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Le jean-foutre et la marie-salope Les prénoms dénigrés, dévoyés ou encanaillés du Moyen Âge à nos jours
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En résumé Depuis qu’existent la langue française et les prénoms, la première prend plaisir à débaucher les seconds,, en leur assignant une fonction péjorative : au Moyen Âge, on traitait d’Arnoul le cocu et de Madeleine la pécheresse, tandis que Jean, Guillaume ou Bernard ciblaient le niais, le balourd, le rustaud. Des D mots tels jean-foutre ou mariesalope et des tours comme faire le Jacques gardent trace de ces pratiques anciennes de déconsidération,, régénérées jusqu’à nos jours : Raoul pour un tocard, ocard, Marie-Chantal pour une chochotte, Lolita pour une nymphette, Conchita pour une bonniche, Zébulon pour un agité, Tanguy pour un crampon scotché au foyer, foyer Tatie Danielle pour une vieille teigneuse. teigneuse Ces dévoiements ont investi le domaine de la domesticité, de la drogue, de la prostitution, du proxénétisme, de l’infortune conjugale, conjugale et ils se complaisent dans le registre registr sexuel. Loin de se borner aux personnes, personnes ils ont aussi été associés aux animaux,, voire aux objets : ainsi, de Thomas à Jules, une quinzaine de vertueux noms de baptême sont-ils allés au pot de chambre. Posté au carrefour du folklore et de la déonomastique – l’étude étude des appellatifs tirés de noms propres –,, l’auteur traque ces emplois dénigrants,, ironiques ou canailles, auxquels il a déjà consacré un volume, qu’un critique inspiré qualifia de Dictionnaire amoureux des prénoms mal aimés. Après près un premier supplément, revoici r donc une nouvelle moisson, tant le phénomène observé continue à prospérer : Germaine pour une mégère redoutable ; Karen pour une femme arrogante et vindicative, Natacha pour une fille de l’Est aux charmes monnayés, monnayés Claudine ou Paméla la pour des hôtesses de maisons de passe, etc. Dans cette exploration, humour et anecdotes anecdote se conjuguent, pour l’agrément du lecteur.
Journaliste retraité des Éditions de l’Avenir (Namur),, où il a tenu une chronique de langage, Maurice GILLET collabore auxx publications du Piconrue-Musée Musée de la Grande Ardenne (Bastogne).
D / 2022 / Maurice GILLET, auteur-éditeur maurice.gillet@belgacom.net Reproduction libre pour un usage privé, sous réserve d’indication de la source. Couverture : Couple de paysans au marché, détail d’une estampe d’Albert DÜRER, 1512.
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Avant-propos
Un jean-crétin l’a marie-trintignée
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ÉJÀ POURVOYEURS d’un volume de 500 pages en 2013 et d’un premier supplément en 2016 1, les prénoms péjorés jouent les prolongations dans ces pages : l’ancestral phénomène de déconsidération qui les éreinte s’illustre en effet par des exemples contemporains, tandis que la prospection de leurs devanciers s’est enrichie de nouvelles découvertes.
Au gré des notices, on retrouvera donc quelques vieilles connaissances, tels Jean et Marie, ces poids lourds les plus distribués dans l’Histoire et donc les plus sujets au discrédit. Ils se distingueront dans des exploits additionnels, mais conformes au modèle déjà très juteux de leur aimable tandem (jean-foutre, marie-salope) animant le titre principal de l’étude. Ainsi, Jean des Embuscadins, de fausse noblesse, brocarda logiquement un embusqué pendant la Grande Guerre, et, en 2020, une journaliste de la RTBF, « lasse d’être la cible quotidienne de raids d’avanies sexistes », fustigeait le jean-crétin, un prototype du harceleur. Naguère, dans la Marne, on entendait par jean du cul un minus « dont la taille n’atteint pas la ceinture d’un individu normal », alors qu’en Champagne jean-puna (« pondeur ») allait à l’homme qui « couve », qui se complaît dans des occupations réservées aux femmes. À la marie-baderne, nonchalante et lambine selon un régionalisme de l’ouest de la France, a répondu dans l’est du pays, pour une souillon, la marie-trou.llon (trou.ller signifiant « péter »). En 2006, le verbe marietrintigner (« tuer sa compagne ») a surgi dans Saint-Valentin (« Ferme ta gueule ou tu vas t’faire marietrintigner ! »), une chanson d’Orelsan. Pour ce néologisme, désormais établi dans le Wiktionnaire, le rappeur eut à répondre en justice d’injures publiques et de provocation à la violence, lui qui s’était inspiré de la fin tragique de Marie Trintignant, cette comédienne tuée en 2003, lors d’une dispute en Lituanie, par Bertrand Cantat, du groupe Noir Désir 2.
