et de création l’a amenée à construire, en collaboration avec une équipe de jeunes chercheurs en sciences de l’éducation et une équipe de cinéastes, le dispositif d’écriture fictionnelle et de création cinématographique appelé « c’est notre histoire ». — 51 —


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Ce travail sur l’écriture avec les adolescents ainsi que l’éclairage théorique apporté ouvre des perspectives pour mieux comprendre la panne du désir d’apprendre, mais aussi pour penser des dispositifs de remédiation avec des adultes en formation qui n’ont pas eu jusque-là la possibilité de rejouer les conflits psychiques de l’adolescence pour peut-être les accepter comme la source de la créativité en tant que créativité transformante. Repenser l’écriture à partir de la particularité de ce que peut vivre un adolescent apporte peut-être une lumière plus vive sur ce qui pourrait apparaître comme des difficultés banales de l’âge adulte. Il me semble que l’on pourrait aussi relire tous les articles avec cet éclairage, suscitant ainsi un nouveau relief avec des couleurs et des réflexions que nous n’aurions pas vues à la première lecture.

Avec d’autres auteurs encore Dans cette perspective, l’article de Christophe Niewiadomski nous permet de retrouver avec une autre épaisseur la notion d’identité narrative dans la pensée de Ricoeur, en l’articulant davantage à l’ancrage social dont nous avons besoin pour accéder à la complexité des processus en jeu dans l’écriture. La contribution de Simone Zanon Moschen, Carla Karnoppi Vasques et Cláudia Bechara Fröhlich est tout aussi originale. L’analyse du rapport entre écriture, lecture, ratures, réécriture sous l’angle du travail psychique au sein de la relation formative est finement éclairée par l’analyse des processus psychiques dans la cure. Les auteures ont procédé à un travail d’emprunt de la notion de construction de cas développée par Freud, donnant ainsi des pistes très précieuses pour penser la place de l’analyse de la pratique des enseignants – par l’écriture – dans une perspective théorico-clinique d’orientation psychanalytique de la formation professionnelle. Ainsi, les textes pourraient continuer de se répondre pour, à chaque fois, offrir au lecteur la possibilité d’accroître la consistance de sa réflexion. En trouvant des échos et des résonances, chacun pourra ainsi aménager son propre chemin de lecture et de relecture, comme pour s’imprégner de cette consistance théorico-clinique, dans le but de développer une créativité plus fluide au sein du dialogue entre théorie et pratique. Ce qui finalement relève bien de la démarche clinique que nous souhaitons promouvoir et transmettre : aller vers l’inconnu de soi et des autres, s’autoriser à expérimenter et à approfondir son propre style, autant dans l’intervention que dans l’écriture même de la recherche.

Pour conclure En lien avec le thème de ce travail rétrospectif sur le rapport entre clinique et écriture dans la revue Cliopsy, j’ai demandé à deux doctorantes d’écrire sur leur manière d’utiliser la revue. Avec leur accord, je rapporte ici leurs témoignages. — 52 —


Clinique et écriture dans la revue Cliopsy

Revue Cliopsy n°21, 2019, 45-54

Le premier est très court : Cliopsy, pour moi, c’est la source d’un lien qui se tisse avec la recherche... Le second est plus long et j’en propose seulement quelques extraits : Cliopsy, pour moi, c'est d'abord un nom, celui d'une muse, Clio, mythologique fille de Mnémosyne, déesse de la mémoire. Faire ainsi présider l'histoire et le récit du passé au destin d'une revue à orientation psychanalytique me rappelle que la découverte de Freud est une vaste entreprise archéologique d'excavation et de reconstitution du passé par les mots et l'écriture. […] Je lis Cliopsy car je suis sûre d'y trouver à la fois ce que je cherche, dont j'ai besoin, et ce que je ne cherche pas et ignore encore avoir besoin. Je crois que cela s'appelle lire par plaisir – et ce genre de lecture est rare quand on fait une thèse. Ainsi cette revue, qui pourrait s'avérer trop rassurante, de l'ordre du repli sur soi, ou de la réassurance de certitudes communes, relance mes interrogations, mes questionnements, mes émerveillements. Je me souviens de quelques textes qui m'ont marquée. J'emploie ce terme à dessein car j'ai gardé, comme une marque, le souvenir très précis de certains articles pourtant très théoriques, abstraits, difficiles, qui se sont ancrés dans ma mémoire comme s'ils étaient venus éclairer, dévoiler quelque chose qui était au fondement de mon désir de recherche. Je ne saurais pas dire exactement quoi ; j'avoue que j'ose à peine les relire parfois de peur de ne plus retrouver ce que j'y avais entrevu la première fois et qui avait suscité cette fascination. Mais s'ils se sont ainsi inscrits si fort dans ma mémoire, c'est sans doute parce qu'ils recelaient, outre l'avancée d'une recherche, quelque chose d'autre qui les paraît à mes yeux d'une brillance particulière. Cette autre chose, d'une « inquiétante familiarité », je crois qu'elle était liée à l'écriture de celui qui écrivait et qui, au-delà des connaissances transmises, racontait une histoire, son histoire, et en incarnant sa quête de recherche dans son parcours, son passé, sa subjectivité, venait l'adresser plus particulièrement à moi dans le geste ouvert de l'écriture. […] J'ai sans doute reconnu ce que je cherche dans l'écriture : qu'elle ne s'efface pas derrière le message qu'elle porte, mais résiste, scintille, fasse signe et éclaire le chemin de celui qui la lit. C'est peut-être pour cela que j'ai imprimé le numéro entier de Cliopsy sur l'écriture, pour l'avoir « en vrai », sous la forme d'une liasse de feuilles que je sais là pour moi. Je me sens ainsi placée sous la protection de Clio, entourée de ses huit sœurs, un gros livre sous le bras, sa clepsydre à la main pour mesurer le temps qui s'écoule, et je me dis qu'il doit être possible d'écrire une thèse.

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Françoise Bréant

Ces témoignages tendraient à confirmer l’intérêt que pourrait revêtir une investigation clinique plus approfondie des usages de la revue, notamment dans sa fonction d’étayage psychique pour les apprentis chercheurs. Dans la perspective de la poursuite de la réflexion théorico-clinique concernant les auteurs de référence sur l’écriture et, au-delà, sur l’ensemble des thématiques abordées, une analyse plus fine de la manière dont les concepts ou notions sont mis au travail dans les différents textes présentés au sein de la revue pourrait être menée.

Références bibliographiques Bréant, F. (2013a). Le sujet en formation : écriture réflexive et approche clinique. Habilitation à Diriger des Recherches en sciences de l’éducation. Université Paris 8 Vincennes Saint Denis. Bréant, F. (2013b). De l’écriture réflexive en formation. Entre psychanalyse et littérature. Cliopsy, 10, 81-95. Bréant, F. (2018). Transmettre la capacité à rêver sa recherche. Cliopsy, 20, 111-128. Cifali, M. (2013). Pour une poétique du savoir. Cliopsy, 10, 9-22. Hunt, C. (2013). Effets thérapeutiques de l’écriture créative en formation d’adultes. Cliopsy, 10, 125-140. Niewiadomski, C. (2013). Entre ombre et lumière : rapport à l’écriture et déterminants biographiques. Cliopsy, 10, 97-112. Pirone, I. (2013). Une approche clinique de la narrativité adolescente. « Madame, comment ça s’écrit ? ». Cliopsy, 10, 37-52. Zonon Moscher, S., Karnoppi Vasques, C. et Bechara Fröhlich, C. (2018). La psychanalyse, l’éducation spécialisée et la formation des enseignants : écriture, lecture et rature. Cliopsy, 20, 71-87.

Françoise Bréant CREF (EA 1589) Université Paris Nanterre

Pour citer ce texte : Bréant, F. (2019). Clinique et écriture dans la revue Cliopsy. Cliopsy, 21, 45-54.

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L’adolescence : une thématique de recherche en progression en sciences de l’éducation

Antoine Kattar

Introduction Depuis la création de la revue Cliopsy en 2009, 20 numéros ont été publiés. Plusieurs objets de recherche dans la ligne de ceux qui ont été identifiés par les auteurs de la Note de synthèse de 2005 (Blanchard-Laville, Chaussecourte, Hatchuel, Pechberty, 2005) ont été travaillés dans les articles proposés par ces numéros. Le comité de rédaction m’a sollicité pour contribuer à ce numéro-ci, plus particulièrement dédié à l’anniversaire des 10 ans de la Revue, en me demandant d’identifier comment l’un de mes objets de recherche (Kattar, 2011, 2016, 2018) était traité dans ces 20 numéros. C’est ainsi que je vais m’intéresser à l’apparition du thème de l’« adolescence » au cours de cette période allant de 2009 à 2019. Mes propres travaux se sont développés selon deux dimensions : l’une se rapporte à la construction de nouveaux terrains de recherche pour appréhender les effets produits sur les sujets adolescents d’aujourd’hui par les caractéristiques des environnements, et plus particulièrement par celles de l’environnement scolaire ; l’autre, à la question de l’accompagnement des professionnels de l’éducation et de la formation pour qu’ils puissent adopter une position d’adulte dans la rencontre avec les « soi-adolescents » en devenir et étayer ainsi leur processus de construction identitaire. Sans pouvoir décrire très en détails les contenus des articles qui ont traité de l’adolescence, j’ai choisi de repérer comment cette thématique a été présente au cours des 10 années de production de la revue au fil des années et des numéros. Pour cette étude, j’ai choisi de me restreindre à l’examen des articles où figure le mot se rapportant à cette thématique soit sous sa forme adjectivée « adolescent·e·s », soit sous sa forme nominale « adolescence ». Ces mots apparaissent au cours de l’article et pas forcément dans le titre. Je n’ai pas pris en compte les articles où l’un de ces mots figure sous la forme enfant/adolescent, m’étant assuré que ces articles portent principalement sur des enfants ; je n’ai pas non plus retenu les articles où l’un de ces deux mots figure seulement dans une citation d’auteur ou dans un verbatim.

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Antoine Kattar

En m’appuyant sur ce choix, je compte 27 articles parmi l’ensemble des 129 articles recensés par Louis-Marie Bossard dans son repérage des articles de recherche, ce qui représente 21 % de l’ensemble, soit une proportion non négligeable de ce corpus.

Les articles parus dans les 20 premiers numéros de la revue Cliopsy Voici la présentation de ces articles dans l’ordre de parution depuis le premier numéro avec l’intitulé et les noms des auteurs. Celle-ci est en partie subjective en lien avec mes propres questionnements de recherche. 1) Gavarini, L. (2009). Des groupes de parole avec les adolescents : à la recherche d'une parole « autre ». Cliopsy, 1, 51-68. Laurence Gavarini met l’accent sur la création au sein de l’institution scolaire d’un espace clinique d’orientation psychanalytique, un groupe de parole, pour des adolescents, et elle analyse les effets d’un tel cadre sur la fonction de la parole. 2) Maurin, A. (2009). Bruit-silence : d'une posture à l'autre, le contretransfert d'une retranscriptrice. Cliopsy, 2, 49-57. Aurélie Maurin aborde, à partir de sa place de transcriptrice d’entretiens, l’analyse de ses « implications » et de ses différentes postures dans le cadre d’un dispositif de recherche constitué de la mise en place de groupes de paroles auprès d’adolescents dans les établissements scolaires. 3) Emmanuelli, M. (2009). Créativité et transmission : le passage par l'identification. Cliopsy, 2, 59-64. La question des fonctions qu’occupe l’adulte dans la transmission et dans le soutien de la créativité chez l’enfant et l’adolescent est centrale dans l’article que propose Michèle Emmanuelli. Cette auteure insiste sur le processus d’identification à l’adulte dans la transmission. 4) Bossard, L.-M. (2009). Enseignants débutants : de l’« adolescence professionnelle » à la « postadolescence professionnelle ». Cliopsy, 2, 6577. À partir d’une approche clinique d’orientation psychanalytique, Louis-Marie Brossard tente de montrer les difficultés que peuvent éprouver les enseignants débutants. Il propose de qualifier d’« adolescence professionnelle » le passage du statut d’étudiant au statut d’enseignant. 5) Adamo, S.M.G., Adamo, S., Giusti, P. et Tamajo Contarini, R. (2010). Une intervention psychologique dans un projet éducatif pour adolescents en décrochage scolaire. Cliopsy, 3, 27-38. À partir d’un projet intitulé « Chance » mis en œuvre à Naples depuis 11 ans et en s’appuyant sur la référence théorique bionnienne de « contenance », les auteurs développent une intervention dont la visée est la récupération éducative et psycho-sociale d’adolescents en décrochage scolaire. 6) Pechberty, B., Kupfer, C. et de La Jonquière, L. (2010). La scolarisation des enfants et des adolescents dits « en situation de handicap mental » — 56 —


L’adolescence : une thématique de recherche en progression en sciences de l’éducation

Revue Cliopsy n°21, 2019, 55-61

au Brésil et en France : convergence des recherches cliniques. Cliopsy, 4, 7-20. En prenant appui sur deux contextes, l’un français et l’autre brésilien, les auteur.e.s décrivent les résultats de la collaboration entre chercheurs cliniciens des deux pays à propos de la question de l’inclusion scolaire et éducative des adolescents . 7) Toubert-Duffort, D. (2012). Apprendre en groupe, apprendre du groupe ? Cliopsy, 7, 27-42. Dans le contexte d’une institution spécialisée, Danièle Toubert-Duffort tente de comprendre les conditions à partir desquelles les adolescents en situation de handicap apprennent lors de situations collectives lorsque ces dernières sont proposées par l’enseignant. 8) Montagne, Y.-F. (2012). À l'école de l'acting-out. Cliopsy, 7, 99-117. À partir d’exemples significatifs de paroles de professeurs et d’élèvesadolescents, Yves-Félix Montagne montre dans cet article la manière dont on peut traiter les passages à l’acte des élèves-adolescents en envisageant différemment la position professorale . 9) Kattar, A. (2012). « Entretien clinique en groupe » à visée de recherche auprès d’adolescents. Cliopsy, 8, 29-46. Antoine Kattar décrit le dispositif « entretien clinique en groupe » qu’il a mis en place dans le cadre d’une recherche auprès d’adolescent.es pour recueillir son matériel. Ce dispositif le conduit à analyser en priorité les processus psychiques qui se développent chez chacun des adolescent.es à la faveur de la rencontre groupale plutôt qu’à analyser le processus groupal en tant que tel. 10) Le Clère, F. (2013). Les adolescents, « décrocheurs » d’équipe ? Cliopsy, 9, 53-64. François Le Clère propose d’appréhender la situation de décrochage scolaire à partir du retentissement de cette situation sur le travail d’équipe de professionnels ainsi que sur les dynamiques institutionnelles. Son travail de recherche va lui permettre de prendre conscience que ces adolescents sont ce qu’il appelle des « tanneurs » du « cuir » institutionnel. 11) Altoé, S et Silva, M. (2013). L’instabilité des liens affectifs dans la vie des enfants et des adolescents placés : questions institutionnelles et accompagnement clinique. Cliopsy, 9, 65-79. À partir de leur expérience clinique d’orientation psychanalytique, Sonia Altoé et Magali Silva proposent un e réflexion sur les pratiques institutionnelles des « abrigos » à Rio de Janeiro. Elles s’appuient sur la notion de « détresse » au sens freudien pour montrer le lien qui s’opère entre cette notion et les situations de vulnérabilités auxquelles sont confrontés les enfants et les adolescents placés. 12) Pirone, I. (2013). Une approche clinique de la narrativité adolescente. « Madame, comment ça s’écrit ? » Cliopsy, 10, 37-52. Ilaria Pirone montre, à partir du dispositif d’écriture pensé pour accompagner les adolescents, la nécessité d’une « mise en mouvement de — 57 —


Antoine Kattar

type clinique » pour aller à leur rencontre. Ce cadre de création narrative en situation groupale lui a permis d’accueillir autrement les difficultés linguistiques de ces adolescents. 13) Coutinho, L. G. et Carneiro, C. (2014). Limites et portée de la parole dans l'éducation. Cliopsy, 11, 101-110. La recherche que proposent Luciana G. Coutinho et Cristiana Carneiro à partir du suivi de huit situations a permis de montrer la fragilisation de la dimension symbolique dans le lien éducatif et d’amplifier la lecture du malaise dans la scolarisation des enfants et des adolescents au Brésil. 14) Di Rocco, V. (2014). Enseigner à des adolescents « difficiles » : rencontrer pour transmettre. Cliopsy, 12, 19-28. Vincent Di Rocco propose d’identifier les conditions que peuvent générer des situations limites. Ces dernières produisent un effet de blocage sur les pratiques des professionnelles qui s’affrontent à des adolescents dits « difficiles » et suscitent l’émergence de pratiques alternatives. 15) Valentin, V. (2014). Rôle de médiation et d’éveil à partir d’une position d’évaluateur d’un projet culturel. Cliopsy, 12, 141-155. Virginie Valentin tente de théoriser la position de médiatrice dans le cadre d’un projet sur l’altérité culturelle. À partir d’interactions qu’elles soient écrites ou orales, ces médiations permettent aux jeunes de découvrir une culture qui ne leur est pas familière jusque-là. 16) Auguin-Ferrère, N. (2015). Un groupe de parole avec des adolescent-e-s trisomiques 21. Cliopsy, 13, 27-47. Dans le cadre d’une recherche en sciences de l’éducation conduite selon une approche clinique d’orientation psychanalytique, Nathalie Auguin-Ferrère, tout en présentant son dispositif de groupe de parole singulier, montre en particulier comment ce travail groupal a favorisé pour Clémentine (18 ans), une adolescente trisomique 21, sa sociabilité. 17) Kattar, A. (2016). Être élève-adolescent dans un environnement incertain. Entre « le familier et l’étranger ». Cliopsy, 15, 9-25. Antoine Kattar présente des extraits de l’analyse d’un entretien clinique de recherche auprès d’une adolescente libanaise. Cette analyse lui permet de montrer comment les conflits intrapsychiques liés à la construction identitaire de cette adolescente font écho aux caractéristiques externes de l’environnement traversé d’incertitudes dans lequel elle vit. 18) Méloni, D. et Petit, L. (2016). Du plaisir d’étudier au plaisir de travailler. Cliopsy, 15, 59-71. Dominique Meloni et Laetitia Petit proposent d’analyser le malaise ressenti par les sujets en entrant dans le monde du travail comme un moment où se rejoue la dialectique de la quête du désir et de sa limitation déjà identifié au moment de leur entrée dans les études. Selon que, durant les études, le sujet aura pu, ou non, traiter la question du manque, l’adaptation au monde du travail sera différente. 19) Gevrey, V. (2016). Une expérience de chercheur clinicien. Cliopsy, 15, 73-86. — 58 —


L’adolescence : une thématique de recherche en progression en sciences de l’éducation

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En s’appuyant sur la notion du « rapport au savoir », Vincent Gevrey évoque sa manière d’appréhender le « processus de décrochage/(ré)accrochage » scolaire des adolescents. Il s’appuie sur un dispositif de groupes de parole avec des adolescent.es mis en place dans des collèges de la région parisienne. Il montre comment cette recherche l’a amené à élaborer ses mouvements contre-transférentiels vis-à-vis de son objet de recherche. 20) Houssier, F. et Chagnon J.-Y. (2016). Accompagner son fils adolescent : Freud entre père et fils. Cliopsy, 16, 9-23. Florian Houssier et Jean-Yves Chagnon explorent la vie de Freud en tant qu’adolescent dans sa relation à son père, mais également sa vie en tant que père de fils adolescents. Ils avancent l’hypothèse que Freud, lors de son adolescence, n’aurait pas été suffisamment accompagné par son propre père pour faire face aux différents remaniements que provoque l’avènement de la puberté. 21) Hilbold, M. et Geffard, P. (2016). Quels objets de désir au collège ? Éléments d’analyse d’un groupe de réflexion avec des enseignants. Cliopsy, 16, 55-70. À partir d’une recherche collective sur le « décrochage scolaire » au collège, Mej Hilbold et Patrick Geffard ont mis en place un dispositif réunissant des enseignants et deux enseignants-chercheurs. Ils proposent une réflexion sur les phénomènes d’intrusion et de porosité entre espaces privés et publics, familiaux et scolaires et une tentative de compréhension des phénomènes de circulation de la parole dans le groupe, en miroir de leur tandem d’animateur. 22) Petit, C. (2016). La question de l’origine et ses rapports avec l’identité chez l’adolescent à La Réunion. Cliopsy, 16, 71-86. Christian Petit, à partir d’analyse d’entretiens cliniques à visée de recherche effectués auprès de lycéens de La Réunion, montre le rapport privilégié entre le questionnement sur l’origine et les représentations de l’identité à l’adolescence. Il met un lien entre la question de l’origine et le passé de l’esclavage. 23) Gavarini, L. (2017). Le contre-transfert comme boussole et le transfert à la psychanalyse comme équipement pour tenir la place du répondant en situation clinique. Cliopsy, 17, 83-105. En s’appuyant sur son expérience clinique auprès d’adolescents dans le cadre de la conduite de groupe de paroles pour adolescents en situation de décrochage scolaire, Laurence Gavarini décrit d’un point de vue théorique son positionnement quant aux notions de transfert et de contre-transfert en évoquant son propre transfert à la psychanalyse. 24) Gallut, X. (2017). « Psy » dans un Programme de Réussite Éducative : enjeux et pratiques. Cliopsy, 18, 39-52. En tant que psychologue clinicien, Xavier Gallut propose une réflexion qu’il a élaborée à partir de son expérience dans le dispositif « Programme de Réussite Éducative » (PRE) où les enjeux institutionnels et sociaux

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Antoine Kattar

retentissent sur le sujet. Pour illustrer son travail clinique, Il s’appuie sur le suivi de Zoé, une jeune adolescente de 12 ans qu’il a accompagnée. 25) Weber, J.-M. et Voynova, R. (2017). Décrocher de l’école pour décrocher le diplôme. Acte, répétition, pulsion de mort. Cliopsy, 18, 69-83 À partir d’entretiens où étaient recueillis les paroles de jeunes dits « décrocheurs », Jean-Marie Weber et Ruzhena Voynova montrent l’ancrage du décrochage scolaire à la fois dans un processus subjectif et collectif. 26) Pirone, I. (2018). Sur le chemin de la maison à l’école. Le « décrochage scolaire » une mise à l’épreuve de la clinique du transfert en éducation. Cliopsy, 19, 9-23. Ilaria Pirone, en s’inscrivant dans une démarche clinique d’orientation psychanalytique en sciences de l’éducation, propose de montrer comment elle a été amenée à déconstruire l’objet de recherche « décrochage scolaire » en s’appuyant sur un dispositif de médiation par le dessin. 27) Brasil, K. C. T. R. et Conte de Almeida, S. F. (2018). Une intervention auprès d’adolescents vulnérables à l’aide de la médiation audiovisuelle. Cliopsy, 19, 37-45. Katia Cristina Tarouquella Rodrigues Brasil et Sandra Francesca Conte de Almeida présentent leur intervention auprès d’un groupe d'adolescents dans un lycée public situé dans une banlieue de Brasilia (la capitale du Brésil). Cette médiation culturelle a permis d'établir un dispositif de soutien narcissique et la possibilité d'expression du malaise de ces jeunes en situation de vulnérabilité.

Trois grandes tendances issues de ce recensement Nous comptons ainsi 39 auteurs distincts pour ces 27 articles dont trois ont signé deux articles au cours de la période concernée. 18 articles sont signés par un seul auteur et 9 articles sont co-signés (donc la moitié d’entre eux). 11 auteur·e·s sur les 39 signatures différentes recensées sont de nationalité étrangère, soit 28 % d’entre eux. Certain·e·s auteur·e·s s’inscrivent dans la discipline sciences de l’éducation et d’autres dans des disciplines comme la psychologie. 20 auteurs sur les 39 (quasiment la moitié d’entre eux) viennent de la psychologie, ce qui fait penser que cet objet étant travaillé depuis plus longtemps en psychologie qu’en sciences de l’éducation, la proportion d’auteurs émanant de cette discipline reste importante dans cette période. On peut imaginer que les articles concernant cette thématique et s’inscrivant en sciences de l’éducation vont se multiplier à l’avenir, comme semble l’augurer la fréquence plus élevée de ces articles à partir du numéro 15, excepté dans le numéro 20. Trois grandes tendances ou sous-thèmes se dégagent quand on lit ces articles : adolescence et décrochage scolaire, adolescence et environnement, adolescence et soins. Ainsi, 12 articles s’inscrivent dans le thème « adolescence et décrochage scolaire », 7 articles relèvent plutôt de — 60 —


L’adolescence : une thématique de recherche en progression en sciences de l’éducation

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« adolescence et soins » tandis que 4 articles renvoient au thème « adolescence et environnement ». Hors de ces trois catégories, on trouve trois articles évoquant l’adolescence sous un prisme original : l’examen de la relation de Freud à son fils, la question de l’« adolescence professionnelle » et l’appui sur des textes littéraires. On peut enfin noter que la question des dispositifs pour écouter et accompagner les adolescents est centrale : elle est abordée à peu près dans tous les articles concernant les trois sous-thèmes dégagés.

Éléments de bibliographie Kattar, A. (2011). Thèse de doctorat en sciences de l’éducation : La « création » adolescente sous l’emprise d’une double menace. Étude clinique des adolescents vivant au Liban. (Université Paris Ouest Nanterre La Défense), sous la direction de Claudine Blanchard-Laville. Kattar, A. (2016). Adolescent dans un environnement incertain. Une expérience libanaise. Paris : l’Harmattan. Kattar, A. (2016). Habilitation à Diriger des Recherches en Sciences de l’éducation (Université Paris 8 Vincennes-Saint-Denis) Recherches cliniques sur l’adolescence contemporaine dans le champ de l’éducation et de la formation. De l’intervenantpsychosociologue au chercheur-clinicien, Laurence Gavarini, Garante. Kattar, A. (dir.) (2018). À la rencontre d’adolescent·e·s dans des environnements incertains. Écoutes croisées. Paris : l’Harmattan.

Antoine Kattar CAREF Université de Picardie Jules Verne, Amiens Pour citer ce texte : Kattar, A. (2019). L’adolescence : une thématique de recherche en progression en sciences de l’éducation. Cliopsy, 21, 55-61.

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Revue Cliopsy, n° 21, 2019

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À propos de l’usage du terme « dispositif » dans la revue Cliopsy

Patrick Geffard

Un parcours dans l’après coup Cet article s’inscrit dans le cadre d’une démarche collective initiée au sein du comité de rédaction de la revue au moment de ses dix ans d’existence. À l’occasion de cet anniversaire qui confirme l’installation résolue dans l’âge de raison tout en maintenant l’inscription dans le temps de la jeunesse, plusieurs auteur·e·s se sont proposé·e·s ou ont été sollicité·e·s pour s’engager dans une sorte de parcours rétrospectif, au fil des numéros publiés entre avril 2009 et octobre 2018. En ce qui me concerne, c’est le terme dispositif que j’ai proposé comme objet guidant ma relecture. Parce que j’avais eu l’occasion de travailler récemment sur les dispositifs que je tente de mettre en place dans mes activités de formation et de recherche (Geffard, 2017) et que cela m’avait donné l’occasion d’en proposer une définition que je reprendrai en fin d’article, je suis assez logiquement revenu sur les usages qui avaient pu être faits de ce vocable dans Cliopsy. Il va donc être question ici d’un examen des sens donnés à ce mot selon les auteur·e·s et leurs contextes de travail et de quelques repérages qu’il m’a semblé possible d’établir. Je signale au passage qu’écrire que le parcours de relecture s’est fait dans l’après coup noté sans trait d’union vise à indiquer que l’étude a été réalisée avant tout dans une dimension temporelle, sans préjuger des effets qui pourraient se produire chez qui viendrait à réexaminer de plus près son utilisation des dispositifs qu’il ou elle a pu instituer, cet examen pouvant peut-être, lui, être porteur d’effets d’après-coup au sens du Nachträglichkeit freudien (Chaussecourte, 2010). Dans un premier temps, j’ai fait un relevé des occurrences du terme dans les vingt numéros de la revue, en ne prenant toutefois en compte que le corps des articles, laissant de côté les notes de bas de page, les recensions d’ouvrages, les comptes rendus de thèses ou d’HDR, les résumés ainsi que les références bibliographiques. En feuilletant rapidement la revue Cliopsy, on pourrait penser que le terme dispositif est fort peu présent car, sur l’ensemble des numéros publiés, on ne le trouve que dans trois titres d’articles seulement (Dubois, 2015/13, p. 77 ; Falla, 2013/9, p. 37 ; Le Roy, — 63 —


Patrick Geffard

2015/13, p. 95). On remarquera aussi que le mot n’apparaît pas dans ces trois cas sous la forme d’une notion – et encore moins d’un concept – qui serait le centre de l’article, mais qu’il s’agit chaque fois de la désignation d’un mode d’organisation ayant une visée spécifique (enseignement, formation ou lutte contre le décrochage scolaire). Et il est également intéressant de constater que sur les trois titres utilisant le vocable dispositif, deux concernent le champ de la pédagogie institutionnelle (l’organisation de la classe institutionnalisée et des groupes qui la composent pour l’un, le groupe d’élaboration de la pratique organisé par une pratique d’écriture en situation groupale pour l’autre) alors que le numéro 14 d’octobre 2015, précisément consacré à la pédagogie institutionnelle, est celui qui contient le moins le terme, le numéro 6 mis à part. Je reviendrai plus loin sur cette particularité. Au registre de la discrétion du terme, je signalerai enfin que dans le numéro 6 paru en octobre 2011, entièrement en langue anglaise hormis l’éditorial, n’apparaissent que deux occurrences du mot device et une seule d’apparatus. Pourtant, à y regarder de plus près, le terme dispositif est bien présent dans les articles publiés, et ce sous des acceptions diverses. La fréquence d’emploi est de 40 occurrences en moyenne par numéro, avec – si l’on met à part les deux particularités que je viens d’évoquer – une présence qui se situe entre 19 et 114 occurrences (numéro 15, avril 2016, dans le premier cas, numéro 9, avril 2013, dans le second). Notons enfin que l’utilisation du vocable fluctue au fil du temps et que l’on ne peut pas noter une augmentation ou une régression de son emploi entre le moment de création de la revue et le vingtième numéro publié. Mais ces premières constations ne sont que des mesures quantitatives qui ne disent pas grand-chose de l’usage du terme, de la façon dont les auteur·e·s s’en emparent et l’utilisent. Je vais donc examiner maintenant les modalités selon lesquelles les « dispositifs » apparaissent au fil des pages.

De quoi « dispositif » est-il le nom ? Si les acceptions du terme sont variées et les distinctions parfois un peu floues, j’ai tout de même pu repérer trois registres principaux au sein desquels le mot apparaît. Je vais donner quelques exemples à partir de citations tirées des articles, sans prétendre bien sûr à l’exhaustivité pour des raisons évidentes de volume.

Les dispositifs comme procédures Le registre le moins fréquent est celui relatif à ce que je qualifierai de procédures, autrement dit les cas où « dispositif » désigne des modes d’organisation, d’intervention, de validation qui visent à modifier quelque chose dans le champ social, en direction d’usagers pour lesquels des formes d’action ont été prévues en extériorité, celles-ci étant mises en œuvre par des acteurs désignés. — 64 —


À propos de l’usage du terme « dispositif » dans la revue Cliopsy

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Il n’est pas étonnant que, puisque les travaux publiés dans Cliopsy s’inscrivent dans le domaine de l’éducation et de la formation, l’on rencontre assez régulièrement des études portant sur des pratiques pédagogiques ou didactiques, des modalités de formation ou d’évaluation, des formes d’intervention à visée thérapeutique ou socialisante. Ce sont ces diverses formes d’action qui, dans ce registre, sont nommées dispositifs. Dans une étude comportant des entretiens menés auprès de professeurs d’Éducation musicale au collège, Sophie Lerner-Seï évoque « des dispositifs didactiques clairement orientés vers une maîtrise du savoir musical. Ces dispositifs visent une appropriation de connaissances et font une large place aux activités cognitives » (Lerner-Seï, 2009/2, p. 88). Dans le numéro suivant, Jean Chami parle de qualification universitaire dans ce qu’il appelle le « dispositif des masters professionnels » (Chami, 2010/3, p. 60) et mentionne l’existence d’« un dispositif d’évaluation quantitative des activités de connaissance » (id., p. 67). Pour situer le contexte dans lequel s’inscrivent ses propres actions de formation, Jean-Marie Weber revient sur des « dispositifs de formation en alternance » ou « dispositif de tutorat pour les enseignants du secondaire » en précisant que des « dispositifs de mentorat et de tutorat ont été mis en place et à l’essai au cours des XIX e et XXe siècles et ceci jusqu’à aujourd’hui » (Weber, 2011/5, p. 25-26). Sous ce registre, le terme dispositif peut donc désigner l’espace d’apprentissage lui-même – « la classe comme “dispositif pédagogique” fondé par l’enseignant » (Toubert-Duffort, 2012/7, p. 38) – ou certaines modalités pédagogiques ou didactiques mises en œuvre dans cet espace comme on vient de le voir. Il en va de même pour les cas particuliers d’enseignement ou de formation. François Le Clère travaille par exemple sur ce qu’il nomme des « dispositifs pédagogiques à destination d’adolescents “décrocheurs scolaires” ». (Le Clère, 2013/9, p. 53), tandis qu’Ilaria Pirone dit avoir été amenée « à considérer la dimension institutionnelle et à [se] pencher sur les politiques éducatives qui ont donné naissance à une série de dispositifs pédagogiques et/ou éducatifs, de remédiation et/ou de raccrochage, à l’intérieur comme à l’extérieur de l’école, mis en place au fil des années » (Pirone, 2018/19, p. 21). De la prise en charge des élèves « à besoins éducatifs particuliers » à des actions articulant l’éducatif et le thérapeutique, on retrouve régulièrement la même acception du terme dispositif. Dans un article consacré à la scolarisation d’enfants et d’adolescents en situation de handicap, les auteur·e·s s’intéressent à des « dispositifs d’inclusion scolaire et éducative de jeunes en situation de handicap mental » (Pechberty, Kupfer, de La Jonquière, 2010/4, p. 10). Notons au passage que le même type de relevé peut être fait à partir de travaux réalisés à l’étranger. Dans une étude portant sur un atelier thérapeutique organisé par la lecture et l’écriture, Giovana de Castro Cavalcante Serafini présente les Centres de Prise en Charge Psychosociale (CAPS) dans lesquels s’inscrit son travail comme « des dispositifs mis en place par le Ministère brésilien de la Santé conformément aux prérogatives du Système Unique de Santé (SUS) [qui] offrent un service — 65 —


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de santé mentale en remplacement des internements psychiatriques » (de Castro Cavalcante Serafini, 2013/10, p. 113). Cet usage du terme dans le registre de la procédure est d’ailleurs parfois l’occasion d’émettre certaines critiques, comme lorsque Maria José Garcia Oramas et Silvia Radosh Corkidi écrivent qu’« à partir d’études précédentes (Carneiro et Coutinho, 2012), nous savons que le lien éducatif actuel, socialement soutenu par des dispositifs institutionnels médicopédagogiques, est guidé fondamentalement par le discours de la science, au détriment de la parole des parents et des professionnels de l’éducation » (Garcia Oramas et Radosh Corkidi, 2014/11, p. 103). À d’autres occasions, le dispositif qui fait l’objet de l’étude peut être pensé comme inclus dans un autre, institué dans un cadre plus vaste. C’est ce que l’on relève quand est qualifiée de dispositif « l’Éducation à visée thérapeutique [qui] est un ensemble de procédures thérapeutiques et éducatives visant le rétablissement ou la construction de la structuration psychique d’enfants du spectre de l’autisme » (Inafuku de Merletti, Machado Kupfer, Voltolini, 2016/16, p. 26), ce premier dispositif pouvant inclure ce que les auteurs nomment « dispositif thérapeutique groupal » (id., p. 28) pour désigner les modalités du travail thérapeutique mis en place pour les enfants accueillis.

Les dispositifs comme outils d’élaboration du positionnement subjectif Ce deuxième registre est celui qui voit apparaître le plus grand nombre d’occurrences du terme et il n’y a là non plus rien d’étonnant pour une revue se situant dans une approche clinique d’orientation psychanalytique. Je propose ce registre comme étant celui de l’analyse clinique de la pratique professionnelle, de la mise en œuvre de processus d’élaboration de l’expérience subjective, et même de la transmission des approches cliniques propres au réseau Cliopsy. Avant de citer quelques extraits d’article me paraissant s’inscrire dans ce registre, je mentionnerai deux récurrences : la référence au « dispositif de la cure » et celle, plus fréquente, aux « dispositifs de type Balint ». On trouve en effet la première expression à plusieurs reprises au fil des numéros (Filloux, 2010/4, p. 93 ; Pechberty, 2009/1, p. 49, 2017/17, p. 20 ; Tourette-Turgis, 2012/7, p. 63 ; Yelnik, 2012/8, p. 12). Cette référence est plus précisément éclairée par Maria José Garcia Oramas et Silvia Radosh Corkidi dans leur article paru dans le numéro 11 de la revue quand elles rappellent que « dans le séminaire “Le psychanalyste et son baquet” (1987), Jean Laplanche affirme que tout espace analytique est construit en introduisant un processus progressif délimité par trois éléments fondamentaux : le cadre, le type de discours qui s’établit entre analyste et analysé et la position de refus de l’analyste. C’est ce dispositif qui permettra le déploiement du transfert et, avec lui, la — 66 —


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possibilité de guérison, but ultime du processus analytique » (Garcia Oramas et Radosh Corkidi, 2014/11, p. 91). De là, elles affirment que « la question de savoir s’il est possible de mettre en place des dispositifs analytiques ayant d’autres buts que la cure est toujours d’actualité » (Ibid.). La seconde récurrence concerne les « dispositifs de type Balint », les « dispositifs cliniques d’analyse de pratiques d’inspiration Balint » ou les associations qui peuvent être faites entre « groupes Balint » et dispositifs cliniques d’élaboration de l’expérience subjective en situation professionnelle (Bainbridge et West, 2011/6 ; Bastin et Chaussecourte, 2011/6 ; BlanchardLaville, 2009/1, 2012/8, 2017/17 ; Canat, 2014/12, 2015/14 ; Chami, 2010/3 ; Dubois, 2015/13 ; Fablet, 2010/4 ; Gaillard, 2011/5; Garcia Oramas et Radosh Corkidi, 2014/11 ; Hilbold et Geffard, 2016/16 ; Léon, 2015/13 ; Luce, 2011/5 ; Strauss-Raffy, 2010/2 ; Vincent, 2017/18 ; Yelnik, 2012/8). On peut comprendre cette forte influence si l’on suit Jean Chami quand il écrit que « si les médecins (en nombre restreint) restent très attachés à leur pratique du “Balint”, fidèle au dispositif initial, les autres professions expérimentent des dispositifs étroitement inspirés de sa méthode et de son esprit, avec des modifications très innovantes, tenant compte en particulier des dimensions institutionnelles et des professionnels de différentes catégories travaillant en équipes » (Chami, 2010/3, p. 59). Les dispositifs d’élaboration de l’expérience subjective présentés dans la revue Cliopsy se situent très souvent dans le champ de l’éducation et de l’enseignement. Ce qui ne manque pas de poser la question des dimensions qu’ils convoquent. Une interrogation que Catherine Yelnik a abordée ainsi : « dans l’éventualité où le dispositif clinique d’analyse de pratiques parvient à s’instaurer au sein de l’institution scolaire, il y a donc une ligne de crête à trouver entre, d’un côté, une centration sur l’histoire personnelle et les conflits intrapsychiques et, de l’autre, une prise en compte des facteurs extérieurs, des effets du contexte organisationnel, institutionnel, social voire économique et politique, sur les conditions de travail et l’expérience subjective des sujets, au risque de le conforter dans la position de victime » (Yelnik, 2010/3, p. 14-15). La position qui apparaît avec le plus d’insistance est celle qui considère les dispositifs mis en place comme susceptibles de permettre une reprise de l’engagement subjectif dans la rencontre avec l’autre (usagers, collègues, partenaires institutionnels...) afin de permettre quelques dégagements de positions souvent marquées dans un premier temps par la répétition, la souffrance ou la confusion. Il est par exemple question de « dispositifs d’élaboration groupale des pratiques professionnelles nécessaires pour exprimer et mettre en sens les mouvements psychiques singuliers de chaque professionnel liés à l’accompagnement [de] jeunes en difficulté psychique » (Pechberty, Kupfer, de La Jonquière, 2010/4, p. 16) ou — 67 —


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d’« un ensemble de dispositifs qui instaure un travail d’après-coup, un travail de reprise seconde de vécus professionnels difficiles en présence d’un intervenant extérieur [qui] participe à ce travail du “réinstituer de la professionnalité” (Gaillard, 2008), de réinscrire de la différence et de la pensée là où régnaient l’affect et les éprouvés confusionnants, ceci quel qu’en soit le cadre » (Gaillard, 2011/5, p. 11). Un type d’approche vis-à-vis duquel Claudine Blanchard-Laville s’exprime ainsi : « si je résume les caractéristiques de mon dispositif, je dirais que la démarche consiste, pour chacun·e des enseignants qui participent à ce type de groupe, à travailler son implication personnelle dans les actes professionnels qu’il·elle pose au quotidien » (Blanchard-Laville, 2012/8, p. 50). Cet usage des dispositifs est par ailleurs régulièrement évoqué dans un contexte de formation, comme lorsqu’il est affirmé qu’« il importe de mettre en place des espaces de médiation comme des dispositifs d’analyse des pratiques, des espaces-temps de supervision où les acteurs peuvent échanger sur leur pratique d’enseignant et de tuteur et mettre en résonance leurs propres paroles dans le cadre d’un groupe » (Weber, 2011/5, p. 35) ou que, « pour l’essentiel, il s’agit de mettre [les étudiants] en posture de chercheur, dans une démarche clinique, pour les amener progressivement à un travail de conscientisation et à une confrontation avec la question méthodologique ainsi qu’avec la question centrale de l’écriture » et qu’il s’agit donc de « mettre en place un dispositif en cohérence avec ces visées » (Bréant, 2011/5, p. 84). À l’occasion, on peut même lire quelque chose de l’ordre de la transmission de qui a initié un dispositif vers ceux qui y ont participé. C’est par exemple le cas quand David Chandezon explique que « les étudiants avaient préparé le dispositif dans une grande congruence avec leurs mouvements de fin de formation […] la trame de langage bâtie au cours de leurs années de formation constituait le lien entre leur formation, à laquelle ils s’adossaient, et la réponse créative construite à partir d’eux-mêmes, en tant que professionnels » (Chandezon, 2012/7, p. 85).

Les dispositifs comme outils de recherche Le troisième registre proposé a trait à l’activité de recherche elle-même. Les chercheuses et les chercheurs qui publient dans Cliopsy utilisent régulièrement le terme dispositif pour présenter ce qu’elles·ils ont mis en œuvre sur le plan méthodologique pour recueillir des données et les analyser. Le dispositif désigne dans ce cas-là une diversité d’outillages pouvant concerner les techniques d’entretien ou d’observation, mais aussi le travail d’élaboration du positionnement de qui effectue la recherche, avec souvent une attention particulière portée aux phénomènes dits contretransférentiels. — 68 —


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C’est ainsi que Laurence Gavarini explique avoir « soutenu une approche clinique à travers le dispositif bien spécifique des groupes de parole [...] proposés aux adolescents et adolescentes de collèges et lycées situés dans une banlieue nord de la région parisienne » tout en indiquant que ce travail s’est fait à partir « des prémisses constituées, durant les années 1970-1980, par une clinique psychosociologique des institutions, jusqu’au travail psychanalytique, puis la prise en charge de groupes d’analyse des pratiques professionnelles d’orientation psychanalytique et, enfin, de groupes de parole » (Gavarini, 2009/1, p. 51-53). Plus souvent encore que les groupes de parole, ce sont les entretiens cliniques à visée de recherche qui entrent fréquemment dans ce troisième registre, selon le postulat qu’il existe « une part du sujet que l’on ne peut saisir que par un dispositif approprié » (Costantini, 2009/1, p. 102). Mais il peut être aussi question de « dispositif méthodologique de recherche » à propos d’un « mode d’analyse du matériel linguistique qui pourrait rendre compte à la fois de l’aspect dynamique du développement du processus groupal et à la fois du contenu latent du discours » (Charrier, 2010/4, p. 48). La démarche de recherche elle-même, la manière dont celui ou celle qui la porte s’y positionne peuvent être parfois questionnées par un « dispositif ». C’est ce qu’avancent Brigitte Charrier et Nicole Clerc lorsqu’en faisant référence au « cadre interne », décrit par Catherine Henri-Ménassé comme « un dispositif, littéralement intégré à la psyché de l’intervenant » (HenriMénassé, 2009, p. 214), les deux chercheuses analysent leur projet de « concevoir et de mettre à l’épreuve un dispositif commun pour tenter d’appréhender ce qui, au-delà d’un cadre externe similaire, constituait [leurs] cadres internes dans cette expérience de co-animation » (Charrier, Clerc, 2012/7, p. 44). Dans ce registre aussi, les dispositifs peuvent se voir transformés par l’expérience menée. C’est ce que nous montre Ilaria Pirone lorsqu’en présentant une étude conduite auprès d’adolescents elle explique que « leurs difficultés n’étaient pas simplement dues à une forme de résistance à l’école, mais plutôt à une véritable incapacité à raconter et à se raconter. […] Cette nouvelle lecture me conduira aussi à repenser mes dispositifs de recherche et à construire, lors de ma deuxième année de terrain, le dispositif “c’est notre histoire” » (Pirone, 2013/10, p. 38-39).

Les chevauchements Les trois registres qui viennent d’être proposés sont bien sûr discutables, mais, surtout, il s’avère qu’ils ne découpent pas des zones imperméables les unes aux autres. Il est par exemple des approches qui semblent porteuses à la fois d’une dimension de recherche et d’une potentialité d’élaboration subjective pour les participants. C’est en tout cas ce qu’il me paraît pouvoir entendre quand Jole Orsenigo et Stefania Ulivieri-Stiozzi indiquent que la Clinique de la formation en Italie « recense et détaille les représentations et les modèles, les fantasmes et les désirs, mais surtout analyse les dispositifs mis en place et qui se font vecteurs de la normalité des processus éducatifs — 69 —


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et de formation (Massa, 1992 ; Riva, 2000, 2004) » (Orsenigo, UlivieriStiozzi, 2018/20, p. 42). C’est aussi ce qui apparaît dans les propos de Claudine Blanchard-Laville lorsqu’elle écrit qu’« en ce qui concerne [sa] propre expérience, la dimension de recherche du dispositif Balint [l’a] toujours attirée » (Blanchard-Laville, 2012/8, p. 49). Cette présence de plus d’une dimension à travers ce qui peut être désigné par le vocable dispositif est parfois prise en compte et analysée par les auteurs. C’est ce que fait notamment Caroline Le Roy lorsqu’elle distingue le travail de la chercheuse « qui s’appuie sur certaines des données relatives aux différents dispositifs d’enquête qui ont jalonné [la] recherche – groupes de parole, entretiens collectifs, entretiens individuels, entretiens à médiation (dessins), travail sur des rapports d’incidents, analyses de pratiques professionnelles » (Le Roy, 2015/13, p. 95) et les « dispositifs relatifs au décrochage scolaire » que l’on trouve dans le titre de son article, qui sont des dispositifs institués dans le but de permettre un « raccrochage scolaire » pour les élèves concernés et qui appartiennent donc au premier des trois registres distingués dans cet article. Il me semble en tout cas que ce premier repérage est en lien avec des interrogations soulevées par quelques auteur·e·s, comme Philippe Chaussecourte lorsqu’il pose « la question des dispositifs possibles d’élaboration de ces phénomènes contre-transférentiels que rencontrent les étudiants dans les recherches cliniques d’orientation psychanalytique [qu’il] accompagne » (Chaussecourte, 2017/17, p. 125) ou Laurence Gavarini quand elle écrit qu’« un travail collectif reste encore à faire, ou à parfaire, sur l’institution de transferts que produisent les dispositifs particuliers que nous mettons en place dans nos universités respectives pour transmettre la psychanalyse et ce que nous entendons par approches cliniques » (Gavarini, 2017/17, p. 101).

Les dispositifs comme espaces de créativité Selon René Kaës, « établir un dispositif, c’est introduire une rupture dans l’arrangement habituel des choses, pour en manifester un certain ordre. Proposer un dispositif nouveau, c’est encore décider une rupture avec les appareils de travail utilisés. C’est à coup sûr se placer dans un écart, se laisser interroger dans son affiliation. […] C’est aussi se trouver confronté aux parties de soi qui font retour […] dans le cadre des dispositifs antérieurs » (Kaës, 1994, p. 209). Malgré un certain nombre de ressemblances formelles ou de proximités dans les sources théoriques utilisées, de nombreux dispositifs présentés dans les pages de Cliopsy me sont apparus comme des créations singulières faisant appel aux expériences antérieures et au parcours de formation des auteur·e·s, à un étayage théorico-clinique constitué sur le long terme.

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Parfois, comme l’indique Vincent Di Rocco à propos d’un dispositif qu’il a luimême animé, il peut s’agir d’une création réalisée dans une dimension de « bricolage » au sens de Lévi-Strauss dans La pensée sauvage, le dispositif reposant alors « sur une reprise d’éléments déjà existants utilisés dans une nouvelle construction, tournés vers un nouvel usage » (Di Rocco, 2010/3, p. 19). Une démarche à rapprocher de celle de Jean-Charles Léon qui utilise le terme dispositifs pour parler de la mise en place d’un « conseil d’élèves » et des « métiers » de la classe institutionnelle associés à une pratique du tutorat et à « des ateliers de philosophie ou psychologie suivant les techniques de l’AGSAS (Lévine, 2008) » (Léon, 2015/13, p. 61). La créativité mise en œuvre lors de la construction d’un dispositif puise généralement à des sources variées. Il peut s’agir d’une forme de transposition « j’ai choisi un dispositif inspiré de l’entretien clinique à visée de recherche en le transposant à un groupe restreint » (Kattar, 2012/8, p. 32) comme elle peut être une réponse à l’expérience effectivement rencontrée « ma première séance de présentation à la [classe-relais] a été très signifiante et m’a permis d’élaborer mon dispositif d’intervention » (Le Clère, 2013/9, p. 54) ou encore une tentative d’articulation entre des expériences diverses « même si la cure analytique constitue le fondement de ma posture clinique, mes expériences en psychodrame, celles au sein des alternatives à la psychiatrie et celles relatives à la création littéraire et théâtrale ont apporté des tensions fécondes, pour penser et mettre en œuvre des dispositifs favorisant les processus de subjectivation, dans des groupes ou collectifs, en situation de formation » (Bréant, 2018/20, p. 114). Cette diversité des influences ou apports, voire des places occupées, est parfois clairement montrée par les auteur·e·s quand sont présentés les dispositifs. C’est ce que font Brigitte Charrier et Nicole Clerc à propos d’un « dispositif expérimental » mis en œuvre lors d’un congrès universitaire pour lequel les auteures indiquent que les ressources mobilisées « puisaient dans [leurs] expériences antérieures sur différents plans : au plan de [leurs] expériences culturelles, au plan de [leur] expérience de la pratique groupale et de la psychanalyse, mais aussi au plan de la connaissance mutuelle et subjective [qu’elles avaient] l’une de l’autre » (Charrier, Clerc, 2012/7, p. 56). C’est un « dévoilement » du même ordre qui est opéré par Ana Zavala à propos d’un travail d’accompagnement à l’écriture mené auprès de professeurs d’histoire et qui concerne l’analyse de quelques moments de leurs vécus professionnels. Cette auteure écrit notamment que son « dispositif est traversé par le lien militant de la pratique enseignante, celui de l’accompagnement – en supervision ou non – et celui de la recherche. Ainsi, comme on le verra, je passe souvent de la place de collègue à celle d’amie, de professeure, d’accompagnatrice, — 71 —


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d’animatrice, qui propose des lectures de texte dont je peux être l’auteure » (Zavala, 2013/10, p. 24).

Un cas particulier : dispositifs et pédagogie institutionnelle En partie parce qu’il s’agit d’un domaine de recherche important pour moi, je consacre maintenant quelques lignes à un cas spécifique, celui de l’usage du terme dispositif dans le champ de la pédagogie institutionnelle. Dans un premier temps, j’ai été frappé par le fait que le mot n’apparaissait qu’à huit occasions dans le numéro 14 de Cliopsy intitulé « De la pédagogie institutionnelle aujourd’hui ». Hormis le numéro 6 en langue anglaise, c’est donc celui dans lequel le terme apparaît le moins. Dans un second temps, j’ai réalisé qu’il n’y avait peut-être pas lieu de m’étonner parce que si j’accorde une importance certaine à ce qu’il est possible de proposer comme notion à travers ce terme – j’y reviendrai en conclusion –, il n’appartient pas vraiment au champ de la « P.I. ». Et je sais bien que lorsque j’y ai recours, c’est dans une logique de « bricolage » au sens précédemment évoqué, en l’occurrence celui qui tente de faire travailler ensemble des apports venus du courant « institutionnaliste » et d’autres relevant de la clinique d’orientation psychanalytique. C’est donc plutôt chez des auteurs ne se revendiquant pas du mouvement de la pédagogie institutionnelle que j’ai trouvé des usages du terme dispositif mis en relation avec cette approche pédagogique particulière. Avec toutefois une exception, mais il s’agit d’un chercheur qui se situe dans une perspective proche de celle que je viens d’évoquer pour moi-même. Pour Arnaud Dubois, enseignant-chercheur en sciences de l’éducation et praticien de la pédagogie institutionnelle, le « groupe monographique » est considéré comme un dispositif de formation pour enseignants débutants ainsi que l’indique le titre d’un de ses articles (Dubois, 2015/13, p. 77-93). Sa formation initiale avec le Groupe de recherche en pédagogie institutionnelle (GRPI) animé par Francis Imbert ne peut être étrangère à ce positionnement qui l’amène à reprendre l’idée selon laquelle, dans le champ de la pédagogie institutionnelle, les groupes d’écriture monographique sont des « dispositifs d’élaboration clinique de la pratique enseignante » (Blanchard-Laville et al., 2005, p. 142). Il est donc assez logique que, dans sa pratique de formateur d’enseignants, il institue des groupes d’écriture monographique qu’il désigne comme des « dispositifs de formation » (Dubois, 2015/13, p. 78). La transposition du groupe d’écriture monographique de la pédagogie institutionnelle dans un cadre universitaire de formation d’enseignants le conduira d’ailleurs à interroger la nature des dispositifs qu’il met en place et à reprendre la distinction proposée par Michel Legrand entre « dispositifs d’investigation » et « dispositifs de transformation » (Legrand, 1993, p. 175). De son côté, Catherine Yelnik, citant Francis Imbert, parle de « la “multiplicité des pôles d’investissement et d’identification” que permettent — 72 —


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les dispositifs de pédagogie institutionnelle » (Yelnik, 2012/8, p. 22). Une formulation qui est fidèle à la pensée d’Imbert puisque, dans un ouvrage cosigné avec Mireille Cifali, on retrouve le même terme lorsque sont évoqués « le groupe et les dispositifs de médiations mis en place [qui] sont les substrats indispensables pour qu’un enfant trouve de quoi se repérer comme sujet » (Cifali et Imbert, 1998). Dans un article analysant des pratiques de formation d’adultes organisées par la pédagogie institutionnelle, Willy Falla écrit que cette dernière « s’actualise dans un certain nombre de dispositifs de parole mis en place dans la classe et appelés institutions (Conseil de coopérative, Quoi de neuf ?, etc.). La fonction de ces dispositifs est de mobiliser des processus de symbolisation, de différenciation et d’alliance, en articulant les circuits d’échanges, les places, où chaque élève pourra s’inscrire » (Falla, 2013/9, p. 38). Faisant le lien entre des techniques coopératives qui l’ont précédée et la pédagogie institutionnelle, Hubert Vincent associe une proposition d’Heidegger selon laquelle « notre rapport au monde devait d’abord être compris comme rapport pratique et d’usages au monde » (Être et Temps, 1927/1986) et ce qui « se retrouvait chez Freinet et dans ce qui naquit autour des années 50 et 60 à travers la psychiatrie et la pédagogie institutionnelles ». Selon cet auteur, « il n’y a pas, par exemple, seulement “le texte libre”, comme un travail d’écriture laissée à l’initiative de l’enfant, mais ce moment d’initiative s’encastre dans tout un dispositif complexe, fait de reprises diverses, articulées à des exigences formelles différentes, à du travail singulier et à du travail collectif » (Vincent, 2017/18, p. 126-127). La pédagogie Freinet elle-même est qualifiée de « dispositif » par AnneMarie Jovenet, pour qui elle est basée sur des « techniques d’apprentissage particulières comme le texte libre, les recherches mathématiques, les présentations à la classe et la conservation des travaux des élèves comme patrimoine, le quoi-de-neuf, l’objectif du dispositif étant toujours centré sur l’apprentissage » (Jovenet, 2010/3, p. 75). Dans son étude, l’enseignant Freinet est considéré comme proposant « un dispositif collectif d’apprentissage » (id., p. 79).

Aboutissement provisoire du parcours Si une grande partie de mon travail actuel se réalise toujours sur la base des approches institutionnelles (Delion, F. Oury, J. Oury, Tosquelles), j’utilise aujourd’hui le terme dispositif pour désigner un ensemble composé par les institutions mises en place et la manière de les conduire. Je conclurai donc en présentant mon appropriation de ce vocable pour lequel il est difficile de ne pas mentionner le travail de Michel Foucault avec qui il est devenu une notion, celle-ci s’étant d’abord construite dans Surveiller et punir (1975). Selon son auteur lui-même, cet ouvrage avait pour projet d’écrire « une — 73 —


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histoire corrélative de l’âme moderne et d’un nouveau pouvoir de juger ; une généalogie de l’actuel complexe scientifico-judiciaire » (Foucault, 1975, p. 27). Le terme qui deviendra notion n’est d’ailleurs pas utilisé d’emblée par Foucault puisqu’il faut attendre la fin du deuxième chapitre pour que celle-ci commence vraiment à se constituer. Auparavant, il aura été question d’appareil, d’opération, de matrice, de système d’assujettissement, de technologie, de machinerie, et la liste n’est pas exhaustive. Si je relève cette multiplicité lexicale, c’est parce que, même si à l’heure actuelle je privilégie le vocable dispositif selon l’acception que je développerai un peu plus bas, il me paraît intéressant de garder en mémoire cette richesse de désignations pour conserver la possibilité de questionner ce que recouvre ce terme. Relevons au passage que parmi les termes utilisés par Foucault figure machinerie, ce qui me conduit à faire ici une association avec les « machines désirantes » (Deleuze et Guattari, 1972-73, p. 7-59), un concept élaboré dans la rencontre entre Gilles Deleuze et Félix Guattari au moment où ce dernier tente de « penser quelque chose comme un désir collectif, et sa persistance dans l’analyse et l’articulation des autodifférenciations produites par la conscience de groupe » (Kerslake, 2008, p. 53). Autrement dit, des agencements à propos desquels Guattari écrit qu’« à telle ou telle étape de l’histoire apparaît une focalisation du désir dans l’ensemble des structures » et pour lesquels il propose un « repérage sous ce terme général de machine » (Guattari, 2003, p. 246). Pour cet auteur, les « machines désirantes » n’ont pas l’aliénation des sujets comme inexorable production, mais, au contraire, elles rendent indispensable la prise de conscience de « l’état machinique » de notre subjectivité afin de la mettre au service de nouvelles institutions et de nouveaux desseins (ibid.). Mais ces mises en relations entre « machineries » et « machines désirantes » proviennent avant tout d’un processus associatif et ont peut-être pour principale valeur leurs capacités à constituer une « pénombre d’association » (Bion, 2002, p. 160) éventuellement porteuse de nouvelles réflexions. D’autres auteurs ont repris après Foucault l’usage du terme en développant sa portée tout en conservant la même logique de compréhension. C’est le cas par exemple de Giorgio Agamben quand il écrit appeler « dispositif tout ce qui a, d’une manière ou d’une autre, la capacité de capturer, d’orienter, de déterminer, d’intercepter, de modeler, de contrôler et d’assurer les gestes, les conduites, les opinions et les discours des êtres vivants. » (Agamben, 2007, p. 31). Mais la définition donnée par Foucault au moment où il construit la notion verra son sens s’infléchir par la suite dans ses propres travaux, pour entrer dans une acception plus large et moins intrinsèquement liée à une idée de coercition. C’est du moins la lecture qui me semble pouvoir être faite des propositions avancées dans le cours au Collège de France de 1981-1982 où Foucault évoque notamment le « dispositif de subjectivité qui est le nôtre et qui est commandé […] par la question de la connaissance du sujet par lui-même, et de l’obéissance du sujet à la loi » (Foucault, 2001, p. 305). Il me semble intéressant de conserver l’idée foucaldienne d’une production de subjectivité liée à — 74 —


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l’exercice du pouvoir lorsque l’on se propose de mettre en œuvre des « dispositifs », ne serait-ce que comme rappel du potentiel désir de maîtrise, voire d’emprise, susceptible de se dissimuler derrière les projets les plus marqués par l’affichage d’une volonté d’ouverture ou d’accueil des singularités. Il me paraît également important de ne pas trop s’illusionner sur la maîtrise du dispositif par celui qui le met en œuvre. Ainsi que l’énonce René Kaës, « dans le moment où nous instituons un dispositif, nous sommes encore aveugles et sourds devant ce que nous instituons. Dans un temps plus tardif, nous pouvons en réévaluer les enjeux et les effets » (Kaës, 1994, p. 210). Pour rester dans le champ de l’approche psychanalytique groupale et en cohérence avec le domaine qui est le mien, je prendrai pour référence première, en ce qui concerne l’appellation dispositif, la définition donnée par Jean-Claude Rouchy lorsqu’il écrit qu’il s’agit de « la structure dans laquelle les interactions entre les personnes vont prendre place, en rapport à leur propre groupe d’appartenance et à leur réseau d’interactions intériorisées » (Rouchy, 1983, p. 27). Dans cette définition, je comprends le terme interactions comme se référant à l’ensemble de ce qui peut circuler entre des sujets en situation d’échange, c’est-à-dire aussi bien ce qui concerne les propos manifestes que sur ce qui peut être engagé inconsciemment par chacun. Le groupe d’appartenance me paraît être également une formulation polysémique en ce qu’elle peut renvoyer au groupe d’appartenance primaire – creuset de l’individuation comprenant les participants aux différents liens de parenté, mais aussi les personnes qui partagent le logis ou celles chargées de la garde des enfants, les amis proches, etc. – comme au groupe d’appartenance secondaire qui lui succède et qui remplit une fonction de socialisation et d’intériorisation des normes et des valeurs (Rouchy, 2001). Quant aux interactions intériorisées, elles me paraissent désigner ce que le sujet peut avoir introjecté sur le plan des modes de liens psychiques aux autres – ce qui m’a par exemple fait proposer la notion de transfert des modes de liaison au cours de ma recherche sur les praticiens de classes coopératives institutionnalisées (Geffard, 2018, p. 162-169). Dans les dispositifs que je mets aujourd’hui en place, je tente de favoriser une certaine circulation entre divers registres, en fonction des différentes modalités de travail proposées. Pour caractériser ce que j’entends aujourd’hui par « dispositif », je dirai qu’il s’agit d’une articulation et d’une mise en tension entre, d’une part, la matérialité des institutions à travers les rôles qu’elles rendent disponibles (responsabilités diverses, présidences, secrétariats...), la réserve de formes discursives qu’elles contiennent (les maîtres-mots : « en tant que [exerçant tel rôle], je dis que... ») et le lien à la tâche qu’elles impliquent (œuvrer sur quelque chose qui existe en dehors de moi et dont je suis coresponsable) avec, d’autre part, les registres intrapsychique et intersubjectif qui sont sollicités par les interactions dans le groupe. Cette conception qui est actuellement la mienne provient à la fois de mes travaux d’accompagnement et de ma recherche auprès des groupes — 75 —


Patrick Geffard

de praticiens de la pédagogie institutionnelle ainsi que de mes diverses expériences d’institutionnalisation en enseignement et formation (Geffard, 2014, p. 198-210). Dans le meilleur des cas, je suis enclin à penser qu’un dispositif, à condition probablement qu’il soit « adéquat sans plus », peut participer au travail de la culture si l’on se souvient avec Freud que « le mot “culture” désigne la somme totale des réalisations et dispositifs par lesquels notre vie s’éloigne de nos ancêtres animaux et qui servent à deux fins : la protection de l’homme contre la nature et la réglementation des relations des hommes entre eux » (Freud, 2010, p. 32-33).

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À propos de l’usage du terme « dispositif » dans la revue Cliopsy

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Kaës, R. (1994). La parole et le lien, processus associatifs et travail psychique dans les groupes. Paris : Dunod. Kerslake, C. (2008). Les machines désirantes de Félix Guattari. De Lacan à l’objet « a » de la subjectivité révolutionnaire. Multitudes, 34, 41-53. Laplanche, J. (1987). Problématiques V : Le baquet. Transcendance du transfert. Paris : PUF. Legrand, M. (1993). L’approche biographique. Théorie, clinique. Paris : Desclée de Brouwer. Lévine, J. et al. (2008). L’enfant philosophe, avenir de l’humanité ? Ateliers AGSAS de réflexion sur la condition humaine. Issy-les-Moulineaux : ESF. Lévi-Strauss, C. (1962). La pensée sauvage. Paris : Plon. Massa, R. (1992) (a cura di). La clinica della formazione : un’esperienza di ricerca. Milano : FrancoAngeli. Pontalis, J.-B. (2002). Fenêtres. Paris : Gallimard. Riva, M. G. (2004). Il lavoro pedagogico come ricerca di significati e ascolto delle emozioni. Milano : Guerini. Riva, M. G. (2000). Studio “clinico” sulla formazione. Milano : FrancoAngeli. Rouchy, J.-C. (2001). Identification et groupes d’appartenance. Dans F. de Rivoyre (dir.), Psychanalyse et malaise social (p. 121-135). Toulouse : Érès. Rouchy, J.-C. (1983). Analyse de groupe : dispositif et interprétation en formation et en psychothérapie, Connexions, 41, 25-36. Roussillon, R. (1991). Paradoxes et situations limites de la psychanalyse. Paris : PUF. Roussillon, R. (n.d.). Théorie du dispositif clinique. Repéré sur le site de René Roussillon : https://reneroussillon.com/cadre-dispositif/theorie-du-dispositifclinique/

Patrick Geffard CIRCEFT Université Paris8

Pour citer ce texte : Geffard, P. (2019). À propos de l’usage du terme « dispositif » dans la revue Cliopsy. Cliopsy, 21, 63-77.

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Les études psychanalytiques en éducation et formation au Brésil Pour une conversation entre cousins transatlantiques

Léandro de Lajonquière

Les développements théorico-cliniques de la psychanalyse ont parcouru il y a plus d'un siècle des circuits inouïs, toujours marqués par les idiosyncrasies de la vie locale, là où l'expérience inaugurale de Sigmund Freud s’est implantée. Freud connaissait, parlait ou lisait des langues autres que l'allemand, mais c'est à l'intérieur de la langue de Goethe qu’il inventa la psychanalyse ; cette langue était celle de ses premiers patients, de ses premiers collègues, ainsi que de ses premiers disciples. D’ailleurs, la discussion concernant la manière de traduire Freud reste toujours d’actualité pour une grande partie des psychanalystes. Au fil du temps, avec l'avancée du nazisme et suite à la deuxième guerre mondiale, la psychanalyse s'est consolidée en Angleterre et s’est établie rapidement aux États-Unis. Le fait que la psychanalyse soit pratiquée dans d'autres pays a fini par engendrer des torsions singulières dans la théorisation et la pratique clinique. C'est ainsi que, par exemple, en écoutant des patients portés par l’american dream, les analystes arrivés d'Europe ont conclu que le but d'une analyse devrait être le renforcement de la supposée autonomie du Moi. Ensuite, cela a concerné la langue française. La psychanalyse a mis du temps pour créer ses racines en France. Ce faisant, elle a subi, dans la deuxième moitié du XXe siècle, là aussi un autre infléchissement sous la devise du « retour à Freud » à partir de l’enseignement de Jacques Lacan. Par ailleurs, la psychanalyse s'est notamment consolidée au Brésil et en Argentine à tel point que les craintes, les espoirs et les rêves latino-américains tissés dans les langues portugaise du Brésil et espagnole du Rio de la Plata ont laissé des traces singulières dans son déploiement en tant que création freudienne d’une triple nature – un traitement des souffrances psychiques, une méthode d’investigation des formations de l’inconscient et la théorie qui résulte de ces deux dimensions. Quand la psychanalyse a débarqué au Brésil, Freud était toujours en vie et habitait à Vienne. Nous devons cette arrivée à des médecins tels que Durval Marcondes, Juliano Moreira Arthur Ramos et Deodato de Moraes. Et, comme une répétition des premiers temps austro-hongrois, lors de son établissement au Brésil, la psychanalyse s'est rapidement intéressée aux enfants et donc à leur éducation, que ce soit celle dispensée dans les — 79 —


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familles ou celle proposée dans les écoles et qui relève de la pédagogie. Elisabete Mokerjs (1992) nous rappelle que les pionniers brésiliens porteurs de la bonne nouvelle freudienne étaient présents dans plusieurs centres de ce qui constituait à l’époque le service de l’Hygiène Mentale Scolaire et que Arthur Ramos a publié en 1934 un ouvrage intitulé Psychanalyse et Éducation. Ceci dit, on pourrait très bien considérer cet auteur comme « le Sandor Ferenczi des tropiques » si on se souvient que ce dernier fut le premier à parler en termes de « Psychanalyse et Pédagogie » lors du Congrès de psychanalyse à Salzbourg en 1908. Au Brésil ou en Amérique latine, le titre du livre de l’avant-gardiste Arthur Ramos est devenu, au fil du temps, une espèce de syntagme « parapluie » permettant à de nombreux praticiens de la psychanalyse et à des enseignant-chercheurs universitaires de nommer leur façon de travailler et d’utiliser la psychanalyse dans le domaine de l'éducation des enfants et des adolescents ainsi que dans la formation des professionnels de ce domaine. Par conséquent, au Brésil, on nomme cette pratique : « Psychanalyse et éducation ». Cependant, depuis l'époque de Ramos, la psychanalyse n'est plus la même, ni au Brésil, ni ailleurs. La saga brésilienne des études psychanalytiques en éducation et formation porte en elle les traces du rapport des intéressés à l’expérience freudienne, mais aussi des particularités de la vie quotidienne locale auprès des enfants et donc de l’histoire et du présent de la scolarisation et des débats pédagogiques tels qu’ils se sont développés dans ce pays. Dans tous les pays où la psychanalyse s’est implantée, il y a eu des développements concernant le champ de l’éducation et de la formation. Cependant, ce qu’on entend par là, de même que les thèmes qui font débat et les façons de travailler avec la psychanalyse – au-delà du strict périmètre de la cure – ne sont pas équivalents, même s’il peut y avoir des résonances dues aux transferts de travail entre les intéressés au-delà des frontières et aussi des échos entre les histoires nationales. La force inventive des pionniers brésiliens a été plus au moins contemporaine du mouvement européen passionné et riche nommé Pédagogie Psychanalytique alors que Freud était encore en vie. En peu de temps, cette invention a subi un déclin, elle s’est réduite à une de ses formulations premières, celle d'application de la psychanalyse, c’est-à-dire au traitement psychanalytique des enfants dans un sens strict. Finalement, ce n'est que dans les trente dernières années que l’intérêt pédagogique que présente la psychanalyse (Freud, 1913) est réapparu au Brésil, reprenant sa forme initiale dans le sens de promouvoir une mise en question aussi large que possible de l'éducation familiale et scolaire. À mon avis, les raisons de ces allers-retours historiques de la réflexion psychanalytique dans le champ de l’éducation sont divers, d’un côté comme de l’autre de l’océan Atlantique. Cependant, entre l'enthousiasme initial caractéristique du temps de la Pédagogie Psychanalytique et le renouveau actuel, il y a une différence — 80 —


Les études psychanalytiques en éducation et formation au Brésil

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importante à souligner. Que ce soit en Europe ou au Brésil, l'intérêt psychanalytique pour l'éducation et la pédagogie ne se pare plus des habits de l’illusion prophylactique. En effet, en tout cas entre les psychanalystes, l'espoir d'épargner aux nouvelles générations les maux inhérents à l'éducation et au développement psychologique ou, autrement dit, d’épargner à tout nouveau-né le prix du travail psychique nécessaire à la conquête d'une place de sujet dans le champ de la parole et du langage, n’est plus d’actualité. Pour autant, le déclin de cet enthousiasme démesuré n’éclipse en rien ni la richesse ni la diversité des travaux brésiliens de ces dernières décennies. Le renouveau actuel découle, d’une certaine manière, de la consolidation historique du traitement psychanalytique des enfants. Au déclin de l’esprit porté initialement par le mouvement de Pédagogie Psychanalytique, s'est ajouté le manque d’intérêt pour les questions pédagogiques de la part de la nouvelle catégorie professionnelle récemment constituée par les « psychanalystes d'enfants » à l’instar de la pensée de Mélanie Klein par opposition à celle de Anna Freud. Mais, au fil du temps, le traitement psychanalytique des enfants est devenu paradoxalement une pièce maîtresse dans la rénovation de « l'intérêt pédagogique » de la psychanalyse des premiers temps. Il semblerait que, du fait de leur habitude d’écouter des enfants dans leur cabinet, les psychanalystes aient enfin commencé à remettre en question l'expérience scolaire, les institutions pédagogiques, les organisations éducatives, les espoirs pédagogiques des adultes, les modalités de l'éducation familiale, la forme scolaire. Les psychanalystes qui traitaient des enfants ont fini par reprendre le questionnement initial sur la manière dont les adultes les accueillaient dans le monde et les élevaient pour qu’ils puissent se faire une place de parole dans la vie quotidienne. D’une certaine manière, ceci ne devrait pas nous étonner puisque Freud lui-même avait déjà montré ce besoin intellectuel et éthique en affirmant, dans Le malaise dans la culture, que l'éducation de l'époque ne se comportait pas autrement à l’égard des enfants que comme « si l’on équipait des gens partant pour une expédition polaire avec des vêtements d’été et des cartes des lacs lombards » (Freud, 1929/1994, p. 321). En ce qui concerne ce processus historique du retour en scène, dans la deuxième moitié du XXe siècle, du débat sur l'intérêt pédagogique de la psychanalyse, il faut souligner l'initiative de quelques psychanalystes d'enfants tels que, par exemple, Françoise Dolto et Maud Mannoni. Cette dernière occupe dans cette histoire une position particulière. Inspirée par la démarche doltoïenne et le « retour à Freud » proposé par Lacan, et nourrie de ses années d'expérience clinique avec des enfants dans diverses institutions de soin, M. Mannoni décide de se remettre dans les pas du mouvement de Pédagogie Psychanalytique disparu. Ainsi, suite à la parution de deux ouvrages devenus classiques, L'enfant arriéré et sa mère (1964) et Le premier rendez-vous avec le psychanalyste (1965), elle publie, en 1967, avec Moustapha Safouan (son collègue avec Piera Aulagnier à l'Externat — 81 —


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Médico-Pédagogique de Thiais) l'article Psychanalyse et pédagogie dans la revue Recherches, fondée par Félix Guattari. Ce texte introduit les idées à l’œuvre dans sa fondation de l’École Expérimentale de Bonneuil-sur-Marne un an plus tard. Les premiers résultats de cette expérience institutionnelle sont présentés ensuite dans son livre intitulé Éducation impossible (1973). Entre temps, elle écrit un petit texte éclairant la façon dont elle situe le débat ouvert, il y a 50 ans, par le mouvement de Pédagogie Psychanalytique : la préface de la version française du livre d'Alexander S. Neill, Libres enfants de Summerhill (1970). La pensée de M. Mannoni a marqué des générations d'analystes et d'éducateurs dans divers pays, notamment en Argentine et au Brésil, pour celles et ceux qui ont effectué des stages à Bonneuil. Justement, le renouveau au Brésil de l'intérêt des pionniers de ladite « application » de la psychanalyse en éducation n'a été possible que grâce à l'initiative de plusieurs de ces analystes une fois rentrés au pays après leur stage. Cela a été précisément le cas de ma collègue Maria Cristina Kupfer et du mien, il y a déjà presque vingt-cinq ans. Lorsque chacun de nous traversa l’Atlantique dans le but de faire une expérience dans ce « lieu pour vivre » avec des enfants dits handicapés et qui à l’époque n’étaient pas admis à l’école, nous avions déjà soutenu une thèse (respectivement en 1990 et 1992) et nous étions déjà enseignants-chercheurs, mais dans des universités différentes. Une fois revenus au pays, nous avons entrepris, en 1996, la publication de la revue Estilos da Clínica. Revista sobre a infância com problemas [Styles de la Clinique. Revue sur les vicissitudes de l’enfance] et peu après, en 1998, nous avons créé le LEPSI [Laboratoire d’études et de recherches psychanalytiques et éducationnelles sur l’enfance], le premier laboratoire universitaire brésilien axé sur les études psychanalytiques en éducation fédérant des collègues et doctorants de l’Institut de Psychologie et de la Faculté de Pédagogie, au sein de l’Université de São Paulo. Par ailleurs, M. C. Kupfer avait déjà fondé, en 1990, le Lugar de Vida, un dispositif de prise en charge des enfants dits à l’époque porteurs de troubles du développement, dispositif porté par l’Institut de Psychologie et conçu comme un service de soins thérapeutiques ouvert au public auquel, bien après, j’allais participer pendant un certain temps, notamment en m’engageant à faire un atelier cuisine avec les enfants (Lajonquière, 2010). Ces trois initiatives se sont développées en résonance entre elles et, aujourd’hui, sont considérées au Brésil comme étant la clé de voûte d’une déclinaison singulière de la psychanalyse dans le champ de l’éducation et de la formation. D’une manière ou d’une autre, la reprise brésilienne s’inscrit dans la tradition de la pensée mannonienne. Dans Infância e Ilusão (Psico)pedagógica (Lajonquière, 1999), j’ai souligné ses éléments caractéristiques. D’abord, le fait que M. Mannoni prétendait contribuer à un « éclaircissement psychanalytique » de l'expérience éducative avec l’enfant et non pas à une « application » ou un placage de la psychanalyse sur l’éducation. Ensuite, cet éclairage allait à contresens de tout espoir — 82 —


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techniciste en pédagogie et donc, pour être efficace, il fallait que l’illusion prophylactique qui avait assombri les initiatives éducatives dites nouvelles ou alternatives soit une fois pour toutes reléguée au temps des pionniers. Finalement, M. Mannoni avait la conviction – contrairement à d'autres psychanalystes comme, par exemple, Catherine Millot (1979) – que Freud n’avait jamais abandonné l’idée selon laquelle la psychanalyse avait de l’intérêt pour l’éducation, au-delà du simple fait de recommander aux professionnels de l’éducation de faire au moins une tranche d’analyse dans leur vie. L’expérience clinique au Lugar de Vida est à l’origine de la formulation de ce qui est appelé au Brésil une Éducation à visée thérapeutique [Educação Terapêutica] dans le contexte du débat sur la redéfinition, à la lumière de la psychanalyse, des frontières classiques généralement établies entre le soin et l’éducation des enfants psychotiques, autistes et gravement névrosés. Il y a trente ans, le défi était d’élargir les limites de la clinique psychanalytique avec les enfants pour y faire entrer les psychotiques et les autistes. Pour cela, il fallait repenser de fond en comble la direction classique du traitement des enfants névrosés, puisque les psychoses et l’autisme imposent une autre direction. Cette opération conceptuelle s’est enracinée dans l’expérience de la prise en charge des enfants durant des années et elle n’a pu avancer qu’en « éclairant » le lien éducatif et sa nature en instituant un sujet dans le champ du langage et de la parole, au-delà des illusions (psycho)pédagogiques en vogue alors (Kupfer et Lajonquière, 2013, 2014 ; Lajonquière, 2017). Ainsi, elle a fini par faire d’une pierre deux coups : d’une part, les frontières classiques entre soin psychothérapeutique et éducation furent dépassées pour faire place à une autre façon toujours éducative, mais éclairée par la psychanalyse, de prendre en charge les enfants psychotiques et autistes1 ; d’autre part, la voie fut ouverte pour comprendre la direction de toute éducation et les principes de son pouvoir2, instituant, au-delà du discours pédagogique, un sujet de l’inconscient plus ou moins traversé par des savoirs psychologiques et/ou sociologiques selon les circonstances. Dès le début de son existence, le laboratoire LEPSI envisagea de rassembler à l’université de São Paulo les enseignants-chercheurs qui, travaillant dans les UFR de psychologie ou de pédagogie, étaient des psychanalystes praticiens ou étaient simplement intéressés d’une manière ou d’une autre par la psychanalyse. Il encadre depuis vingt ans la recherche et la formation doctorale qui peuvent ou non avoir comme terrain de recherche le Lugar de Vida tout en organisant des congrès internationaux – douze ont déjà été organisés – et des journées interdisciplinaires sur l’éducation et la formation ayant comme axe la pensée psychanalytique. Dès sa fondation, il a tout de suite rempli un rôle fédérateur pour les enseignants-chercheurs présents dans diverses universités du pays, mais assez isolés. Actuellement, il est composé principalement d’enseignants-chercheurs et de doctorants des universités des états régionaux de São Paulo et de Minas Gerais : Université de São Paulo (USP), Université Fédérale de São Paulo (UNIFESP), Université — 83 —

1. La direction du traitement analytique avec des enfants névrosés est en revanche l’envers du discours éducatif (Lajonquière, 2017).

2. Reprise inspirée du titre du rapport du colloque de Royaumont (Juillet 1958) rédigé par Lacan « La direction de la cure et les principes de son pouvoir », intégré aux Ecrits (1958/1966).


Léandro de Lajonquière

d’état de la ville de Campinas (UNICAMP), Université Fédérale de Minas Gerais et Université Fédérale de Ouro Preto. Ainsi le LEPSI est devenu une pièce importante du réseau brésilien de la recherche psychanalytique en éducation et aussi du réseau latino-américain tissé grâce aux échanges entre plusieurs pays, notamment avec l’Argentine, l’Uruguay et la Colombie. La revue Estilos da Clínica fut d’abord une revue papier, éditée deux fois par an, pour devenir, en 2013, une revue électronique quadrimestrielle [https://www.revistas.usp.br/estic/]. On y retrouve le défi de faire avancer la psychanalyse dans le champ de l’éducation, autant en lien avec d’autres champs de savoir qu’en faisant dialoguer les divers styles de pratique de la psychanalyse, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du cadre dit de la pratique classique. Chaque numéro comporte un Dossier Thématique et des articles divers et variés. Par ailleurs, les sections « Fondamentaux de la psychanalyse », « Expériences institutionnelles », « Parcours d’expérience » et « Entretien » se présentent avec une certaine régularité. Au début, nous n’étions pas très sûrs de ce que cette revue allait devenir, mais nous savions que nous ne voulions pas éditer une publication supplémentaire dédiée à la « psychanalyse d’enfants ». En vingt-deux ans d’existence, cinquante-et-un numéros ont été édités, soit un total de six cents articles publiés. Au Brésil, les universitaires intéressés par les études psychanalytiques en éducation et formation se rencontrent dans tous les domaines qui, d’une manière ou d’une autre, ont à voir avec les soins et l’éducation des enfants et des adolescents, soit la pédagogie, la psychologie, la psychopédagogie, la psychiatrie, la psycholinguistique, l’orthophonie, l’éducation des sourds, etc. Il faut noter qu’au Brésil, le domaine disciplinaire nommé « sciences de l’éducation » n’existe pas. Premièrement, parce qu’il n’y a jamais eu d’instance de validation universitaire comme le CNU français. Deuxièmement, parce qu’il s’agit d’un état fédéral de presque 200 millions d’habitants et de plusieurs fois la taille de la France ; il n’y a donc pas de Ministère de l’Éducation Nationale plus au moins garant d’un récit pédagogique national ainsi que d’une offre d’enseignement relativement convergente. Troisièmement, parce qu’à cette absence, il faut ajouter le développement du marché des écoles privées qui ne peuvent pas être considérées comme étant « sous contrat » – à la française – et dont les conditions de travail et de salaires sont très disparates. Enfin, cette espèce d’ouverture et de dispersion pédagogique dans l’enseignement primaire et secondaire – et aussi de désordre responsable en partie des scores désastreux dans les palmarès internationaux – s’accroît aussi du fait que la formation des professionnels de l’éducation a lieu intégralement au sein des universités publiques ou privées et se trouve ainsi sans le contrôle direct d’une instance ministérielle à vocation nationale. Il faut noter également que la plupart des personnes intéressées par les études psychanalytiques dans l’éducation et la formation possèdent une formation et une pratique psychanalytiques en partie inspirées par les développements lacaniens. Beaucoup d’entre elles ont une vie associative ou participent simplement à des activités dans divers groupes d’études ou de — 84 —


Les études psychanalytiques en éducation et formation au Brésil

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discussion psychanalytique. Cependant, du fait d’une coupure entre l’institutionnalisation du mouvement psychanalytique et l’université, les tensions présentes surtout dans les associations lacaniennes ne se traduisent pas de façon directe et mécanique à l’intérieur de la vie universitaire. Parmi les psychanalystes brésiliens affiliés, d’une manière ou d’une autre, au mouvement piloté par l'IPA et travaillant aussi en tant qu'enseignants-chercheurs, la majorité se trouve dans le champ de la psychologie universitaire et ne portent pas un intérêt marquant pour les thématiques éducatives et pédagogiques. D'ailleurs, la présence à l’université de psychanalystes issus de la tradition – aujourd’hui très fragmentée – de l’enseignement lacanien va au-delà des domaines classiques de la pédagogie et de la psychologie puisqu’ils sont également présents en philosophie, en linguistique, en critique littéraire, en communication et aux beaux-arts3. Les thématiques de recherche sont d’une grande variété. Celle-ci est sans doute due en partie à la nature même de la pensée lacanienne qui s’est structurée en dialogue avec d'autres champs de savoirs comme la linguistique, l’anthropologie, la philosophie et l’épistémologie. D’une certaine manière, la revue Estilos da Clínica s’est fait dès le départ l’écho de cette diversité en ayant pour but la promotion d’un échange interdisciplinaire sur l’enfance. À titre illustratif, voilà quelques thématiques régulièrement présentes dans la revue : les nouveaux rapports à l’enfant, les transformations de la famille, le passage adolescent, le débat sur l’autorité et la violence à l’école, la direction de l’éducation à visée thérapeutique et la clinique des psychoses et de l’autisme, la place du psychanalyste dans les institutions d’éducation et de soins, le malaise enseignant, l’inclusion scolaire, la clinique avec des bébés et l’intervention précoce, l’écriture de la clinique psychanalytique et la transmission de la psychanalyse, la pensée de M. Mannoni et l’expérience de Bonneuil et, bien évidemment, les notions de la métapsychologie ainsi que de la pensée de Freud concernant l'éducation et la pédagogie qui sont toujours réinterrogées. Le lecteur français doit certainement se demander pourquoi, dans cette liste, manque la notion de « rapport au savoir » (Beillerot, 1989). D’une part, la traduction littérale de ce syntagme est impossible en langue portugaise. En portugais, comme en espagnol, il n’y a pas de « rapport à » mais une « relation avec ». Donc, dans le passage des langues, nous finissons par perdre justement le sens qui rend précieuse cette expression française. La contrainte de la langue est valable aussi pour les sociologues brésiliens qui ne parlent pas non plus en termes de « rapport au(x) savoir(s) ». D’autre part, il ne faut pas oublier que la psychanalyse lacanienne n’a jamais fait de cette expression une notion heuristique de la psychanalyse, bien que Lacan l’utilisât pour démarquer la démarche freudienne de celle de Jung dans son texte Subversion du sujet et dialectique du désir dans l’inconscient freudien (Lacan, 1960/1966). S’il y a un rapport qui intéresse les lacaniens depuis toujours, c’est justement celui qui est l’envers du savoir, c’est-à-dire le désir, et c’est ainsi que, en suivant Freud à la lettre, s’il faut parler de « rapport — 85 —

3. L’ouvrage collectif Por que Freud, hoje ? dirigé par Daniel Kupermann (2017) donne à voir comment des analystes, inscrits dans des courants psychanalytiques divers et différemment engagés dans des activités universitaires, abordent l’actualité de la pensée freudienne en connexion avec différents champs du savoir, dont celui de l’éducation.


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à » alors c’est du rapport à la castration dont il s’agit. Bien que la notion n’ait pas de place dans le champ des études psychanalytiques en éducation et formation au Brésil, cela ne veut pas dire que les questions et problématiques auxquelles elle fait référence ne sont pas traitées ou étudiées. En effet, une bonne partie de ces questions relève de ce qu’au Brésil on nomme « Clinique psychopédagogique ». Par exemple, ma propre thèse publiée en 1992 au Brésil – sous un titre dont la traduction française serait : De Piaget à Freud pour repenser les apprentissages. La (psycho)pédagogie entre connaissance et savoir – aurait pu, si elle avait été soutenue en France, être qualifiée d’une contribution aux débats sur la question du rapport au savoir ; or elle est depuis toujours considérée au Brésil, ainsi qu’en Amérique Latine et en Espagne, comme inscrite dans le domaine de la psychopédagogie ou de la clinique de l’apprendre ou des apprentissages4. 4. En 2010 sa réédition brésilienne révisée comporte une longue préface faisant état de la discussion depuis la soutenance de la thèse. Le titre du livre modifié devient alors : De Piaget à Freud. Pour une clinique de l’apprendre.