Pleutre et pignouf Les lecteurs savent avec quel empressement un prénom dévoyé a pu servir à qualifier un benêt, un empoté. Avec quelques compères, Pierrot en offrira un témoignage complémentaire : les Angevins de l’avant-dernier siècle recouraient à lui pour « un pleutre, un paltoquet, un pignouf et un plat-cul ». Distraits à leur tour de leur fonction naturelle, exclusive et honorable, d’identification d’une personne, d’autres prénoms ont désigné des objets : alphonsine pour un instrument de chirurgie ; augustine pour une chaufferette ; papa Emmanuel pour une grosse bouteille carrée en verre (à Marseille) ; le talon Louis, pour un type de chaussure qui rehaussa le Roi-Soleil ; le Louis Caisse, cher à l’abbé Pierre, pour un mobilier rudimentaire fait de cageots empilés, mais dont la consonance renvoie au style Louis XVI ; Jeanne pour la bûche, assimilée à un être vivant qui geint dans la cheminée (Pauvre Jeanne ; chez Mistral Janot-pauro). Mais voici la zoologie populaire, avec le beau grégory, poisson jaune des récifs coraliens ; la marianne, moucheron dans le Loir-et-Cher ; Sophie, dénomination traditionnelle des juments et des vaches par les fermiers des Flandres françaises avant 1914. Veut-on des végétaux ? Le haricot de Jésus, légumineuse 1
Le jean-foutre et la marie-salope – Les prénoms dénigrés, dévoyés ou encanaillés du Moyen Âge à nos jours. Ce dictionnaire et son supplément sont accessibles dans leur intégralité, et téléchargeables gratuitement, sur le site ABC de la langue française qui leur consacre une page de commentaires (trop) élogieux (lien : languefrancaise.net/Argot/Gillet2013). On peut aussi y accéder via la bibliothèque numérique d’archive.org (taper jean-foutre dans le moteur de recherches) ou via lexilogos.com (onglet Prénoms). 2 Cette affaire s’érigea en symbole du féminicide, terme qui n’entra cependant au Petit Robert qu’en 2015, avant d’être élu mot de l’année 2019 par les internautes.
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autrefois recherchée sur les marchés du Midi atlantique, partage son appellation vernaculaire, mais non sa saveur, avec un arbuste aux fèves toxiques, gorgées de strychnine. Au rayon des patates, les pommes Anna, recette simplissime imaginée en 1870 par une vedette des fourneaux, font mémoire d’une cocotte de luxe, courtisane mondaine, madone des salons parisiens. Et, dans le créole des Antilles françaises, le (trou du) cul de Madame Jacques identifie familièrement un piment, le plus puissant au monde.