Une autre caractéristique de la situation brésilienne, c’est le fait qu’il n’est pas nécessaire de justifier à tout moment la pertinence de l’usage de la psychanalyse dans les recherches en éducation et formation. D’une certaine manière, aujourd’hui, la psychanalyse va de soi à l’université et dans le domaine de l’éducation. Cette situation découle en partie du fait qu’il n’existe pas de champ disciplinaire doté d’une certaine homogénéité – même si celle-ci relève en partie d’une forme d’imaginaire – comme les « sciences de l’éducation » françaises. Mais cette présence diversifiée de la psychanalyse est symptomatique de la divergence même installée au sein de l’héritage freudien. Selon Elisabeth Roudinesco (1994), les courants anglo-saxons ont suivi un certain cadre pragmatique aussi bien dans la formation d'analystes que dans la direction de la cure. En revanche, les courants plus ou moins issus de l'enseignement lacanien se caractérisent par une non-standardisation de la pratique analytique – à l’intérieur ou à l’extérieur des cabinets – ainsi que du fonctionnement des institutions psychanalytiques et par une interrogation permanente et obligatoire de l’expérience et de la métapsychologie freudienne. Au Brésil, on constate que, tandis que cette pluralité freudo-lacanienne se décline à son tour à l’intérieur du champ des études psychanalytiques en éducation et formation, l’orthodoxie anglo-saxonne a tendance à laisser ses praticiens retranchés dans leurs cabinets de consultations. Évidemment, toute généralisation est partiale et cela mériterait discussion. Dans ce sens, on peut comprendre qu’au Brésil, le terme « psychanalyse » tout court soit celui qui structure notre champ de recherche. Mais alors, pourquoi pas celui de « clinique » comme en France ? Le mot portugais « clínica » répond à la même étymologie que son homologue français. De chaque côté de l’Atlantique, il y a de la « médecine clinique », de la « psychologie clinique » et de la « méthode clinique d’entretien », y compris chez Piaget ; mais il y existe aussi une « pratique clinique » de la psychanalyse par des psychanalystes praticiens libéraux et qui donne lieu à la construction de « cas cliniques ». En revanche, les traductions portugaises littérales des mots tels que « didactique clinique », « pédagogie clinique » et — 86 —


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« approche clinique en sciences de l’éducation » ne correspondent à aucune pratique professionnelle ou de recherche au Brésil. S’ils étaient prononcés dans une réunion de pédagogues, ces termes-là seraient entendus comme étant la manifestation de l’impérialisme de la psychologie tant critiqué dans le domaine de l’éducation. C’est justement contre la présence hégémonique des savoirs experts psychologiques dans le domaine de l’éducation que les études psychanalytiques en éducation se sont structurées au Brésil. D’ailleurs, si le mot « clinique » est prononcé au milieu d’un groupe de psychologues ou de psychanalystes brésiliens, ils entendront qu’il s’agit simplement de la pratique psychothérapique. Il faut encore noter que le mot « clinique » au Brésil ne qualifie pas forcément les entretiens qui peuvent être réalisés dans le cadre d’une recherche psychanalytique en éducation, à la différence de la situation française. En France et dans le cadre de l’approche d’orientation psychanalytique en sciences de l’éducation, le terme clinique signale le fait que l’analyse du contre-transfert est une composante inhérente à la démarche même de recherche. Dans le structuralisme lacanien, l’analyse du contre-transfert finit par disparaître au sein d’une conceptualisation générale du transfert, de ladite intersubjectivité, du discours de l’analyste et du désir d’analyste. Bref, à l’instar de la substitution opérée dans la tradition lacanienne du contre-transfert et de son analyse par d’autres notions, le terme « clinique » ne qualifie pas forcément les entretiens réalisés dans le cadre des recherches brésiliennes en « psychanalyse et éducation ». Les études psychanalytiques en éducation et formation au Brésil, outre le fait de porter les marques de notre rapport à l'invention freudienne et à ses développements, disent quelque chose des particularités de notre vie quotidienne qui est toujours tissée à l’intérieur d’une langue qualifiée, ce n’est pas un hasard, de maternelle. Ce n’est peut-être pas par hasard non plus que, comme il n’y pas de langues sans métaphores, toute langue tient bon grâce à une métaphore qualifiée en l’occurrence de paternelle selon l’enseignement lacanien. La diaspora freudienne finit par rejoindre la tour de Babel avec ses malentendus inévitables et vice-versa. Ce qui suscite le regret de certains, mais, en revanche, offre une opportunité pour entretenir de bonnes conversations avec des cousins freudiens outre-atlantique.

Références bibliographiques Beillerot, J. (1989). Le rapport au savoir : une notion en formation. Dans J. Beillerot, A. Bouillet, C. Blanchard-Laville et N. Mosconi, Savoir et rapport au savoir. Élaborations théoriques et cliniques (p. 165-202). Paris : Éditions Universitaires. Freud, S. (2005). L’intérêt que présente la psychanalyse. Dans S. Freud, Œuvres complètes – 1913-1914 (Vol. XII, p. 95-125). Paris : PUF. (Texte original publié en 1913.) Freud, S. (1994). Le malaise dans la culture. Dans S. Freud, Œuvres complètes – 1926-1930 (Vol. XVIII, p. 245-333). Paris : PUF. (Texte original publié en 1929.) Kupermann, D. (dir.) (2017). Por que Freud, hoje ? São Paulo : Zagadoni Editora. — 87 —


Léandro de Lajonquière

Kupfer, M.-C. et Lajonquière, L. (de) (2013). L’éducation peut être thérapeutique : Lugar de Vida et l’inclusion scolaire des handicapés mentaux au Brésil. La nouvelle revue de l’adaptation et de la scolarisation, 61, 37-48. Kupfer, M.-C. et Lajonquière, L. (de) (2014). Quelle place pour les parents d’enfants autistes dans le soin ? Le dispositif Lugar de Vida au Brésil. Dialogue. Revue de recherches cliniques et sociologiques sur le couple et la famille, 206, 11-22. Lacan, J. (1966). La direction de la cure et les principes de son pouvoir. Dans J. Lacan, Écrits (p. 585-645). Paris : Éditions du Seuil. (Texte original publié en 1958.) Lacan, J. (1966). Subversion du sujet et dialectique du désir dans l’inconscient freudien. Dans J. Lacan, Écrits (p. 793-827). Paris : Éditions du Seuil. (Texte original publié en 1960.) Lajonquière, L. (de) (1999). Infância e ilusão (psico)pedagógica. Petrópolis (Brésil) : Vozes. Lajonquière, L. (de) (2010). De cozinheiro e de louco tudo mundo tem um pouco. In M.-C. Kupfer & F. Noya Pinto (dir.), Lugar de Vida, vinte anos depois. Excercicios de educação terapêutica (p. 145-154). São Paulo : Escuta/Fapesp. Lajonquière, L. (de) (2017). Do interesse epistemológico dos estudos psicanalítico na educação. In M. Pereira (dir.), Os sintomas na educação de hoje: que fazemos com isso? (p. 32-38). Belo Horizonte (Brésil) : Scriptum. Mannoni, M. (1964). L'enfant arriéré et sa mère : étude psychanalytique. Paris : Editions du Seuil. Mannoni, M. (1965). Le Premier Rendez-vous avec le psychanalyste. Paris : Denoël. Mannoni, M. (1973). Education impossible. Paris : Editions du Seuil. Mannoni, M. et Safuan, M. (1967). Psychanalyse et pédagogie. Recherches, 7, 175189. Millot, C. (1979). Freud anti pédagogue. Paris : Flammarion. Mokerjs, E. (1992). A Psicanálise no Brasil. Petrópolis : Vozes. Neill, A. (1970). Libres Enfants de Summerhill. Paris : Maspero. Ramos, A. (1934). Educação e psychanalyse. São Paulo: Cia Editora Nacional. Roudinesco, E. (1994). Généalogies. Paris : Fayard.

Léandro de Lajonquière CIRCEFT, CLEF-apsi Université Paris 8 St Denis

Pour citer ce texte : Lajonquière (de), L. (2019). Les études psychanalytiques en éducation et formation au Brésil. Pour une conversation entre cousins transatlantiques. Cliopsy, 21, 79-88.

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Mise en scène de la parole magistrale dans un cours de philosophie

Dominique Renauld

Cet article fait suite à une thèse soutenue en novembre 2018. Intitulée Enseigner la philosophie au lycée. Hypothèses cliniques d’orientation psychanalytique, cette recherche porte sur l’enseignement de la philosophie en France, tel qu’il est actuellement dispensé dans les classes terminales des séries générales et technologiques des lycées. Elle est plus particulièrement consacrée à la manière dont des professeurs de philosophie vivent l’acte d’enseigner leur discipline et elle a été construite sur l’analyse d’entretiens cliniques non-directifs réalisés auprès de six professeurs de philosophie de l’enseignement secondaire à partir de la consigne suivante : « J’aimerais que vous me disiez, comme ça vous vient, comment vous vivez le fait d’enseigner la philosophie ». Au cours de cette recherche, enseignant moi-même la philosophie au lycée, j’ai été particulièrement attentif aux ressentis dont font part des enseignants de cette discipline lorsqu’ils évoquent leur rapport au déploiement de la parole magistrale dans l’espace de la classe. Comment vivent-ils leur enseignement si celui-ci est, pour eux, étroitement lié à l’exercice d’une certaine démonstrativité déclamatoire et se heurte ordinairement à la difficulté de composer avec un groupe-classe dont l’attention peut être inégalement soutenue ? À quels processus psychiques inconscients cette composante irréductible de l’acte d’enseigner soumet-elle la parole magistrale lorsque sont interrogées, dans le cadre d’entretiens cliniques, des déclinaisons individuelles et singulières ? Après avoir précisé le cadre théorique de cette recherche, je présenterai l’un des entretiens que j’ai réalisés. Puis, à partir d’une analyse du contenu latent de certains éléments d’énonciation de cet entretien, j’exposerai quelques-unes des hypothèses auxquelles celle-ci m’a mené.

Cadre épistémologique de cette recherche Ma recherche s’inscrit dans le cadre d’une clinique d’orientation psychanalytique de recherche en sciences de l’éducation. Elle porte, en — 89 —


Dominique Renauld

particulier, sur le rapport au savoir (Beillerot, Blanchard-Laville et Mosconi, 1996) de professeurs de philosophie de l’enseignement secondaire et sur des modalités psychiques de leur acte professionnel. Les notions de clinique et de rapport au savoir étant tout à fait centrales dans ma recherche, je vais en préciser certains aspects théoriques.

Sur le sens du mot clinique Dans une synthèse qu’elle avait consacrée, en 1999, aux « sources historiques de la clinique d’orientation psychanalytique », Claudine Blanchard-Laville rappelait l’étymologie de l’adjectif clinique : du grec classique klinikê, lequel se dit « de ce qui se fait près du lit des malades, sur le patient même, et non dans les livres et par la théorie » (BlanchardLaville, 1999, p. 11), par extension, le substantif clinique désigne spécifiquement le savoir issu d’une observation directe effectuée au chevet d’un malade. Il s’agit donc d’une notion dont la formation historique s’inscrit dans une pratique de la médecine attentive aux formes diversifiées que peut recouvrer l’individuel au plan biologique. Dans le champ des sciences de l’éducation, son emploi témoigne, plus particulièrement, d’un intérêt épistémologique pour des processus et des phénomènes singuliers dont l’exemplarité, comme l’avait proposé Georges Canguilhem (1962/1994), peut être la source d’hypothèses heuristiques. Dans ce champ, lorsque l’adjectif clinique est référé à une recherche d’orientation psychanalytique, il ne recouvre ni l’acception d’une visée diagnostique (Castarède, 1983) ni le sens d’un but thérapeutique. Il désigne une démarche de production de connaissances en sciences humaines dont l’objet réside principalement dans une compréhension du fonctionnement psychique d’un sujet (Revault d'Allonnes, 1989) ou de groupes en situation (Charrier, 2009 ; Rinaudo, 2015) et dont l’un des objectifs consiste à repérer et à analyser des processus psychiques inconscients chez des protagonistes de situations d’enseignement, d’éducation et de formation (Blanchard-Laville, Chaussecourte, Hatchuel et Pechberty, 2005). La notion de rapport au savoir En mentionnant la notion de rapport au savoir qui, dans le champ des sciences de l’éducation, a donné lieu, depuis 1989, à de très nombreuses publications (Beillerot et al., 1996 ; Beillerot, Bouillet, Blanchard-Laville et Mosconi, 1989 ; Mosconi, Beillerot et Blanchard-Laville, 2000), je me réfère essentiellement à une hypothèse qui a été soutenue par C. Blanchard-Laville (2010) selon laquelle, dans l’exercice de ses fonctions, un enseignant, toutes disciplines confondues, ne transmettrait pas seulement un savoir constitué et objectivé sur le plan didactique – savoir qui serait indistinct et impersonnel d’un professionnel à l’autre –, mais exposerait publiquement, dans l’espace d’enseignement, certaines modalités psychiques inconscientes selon lesquelles il se relie lui-même subjectivement au savoir qu’il enseigne. Dans cette hypothèse qui fait droit à l’idée selon laquelle, pour employer les mots de Jacky Beillerot, « l’on ‘‘est’’ son rapport au savoir » (Beillerot, 2000, p. 49), un enseignant transmettrait ainsi à ses élèves, le plus souvent — 90 —


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à son insu, ses « propres modalités de rapport au savoir » davantage que « des objets de savoir bien circonscrits et objectivables » (Blanchard-Laville, 2013a). Selon l’analyse qu’en propose C. Blanchard-Laville, le rapport au savoir désignerait en ce sens tant la « partie vivante » d’un enseignant que « ses traumatismes, ses impensés, ses enkystements » (Blanchard-Laville, 2013b, p. 127).

Clinique et réalité psychique inconsciente À ce titre, l’hypothèse de l’existence d’un inconscient psychique dynamique, telle qu’elle fut élaborée par Freud1, constitue une référence théorique centrale de ma recherche. Cette prise en considération de l’inconscient implique pour moi que, comme le rappelait Freud en ouverture de son ouvrage théorique de 1923, Le moi et le ça, le conscient ne serait pas la qualité essentielle du psychique, mais que celui-ci serait également déterminé par un ensemble de processus et de mécanismes inconscients justiciables d’une causalité psychique qui échapperait en grande partie à la psyché. Il s’agit ainsi, comme l’avait proposé Freud – et comme le soulignaient les philosophes Renée Bouveresse-Quilliot et Roland Quilliot dans leur ouvrage Les critiques de la psychanalyse –, de faire droit à l’hypothèse de « l’émergence d’un niveau de réalité nouveau, le vécu subjectif, impossible à décrire dans les termes des sciences exactes » (Bouveresse-Quilliot et Quilliot, 1991, p. 100). Dans cette perspective, ma démarche, en tant que chercheur clinicien, consiste à tenter de repérer certains processus et mécanismes inconscients tels que des conflits psychiques internes qui pourraient sous-tendre le discours d’enseignants sollicités afin d’évoquer leur acte professionnel dans le cadre d’entretiens cliniques. Je fais en effet l’hypothèse – suivant en cela la proposition de C. Blanchard-Laville selon laquelle des processus inconscients « agissent à l’insu même des protagonistes » (BlanchardLaville, 1999, p. 18) de situations professionnelles et « ne sont pas lisibles ni pour le profane ni pour les sujets eux-mêmes » (Ibid.) – que certains éléments linguistiques et paralinguistiques pourraient signer quelque chose de l’ordre de fantasmes inconscients (Kaës, 1975) sous-jacents aux discours que tiennent ces professionnels sur leurs pratiques d’enseignement.

Le chercheur et son appareil psychique Ce modèle théorique requiert une instrumentation congruente avec l’épistémologie de la recherche clinique d’orientation psychanalytique : qu’il s’agisse d’un entretien clinique (Castarède, 1983 ; Yelnik, 2005, 2007) ou d’une observation (Chaussecourte, 2010a, 2010b), c’est en effet son propre appareil psychique qu’un chercheur clinicien sollicite afin de repérer, d’identifier et d’analyser des phénomènes et des processus psychiques inconscients. De ce fait, et dans la mesure où un chercheur clinicien est également partie prenante de la relation qu’il entretient avec son objet d’étude, il est aussi un élément constitutif et irréductible de sa propre recherche (Barus-Michel, 1986 ; Mosconi, 1986). Cette modalité spécifique — 91 —

1. Notamment dans L’inconscient (2013), non publié du vivant de Freud, rédigé en 1915.


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de l’instrumentation clinique requiert donc que, consubstantiellement à la recherche qu’il effectue sur son objet, il puisse accomplir un travail psychique personnel, c’est-à-dire qu’il analyse sa propre implication dans son objet d’étude (Devereux, 2012), certains enjeux personnels et professionnels ainsi que des ressentis ou des investissements psychiques contre-transférentiels (Berdot, Blanchard-Laville et Camara Dos Santos, 1997) dans la relation avec les sujets de sa recherche. Ce travail d’élaboration psychique (Blanchard-Laville, 2008, p. 97) doit permettre au clinicien de mieux appréhender son « contre-transfert-de-chercheur » (Chaussecourte, 2017) tout au long du processus de recherche (BlanchardLaville et Geffard, 2009). Cette précaution méthodologique n’a pas seulement vocation à éliminer le plus d’interférences possible dans le recueil de données empiriques en disposant le chercheur à prendre plus clairement conscience d’attentes personnelles qui risqueraient d’orienter ses hypothèses interprétatives dans le sens d’une subjectivité qui, faute d’être élaborée (Blanchard-Laville, 1999), serait alors « occultée » (Cifali, 2008) ou, du moins, insuffisamment « travaillée » (Cifali, 1999). Elle doit aussi faciliter une analyse du matériel recueilli. Dans cette approche, en effet, l’appareil psychique du chercheur clinicien est un outil de connaissance à part entière (Bertrand, 2004, p. 1647). Mon cadre théorique de recherche ayant été précisé, je vais à présent expliciter certains aspects de l’un des entretiens que j’ai réalisés.

Présentation de l'entretien Sur les six entretiens cliniques que j’ai enregistrés au cours de ma recherche, celui dont je rapporte ici certaines analyses a été réalisé en 2014 dans le lycée d’exercice d’une enseignante à laquelle j’ai donné le pseudonyme de Jocelyne.

Portrait de Jocelyne et circonstances de l’entretien Jocelyne est une enseignante d’une cinquantaine d’années qui, comme elle me l’expliquera au cours de l’entretien, enseigne la philosophie au lycée depuis vingt-sept ans. Dès notre rencontre, je me surprends à relever un détail physique qui retiendra plus particulièrement mon attention lors de l’analyse ultérieure du contenu latent de son discours : sa voix ainsi que les traits de son visage, assez durs, presque anguleux, m’évoquent ceux d’un homme et, plus particulièrement, ceux d’un acteur comique français des années 80. À son arrivée dans le hall de son établissement, elle propose que nous nous installions dans une pièce située dans la partie administrative, à l’écart des lieux habituellement fréquentés par les lycéens. En entrant dans cette pièce, je constate que les rideaux ont été tirés ; elle est donc plongée dans l’obscurité et la seule lumière présente est projetée par des néons situés au plafond. De ce fait, cet endroit produit sur moi des effets de clairobscur que j’associe à certains tableaux de Georges de La Tour et, en particulier, au tableau intitulé Le nouveau né : sombre à l’arrière-plan, — 92 —


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éclairée en son centre, là où nous nous sommes installés pour l’entretien, la pièce crée en moi une impression d’enveloppement. À l’issue de notre rencontre, j’associe le choix de ce lieu à certains éléments du discours de Jocelyne au cours de l’entretien. En effet, elle a choisi une pièce dont l’éclairage artificiel m’évoque aussi les jeux d’ombres et de lumières utilisés au théâtre, éléments constitutifs d’une mise en scène dont elle m’explique la fonction prépondérante dans sa propre pratique d’enseignement. Je me demande donc ce que Jocelyne, inconsciemment, pourrait à la fois chercher à occulter et à dévoiler d’elle-même en privilégiant une lumière qui, d’un côté, dissimule certains aspects de la pièce et, de l’autre, enveloppe nos corps d’un halo. Cet entretien, depuis l’instant où j’énonce ma consigne jusqu’au moment où j’en arrête l’enregistrement, a duré exactement trente minutes. Les analyses que j’en propose comportent trois moments : dans un premier temps, je rapporterai un résumé du contenu manifeste chronologique de l’entretien, puis, partant d’une analyse de certains aspects du contenu latent de ce dernier, j’exposerai plusieurs hypothèses relatives au rapport de Jocelyne à l’acte d’enseigner la philosophie. Les citations issues de l’entretien ont été mises en italiques. Les barres obliques (//) renvoient à des silences dont la durée peut varier de une à quelques secondes et les didascalies ont été placées entre parenthèses.

Résumé chronologique du contenu manifeste Jocelyne débute l’entretien en m’exposant son attrait pour l’enseignement de la philosophie. Elle évoque ainsi son « goût pour la transmission » et le fait qu’« avant même de connaître l’existence de la philosophie », elle aimait déjà « transmettre » à d’autres personnes ce qu’elle avait appris. Elle m’explique également avoir choisi d’enseigner la philosophie parce qu’il ne lui semblait pas possible d’enseigner une autre discipline et en raison du très grand intérêt qu’elle trouvait à cette matière d’enseignement et aux savoirs que celle-ci mobilise. Elle considère ainsi la philosophie, non seulement comme « la plus importante » de toutes les disciplines, mais également comme celle « qui va sauver le monde ». Très tôt dans l’entretien, dès la deuxième minute, Jocelyne reprend ensuite les termes de ma consigne – « comment je vis » – en expliquant qu’elle transmet son enseignement en recourant aux ressources du spectacle et de la mise en scène : elle dit en effet avoir « l’impression de jouer tous les rôles », de jouer « les philosophes », de jouer des dialogues et d’imiter des voix « comme dans les dessins animés ». Puis, enchaînant une série de propositions consacrées au plaisir qu’elle éprouve à exercer son métier, elle me fait part de cette « grande satisfaction » qu’elle ressent et me dit : « je suis payée pour faire ce que j’ai envie de faire ». Ce plaisir lui semble lié au fait qu’on lui « donne un public » pour l’écouter « parler de philosophie ». Cette situation est pour elle inhabituelle. Elle remarque en effet qu’elle n’a pas l’occasion, en dehors des cours qu’elle donne au lycée, d’être écoutée de cette manière. Elle m’explique à la fois qu’elle ne se limite pas à transmettre des éléments de — 93 —


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savoir constitués en vue de l’examen final, mais qu’elle cherche à dépasser le cadre scolaire de l’enseignement en transmettant également « une sorte de modèle de vie » et de questionnement. Elle m’explique ainsi qu’elle tente également, de cette manière, de toucher « l’humanité de l’élève » en faisant entrevoir à celui-ci « ce que pourrait être l’humanité ». Elle aborde ensuite la question de la « souffrance au travail » en affirmant qu’elle n’en a pas du tout. Elle déclare en effet être « contente de venir travailler » même si elle concède qu’elle est « aussi contente » quand elle a fini. Elle m’explique en effet qu’elle dépense « beaucoup d’énergie » dans la mise en scène qu’elle vient d’évoquer et que, de ce fait, il ne lui est pas possible d’enseigner plus de « trois ou quatre heures » par jour. Elle réinterroge alors la thématique de la théâtralité et explique qu’elle « impose le spectacle » et qu’elle ne donne peut-être pas suffisamment la parole à ses élèves. Elle dit en effet qu’elle ressent de l’ennui lorsque les élèves prennent la parole en raison des répétitions que comporte leur discours. Après qu’elle a murmuré qu’elle n’allait pas pouvoir parler une demi-heure, je formule une relance : « aller vers les élèves vous avez dit tout à l’heure ». Jocelyne explique alors qu’elle a avec ses élèves une « assez bonne relation » et ne leur donne jamais de punitions. Elle s’efforce en effet de « jouer sur le dialogue [...] sur la relation de confiance ». Cette attitude qu’elle adopte à l’égard des élèves lui fait dire qu’elle confond peut-être « enseignement et éducation ». Elle justifie cette attitude en évoquant un aspect de son enseignement qu’elle a déjà abordé, à savoir le fait que la philosophie « fait de nous des hommes » et qu’elle comporte donc une part d’« exemplarité dans la conduite ». Elle explique en ce sens qu’elle s’efforce elle-même de conformer ses actes à son discours. Elle dit avoir le sentiment que ses élèves perçoivent cette concordance, laquelle témoigne, selon elle, d’une « certaine forme de sagesse ». Elle souhaite en effet donner de la philosophie non pas simplement l’image d’une « transmission de savoir » ou de méthodes, mais celle de « quelque chose de proprement humain ». Elle marque alors une courte pause et je formule une nouvelle relance : « et vous avez parlé de mise en scène tout à l’heure ». Elle précise le sens qu’elle donne à cette notion de mise en scène. Elle explique qu’elle tente d’« incarner » les idées philosophiques dans son corps. Selon elle, le discours philosophique est pour les élèves « excessivement conceptuel ». Elle évoque ainsi les personnages au moyen desquels elle met en scène ces idées. Elle prend l’exemple d’Astérix qu’elle relie à la dialectique du maître et de l’esclave de Hegel. Ce développement donne lieu à l’expression d’un ressenti au sujet du rapport des élèves à ce qu’elle appelle le « conceptuel ». Elle explique en effet avoir le sentiment que les élèves ont peu d’intérêt pour les « combats d’idées » ; ils paraissent plus intéressés par des considérations pratiques telles qu’« avoir un travail » que par des considérations intellectuelles ou politiques telles que « se battre pour la liberté ». Elle poursuit en soutenant que, pour elle, l’humanité ne peut pas « se retrouver dans le fait d’avoir une famille une maison un chien et voire — 94 —


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peut-être une piscine ». C’est en ce sens qu’elle entend le fait de donner à ses cours « une autre dimension que l’enseignement ». Elle explique qu’elle a le sentiment, en tenant ce discours, de ne pas s’en tenir à la mission que l’Éducation nationale lui a confiée, laquelle consiste, selon elle, à apprendre aux élèves à savoir faire une dissertation et une explication de texte. Elle occuperait ainsi une place que d’autres ne tiendraient pas et serait, selon son expression, « la cerise sur le gâteau ». Jocelyne conclut l’entretien en disant « je sais plus quoi dire », phrase sur laquelle j’arrête en disant « ok ».

Analyse de l’entretien De l’enseignement comme d’un spectacle À la fin de la deuxième minute de l’entretien, Jocelyne associe le geste de transmettre à l’idée d’un « spectacle » et d’une « mise en scène ». À cette occasion, m’expliquant qu’elle est « très très tournée vers la parole », elle me confie avoir « l’impression de jouer tous les rôles » et me dit : « je joue les philosophes je joue les dialogues je me mets en scène en gestes ». Explicitant son ressenti sur ce point, Jocelyne enchaîne alors deux propositions dont la succession me surprend. Concédant ne pas savoir « quel est l’effet pédagogique » d’une telle mise en spectacle de son enseignement, elle me dit aussitôt qu’« après euh / c’est une satisfaction à travailler » et me confie ce qu’elle affirme dire « toujours » à ses élèves : « je suis payée pour faire ce que j’ai envie de faire ». Puis, précisant ce dernier point, elle ajoute immédiatement : « on me donne un public pour m’écouter parler de philosophie alors que souvent dans la vie courante je ne vais pas nécessairement avoir l’occasion d’être face à des gens qui ont envie d’écouter un certain discours ». En effet, soutient-elle, « là on a fait asseoir devant moi des gens qui ne sont pas toujours totalement libres de leur présence mais euh qui du moins sont là pour m’écouter ». Enfin, conclutelle, dans la mesure où l’enseignement lui permet de parler de ce dont elle a envie « face à un public qui n’est pas tout à fait conquis et qui reste à conquérir mais qui du moins est déjà assez là », elle me dit éprouver « une assez grande satisfaction ». Comme elle semble le concéder elle-même en affirmant ne pas savoir si, en se mettant « beaucoup en scène », elle fait « comme on doit faire » et comme m’incline aussi à le supposer le rire qu’elle a aussitôt, Jocelyne, selon toute vraisemblance, a conscience de ce que ce rapprochement en classe, entre enseignement de la philosophie et spectacle, peut avoir de surprenant et d’inattendu sur le plan pédagogique. De mon côté, lorsque, par identification à la part psychique du moi professionnel de Jocelyne, je tente d’élaborer les résonances que suscite en moi l’évocation de cette théâtralisation de sa pratique d’enseignement, je ressens un certain embarras : dans mon ressenti contre-transférentiel de professeur de philosophie, je ne parviens pas sans peine à concevoir la logique d’une telle — 95 —


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mise en scène. Je me demande, en ce sens, si, en émettant ce rire, elle ne s’épargnerait pas une explicitation de cette évocation pédagogique qui pourrait être plus coûteuse pour elle sur le plan psychique. Dans son ouvrage de 1905 consacré à l’humour, Le mot d’esprit et sa relation à l’inconscient, Freud analyse le processus du rire dans la formation des traits d’esprit comme l’expression d’une « économie de dépense » psychique (Freud, 1905/1988, p. 332) et fait l’hypothèse qu’en riant nous nous épargnons de longues et fastidieuses explications. Par ailleurs, dans ce contexte d’évocation de sa pratique d’enseignement, le pronom réfléchi me, auquel elle a recours dans la phrase « je me mets en scène », retient mon attention. En effet, Jocelyne ne dit pas seulement qu’elle illustre son discours par le biais d’une théâtralisation dont la vocation serait, à ses yeux, pédagogique. Elle affirme qu’elle se met elle-même en scène. Très tôt dans l’entretien, le dispositif du cours tel qu’elle le décrit m’évoque fortement la scène d’un théâtre sur laquelle elle tiendrait un rôle central. Cette association du spectacle et de l’enseignement n’allant de soi ni pour moi ni pour Jocelyne elle-même – elle dit ne pas savoir « quel est l’effet pédagogique » d’une telle mise en scène –, j’ai cherché à comprendre le sens psychique inconscient que pourrait recouvrer sa manière d’éviter toute explicitation.

Des élèves-spectateurs Le fait de ne pas être en mesure d’évaluer les effets pédagogiques d’une telle mise en scène sur ses élèves semble avoir assez peu d’importance à ses yeux. La satisfaction qu’elle dit ressentir à se mettre ainsi en scène – et non le plaisir ou l’intérêt de ses élèves – paraît en effet l’emporter sur toute autre considération, comme si le fait qu’elle dise être « payée pour faire » ce qu’elle a envie de faire justifiait à ses yeux une telle mise en spectacle. Les mots qu’elle emploie pour évoquer ses élèves et les modalités de sa relation à ceux-ci – un « public » qui serait là pour l’« écouter parler de philosophie » – me confortent dans cette impression. Jocelyne tient un discours dont certains traits m’évoquent ce que Claude Pujade-Renaud, décrivant le professeur tout à la fois comme un acteur et un metteur en scène, appelle une « centration narcissique » (Pujade-Renaud, 2005, p. 140). Ainsi Jocelyne dit : « on me donne un public » ; mais, alors que le public d’un spectacle vient librement, elle décrit les élèves comme des sujets qui seraient contraints de l’écouter : « là on a fait asseoir devant moi des gens qui ne sont pas toujours totalement libres de leur présence mais euh qui du moins sont là pour m’écouter ». Si Jocelyne concède qu’elle ne « donne pas assez la parole » à ses élèves, en tant que professeur de philosophie, moi-même, je suis surpris par la justification qu’elle apporte, tant elle me semble dénuée de toute préoccupation pédagogique : d’une part, dit-elle, « peut-être que je m’ennuie quand ils parlent » ; d’autre part, ce que lui disent ses élèves, « c’est quelquefois tellement répétitif […] tellement attendu », qu’« au bout d’un moment j’avoue j’en ai relativement assez de les entendre ». C’est la raison pour laquelle Jocelyne explique — 96 —


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qu’« avant même de laisser la parole aux élèves », elle a « tendance à dire bon voilà ce que vous allez me dire et faire une sorte de liste de ce qu’ils vont dire voilà pourquoi il ne faut pas le dire et mais avant de leur avoir laissé dire ». Puis, elle ajoute : « là encore c’est moi qui impose le spectacle qui tire les ficelles », ce qui évoque la « concentration des fonctions » dont parle C. Pujade-Renaud qui confère à l’enseignant acteur et metteur en scène « un pouvoir quasi totalitaire » sur ses élèves (Ibid.). Comme ces différents éléments d’énonciation m’inclinent à en faire l’hypothèse, cette mise en scène de sa parole ne relève pas seulement d’un projet pédagogique conscient, mais semble venir au service de ses attentes narcissiques. Ainsi que je vais en effet l’établir, certains mouvements psychiques inconscients singuliers, inhérents à cette manière de faire et, en ce sens, spécifiquement à l’œuvre pour Jocelyne, paraissent également sous-tendre sa pratique professionnelle.

Les petites voix des personnages de dessins animés Ainsi, m’expliquant qu’elle « utilise peu les moyens technologiques modernes » et qu’elle est « très très tournée vers la parole », Jocelyne dit qu’elle fait « à la limite comme dans les dessins animés euh les petites voix des personnages (rire) ». À la relecture de la transcription de cette séquence de l’entretien, cette évocation d’un aspect de sa pratique professionnelle, ressaisie à travers mes ressentis contre-transférentiels d’enseignant, n’est pas sans me surprendre. En effet, l’un des objectifs pédagogiques de l’enseignement de la philosophie est de contribuer à former une posture critique chez des élèves en favorisant l’accès de ceux-ci « à l’exercice réfléchi du jugement » (BOEN, 2003). À cet égard, l’exemple donné par le maître à ces derniers constitue, au moins dans les séries générales, un élément consubstantiel de cette transmission (Engel, 1998 ; Kambouchner, 2007). Je m’interroge donc, depuis ma position de professeur de philosophie, sur la pertinence démonstrative d’une telle mise en scène à des fins pédagogiques. Que peuvent en effet ressentir des élèves qui, en écoutant leur professeur les initier à l’expérience du raisonnement philosophique, entendent celui-ci imiter les « petites voix » de personnages, comme dans les dessins animés ? Dans une première phase d’élaboration psychique de cette séquence de l’entretien, je me suis demandé si le diminutif qu’emploie Jocelyne – « petites voix » – n’aurait pas, pour elle, inconsciemment, la valeur d’une identification à son moi d’enfant. En effet, l’enfant grandit, dans un premier temps, dans un univers où les dessins animés sont d’abord la mise en scène d’un monde peuplé d’enfants ou d’animaux aux voix d’enfants, nécessairement fluettes, petites, c’est-à-dire aiguës. On pourrait ainsi faire l’hypothèse que, dans ce jeu qui consiste à se mettre en scène au moyen de « petites voix », ce serait une part psychique de son moi d’enfant que Jocelyne exposerait inconsciemment dans l’espace de la classe. Dans un article publié en 1908 et intitulé Le créateur littéraire et la fantaisie, Freud développe l’hypothèse d’une diffraction du moi de l’écrivain à travers des — 97 —


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personnages qu’il crée. En exposant des parties de lui-même – des sentiments ou des impressions, par exemple – à travers de multiples personnages, le romancier ne parlerait en fin de compte que de lui-même et trouverait ainsi, dans l’écriture, un gain psychique de plaisir narcissique que la société ne peut lui concéder en temps ordinaire. Je me demande si Jocelyne, en imitant des « petites voix », n’éprouverait pas un gain de plaisir psychique similaire. En effet, dès la première minute de l’entretien, elle fait allusion à une position psychique enfantine précoce qui m’incline à supposer qu’elle a pu concourir à étayer une part de son narcissisme d’enfant : « avant même de connaître l’existence de la philosophie j’avais déjà un goût pour la transmission puisque euh j’ai toujours aimé dès que j’apprenais quelque chose le montrer le dire et le transmettre à quelqu’un d’autre ».

Mettre en scène le conceptuel Dans un second temps d’élaboration de cette séquence, cherchant à comprendre à quelle vocation pédagogique pourrait obéir ce rapprochement entre théâtre et enseignement, j’ai d’abord supposé que Jocelyne cherchait à donner vie à des notions abstraites en illustrant celles-ci par une mise en spectacle qui, mêlant étroitement mise en scène corporelle et expression vocale, donnerait du corps à sa démonstration. En effet, à la vingt-troisième minute de l’entretien, Jocelyne m’expliquera qu’elle s’efforce d’« incarner » dans sa personne « les idées philosophiques », d’« incarner dans le corps » ou de « faire prendre chair à quelque chose » qui, pour ses élèves, est « excessivement conceptuel ». Elle chercherait, par exemple, à illustrer la dialectique du maître et de l’esclave de Hegel (1807/1941) par une « sorte de mise en scène pour expliquer euh une dialectique qui est / conceptuelle », le conceptuel n’étant « quand même pas tout à fait bien maîtrisé par les élèves ». La mise en scène du corps de l’enseignant Pour surprenante qu’elle puisse paraître en première approche, dans la mesure où elle s’éloigne d’une représentation académique de la parole magistrale dont de nombreux commentateurs de l’enseignement de la philosophie au lycée ont souligné la récurrence dans l’histoire de cette discipline (Pinto, 1983, 2000 ; Poucet, 1999 ; Roman, 1988), une telle mise en scène n’a rien d’extraordinaire dans l’enseignement. Dans une section de son ouvrage Le corps de l’enseignant dans la classe intitulée « La mise en scène du corps et du personnage », C. Pujade-Renaud relève en effet, dans le discours des enseignants qu’elle a rencontrés, de nombreuses similitudes entre théâtre et enseignement. Ainsi rapporte-t-elle le témoignage d’un enseignant qui, décrivant sa pratique professionnelle, « pratique très magistrale » (Pujade-Renaud, 2005, p. 75), n’hésitait pas à affirmer : « c’était une pratique essentiellement centrée sur un seul personnage qui était moi » (Ibid.). Aussi me suis-je demandé si cette mise en spectacle de la parole de Jocelyne ne pourrait pas procéder également d’une stratégie inconsciente par laquelle, comme l’écrit C. Pujade-Renaud, plutôt que — 98 —


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« d’être passivement exposé aux regards, l’enseignant opère une mise en scène active du corps » (Id., p. 75). En effet, comme l’a proposé cet auteur, si le « champ du para-verbal, – gestes, attitudes, voix, etc. » peut apparaître « comme un adjuvant du processus de transmission du savoir » (Id., p. 77), il peut être également interprété « comme ce qui tente de masquer les lacunes du savoir, ou parfois la propre lassitude de l’enseignant à l’égard d’un savoir ressassé » (Ibid.). Sa fonction ne serait donc pas seulement pédagogique, même si, comme Jocelyne l’affirme, sa mise en scène de la dialectique du maître et de l’esclave à travers l’évocation du « combat des chefs dans Astérix » participe avant tout, consciemment du moins, d’un tel projet. On peut se demander si cette mise en spectacle de son enseignement ne viserait pas, inconsciemment, à compenser ce que C. Pujade-Renaud appelle « l’insuffisance de séduction intrinsèque de la connaissance » (Ibid.), insuffisance à laquelle « l’enseignant doit suppléer par les ressources séductrices des arts du théâtre » (Ibid.) afin de soutenir son effort pour retenir l’attention de ses élèves. Dans cette hypothèse, la théâtralité dont Jocelyne dit avoir fait un élément central de sa pratique professionnelle, pourrait constituer un « complément de son autorité » (Id., p. 78).

Une mise en scène de soi ? Puis, à la faveur d’une relecture de la transcription de l’entretien et de nouvelles élaborations psychiques, je me suis demandé si cette valorisation de la mise en scène dans le discours de Jocelyne ne serait pas également infléchie, inconsciemment, par des préoccupations latentes qui porteraient sur certains traits physiques, traits dont j’ai souligné précédemment qu’ils m’évoquaient davantage ceux d’un homme que ceux d’une femme. Ce goût affirmé de Jocelyne pour la mise en scène renvoie à son intérêt précoce pour une certaine théâtralisation de soi étroitement liée à l’ostension d’un savoir. Dans un fragment que j’ai déjà évoqué, portant sur l’histoire de son rapport au savoir et à la transmission, souvenir non daté mais antérieur, selon ses propres dires, à sa découverte de « l’existence de la philosophie », elle me dit avoir « toujours aimé », dès qu’elle apprenait quelque chose, « le montrer le dire et le transmettre à quelqu’un d’autre ». Le repérage de cet élément biographique avec une composante significative d’exhibition, comme m’incline à le supposer l’emploi qu’elle fait du verbe montrer, m’a amené à réinterroger, au plan psychique inconscient, l’importance de cette mise en scène de soi et de cette théâtralisation du savoir. Du féminin pour faire du lien Deux postures distinctes se dégagent assez nettement dans le discours que tient Jocelyne. D’un côté, lorsqu’il s’agit de décrire des aspects éducatifs de son lien aux élèves, les mots qu’elle emploie pour décrire des modalités de cette relation m’évoquent certaines qualités psychiques que Georges Gaillard attribue à « un féminin de liaison » (Gaillard, 2008, 2011/2018). En effet, Jocelyne dit qu’elle « joue beaucoup sur le lien de confiance » et que, — 99 —


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n’ayant « pas trop par exemple d’autoritarisme à l’égard des élèves », elle ne punit « jamais » ceux-ci – tout en modalisant quelque peu ce dernier propos (« enfin ») –, « qu’en vingt ans », elle a « peut-être donné trois ou quatre punitions dans des cas extrêmes », et conclut qu’elle joue « toujours sur le dialogue sur la relation de confiance sur aller parler avec un élève à la sortie d’un cours parler dans le couloir enfin d’établir quelque chose ». Elle me donne ainsi l’impression de définir sa démarche éducative en insistant sur une « capacité de liaison psychique » (Gaillard, 2018, p. 113).

Jouer l’homme De l’autre côté, lorsqu’elle évoque l’effort qu’elle fournit, en classe, pour mettre en adéquation son discours et sa conduite, Jocelyne insiste sur le fait qu’il s’agit pour elle de transmettre « quelque chose de proprement humain », de nature à faire de sa vie « un acte de philosophie en tant que tel » qui soit « perceptible par les élèves ». Elle dit alors qu’elle vise à montrer à ceux-ci « le comment c’est qu’être homme devenir homme bien jouer l’homme ». Puis elle évoque deux philosophes, Montaigne et Sartre : « ça doit être de Montaigne ça (petit rire) bien faire l’homme il dit pas bien jouer bien faire l’homme jouer ça serait plutôt du Sartre » et conclut cette séquence en affirmant : « donc voilà je mon enseignement c’est bien faire l’homme devant les élèves euh (petit rire) pour donner un exemple de ce que ça pourrait être que de faire de la philosophie ». Enfin, pour justifier le fait que cet enseignement ne consiste pas à transmettre seulement des connaissances, elle dit, au sujet de ses élèves, qu’elle a envie de se « battre contre eux en leur disant mais ça peut pas être que ça votre vie et il faut qu’elle ait une autre dimension », comme si, dans son ressenti, le combat pour des idées impliquait, à l’opposé du féminin de liaison que j’évoquais plus haut, une position nécessairement virile, voire masculine.

Le savoir comme attribut phallique Dans le discours de Jocelyne, le savoir, qu’il soit ou non philosophique, apparaît ainsi sous les traits d’un avoir, d’un bien particulier dont elle serait la détentrice et dont l’exhibition contribuerait à la mettre en valeur, comme si, selon l’hypothèse de C. Pujade-Renaud, le savoir enseigné était « investi d’un pouvoir phallique » (Pujade-Renaud, 2005, p. 138). Plusieurs éléments d’énonciation m’amènent à faire cette hypothèse. Outre le fait que, comme je viens de l’évoquer, Jocelyne établit un lien explicite entre « montrer » ce qu’elle sait et « le transmettre à quelqu’un d’autre », elle m’explique également qu’elle s’efforce, en classe, « de de de montrer enfin d’avoir une certaine exemplarité dans la conduite ». Par exemple, si elle explique à des élèves ce que sont la justice et l’injustice, elle veille « toujours à ne pas commettre d’injustices à l’égard d’élèves ». Dans ce cas également, il s’agit, pour elle, de montrer « qu’il y a un un lien entre le savoir et la sagesse entre la connaissance et le comportement », de montrer, par sa « manière d’être », « quelque chose de la philosophie », la — 100 —


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finalité d’une telle conduite étant de « montrer » aux élèves « que la philosophie ça fait de nous des hommes ».

La voix de l’enseignante Ces différents éléments d’énonciation, depuis l’évocation des petites voix de personnages de dessins animés jusqu’à certains traits d’identification à des positions masculines, m’ont amené à me demander si certains aspects du discours de Jocelyne ne seraient pas infléchis inconsciemment par une fantasmatique de formation que C. Pujade-Renaud appelle « l’être-femme » de l’enseignante, « cet ‘‘être-femme’’ placé sur la scène pédagogique » dont l’essence même se caractériserait par une « faille, un manque […] supposés intrinsèques » (Id., p. 63). Je me suis demandé, en particulier, si l’imitation de « petites voix » ne serait pas, pour Jocelyne, un moyen inconscient d’annuler le fait qu’en général, la voix est « révélatrice d’une différenciation sexuelle » (Id., p. 68) et que la voix féminine, en particulier, « dans des registres aigus désagréables pour le locuteur comme pour les auditeurs » (Ibid.), ne serait pas à l’avantage de l’enseignante. Ainsi, je ferai l’hypothèse que l’imitation de petites voix, à la faveur de leurs résonances enfantines, serait peut-être, pour elle, un moyen inconscient d’exercer un certain contrôle sur un attribut essentiel de sa fonction d’enseignante, consubstantiel à la parole magistrale, mais qui est également un élément physique constitutif de son identité sexuée, sa voix. Faire cours et mettre en scène Si, comme l’a souligné Philippe Chaussecourte (2014, p. 69), l’analyse d’un entretien clinique ne permet pas de repérer, dans le discours que tient un enseignant sur sa pratique professionnelle, ce qui pourrait être du ressort de son transfert didactique, cette « empreinte psychique » qui modèle la « rencontre didactique » (Blanchard-Laville, 2010, p. 150-151), néanmoins, de nombreux indices m’ont amené à faire l’hypothèse que Jocelyne a peutêtre saisi l’occasion de notre rencontre pour évoquer, voire pour réinterroger, en ma présence, dans l’ici et maintenant de l’entretien, certains aspects de son rapport à l’exercice de son métier, aspects qui, à ses yeux, seraient distinctifs d’une certaine théâtralisation de la parole magistrale. Ainsi, à l’issue de l’entretien, Jocelyne exprimera son souhait d’avoir, de ma part, un retour sur ses pratiques pédagogiques. Dans son discours, en effet, l’acte d’enseigner la philosophie apparaît en grande partie à travers son évocation de la mise en spectacle de ses cours. En raison de nombreuses résonances contre-transférentielles liées à mon statut de chercheur et de professeur de philosophie, Jocelyne suscite en moi l’impression de faire classe, c’est-à-dire de composer avec un groupe, voire de faire scène en cherchant à capter et à retenir l’attention de ses élèves, davantage que de faire cours, au sens de transmettre démonstrativement des savoirs constitués sur le modèle académique de la leçon magistrale. Une certaine théâtralisation de sa parole pourrait ainsi participer d’un expédient qu’elle mettrait en œuvre afin de faire face à un « public » qui, à la différence de celui des théâtres, n’est pas nécessairement très attentif. À cet égard, — 101 —


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comme je me suis efforcé de le proposer, cette mise en spectacle, constitutive d’une mise en scène de soi, qui concourt manifestement à étayer Jocelyne dans son acte professionnel, pourrait aussi ressortir de ce que C. Blanchard-Laville appelle une « jouissance à être vu » (2013b, p. 153). Cette jouissance pourrait être en lien avec une certaine souffrance psychique que Jocelyne semble ressentir lorsqu’elle évoque la dépense d’énergie qu’elle fournit pour capter l’attention de ses élèves.

Conclusion Dans l’enseignement de la philosophie, comme dans d’autres disciplines, le déploiement de la parole magistrale d’un-e enseignant-e est infléchi par des processus psychiques inconscients et par des modalités psychiques propres de lien au savoir enseigné. Le repérage de certains de ces processus dans le discours de Jocelyne conforte l’hypothèse de C. Blanchard-Laville selon laquelle les enseignants « transmettent bien plus leurs propres modalités de rapport au savoir ou aux savoirs que des objets de savoir bien circonscrits et objectivables » (2013a, p. 93-94). Ainsi, cette étude du discours d’un professeur de philosophie met en évidence la dimension psychique inconsciente qui sous-tend le thème de la théâtralisation de la parole magistrale, du moins dans le discours sur sa pratique professionnelle, sinon dans sa pratique elle-même.

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Dominique Renauld CREF (EA 1589) Université Paris Nanterre

Pour citer ce texte : Renauld, D. (2019). Mise en scène de la parole magistrale dans un cours de philosophie. Cliopsy, 21, 89-104.

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Icare et ses prothèses Itinéraire d’un adolescent «augmenté» Catherine Weismann-Arcache

Introduction Être pensé, par ses parents, sa famille, son environnement et, au-delà, par la société dans laquelle on vit, participe de ce qu’on appelle aujourd’hui le processus de subjectivation. Chaque nouveau-né doit être investi narcissiquement par ses parents, son groupe d’appartenance, puis par la société. Selon Piera Aulagnier, c’est à cette condition que « le Je peut advenir » (1975, p. 169) : le discours parental porté par les représentations sociales attribue une place à l’enfant dans un espace tout d’abord familial, puis scolaire et sociétal. Si ce « contrat narcissique » (Aulagnier, 1975) fonde la place du nouveau-né au sein de sa famille et du monde, il permettra aussi à cet enfant d’investir à son tour les groupes d’appartenance secondaire que sont l’école et l’environnement social. À la suite de P. Aulagnier, René Kaës (2012) considère les enjeux du contrat narcissique avant tout au niveau des groupes d’appartenance : c’est ainsi que le sujet doit répondre aux attentes narcissiques de ses groupes d’appartenance primaire et secondaire, sachant que ces groupes sont aux fondements de son narcissisme, d’où le terme de « contrat » narcissique. L’enfant est porteur d’une mission, celle d’assurer la continuité des générations et des valeurs, ce qui garantit aussi sa propre subjectivité. Ce contrat narcissique peut connaître des vicissitudes en tant que formation commune individuelle et sociétale, dont R. Kaës (2012) nous rappelle la dimension identificatoire qui permet de l’intérioriser et d’assurer la transmission. Ainsi s’emboîtent les espaces psychiques subjectifs et intersubjectifs, les achoppements des uns interférant avec les aléas des autres. Ces vicissitudes peuvent être liées aux crises individuelles qui exacerbent le narcissisme, comme l’adolescence, et aux crises sociétales : l’adolescence constitue une mise en tension des enjeux narcissiques et libidinaux qui s’exacerbent et modifient l’économie psychique ; le contrat narcissique est indissociable de l’environnement social qui interfère avec lui et en fait aussi un « pacte social », construit sur les idéaux culturels contemporains, et qui peut connaître des ruptures. Les mutations contemporaines qui entraînent vers l’individualisme, la performance, le déni — 105 —


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du manque infléchissent les idéaux contemporains qui sont soumis à « la culture du narcissisme (Id., p. 129). Les problématiques intersubjectives et sociétales s’articulent autour d’une inflation narcissique qui ne tolère ni le hasard et l’aléatoire, ni la différence qui est perçue comme un manque, tout comme les limites de la temporalité humaine et ses bornes, naissance ou conception et mort. Nous sommes entrés dans l’hypermodernité à la faveur des avancées technologiques, scientifiques, numériques et virtuelles, et les métacadres sociaux dont le contrat narcissique et le pacte social subissent en conséquence une mutation inédite. Plusieurs auteurs (Kaës, 2012 ; Benasayag, 2016) s’accordent pour envisager le XXIe siècle et l’hypermodernité comme l’aube d’une rupture anthropologique quasiment sans précédent : nos coordonnées spatiotemporelles seraient profondément impactées par la virtualisation du monde et la révolution numérique. La temporalité s’accélère et la communication se fait sur un mode immédiat tandis que le temps du développement et de la transmission tend à se raccourcir et à ne plus tolérer de délais. Pour R. Kaës, « l’hypermodernité est le temps de l’excès de vitesse » (Kaës, 2012, p. 198). Cet auteur fait débuter l’hypermodernité à la fin des années 90 et la fonde sur deux évènements majeurs que sont la chute du mur de Berlin en 1989 et l’attaque des tours du World Trade Center en 2001. Nous sommes dans le registre de la chute et de la destruction qui symbolisent notre mal-être grandissant face à la finitude humaine et au manque inéluctables qui mettent en échec nos fantasmes de toute-puissance narcissique et désillusionnent l’individualisme et l’affirmation de soi prônés comme idéaux. Cet effondrement que l’on peut qualifier de narcissique, car il confronte le sujet aux limites de la condition humaine, va appeler une surenchère de termes dans le champ de « l’hyper » : « hyperstimulation, hyper communication, hyper développement, hyperconsommation… » (Ibid.). Il me semble que l’inflation de termes comme sur-doués, hyper-actifs et autres expressions témoignant d’une hypertrophie narcissique sont les témoins de représentations qui viendraient contre-investir les risques d’effondrement et/ou de pulvérisation des limites figurées par la destruction des tours. Pour Miguel Benasayag (2016), la modélisation des structures du cerveau et la recherche d’une intelligence artificielle infaillible et objective modifieraient notre conception du sens et de la vie, court-circuitant la complexité et l’aléatoire. Le concept d’humain augmenté (Thiel, 2015) s’inscrit dans cette conception transhumaniste qui vise l’augmentation expansive des capacités humaines et des performances, à la faveur de l’hybridation homme-machine. Marie-Jo Thiel s’interroge sur le phénomène « augmentation de l’être humain », expression qui s’est imposée comme traduction du vocable anglais enhancement. L’augmentation de l’être humain était à l’origine réservée au domaine médical et notamment à la réparation des handicaps génétiques ou acquis, la prothèse venant se substituer à un déficit, une absence de membre par exemple (Kleinpeter, 2014). Aujourd’hui, être augmenté, c’est acquérir des compétences — 106 —


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surdéveloppées en introduisant des prothèses à l’intérieur (dopage, puces) ou à la périphérie (exosquelettes, ordinateurs obéissant au regard) de son corps, et muter ainsi en une sorte de surhomme ; cette puissance est revendiquée par les non handicapés, déplaçant ainsi la notion de normalité. L’hybridation homme-machine ouvre la voie vers le transhumanisme, mouvement culturel qui promeut sciences et techniques pour que l’espèce humaine éradique toute forme de souffrance, de vulnérabilité et de manque, y compris la mort, au risque d’une mécanicisation qui ferait de l’homme un robot (Besnier, 2016). Peut-on y voir un traitement contemporain des problématiques de la finitude et du manque versus de la castration ? Et comment envisager aujourd’hui le développement de l’enfant, avec son cortège structurant de frustrations, gratifications et renoncements, à l’aune de ces nouvelles donnes ? Selon Freud (1926/1997), l’angoisse de castration est l’un des visages de l’angoisse de perte qui se symbolise ainsi en ouvrant un espace à la pensée dans un processus sublimatoire. Les prothèses pourraient s’inscrire dans un déni généralisé du manque et dans le maintien de l’illusion de toutepuissance : si tout est possible, la reconnaissance nécessaire de l’immaturité de l’enfant n’advient pas chez ce dernier, ce qui peut pervertir l’inscription générationnelle et la transmission. « La passion de l’enfant », comme l’indique le titre de l’ouvrage de Laurence Gavarini (2004) décrit ces excès du narcissisme imprégnés par les découvertes de la génétique et des neurosciences et qui servent de prétexte à l’infléchissement des modèles éducatifs vers toujours plus de précocité des apprentissages et des relations. Dans cette perspective, j’ai envisagé le déplacement de la norme vers l’idéal : par exemple, l’inflation actuelle des demandes de diagnostics de haut potentiel – souvent non fondées – témoigne d’un mouvement d’idéalisation de l’enfant et parfois d’une occultation de ses troubles ou de son mal-être attribués à un excès d’intelligence. L. Gavarini, en faisant de « la précocité, autrefois valeur des élites, […] un indice de normalité » (2004, p. 112), rejoint mes hypothèses. Or la confrontation à la castration participe au processus de subjectivation : être deux – découverte de l’altérité –, être et avoir un seul sexe – découverte de la différence des sexes –, ne pas pouvoir occuper toutes les places dans les générations – découverte de l’inéluctabilité de la mort – (Weismann-Arcache, 2012). Ces ruptures et ces révolutions sociétales peuvent entrer en résonance avec l’adolescence, période révolutionnaire au plan de la sexualité et du développement (Roussillon, 2009). Fidèle à ses conceptions croisant le développement et l’environnement, D. W. Winnicott soulignait déjà en 1962 combien les « conditions sociales » (Winnicott, 1969, p. 402) influaient sur le processus adolescent et le climat familial et relationnel au sein duquel ce processus évolue. Il définissait trois changements sociétaux majeurs à son époque : la découverte de la pénicilline pour traiter les maladies vénériennes, le développement des méthodes contraceptives et enfin la bombe atomique comme moyen dissuasif empêchant toute nouvelle guerre. Si l’optimisme de D. W. Winnicott n’était pas fondé concernant ce dernier — 107 —


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point, on notera que ces révolutions sociétales concernaient la sexualité en lien avec la culpabilité (la conception accidentelle) et la mort (ce sont les jeunes qui sont envoyés à la guerre). Plus aucune digue militaire ou morale ne pouvait s’opposer à « cette marée montante », métaphore qu’il utilisait pour évoquer la violence pulsionnelle adolescente. L’adolescent doit survivre à la traversée de ce « pot-au-noir » (Id., p. 406) qui met à l’épreuve son corps ébranlé par la potentialité orgasmique, mais aussi ses croyances et idéaux infantiles (Roussillon, 2009). En actualisant les propositions de Winnicott sur l’importance de l’environnement comme moteur du développement, on s’interrogera sur l’impact des modifications des cadres métasociaux sur ces différents renoncements. Face au délitement des limites, au nivellement des différences et aux enjeux de performance, comment résonnent aujourd’hui l’intransigeance adolescente, son goût pour le réel, colorés par le paradoxe « défi versus dépendance » si bien décrit par Winnicott (1962/1969) ? Ces modifications sociétales déplacent ainsi le curseur des idéaux qui deviennent des objectifs, au risque d’y perdre leur valeur identificatoire et structurante. Je considère que ce télescopage entre la norme et l’idéal déséquilibre le contrat narcissique et mène à l’hyperinvestissement d’un enfant augmenté qui voit son développement entravé, et je propose de l’illustrer avec mes rencontres cliniques contemporaines, en tant que psychologue et chercheure.

Problématique À partir des recherches issues de ma pratique de psychologue d’orientation psychanalytique, à l’école et en libéral, et théorisées dans le cadre universitaire, concernant la clinique des apprentissages (Weismann-Arcache, 2014) et notamment l’enfant et l’adolescent à haut potentiel (WeismannArcache, 2009, 2013a, 2013b, 2014, 2017b), je propose d’explorer la manière dont le développement de l’enfant est investi et pensé, aujourd’hui, par l’école et par sa famille, dans la perspective de la révolution numérique (Weismann-Arcache, 2017a). Je considère actuellement l’enfant à haut potentiel intellectuel comme une figure de l’enfant « augmenté ». Précisons que cette métaphore concerne les représentations sociétales et que j’ai rencontré des sujets à haut potentiel sans troubles (Weismann-Arcache, 2017b). Le haut potentiel intellectuel n’est pas habituellement référé à la psychanalyse ou à une théorie du fonctionnement psychique et sa définition était jusque-là uniquement psychométrique ou développementale. La définition psychométrique restrictive – un Quotient Intellectuel supérieur à 130 – tend aujourd’hui à s’élargir et à prendre en compte non seulement les intelligences académiques, mais également les hauts potentiels artistiques, verbaux, logico-mathématiques, scientifiques. Je considère que le haut potentiel intellectuel n’est « ni Q.I, ni maladie » (Weismann-Arcache, 2009), car il ne dit rien des organisations psychiques diverses de ces sujets et il est souvent associé à un fonctionnement hétérogène, tant au plan cognitif qu’au — 108 —


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niveau du développement affectif. J’ai proposé, pour une lecture clinique et psychopathologique, la notion de « spectre du haut potentiel » qui réunit aussi les organisations dysharmoniques comportant à la fois un haut potentiel dans un secteur et une vulnérabilité mentale dans un autre secteur (Weismann-Arcache, 2013 ; Romand et Weismann-Arcache, 2017). Il me semble que les conceptions actuelles s’ancrent dans des régressions épistémologiques, avec le retour de l’approche défectologique centrée sur le manque et le déficit. La mise en avant du « défaut » ou de « l’excès » a pour conséquence la multiplication de dispositifs prothétiques humains et technologiques à l’école, ce qui impacte l’enfant et sa famille : réparer, programmer et augmenter se substitueraient à soigner, apprendre et jouer. L’enfant en difficultés d’apprentissage devient un enfant handicapé ou bien, dans une sorte de contre-investissement défensif, un enfant exceptionnel, comme en témoignent les représentations de l’enfant à haut potentiel ou de l’enfant « dys », (« dyspraxique mais fantastique » selon un site internet). Handicap et exception sont les deux arcanes d’un superbe déni qui occulte le temps du développement en traitant les troubles dits du développement comme des entités nosographiques, ce que j’ai appelé « l’effet de serre en clinique infantile » (Weismann-Arcache, 2013b). À la faveur de l’extension du concept de handicap à l’école, j’ai constaté une augmentation des dispositifs que j’appellerai prothétiques : si ces dispositifs, techniques, numériques, humains, sont destinés à aider et surtout à suppléer des déficits avérés chez des sujets qui en ont besoin, ils peuvent être subvertis par les objectifs de performance et les mécanismes d’idéalisation. Si ces dispositifs permettent heureusement à des sujets handicapés de vivre le mieux possible parmi les autres, on constate un glissement du sujet handicapé vers le sujet augmenté : les non handicapés revendiquent cette augmentation de leurs performances, notamment à travers l’hybridation homme-machine. La prothèse conduit au mythe du transhumain qui vise à reculer toujours plus les limites de la condition humaine, en imaginant même une cybervie après la mort du corps qui, in fine, serait simplement déconnecté. Les cliniques contemporaines – haut potentiel intellectuel, troubles dys, troubles du spectre autistique – viennent mettre au jour, dans les familles et à l’école, ces représentations paradoxales d’un enfant handicapé versus augmenté. En effet, déficits et potentialités sont juxtaposés ou additionnés selon le principe de comorbidité dans une logique quantitative qui fait peu de cas de l’articulation de ces conduites et processus, dans une approche à visée compréhensive. Mes activités cliniques à l’école et ma pratique d’enseignante auprès des psychologues scolaires en formation (initiale, puis continue), m’ont permis de développer une expertise dans le domaine de l’évaluation psychologique, et de participer à la conférence de consensus organisée à ce sujet en 2010. Ma méthodologie est fondée sur le bilan psychologique approfondi, dans une démarche holistique qui permet d’aborder la dynamique psychique aussi bien que le développement de l’enfant. Ce bilan psychologique comporte à minima un test de niveau intellectuel – échelles de Wechsler –, des dessins — 109 —


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– famille, libre – et des épreuves projectives dont le Rorschach, et un test thématique dont le Thematic Aperception Test (T.A.T.) ou le Children Aperception Test (C.A.T.) ou le Family Aperception Test (F.A.T.). Ces outils méthodologiques peuvent s’inscrire dans une recherche longitudinale et je propose une étude de cas illustrée par les trois rencontres autour d’un bilan psychologique approfondi, avec Tom, de 9 ans à 19 ans. Il s’agit d’un garçon considéré aujourd’hui comme un enfant « exceptionnel », car disposant d’un haut potentiel intellectuel, et je vais essayer de montrer l’impact de ce statut particulier sur le processus de subjectivation de Tom, et sur sa traversée « du pot-au-noir ». J’ai rencontré Tom, enfant diagnostiqué « à haut potentiel intellectuel », dans le cadre de bilans psychologiques approfondis demandés par sa famille et lui-même, en lien avec mes recherches universitaires sur les enfants à haut potentiel intellectuel et leur devenir à l’adolescence (WeismannArcache, 2010), à trois reprises, à l’âge de 9 ans, 13 ans et 19 ans. Ces trois temps de rencontres permettent de saisir finement les mouvements évolutifs depuis la période de latence jusqu’à la grande adolescence. Pour soutenir l’hypothèse de la conception de « l’humain augmenté » comme entrave au développement et comme impactant le rapport au savoir, J’analyserai certains récits de Tom lors de la passation du Thematic Aperception Test (T.A.T.) Ce test projectif et thématique comporte 15 planches (dont trois spécifiques au sexe du sujet) qui sont présentées par le chercheur l’une après l’autre, toujours dans le même ordre. Ces planches représentent des personnes, seules ou en relation, et la différence des sexes et des générations est plus ou moins marquée ou suggérée. Les planches sont des images figuratives, issues de photos, dessins, reproductions picturales, en noir et blanc, un peu floues et ambiguës pour susciter la projection. Il est demandé au sujet de raconter une histoire à partir de chaque planche. Les relations mises en scène sont censées décliner toute la gamme de la conflictualité humaine, notamment œdipienne, en lien avec la différence des sexes et des générations. Le T.A.T. n’est pas un test standardisé en référence à des normes quantitatives, il ne recèle pas de modèle théorique et interprétatif (Chabert, 1998) et je me réfère à l’approche psychanalytique fondée sur la métapsychologie freudienne de l’école de Paris : « l’hypothèse princeps est que les opérations mentales mises en œuvre au cours de la passation des épreuves projectives sont susceptibles de rendre compte des modalités de fonctionnement psychique propre à chaque sujet, mais aussi dans leurs articulations singulières » (Id., p. 7). Cette méthodologie répond à deux critères de base : 1) Pour chaque histoire proposée par le sujet, on analyse la forme du récit, repérable à partir de l’analyse des procédés du discours langagier, qui reflète l’organisation psychique du sujet. Ces procédés sont répertoriés dans une feuille de dépouillement qui a subi, depuis la création du T.A.T. en 1935, de nombreux remaniements liés aux avancées épistémologiques et aux recherches.

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2) Pour chaque récit proposé par le sujet, on met en évidence la problématique abordée en référence aux sollicitations latentes de la planche, c'est-à-dire en fonction du thème attendu. « L'irruption du fantasme inconscient dans la fantaisie consciente induite se repère d'après l'écart entre le récit du sujet et le thème banal à cette planche, et d'après les perturbations dans la structuration des récits » (Id., p. 56). Chaque planche offre en effet une symbolique conflictuelle en lien avec la présence-absence de l’objet et une dynamique œdipienne avec des variantes singulières. La consigne est d’imaginer et de raconter une histoire qui s’accorderait avec chaque planche. Le T.A.T. offre ainsi deux repères non codifiables mais permettant de formaliser une analyse de contenu (Jeammet, 1995), et je propose d’utiliser, comme dans un entretien semi-directif, les thématiques proposées par le sujet, en les appréhendant et les analysant en fonction de l’écart ou de la proximité avec le contenu latent attendu : la capacité narrative du sujet et ses capacités de liaison sont mises à l’épreuve. Les planches ont également un contenu manifeste, descriptif, que j’indiquerai en italique dans mon analyse clinique. Ces contenus manifestes et latents ont été remaniés par Chabert et Brelet-Foulard (2003). J’ai extrait quelques passages des récits et je les ai analysés sous l’angle de la problématique de la perte et des supports identificatoires intériorisés, puis mis en perspective avec les éventuelles modalités du rapport au savoir (Beillerot, Bouillet, BlanchardLaville et Mosconi, 1989) de ce jeune homme, de l’enfance à l’adolescence. La notion de « rapport au savoir » peut être liée pertinemment à notre approche holistique, dans la mesure où elle prend en compte « [la] situation, [la] position, la pratique et l’histoire [d’un sujet] pour lui donner son propre sens » (Id., p. 189). Cette notion prend en compte les processus inconscients qui le sous-tendent, comme la pulsion de savoir et la sublimation. Plusieurs auteurs (Birraux, 1994 ; Blanchard-Laville, 2006 ; De Mijolla, 2002) ont souligné combien le rapport au savoir d’un sujet s’inscrit dans un mouvement identificatoire structurant ou défensif, et peut être parfois initié par des séductions traumatiques, réelles ou fantasmées. J’ai rencontré ces configurations chez certains enfants et adolescents à haut potentiel intellectuel : leur rapport au savoir est parfois nourri par un besoin de théorisation qui est à la mesure de l’ampleur du traumatisme constitué par la prescience de la condition humaine soumise aux fantasmes originaires en lien avec la séduction et la sexualité.

Tom : de l’enfance à l’adolescence À 9 ans, sa famille consulte à la fois pour une énurésie nocturne et parce que l’enseignante s’interroge sur l’éventualité que l’enfant soit à haut potentiel intellectuel. Tom dispose effectivement d’un haut potentiel intellectuel objectivé par le WISC III : Q.I. Verbal 141, Q.I. Performance 126, Q.I. Total 141. Les indices optionnels du WISC III étaient alors répartis ainsi : Compréhension Verbale 139, Organisation Perceptive 135, Vitesse de — 111 —


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Traitement 103. Si ce premier bilan objective un haut potentiel intellectuel, il souligne aussi certains aspects de la personnalité de Tom, bridée par des mécanismes obsessionnels à coloration dépressive. Tom était alors un joli petit garçon, au physique asexué, m’évoquant d’ailleurs Tintin, yeux bleus et longs cils noirs, plus ou moins empêtré dans des formations réactionnelles et incertitudes quant à la valeur de ses productions. Il présentait un symptôme remarquablement cohérent avec son organisation, du point de vue de la passivité et du difficile maniement de l’agressivité se traduisant par une énurésie nocturne. L’organisation psychique de Tom illustrait cette avance du développement du moi sur son développement pulsionnel dont Freud fait un des facteurs étiologiques de la névrose obsessionnelle. Cet anachronisme était porté par sa précocité intellectuelle qui contrastait avec son développement physique. À 13 ans, la demande concerne une difficulté d’adaptation scolaire et des relations familiales très conflictuelles avec Tom, et un nouveau bilan est proposé : Le WISC IV met en évidence un haut potentiel moins homogène et un Q.I. Total moins élevé de ce fait : Q.I. Total 129, Indice de Compréhension Verbale 152, Indice de Raisonnement Perceptif 138, Indice Mémoire de Travail 91, Indice Vitesse de Traitement 90. L’hyperadaptation constatée à 9 ans a cédé la place à une alternance de mouvements agressifs et de mouvements réparateurs liés à la culpabilité. Enfin l’absence de plaisir de fonctionnement, le doute et la dévalorisation constante évoquent un état dépressif. Une psychothérapie sera mise en place, vite arrêtée aux premiers signes de mieux-être, et surtout au moment où les notes remontent en classe. À 19 ans, Tom interrompt brutalement ses études en province, il prend littéralement la fuite et revient chez ses parents. Ce qui l’a fait fuir, c’est la confrontation à la possible réalisation du désir et la rencontre avec la sexualité : il avait conquis une jeune fille. Il développe alors une dysmorphophobie pénienne qui justifierait l’abstinence qu’il revendique comme un mode de vie : son pénis est trop petit, il est « un sous-homme » et maintient cette idée malgré le démenti des médecins, urologues et autres spécialistes consultés. Il fréquente des forums consacrés à ce problème et se lance dans des exercices « rééducatifs » avec un masochisme forcené qui l’amènera à se blesser réellement, ce qui vient éclairer après-coup le récit qu’il propose, à 9 ans, au T.A.T (ci-après). Il explique qu’il fait partie des 2% de la population ayant ces mensurations, or son haut potentiel intellectuel le place aussi parmi les 2% des sujets à l’extrémité de la courbe de Gauss ; voici un bel exemple de l’utilisation dévoyée et interprétative que tout un chacun peut faire des statistiques ! Il en veut à ses parents et surtout à son père qui ne lui a pas transmis ce qu’il fallait, et surtout ils l’ont mal fabriqué, il a les joues roses et rondes, ses cheveux bouclés lui donnent un air poupin, il pense avoir un problème hormonal, c’est un jeune homme en mal d’identifications masculines. Un bilan projectif est proposé afin d’éliminer une entrée dans la psychose, compte-tenu du caractère massif obsédant de la dysmorphophobie. — 112 —


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Le rapport à la perte Le rapport à la perte et son traitement en lien avec la stabilité des assises identificatoires et la force des investissements objectaux, peut être appréhendée à partir du T.A.T. J’ai sélectionné deux planches 1, qui ont pour point commun de mettre en scène un sujet seul, un jeune garçon. Ces deux planches ravivent la problématique de la solitude versus « la capacité à être seul », qui suppose la possibilité d’évocation d’objets internes et identificatoires stables. On s’attend ainsi à ce que le sujet puisse introduire des personnages, le plus souvent des figures parentales porteuses de désirs et d’interdits dans un registre œdipien. J’ai parfois complété ces récits avec une autre planche qui faisait écho à la problématique évoquée.

1. Planches 1 et 13B, j’ai indiqué le contenu latent défini par C.Chabert et F. Brelet-Foulard, en italique.

À 9 ans, le TAT met en évidence un Œdipe négatif qui alimente un fantasme masochiste passif vis-à-vis du père. La planche 13 B qui représente un petit garçon assis sur le seuil d’une cabane aux planches disjointes, ravivant la capacité à être seul et exclu de la relation du couple parental, offre un récit qui rend compte de ces modalités masochistes : « On dirait un petit garçon qui se mord le doigt comme ça / il a dû se faire mal dans un établi /// il veut être maçon comme son père / et il s’est fait mal au doigt // alors il l’a mordu ». Cette réponse semble prédictive du symptôme dysmorphophobique que Tom développera 10 ans plus tard et des mesures auto-agressives qu’il mettra en place pour soigner « le mal par le mal », s’attaquant à l’organe mâle, dans une collusion entre virilité et destructivité. Tout le protocole se fait l’écho de ces allers-retours entre désirs – libidinal ou agressif – et interdits qui donnent une note dépressive dans un contexte de retournement de l’agressivité contre soi. On peut compléter ce récit par celui de la planche 4 qui représente une femme proche d’un homme qui se détourne, relation d’ambivalence dans le couple pour laquelle il met en scène une imago féminine castratrice, au prix d’un vacillement perceptif : « Je vois pas du tout / mais alors pas du tout // je trouve pas du tout [je l’encourage] là y’a une dame qui empêche un monsieur d’aller faire quelque chose de pas très bien / je sais pourquoi /// qu’est-ce qu’il a à la main / on dirait une 2 hachoir / il vient de couper de la viande // bouh // non c’est le bras de la dame / je me demande combien de personnes ça va faire rire que j’ai pris le bras d’une dame pour un hachoir » À 13 ans, le récit à la planche 13B (qui représente un petit garçon assis sur le seuil d’une cabane aux planches disjointes), montre justement combien l’angoisse de castration éveille la fragilité des assises narcissiques et la dépressivité sous-jacente. La référence paternelle, présente à 9 ans, est absente et le projet identificatoire ne s’est pas maintenu : « Ça c’est un / petit garçon qui est assis comme ça devant sa porte et qui pense / il fait le point / il pense à sa vie / parce qu’il est tout seul chez lui / devant sa petite cabane et il veut aller vivre ailleurs // parce qu’il est pas bien là où il est / il arrive pas à vivre correctement / il mange pas à sa faim il veut aller en ville. » — 113 —

2. Lapsus de Tom qui témoigne de la mise en tension entre féminin et masculin, en lien avec l’angoisse de castration évoquée par le thème du hachoir.


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À 19 ans, un récit factuel se termine par le recours à une formation réactionnelle (les excuses) qui révèle l’intensité pulsionnelle (les chevaux s’échappent) et la culpabilité qui s’ensuit. Le commentaire qui suit révèle l’impact d’une image paternelle à la fois adorée et haïe pour sa fragilité, support d’une identification massive et clivée : « C’est un gosse qui a fait une connerie et qui a dû // vu le décor c’est dans une ferme il a dû laisser s’échapper des chevaux / et il attend sous le porche / anxieux / pour s’excuser. » Il commente ensuite : « Mon père voit un psy et prend des antidépresseurs ». Puis : « J’ai juste besoin d’une personne qui sache en permanence que je suis déprimé / que j’aurai une vie pourrie / et je préfère que ce soit mon père / je veux qu’il s’excuse. »

Qualité des identifications comme soubassement du rapport au savoir Je comparerai les réponses obtenues aux trois temps, à la planche 1 du TAT représentant un garçon, la tête entre les mains, [qui] regarde un violon posé devant lui. Le contenu latent évoque l’enfant face aux apprentissages et face à un objet d’adulte, et au plaisir de désirer : son immaturité peutelle être reconnue et s’inscrire dans une temporalité qui lui permette d’utiliser les objets du savoir sans inhibition ou mégalomanie, en appui sur un environnement contenant et transmetteur? À 9 ans (il tient la planche à distance et hésite longuement), il dit : « Je me demande bien ce qu’il fait // il était une fois un petit garçon qui ne savait pas quel métier il voulait faire // il pensait il pensait // et il trouva un métier / devenir peintre /// là il pense sur l’image / je sais pas peut-être une photo / un cadre. » Tom propose une mise en abyme qui réplique sa situation face à la planche comme objet à investir, en miroir avec l’enfant hésitant face à une image – qui est un violon en réalité – représenté sur cette planche. L’immaturité n’est pas reconnue et laisse place à une problématique de choix qui renvoie au choix identificatoire et à la perte. L’issue est le gel pulsionnel avec une mise en tableau permise par une fausse perception : le violon non reconnu est pris pour un tableau et Tom perd sa distance et sa capacité de symbolisation et de jugement, s’identifiant massivement à l’enfant, au prix d’une distorsion perceptive. Ainsi, le rapport aux objets du savoir figuré par le violon se fige dans une représentation « devenir peintre » qui ne s’inscrit plus dans un compromis entre la réalité externe (le violon représenté) et la réalité interne, et vacille dans un empiétement de la réalité interne (un scotome du violon qui est un déni perceptif). Il s’agit aussi d’accepter la castration liée à la petitesse de l’enfant, ce qui n’apparaît pas dans le récit de Tom, faute d’un projet identificatoire qui puisse nourrir le désir d’apprendre, sans angoisses ou frustrations insurmontables. À 13 ans 6 mois : « Qu’est-ce qu’il regarde là // je sais même pas ce qu’il regarde (il prend la planche) on va dire que c’est sa trousse // bon voilà c’est un petit garçon qui rentre chez lui / il a une très mauvaise note et il se — 114 —


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dit pour la première fois de sa vie qu’il va apprendre ses leçons / et voilà il ouvre son agenda / j’ai pas envie d’y passer trois heures. » Le vécu d’incompétence s’exprime dans un récit centré sur l’éprouvé subjectif, sans introduction de personnages. C’est le jugement par l’affect qui domine, jugement d’attribution selon Freud, en termes de bon ou mauvais. L’absence de supports identificatoires renvoie le sujet à son incapacité sanctionnée par un masochisme qui parcourt l’ensemble des récits. La perte de distance entre le registre de la fiction et son propre éprouvé montre la fragilité des limites (Je sais même pas ce qu’il regarde). Enfin, Tom exprime clairement sa difficulté supporter « le temps de suspension » nécessaire à l’apprentissage : selon Serge Boimare (2009), il s’agit d’un temps de construction, de recherche, d’élaboration d’hypothèses. Pour Tom, le temps est un temps de perte et le rapport au savoir est infiltré par des mécanismes d’opposition qui maintiennent Tom dans le registre de l’immédiateté, malgré sa grande intelligence. À 19 ans : Ça c’est un jeune virtuose qui reçoit son premier violon son premier machin / il est déçu parce qu’il voit qu’il est un peu abîmé alors il tire la gueule // il va se rendre compte qu’il s’en fout un peu du moment qu’il fonctionne /// ah non / là c’est en contradiction totale avec ce que je pense mais ce n’est qu’un violon. » Dans ce récit, il n’est pas question de transmission, l’enfant est déjà un virtuose, cependant l’objet du savoir n’est pas parfait, il est un peu abîmé et on pense à une reconnaissance de la castration. La possibilité d’utiliser cet objet est évoquée, même si elle est annulée rétroactivement, sous le joug de la culpabilité : Tom se contredit alors qu’il avait perçu la proximité de son récit avec sa problématique. L’idéalisation évoquée par « le virtuose » est un procédé qui évite la confrontation au manque et à l’immaturité et au détour par l’apprentissage : tout est déjà là. Le prix à payer est la disqualification de l’objet et l’atteinte narcissique (il est un peu abîmé). Cependant cet objet imparfait pourrait tout de même être utilisé (du moment qu’il fonctionne), ce qui préfigure une ouverture vers la capacité à utiliser l’objet, comme condition nécessaire à l’espace transitionnel, si on se réfère à Winnicott (1969 Concluons le T.A.T. avec la planche 7BM : deux hommes (dont on ne voit que les têtes) près l’un de l’autre avec une différence de génération qui renvoie au rapproché père-fils dans un contexte de rivalité oscillant entre tendresse et agressivité. Dans ce cas l’accès à l’ambivalence devrait apparaître (Baudin, 2008). « On dirait un peu Don Corléone (Le Parrain) et son conseiller / un parrain de la mafia avec son conseiller / plutôt son fils qui va reprendre les rênes / les affaires / c’est ça. » Tom offre un récit qui évoque la quête d’un père idéal tout puissant sur fond d’homosexualité primaire. Notons l’évolution du statut de l’homme plus jeune, tout d’abord conseiller dans une inversion générationnelle, puis inscrit dans une filiation qui laisse peu de place cependant à la transmission : il prend la place du père de manière immédiate. — 115 —


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Conclusion Le cas douloureux de Tom, et surtout l’expression de son manque à être, va bien au-delà d’une problématique identificatoire en lien avec la castration : les fantasmes d’incomplétude, d’impuissance, de manque, et la quête d’un corps infaillible s’inscrivent dans ces logiques contemporaines qui revendiquent l’augmentation de l’être humain, en lien avec l’illusion d’un surhomme hybridé avec la machine. Tom est victime consentante et participante de la fascination pour la mesure, la démesure et la norme quantitative. Ainsi, l’expression actuelle des troubles se nourrit du mythe hypermoderne du « Self-quantified » qui comptabilise nos pas, nos périodes de sommeil paradoxal, les calories que nous ingurgitons, et qui nourrit l’illusion d’une augmentation expansive des capacités de l’être humain, résurgence d’un moi idéal tout puissant. L’union de l’humain avec la technologie aboutit à la dépendance aux objets dits intelligents, sous formes de prothèses que nous additionnons à défaut de les intégrer comme des appuis psychiques. La modélisation des mécanismes du cerveau sur le modèle des intelligences artificielles, « l’homme neuronal » (Changeux, 1983), a identifié le cerveau humain à un ordinateur et a nourri l’idée d’un cerveau augmenté. On se trouve alors face à un glissement métonymique réducteur qui fait de la pensée, de l’intelligence et du cerveau, des entités équivalentes, ce qui influence nos représentations de l’enfant qui pense et de l’enfant qui est pensé. Cette conception modulaire et atomisée du sujet impacte nos pratiques et nos outils et, de ce fait, nous peinons à conserver une approche clinique. Au-delà d’une intellectualisation qui ferait du savoir un objet phallique narcissique qui peut aussi advenir à la sublimation, Tom revendique un statut de surhomme car il est pris dans les rets d’équivalences peu symbolisées qui confondent intelligence et puissance sexuelle, réduites à une équation pénis-cerveau dont la fonction prothétique ne constitue en rien une introjection d’objets stables et supports d’identifications maturantes. Le haut potentiel intellectuel peut cependant avoir différentes fonctions, et j’en citerai deux qui sont antinomiques et pourraient rendre compte de la différence radicale entre intelligence et pensée (Weismann-Arcache, 2017 b) : une fonction prothétique qui va développer un investissement du savoir de type « machiniste, en se servant de cet investissement comme d’un bouclier contre l’objectalité que ces savoirs mobilisent » (Goëb, Botbol et Golse, 2003, p. 318) ; mais aussi une fonction sublimatoire, quand cet investissement s’intègre harmonieusement à la personnalité et que l’intelligence peut s’ancrer dans une pensée à la fois secondarisée et suffisamment perméable (Weismann-Arcache, 2017) aux émergences fantasmatiques nécessaires à la créativité. Ainsi, je ne souhaite pas généraliser ce cas à tous les sujets à haut potentiel intellectuel, mais montrer combien nos représentations sont dépendantes des mutations anthropologiques qui traversent le socius. Les expressions symptomatiques prennent alors la couleur des idéaux contemporains qui sont proches du leurre ou de la chimère et deviennent des prothèses qui — 116 —


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renvoient paradoxalement l’être humain à son impuissance et à sa dépendance ontogénétique. Dans cette perspective réductrice, mais impactant nos représentations collectives, le haut potentiel intellectuel peut devenir aujourd’hui une figure de l’humain augmenté, au risque d’y perdre sa dimension symbolique, sublimatoire et créative. Les prothèses ne sont pas toujours fiables et nous conclurons avec Dédale, le père d’Icare. L’histoire d’Icare et de ses ailes fragiles révèle que les fantasmes d’hybridation et d’augmentation ne sont pas nouveaux, et plusieurs mythes les évoquent, dont le mythe d’Icare, souvent cité dans ce contexte qu’on peut lire comme une tentative échouée d’hybridation, mais aussi comme un raté de la transmission : le père d’Icare, celui qui a fabriqué les ailes de cire qui vont fondre au soleil, c’est Dédale. Dédale est un ingénieur grec, son habileté et son ingéniosité en ont fait une référence pour les réalisations humaines. C’est aussi un apprenti sorcier qui fabrique une machine, simulacre de génisse, dans laquelle se dissimule Pasiphaé, femme de Minos, afin de s’accoupler au taureau blanc qui appartient à Minos son mari. De cette union hybride machine/animal/humain, hors nature et hors mariage, naîtra le Minotaure. Le roi Minos demandera à Dédale de construire le labyrinthe où sera enfermée la créature monstrueuse (il y enfermera aussi Dédale, plus tard, pour le punir de ses tromperies). Le génie technique de Dédale est utilisé comme un leurre, un artifice, puis comme un antidote, un remède, pour finir par se retourner contre lui (Martin, 1998). Il s’agit d’un auto-engendrement permanent à travers des créations qui visent à maîtriser l’origine et la fin, le vivant et la mort. Dans ces conditions, point de transmission : ainsi Dédale invente la statue à l’aspect très vivant, des outils comme la hachette, le fil à plomb, la vrille et la colle. Menacé d’être surpassé par un de ses apprentis qui avait imaginé le compas et la scie métallique en s’inspirant d’une mâchoire de serpent, Dédale jaloux va précipiter ce jeune apprenti, qui serait aussi son neveu, du haut de l’Acropole. Il y a donc un précédent (qui donne lieu à répétition) car on peut s’interroger sur ce père très doué qui fabrique pour son fils des ailes de plumes et de cire, tout en lui enjoignant de ne pas trop s’approcher du soleil. N’aurait-il pas pu lui tenir la main et le guider ? À son tour, le fils chutera car, enivré par son vol, il ne regardera pas son père et ne l’imitera pas. La prothèse et l’imitation empêchent le processus identificatoire, la technique à valeur ajoutée reniant le processus de transmission qui transcende les appuis. Icare peut représenter aussi l’adolescence, période vulnérable aux échecs du processus de subjectivation et qui va mettre au jour les aléas de la transmission. J’ai croisé plusieurs phénomènes actuels, l’augmentation de l’être humain, le haut potentiel intellectuel, éclairés par le parcours d‘un adolescent du XXIe siècle. Il me semble que la conjonction de ces trois phénomènes peut maintenir un sujet dans une illusion de toute-puissance qui peut le conduire à brûler « ses ailes », pour autant qu’elles demeurent prothétiques. Aujourd’hui, le rapport au savoir sous toutes ses formes, depuis le savoir inconscient nourri par le sexuel infantile jusqu’au rapport — 117 —


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aux apprentissages – qui n’est pas sans lien avec le précédent –, peut subir ce processus de désubjectivation et de déshumanisation inhérent aux conceptions de l’humain augmenté : le haut potentiel intellectuel peut parfois en être une des formes. Jean-Luc Rinaudo (2015) nuance ce constat en rappelant que si, pour les uns, les technologies numériques favorisent l’immédiateté et la toute-puissance dominés par le principe de plaisir, pour d’autres, la révolution numérique peut constituer un nouveau modèle de rapport au savoir qui favorise les échanges. Il rappelle aussi que la complexité et la diversité humaines se satisfont peu de ces approches clivées, et nous pouvons appliquer la même démarche au haut potentiel intellectuel qui peut aussi être l’expression d’un rapport au savoir à la fois réceptif et fécond. Certes, les conditions pour que le contrat narcissique puisse garantir le processus de subjectivation sont mises à l’épreuve par les mutations sociétales actuelles, mais les termes en demeurent inchangés et nécessaires, ce qu’exprime cet aphorisme de Pindare, poète grec du Ve siècle avant J.C. : « Puisses-tu devenir qui tu es en l’apprenant ».

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Catherine Weismann-Arcache CFRPD (E.A. 7475) Université de Rouen Pour citer ce texte : Weismann-Arcache, C. (2019). Icare et ses prothèses. Itinéraire d’un adolescent « augmenté ». Cliopsy, 21, 105-119.