Germaine, Dago et Karen Du créole, certes, mais aussi du wallon, du picard, du bourguignon, du franc-comtois, du francoprovençal, de l’occitan, et un soupçon de français périphérique et d’emprunts. Au Québec, une Germaine (pour « mégère ») est bien plus redoutable qu’ailleurs (« Elle tient son homme par les couilles »), et faire des lulus (d’après Luce) c’est se tresser des couettes. En Côte d’Ivoire, d’après le héros rustique d’une BD, un dago est un péquenaud, et le kouadio, du nom d’un agent payeur, une allocation pour étudiants (couper le kouadio revient à les priver de bourse). En 2020, Karen (d’une variante scandinave de Catherine, elle-même déjà bien esquintée par ses diminutifs, de Catin à Catoche) a pris aux États-Unis la valeur d’une injure accablant « la femme blanche d’âge moyen, arrogante, vindicative, nouvelle incarnation du racisme ordinaire », et cet usage de l’argot anglophone s’est promptement transmis aux francophones – dont certains venaient à peine d’adouber Pimprenelle pour le même emploi – au point de figurer, en Belgique, parmi les « nouveaux mots de l’année 3 ». Kevin aura encaissé une péjoration semblable : associé à l’inculture, au manque de goût et à la marginalité dès 1998 par le Harrap’s slang, il est vite devenu en France « un prénom de beauf, véritable marqueur social des années ‘‘boys band’’ ». Ses scores trahiront bientôt sa déconfiture : si, entre 1989 et 1994, il squattait les sommets du palmarès français, avec, en 1991, un record de 14 087 naissances (près de 40 par jour), il dégringolera à moins de deux pour toute l’année 2010 !
Tatie Danielle et le cri Wilhelm Au XIXe siècle, le parler enfantin a appliqué des prénoms aux jeux, dont la culbute (le cumulet des Belges), appelée régionalement la marie-haut ou le cul-mariau, et c’est de (cul de) Pierrette que proviennent d’autres vocables dialectaux pour ce même exercice (cupèrète, cudpèrète ; faire une cudpèrète, tête en bas). Un brin de cinéma ? Un Tanguy, on le sait, est un célibataire prolongé, scotché au foyer de ses parents, depuis le film éponyme de 2001. Son réalisateur, Étienne Chatiliez, nous a de surcroît pourvus, d’après un autre de ses titres en 1990, de la Tatie Danielle, « vieille femme méchante et odieuse » (« Une Tatie Danielle de 83 ans rayait les véhicules de ses voisins et crevait leurs pneus », Le Dauphiné, 15 décembre 2017). Des studios d’Hollywood, s’échappe le cri Wilhelm, hurlement capturé en 1951, puis conservé dans les archives et régulièrement réintroduit à l’identique dans des productions ultérieures dès qu’il s’agit de sonoriser le cri poussé par la victime d’une chute, d’une défenestration, d’un meurtre, d’une bagarre, d’une explosion, etc.
Natacha, Claudine et Paméla Jamais chiche en féminins écharpés, la prostitution alignera de nouvelles recrues, dont, depuis la fin du XXe siècle, Natacha (la cousine slave de Nathalie) : étiquette passe-partout, marque d’origine, pour les filles d’Europe de l’Est, exerçant en France et ailleurs, souvent sous la coupe de structures mafieuses. On notera qu’en Wallonie, depuis la Fête aux langues 2018, le mot natacha équivaut avantageusement à « hôtesse de l’air », d’après le personnage fétiche du dessinateur liégeois François Walthéry. À l’âge d’or des maisons de passe en France, la jeune professionnelle « d’apparence sage, mais un brin perverse » était une Claudine, à l’instar de son homonyme de la série à scandale due à la romancière Colette. Visionnaires, d’autres pensionnaires de ces lieux feutrés se choisissaient volontiers, à cette
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Top 10 établi d’après les votes recueillis par Le Soir et la RTBF.