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Une alternative à l’injonction de mise à distance des affects : une forme de «professionnalisation clinique»

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Dans un contexte de « féminisation » encore massive du secteur de l’accueil de la petite enfance, la professionnalisation des professionnel·le·s de crèche s’accompagne le plus souvent d’une injonction de mise à distance des affects. Celle-ci se justifie par une logique de distinction vis-à-vis de la relation mère-enfant naturalisée. Je souhaite présenter ici quelques éléments de ma réflexion autour de la question de la professionnalisation dans ce secteur, en confrontant deux visions de la professionnalisation, l’une majoritaire, classique et d’inspiration sociologique, l’autre minoritaire et d’inspiration clinique. Ainsi cet article a pour objet la mise en lumière de certains enjeux de la professionnalisation, celle-ci comprenant la formation professionnalisante, dans les métiers dits « de l’humain » (Cifali, 1994/2005), de « la relation » ou du « care ». Il prend appui sur une recherche que j’ai conduite à propos des éducateurs·trices de jeunes enfants en crèche ; cette recherche s’inscrit dans l’approche clinique d’orientation psychanalytique en sciences de l’éducation et a abouti à une thèse (Hilbold, 2016a). Je souhaite montrer, à partir de matériaux tirés de cette recherche, comment la conception dominante de la professionnalisation mise en œuvre dans les centres de formation aboutit à des impasses douloureuses pour les professionnel·le·s ainsi qu’à des tentatives, parfois créatrices, pour les dépasser. Ce sont en effet ces impasses autant que les solutions singulières trouvées par certains·es professionnel·le·s que je cherche à analyser ici pour tenter de répondre à la question : comment construire sa professionnalité dans ce domaine en tenant compte des dimensions affective, émotionnelle, subjective ? Et en particulier, que faire des affects sur la scène professionnelle ? Ces questions déjà anciennes sont remises au travail à partir d’un ancrage théorique tentant d’articuler la démarche clinique d’orientation psychanalytique avec les études de genre y compris avec leurs controverses vis-à-vis de la psychanalyse : en particulier seront convoquées les théories queer et leur idée d’une performativité des discours (Butler, 1997/2004), — 121 —


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c'est-à-dire de processus discursifs de subjectivation, ainsi que l’épistémologie du savoir situé (Haraway, 1988/2007), théorie féministe critiquant l’objectivité scientifique désincarnée, désubjectivée, que je conjugue avec la proposition clinique d’une nécessaire élaboration du positionnement subjectif des chercheurs·ses. Ma démarche ne consiste pas à « traquer » chez les professionnel·le·s ce qui, dans leur parole, trahirait des affects considérés comme coupables car non professionnels – par exemple des affects et fantasmes pouvant se rapprocher d’une position maternelle ou maternante –, mais je cherche à entrevoir les effets pour elles-mêmes du fait qu’ils sont sous le coup d’une interdiction, ainsi que les solutions subjectives qu’elles inventent pour « s’en sortir ». Je commencerai par présenter les définitions et enjeux de ce qu’on nomme « professionnalisation » dans le domaine de la petite enfance, puis je donnerai quelques repères épistémologiques et méthodologiques qui ont sous-tendu ma recherche empirique et je finirai par exposer la situation d’une auxiliaire de puériculture en crèche collective qui m’a accordé un entretien suite à quelques mois d’observation de ma part de la structure dans laquelle elle travaille.

Contexte de la recherche : la professionnalisation des éducateurs·trices de jeunes enfants

1. N'appartenant pas à la génération ayant participé activement aux mouvements féministes des années 70, je reprends le slogan « Le privé est politique » de manière personnelle, en lui donnant un sens sans doute limitatif et peut-être en partie anachronique. Cependant, il me semble que les différents tournants et conflits au sein des féminismes de deuxième et troisième vague n'empêchent nullement une réappropriation actualisée des thèmes ni des mots d'ordre ayant eu cours à une époque donnée. C'est ce que fait à sa manière Donna Haraway lorsqu'elle arrache les relations inter-espèces (entre humains et animaux « de compagnie » par exemple) à la sphère privée pour leur (re)donner une dimension politique (voir Hache, 2012, p. 101).

Dans le contexte d’une professionnalisation de tous les métiers de la petite enfance, métiers qui sont encore exercés pour une immense majorité par des femmes, l'injonction à être « professionnel·le » est fréquente. Je l’interprète comme l’injonction à devoir tracer une ligne de partage claire entre profession et vie privée, et comme indiquant la place à donner aux « affects ». Je croise ce clivage avec les résultats des recherches issues des études de genre et études féministes qui, dès les années 1960, pointaient les enjeux politiques d’une définition dichotomique de ce qui relèverait du « privé » ou « personnel » et du « public »1. L’invisibilisation du travail des femmes, travail ménager ou d’élevage des enfants, découle de cette définition ; on voit continuer de se manifester des rapports de domination, naturalisés dans des couples de représentations opposées renvoyant la femme à l’intériorité, le domaine privé, la chaleur du foyer (la douceur d’une mère, l’amour des enfants…), tandis que l’homme se situerait dans l’extériorité, la professionnalité, la réussite sociale, mais aussi la rationalité et une certaine retenue affective. Sans consacrer ni reconduire ces clichés des représentations sociales de la « féminité » et de la « masculinité », on peut cependant noter combien ils gardent de leur actualité et de leur efficace malgré les progrès et avancées des quarante ou cinquante dernières années : une forme de jugement social continue de s’exercer sur les femmes n'ayant pas d'enfants (Bernard et Knibiehler, 2014) ; les mères, même lorsqu'elles travaillent, sont beaucoup plus sollicitées que les pères concernant l'éducation et le soin aux jeunes enfants (Blöss et Odena, 2005). — 122 —


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La professionnalisation de métiers historiquement « féminins » s'inscrit dans ces enjeux de reconnaissance et de visibilisation d'activités jusqu'alors considérées comme relevant de la sphère privée. Mais plus largement, il est nécessaire d'examiner, au moins rapidement, ce que recouvre la notion de professionnalisation car celle-ci n'est pas principalement envisagée comme un processus portant sur les métiers dits « féminins ».

Professionnalisation : définition et enjeux dans le secteur de l’accueil de la petite enfance Le sociologue de l’éducation, Raymond Bourdoncle, spécialiste de la professionnalisation, parle de professionnalisation aussi bien au sujet d’activités – c’est le cas de l’activité d’accueil de la petite enfance qui se professionnalise en sortant de l’activité privée non rémunérée – qu’au sujet des groupes exerçant ces activités, ou encore des savoirs concernant l’activité ou sa formation (Bourdoncle, 2000). Pour ma part, je me concentrerai sur la professionnalisation des sujets, c'est-à-dire que j'essaierai de répondre à la question : qu’est-ce que cela fait de devenir « professionnel·le » ou d’avoir à se conduire de manière « professionnelle » ? Même si j’adopte cette focale sur la dimension subjective, il est important de souligner que cette notion de professionnalisation en vogue accompagne des changements dans le monde du travail, avec le passage à une logique des compétences individualisant les professionnels tout en les appelant à mobiliser davantage leurs ressources subjectives (Wittorski, 2008, p. 13). La professionnalisation serait un processus se situant à l’intersection entre le sujet et le social puisque le sujet se professionnalise dans un certain contexte social et politique ; j’aurais ainsi tendance à définir la professionnalisation principalement comme un processus de subjectivation pour les professionnel·le·s et futur·e·s professionnel·le·s, processus dont il ne faut pas oublier qu'il est pris aussi dans l'objectif collectif de reconnaissance de leur profession. Afin de déplier cette définition synthétique et qui peut paraître cependant limitée, car elle ne tient pas compte, à première vue, des multiples opérations en jeu pour se former, changer son rapport au savoir et aux pratiques dans les formations dites « professionnalisantes », j'ajouterai ceci : la professionnalisation peut être comprise comme une mise en normes des pratiques professionnelles afin de faire valoir le diplôme et la profession sur la scène sociale. En ce sens, c'est un ordonnancement particulier des pratiques qui est en jeu ainsi qu'une définition des questions jugées importantes pour la profession. La professionnalisation est un processus de subjectivation, c'est-à-dire qu'elle produit des subjectivités, au sens du rapport à soi et à sa propre expérience, parce que les catégories de pensée et les catégories identitaires qu'elle fixe définissent le sens de l'expérience et favorisent la codification et la protocolisation des relations (Hilbold, 2016b). Par exemple, chez les éducatrices de jeunes enfants en formation, la mise en garde est constante de ne pas confondre leur rôle avec celui de la — 123 —


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mère, de trouver la « bonne distance », de ne pas se laisser trop affecter par les relations avec les enfants. Une « bonne professionnelle » est alors avant tout distinguée de la mère, cette dernière étant considérée comme la principale porteuse de la dimension affective, sinon la seule. Cette distinction produit des effets sur ses relations avec les enfants et les autres adultes qui en ont la charge, mais aussi sur le sens qu'elle donne à son expérience auprès de ces mêmes enfants et adultes.

Un contre-modèle possible : la prise en compte des « plaisirs et souffrances » La conception du travail portée par les tenants de la professionnalisation – clivant le personnel et le professionnel – est contredite par les travaux cliniques d’orientation psychanalytique qui mettent l’accent sur une professionnalisation des « métiers de l’humain » par une prise en compte et une élaboration des affects affleurant dans leur activité professionnelle. Ces travaux prennent souvent pour objet les métiers de l’enseignement et s’interrogent sur les moyens de former les enseignant·e·s sans que ceux-ci, celles-ci aient à dénier, sous prétexte de professionnalité, les plaisirs et souffrances qu’ils et elles éprouvent dans l’exercice de leur métier. Je rappellerai en particulier cet extrait d’un article de Claudine BlanchardLaville qui reste pour moi un repère important sur la question de la professionnalisation, proposant un « contre-modèle » qui rompt radicalement avec le modèle dominant : « À mes yeux, conseiller à un enseignant en formation sans autre forme de procès d’avoir une réponse "professionnelle" quoi qu’il se passe, au sens de non dictée par des sentiments personnels, c’est le mettre sur une fausse piste. L’éradication de ses mouvements personnels, dans une logique volontariste, ne le conduira à terme qu’à des impasses, car c’est risquer de renforcer des clivages mutilants et, du même coup, faire le lit d’une irruption intempestive du registre personnel sous forme de motions d’amour ou d’agressivité non élaborées. J’insiste. Le véritable apprentissage professionnalisant est tout au contraire de pouvoir se reconnaître partie prenante dans la tonalité émotionnelle de ce qui s’échange dans un espace d’enseignement et de travailler cette part de nous-mêmes qui est sollicitée sur la scène professionnelle. » (Blanchard-Laville, 2012, p. 58-59) C. Blanchard-Laville s’oppose ici à une injonction de professionnalité qui serait synonyme de rejet ou de mise à distance des affects, injonction commune chez les enseignant·e·s comme dans la plupart des professions « de l’humain » ou de la relation. Elle est en effet bel et bien agissante chez les éducateurs·trices de jeunes enfants, comme je l’ai déjà évoqué. Rejetant cette conception de la professionnalité, C. Blanchard-Laville fait valoir au contraire une professionnalisation par la prise de conscience de la part émotionnelle de soi engagée dans tout acte professionnel. Un modèle — 124 —


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alternatif de professionnalisation est proposé, avec l’analyse clinique des pratiques comme outil. Si je cherche à faire valoir ce modèle alternatif, c'est parce que j'entrevois les risques à placer les professionnel·le·s face à l'injonction de distance affective qui peut provoquer des effets de clivage. Car sur le plan subjectif, les professionnel·le·s de la petite enfance ont à la fois à se positionner face à des injonctions à se distinguer de la sphère privée, à faire reconnaître leurs compétences et à faire avec la dimension affective de leur activité, de préférence en catimini, sans la nommer puisque la nommer reviendrait à retomber du côté de la sphère dite privée. Position pratiquement intenable qui justifie pour moi l’importance de diffuser un autre modèle de professionnalisation. Je vais à présent exposer ma méthode d’investigation auprès de ces professionnel·le·s afin de montrer ce que je tire de la démarche clinique d’orientation psychanalytique pour avancer sur cette question. Il s'agit à la fois de montrer la cohérence de ma démarche de recherche avec mon cadre théorique et de démontrer la cohérence interne à ce cadre, bien que celui-ci ne soit pas dénué de conflictualité. C'est donc une exposition de questions épistémologiques, voire éthiques et politiques, qui fait l'objet des paragraphes suivants, plus qu’une simple présentation de la méthodologie utilisée.

Méthode d’enquête La manière dont le·la chercheur·se s’engage sur le terrain est déterminante pour ses résultats. Il ne s’agit pas uniquement de ses outils méthodologiques, de ses choix de techniques d’enquête : entretien ou observation ? Questionnaires, entretiens directifs, semi-directifs ? Quels interviewés, leur représentativité, comment tester la validité de la méthode, des questions posées… ? Toutes ces questions ont leur pertinence et leur valeur scientifique, mais ce n’est pas par elles que je souhaite engager ma réflexion sur le cadre « théorico-méthodologique » qui soutient ma recherche. Car c’est, surtout, le regard posé sur le terrain par le chercheur qui m’interroge, qui sollicite mon intérêt, qui soulève des difficultés et en a soulevé dès mes premières tentatives de rencontrer un « terrain ». Ce dernier est construit par le chercheur, n’a rien de naturel en soi : une crèche ne devient un terrain que par l’action du chercheur qui la décrit et la codifie comme tel. Mon usage de la psychanalyse dans ma méthode d’enquête ainsi que dans ma théorisation est à préciser ici, car je cherche avant tout à mettre au jour des discours et des catégories de pensée traversant les sujets et déterminant leurs pratiques, et non à formuler des hypothèses sur les processus psychiques inconscients sous-tendant leurs paroles ou leurs actes. Formée par Laurence Gavarini qui articule le sujet et le social à partir des repères construits notamment par Jacques Lacan et Cornelius Castoriadis — 125 —


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(Gavarini, 2003), je m'inscris dans la tradition des recherches cliniques d'orientation psychanalytique en cherchant à ne pas ignorer les points de friction avec certains autres de mes arrières-plans théoriques. Tout particulièrement, m'essayant à mon travail de recherche auprès des éducatrices de jeunes enfants en crèche, je n'ai pas pu éviter de faire appel aux études de genre, considérant le poids des représentations de la féminité et de la maternité dans ce secteur. Mais les études de genre, dans leur courant américain en particulier, revisitent la psychanalyse de manière critique, accusant notamment cette dernière de trop souvent céder à la tentation d'une conception essentialisante des genres, surtout lorsqu'elle insiste sur la différence des sexes comme socle symbolique de toute civilisation. À cette tentation s'ajoute celle d'une affiliation trop grande à la psychiatrie, psychopathologisant tout ce qui s'écarte de la norme hétérosexuelle. Or, c’est à une psychanalyse résolument rétive à la psychopathologisation que je me réfère (Allouch, 2014). Plus encore, je rappellerai le discours de J. Lacan à l’adresse de jeunes psychiatres en 1967 où il leur exposait sa conception de la psychanalyse comme contraire à la démarche de « compréhension » puisque, pour lui, il s’agit justement de « marquer en quels fondements radicaux de non-sens […] se fonde l'existence [des] faits subjectifs » (Lacan, 1967). Si la psychanalyse ne sert pas à comprendre, ni les sujets ni le social, à quoi sert-elle ? Il me semble qu’elle sert précisément à éviter la tentation illusoire de la compréhension, c'est-à-dire qu’elle permet une ouverture du sens à une multiplicité de significations et à la diversité. Cette psychanalyse non normative, non psychopathologique, est une alliée de taille dans une analyse des discours et catégories que le sujet peut supporter, charrier, contester, ironiser ou subir. L’opacité du sujet est telle qu’on ne peut aborder un terrain d’investigation, rencontrer des personnes pour les interviewer ou les observer, sans s’interroger sur la part d’imaginaire, de projections, de malentendus, existant entre soi et l’autre. Mais je ne cherche pas à résorber cette part ou à lever le voile sur l’opacité : au contraire, je souhaite la maintenir constamment à mon esprit pour ne pas être tentée de la réduire par des catégorisations et des théories s’appliquant a priori sur le sujet. Ainsi, la démarche clinique d’orientation psychanalytique, en ce qu’elle se penche sur le vécu singulier du sujet sans viser sa réduction à un sens prédéfini, s’articule pour moi très bien avec les théories queer développées par Judith Butler notamment : s’attaquant aux catégories binaires telles que les catégories de genre, J. Butler m’aide à penser hors de ces catégories naturalisées. Je m’en sers par exemple pour déconstruire l’opposition binaire entre public et privé ou entre affectif et professionnel, sur le plan des discours et de leurs effets de performativité.

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Qu'apporte la théorie de la performativité à la recherche clinique ? La performativité chez J. Butler, concept emprunté au philosophe du langage John Langshaw Austin et revisité déjà en particulier par Jacques Derrida (1972), est utilisée pour rendre compte de l’effet de la catégorie de genre sur le sexe : c’est le discours du genre, naturalisant, qui produit la distinction, la « différence des sexes », organisant les différences, la variété, la diversité des sexes et des sexualités, dans un clivage entre deux et seulement deux sexes et dans un rapport prescrit entre ces deux sexes supposés essentiellement différents. Mais les discours étant discontinus et instables, l’organisation de la différence des sexes n’est pas produite une fois pour toutes, elle doit être réitérée pour être efficace. Ainsi, Michel Foucault (qui constitue une référence importante pour J. Butler) nous incite à admettre « un jeu complexe et instable où le discours peut être à la fois instrument et effet de pouvoir, mais aussi obstacle, butée, point de résistance et départ pour une stratégie opposée » (Foucault, 1976, p. 133). Il donne l’exemple de l’homosexualité qui, une fois posée au centre d’un discours, a pu se saisir elle-même du discours pour produire ses propres énoncés. Ainsi, « le discours véhicule et produit du pouvoir ; il le renforce mais aussi le mine, l’expose, le rend fragile et permet de le barrer » (Ibid.). J. Butler prolonge cette idée par son usage de la notion de performativité : « l’acte de nommer est performatif, il crée linguistiquement ce qu’il nomme » ; et, toujours au sujet de l’homosexualité, elle ajoute : « en un certain sens le discours agit et, plus généralement, [..] le discours produit à propos de l’homosexualité fait partie de la constitution sociale de l’homosexualité telle que nous la connaissons » (Butler, 2004, p. 194-195). S’appuyant sur J. Derrida, elle parle d’un discours d’autant plus efficace qu’il est référentiel et lui oppose l’acte discursif du coming-out comme non référentiel mais performatif, au sens cette fois d’acte de résistance, performant de nouvelles potentialités, contre le pouvoir définitionnel du discours référentiel. Il y a donc une double face des discours, une double face de la performativité : produisant du pouvoir, mais aussi de la résistance, celle-ci n’étant d’ailleurs pas extérieure au pouvoir. La théorisation de la performance et de la performativité des discours de J. Butler met donc en jeu des solutions singulières du sujet face à ces discours, elle offre une perspective de jeu et d’ouverture à la surprise échappant à l’emprise des discours normatifs. Le verbe « performer », néologisme utilisé de manière transitive et dont l'usage est fréquent en référence notamment à J. Butler, témoigne de ce sens : on « performe » son identité, son genre, ou une catégorie, au sens où l'on joue à « être » même ce que l'on « est », construisant et déconstruisant ce faisant sans cesse la catégorie identitaire par le jeu (Rubin et Butler, 2002). C’est ce qu’il m’a semblé entendre dans le discours d’une auxiliaire de puériculture – je présenterai cet entretien en dernière partie de cet article. Pour plusieurs raisons qui correspondent chacune à mes affinités théoriques avec des courants de pensée – la clinique d’orientation psychanalytique en — 127 —


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sciences de l’éducation et la question de l’implication subjective du chercheur ; M. Foucault et sa manière de penser la science, la norme et les relations de pouvoir ; la théorie du point de vue situé ou des connaissances situées chez certaines féministes comme D. Haraway ; la conception qu’a J. Lacan du sujet de l’inconscient – pour toutes ces raisons, je ne peux pas faire l’économie d’une interrogation sur mes propres effets sur le terrain, sur les sujets rencontrés, et plus généralement, sur le mode d’acquisition des connaissances de la recherche empirique. Je poursuivrai donc ma réflexion en « situant » ma position de chercheuse sur mon terrain d'enquête.

Un point de vue situé sur la petite enfance et sur la professionnalisation Si certaines féministes développent une théorie du « point de vue situé » (notamment Haraway, 1988/2007), toute connaissance étant située dans la position sociale et l’histoire de l’observateur autant que dans celles de l’observé, le recours à la méthodologie clinique d’orientation psychanalytique et la recherche de l’explicitation de l’implication de la chercheuse sont complémentaires de la prise en compte du « point de vue situé » : par la reconstruction et le récit d’éléments de mon histoire personnelle, j'ai cherché dans ma thèse à rendre compte du lieu d’où je parle et des déterminations tant sociales que psychiques ayant pesé sur mes relations avec les observé·e·s et interviewé·e·s. Je ne reviendrai pas dans le détail sur ces éléments. Un savoir « situé » signifie pour D. Haraway un savoir situé du côté des dominé·e·s, c'est-à-dire qu'à la suite des féministes et sociologues perspectivistes, elle accorde un « privilège épistémologique » aux positions assujetties mieux à même de percevoir et de mettre au jour les mécanismes de domination ; or je ne partage pas la condition des professionnelles de la petite enfance. Mais, toujours selon elle, aucune position même assujettie ne garantit a priori l'objectivité, si ce n'est la prise en compte, la visibilisation de la position de la chercheuse, de celle qui vise cette objectivité nouvelle : « La subjectivité est multidimensionnelle ; partant, telle est la vision. Le soi connaissant est partiel dans toutes ses instances, jamais fini ni plein, ni là et original simplement ; il est toujours construit et suturé ensemble et, partant, capable de se lier à un autre, de voir ensemble sans prétendre être un autre. Ici est la promesse de l’objectivité : un scientifique cherche la position sujet, non de l’identité, mais de l’objectivité, qui est une connexion partielle. Il n’existe pas de façon d’« être » simultanément dans l’ensemble, ou entièrement dans chacune, des positions privilégiées (c’est-à-dire assujetties) structurées par le genre, la race, la nation ou la classe. » (Haraway, 2007) Depuis ma position de chercheuse, ne prétendant pas être professionnelle de la petite enfance, je cultive néanmoins ma sensibilité à la position assujettie et au savoir propre à cette position. — 128 —


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Ainsi, c’est dans ma rencontre avec des professionnelles de la petite enfance que j’ai accédé à l’expérience, négative, de l’assignation à une position maternelle. En ayant à me débattre contre les pressions à être telle ou telle mère, selon mon interlocuteur – pédiatre, infirmière, éducatrice, sagefemme, puis psychanalystes de la Maison-Verte, sans compter mon entourage familial –, j’ai connu l’expérience de la maternité de notre époque : or, je rejoins le point de vue développé par L. Gavarini, concernant l’ancrage de la subjectivité dans la dimension sociale-historique et la possibilité d’accéder à cette dimension par l’étude de la singularité (Gavarini, 2013). Cette expérience m’informe d’enjeux qui concernent directement ma recherche, ce qui est logique puisqu’elle a contribué à construire les questions soutenant cette recherche. Mais elle contient aussi en elle la possibilité de biais dans la recherche, tant que je ne suis pas informée, sinon dégagée, de mes tentations de « régler mes comptes » avec ces professionnelles qui ont tant agi sur moi, dans mon intimité : les professionnelles de la petite enfance sont-elles des ennemies pour moi ? Sont-elles au contraire des alliées (contre d'autres « ennemi·e·s ») ? Vais-je les présenter sous un jour avantageux ? Leur faire un procès ? Comment atteindre un recul suffisant dans mes observations, analyses, dans mon écoute de leurs propos, tant qu’elles viendront me rappeler des situations vécues, douloureuses ou agréables ? La réponse apportée par les approches cliniques d’orientation psychanalytique en sciences de l’éducation réside dans cette présentation et élaboration des éléments perturbant mon rapport au terrain tout en m’y rendant sensible : ce en quoi je suis seule à pouvoir voir ce que j’ai vu, entendre ce que j’ai entendu, car un·e autre que moi aurait décodé les flux d’informations provenant du terrain d’une tout autre manière, lui appartenant. Pour le dire à la manière de Rose-Myrlie Joseph qui associe les épistémologies de la sociologie clinique (analyse de l’implication) et des études féministes (point de vue situé), je cherche à analyser « l’implication des chercheurs à la fois dans la relation de recherche et dans les rapports sociaux » (Joseph, 2013) ; et, comme elle le souligne, c’est la clinique qui offre le plus d’outils concrets pour cette analyse, tandis que les études féministes s’allient à elle pour critiquer l’objectivité comme mode d’appréhension scientifique. Je précise que ma référence à R.-M. Joseph ne constitue pas une adhésion à sa démarche inscrite dans une sociologie clinique à laquelle je ne participe pas, ni une confusion avec la démarche clinique d'orientation psychanalytique. Je retiens d'elle cette articulation entre une méthodologie de recherche et une épistémologie du point de vue situé que les chercheur·se·s qui l'ont élaborée n'ont pas rendu opérationnelle dans une réflexion sur les rapports aux terrains ni aux sujets de la recherche.

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Une hybridation de la démarche clinique ? Plus concrètement, mon matériau empirique comporte notamment une trentaine d’entretiens non directifs avec des professionnelles, des étudiantes et des formateurs, ainsi que des observations non participantes dans trois structures d’accueil de la petite enfance. Si tous n'ont pas été retenus pour la thèse, ils ont tous joué un rôle dans l'élaboration de mes hypothèses. L'entretien que je présente ci-dessous a été mené dans des conditions peu courantes pour la démarche clinique. Sans doute en ce sens représente-t-il une hybridation de la démarche clinique avec d'autres démarches (ethnographique, en particulier), voire une altération conséquente de cette démarche. À la suite d'une observation longue, en immersion, de plusieurs structures d'accueil de la petite enfance, j'ai en effet fait le choix de proposer des entretiens à toutes les professionnelles qui le souhaitaient. Anouk, l'auxiliaire de puériculture dont je restitue la parole ci-dessous, s'est saisie de cette proposition. Par le hasard de mes présences et des siennes dans la structure, nous ne nous étions que très peu vues au cours de mes observations. Elle savait que j'étais chercheuse, que j'avais observé le travail de ses collègues pendant six mois, et que ma recherche était plutôt centrée sur les éducatrices de jeunes enfants. Je lui ai proposé une consigne d'entretien très souple, large, comme « pourriez-vous me parler de votre travail ? ». Il s'est agi d'un entretien non directif s'intégrant à un travail d'observation que j'ai élaboré dans ce que j'ai appelé une monographie d'une structure. Je ne l'ai, de ce fait, pas analysé à la manière des autres entretiens – qui eux étaient cliniques – que j'ai pu mener avec des professionnelles que je n'ai rencontrées qu'une fois et dont les associations libres m'ont permis de proposer des pistes d'interprétation et des analyses plus poussées. Ici, je me cantonne au discours manifeste d'Anouk qui présente cependant un intérêt particulier pour le thème qui me préoccupe, celui de l’injonction à cliver professionnalité et affectivité. Je proposerai des pistes d'entendement et d'embrayage sur les propositions d'Anouk, sans me livrer à une interprétation au sens psychanalytique du terme.

Le discours d’Anouk : une voie de traverse Anouk est l’auxiliaire de la section des moyens de cette crèche ; elle a une trentaine d’années. Ce qu’elle décrit de son positionnement dans l’entretien suscite mon intérêt : elle semble avoir un regard très affirmé sur son métier, son travail, ses visées et ce, d’une manière tout à fait personnelle, sans se reposer sur ce que pense l’équipe. Elle voit la crèche comme un « lieu de vie », au sens où, vraiment, « on vit ensemble », professionnelles et enfants. Pour elle, « si on est très terre-àterre et très professionnelle comme on nous l’apprend ça peut compliquer beaucoup de choses / c’est plus facile si c’est une petite vie de famille on comprend mieux l’enfant ». Elle précise qu’en cours, on leur dit : « pas de bisou / il faut rester professionnelle », ce qu’elle considère comme impossible. C’est une vision du métier qu’elle développe au cours de — 130 —


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l’entretien : pour celles qui ne vivent pas leur métier comme elle, elle dit que le travail est rébarbatif : « il n’y a rien d’enrichissant à changer une couche / si c’est que de la garderie et la routine ». Mais cette vision lui est, me semble-t-il, toute personnelle, elle lui permet juste de « passer de bonnes journées avec les enfants », ce n’est pas du tout assimilable à un projet pédagogique. À la limite, elle ignore ce qu’il en est de ses collègues : ce qu’elle dit dans l’entretien ne me semble pas être de l’ordre de ce qu’on échange d’ordinaire entre collègues.

Une professionnalité sans l’équipe Anouk donne l’impression d’être une professionnelle investie et focalisée sur son travail avec les enfants. Elle ne semble pas s’appuyer sur ses collègues ni sur une quelconque idée d’équipe. On l’imagine seule avec un petit groupe d’enfants, comme si la dimension institutionnelle n’existait pas ou comme si, à elle toute seule, Anouk pouvait en inventer une, alternative ou parallèle à celle qui existe. Un aspect en particulier rend son discours tout à fait unique pour moi : l’absence totale de plainte ou de plaisir déclaré concernant ses collègues la décale des positions prises habituellement par les professionnelles qui s’expriment volontiers sur la vie de l’équipe. Cet aspect tranche aussi avec l’idée de la nécessité « vitale » du travail en équipe, en particulier sa nécessité psychique, dans le cadre d’un travail qui exige un fort investissement affectif de la part des professionnelles (Ulmann, 2012). Performer la famille : une forme de créativité Le fait qu’elle caractérise la crèche comme un véritable lieu de vie – et même plutôt comme une « petite vie de famille » – aurait pu me mener vers une interprétation proche de celle que j’ai développée pour une autre interviewée (Hilbold, 2016a, p. 246-247) : une confusion entre famille et crèche. Ce n’est pas ainsi que je l’entends ici : chez Anouk, il ne s’agit à mon sens pas du tout d’une confusion, mais d’un choix assumé de concevoir son travail « comme si » elle était dans le cadre d’une vie de famille, ce qui lui rendrait la tâche plus facile, d’après elle. Se pourrait-il qu’il y ait là une forme de duplicité, de jeu, d’ironie peut-être, qui lui permettrait de laisser advenir les affects à sa conscience, sans les refouler immédiatement pour cause de professionnalisme ? Anouk, d'après moi, joue la catégorie de la famille depuis une certaine distance ironique et sans chercher à « être » quelqu’un. C’est comme si elle disait aux enfants : « On serait une famille », ce qui ne signifie pas « Je serais la maman » (et encore moins « Je suis votre maman »). Ce faisant, elle permet que les affects familiaux soient joués sans que les places et positions ne soient marquées de manière identitaire. Elle ne met pas en jeu la « vérité », mais sa manière de faire m'évoque plutôt l’ironie qu’appelle de ses vœux la psychanalyste Laurie Laufer : « Foucault comme Freud et comme Lacan étaient les ironistes nécessaires face à tout dogmatisme du savoir et tout imaginaire du pouvoir » (Laufer, 2015). — 131 —


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Plutôt que d'élaborer les affects collectivement dans le cadre d’une équipe contenant les affects de chacun·e, comme le préconise Anne-Lise Ulmann qui avance que « cette manière de travailler avec les enfants ne semble possible que si elle est étayée par ces réunions de régulation, qui s’effectuent lors d’un temps prévu au "non-travail" mais qui sont considérées par toutes comme un moment essentiel qui soulage les éprouvés du travail avec les enfants » (Ulmann, 2013, p. 200), ici il s’agirait, pour Anouk, de « faire avec » ses sentiments, sans culpabilité, individuellement, grâce à un choix assumé de jeu avec la catégorie de la famille. Les articles d’A.-L. Ulmann sur le travail en crèche (2012, 2013) insistent sur le coût psychique, pour les professionnel·le·s, de ne pas faire avec ces affects, de les ignorer ou de les refouler, de ne pas les dire, de les cacher : il arrive en effet que « les affects (amour, exaspération, dégoût, plaisir…), qui agissent toujours dans la construction d’une relation, rendent le travail particulièrement éprouvant physiquement et psychiquement » et que « "l’activité empêchée" (Clot), coûteuse psychiquement, mais réfléchie en équipe permet[te] la construction collective d’une identité de métier » (Ulmann, 2013, p. 200). Anouk aurait-elle trouvé une autre voie que la réflexion en équipe pour que ses affects ne lui coûtent pas trop ? Les limites méthodologiques de l'entretien ne permettent pas de répondre réellement à la question, mais c'est pour la possibilité même de poser cette question que je l'ai malgré tout retenu. Bien entendu, d'autres pistes pourraient être explorées, notamment celle d'un processus défensif chez Anouk – contre l'usure du travail en crèche, la perte de sens ou contre les affects débordants, voire à l’encontre de la chercheuse l'interviewant… –, processus qui pourrait ici consister, d'une part, peut-être un peu par bravade, à mobiliser des catégories dont Anouk sait pertinemment qu’elle est censée s’en distancier, d'autre part, à créer un cadre imaginaire dans lequel elle évolue, ignorant le réel l'entourant. On pourrait également se demander quels effets sur son travail peut avoir le jeu qu'Anouk semble mettre en place : lui est-il, comme je le suppose, bénéfique ou risque-t-il de la détourner de sa tâche, dans sa dimension plus réelle ? Je n'ai pas exploré ces pistes plus en détails et me contente de les indiquer, car ma préférence, en l'absence de « preuve », va vers une lecture qui me semble nous orienter vers des voies originales de recherche, du côté de la créativité individuelle, sans disqualifier définitivement, pour autant, la dimension collective du travail en équipe. De nouveaux entretiens pourraient m'aider à affiner cette intuition.

Conclusion Le discours de la professionnalisation montre ses limites sitôt que l'on envisage la dimension des affects dans l'activité professionnelle. Deux options me semblent se dessiner alors : « professionnaliser » l'affectif (et c'est dans ce sens que le « soutien à la parentalité » peut être interprété par — 132 —


Une alternative à l’injonction de mise à distance des affects

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certain·e·s comme une « professionnalisation » des parents) ou créer une distance ironique, non pas principalement avec ses affects, mais d'abord avec le discours injonctif. Si la première option me paraît vouée à l'échec et, pire, consacre la dichotomie vie privée / vie professionnelle, la seconde ne relève hélas pas de la décision volontariste. Elle peut être favorisée par une élaboration clinique de sa pratique et de sa posture professionnelles, de manière groupale ou non, qui aurait le mérite de reconnaître la part de soi, y compris insue, toujours à l’œuvre dans l'activité professionnelle. Mais elle peut être mise en œuvre individuellement, selon des modalités propres au sujet qui parvient à s'en saisir, comme l'illustre l'exemple d'Anouk dont on ne sait pas quelle histoire l'a poussée vers cette option. Dans un cadre de travail et de rencontre qui oblige chaque sujet, professionnel ou non, à se confronter à ce qu'il imagine être « la famille », « la parentalité », « l'enfance », et qui le pousse implicitement à mobiliser la connaissance intime qu'il a de ces catégories en favorisant ainsi la répétition des passions familiales, la solution d’une professionnalisation technique, protocolisée et « désaffectée » ne paraît pas un rempart efficace contre la souffrance, ni un mode d'emploi applicable pour mieux accueillir l'enfant et sa famille. La plupart des professionnel·le·s que j'ai rencontré·e·s ne s'y trompent d'ailleurs pas, inventant chacun et chacune des positionnements professionnels plus ou moins en décalage avec ce qui est attendu d'elles et d'eux, c'est-à-dire ce qui est diffusé en formation (« il ne faut pas s'attacher aux enfants, à leur famille », « il faut savoir mettre à distance ses affects », etc., énoncés que j’ai eu l’occasion d’entendre à de nombreuses reprises dans les cursus de formation). Mais si certain·e·s assument le décalage, d'autres le vivent dans la culpabilité et tentent de se rapprocher d'un idéal de professionnalité reproduisant le clivage entre privé et professionnel, un clivage qui ne permet pas de mettre en jeu ni d'élaborer les connaissances sous-jacentes, voire le savoir insu, concernant les enjeux de la rencontre avec des enfants, des mères, des pères, des grands-parents et d'autres « familiers ». Ce que je cherche à faire entendre ici est que ce qui pose problème aux professionnel·le·s n'est pas l'envahissement de la sphère privée, affective, dans le travail, mais bien l'interdit de « jouer » (au double sens de performer et de donner du jeu) avec cette sphère et ses catégories dans le travail.

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Mej Hilbold CIRCEFT, CLEF-apsi Université Paris 8 St Denis Pour citer ce texte : Hilbold, M. (2019). Une alternative à l’injonction de mise à distance des affects : une forme de « professionnalisation clinique ». Cliopsy, 21, 121-134.

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D’une position de professionnelle du travail social à une position de chercheuse clinicienne Démarche clinique d’accompagnement versus démarche clinique de recherche d’orientation psychanalytique Narjès Guetat-Calabrese

Introduction Après un itinéraire professionnel d’éducatrice spécialisée, j’ai assumé depuis l’année 2000 diverses fonctions de direction dans plusieurs structures sociales ou institutions éducatives. Depuis 2010, je suis directrice d’une Maison d’Enfants à Caractère Social (MECS). C’est en 2006 que j’ai repris un parcours d’études universitaires, d’abord un cursus de formation de 18 mois intitulé « Supervision et analyse des pratiques » à l’École Supérieure de Travail Social (ETSUP), puis un master de sciences de l’éducation, option Formation à l’Intervention et à l’Analyse des Pratiques (FIAP), à l’université Paris Nanterre, diplôme que j’ai obtenu en 2009. À l’issue de ce master, j’ai souhaité m’engager dans un parcours de recherche. C’est ainsi que, de 2010 à 2012, j’ai participé à un séminaire de doctorants organisé par Philippe Chaussecourte et Claudine BlanchardLaville que j’avais respectivement pressentis comme directeur de ma thèse et comme tutrice de mon travail. Ce temps m’a permis à la fois de consolider mon désir de faire de la recherche et aussi de circonscrire mon thème d’investigation ; en 2012, j’ai décidé de me lancer dans l’aventure de la réalisation de la thèse et je l’ai soutenue le 17 décembre 2018, sous l’intitulé Diriger une Maison d’Enfants à Caractère Social. Regard clinique sur la fonction de direction (Guetat-Calabrese, 2018). Parallèlement à ce parcours doctoral, j’ai assuré, depuis 2013, des charges de cours à l’ETSUP ainsi que dans le master FIAP à Nanterre, en particulier pour accompagner des étudiants dans la réalisation de leurs mémoires. Depuis cette dernière rentrée universitaire (octobre 2018), j’exerce à mitemps à l’université de Nanterre comme maîtresse de conférences associée tout en conservant mon activité de directrice. C’est ainsi que, entre 2010 et 2018, pour arriver au bout de ma thèse, j’ai dû construire par étapes une position de chercheuse clinicienne. Aujourd’hui, trois mois se sont passés depuis le moment de la soutenance, ce qui me — 135 —


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donne la possibilité de revisiter ce parcours pour appréhender comment s’est effectuée la transformation de ma position de professionnelle expérimentée en une position de chercheuse ou, plus modestement, pour mettre en lumière certains moments critiques que j’ai eu à traverser ou certains seuils significatifs que j’ai eu à franchir.

Ma découverte de la démarche clinique d’accompagnement des professionnels Dans les premiers temps de ma formation à Nanterre en Master FIAP, je me suis laissée « inspirer » par la découverte de ce que recouvraient les notions de clinique et d’approche clinique d’orientation psychanalytique, avec l’impression de trouver ce que j’avais longtemps cherché. L’éclairage apporté par cette approche a transformé ma manière d’être et de penser en tant que professionnelle. Pour évoquer l’expérience concrète de l’analyste, André Green a la formule suivante : « il est difficile parfois d’arrêter la machine à psychanalyser, sans doute parce que la psychanalyse n’est pas un métier comme les autres. Être psychanalyste, c’est avoir une vision psychanalytique de toute expérience que l’on fait » (Green, 1992, p. 45). Je me permets de transposer une partie de cette citation : « être clinicien c’est avoir une vision clinique de toute expérience que l’on fait ». Je crois que la dimension clinique que j’ai pu appréhender au cours de ma formation a facilité pour moi, dans un premier temps, la prise de recul et le travail de pensée dans l’après-coup des situations professionnelles que je vivais, en me dégageant de l’engluement dans une forme d’incapacité à penser qui guette le professionnel qui a « le nez dans le guidon ». Les recherches que soutenait l’équipe du Centre de Recherche Éducation et Formation (CREF) – intitulée en 2007 Clinique du rapport au savoir et aujourd’hui Savoir, rapport au savoir et processus de transmission – à l’origine du master FIAP ont offert des réponses à mes interrogations concernant ma place dans l’accompagnement des professionnels du travail social et plus précisément sur le registre de l’analyse de leurs pratiques professionnelles. Lors de ma formation à l’ETSUP, j’avais été marquée par le fait que la proposition qui nous était faite par les formateurs d’interroger nos mouvements contre-transférentiels à l’œuvre dans le groupe d’analyse des pratiques que nous animions, semblait paradoxalement étrangère à ces mêmes formateurs. J’avais alors vécu comme une trahison le fait que certains formateurs n’interrogent que les mouvements psychiques des professionnels en formation, comme s’ils déniaient leur propre « implication psychique » dans les échanges avec nous les étudiants-professionnels qu’ils accompagnaient dans ce parcours de formation ; en tout cas, c’est ainsi que je l’avais vécu. Lorsque je suis arrivée dans le parcours de master à l’université, j’ai été immédiatement saisie par le positionnement des enseignants qui, non seulement travaillaient sur leurs mouvements psychiques dans leur interaction avec les étudiants, mais en plus en partageaient à certains moments l’analyse avec ces derniers. Cette — 136 —


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démarche nous conduisait presque naturellement, nous les étudiants, à laisser émerger à notre tour nos propres mouvements psychiques pour tenter de les élucider. Ainsi, il s’est agi pour moi d’un parcours de formation m’induisant à effectuer un véritable cheminement clinique. Dans l’aprèscoup, je me rends compte de l’importance de la dimension de recherche qui caractérisait aussi cette formation. Je réalise aujourd’hui que ce que je ressentais de la quête permanente de nos formateurs comme chercheurs m’a beaucoup inspirée. Je remarque aussi que l’imprégnation de l’approche clinique que ce cursus nous transmettait ne se limitait pas à l’obtention du diplôme de master : il s’agissait pour chacun·e d’effectuer un parcours formatif qui se poursuivrait au-delà de la formation, pour autant que nous soyons en tant qu’étudiantsprofessionnels nourris par une pratique professionnelle concernant les métiers du lien. Tout, dans ce parcours de formation, permettait d’« instaurer un travail psychique à visée professionnalisante » (BlanchardLaville, 2015, p. 10) ; c’est ainsi que C. Blanchard-Laville, à l’origine de la création de ce master, définit l’une des visées du travail qu’elle propose dans les espaces groupaux de l’accompagnement clinique des pratiques. Elle précise que ce travail a ainsi pour but « notamment de faciliter le développement de la fonction contenante des participants en leur permettant de s’approprier subjectivement des capacités à soutenir leur propre posture professionnelle ainsi qu’à intégrer la notion de cadre clinique de travail » (Ibid.). Cette démarche clinique a représenté pour moi en tant que professionnelle une sorte « d’outillage psychique » me donnant une forme de compétence pour prendre soin de ma propre professionnalité, dans le sens qu’en propose Georges Gaillard, comme désignant « les modalités de lien qu’un sujet développe avec une équipe ainsi qu’avec les objets professionnels caractérisant une position professionnelle donnée et la capacité de s’engager dans un travail de pensée à propos de ces différents liens et donc d’être à même de s’auto-représenter dans ces liens » (Gaillard, 2015, p. 33). Je suis convaincue que la démarche clinique qui continue d’être soutenue dans le master – aujourd’hui dénommé Clinique de la formation et dans lequel je suis moi-même intervenante maintenant – permet au professionnel qui accepte de s’y engager en tant que sujet de ne plus pouvoir agir dans sa pratique sans se référer à ce travail-là. C’est d’ailleurs une transformation significative dont j’ai été témoin de la part des étudiants qui ont obtenu leur diplôme dans ce cursus depuis que j’y accompagne des groupes-mémoires en tant que chargée de cours ; ces derniers disent souvent que, dans leur pratique au quotidien, ils adoptent une écoute, une compréhension et une analyse des situations qui les conduit inévitablement à tenir compte de leur subjectivité tout en la travaillant. L’éclairage clinique qu’ils ont intériorisé au fur et à mesure de leur parcours de formation leur permet de réaliser un travail d’analyse qui devient alors inhérent à leur pratique professionnelle. En tout cas, pour ma part, je n’envisage pas d’œuvrer dans le champ de l’éducation spécialisée et du travail social autrement qu’en étant engagée — 137 —


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dans l’analyse des phénomènes inconscients qui sont en jeu dans ma pratique. Je considère qu’il en va de ma responsabilité d’essayer de ne rien négliger de tous les phénomènes contre-transférentiels qui interviennent dans mes relations aux autres. C’est avec, je crois, une grande lucidité que je souscris aujourd’hui à l’idée que rappelle G. Gaillard selon laquelle « en soutenant, en aidant, en soignant des sujets en souffrance ou en déshérence », le professionnel soutient et restaure simultanément « ses propres objets internes, son propre enfant, son propre parent » (Gaillard, 2018, p. 106). Cet auteur, à partir de la « clinique des groupes institués » qu’il a développée dans des institutions de soin et de travail social, énonce qu’il est indispensable, et j’aurais envie d’ajouter qu’il est urgent, « d’aider les professionnels dans leurs identifications à se différencier d’avec les sujets auprès desquels ils interviennent » (Id., p. 103). En effet, je crois que peu de professionnels du travail social s’opposeraient intellectuellement à l’affirmation de cet auteur par laquelle tout sujet fait « jouer à sa position professionnelle une fonction d’étayage relativement à ses propres failles psychiques » (Id., p. 105). Pourtant, il est bien difficile de reconnaître cette implication subjective lorsque nous nous trouvons mis en défaut dans l’épreuve de la rencontre avec les sujets que nous sommes censés accompagner. C’est d’ailleurs ce qu’avaient déjà observé, en 1993, Laurence Gavarini et Françoise Petitot dans le cadre de la recherche qu’elles ont réalisée à la demande de la Mission Interministérielle de Recherche (MIRE) sur le thème de la maltraitance et du rapport des professionnels à l’enfance en danger. C’est essentiellement à partir d’observations de réunions de synthèse d’une équipe de professionnels effectuant des mesures d’Assistance Éducative en Milieu Ouvert (AEMO) dans le cadre d’un mandat en protection de l’enfance que L. Gavarini revient sur ce travail de recherche dans la communication qu’elle a proposée lors du congrès de l’AREF de 2013 et qu’elle a intitulée « Les approches cliniques d'orientation psychanalytique en Sciences de l'éducation : défense et illustration du “plein emploi de la subjectivité” et de la singularité dans la recherche » (Gavarini, 2013). L’auteure explique que c’est dans l’après-coup de près de dix ans par rapport à cette recherche qu’elle a compris « comment les subjectivités étaient à l’œuvre dans le geste et les actes professionnels » et également comment « leur évocation des liens intrafamiliaux des familles dont ils avaient la charge était ancrée dans leurs représentations et dans leur histoire personnelle » (Id., p. 5). L’ouvrage que L. Gavarini a co-écrit avec F. Petitot, La fabrique de l’enfant maltraité (1998), rend compte du cheminement de la pensée de l’auteure depuis la réalisation de cette recherche. Dans sa communication pour l’AREF en 2013, L. Gavarini décrit comment, en tant que chercheuse, il lui a fallu se « déprendre des affects extrêmement négatifs qui circulaient à propos des familles et des enfants maltraités et de la charge de culpabilité inconsciente qui les accompagnait pour éviter que [ses] analyses n’en soient contaminées » (Ibid.). Elle évoque les élaborations qui furent les siennes à propos, dit-elle, de « ce que faisait à la chercheure clinicienne [qu’elle était], ce matériau de recherche — 138 —


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très particulier, touchant les zones obscures de la haine et de la passion des adultes pour l’enfant » (Ibid.). Je dois avouer ici que, même si le séminaire central du master FIAP à Nanterre tentait de nous transmettre des éléments de la démarche clinique de recherche, j’ai réalisé, après un certain temps de participation au séminaire de thèse et surtout quand j’ai commencé à écrire pour la thèse le chapitre concernant le choix de ma démarche de recherche, que je me situais dans une forme de malentendu : je pense avoir confondu longtemps « démarche clinique d’accompagnement » et « démarche clinique de recherche » ; ce n’est que largement engagée dans le travail pour la thèse comme je le montrerai un peu plus loin que j’ai pu sortir de cette confusion.