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époque, le pseudonyme de Paméla, alors même que ce prénom n’avait pas encore pointé le bout du nez dans les états civils. En général, le domaine du sexe s’avère toujours très fécond. Déjà au XIe siècle, Golias, graphie médiévale pour un évêque légendaire, héritier mythique du géant philistin, était un substitut grivois baptisant le sexe féminin. Au XVIIe, le cheval d’Hector, fleurant l’antique, se disait pour une position amoureuse, un chevauchement à dos tourné. Plus près de nous, plusieurs noms de saints seront pervertis dans des locutions : avoir le manche en bois de Saint-Claude pour « être vigoureux, en érection » (d’après la ville du Jura productrice de bois très solides) ; faire des prières à saint Claude pour « pratiquer une fellation » (ladite cité étant la capitale de la pipe – la bouffarde – et la partenaire s’agenouillant pour en tailler une à sa façon) ; s’être brûlée au cierge de saint Pierre pour « tomber enceinte après un rapport furtif » (la brûlure provoque des cloques, met encloque) ; une vraie laiterie Saint-Hubert pour « une poitrine généreuse » (d’après l’enseigne d’une laiterie réputée, fondée en 1904 à Nancy) 4.
Encanaillés par destination On entend d’ici les petits vicieux jubiler Merci Jacquie et Michel !, un slogan qu’ânonnent, en réponse à la question Merci qui ?, les actrices présumées ravies lors des tournages de vidéos pornographiques diffusées sur Internet : ces deux prénoms, nécessairement encanaillés, sont ceux des fondateurs français de l’entreprise en 1999, mais, sortie de son cadre, la devise jouissive 5 s’est répandue dans les conversations, même non polissonnes, et a essaimé dans les milieux du sport et de la publicité. Heureusement, il n’y a pas que le sexe dans les expressions. Voyez, notamment dans le sud de la France, Monsieur Donat est mort, humble calembour convoquant un prénom suranné, pour annoncer qu’on ne donne plus : les candidats au crédit repartiront les mains vides. Mieux encore avec faire Guillaume (« improviser une chaîne humaine pour acheminer des matériaux ou des outils ») : ce tour emblématique de l’entraide fraternelle, entretenu par les maçons, serait une réminiscence des deux comtes Guillaume qui, au XIe siècle, pactisèrent pour combattre les envahisseurs sarrasins. Quant à la formule euphémique oraison de saint Pierre, elle appartient au vertueux jargon des dignitaires de l’Église lorsque, sous couvert de recueillement ou de profonde méditation, ils s’accordent une sieste pendant une cérémonie ou un discours interminable, même en présence du Saint-Père…
En libre partage Au moment de clore ce préambule, de chaleureux remerciements seront à nouveau adressés aux éminents spécialistes de la langue qui, depuis 2012, ont suivi les aventures du Jean-foutre et de sa commère la marie-salope. Leurs gratifiantes réactions à cette enquête de longue haleine (coup d’envoi en 1997), menée dans un domaine jusque-là aussi fertile que peu labouré, ont été propices à la poursuite des recherches, à l’entretien d’une banque de données et à la rédaction de nouveaux développements. Vive reconnaissance donc à Michel Francard, professeur émérite de linguistique française à l’Université catholique de Louvain, dont il fut le vice-recteur ; à un autre ancien professeur de l’UCL, Jean Germain, expert en onomastique et en dialectologie ; au médiéviste Jacques E. Merceron, professeur émérite de littérature française à Indiana University (Bloomington, USA) 6. En découvrant nos travaux sur la Toile, d’autres scientifiques, à qui ira également une gratitude réitérée, se sont aussi spontanément manifestés. C’est ainsi le cas de Vincent Balnat, de l’Université de Strasbourg, dès le premier d’une série de courriels, le 2 mai 2015 : « Un immense bravo pour votre bel ouvrage sur les prénoms encanaillés. Je travaille depuis plus de deux ans sur les noms communs issus de prénoms en allemand et 4
La linguiste Agnès PIERRON ne s’est pas fait faute de rapporter ces fourvoiements en 2015 dans son Bouquin des mots du sexe (Cote bibliographique MSAP). 5 Forcément connue des cinq millions de visiteurs uniques mensuels du site selon Médiamétrie, chiffre qui passe à douze millions selon le site lui-même (statistiques de 2015). 6 Depuis 2002, il nous honore de son amitié, et, en 2007, il a préfacé notre étude sur les parodies dialectales du latin ecclésiastique (Li Latin sins dîre Âmèn’, Éd. du Piconrue-Musée de la Grande Ardenne, Bastogne).