Ma découverte progressive de la démarche clinique de recherche d’orientation psychanalytique Le choix du thème de recherche Les deux années précédant mon inscription officielle en doctorat m’ont permis de libeller mon projet de recherche dans ces termes : « Directeur ou directrice d’une institution éducative et sociale. Regard clinique sur les différentes postures sous-jacentes à l’exercice de cette fonction ». Je souhaitais consacrer ma thèse à la manière dont les directeurs et directrices d’institutions éducatives vivent leur fonction de direction. Ce n’est que dans l’année qui a suivi ces deux années préparatoires que, portée par les élaborations groupales du séminaire doctoral, j’ai ajouté que je souhaitais préciser le lien entre cette fonction de direction et la notion de temps. Il faut dire que, étant directrice d’une Maison d’Enfants à Caractère Social (MECS) depuis 2010, la fonction de direction était devenue pour moi une source importante de questionnements. Je dois également mentionner que c’est sans doute mon propre rapport au temps et la manière que j’avais de l’évoquer avec mes camarades du séminaire doctoral lorsque je parlais de l’exercice de ma fonction de direction qui m’ont permis de réaliser l’enchevêtrement pour moi entre ces deux questions, celle de la fonction de direction et celle du rapport au temps. À partir de ce moment, j’ai eu l’impression de m’être lancée dans une « croisade » théorique contre le temps ; je lisais tout ce qui était écrit à propos du temps, tous les livres ou articles dont le titre contenait le mot temps, au point que de nombreuses personnes pensaient que je faisais une « thèse sur le temps ». Je me demande aujourd’hui si je n’avais pas alors un peu oublié les directeurs et directrices et leur fonction de direction. Il faut dire que courir après le temps, tant sur le plan de ma réalité quotidienne que dans mes lectures, était assez grisant. Il me semble maintenant qu’à cette époque, je me sentais « en thèse » sans que cela corresponde encore à une véritable démarche de recherche.

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D’une première expérience de recherche occultée Je dois dire que ce n’est que dans l’étape d’écriture de la thèse, en 2013, à mi-parcours des six années qu’a duré le processus, qu’une sorte de réminiscence m’a conduite à revisiter mes premiers pas dans une activité de recherche, celle à laquelle j’avais été initiée dans une école de travail social il y a près de 15 ans. J’ai alors pu réaliser que cette première expérience avait inscrit en moi une dimension très défensive que j’avais ignorée jusquelà et qui m’a longtemps, à mon insu, empêchée à la fois de me reconnaître comme chercheuse et de prendre la mesure des questions épistémologiques que soulève la démarche clinique de recherche d’orientation psychanalytique. Je me suis rendu compte que je n’arrivais pas à écrire sur la démarche clinique de recherche, mais que je revenais sans arrêt à la démarche clinique d’accompagnement. J’ai relu l’ensemble de mes écrits depuis le début de mon parcours de master. J’ai alors réalisé que j’étais la seule doctorante du groupe de doctorants dont la pratique se situait dans ce que l’on désigne communément le travail social « au niveau du terrain » : je dirige une institution qui accueille des adolescents et à ce titre, je suis confrontée à ce « terrain », je ne suis pas directrice d’une école de travail social, ce qui m’aurait placée du côté de l’enseignement et de la formation. J’ai également constaté que, dans mes premiers écrits, j’avais abordé assez longuement ma fonction d’origine en tant qu’éducatrice spécialisée pour tenter de déconstruire les représentations que j’avais bâties à propos de la posture d’analyste des pratiques professionnelles. Je me suis alors souvenue que ce n’était pas la première fois que je tentais ou croyais « faire de la recherche », ce qui, comme le propose Jacky Beillerot, implique ce « qu'impose le verbe “faire” [c’est-à-dire] trouver les moyens d'une objectivation des questions et des préoccupations, pour pouvoir les étudier » (Beillerot, 1991, p. 19). Je me suis même souvenue que j’avais obtenu, dans les années 1998, un « certificat d’initiation à la Recherche-action » et, bien que son existence soit mentionnée dans mon CV, j’avoue avoir complètement occulté ce travail pendant de nombreuses années. C’est en parallèle au parcours de formation Travail social avec les groupes que je réalisais à l’époque à l’Institut de Travail Social (IRTS) de Montrouge que j’ai suivi une formation au Collège Coopératif de Paris qui était alors installé dans les mêmes locaux que l’IRTS. En recherchant dans mes documents, j’ai retrouvé le programme de cette formation ; ainsi, par exemple, dans l’un des « ateliers » s’intitulant « Les outils méthodologiques et conceptuels de recherche », nous étaient présentées les « étapes importantes d’une enquête : enquête exploratoire, élaboration d’hypothèses, construction d’outils… ». Il était également indiqué qu’« à partir d’un schéma général et en s’appuyant sur des exemples d’application, on [étudierait] les différents types d’enquêtes quantitatives et qualitative ». J’ai alors réalisé, à la relecture de ces formulations, l’écart qui me séparait de cette approche de la recherche très objectivante par rapport à celle dans laquelle je m’étais engagée pour l’écriture de la thèse. — 140 —


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C’est ainsi que j’ai eu le sentiment que s’était inscrite en moi, et à mon insu, une forme d’utilité pratique de la recherche : je veux dire que la rechercheaction telle que je me l’étais appropriée à l’époque devait être réalisée par des praticiens en exercice et ne pouvait s’effectuer que dans leur propre institution, dans le cadre de leur propre pratique. J’avais, pour ma part, décidé d’interroger des pères d’enfants confiés au placement familial dans lequel je travaillais en tant qu’éducatrice, mes motivations étant de comprendre leur « implication » dans le placement de leur enfant. J’imagine que cela aurait été trop impliquant pour moi justement d’utiliser le terme de « responsabilité ». Je réalise avec le recul qui me sépare de cette période que j’ai intériorisé le fait qu’en tant que travailleur social, si je devais faire de la recherche, ce ne pouvait être que pour produire des connaissances suscitant du changement dans mes propres pratiques. Au fond, ne tentais-je pas, à travers cette recherche-action, de démontrer l’idée dont j’étais convaincue, selon laquelle les pères avaient, eux aussi, une responsabilité dans le placement de leurs enfants ? Je crois que j’avais l’illusion que la recherche-action que j’allais réaliser conduirait les travailleurs sociaux à tenir davantage compte de l’existence du père de l’enfant lors de la mise en œuvre du placement. En effet, il était très fréquent que les travailleurs sociaux ne cherchent pas à se mettre en lien avec le père d’un enfant, bien qu’il soit co-détenteur de l’autorité parentale, sous prétexte que la mère de l’enfant avait déclaré ne pas avoir de ses nouvelles depuis longtemps. C’est en lisant un texte de Daniel Verba, maître de conférences en sociologie à l’université Paris 13, que j’ai compris que j’avais à la fois intériorisé une forme particulière de recherche et une forme d’interdit de transgresser cette forme. En effet, cet auteur montre que les enquêtes menées auprès de travailleurs sociaux font apparaître chez ces professionnels « une difficulté à décrire avec précision en quoi consiste leur travail et les outils théoriques et méthodologiques qu’ils mobilisent dans ce cadre » (Verba, 2012, p. 44). Il ajoute qu’en France, le travail social ne bénéficie pas « de la reconnaissance académique qui permettrait de faire valoir au sein des instances de recherche les plus légitimes (Universités, Cnrs, laboratoire de recherche…) sa scientificité ». Il propose une citation extraite du livre du sociologue français François Dubet, Le déclin de l’institution. L’épreuve des faits, paru en 2002 : « les travailleurs sociaux sont “colonisés” dans la mesure où ils sont tenus d’utiliser des langues étrangères (la psychologie et la sociologie [j’ajouterais me concernant la psychanalyse]), des langues produites ailleurs que chez eux et par d’autres que par eux quand ils veulent échapper à l’engluement dans leur vécu » (Ibid.). Ainsi je peux me demander si je n’aurais pas reproduit par mon inscription en tant qu’apprentie-chercheuse, un équivalent de mon parcours migratoire. En effet, comme je le raconte en détails dans certaines pages de la thèse (Guetat-Calabrese, 2018, p. 31-38), à l’âge de 10 ans, j’ai dû suivre mes parents qui ont décidé de quitter mon pays natal, la Tunisie, pour s’installer en France. En élaborant certains éléments à propos de cet exil que j’ai subi plutôt que choisi, je peux comprendre aujourd’hui les mouvements de résistance que j’ai pu avoir pour — 141 —


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me « mettre » en recherche dans une démarche clinique de recherche assumée : il est possible que je craignais, ce faisant, de trahir une part de mon identité professionnelle que j’avais fantasmée comme étant purement technique et pratique, à l’image de ce que décrit D. Verba. En ce qui concerne la démarche clinique de recherche, il m’a fallu tout le temps de la réalisation de la thèse pour m’en approprier les spécificités et pour identifier l’intérêt des questions épistémologiques qui sont travaillées dans la note de synthèse parue en 2005 dans la Revue Française de Pédagogie (Blanchard-Laville, Chaussecourte, Hatchuel et Pechberty, 2005) et régulièrement discutées dans tous les colloques du réseau Cliopsy. Pour ma part, j’ai surtout été conduite à réfléchir aux questions suivantes pour mon propre compte : quel lien est-ce que j’entretiens avec la psychanalyse et les théories psychanalytiques ? Comment est-ce que je réussis à transposer les théories du champ psychanalytique lorsque j’y ai recours dans le champ des sciences de l’éducation ? Quelles sont les méthodologies adéquates par rapport à cette approche pour ma recherche ? J’ai le sentiment d’avoir parcouru moi-même un chemin analogue à celui qui est décrit dans cette note de synthèse où, pour qualifier l’approche clinique, la dénomination « d’inspiration psychanalytique » (Blanchard-Laville, 1999) a été remplacée par celle « d’orientation psychanalytique ». Pour les auteurs de la note, le choix du terme orientation est significatif de la dynamique du lien de leurs recherches à la psychanalyse ; ils expliquent être passés de l’« “application de la psychanalyse” qui signait une forme d’assujettissement » à l’approche clinique d’inspiration psychanalytique « qui témoignait davantage d’une fertilisation que d’un strict assujettissement », puis à l’approche clinique d’orientation psychanalytique « qui rend compte d’un choix assumé du chemin dans lequel ces recherches s’engagent » (Id, p. 123). Ces auteurs ajoutent que « le point crucial de l’existence de débats autour de la prise en compte de la subjectivité du chercheur et de sa mise en évidence constitue un élément symptomatique de cette évolution » (Ibid.). Outre le fait de me permettre d’acquérir une compétence dans le recours à la rigueur et à la précision, j’ai pu constater à la fin de l’écriture de la thèse que la démarche clinique de recherche d’orientation psychanalytique m’autorisait à me reconnaître une capacité à produire de la pensée, capacité que j’avais longtemps cru uniquement réservée aux théoriciens qui formaient comme une sorte de communauté inaccessible pour moi, comme je vais l’analyser maintenant à propos de mon rapport à la théorisation psychanalytique.

Mon rapport à la théorisation psychanalytique Longtemps, j’ai été convaincue que la théorisation psychanalytique constituait une sphère opaque qui appartenait exclusivement aux psychanalystes. J’étais particulièrement imprégnée de cette idée commune selon laquelle les écrits de ce champ étaient tout simplement incompréhensibles à tous ceux qui se trouvaient hors de cette sphère. Le — 142 —


D’une position de professionnelle du travail social à une position de chercheuse clinicienne

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fait que j’aie engagé une première tranche d’analyse m’a sans aucun doute permis de me construire une autre idée de la psychanalyse dans l’épreuve du transfert de la cure, mais la psychanalyse demeurait toujours aussi inaccessible pour moi dans sa dimension théorique. C’est lors de mon parcours à l’ETSUP, dans la formation de superviseur et analyste de la pratique que j’ai osé envisager ma « compétence » à aborder la lecture des théorisations psychanalytiques. J’ai alors assisté, dans ce cadre, à un séminaire animé par une psychanalyste qui traitait des concepts psychanalytiques de base. Cette approche m’a permis de découvrir quelques textes traitant de ces concepts qui se référaient aux écrits freudiens. J’ai alors commencé à entrevoir la distinction entre les pensées de divers courants psychanalytiques et compris que les contenus qui nous étaient transmis dans cette formation avaient une orientation lacanienne. C’est à ce moment que j’ai plongé dans des écrits d’auteurs, comme par exemple J.-D. Nasio, censés faciliter la compréhension de la pensée de Jacques Lacan. Cette lecture a plutôt, à cette époque, brouillé ma compréhension des concepts. En effet, je me suis rendu compte que j’avais besoin de revenir au texte original, portée par le besoin de replacer chaque concept au niveau de la pensée de son auteur. Aujourd’hui, je peux relier cette tendance chez moi à quelque chose que j’ai dû élaborer longuement, à savoir que ma généalogie familiale s’est avérée particulièrement troublante dans la mesure où, en lien avec une tradition très ancrée dans l’île dont je suis originaire, sont encouragées les alliances consanguines. Ainsi, mon arrière-grand-père paternel et l’arrière-grand-père maternel de ma mère se trouvent être une seule et même personne. C’est ainsi que, pour être sûre de comprendre de qui et de quoi « on me parle », je me sens contrainte à remonter jusqu’aux racines de l’arbre pour éviter d’ajouter de la confusion, à travers ma propre interprétation. J’ai voulu lire les écrits de J. Lacan en commençant par son ouvrage De la psychose paranoïaque dans ses rapports avec la personnalité (1932/1975) qui constituait sa thèse de doctorat de médecine. Ce livre que je m’étais procuré d’occasion était très largement annoté ; je me souviens avoir tenté de déchiffrer les observations crayonnées en marge du texte pour en dégager le sens. L’on peut imaginer à quel point j’ai été découragée par mon entreprise à laquelle j’ai renoncé au bout de quelque temps. Plus tard, j’ai bénéficié d’une nouvelle approche lors de mon parcours universitaire dans le master FIAP ; le séminaire intitulé « Psychanalyse et éducation », conduit par C. Blanchard-Laville, impliquait chacun des étudiants dans le choix d’un auteur important en psychanalyse traitant des questions d’éducation et de formation, ceci pour élaborer une biographie documentée de cet auteur. Je me souviens de l’enthousiasme avec lequel chacun des étudiants avait fait son exposé. J’y retrouvais, à chaque fois renouvelée, l’ardeur que j’avais ressentie moi-même en effectuant mes propres recherches à propos de Sandor Ferenczi qui était l’auteur que j’avais élu. La démarche à laquelle nous initiait C. Blanchard-Laville constituait une expérience très intense pour chacun et chacune d’entre nous. À travers l’auteur que nous avions choisi et l’exploration de sa biographie personnelle — 143 —


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et professionnelle, nous découvrions d’autres auteurs qui lui étaient proches ainsi que leurs thèses respectives. À l’époque, je m’étais représenté que les autres étudiants avaient fait des choix d’auteurs dont la compréhension de l’œuvre devait être très ardue ; j’étais absolument persuadée que j’avais opté pour ma part pour un psychanalyste dont l’œuvre et la pensée étaient très accessibles, trouvant la lecture de son Journal clinique (Ferenczi, 1932/1985) tout à fait intelligible. En fait, je réalise aujourd’hui que c’est l’approche biographique qui facilitait pour tout le monde l’appréhension de l’œuvre de l’auteur que nous avions choisi.

Une approche de la théorie psychanalytique par la « méthode globale » Durant les deux années du parcours de master FIAP et les premières années de mon itinéraire de chercheuse, j’ai beaucoup lu. J’ai le sentiment d’avoir absorbé une grande quantité de lectures théoriques. J’ai traversé une phase durant laquelle j’étais dans une excitation constante. En effet, je découvrais que des auteurs avaient écrit à propos d’affects, de sentiments, d’intuitions, d’expériences que je reconnaissais de manière très intime quelquefois. J’avais la sensation d’être en phase avec des pensées dont je découvrais l’organisation et alors de « tout comprendre » ; un peu à la manière de l’enfant qui apprend à lire par la méthode globale et qui a, dans un premier temps, l’impression qu’il sait parfaitement lire. Mon approche globale de la théorie psychanalytique ne suscitait chez moi aucune tension interne ; en quelque sorte, j’« ingurgitais » la dose de lecture qui m’était nécessaire sans me préoccuper d’autre chose. À cette époque, je crois que je n’aurais pas su exposer ce que je croyais comprendre de mes lectures, je ne retenais que le plaisir que cette activité me procurait. Aujourd’hui, je réalise que cette première étape de lectures m’a surtout permis de rencontrer les auteurs de cette discipline et de me familiariser avec leur manière d’écrire et la récurrence des thèmes qu’ils abordent. C’est à cette époque que j’ai commencé à apprivoiser ma fascination devant la multitude des productions de certains d’entre eux, comme par exemple René Kaës. J’ai appris à reconnaître ceux qui utilisaient à nouveau une partie d’un de leurs ouvrages afin d’en compléter un autre. J’ai compris la nécessité de ce mode d’écriture pour préciser leur pensée et conforter certaines de leurs hypothèses. Cette approche globale, même si elle a eu ses limites, m’a autorisée à « entrer » dans les ouvrages de ces auteurs. La théorisation psychanalytique comme une langue vivante J’ai ensuite abordé une phase de lectures que j’associerais davantage avec l’apprentissage d’une langue vivante, non pas à la manière scolaire, mais dans le creux de la rencontre avec l’autre, étranger à soi. En effet, ce qui importe pour moi dans cette rencontre, c’est que nous puissions nous parler, communiquer, se dire… Je n’ai jamais étudié l’espagnol à l’école. C’est parce que j’ai rencontré les gens de ce pays et que j’ai eu le sentiment de reconnaître chez eux une part de moi-même que j’ai appris à « parler leur langue » ; pour être plus précise, je suis capable de passer une journée — 144 —


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avec des personnes qui parlent exclusivement espagnol et me sentir complètement à mon aise, alors que j’aurais beaucoup de difficultés à traduire mot à mot ce qui est dit ou d’utiliser la bonne formule grammaticale. Lorsque je me trouvais en Espagne, il m’est même arrivé de rêver en espagnol parce que chaque mot ou formulation me renvoyait une image. Le rythme de la langue est tonique et vivant. Je ne sais si je peux faire cette correspondance, mais il y a une similitude avec mon approche de la théorisation psychanalytique. Plus tard, j’ai voulu savoir parler l’espagnol en apprenant la grammaire, le vocabulaire ; j’ai donc pris des cours du soir. Ce fut une expérience difficile parce que je réalisais que, dans ma nouvelle démarche d’apprentissage, je devais désapprendre certaines formules que j’avais mal entendues, et surtout apprendre à décomposer les mots, les syllabes et à les recomposer pour écrire à mon tour. C’est ainsi que, dans le cadre du travail de recherche pour la thèse, de la même manière qu’avec l’apprentissage de la langue vivante, j’ai dû revoir les textes psychanalytiques que je croyais avoir compris, les lire à nouveau pas à pas, vérifier le sens des observations que j’avais notées lors de mes premières lectures et qui m’ont semblé parfois complètement hors de propos. J’ai compris que si je parvenais à reformuler une pensée, sans avoir le sentiment de m’enliser dans des explications sans structuration, ce serait le signe du début du passage d’une clinique professionnelle à une démarche de recherche clinique.

Mon directeur de thèse change d’université Un autre épisode qui pourrait paraître anodin va me permettre de montrer combien ont été nécessaires les élaborations – nombreuses – en lien avec mon parcours personnel d’émigration pour pouvoir avancer sur le chemin de la thèse. Lorsqu’en 2012, je me suis inscrite en doctorat à l’université de Nanterre, je participais, comme je l’ai déjà évoqué, depuis deux ans au séminaire de doctorants co-animé par Claudine Blanchard-Laville et Philippe Chaussecourte. Ce dernier était alors professeur de sciences de l’éducation à l’université de Nanterre et avait pris la responsabilité du master FIAP à la suite de C. Blanchard-Laville. C’est ainsi que, de façon assez logique, je me suis inscrite à l’école doctorale « Connaissance, langage, modélisation » sous sa direction. Dès l’année suivante, s’est posée la question pour les doctorants de suivre ou non notre directeur de recherche qui s’apprêtait à rejoindre l’université Paris-Descartes. Je me souviens que cette question avait fait émerger chez moi des angoisses de séparation. Je réalisais alors à quel point j’étais attachée, d’une part, à ma « terre » universitaire d’origine, l’université de Nanterre (Guetat-Calabrese, 2012) et, d’autre part, au dispositif qui constituait en partie mon lien à mon directeur de recherche ; j’avais très envie d’être accompagnée par C. Blanchard-Laville en tant que tutrice et de continuer à participer au séminaire de doctorants. Ce tout formait pour moi une sorte d’enveloppe suffisamment rassurante. À ce moment, je pense que l’idée même de me défaire de cette enveloppe était difficilement pensable pour moi. Je me demande si je n’en ai pas voulu un — 145 —


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peu à P. Chaussecourte pendant un temps avant de comprendre ce qui se jouait là : c’était pour moi comme s’il avait été un père de famille qui venait d’accepter un autre emploi et dont la décision de déménager en emmenant toute la famille avec lui venait bouleverser ma vie d’enfant qui n’aurait pas eu d’autre choix que de le suivre. C’est en associant de cette manière que j’ai compris les résonances que cette situation pouvait avoir avec mon vécu d’enfant « arrachée » à son terreau de naissance à l’âge de dix ans, suite à l’exil de mes parents, de la Tunisie vers la France. Dans la réalité, les doctorants du séminaire ont pu élaborer ce que ce changement induisait pour chacune et chacun d’entre eux et nous avons tous pu choisir dans quelle université nous voulions continuer d’« habiter », dans la mesure où P. Chaussecourte a bien voulu continuer à participer à la formation doctorale nanterroise tout en exerçant à Paris Descartes ; pour ma part, j’ai choisi de rester inscrite à Nanterre.

Engagement dans la thèse Je pense aujourd’hui que je ne me suis sentie véritablement engagée dans une démarche de recherche que trois ans avant la soutenance de la thèse. Et peut-être même que je n’ai commencé à me sentir dans une position de chercheuse qu’un an avant la soutenance, après ce que j’appelle mon « congé d’écriture ». En effet, je n’avais jamais interrompu mon activité professionnelle de directrice jusqu’au mois de février 2017. C’est durant l’année 2016 que je me suis trouvée dans une situation professionnelle tellement envahissante et contraignante que je n’avais aucun espace pour entrer véritablement dans le processus de recherche. Durant un séminaire doctoral, mon directeur de recherche a clairement interrogé la compatibilité de l’exercice de ma fonction avec la posture de chercheuse. Cette interrogation fut salutaire. J’en vins rapidement à faire le choix de me dégager de ma fonction pour laisser la place, dans ma vie, à la recherche. C’est ainsi que j’ai pris sept mois de congé qui m’ont permis de me dégager totalement de ma fonction de directrice. Ce n’est qu’à ce moment-là que j’ai pu vraiment engager l’analyse des entretiens que j’avais réalisés ; je pouvais enfin entendre ce que les directeurs et directrices pouvaient dire et j’ai enfin pu « entrer en écriture ». C’est dans l’écoute des entretiens et dans la phase de leur analyse que j’ai légèrement déplacé mon regard à propos de la question du temps. En effet, les travaux concernant le lien entre le temps et l’inconscient dans la théorie psychanalytique se sont révélés si nombreux que les explorer aurait mérité un travail de recherche à part entière et surtout exigé une maîtrise plus étendue des concepts psychanalytiques que celle que j’avais. J’ai fait le choix de tenter d’appréhender plus particulièrement le thème de la pulsion et du dualisme pulsion de mort/pulsion de vie vers lequel mes lectures à propos de la question du temps m’avaient orientée. J’ai également été conduite à préciser quelques évidences pour moi comme : ce que recouvre l’expression fonction de direction, ce que désigne la Protection de l’Enfance et quelles sont les caractéristiques d’une Maison d’Enfants à Caractère Social ; ceci — 146 —


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avant de pouvoir découvrir et élaborer des hypothèses sur certains des phénomènes psychiques à l’œuvre pour celui ou celle qui occupe une fonction de direction de MECS et la manière dont il ou elle vivait leur fonction de direction.

Difficultés à me dégager de ma position professionnelle Je voudrais insister sur le fait que j’ai choisi d’effectuer cette recherche sur la fonction qui est celle même que j’occupe et dans le même type d’institution que celle que je dirige. P. Chaussecourte, dans son article publié dans la revue Cliopsy en 2017, évoque un article tiré de la thèse de Chantal Costantini (2009), ancienne doctorante de C. Blanchard-Laville qui, je cite, « explicite des modalités de son implication par rapport à son thème de recherche et montre comment un travail d’élaboration de cette implication a été productif, à la fois en termes de compréhension de la nature des liens profonds qui l’unissaient à son sujet, mais également en termes de production de connaissances » (Chaussecourte, 2017, p. 115). À l’instar de cette chercheuse, je me suis retrouvée dans des liens, je dirais particulièrement serrés avec mon objet de recherche au point, comme en témoigne C. Costantini elle-même dans son article de 2009, « que j’ai repoussé l’analyse des entretiens que j’avais réalisés en dernier lieu, comme si ce travail-là, qui pourtant justifiait l’entreprise de recherche, devenait accessoire par rapport à une analyse approfondie des liens personnels entretenus avec mon thème et dont je cherchais à dénouer le sens » (Costantini, 2009, p. 103). Ainsi, tout dans ma pratique au quotidien me renvoyait à mon objet de recherche et tout dans mon parcours de recherche me renvoyait à ma pratique au quotidien. Je ne parvenais pas à me distancier de mes élaborations sur ma pratique pour me mettre en situation d’écoute des entretiens que je devais réaliser. Je crois que, comme le rappelle P. Chaussecourte se référant à la proposition d’Ardoino (1991/2000) pour la notion d’implication quand il écrit « qu’elle serait de l’ordre du “replié” [sur soi] » (Chaussecourte, 2017, p. 113), j’étais repliée sur moimême et sur ma position de directrice dans mon institution. J’avais réalisé deux entretiens que je ne parvenais pas à analyser, trop submergée par mes propres mouvements psychiques concernant ma position de directrice ; je ne cessais d’exprimer le besoin impérieux que j’avais de dire, moi aussi, quelque chose de ma fonction de direction et de ma posture de directrice avant de pouvoir entendre ce que pouvaient en dire les sujets que j’avais interrogés. Comme je l’ai indiqué ce n’est que lors de mon « congé d’écriture » que j’ai pu, après avoir rédigé ce qui concernait ma propre expérience de directrice, traverser cette difficulté.

Rester directrice tout en devenant chercheuse Depuis la rentrée 2018, trois mois avant la soutenance de la thèse, j’ai été recrutée sur un poste de maîtresse de conférences associée à mi-temps qui est conditionné par la poursuite de mon activité principale en tant que — 147 —


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directrice de MECS. Jusqu’il y a encore quelques mois, je n’avais pas connaissance de ce statut dans le système universitaire, qui permet à l’enseignant associé de bénéficier d’un temps de recherche. Cette possibilité d’articulation entre la tâche de directrice de MECS et d’enseignantechercheuse à l’université m’est apparue comme la concrétisation du processus unifiant qui est à l’œuvre pour moi depuis près de deux ans, entre mon moi professionnel en tant que directrice, mon moi professionnel en tant qu’enseignante-formatrice et mon moi chercheuse. Au cours des premières années durant lesquelles j’ai superposé mes activités de directrice et celles de chargée de cours, j’avais recours intérieurement à un clivage par lequel je m’imposais une forme d’étanchéité entre mes divers champs d’intervention ; peu de personnes à l’époque savaient ce que je faisais à l’université, pas même que j’étais dans un parcours de doctorat. Ce n’est que depuis que j’ai pris un congé de plusieurs mois que j’ai accepté, par exemple, l’idée d’informer mon employeur que je réalisais une recherche dont la finalité était l’écriture de ma thèse. J’ai été très surprise du positionnement de mon directeur-général qui m’a fortement encouragée à m’inscrire dans le processus d’association que permet le statut de maître de conférences associé : je peux envisager de me consacrer aux deux passions qui m’habitent, la direction d’une institution éducative et la recherche liée à l’enseignement. C’est en faisant un travail de reconstruction de mon itinéraire professionnel pour la thèse que j’ai compris que la fonction de direction d’une MECS a été, pour moi, une sorte de terre d’accueil professionnelle ; à savoir que les professionnel·le·s qui occupent des fonctions de direction ont différentes professions et formations d’origine. Ainsi quel que soit leur pays professionnel d’origine, ces professionnel·le·s trouvent leur place dans le pays professionnel d’accueil représenté par la fonction de direction. À travers le double statut professionnel dans lequel je me suis engagée à partir de cette dernière rentrée universitaire, je me sens dans une congruence intérieure avec l’impression, pour la première fois de ma carrière, d’être à la bonne place et de ne pas imaginer pouvoir être ailleurs que dans cet entre-deux terres, dégagée de la recherche nostalgique d’un pays perdu que j’ai longtemps portée. Lorsque certaines personnes de mon entourage me demandent avec une pointe d’angoisse : « mais comment vas-tu gérer tout ça ? », je réponds : « aussi naturellement que de parler deux langues ».

Éléments de bibliographie Ardoino, J. (2000). Les Avatars de l’éducation, problématiques et notions en devenir. Paris : Puf. (Texte original publié en 1991.) Beillerot, J. (1991). La « recherche », essai d'analyse. Recherche & Formation, 9, 1731. Blanchard-Laville, C. (1999). L'approche clinique d'inspiration psychanalytique : enjeux théoriques et méthodologiques. Revue française de pédagogie, 127, 9-22. — 148 —


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Blanchard-Laville, C. (2015). Pour une analyse clinique de la pratique dans les métiers du lien. Actes des 28e journées d’études de l’Association des Paralysés de France (29 et 30 janvier). Paris : Maison de l’Unesco. Blanchard-Laville, C., Chaussecourte, P., Hatchuel, F. et Pechberty, B. (2005). Recherches cliniques d'orientation psychanalytique dans le champ de l'éducation et de la formation. Revue française de pédagogie, 151(1), 111-162. Chaussecourte, P. (2017). Autour de la question du « contre transfert du chercheur » dans les recherches cliniques d’orientation psychanalytique en sciences de l’éducation. Cliopsy, 17, 107-127. Costantini, C. (2009). Le chercheur : sujet-objet de sa recherche ? Cliopsy, 1, 101112. Dubet, F. (2002). Le déclin de l’institution. L’épreuve des faits. Paris : Éd. du Seuil. Ferenczi, S. (1985). Journal clinique. Paris, France : Éditions Payot. (Texte original publié en 1932.) Gaillard, G. (2015). Le professionnel et l’équipe : entre engagement et dégagement, entre limite et prise de risque. Actes des 28e journées d’études de l’Association des Paralysés de France (29 et 30 janvier). Paris : Maison de l’Unesco. Gaillard, G. (2018). Tolérer l’effraction, travailler à inclure. Dans L.-M. Bossard (dir.), Clinique d’orientation psychanalytique en éducation et formation. Nouvelles recherches (p. 103-121). Paris : L’Harmattan. (Texte original publié en 2011.) Gavarini, L. (2013). Les approches cliniques d'orientation psychanalytique en sciences de l'éducation : défense et illustration du « plein emploi de la subjectivité » et de la singularité dans la recherche. Dans Actes du Congrès international de l'AREF de 2013. Université de Montpellier [Actes en ligne : http://www.aref2013.univmontp2.fr. Gavarini, L. et Petitot, F. (1998). La fabrique de l'enfant maltraité. Un nouveau regard sur l'enfant et la famille. Ramonville Sainte-Agne : Érès. Green, A. (1992). La déliaison. Psychanalyse, anthropologie et littérature. Paris : Hachette (1998). Guetat-Calabrese, N. (2012). Mon parcours à l’ETSUP… dans le cadre du cursus Superviseur et analyseur de pratiques professionnelles. Dans F. Coudert et C. Rouyer, Former à la supervision et l’analyse des pratiques des professionnels de l’intervention sociale à l’ETSUP (p. 39-58). Paris : L’Harmattan. Guetat-Calabrese, N. (2018). Diriger une Maison d’Enfants à Caractère Social : regard clinique sur la fonction de direction. Thèse de doctorat en sciences de l’éducation, sous la direction de Philippe Chaussecourte et le tutorat de Claudine BlanchardLaville. Nanterre : Université de Paris Nanterre. Lacan, J. (1975). De la psychose paranoïaque dans ses rapports avec la personnalité. Paris : Édition du Seuil. (Texte original publié en 1932.) Verba, D. (2012). Une science du travail social est-elle possible ? Pensée plurielle, 3031, 37-49.

Narjès Guetat-Calabrese Savoir, rapport au savoir et processus de transmission CREF, unviversité Paris Nanterre Pour citer ce texte : Guetat-Calabrese, N. (2019). D’une position de professionnelle du travail social à une position de chercheuse clinicienne. Démarche clinique d’accompagnement versus démarche clinique de recherche d’orientation psychanalytique. Cliopsy, 21, 135-149. — 149 —


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Entretien avec le comité de rédaction restreint de la revue Cliopsy par Caroline Le Roy et Léandro de Lajonquière

Les membres du comité restreint présents lors de cet entretien : Claudine Blanchard-Laville (directrice de publication), Louis-Marie Bossard (rédacteur en chef) et Catherine Yelnik (secrétaire de rédaction).

Léandro de Lajonquière : Je parle en tant qu’éditeur de revue. Comment faites-vous pour monter un numéro ? Pour publier un dossier ? Je suppose que le montage d’un numéro entraîne une discussion épistémologique, théorique, ou qu’il est question du cap éditorial. Or une décennie est passée depuis la création de la revue : y a-t-il eu un ajustement du cap éditorial ? En dix ans, il y a eu du mouvement dans le champ épistémologique : le périmètre du domaine de la revue a-t-il été redéfini ? Caroline Le Roy : Dans la continuité des questions de Léandro, je souhaiterais que vous mettiez l’accent sur les modalités d’expertise. Est-ce que vous pouvez nous décrire le chemin des textes qui sont publiés dans la revue, par quel processus sont-ils passés ? Est-ce que ce processus est particulier à la revue Cliopsy ? Et comment expertisez-vous les textes ? Comité : Si on commence par la question du cap éditorial, sous toute réserve évidemment parce que la mémoire est ce qu’elle est et la reconstruction du passé est toujours sujette à réévaluation, nous n’estimons pas avoir changé de cap éditorial. Quand nous disons aux personnes qui proposent un article « Vous n’êtes pas dans le champ », nous leur disons en même temps « Regardez ce qui est écrit en 2009 dans le premier numéro de la revue sur sa ligne éditoriale ». Sauf qu’en dix ans, il y a bien sûr des choses qui ont évolué, par exemple, on a créé trois rubriques nouvelles. Intervieweur : Vous avez créé trois rubriques ? Comité : Oui. La première, c’est « Parcours de chercheur ». Elle est apparue dans le numéro 8 suite à la proposition d’un texte qui, à ce moment-là, ne nous semblait pas entrer dans la rubrique « Articles de Recherche » — cette question de la définition d’un article dit article de recherche est toujours en débat au sein du comité de rédaction. Nous ne souhaitions pas laisser ce texte de côté et, en même temps, pour nous, ce n’était pas un article de recherche au sens strict. C’est ainsi qu’on a imaginé la rubrique « Parcours de chercheur ». — 151 —


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Intervieweur : Vous l’avez imaginé pour ce texte ? Comité : On se disait : ce texte n’est pas un article de recherche à nos yeux et, pourtant, il évoque des choses qui nous intéressent de très près. Par ailleurs, on avait, presque prêt, une autre proposition d’article de la même nature. Nous avions demandé à cet autre auteur s’il pouvait essayer de la « transformer » en article de recherche et cela ne semblait pas envisageable. Or, on a pensé que, sous la forme d’un parcours de chercheur, il pourrait arriver à dire ce qu’il souhaitait faire partager aux lecteurs. En fait, on n’a pas créé la rubrique pour un seul texte. Pourtant, par la suite, cette potentialité s’est révélée finalement moins féconde qu’on aurait pu le penser au départ. Il a fallu attendre plusieurs années avant d’avoir une nouvelle proposition qui nous semblait entrer dans cette rubrique. C’est une rubrique qui a toute sa raison d’être et qui, en même temps, n’est pas tellement alimentée. Intervieweur : Et les autres rubriques ? Comité : Plus tard, on a constaté qu’il y avait des propositions d’articles qui nous paraissaient à la marge de notre champ éditorial, mais qui nous semblaient très intéressantes ; en 2016, pour le numéro 16, on a fini par créer la rubrique « Harmoniques » dans laquelle on accepte des articles que l’on expertise comme des articles de recherche, tout en pensant qu’ils sont à la marge du champ. Ce n’est pas sûr que nous soyons très clairs sur le périmètre de cette marge. Elle se construit chemin faisant avec l’arrivée des articles. Intervieweur : Quant à la troisième rubrique ? Comité : La troisième rubrique, intitulée « Reprises », a été créée l’an dernier avec l’arrivée de textes « historiques » dont la publication était surtout souhaitée par Arnaud Dubois. En particulier, des articles de la Revue de pédagogie psychanalytique. Nous avions un peu envie de publier aussi des textes anciens franco-français, mais épuisés ou relativement introuvables comme celui d’Eugène Enriquez publié dans le numéro 19 ; des textes qui ont beaucoup nourri les réflexions dans notre champ depuis trente ans et qui ne sont pas forcément réédités. Intervieweur : Voilà donc les trois nouvelles rubriques... Comité : On peut remarquer que la rubrique « Parcours de chercheur » n’est pas très alimentée pour le moment, mais il faut dire en même temps qu’on n’a pas forcément sollicité des auteurs potentiels à proposer de tels textes. Pour le prochain numéro, suite à la soutenance d’une thèse dans le champ et à l’écriture du pré-rapport par l’un des membres du comité de rédaction, l’auteure de la thèse a été sollicitée dans ce sens, avec une nuance : il s’agira du parcours de construction d’une chercheure débutante. C’est la première fois que cela se passe. Intervieweur : La rubrique est donc bien vivante. Comité : C’est une rubrique intéressante parce qu’elle permet effectivement de dire vraiment des choses qui ne se présentent pas sous forme d’articles de recherche, mais qui sont quand même particulièrement pertinentes et — 152 —


Entretien avec le comité de rédaction restreint de la revue Cliopsy

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intéressantes. Il y a une caractéristique à cette rubrique : elle n’a jamais fait l’objet d’une présentation dans un éditorial de la revue, elle a tout juste été mentionnée, à l’inverse des deux autres. Pour la rubrique « Harmoniques », dans l’éditorial du numéro 16, la raison de sa création est très clairement expliquée et quel est son sens. De la même manière, pour la rubrique « Reprises », il y a une présentation dans la revue. Intervieweur : On peut donc profiter de cette opportunité pour penser qu’il faudra la présenter prochainement. Comité : Oui, il faudra le faire. On s’est inspiré du travail d’une ancienne revue de l’INRP, Perspectives documentaires en éducation, qui publiait traditionnellement sous forme d’itinéraires de recherche des trajectoires de praticiens et de chercheurs. Des enseignants-chercheurs en sciences de l'éducation présentaient leur autobiographie professionnelle, témoignant en particulier de la construction de leur itinéraire intellectuel à travers leurs rencontres et leurs lectures. Ce qui permettait de diffuser une nouvelle manière de considérer la production et l'utilisation des savoirs en éducation. Cela nous a forcément influencés. Intervieweur : Plus précisément à propos de l’évolution du cap éditorial, qu’est-ce que vous diriez ? Comité : Nous dirions qu’effectivement, on se rapporte toujours à l’éditorial du premier numéro de 2009. Ce qui nous amène à dire comment ça se passe quand on reçoit une proposition. Au début, systématiquement, on cherchait des experts. Et puis, très vite, au bout de trois ou quatre numéros, on s’est dit : « on est en train d’épuiser nos experts pour des textes qui ne concernent pas forcément le champ de la revue ; il nous faut dont prendre une décision avant de donner le texte à l’expertise. » C’est ainsi que depuis ce moment, le comité restreint lit cursivement la proposition pour savoir si elle concerne la revue ou non. Intervieweur : Et comment faites-vous pour le savoir ? Comité : Nos premières interrogations sont : est-ce qu’il est question dans cette proposition d’enseignement, d’éducation ou de formation ? Est-ce qu’il est fait référence à la psychanalyse ? Puis on observe si le texte propose d’analyser du matériel empirique. Si l’un de ces éléments est manquant, il est décidé que le texte est hors champ. Dans un deuxième temps, on cherche à voir s’il y a des éléments contre-transférentiels qui sont analysés, mais sur ce point on est moins exigeant. Si tous les autres indicateurs sont présents, ce dernier point n’est pas déterminant. Intervieweur : Ce doit être décevant de recevoir des propositions dont on ne fait rien ? Comité : Honnêtement, nous sommes très contents de recevoir une proposition d’article dans notre boîte de messagerie et nous sommes très déçus quand on s’aperçoit que l’on ne pourra pas la publier car elle s’avère hors champ. On répond donc, sans que l’ensemble du comité de rédaction soit sollicité, que la proposition n’est malheureusement pas dans le champ de la revue en revoyant à sa ligne éditoriale publiée dans le premier — 153 —


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numéro. C’est souvent dommage parce qu’il y a des propositions qui sont particulièrement intéressantes, mais qui n’ont rien à voir avec notre orientation. Intervieweur : Il y en a beaucoup ? Comité : Justement, il faudrait que nous calculions, comme on l’a fait pour la collection Savoir et formation chez L’Harmattan depuis que nous en avons la direction, combien d’articles ont été refusés pendant ces dix années, comme étant considérés comme hors champ. Intervieweur : Vous avez une idée ? Comité : Approximativement, on peut penser que c’est une sur deux en incluant celles pour lesquelles les auteurs ont été sollicités. Pour celles qui arrivent spontanément sur la messagerie de notre site, on en conserve peut-être une sur cinq. Au cours des deux premières années, la plupart du temps, il s’agissait de réponses à des sollicitations de notre part. Progressivement, on s’est rendu compte que la revue commençait à être identifiée puisqu’on a commencé à recevoir des propositions d’articles sans que les auteurs aient été sollicités. Intervieweur : Une sur cinq propositions spontanées... Comité : Il faudrait également mesurer l’écart entre le nombre de propositions spontanées ou sur invitation et le nombre de celles qui aboutissent finalement à un article publié. Entre les deux, il y a aussi un petit nombre de propositions expertisées sur lesquelles on effectue un certain travail, quelquefois en navette avec l’auteur·e, et qu’on finit malgré tout par refuser. Intervieweur : Justement, je pense que c’est là qu’il faut faire une différence avec les articles qu’on refuse parce qu’ils n’entrent pas dans le champ d’emblée. On peut se poser la question sur ce qui se passe pour que des personnes envoient des textes qui n’entrent pas du tout dans le champ alors que la ligne éditoriale est explicite et publique. Comité : Il n’est pas sûr que les personnes lisent, que ce soit la ligne éditoriale ou que ce soient les consignes aux auteurs ; ou encore, il n’est pas sûr non plus qu’ils aient lu des articles de la revue. Intervieweur : Je suis tout à fait d’accord avec vous. Je me pose la même question ; ils envoient peut-être tous azimuts en se disant « Avec un peu de chance, peut-être que quelqu’un me prendra ». Comité : Non, je ne pense pas que ce soit tous azimuts ; c’est à cause de l’intitulé « clinique d’orientation psychanalytique ». S’ils sont en psychologie pathologique, ils envoient et on reçoit des articles qui ne concernent pas du tout l’éducation et la formation. C’est juste « orientation psychanalytique », point. Je pense que ça draine des choses qui n’ont rien à voir. Dans l’acronyme « Cliopsy », la mention « éducation et formation » ne figure pas ; la nature de l’objet des recherches ou des interventions et l’orientation épistémologique n’étant pas explicite, on reçoit des articles qui sont bons pour des revues de psycho, mais absolument pas pour nous. Mais ce n’est quand même pas la majorité. — 154 —


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Intervieweur : C’est intéressant. Il n’y a pas l’objet dans « Cliopsy ». Comité : Sur l’évolution du cap éditorial, il faudrait que l’on refasse une réunion scientifique sur ce qu’est un article de recherche. On en a tenu une, mais tout le monde n’a pas pu venir, on ne s’est réuni qu’à six ou sept personnes. On se propose quand même de reprendre ce qui a déjà été dit et de proposer une autre réunion. Il y a là un point de débat ou de tension : est-ce une tension ? Peut-être y a-t-il une évolution sociétale ? Qu’est-ce qu’un article de recherche ? Nous, on reste un peu figé sur nos critères. Mais nous ne savons pas si nous pourrons tenir longtemps avec ce mode d’exigence. Intervieweur : Tout à l’heure, vous parliez d’articles qui n’arrivaient pas à se transformer en articles de recherche. Pourquoi ? Avec votre expérience, comment vous expliquez cela ? Qu’est-ce qui se passe quand un article ne se transforme pas en article de recherche ? La rubrique « Parcours », c’est très bien. C’est une très bonne idée. Mais dans ce travail-là, dans ce débatlà avec l’auteur, est-ce que vous avez des éléments qui permettent de comprendre pourquoi il n’y a pas cette transformation ? Comité : On ne peut pas transformer un article qui raconte un parcours de recherche en article de recherche. Ce n’est pas possible. Aucun de ceux auxquels on a eu affaire ne pouvait être transformé en article de recherche. Pourquoi ? Parce qu’il ne parle pas d’une recherche avec une méthode, avec du matériel clinique, etc. Ce sont les critères pour nous. Intervieweur : Je suis d’accord, il ne faut pas penser que l’article « Parcours de chercheur » est moins important que l’autre forme d’article, qu’il y aurait une espèce d’évolution qui n’aurait pas abouti. Ce sont deux types de textes avec, chacun, leur importance. Ce type de texte avait inauguré la section que l’on appelle « Témoignage » dans la revue Estilos da Clínica. Il me paraît tout à fait intéressant que les Brésiliens puissent lire une autre manière de travailler et d’opérer avec la psychanalyse, en éducation ou en sciences de l’éducation. Dans un article de recherche, il n’y a pas forcément à voir le mouvement. Comité : Tout d’un coup, ça me fait penser qu’on n’a pas évoqué la rubrique « Entretien », les grands entretiens. C’est quand même intéressant : la fonction des grands entretiens, c’est que les personnes racontent leur cheminement. Il s’agit de personnes considérées comme fondatrices dans notre courant ou qui y ont contribué. Il y a eu d’abord les « ancêtres ». Maintenant, il y a les « frères et sœurs ». Cela a eu cette fonction. Il s’agit ainsi de donner une place à un récit d’itinéraire, un itinéraire épistémologique. Intervieweur : Il y a un entretien dans chaque numéro ? Comité : Non, il n’y en a pas dans chaque numéro. Actuellement, il doit y en avoir treize sur vingt numéros. C’est pas mal. Mais il est sûr que nous sommes arrivés un peu à épuiser les grandes figures. On a fait un entretien avec Bernard Pechberty et on va en faire un avec Françoise Bréant, des personnes beaucoup plus contemporaines, qui ont marqué le champ. Nous — 155 —


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avons mené une fois un entretien avec Jean-François Chiantaretto parce qu’il était en lien avec le dossier sur l’écriture. Il est psychologue. J’imagine qu’il sera peut-être intéressant de rencontrer Sylvain Missonnier en lien avec le prochain dossier dirigé par Jean-Luc Rinaudo ; on accepterait. Sinon, on est resté dans le champ des sciences de l’éducation. On a aussi ouvert les choix à partir des manifestations de l’association Cliopsy avec Janine Puget et Eugène Enriquez. Intervieweur : Vous êtes dans une dynamique d’ouverture ? Comité : On a pensé à Janine Méry et aussi à Pierre Delion. Ce ne sont pas des personnes qui appartiennent au champ des sciences de l’éducation, mais ce sont des personnes qui ont contribué à nos réflexions. C’est clairement le cas d’Enriquez. Ils nous ont inspirés, ils nous ont été utiles. Tous les étudiants ont connu les textes de Kaës et Enriquez. On a beaucoup travaillé avec leurs écrits. Intervieweur : Ce n’est pas une question de changement de cap. Le cap reste toujours le même. Je crois que, quand on change le cap, la revue ne tient plus. C’est une loi valable pour toutes les publications. Mais il y a quand même un mouvement. On peut faire l’hypothèse que, si, par exemple, quelqu’un était arrivé avec un entretien de Pierre Delion il y a dix ans, vous ne l’auriez pas pris. Comité : Peut-être. Intervieweur : Aujourd’hui, il y a quelque chose qui s’est passé et qui s’est déplacé en dix ans. C’est bien. Il faut se déplacer. Comité : Tout à fait. Si on traduit ce que tu dis, peut-être qu’au début, notre préoccupation était très centrée. Il faut se rappeler quand même pourquoi on a fait cette revue. En 2003, a eu lieu la première rencontre de chercheurs qui se reconnaissaient dans un champ qui ne s’appelait pas encore d’orientation psychanalytique. Ça bouge à partir de 2003 et ça se concrétise en 2005 avec la note de synthèse. Intervieweur : Vous pouvez préciser ? Comité : 2003, c’est la première rencontre de chercheurs de notre champ et elle s’est faite sur la base d’un questionnaire. Nous avons d’ailleurs remis ce questionnaire de 2003 sur le site de l’association : nous l’avions diffusé dans toute la France, dans tous les départements de sciences de l’éducation, pour demander qui se recommandait de ce type de recherche. C’est ce qui nous a réunis à Nanterre en 2003. Intervieweur : Je vois qu’il y a un changement de nom par rapport au premier colloque. Comité : Cette première rencontre s’est appelée Journées cliniques. Ce qui servait de soutien, c’était le dossier paru dans la Revue française de pédagogie en 1999 dans lequel il était écrit qu’il faudrait faire une note de synthèse, mais sans savoir comment procéder. Le terme utilisé alors était « inspiration psychanalytique ». Cela a bougé dès 2003 même si ce n’est pas écrit en tant que tel. Et c’est la note de synthèse publiée en 2005 qui installe le terme « orientation psychanalytique ». En 2006, le colloque à la — 156 —


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Sorbonne est complètement situé dans cet axe et c’est à la suite de ce colloque que l’on s’est dit que ce serait bien de pouvoir réunir les gens une fois tous les trois ans, mais que c’était insuffisant pour structurer un réseau qui commençait à exister. On voit bien qu’il y a une demande de rencontres plus fréquentes. Or, matériellement, ce n’est pas possible. Il fallait alors inventer un autre outil et ce fut la revue. Intervieweur : Qui commencera à paraître en 2009... Comité : Il a fallu deux ans de maturation, entre 2006 et 2008. En 2008, on a commencé à se structurer et le premier numéro est sorti en avril 2009. C’était bien dans l’idée de permettre au réseau d’exister, de se structurer, d’exister en dehors des colloques, et aussi de permettre aux chercheurs de publier alors que ce n’était pas très facile de publier dans d’autres revues, en particulier pour les jeunes docteurs. Il s’agissait ainsi d’avoir au moins un espace où publier — pour être reconnus par les instances —, mais aussi d’avoir un endroit où des choses pouvaient se partager en dehors d’un rendez-vous tous les trois ans. Voilà quel était notre souci premier, mais ce n’est plus le cas maintenant. Aujourd’hui, nous pouvons être plus « ouverts » ou davantage prêts à publier des gens qui sont peut-être un petit peu plus loin de ce centre. Car ce sont aussi des personnes qui nous nourrissent, nous ont nourris et ont de l’importance pour nous. Cela a un sens qu’elles soient aussi présentes dans la revue. Intervieweur : Depuis le début, j’entends que ce n’est peut-être pas une question de cap qui change ou non. On tient le cap et on le garde. En revanche, ces articles qui arrivent ne cessent de questionner le champ. Je ne sais pas si la revue est devenue plus « ouverte », pour reprendre votre mot, ou si elle est dans cette espèce de perpétuel questionnement pour savoir quel est le périmètre du champ. Vous parliez, au début de l’entretien, de champ/hors-champ, de ces articles qui ont modifié les rubriques de la revue. Et vous disiez que vous n’étiez pas sûrs que la distinction champ/hors-champ soit bien claire. Pour moi en tout cas, ce que vous dites est intéressant parce qu’il ne s’agit pas seulement d’une revue, mais d’un espace où il se passe quelque chose qui structure effectivement le réseau, ainsi qu’un espace où on est sans cesse en train de voir si notre champ doit ou non se déplacer, où il se trouve par rapport à un environnement proche qui nous a inspirés (auteurs, grandes figures) ou moins proche mais qui pourrait le devenir davantage. Je trouve que la question du champ est intéressante dans la question du cap éditorial. Intervieweur : J’aimerais rebondir. Ce que vous venez de dire montre que la revue est le résultat d’une réflexion qui se déclenche autour de la réalisation de ce premier colloque qui va donner place à une nomination postérieure. Pour moi, la vertu et la valeur de la revue, ainsi que l’importance du projet éditorial, c’est justement que, une fois que la revue existe, elle est vivante et elle est une pièce centrale dans la structuration de ce champ. En réalité, à l’origine, il n’y a pas un champ. Il y a quelques éléments qui ont été posés. Des gens commencent à travailler ensemble, des éléments commencent à être posés à gauche et à droite ; à un moment, la — 157 —


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mayonnaise prend — excusez-moi pour la métaphore — quelque chose va prendre forme. Quand le périmètre est défini, solide, relativement clair, c’est alors que l’on peut se souvenir des lectures, des fondations. Cela montre la richesse du projet éditorial de Cliopsy. Comité : Il faut aussi regarder dans le dernier livre qui est sorti, celui qui restitue les interventions des tables rondes du dernier congrès de 2017 : dans le texte qu’a proposé Jean-Luc Rinaudo, on peut voir une photographie de l’ensemble Cliopsy, le réseau des proches et le réseau élargi aux « cousins » pas très éloignés. Pour nous, cela peut constituer un repère à considérer de temps en temps pour voir comment les choses évoluent. Intervieweur : On peut passer au cheminement des articles ? Comité : Oui. En tant que secrétaire, c’est Catherine Yelnik qui, en ouvrant la messagerie de Cliopsy, découvre les nouvelles propositions qu’elle transfère au comité restreint. Nous ne l’avons pas encore indiqué, mais il faut préciser qu’à l’intérieur du comité de rédaction de la revue dans lequel nous sommes actuellement onze, quatre personnes composent le comité restreint, sorte d’organe de pilotage qui assure la continuité entre les réunions et prépare le travail du comité. Intervieweur : Depuis quand ce comité restreint existe-t-il ? Comité : Au début, il y a eu un rédacteur en chef, c’était Jean-Luc Rinaudo qui avait conçu le premier site de la revue et qui assurait aussi la mise en ligne des numéros. Il y avait aussi une directrice de publication, Claudine Blanchard-Laville, et un secrétaire, à l’époque c’était Louis-Marie Bossard. Dès le départ, nous étions trois dans ce petit groupe que l’on n’appelait pas encore « comité restreint » ; mais on fonctionnait déjà avec des rencontres un peu plus fréquentes que celles du comité dans son ensemble, ceci pour régler les urgences entre les réunions prévues. Intervieweur : Jean-Luc Rinaudo a quitté le comité de rédaction. Comité : Avant son départ, Louis-Marie Bossard est devenu co-rédacteur en chef avec lui et Catherine Yelnik a accepté la fonction de secrétaire. Là, nous avons commencé à nous structurer un peu plus et à nous rencontrer plus souvent entre les réunions du comité. En 2013, quand Jean-Luc Rinaudo a souhaité arrêter de participer au comité de rédaction, c’est Patrick Geffard qui a repris tout le travail de mise en ligne des numéros. Il a ainsi intégré le comité restreint. D’ailleurs, à l’époque, il a fallu changer d’hébergeur internet et Patrick Geffard a dû faire un travail considérable pour récupérer le contenu du premier site qui a rapidement fermé. Intervieweur : C’est donc à quatre que vous avez décidé de faire un premier tri à l’arrivée des propositions d’articles. Comité : Non, c’est une décision qui a été prise au cours d’une réunion du comité de rédaction dans son ensemble après discussion à partir de notre expérience. Depuis ce moment, à réception d’une proposition, on répond simplement quelque chose de très neutre du genre : « Nous accusons réception de votre envoi et nous vous tiendrons au courant des suites qui lui seront données. » Puis le texte est lu par plusieurs membres du comité — 158 —


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restreint, pas forcément par les quatre, selon le thème de la proposition. On parcourt le texte et l’objectif est de pouvoir se prononcer sur « oui, ça entre dans le champ de la revue » ou « non, pas du tout ». Dans le deuxième cas, on décide de faire tout de suite une réponse négative à l’auteur sur la base de ce critère ; on essaye de ne pas tarder et que la réponse parvienne à l’auteur dans le mois. Intervieweur : Et sinon ? Comité : Si la proposition nous semble dans le champ, nous choisissons des experts. Là, plusieurs cas de figure se présentent. Si la date de réunion du comité de rédaction est assez proche, nous attendons cette réunion pour décider tous ensemble de ce choix. Si au contraire elle est assez éloignée, soit nous organisons une petite concertation par courriels en communiquant le résumé de la proposition à chaque membre ; soit nous avons nousmêmes des propositions qui font consensus et nous décidons rapidement. Et comme on s’est aperçu que nous étions finalement plus critiques que certaines expertises qui étaient très positives alors que nous l’étions beaucoup moins, on fait en sorte d’avoir le plus souvent un expert parmi les membres du comité de rédaction et un expert extérieur. Ce qui nous a amenés à être vraiment sélectifs pour les propositions d’articles et très vigilants pour le choix des experts. Il faut que les expertises nous aident et aident les auteurs. Intervieweur : Ensuite, il y a une procédure d’anonymisation ? Comité : Oui, il faut anonymiser l’article avant son envoi aux experts. Ça consiste à ôter tout ce qui pourrait permettre d’identifier l’auteur, y compris les informations dans les propriétés du fichier de manière à ce qu’il ne soit pas possible d’identifier la personne qui a envoyé ce fichier. Intervieweur : Et les experts ont des consignes ? Comité : Oui. En même temps que le texte, ils reçoivent une grille d’expertise que nous avons déjà revue deux fois tous ensemble et qui pourrait encore évoluer. Celle qui nous sert actuellement date de 2016. Nous proposons cette grille comme une aide et nous demandons aux experts, s’ils veulent faire des commentaires à l’intérieur du texte, d’éviter d’utiliser les fonctions « suivi des modifications » de word ou d’« ajouter un commentaire » parce que ces opérations portent la trace de la personne qui les effectue ; or nous tenons à ce que les expertises restent anonymes pour l’auteur. Intervieweur : Ce sont ces documents que vous renvoyez à l’auteur ? Comité : Non, pas exactement. On ne renvoie jamais de grille ni d’expertise brute. Ce que reçoit l’auteur, c’est une synthèse des deux expertises et cette synthèse est un texte rédigé. Ce n’est pas une grille, même si ce texte, que l’on élabore dans le comité restreint, reprend les principales remarques notées dans les grilles. Mais le fait de rédiger un texte permet d’atténuer la raideur dans la formulation de certaines observations et de ménager un peu le narcissisme des auteurs. Il indique aussi assez souvent les grands axes à retravailler pour améliorer la proposition. Il est en effet assez rare que le — 159 —


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texte proposé n’ait pas besoin, dans le meilleur des cas, de quelques modifications ou précisions. Souvent nous demandons à l’auteur des compléments et le remaniement de certains passages. Il arrive aussi que la proposition soit refusée après expertise. Intervieweur : Et que faites-vous des commentaires dans le texte ? Comité : Là aussi, il faut essayer de penser comment les auteurs vont les recevoir et nous n’avons pas toujours eu la même politique. Au début, nous envoyions le texte anonymisé avec les commentaires bruts, simplement en faisant en sorte que les experts ne soient pas identifiables. Puis après une dizaine de numéros, nous avons cessé cet envoi parce que certains commentaires à l’intérieur du texte nous semblaient trop durs ou trop cassants pour l’auteur, voire pas très encourageants. Les discussions à ce sujet ont continué au sein du comité de rédaction et nous avons convenu qu’il était assez dommage de priver les auteurs du travail des experts parfois très bien fait et pouvant leur être utile pour les aider à reprendre leur texte en vue de son amélioration. Aussi, nous sommes revenus à la position initiale, mais en nous donnant l’autorisation de modifier éventuellement la formulation des commentaires ; ceci dans le but de « ménager » les auteurs. Il faut bien voir qu’à partir du moment où la proposition n’est pas rejetée, notre souhait est d’encourager l’auteur et, si possible, de l’aider à bonifier son texte en évitant qu’il abandonne. Intervieweur : En même temps, les annotations d’un inconnu dans un texte ont quelque chose de violent pour l’auteur de ce texte. Comité : Oui, en particulier, pour un auteur confirmé, voir son texte avec des remarques qui font intrusion un peu partout, c’est problématique. Pourtant, aujourd’hui encore, nous avons opté pour conserver ces inclusions dans la mesure où on s’est rendu compte à maintes reprises que c’était quand même très aidant pour les auteurs. Il faut d’ailleurs noter que, de plus en plus souvent, les auteurs essayent de répondre point par point à ce qu’ont suggéré les experts et que cela fait beaucoup évoluer leurs textes. Intervieweur : Est-ce que vous avez en tête ce qui est le plus souvent demandé aux auteurs ? Comité : Souvent, on demande aux auteurs d’être plus précis et plus explicites sur leurs références, leurs concepts et les définitions des termes qui sont utilisés. On demande aussi qu’ils indiquent leur positionnement par rapport au recueil et à l’analyse du matériel empirique. La plupart de nos collègues psychologues donnent des vignettes ou des illustrations sans dire comment, avec quelle méthode, ils ont recueilli ce matériel, s’ils étaient présents eux-mêmes lors du recueil, etc. C’est là un point qui différencie assez souvent notre travail de celui des psychologues qui nous proposent des articles. Nous insistons pour que l’auteur se positionne par rapport au dispositif qu’il a mis en place et au matériel recueilli. Intervieweur : Dans cette difficulté que vous soulevez, il y a ce qui fait la qualité scientifique des articles de Cliopsy. On peut comprendre une

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demande de références théoriques, etc. Mais cela ne règle pas pour autant la question des sentiments d’intrusion, réels ou non. Comité : Il y a quelque chose que nous faisons de plus en plus souvent. À la différence des points très précis (mots que l’on ne comprend pas, phrases mal « fichues », pas claires, à côté desquelles on peut noter : « que voulezvous dire ? », etc.), pour les remarques plus générales, nous avons tendance à les indiquer dans la synthèse des expertises et à les enlever du texte. Intervieweur : Je pose cette question parce qu’elle se retrouve ailleurs, en tant qu’enseignant encadrant des étudiants, par exemple, dans le cadre d’accompagnement de mémoires. Cette question ne me semble pas forcément résolue. Comité : Nous en discutons souvent et, même dans l’accompagnement des thèses, pour certains d’entre nous, nous ne corrigeons pas sur le texte proprement dit. Nous transmettons les demandes et les suggestions de modifications à l’oral en présence de l’auteur. Cela passe par la parole et dans la relation. Intervieweur : Peut-on le faire avec des auteurs d’article qui sont à distance ? Comité : Oui, cela arrive, on peut le faire par téléphone. Dernièrement, c’est arrivé avec un auteur dont nous avons reçu une proposition d’article. Or, en la lisant, on s’est rendu compte que cet auteur ne connaissait pas les travaux du réseau Cliopsy. Si nous le publiions, cela pouvait peut-être lui permettre d’être qualifié par le CNU. Un échange constructif a été alors possible. Intervieweur : Mais son texte pour la revue tenait-il ? Comité : Le contenu était très intéressant. Mais cet auteur donnait l’impression qu’il était le premier à découvrir l’intérêt du regard psychanalytique sur les questions d’enseignement, comme si personne ne s’était occupé de psychanalyse et de pédagogie avant lui. Ce n’est pas sûr qu’à l’avenir cet auteur se rapproche de nos travaux, mais c’est un pari et cela découle de l’idée que les différents domaines de travail sont trop cloisonnés ; nous cherchons à favoriser un décloisonnement par moments. Intervieweur : Et ça arrive souvent ? Comité : C’est le dernier exemple en date, mais ce n’est pas le seul. Intervieweur : Peut-on dire que ce travail, de manière souterraine, est aussi un travail d’affiliation ? Comité : Oui, c’est un travail d’acculturation et d’affiliation pour les auteurs. Intervieweur : Est-ce qu’on peut reprendre maintenant le cheminement des articles ? Comité : Quand la synthèse des expertises est prête, nous l’envoyons accompagnée d’un message du genre : « Nous vous invitons vivement à nous faire parvenir une nouvelle version de votre article tenant compte des conseils, remarques et suggestions des experts. Merci d'accompagner cette — 161 —


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nouvelle version de la notification de la manière dont vous aurez tenu compte (ou non) de leurs demandes ainsi que des corrections que vous aurez jugé opportun d'apporter. » On laisse à l’auteur un certain temps pour faire des remaniements. Et on reçoit, ou non, une version remaniée. C’est alors qu’intervient un membre du comité de rédaction à qui est confié le soin de comparer cette nouvelle version avec la première pour voir dans quelle mesure cette deuxième version tient compte des avis des experts. On appelle ce membre du comité un « référent » et c’est lui qui va suivre l’évolution des éventuels échanges avec l’auteur jusqu’à aboutir à ce qui lui semble une version publiable. Cette phase peut être très rapide, mais elle peut aussi s’étaler sur plus d’une année. Il peut s’agir de poser de nouvelles questions, de demander des éclaircissements, de proposer de nouveaux commentaires et aussi de faire éventuellement des corrections de forme. C’est un gros travail. Intervieweur : Est-ce qu’il arrive que ça n’aboutisse pas ? Comité : Oui, hélas, cela arrive. Même si, dans l’espoir de débloquer une situation qui n’avance pas, le référent peut donner le dossier à un autre membre du comité de rédaction. Il est arrivé que trois ou quatre personnes se soient succédé et que nous ayons fini par renoncer. Ou alors, c’est l’auteur qui renonce. Mais le plus souvent, on arrive à un texte publiable en quelques mois. La version revue par le référent est alors transmise au rédacteur en chef qui la met en forme selon le format de la revue. Il en profite pour revoir encore une fois la ponctuation, l’orthographe, les références bibliographiques et éventuellement quelques phrases mal construites. Intervieweur : Le rédacteur en chef fait donc des choses qui n’ont pas été faites par le référent ? Comité : Oui, mais cela dépend des référents. Leur priorité, c’est de parvenir à un résultat et il arrive qu’ils oublient de vérifier les espaces insécables et les majuscules, par exemple. Le rédacteur en chef étant le dernier interlocuteur, il revoit tous ces détails. Puis, après le feu vert de la directrice de la revue, il envoie la dernière version mise en forme à l’auteur pour validation et « bon à tirer ». Intervieweur : Est-ce que c’est plus compliqué avec les auteurs étrangers ? Comité : Assez souvent oui. D’une part, parce que la construction de certaines phrases est parfois celle de la langue d’origine, d’autre part, parce que la correspondance de certaines expressions est souvent difficile à trouver en français. Or ce qu’on reçoit des auteurs étrangers est souvent très intéressant : on sait donc dès le départ qu’il va y avoir un gros travail de réécriture à effectuer. C’est plutôt le comité restreint qui s’y emploie. Il s’agit de rendre le texte facilement lisible en français tout en restant dans l’esprit, le style et la manière pour l’auteur d’habiter son texte. Intervieweur : Il faut deviner la pensée. Comité : C’est parfois difficile. Il faut essayer de se mettre dans la peau de l’auteur, avec ses références. On n’est jamais sûr d’être juste. Éthiquement, — 162 —


Entretien avec le comité de rédaction restreint de la revue Cliopsy

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c’est un souci. On fait souvent ce travail à deux, mais c’est très coûteux. Et il arrive que l’on se trompe dans la manière de comprendre les choses. Mais si l’auteur ne parle pas très bien le français, comment s’en apercevoir ? Il faut multiplier les navettes pour savoir si c’est bien ce qu’il veut dire ; on n’est jamais certain que ce que l’on propose et que l’auteur accepte corresponde exactement à la formulation de départ. C’est compliqué. Intervieweur : Vous refaites donc le montage des phrases quand il s’agit des auteurs étrangers. Comité : Oui, et aussi parfois pour des auteurs français ; le problème, c’est qu’aujourd’hui, nous avons beaucoup plus affaire à des auteurs qui n’écrivent pas de la façon dont nous pensons qu’il faudrait écrire. Il y a un souci ; quelles en sont les raisons ? En tout cas, le travail de réécriture est de plus en plus fréquent et important. Intervieweur : Pouvez-vous préciser ? Comité : On reçoit parfois des textes qui ressemblent plus à des brouillons qu’à des textes aboutis, avec de nombreuses phrases sans verbe, des phrases construites sans respecter les codes de la syntaxe, des absences de transitions, etc. Or, nous pensons que, dans notre champ, si le texte ne tient pas sur le plan de l’écriture, le contenu ne peut pas tenir. C’est bien parce qu’on fait l’effort d’une précision au niveau de l’écriture que l’on peut soutenir ce que l’on avance. Si on écrit de manière obscure, on ne soutient rien. Intervieweur : C’est vrai dans toutes les langues. Comité : Ce n’est pas sûr que nous soyons tous d’accord dans le comité de rédaction sur l’importance d’un tel travail de réécriture. Il y a un débat pour savoir jusqu’où on doit aller dans la correction des textes. Mais nous avons l’expérience en tant que référents, d’avoir quasiment traduit des textes apparemment écrits en français mais qui étaient très confus, avec des expressions alambiquées et sans vraiment de liens entre elles. Peut-être sommes-nous particulièrement exigeants ? Intervieweur : Au niveau des statuts, est-ce le comité restreint qui prend la décision finale sur ce que sera le numéro ? Comité : Dans ce que l’on évoque dans cet entretien, on pourrait penser qu’il n’y a pas de comité de rédaction. Or le comité restreint est un organe de travail intermédiaire, mais pas un organe décisionnel. Nous faisons très attention de toujours nous référer à l’ensemble du comité pour les décisions. Quand nous sommes obligés de prendre des décisions entre deux réunions, nous en rendons compte au comité ensuite. Il nous arrive aussi d’écrire à tout le monde pour demander l’avis des membres du comité. Nous avons un souci de collégialité. Le comité de rédaction se réunit quatre fois par an et, à chaque fois, toutes les questions qui se posent sont évoquées. En particulier, le premier point de l’ordre du jour de chaque réunion concerne systématiquement l’avancée de la confection du numéro à venir. On discute donc de la composition des numéros, souvent à partir de propositions du comité restreint, mais aussi en fonction des textes qui sont prêts. Pour — 163 —


Caroline Le Roy et Léandro de Lajonquière

l’ordre des articles, la proposition est très souvent le résultat d’une concertation entre la directrice de publication et le rédacteur en chef. C’est ce dernier qui effectue la mise en page, établit le sommaire et pagine l’ensemble du numéro. Intervieweur : On arrive alors à la publication ? Comité : Il s’agit d’une mise en ligne puisque la revue est en accès libre sur internet. C’est Patrick Geffard qui s’en charge et il avertit ensuite tous les membres de notre liste de diffusion. Ce n’est pas non plus une petite affaire car les logiciels évoluent et il faut sans cesse s’efforcer de rester opérationnel avec les outils de maintenance et de gestion du site. Intervieweur : Dans une revue, il y a toujours une responsabilité éditoriale. À qui revient cette responsabilité, même si le directeur de publication n’est pas responsable du contenu scientifique, puisque c’est l’auteur qui est responsable du contenu de son texte ? Je suis curieux de savoir cela parce que je compare avec le Brésil où, au niveau juridique, c’est Cristina Kupfer et moi-même [Léandro] qui sommes responsables pour la publication. Comité : En France, s’il y a un problème juridique, la responsable est la directrice de la revue. Quant au responsable du contenu d’un article, c’est l’auteur. Intervieweur : La responsabilité des membres qui font la revue – directrice de la publication, rédacteur en chef, comité restreint, comité de rédaction dans son ensemble – correspond à tout ce qui a été évoqué tout à l’heure. De ce que je comprends, il s’agit d’assurer un champ, une éthique et une écriture clinique. Du coup, cela entraîne tout un travail à plusieurs étages. Il me semble que l’organigramme de la revue Cliopsy au niveau éditorial s’est organisé progressivement en fonction de ces principes-là. En vous entendant, j’ai l’impression qu’il y a sans doute des moments où l’intérêt de la définition du champ que l’on défend devient supérieur à quelque chose que l’on ne laisserait qu’à la discrétion de l’auteur. Comité : Il est arrivé que la directrice de publication dise avec une certaine énergie « On ne peut pas laisser passer ça » parce qu’elle se sent responsable. On a l’exemple d’une proposition d’article récente pour laquelle il va falloir prendre une décision. On est collectivement responsable de le publier ou non. En publiant, on cautionne des propos, une démarche, etc. Les étudiants lisent la revue Cliopsy, c’est un instrument de travail pour eux. Ainsi, ce qu’ils lisent dans la revue peut leur servir de référence. Il faut donc être vigilant par rapport à ce que l’on va publier. Cela nous entraîne tous dans une responsabilité éditoriale globale et c’est d’autant plus vrai que la revue est qualifiante. Cela correspond à ce que, depuis le début, nous avons souhaité, c’était dans le projet de départ : pour nous, cette revue devait être reconnue comme une revue qualifiante par les instances d’évaluation. Elle l’est depuis 2010 et nous faisons tout ce qu’il faut pour qu’elle le reste. Intervieweur : La revue est qualifiante et assure donc une certaine qualité : cela entre dans le champ, il y a une vérification… La direction est évidemment responsable pour assurer des paramètres de qualité — 164 —


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scientifique et éthique. Mais le directeur de publication n’est pas responsable de l’opinion particulière d’un auteur qui soutient une thèse alors qu’un autre auteur soutient une thèse contraire. Cela fait partie du débat scientifique. Quant au plagiat, au Brésil c’est une obligation d’y faire attention. L’université a d’ailleurs acheté un dispositif électronique pour repérer le plagiat. Comité : Sur le plagiat, on s’imagine un peu immunisé parce que l’on connaît la plupart des auteurs des articles et on sait ce qu’ils ont écrit. On aurait pu avoir un problème une fois pour un auteur qu’on ne connaissait pas, mais en recherchant ce qu’il avait déjà publié, on s’est aperçu qu’il nous proposait un article en grande partie déjà publié et nous n’avons pas donné suite. Jusqu’ici, on n’a pas utilisé d’instruments techniques pour lutter contre le plagiat. En revanche, il est vrai que la limite est floue sur la responsabilité du contenu des thèses défendues. Est-ce que nous contrôlons ce que nous publions ? Il est probable que nous ne laisserions pas passer des thèses avec lesquelles nous serions en profond désaccord sur un plan éthique, par exemple, ou sur un plan épistémologique, sauf s’il s’agissait de l’ouverture d’un débat clair. Intervieweur : C’était la question qui me semblait contenue dans votre dernière remarque. Y a-t-il de la controverse dans Cliopsy ? Y a-t-il des articles qui disent des choses différentes ? Je ne sais pas s’il le faut. C’est une question. Comité : Oui, il faudrait que cela existe. Pour cela, il faut poursuivre le débat et il nous faut continuer à tenir des réunions scientifiques. On pourrait aussi avoir une sorte de retour comme un courrier des lecteurs, des gens qui pourraient réagir aux articles. Cela enrichirait beaucoup la revue. Pour l’instant, nous n’avons pas réussi à aller au bout de cette idée car il faut des forces pour la mettre en œuvre et nous sommes tous très occupés par ailleurs. Intervieweur : En tout cas, cet échange a bien posé les enjeux autour de l’écriture et de la clinique ; ainsi que sur la genèse de ce mouvement comme sur l’histoire de la synergie entre les congrès et la revue ; sur tous ces points, vos propos ont été très éclairants. Comité : Une question est aussi apparue plus prégnante au cours de cet entretien, c’est celle de l’écriture en lien avec celle de la scientificité de l’approche.

Pour citer ce texte : Le Roy, C. et Lajonquière, L. (2019). Entretien avec le comité restreint de la revue Cliopsy. Cliopsy, 21, 151165.

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Patrick Geffard Expériences de groupes en pédagogie institutionnelle. Marc Guignard

Geffard, P. (2018). Expériences de groupes en pédagogie institutionnelle. Paris : L’Harmattan.

Comme il l’annonce dans son introduction, Patrick Geffard a voulu cet ouvrage comme « une contribution à la réflexion sur certaines dynamiques potentiellement à l’œuvre dans les groupes de pédagogie institutionnelle » (p. 9). À la lecture du livre, il apparaît non seulement que ce but est atteint, mais que ses apports intéresseront largement au-delà du cercle des praticiens de la pédagogie institutionnelle. En effet, d’une part, il n’est pas nécessaire d’être familier du courant pédagogique évoqué pour apprécier la richesse des apports de Patrick Geffard et, d’autre part, comme nous y invite Claudine Blanchard-Laville dans la postface à l’ouvrage, sa lecture peut stimuler le questionnement chez tous ceux qui ont une expérience du travail groupal. Principalement basé sur la recherche menée par l’auteur dans le cadre de sa thèse, pour ce qui est du matériel recueilli (entretiens cliniques à visée de recherche conduits auprès de praticiens de la pédagogie institutionnelle), ce livre bénéficie également du travail réalisé pour la Note de synthèse en vue de l’habilitation à diriger des recherches en sciences de l’éducation soutenue par P. Geffard en 2017. S’inscrivant dans une démarche clinique d’orientation psychanalytique

en sciences de l’éducation, l’auteur nous fournit quelques éléments importants de son parcours professionnel : sa propre pratique de la pédagogie institutionnelle à l’école puis à l’université, son appartenance à des groupes de praticiens et sa reprise d’études qui l’amène à entrer « plus sérieusement en contact » avec les travaux de D. Anzieu, W. R. Bion ou encore R. Kaës. C’est d’ailleurs d’itinéraire ou de « voyage en pédagogie institutionnelle » dont il est question dans le premier chapitre. P. Geffard y propose un retour sur les origines de ce courant pédagogique. Outre la qualité de l’écriture, le lecteur appréciera la richesse et la pertinence des références historiques ainsi que les apports précis dessinant la variété des groupes et courants au sein desquels la pédagogie institutionnelle s’est constituée. Le deuxième chapitre est alors l’occasion pour l’auteur d’interroger son propre récit des origines de la pédagogie institutionnelle, sa « modalité de participation à une certaine forme de culture commune » (p. 39). S’appuyant sur la distinction faite par W. Benjamin (2011) entre l’information et le récit, l’auteur met au jour les risques de totémisation dans un récit des origines qui peut tourner au mythe. Processus qu’il identifie comme également potentiellement à l’œuvre au sein des groupes de pédagogie institutionnelle où pourrait circuler « la représentation d’un groupe se pensant issu d’un héros fondateur » (p. 54). Le chapitre se termine alors sur une proposition d’« organisation intergroupale susceptible de constituer la dimension du tiers pour chacun des groupes venant y participer » (p. 55).

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Après cette mise en perspective des enjeux de fondation et de transmission dans le courant pédagogique fondé par Fernand Oury et Aïda Vasquez et dont l’auteur soutient qu’ils ont « toutes les chances d’être toujours potentiellement actifs aujourd’hui » (p. 17) au sein des groupes de pédagogie institutionnelle, Patrick Geffard consacre le chapitre trois au concept de Collectif tel qu’il a pu être élaboré par Jean Oury dans le domaine thérapeutique. P. Geffard y déplie alors avec une grande précision les différentes acceptions de la notion de collectif, à la fois du point de vue de la grammaire et de l’étymologie, mais également chez des auteurs tels que Sartre, Marx ou Freud avant d’étudier précisément l’utilisation de la notion chez J. Oury. C’est alors l’occasion de revenir sur les notions d’ambiance, d’hétérogénéité et de passage, et de proposer une mise en relation entre les pratiques de la psychothérapie institutionnelle et celles de la pédagogie institutionnelle. Poursuivant son exploration des expériences de groupe en pédagogie institutionnelle, Patrick Geffard consacre le quatrième chapitre à une modalité de travail commune aux différents groupes de pédagogie institutionnelle : l’écriture de monographies. Replaçant cette modalité de mise en travail de la pratique enseignante dans l’histoire du courant pédagogique, l’auteur propose également une analyse fine de l’utilisation, dans un autre champ que celui de la pédagogie, des vignettes et récits cliniques. Cette exploration l’amène à prêter attention « aux enjeux de transmission et au statut de la parole déployée pour qui s’engage dans un récit de cas dans le champ psychanalytique ou psychothérapeutique » (p. 110). Fort de ce tra-

vail, Patrick Geffard revient vers les enseignant·e·s rencontré·e·s lors de sa recherche. En s’appuyant sur les entretiens cliniques de recherche qu’il a pu mener auprès d’enseignants praticiens et membres de groupes de pédagogie institutionnelle, il indique « l’importance de la narration de cas d’élèves de la part de ces enseignant·e·s » (p. 123). L’auteur propose alors, dans le cas où cette narration lors des entretiens a déjà été tenue au sein du groupe local, d’entendre ces paroles comme « énoncées dans un registre d’après-coup » (p. 124). Les paroles des enseignant·e·s rencontré·e·s sont d’ailleurs au cœur des deux derniers chapitres de l’ouvrage. C’est en effet l’occasion pour Patrick Geffard, de se ressaisir de son matériel au prisme du travail effectué dans les chapitres précédents. Dans le chapitre cinq intitulé « malaise dans l’institutionnalisation », il propose d’entendre la pédagogie institutionnelle et sa pratique comme une possible institution de rattrapage au sens que lui donne Jeanne Favret-Saada. Cette notion est utilisée ici pour son « fort pouvoir évocateur quant à ce qu’il pourrait en être du recours à l’approche institutionnelle pour des enseignant·e·s éprouvant de l’inconfort à venir s’installer dans une place désignée ou supposée attendue » (p. 133). Le chapitre six quant à lui est tout entier consacré aux dynamiques psychiques entre classe et groupes de pairs. Car si le groupe de praticiens apparaît tout d’abord comme un lieu de dépôt des affects, un des intérêts du travail de Patrick Geffard est d’œuvrer à une meilleure compréhension des processus psychiques à l’œuvre dans le groupe de pairs et dans la classe institutionnelle. S’appuyant sur le concept d’élément-

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bêta et de fonction alpha proposés par Bion ou sur celui d’identification projective proposé par Mélanie Klein, il rend compte de façon très convaincante des processus psychiques qui se déploient au sein du groupe. Le chapitre et l’ouvrage se concluent alors sur les liaisons que les praticien·ne·s établissent entre le travail fait dans le groupe de pairs et celui qui est conduit auprès des élèves. Ce rapprochement entre le travail dans le groupe de pédagogie institutionnelle et la pratique de la classe amène l’auteur à formuler l’hypothèse, dans la suite des travaux de Claudine Blanchard-Laville sur le transfert didactique, d’un transfert des modes de liaison. La participation des enseignant·e·s au groupe de pairs leur permettrait alors « d’introjecter des modalités de liaison aux autres susceptibles d’être ensuite réutilisées au sein de la classe » (p. 167). À la lecture de ce livre, c’est l’engagement de son auteur qui se dessine également, engagement en tant que praticien de la pédagogie institutionnelle et engagement comme chercheur en sciences de l’éducation. Car ce que vient indiquer le travail de P. Geffard ce sont les apports possibles de la psychothérapie et de la pédagogie institutionnelles aux recherches actuelles sur les pratiques enseignantes dans le domaine de l’éducation et de la formation. Ces expériences de groupe en pédagogie institutionnelle sauront donc intéresser autant les praticiens de pédagogies coopératives que les chercheurs qui s’intéressent à la situation groupale et les personnes engagées dans des dispositifs d’élaboration de la pratique professionnelle enseignante, éducative ou soignante.

Magdalena KohoutDiaz L’éducation inclusive: un processus en cours Cathy Luce

Kohout-Diaz, M. (2018). L’éducation inclusive : un processus en cours. Toulouse : ÉRÈS.

Magdalena Kohout-Diaz est enseignante-chercheure à l’École Supérieure du Professorat et de l’Éducation d’Aquitaine de l’Université de Bordeaux. Elle est membre du laboratoire LACES EA 7437 (Laboratoire, Cultures, Éducation, Sociétés) et fait partie de l’équipe interne ERCEP3 de recherche comparative en éducation, pluralisme prévention et profession. Ses approches méthodologiques sont diversifiées : études comparées, quantitatives, qualitatives, casuistique clinique comparative et d’intervention. Ses travaux sont centrés essentiellement autour de trois axes majeurs disciplinaires que sont la philosophie, la psychanalyse et les sciences de l’Éducation. Dans le champ des sciences de l’éducation, ses actions de formation et de recherche portent principalement sur la violence et le climat scolaire en Europe centrale et balkanique, puis sur la santé mentale et l’école, et enfin l’éducation inclusive qui fait l’objet de cette présentation. Tous les thèmes précédemment cités ont donné lieu de la part de l’auteure à de nombreux écrits référencés dans la bibliographie du livre présenté aujourd’hui. Ce livre publié en avril

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2018, s’inscrit pour Magdalena Kohout-Diaz dans un long parcours de recherche sur le thème de l’éducation inclusive, son articulation avec la santé mentale et les notions qui y sont associées et ceci depuis une vingtaine d’années. Il fait suite, entre autres, à un ouvrage collectif qu’elle a dirigé et qui a été publié en janvier 2018 aux Presses universitaires de Bordeaux, Tous à l’école ! Bonheurs, malentendus et paradoxes de l’Éducation prioritaire. Ce titre rend compte de la complexité du sujet et du regard critique que pose l’auteure sur cette problématique institutionnelle qui s’inscrit pleinement dans une demande sociale croissante, comme en témoignent les travaux de l’UNESCO parus régulièrement entre 1990 et 2017 et dont les objectifs introduisent le présent ouvrage. Il y est souligné « le droit de tous à une éducation de qualité pour en finir avec toute forme de discrimination et favoriser la cohésion sociale » (p. 9) (Unesco 2017). L’éducation inclusive qui concerne des groupes d’apprenants vulnérables et défavorisés ne désigne pas uniquement l’école inclusive ; elle dépasse le contexte scolaire et concerne d’autres secteurs de la vie publique tels que celui de la santé, de la politique, de la justice. Elle est à l’œuvre dans les représentations et les gestes concrets des acteurs sur le terrain. Le livre L’éducation inclusive s’inscrit dans une littérature croissante sur un sujet actuellement prégnant sur le plan institutionnel et qui fait débat dans la communauté scientifique. Le soustitre un processus en cours indique à cet effet qu’il s’agit bien d’une dynamique collective en cours visant une éducation plus équitable et plus respectueuse des diversités.