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en français et j’ai dépouillé nombre de dictionnaires sur le sujet. Le vôtre est sans conteste le plus riche de tous et le plus amusant à lire. » Son enthousiasme se concrétisera dans la savante étude qui, en 2017, lui valut, pour la linguistique allemande, et après un doctorat (2008), la qualification HDR 7: au fil des pages de son imposant volume de déonomastique comparée (L’appellativation du prénom – Étude contrastive allemandfrançais 8), notre propre ouvrage, en dépit de sa confection plutôt artisanale, se flatte d’être cité près de trois cents fois pour le domaine français. Dans sa somme que parcourra le lecteur érudit, Vincent Balnat analyse les mécanismes, témoins de leur temps, qui ont permis à certains prénoms, déconsidérés ou non, de s’établir dans les langues allemande et française, du XIIe siècle à nos jours. La péjoration demeure l’une de leurs clés d’accès privilégiées aux manières de dire, de part et d’autre du Rhin, qu’enjambent pour la circonstance quantité de passerelles. D’autres échos flatteurs nous sont parvenus de lecteurs dont le français n’est pas la langue maternelle, mais qui le maîtrisent parfaitement, telle, le 4 septembre 2021, Iryna Bozhko, philologue et maîtresse 9 de conférences à l’Université d’État de Soumy, dans le nord-est de l’Ukraine : « Je voudrais vous remercier pour cet excellent dictionnaire que vous avez créé. Pour moi, c’est une source d’information très importante. » Enfin, parmi nos correspondants lointains encore, le tout-venant des lecteurs curieux, heureux d’avoir déniché sur le Web le fruit, gracieusement offert, d’une étude qui leur parle et leur plaît : « Merci de votre générosité : le libre partage d’un travail colossal, époustouflant, est bien rare de nos jours, et d’autant plus admirable », écrivait, le 15 juin 2016, Stanko Josimov, de Montréal. Ce cadre et graphiste d’Héma-Québec 10, dont il conçoit les affiches, se double dans le privé d’un virtuose de la reliure ; aussi nous a-t-il demandé l’autorisation, accordée, d’imprimer et de relier un exemplaire du fichier, opération dont il nous communiqua ensuite une séquence d’images. C’est dire combien, en circulant un peu partout à la faveur d’Internet, de l’Europe orientale à la Belle Province, le Jean-foutre bénéficie de la vie publique qu’on lui souhaitait. Tel est même, hors de toute considération commerciale, l’un des arguments opposés à la maison d’édition qui nous invitait à une rencontre en vue de réaliser une version papier 11. Outre que les dictionnaires et encyclopédies s’accommodent de plus en plus mal du papier 12, une large frange du public potentiel (y compris l’éditeur) était déjà approvisionnée par le numérique. Un livre de facture classique aurait-il aussi facilement circulé à l’étranger ? Au surplus, pour se glisser dans une collection, il fallait tailler dans des notices qui avaient requis tant d’années de labeur soutenu : automutilation impossible ! On pardonnera la prétention ou l’immodestie de ce plaidoyer pro domo, qui fait office de bandeau publicitaire un rien longuet. Après tout, le gai savoir ne vaut que s’il se propage, plus encore s’il divertit en traitant d’un sujet aussi universel que le prénom : tout le monde en porte un, et il n’est jamais vain de s’informer sur les dérives langagières de cet attribut de l’intimité, de ce « bien gratuit mais obligatoire 13 ».
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Pour Habilitation à diriger des recherches. Il s’agit du diplôme le plus élevé attribué en France.