Si la question de l’inclusion scolaire et de l’éducation inclusive s’est mondialisée au cours des années 1990, elle s’est affirmée en France en 2013 dans le cadre de la refondation de l’École ; elle engendre des questionnements idéologiques, questionne les politiques publiques sur l’éducation et elle participe également à des transformations dans la formation des professionnels. La création, en février 2017, en France de la certification CAPPEI pour les enseignants spécialisés est significative, tant dans le contenu de la formation (il s’agit d’une formation aux pratiques inclusives) que dans la terminologie retenue : l’ancien CAPA-SH « certificat d'aptitude professionnelle pour les aides spécialisées, les enseignements adaptés et la scolarisation des élèves en situation de handicap » est en effet remplacé par le CAPPEI, « certificat aux pratiques professionnelles de l’éducation inclusive ». Ces changements témoignent des mutations de pensée tant sur le plan épistémologique qu’institutionnel. Ils posent également un certain nombre de questions d’ordre éthique, notamment quant au droit à l’éducation et à la scolarisation pour tous les enfants. Ils impliquent donc tous les acteurs de la société, les parents, les éducateurs, les enseignants, les médecins et les juristes. Partant d’une analyse comparative du climat et des violences scolaires en Europe centrale et balkanique, les travaux de Magdalena Kohout-Diaz s’orientent vers les malentendus et les perspectives de l’éducation inclusive tout en prenant en compte les diversités culturelles. Il s’agit pour l’auteure de tracer un état des lieux comparé des politiques publiques sur la question, des pratiques au niveau des institutions, « des apories praxéolo-

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giques », « des confusions et des incertitudes professionnelles » (p. 79) chez les enseignants et autres acteurs de l’éducation et enfin, de la prise en compte des élèves à besoins éducatifs particuliers (BEP) au cœur de ce système. Avec un regard pragmatique, lucide et critique sur la question, l’auteure examine, d’une part, les pistes d’action efficientes face aux difficultés, à l’école et hors de l’école, d’autre part, les obstacles rencontrés. Elle souligne la nécessité d’une vigilance éthique face à des constats paradoxaux entre « les inégalités en référence à des repères normatifs, la ségrégation engendrée par un système de classification discriminante et parallèlement, les processus inclusifs visés » (p. 82). Adoptant précisément une posture éthique ouvrant à la diversité culturelle en éducation, Magdalena KohoutDiaz, étayée par ses longues années de recherche sur ce sujet, analyse avec conviction les problèmes centraux que posent l’éducation inclusive et pose un regard critique sur les politiques publiques. Elle décrit avec scientificité le déploiement du paradigme inclusif. Si l’on compte désormais un certain nombre d’ouvrages sur la question, celui–ci présente l’originalité d’une étude comparée entre les pratiques en France et celles en République tchèque qui élargit le regard sur la question. Après cette introduction qui éclaire le cheminement de lecture de l’ouvrage et résume la pensée de l’auteure, trois parties de longueur croissante, – engageant chacune une idée principale – et organisées de façon spiralaire, structurent ce livre. Chaque idée est elle-même introduite par « un contrepoint » ; ce dernier expose

principalement des éléments dominant la situation de la politique inclusive en république tchèque dans un contexte historique post-totalitaire, et agit selon l’expression métaphorique de l’auteure comme une « loupe grossissante pertinente pour saisir les tensions mais aussi les leviers inclusifs par extension » (p. 12), dans le contexte international et notamment en France. La première partie (p. 17-34) se propose d’exposer les représentations des situations scolaires difficiles liées au handicap ou non et des acteurs principaux que sont les élèves. Elle analyse également la posture d’acteurs majeurs que sont les enseignants, subjectivement impliqués dans des situations déstabilisantes voire « troublantes » face à des élèves en difficultés, qualifiés de sujets « troublés » parce qu’affectés de troubles des apprentissages, du comportement ou de la santé. C’est ce diagnostic qui va conduire les élèves à être catégorisés et qualifiés « à besoins éducatifs particuliers », selon des normes nosographiques. Si la considération de ces besoins est une avancée en soi sur le plan pédagogique pour l’inclusion de ces élèves, en revanche elle entraîne paradoxalement des stratégies de compensation qui elles-mêmes pointent des manques ou des défauts. Cette ambiguïté n’échappe pas aux chercheurs et malgré quelques avancées conceptuelles, en France notamment, « la question de l’éducabilité, de ses conditions et de ses formes demeure aiguë » (p. 25). À ce titre l’auteure montre comment la défectologie, science initialement apparue chez Vigotsky, à visée humaniste dans les années 1928-34, prônant « la richesse de l’unicité et la singularité

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distinctive de chaque humain » (Ibid.) a été détournée de sa signification première pour devenir un « instrument de contrôle social » (p. 68), de ségrégation et de stigmatisation, héritée du modèle soviétique et qui se retrouve en République tchèque où la mise en œuvre de la politique inclusive demeure difficile comme d’ailleurs, mais à des degrés moindres, au niveau international. La défectologie est ainsi devenue une forme d’expertise objective « d’un défaut inscrit dans l’être » (p. 27), discipline issue de l’idéologie totalitaire. Ce constat permet de pointer sur une échelle plus globale, d’une part, les limites des ambitions inclusives et, d’autre part, de mettre en évidence l’importance des liens structurels entre l’éducation inclusive, la liberté de parole démocratique et les processus visant l’accès à une citoyenneté active pour chacun. Ne plus considérer l’élève à BEP comme un sujet diagnostiqué, évalué, catégorisé et parlé, mais l’écouter comme un sujet parlant, conduit à la question de la prise en compte de sa parole dans les processus d’évaluation. La deuxième partie (p. 37-69) interroge précisément, dans son acception mondiale, la notion de besoins éducatifs particuliers, évaluée dans le champ de la santé mentale. Si les nomenclatures ont évolué au fil de l’histoire, si des postures pédagogiques adaptées ont été proposées, si différents dispositifs spécifiques ont été créés successivement, l’auteure montre, en citant Charles Gardou, comment « les crispations normatives et les fêlures de la communauté humaine sont pérennes […] et le devoir de conformité ne cesse de rudoyer l’identité » (p. 39).

Le handicap est en effet encore considéré en France comme « un écart à la norme ou comme une déficience qui doit être compensée, corrigée ou réadaptée » (p. 49). L’Agence européenne pour l’éducation adaptée et inclusive révèle en 2016 à ce propos que la France est un pays classé « plutôt ségrégatif ». Du point de vue universaliste, le handicap est pourtant défini comme « une figure de la diversité » (Ibid.) et interroge le système éducatif dans sa capacité à être accueillant et bienveillant. Au niveau de l’Europe, la volonté d’une politique inclusive semble a priori adoptée mais son application respectant les cultures et s’articulant avec les systèmes éducatifs propres à chacun des pays, n’est pas réglée ; dans de nombreux pays, l’enseignement spécialisé se maintient encore en parallèle et au détriment de l’évolution d’une approche inclusive. Par ailleurs la terminologie de BEP qui recouvre le champ de la difficulté et celui du handicap, requerrait un approfondissement conceptuel sur le plan international car elle entretient un flou et des désorganisations préjudiciables aux processus inclusifs. Des injonctions paradoxales concernant l’analyse et l’interprétation des besoins éducatifs des élèves, des conseils de bonnes pratiques issues du champ médical déstabilisent les enseignants et les dépossèdent de leur expertise propre. La notion de BEP vague et globalisante, qui apparaît en effet plutôt actuellement comme « un catalyseur des difficultés à faire face aux diversités, dans des systèmes éducatifs essentiellement normatifs » (p. 54), a en effet des conséquences chez les enseignants quant à la perception de leur identité professionnelle et privée ainsi que sur leurs pratiques. Ces pro-

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fessionnels, et surtout ceux qui exercent dans les établissements spécialisés, se demandent s’ils sont encore enseignants ; ils doivent faire preuve « d’inventions singulières à mi-chemin entre le soin, l’éducation et l’enseignement » et ils témoignent d’un « envahissement de leur sphère subjective » (p. 56). La diversité d’interprétation des BEP et l’accumulation des prises en charge entretiennent également une dispersion chez les élèves, eux-mêmes perturbés par cette accumulation de dispositifs dans lesquels ils ont du mal à se retrouver. Afin d’illustrer son propos, l’auteure nous livre ensuite une approche comparée de plusieurs dispositifs à partir de différentes modalités d’investigation : une enquête menée dans un institut thérapeutique éducatif et pédagogique (ITEP) en France auprès d’enseignants puis dans un centre (psycho)pédagogique spécialisé tchèque (SPC / CMPP en France) et enfin un entretien mené par l’auteure auprès d’une jeune fille venue consulter dans le cadre d’un centre psychanalytique de consultations de traitement pour adolescents (CPCT). Quel que soit le dispositif observé, l’auteure constate la nécessité d’un travail collaboratif dans un cadre interprofessionnel, mais elle remarque également un écart important entre les missions inclusives et la réalité des pratiques « quant à la qualification des difficultés, quant au rôle des parents, et quant à la définition des missions de chaque professionnel malgré un effort pour clarifier les procédures et favoriser une approche par BEP » (p. 59-60). Au sein de l’ITEP, l’auteure montre dans quelle situation singulière sont positionnés les enseignants entre le soin, l’éducation et l’enseignement, forcés de composer

et de proposer des actions vécues comme du « bricolage » (p. 56), envahis de fait dans leur sphère privée et souvent contraints par l’institution pour des raisons de « logique de remplissage » (p. 57) conduisant certains élèves à faire « carrière » dans ces établissements ; force est de constater la présence d’une violence institutionnelle et un écart notable avec les objectifs inclusifs. En république tchèque, est relevé un détournement comparable de ces objectifs lorsque des élèves issus de minorités ethniques – telles que les ROM – ont été diagnostiqués, stigmatisés sous l’étiquette de la déficience et se sont retrouvés inscrits en SPC. Le troisième exemple de ce chapitre propose une vignette clinique qui, si elle révèle à son tour les écueils de l’éducation inclusive, ouvre des pistes plus favorables à la prise en compte de l’élève et de ses difficultés. P. est une adolescente au contexte familial et au cursus scolaire douloureux et chaotiques entre foyer et internat. Lors de ces quatre consultations au CPCT, elle exprime au cours du premier entretien et dans un discours déstructuré, la douleur de la mort de sa mère lorsqu’elle était petite et en même temps un grand désarroi face à « l’empilement désordonné d’étayages thérapeutiques de toutes sortes » associés à de multiples aides psychoéducatives émanant du champ de la santé mentale. L’auteure observe, au fil des entretiens et au sein même du discours de l’adolescente, le passage d’un constat de besoins standardisés et globalisés, diagnostiqués par les différentes institutions éducatives, à l’expression d’une demande propre, singulière de l’adolescente. En d’autres termes, P., jeune fille « désorientée » et malmenée a pu élaborer

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dans un langage de plus en plus organisé autour d’éléments de son histoire familiale, mais également en réponse à son parcours institutionnel et scolaire confus, dispersé et malmenant. Elle a pu passer « du délire au désir », du délire institutionnel éprouvé au désir ressenti en qualité de Sujet (p. 67). Les entretiens que M. KohoutDiaz a pu mener avec P. me paraissent s’inscrire dans une approche de casuistique clinique d’intervention autour du cas de cette jeune fille ; cependant l’auteure ne précise pas s’il s’agit d’un entretien mené dans le cadre de sa recherche ou si elle intervient en qualité de thérapeute. Pourtant, il apparaît clairement que l’auteure centre son analyse sur des cas singuliers « à l’opposé des aspirations totalisantes et globalisantes des concepts de l’éducation globale » (p. 114). Le statut du discours y est interrogé du point de vue psychanalytique et en référence à Freud. Qu’il s’agisse d’un récit ou d’un roman familial, le discours permet d’élaborer « une conception du monde à valeur précisément défensive à l’égard du réel » (Ibid.). À travers son récit de vie, P. a pu se dégager progressivement du « hors sens » de sa situation et se repositionner subjectivement. Elle a pu parler en trouvant une signification à ses mots. Le dispositif proposé par le CPCT a permis à cette adolescente-élève BEP d’exprimer une demande véritable, c'est-à-dire quelque chose de son malaise subjectif. L’analyse de cette vignette clinique montre l’importance pour ces élèves BEP d’être écoutés attentivement et singulièrement dans leur diversité, à partir de leur parole et de leur demande propre. Cette posture ouvre des perspectives en ce qu’elle met en

jeu la reconnaissance et la responsabilité du Sujet. La troisième partie met précisément le focus sur les processus en cours chez ces professionnels que l’auteure nomme les « interprètes de la diversité » ou les « artisans » de l’Éducation inclusive face à cette notion encore non stabilisée. Malgré des progrès réels constatés sur un plan général, il subsiste « des approches encore variées selon les pays » (p. 120). Les lignes qui suivent proposent un positionnement différent de la recherche et de l’institution autour de cette question prônant la réhabilitation des pratiques professionnelles effectives, sur le terrain au quotidien, des éducateurs et des enseignants à partir d’une approche de casuistique clinique définie clairement dans cette partie de l’ouvrage. Considérant les liens du professionnel écoutant, tissés avec l’élève BEP parlant, cette posture analyse les cas. Elle privilégie les liens du Sujet à l’Autre dans un rapport intersubjectif mais aussi les implications intrasubjectives chez chacun des acteurs, considérés dans leur singularité. Comme M. Kohout-Diaz l’a montré précédemment, l’activité de classification est encore institutionnellement placée au premier plan de l’éducation inclusive comme condition éducative et pédagogique. Schématiquement, un trouble référencé occasionne des besoins auxquels répond une action adaptée mais qui demeure générale en référence au Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders (DSM V) par exemple comme dans le cas du trouble de de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH). Cette façon de considérer la question place les professionnels dans le « cure » au

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sens conféré par D. W. Winnicott ; or, mesurer et classer ne suffisent pas, au contraire cette démarche « bloque le processus inclusif par des étiquetages de santé mentale » (p. 120). À l’inverse, une recherche qualitative au cas par cas situe le professionnel dans le « care », favorisant une action attentive, individualisée et donc efficiente, qui recueille la parole du particulier. Il ne s’agit plus du BEP mais de la demande de l’Autre que l’on écoute. C’est ce qui caractérise en résumé la démarche de casuistique clinique désignant « une étude de cas à valeur d’enseignement. Un cas concret et unique est choisi parce que pourvu – par hypothèse – d’une typicité qui permet de s’en enseigner dans une situation comparable. Cela place la comparaison au cœur de cette méthode » (p. 106). Elle suppose également « une homogénéité imaginaire entre différents cas individuels, la conjonction / distinction du même et de l’autre en est une modalité centrale.[…] Comme la clinique, la casuistique cherche à élaborer un savoir à partir de singularités diverses et a priori hétérogènes.[…] on cherche ce qui est spécifique, ce qui fait la différence absolue et la singularité irréductible dans le monde fractalisé des interactions hétéroclites des sujets, des territoires et des cultures » (Ibid.). La différence qui existe néanmoins avec la clinique est l’implication du clinicien lui-même dans l’élaboration de son travail de recherche et son interprétation alors que la casuistique peut en rester à l’analyse du cas ; il n’y est pas question des mouvements contretransférentiels de l’auteure. Du point de vue de la casuistique comparée ou de la clinique « le point commun est cependant l’attention accordée à la

nouveauté de chaque situation singulière qui met nécessairement en jeu un questionnement sur le point d’où émane le jugement ou l’observation, à savoir le chercheur lui-même » (p. 109). Le comparatisme inscrit son analyse des phénomènes dans une relation dialectique constante qui oscille entre le général, le particulier et le singulier. En ce sens « l’éducation pour tous se traduit par des besoins particuliers qui conduisent à constater que ce doit être aussi une éducation pour chaque un » (Ibid.). Suivant cette démarche, tout enseignant – spécialisé ou de classe ordinaire – devient un enseignant inclusif singulier, « interprète de la diversité », face à un élève, institutionnellement catégorisé BEP mais Sujet singulier. Selon la pensée de l’auteure, une écoute et une réhabilitation des pratiques professionnelles, « invisibilisées » (p. 130) et pourtant riches et inventives, s’imposent. Il est important de considérer pleinement la parole de ces professionnels attentifs aux mouvements que suscite la rencontre avec l’Autre, l’élève BEP, de ce qu’il dit de ses difficultés et de ce qu’ils peuvent en entendre. Cette perspective représente un nouveau paradigme, non seulement du point de vue des pratiques, mais aussi épistémologique, en ce qu’il revalorise la casuistique clinique et comparative comme moyen propre des études inclusives. Cette approche a la tâche d’évaluer et de comprendre ce que provoque chez le professionnel l’élève « troublé » et de construire avec lui son propre parcours. Les préconisations institutionnelles ou émanant du champ médical (p. 120) en faveur de l’éducation inclusive peuvent être éclairées par cette approche de casuistique clinique et comparative, à

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savoir les points de tension entre le global et le local : l’identification des demandes, la mise en œuvre de parcours adéquats partant d’analyses croisées in situ ainsi que la structuration de la formation des enseignants à un moment où celle-ci connaît des mutations importantes. Cela signifie passer d’une approche généraliste à une approche prenant en compte la singularité des personnes et la singularité des contextes culturels. En effet, la globalisation conceptuelle en matière de difficultés scolaires ou de handicap versus trouble, loin de vaincre les politiques de ségrégation, favorise les inégalités. L’attention inclusive ouverte aux diversités permet de « s’orienter vers l’élaboration d’une éthique de l’interprétation clinique et vers l’accompagnement éducatif de sujets singuliers » (p. 82). La parole de chaque élève, adressée, sociale, nous oriente vers un humanisme de la différence et de la vulnérabilité, nous éloignant de la reconduction incessante d’une normativité vectrice d’exclusion. La recherche professionnelle s’avère donc « une voie privilégiée pour y asseoir un questionnement sur l’analyse clinique des situations au cas par cas, sur les pratiques pédagogiques et pour y construire un style pédagogique personnel » (p. 123).

de l’éducation, éducateurs, étudiants et chercheurs. La bibliographie riche et diversifiée qui complète cet ouvrage permet aux lecteurs, à l’instar de l’auteure au « parcours réflexif original » (p. 131), d’envisager un processus d’élaboration autour du projet sociétal de coéducation attentive à la diversité.

Ainsi ce livre place le lecteur dans une posture réflexive, il interroge des fonctionnements anciens, en cours et à venir, propose des pistes d’analyse et incite à des recherches comparées sur l’éducation inclusive. L’implication de tous les partenaires jouant un rôle déterminant dans la réussite de ce processus, Magdalena Kohout-Diaz s’adresse à tous ceux qui souhaitent approfondir leur réflexion sur le sujet, enseignants et tous les professionnels

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entre les rapports subjectifs à l’écriture, ses enjeux réels et symboliques, et les contextes historique, législatifs, institutionnels et professionnels dans lesquels elles s’inscrivent.

Thèses Recension par Catherine Yelnik

15 novembre 2018 Les pratiques d‘écriture des éducateurs spécialisés : perspectives cliniques Céline Rössli Université Paris Descartes sd. Bernard Pechberty Paris Descartes)

(université

Jury : Claudine Blanchard-Laville (université Paris Nanterre), Françoise Bréant (université Paris Nanterre), Christophe Niewiadomski (université Lille 3)

Cette thèse, inscrite en sciences de l’éducation, interroge les pratiques d’écriture des éducateurs spécialisés. L’écriture y est envisagée comme un nouveau trait professionnel, participant d’une période de mutation de l’action sociale et de ses métiers. Cette évolution transforme la culture des éducateurs et le fonctionnement de leur soi-professionnel. Inscrite dans une approche clinique d’orientation psychanalytique, cette recherche questionne les enjeux sociaux et psychiques relatifs aux pratiques d’écriture des éducateurs, les rapports au savoir et à l’écriture qui les soutiennent. Elle met au jour la complexité de ces pratiques, l’articulation

L’analyse s’élabore à partir d’entretiens cliniques de recherche réalisés auprès de six éducateurs spécialisés. Elle met en valeur des processus conscients et inconscients mobilisés dans leurs expériences d’écriture. Elle éclaire certains mécanismes psychiques de défense ou de dégagement, d’identifications actuelles et anciennes, à l’œuvre dans la professionnalité au moment de l’inscription et de l’intégration, par les éducateurs, du trait professionnel « écriture » à leur quotidien et à leur soi-professionnel. Enfin, cette recherche ouvre des perspectives pour repenser les conditions d’un investissement positif et créatif de l’écriture dans le métier d’éducateur spécialisé.

21 novembre 2018 Enseigner la philosophie au lycée. Hypothèses cliniques d’orientation psychanalytique Dominique Renauld Université Paris Nanterre sd. Philippe Chaussecourte (université Paris-Descartes) Jury : Claudine Blanchard-Laville (université Paris Nanterre), Leandro de Lajonquière (Université Paris 8 St Denis), Dominique Ottavi (Université

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Paris Nanterre), Bernard Pechberty 3 décembre 2018 (Université Paris Descartes) « Souffrance d’enseigner », « avec ou contre », les troubles Cette recherche doctorale s'inscrit du comportement des élèves. dans le cadre d'une démarche clinique Vers une Plasticité Posturale Psyd'orientation psychanalytique en chique de l’Enseignant sciences de l'éducation. Elle porte sur Sylvie Tricas Barrio l'enseignement de la philosophie en France, tel qu'il est actuellement dispensé dans les classes terminales des Université Paul Valéry Montpellier 3 séries générales et technologiques Sd Sylvie Canat Faure (université Paul des lycées. Elle est consacrée, plus Valéry Montpellier 3 particulièrement, à la manière dont Jury : Charles Gardou (université des professeurs de philosophie vivent Lumière Lyon 2), Patrick Geffard l'acte d'enseigner leur discipline. Le (université Paris 8), Françoise matériel empirique est constitué d'enHatchuel (université Paris Nanterre), tretiens cliniques non-directifs qui ont Bernard Pechberty (université Paris été réalisés auprès de six professeurs Descartes) de philosophie de l'enseignement secondaire interviewés à partir de la consigne suivante : « J'aimerais que Cette recherche propose de porter un vous me disiez, comme ça vous vient, regard sur les dynamiques psychiques comment vous vivez le fait d'ensei- en jeu, dans les mouvements transfégner la philosophie ». La thèse com- rentiels qui émergent lorsque l’enseiporte trois parties : certaines ques- gnant est confronté à la réalité de la tions relatives à la construction de rencontre avec l’élève porteur de l'objet de recherche et à l'analyse de troubles du comportement. De l’inl'implication et du contre-transfert du compréhensible à l’insupportable, de chercheur constituent la première la difficulté à la souffrance, le trouble partie de ce travail. La deuxième par- élève fait effraction dans l’expérience tie comporte des éléments d'analyses subjective de l’enseignant et génère pédagogiques, historiographiques et des « ruptures identificatoires », escliniques de l'enseignement de la phi- quissant une certaine rigidité psylosophie au lycée. La troisième partie chique dans sa posture professionest consacrée à l'analyse des entre- nelle. L’« extrapolation » des concepts tiens cliniques. Elle comporte des élé- de transfert et de contre-transfert isments de réflexion d'ordre épistémo- sus du champ de la psychanalyse, logique et méthodologique et propose permet de dessiner les contours d’un une mise en perspective des entre- contre-transfert spécifique à l’enseitiens et de certaines de leurs théma- gnant dans une relation pédagogique troublée. En tant que sujet désirant, il tiques transversales. mobilise des attitudes contre-transférentielles, observables dans leurs effets, relevant soit d’un déjà-là, soit d’une réactivité d’intensité variable, — 178 —


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au regard de dysharmonies dans l’articulation de ses désirs et de ses représentations construites et prescrites, caractérisant ses filtres interprétatifs. Comprendre l’économie des dynamiques psychiques de l’enseignant en souffrance professionnelle, dans une approche clinique d’orientation psychanalytique constitue une assise pour envisager de repenser l’interprétation de son expérience subjective, en faveur d’une Plasticité Posturale Psychique de l’Enseignant.

17 décembre 2018 Diriger une Maison d’Enfants à Caractère Social. Regard clinique sur la fonction de direction Narjès Guetat-Calabrese Université Paris Nanterre sd. Philippe Chaussecourte (université Paris Descartes), tutorat de Claudine Blanchard-Laville (université Paris Nanterre) Jury : Claudine Blanchard-Laville (université Paris Nanterre), Laurence Gavarini, (Université Paris 8), Patrick Geffard (université Paris 8), JeanPierre Pinel (Université Paris 13 SPC)

deux directeurs de MECS, la chercheuse, occupant elle-même des fonctions de direction de MECS, propose de poser un regard clinique sur les différentes postures sous-jacentes à l’exercice de cette fonction. La thèse est organisée en trois parties : la première partie analyse l’itinéraire professionnel de la chercheuse et témoigne de l’évolution de son positionnement dans une démarche clinique, d’abord en tant que professionnelle, puis en tant que chercheuse. La deuxième partie présente le champ de la Protection de l’Enfance, la spécificité des MECS comme institutions de la mésinscription et des adolescents qui y sont accueillis, la fonction de direction à travers plusieurs ouvrages consacrés à cette question mis en écho avec l’expérience de fonction de direction occupée par la chercheuse. Un dernier chapitre propose quelques éclairages théoriques à propos de la pulsion et de la pulsion de mort. La troisième et dernière partie est dédiée à l’analyse des entretiens et à la mise en perspective de ces analyses dans laquelle sont avancées des hypothèses de compréhension des enjeux conscients et inconscients dans l’exercice de la fonction de direction de MECS.

Cette thèse porte sur la fonction de 11 janvier 2019 direction d’une maison d’enfants à caractère social (MECS). Le travail réali- Le travail du lien éducatif. Resé s’inscrit dans une approche clinique cherche socio-clinique d’orientad’orientation psychanalytique. À partir tion psychanalytique à partir d’inde quatre entretiens cliniques de re- terventions aux côtés de profescherche auprès de deux directrices et — 179 —


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sionnels impliqués dans des dispositifs dédiés aux adolescents décrocheurs François Le Clère Université Paris 8 Vincennes SaintDenis sd. Laurence Gavarini (université Paris 8 Saint-Denis) Jury : Antoine Kattar (université de Picardie Jules Verne), Serge Lesourd (université Nice Sophia-Antipolis), Gilles Monceau (université de CergyPontoise), Dominique Ottavi (université Paris Nanterre).

La thèse appréhende, tout d’abord, le décrochage scolaire à travers les théories sociologiques et les travaux psychopédagogiques qui, en même temps qu’ils cherchent à le définir et l’analyser, l’ont construit comme objet scientifique, politique et comme enjeu des pratiques d’enseignement et d’éducation. S’appuyant ensuite plus précisément sur les approches sociocliniques et psychosociales en sciences de l’éducation, l’auteur se propose de construire de nouveaux éclairages sur cette situation éducative contemporaine que constitue le décrochage scolaire adolescent. Trois champs d’analyse du décrochage sont explorés et mis en discussion au fil de la thèse : un premier sur la notion de socialisation divergente des adolescents, un second sur les entraves à la construction du rapport aux savoirs et un troisième autour de l’impasse de la relation éducative.

gramme de Réussite Éducative, dispositifs portés par des équipes enseignantes ou par des acteurs associatifs) œuvrant dans le champ de la lutte contre le décrochage. Le chercheur appréhende les effets subjectifs, collectifs et institutionnels de ce qu’il qualifie de mésinscription adolescente. Il analyse ainsi les dynamiques psychosociales et inconscientes au sein des équipages et leurs effets sur l’accompagnement éducatif des dits « décrocheurs ». Se démarquant de la plupart des travaux sur le décrochage scolaire, l’approche socio-clinique d’orientation psychanalytique adoptée a permis à l’auteur de mettre en évidence, à chaque fois, les impasses d’une relation éducative et pédagogique dans sa confrontation aux problématiques de la construction adolescente. Pour l’auteur, le rapport aux apprentissages et aux interactions scolaires des adolescents ne se réduit pas au statut d’élève. Il est au contraire pris dans un complexe transférentiel en lien avec la traversée que constitue l’adolescence. L’auteur soutient que le décrochage scolaire procède d’une difficulté de certains jeunes à entrer dans le travail adolescent et montre comment cette mésinscription génère une situation paradoxale productrice d’une « panne des interprétations » chez les adultes qui les accompagnent au quotidien ne faisant que renforcer une relation éducative en souffrance. L’auteur élabore au fil de la thèse une réflexion sur ce qu’il appelle un « travail du lien éducatif ».

La recherche a été menée à travers trois interventions aux côtés d'équipages éducatifs (équipes de Pro— 180 —


Résumés – abstracts

Dix ans de parution de la revue Cliopsy Louis-Marie Bossard Résumé Comment rendre compte du contenu des vingt premiers numéros de la revue Cliopsy ? C’est à cette question que l’auteur a eu l’idée de répondre en se mettant à la place d’un lecteur découvrant la revue et souhaitant en analyser le contenu à partir d’éléments mesurables. Pour cela, il a commencé par identifier les éléments qui pouvaient se rapporter à chaque texte publié. Il en a tiré une typologie de l’ensemble de ces textes basée essentiellement sur l’intitulé des différentes rubriques apparaissant dans la revue. Il s’est ensuite plus particulièrement intéressé aux auteurs des articles de recherche et des recensions. Effectuant principalement des comptages, il fait ressortir un certain nombre de caractéristiques de ces auteurs et en tire quelques informations qui donnent à voir des aspects de la revue que l’on ne perçoit pas d’emblée. Mots clés : revue Cliopsy, comptages, auteurs, rubriques, dix ans. Abstract How to report on the content of the first twenty issues of Cliopsy magazine? It is this question that the author had the idea of answering by putting himself in the place of a reader discovering the journal and wishing to analyze its content from measurable elements. To do this, he began by identifying the elements that could relate to each published text. He drew a typology of all these texts based essentially on the titles of the different sections appearing in the journal. He then turned his attention to the authors of the research papers and the authors of the reviews. Mainly conducting counts, it highlights a number of characteristics of these authors and draws some information from them that suggests aspects of the review that are not immediately apparent. Keywords: Cliopsy review, counts, authors, sections, ten years.

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La balade des mots clés Caroline Le Roy Résumé Pour les 10 ans de la revue Cliopsy je me suis intéressée aux mots clés des articles parus au fil des années. Que racontent-ils de la revue ? Qu'est-ce que la revue raconte à travers eux ? De leur traitement statistique et thématique (fréquences, regroupements...) se dégage une grande variété d'objets et de champs étudiés. En même temps, certains d'entre eux dévoilent quelques tendances stables, des lignes directrices, un sentiment de continuité. Ce texte retrace un "voyage", singulier, une fois immergée dans ce foisonnement. Il propose de faire dialoguer ces mots clés entre eux pour en écrire le texte, un texte, une histoire de phénomènes inconscients dans le lien éducatif. Mots clés : revue Cliopsy, mots clés, objets et champs de l'éducation, processus inconscients. Abstract For the 10th anniversary of Cliopsy, I have studied the keywords of the articles published over these years. What do they tell about the review ? What does the review tell through them ? Their statistical and thematic treatment (frequencies, groupings, etc.) show a wide variety of objects and fields studied. At the same time, some of them reveal some stable trends, guidelines, a sense of continuity. This text traces a particular "trip", immersed in this profusion. He proposes to let these keywords talk to each over to write the text, a text, a story of unconscious phenomena in the educational link. Keywords: Cliopsy review, unconscious processes.

keywords,

objects

and

fields

of

education,

Les usages de la notion de médiation dans la revue Cliopsy Arnaud Dubois Résumé L’auteur présente une recherche qu’il a menée dans le cadre de son Habilitation à diriger des recherches en sciences de l’éducation. Considérant son dispositif d’analyse de pratiques professionnelles comme un dispositif à médiation, il cherche à situer cette proposition dans le courant de recherche articulant éducation et psychanalyse en France. Pour cela, il fait un travail de repérage et d’analyse des usages de la notion de médiation dans la revue Cliopsy entre 2009 et 2017. Il rappelle d’abord que la notion de médiation a fait l’objet de nombreux travaux dans la discipline « sciences de l’éducation » depuis les années 1980, notamment dans le champ de la pédagogie institutionnelle. Il identifie ensuite cinq acceptions de la notion de médiation telle qu’elle est mobilisée dans les dix— 182 —


sept premiers numéros de la revue Cliopsy. Il repère ainsi des évolutions et des inflexions théoriques concernant les usages de la notion de médiation dans le courant de recherche clinique d’orientation psychanalytique en éducation et formation. Mots clés : médiation, dispositif à médiation, revue Cliopsy, éducation et formation. Abstract The author presents a research conducted as part of his ‘Habilitation à diriger des recherches’ (a sort of second thesis for being Full Professor in university in France) in educational sciences. Considering his professional practice analysis device, as a mediation device, he seeks to situate his proposition in the current of research linking education and psychoanalysis in France. For this, he identifies and analyses the uses of the notion of mediation in Cliopsy journal between 2009 and 2017. He first recalls that the notion of mediation has been the subject of many works in ‘Educational sciences’ since the 1980s, particularly in the field of institutional pedagogy. He then identifies five meanings of the notion of mediation as it is mobilised in the first seventeen issues of the journal Cliopsy. He thus identifies evolutions and theoretical inflections in the uses of the notion of mediation in the clinical research current psychoanalytically oriented in education and training. Keywords: mediation, mediation devices, Cliopsy journal, education and training.

Clinique et écriture dans la revue Cliopsy Françoise Bréant Résumé L’auteure propose une relecture des treize articles portant sur l’écriture, parus dans la revue Cliopsy entre 2009 et 2019. Neuf d’entre eux (et un entretien) sont rassemblés dans le dossier « clinique et écriture » du n° 10 en 2013. Après quelques repérages quantitatifs, l’auteure témoigne des résonances avec ses propres travaux cliniques sur l’écriture réflexive, identifie des points de convergence (la référence à la psychanalyse, la notion d’écriture transformante, l’implication des chercheurs dans des dispositifs d’écriture en groupe le plus souvent en formation, un rapport plus ou moins direct avec la littérature) et opère un décompte des auteurs de différents courants psychanalytiques les plus cités. Un voyage réflexif à travers une lecture théorico-clinique plus complexe, (nécessairement subjective) de quelques articles vise aussi à dégager quelques pistes pour développer une créativité plus fluide au sein du dialogue entre théorie, pratique et écriture de recherche clinique. — 183 —


Mots clés : Dispositifs d’écriture, formation, recherche clinique, psychanalyse, médiation, narration. Abstract The author proposes a new reading of the thirteen articles on writing, published in the journal Cliopsy between 2009 and 2019. Nine of them (and an interview) are gathered in the file "Clinic and Writing" of No. 10 in 2013. After a few quantitative scans, the author testifies resonances with her own clinical work on reflexive writing, identifies points of convergence (the reference to psychoanalysis, the notion of transforming writing, the involvement of researchers in writing devices in groups most often in training, a more or less direct relationship with literature) and operates a count of authors of different psychoanalytic currents most cited. A reflexive journey through a more complex (and necessarily subjective) theoretical-clinical reading of some articles also aims to identify some ways to develop a more fluid creativity within the dialogue between theory, practice and clinical research writing. Keywords: Writing mediation, narration.

devices,

training,

clinical

research,

psychoanalysis,

L’adolescence : une thématique de recherche en progression en sciences de l’éducation Antoine Kattar Résumé L’auteur s’intéresse à la présence du thème de l’« adolescence » dans la revue Cliopsy au cours de la période allant de 2009 à 2019. En prenant appui sur les 27 articles recensés où ce thème apparaît, il repère les disciplines d’inscription des auteur·es ainsi que les grandes tendances qui se dégagent à la lecture de ces textes. La question des dispositifs d’accompagnement des adolescents·es paraît centrale et transversale à l’ensemble des articles retenus. Mots clés : adolescence, décrochage scolaire, environnement, soins, dispositifs. Abstract The author is interested in the theme of “adolescence” in Cliopsy journal during the period from 2009 to 2019. He bases himself on the 27 articles listed where this theme appears, to identify the authors’ disciplines as well as the major trends that emerge from reading these texts. The issue of adolescent support systems seems central and transversal to all the articles selected. Keywords: adolescence, dropout, environment, care, devices.

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À propos de l’usage du terme « dispositif » dans la revue Cliopsy Patrick Geffard Résumé Cet article est une étude des usages du terme « dispositif » dans les vingt premiers numéros de la revue Cliopsy. Il est proposé une catégorisation de ceuxci selon trois registres principaux : des dispositifs à visée d’intervention, de transformation ou de validation institués en extériorité par rapport aux usagers ou aux acteurs qui les rencontrent ; des dispositifs organisés selon une approche clinique d’orientation psychanalytique qui visent à permettre une élaboration du positionnement subjectif des sujets qui y participent ; des dispositifs de recherche (recueil de données et analyses) s’inscrivant dans une démarche clinique. Une partie de l’article est plus particulièrement consacrée aux processus de créativité qui sont la marque d’un bon nombre des dispositifs présentés, tandis qu’une autre examine le cas particulier des relations entre « dispositifs » et pratiques de la pédagogie institutionnelle. L’article se termine par une réflexion sur la notion de dispositif dans le contexte des travaux de l’auteur. Mots clés : dispositifs cliniques, dispositifs de recherche, élaboration psychique, remaniements subjectifs Abstract This paper is a study of the uses of the term ‘device’ in the first twenty issues of the journal Cliopsy. It proposes a categorization of these according to three main registers: interventional, transformational or validation devices instituted externally in relation to the users or the actors who meet them; devices organized according to a clinical approach of psychoanalytical orientation which aim to allow a development of the subjective positioning of the subjects who participate in it; research devices (collection of data and analyses) within a clinical approach. Part of the article is devoted to the processes of creativity that are the mark of many of the devices presented, while another examines the particular case of the relations between ‘devices’ and practices of ‘institutional pedagogy’. The article ends with a reflection on the notion of device in the context of the work of the author. Keywords: clinical devices, research devices, psychical elaboration, subjective rearrangements

Les études psychanalytiques en éducation et formation au Brésil. Pour une conversation entre cousins transatlantiques Léandro de Lajonquière Résumé Le texte présente les grandes lignes développementales du champ des études psychanalytiques en éducation et formation au Brésil depuis l’arrivée de — 185 —


l’invention freudienne durant les années 30 du siècle passé jusqu’à nos jours. Il essaie de montrer comment la singularité de ce champ théorico-pratique et ses différences avec le courant français nommé « Approche clinique d’orientation psychanalytique » résulte à la fois des débats internes au développement de la psychanalyse au Brésil, des particularités du système d’éducation et de formation de ce pays et des idiosyncrasies propres à la langue brésilienne. Mots clés : développements psychanalyse et éducation.

psychanalytiques,

France-Brésil,

Freud,

Abstract The text presents the main developmental lines of the field of psychoanalytic studies in education and training in Brazil from the arrival of Freudian invention in the 1930s until today. He tries to show how the singularity of this theoreticalpractical field and its differences with the French current named “Clinical Approach of Psychoanalytic Orientation in the Sciences of Education” results both from internal debates to the development of psychoanalysis in Brazil, from the particularities of the education and training system of this country and from the idiosyncrasies specific to the Brazilian language. Keywords: psychoanalytic developments, France-Brazil, Freud, psychoanalysis and education. Resumo O texto apresenta panoramicamente o desenvolvimento do campo dos estudos psicanalíticos em educação e formação au Brasil desde a implantação da invenção freudiana em 1930 até a atualidade. Ele visa mostrar como a singularidade desse campo teórico-prático, assim como as suas diferenças com a corrente francesa “Abordagem clínica de orientação psicanalítica nas ciências da educação” resultam dos debates internos à própria psicanálise, das particularidades do sistema de educação e formação local, assim como das idiossincrasias da língua portuguesa falada no Brasil. Palavras chaves: educação.

correntes psicanalíticas, França-Brasil, Freud, psicanálise e

Mise en scène de la parole magistraledans un cours de philosophie Dominique Renauld Résumé Issu d’une thèse de doctorat soutenue en 2018 et consacrée à l’enseignement de la philosophie au lycée, cet article s’inscrit dans le cadre d’une clinique de recherche d’orientation psychanalytique en sciences de l’éducation. L’auteur explore certains aspects latents du discours tenu par un professeur de — 186 —


philosophie de l’enseignement secondaire interviewé dans le cadre d’un entretien clinique non-directif réalisé à partir de la consigne suivante : « J’aimerais que vous me disiez, comme ça vous vient, comment vous vivez le fait d’enseigner la philosophie. » Partant d’une élaboration psychique de ressentis contretransférentiels en résonance avec plusieurs éléments d’énonciation du discours de cet enseignant qui concernent le spectacle et la mise en scène, l’auteur analyse des mécanismes psychiques inconscients qui semblent sous-tendre l’évocation, par ce professeur, d’une certaine théâtralisation de sa pratique d’enseignement. Après avoir mis en évidence l’investissement psychique en partie conscient dont cette théâtralisation semble être l’objet dans cette évocation, l’auteur fait l’hypothèse qu’une part d’une certaine souffrance psychique professionnelle qui semble sous-tendre le discours de cet enseignant pourrait être un effet des efforts psychiques inhérents à cette mise en spectacle supposée de l’acte d’enseigner. En effet, si cette évocation d’une mise en spectacle de la parole magistrale participe manifestement du plaisir à enseigner que dit éprouver ce professeur, elle comporte également plusieurs métaphorisations dont une souffrance latente constitue l’élément central et commun, ce qui, sur le plan psychique inconscient, forme un paradoxe heuristique. Il s’agit ainsi, à travers cet article, de chercher à mieux appréhender certains effets psychiques que pourrait susciter, sur l’évocation d’une pratique d’enseignement, une théâtralisation infléchie par des processus psychiques inconscients. Mots clés : pratiques enseignantes, parole magistrale, rapport au savoir, théâtralisation, philosophie. Abstract This article comes from a doctoral thesis defended in 2018 and dedicated to the teaching of philosophy in high school. It comes within a clinical approach of psychoanalytical orientation in educational sciences. The author explores some latent aspects of the discourse held by a philosophy teacher of secondary education interviewed within a non-directive clinical interview conducted from the following instruction: "I would like you to tell me, as it comes to you, what you feel when you teach philosophy." Starting from a psychic elaboration of counter-transferential feelings in resonance with several enunciation elements of the speech of this teacher related to spectacle and staging, the author analyses unconscious psychic mechanisms that seem to underlie the evocation, by this professor, of a certain dramatisation of her teaching practice. After having highlighted the partially conscious psychic investment of which this dramatisation seems to be the object in this evocation, the author makes the hypothesis that a part of a certain professional psychic suffering which seems to underlie the discourse of this teacher could be an effect of the psychic efforts inherent in this supposed staging of the act of teaching. Indeed, if this evocation of a staging of the magistrate speech is obviously a part of the pleasure she says she takes when teaching, it also includes several metaphorizations of which a latent suffering is the central and common element, which forms, as regards the unconscious psychic field, a heuristic paradox. Through this article, it is thus — 187 —


about trying to better understand certain psychic effects that might provoke, on the evocation of a teaching practice, a dramatisation inflected by unconscious psychic processes. Keywords: teaching practices, magistrate speech, relation to knowledge, dramatisation, philosophy.

Icare et ses prothèses. Itinéraire d’un adolescent « augmenté » Catherine Weismann-Arcache Résumé Cet article propose une réflexion sur les nouvelles représentations de l’enfance et de l’adolescence à l’école et au sein de la famille, impactées par la révolution numérique. La figure de l’enfant à haut potentiel intellectuel pourrait alors devenir une des chimères de l’humain augmenté et de ses prothèses : réparer, programmer et augmenter, se substituent à soigner, apprendre et jouer. Pensée, intelligence et cerveau se confondent dans un glissement métonymique favorisé par la résurgence du mythe de l’intelligence artificielle. La dimension sublimatoire et créative du haut potentiel intellectuel disparaît alors pour devenir une expression symptomatique. Le propos est illustré par l’étude longitudinale du matériel recueilli avec Tom rencontré à l’âge de 9 ans, 13 ans et 19 ans. Mots clés : haut potentiel intellectuel, humain augmenté, pensée, intelligence, prothèses. Abstract This article proposes a reflection on the new representations of childhood and adolescence at school and in the family, impacted by the digital revolution. The figure of the child with high intellectual potential could then become one of the chimeras of the augmented human and his prostheses: to repair, to program and to increase, to take care of, to learn and to play. Thought, intelligence and brain merge in a metonymic shift favoured by the resurgence of the myth of artificial intelligence. The sublimation and creative dimension of the high intellectual potential then disappears to become a symptomatic expression. We will illustrate this with a longitudinal study: Tom met at 9, 13 and 19 years old. Keywords: high intellectual potential, human increased, thought, intelligence, prostheses.

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Une alternative à l’injonction de mise à distance des affects : une forme de « professionnalisation clinique » Mej Hilbold Résumé Cet article présente quelques enjeux des processus de professionnalisation dans le secteur de l'accueil de la petite enfance. Prenant appui sur des repères apportés par des travaux de recherche cliniques d'orientation psychanalytique, il propose une discussion de la conception majoritaire de cette professionnalisation, telle que la théorisent les sociologues des professions et telle que la mettent en œuvre les centres de formation en travail social. Des enjeux épistémologiques d'un recours à un cadre théorique aux références « conflictuelles » sont mis en lumière et analysés. Mots clés : professionnalisation, clinique d'orientation psychanalytique, accueil de la petite enfance, place des affects au travail, performativité. Abstract This paper presents some issues for the professionalization process in the nursery and day-care sector. Building on landmarks brought by studies in the clinical approach with a psychoanalytical orientation, the paper offers a critical reading of the predominant conception of the professionalization as it is theorized by sociologists and as it is implemented by training centres for educators and social workers. Epistemologic issues are being highlighted, induced by some « conflictive » references in the theoretical framework. Keywords: professionalization, clinical approach with a psychoanalytical orientation, nursery and day-care sector, affective dimension in work, performativity.

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Revue Cliopsy, n° 21, 2019

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