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Publiée en 2018 à Tübingen (Allemagne) par l’éditeur scientifique Narr Francke Attempto, cette étude, dont Google-Books donne un aperçu, est notamment disponible sur Amazon. 9
Maîtresse de conférences est conforme à la féminisation des noms de métiers et fonctions, même si, en raison de la connotation du premier mot, plusieurs titulaires françaises de ce titre le récusent et s’en tiennent au masculin. Dans son message, Iryna Bozhko cherchait à savoir si des (pré) noms, surnoms ou sobriquets connotatifs étaient dévolus à des policiers, à l’instar du Bobby de Londres ou de l’Inspecteur Petrenko chez les Ukrainiens eux-mêmes, qui appellent de la sorte un fonctionnaire de police d’intelligence moyenne, pour le ridiculiser, le modèle étant apparu dans une émission de télévision. 10
Cet organisme, qui collecte et distribue aux hôpitaux du sang, du plasma et des tissus humains, a remplacé en 1998 la Société canadienne de la Croix-Rouge, mise à mal par l’affaire du sang contaminé. 11 « Votre travail de documentation nous a fortement impressionnés. Avez-vous envisagé l’édition papier de votre livre ? » (courriel du 17 août 2017). 12 Par exemple, l’Universalis a abandonné sa diffusion papier en 2012 ; le Quid a disparu dès 2007. 13 «
Le prénom présente deux caractéristiques particulièrement intéressantes : c’est un bien gratuit et dont la consommation est obligatoire » (Philippe BESNARD, Pour une étude empirique du phénomène de mode dans la consommation des biens symboliques : le cas des prénoms, Archives européennes de sociologie, 1979).
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A ADOLPHE mille, a calculé le sociologue Baptiste Coulmont (2014). Avec un pic en 1859, c’est le XIXe siècle qui aura été le plus fécond. Deux exemples belges typiques, qui ne diffèrent que par l’initiale de leur nom de famille : le Dinantais Adophe Sax (1814-1894), père du saxophone, et Adolphe Max (1869-1939), bourgmestre de Bruxelles. Selon Enckell (Répertoire des prénoms familiers, 2000), Adolphe ne fut pas en panne de diminutifs dans la littérature ou le théâtre de l’époque : Dodo, Dodofe, Dodoffe, Dodolphe, voire Finfin (via Adolphin). Jouée en 2010 et adaptée à l’écran en 2012, la célèbre pièce Le prénom, de Matthieu Delaporte et Alexandre de la Patellière, fonde son ressort sur l’annonce du choix (fictif) d’Adolphe pour un bébé et sur les réactions d’un entourage, qui, révolté et survolté, dénonce la transgression d’un tabou. (BCSP, REPF) Outre-Rhin, l’abréviatif Adi fut porté par l’entrepreneur bavarois Dassler (1900-1978) qui, en le combinant avec les premières lettres de son patronyme, baptisa la société de vêtements de sport fondée par ses soins en 1948 et mondialement connue : Adidas.
Adolf. Sans mystère, ce prénom qualifie un individu au comportement dictatorial et/ou raciste, tandis que l’expression faire son Adolf correspond à « jouer au petit chef ». Ces emplois, qu’on pourrait croire productifs, sont occasionnels, mais moins sporadiques que leurs équivalents en langue allemande. Les exemples glanés de 2013 à 2015 par Balnat (2017) émanent surtout de forums de jeux : « Après tout, ça n’est pas une croix gammée [dans un jeu vidéo] qui va nous transformer en petits adolfs » ; « Ce type est un vrai adolf, il aime faire du mal […], il doit vraiment avoir un grain » ; « Je me croirais en Allemagne, là, on est en démocratie, alors stop faire [sic] ton Adolf » ; « Nous sommes bien endoctrinés ! Vous l’êtes aussi ? / Êtes-vous de bons petits Nazis ? / Êtes-vous de bons petits Adolf ? ». (BAPC) On devine pourquoi, en vertu de l’intérêt de l’enfant, aucun Adolf n’a vu le jour en France depuis 1945. Jusque-là, le siècle écoulé n’en avait réuni qu’une trentaine, les neuf derniers pendant la seconde guerre (six en 1941, trois en 1944). Cette rareté n’empêche pas les sites spécialisés de recenser ce prénom, en lui affectant un profil psychologique peu despotique : « diplomatie, bonté, réceptivité, loyauté, sociabilité », synthétise ainsi l’un d’eux. Même en Allemagne, « Adolf a entamé une décroissance marquée dès l’entrée en guerre », écrit Thomas Weber (La première guerre d’Hitler, Perrin, 2012), en concédant : « Ce n’est pas là un indice capable de mesurer le soutien à Hitler en pourcentage absolu, mais il reflète assez fidèlement les fluctuations de l’opinion. » En 1934, à Munich, Adolf avait encore été attribué à un garçon sur quarante, mais, dès 1936 déjà, il avait quitté le Top 10 des masculins. (BCSP) Contrairement à un préjugé, Adolphe, la version française, n’est pas banni par l’état civil, mais ses scores dégringolent depuis 1940 : moins de cent dévolutions en 1941, moins de cinq en 1990, et six à peine pour toute la période 2000-2010. Autour de 1900, son capital était plutôt flatteur : six cents naissances par an, soit trois garçons sur
ALBERT On a dit pis que pendre de la cuisine anglaise, mais une de ses sauces pour viandes bouillies ou pièces de bœuf braisées s’offre les honneurs du Grand Larousse gastronomique : la sauce Albert, dont le dédicataire fut le prince consort Albert de Saxe-Cobourg-Gotha (1819-1861), époux de la reine Victoria. On la prépare à partir d’un consommé blanc relevé de raifort râpé, lié à de la mie de pain, puis additionné de crème fraîche et de jaunes d’œufs. Le piquant final est apporté par de la moutarde allongée de vinaigre ou de jus de citron. Elle est servie chaude. (GLGQ) ALI Le sexe féminin, « considéré comme une grotte recélant des trésors de jouissance », a quelquefois été baptisé caverne d’Ali Baba, en référence au héros des Mille et Une Nuits, dans l’épisode des Quarante voleurs. De Françoise Rey (La 9
Gourgandine, 2002) : « J’ai pour moi seule la caverne magique d’Ali Baba, je connais le sésame, et tous les soirs à présent je me pare de ses joyaux, je me séduis, je m’emmène en voyage et je me fais jouir. » (MSAP)
les débarrasser des projectiles qui s’y logeaient. Il imagina ainsi ce qu’on appela un tire-balles, formé de trois branches élastiques maintenues dans un cylindre. En jouant sur elles, on facilitait l’extraction des corps étrangers. Sa trouvaille aurait même fait de lui l’inspirateur du brisepierre, lequel permettra par la suite le retrait de calculs vésicaux ou biliaires. Mais tous les praticiens n’ont pas applaudi à son alphonsine : « (L’instrument) n’a sans doute jamais été employé que par son inventeur », commentera, non sans perfidie, le médecin-major (de première classe) Edmond Delorme dans son Traité de chirurgie de guerre (1888). « (Ce dispositif) était trop lourd et trop volumineux pour avoir jamais pu être utilisé sans une dilatation préalable et très étendue de la plaie », analysait-il. Que sont les tables alphonsines ? Des tables astronomiques dressées au XIIIe siècle par ordre d’Alphonse X de Castille ? De petites tribunes symétriques, à l’entrée du chœur, pour la lecture des Évangiles ? Des pastilles calmantes fabriquées par les moines de Saint-Alphonse ? Des franges d’or ornant le costume des matadors ? Telle était l’une des 152 devinettes jalonnant en 1988 le Jeu du dictionnaire de Gérard Gréverand (Jean-Jacques Pauvert et Cie). La bonne proposition était la première : en 1252, Alphonse, roi de Castille, demanda aux savants les plus renommés d’établir des tables astronomiques, destinées à remplacer celles dressées par Ptolémée onze cents ans plus tôt. Divisant l’année en 365 jours, 5 heures, 49 minutes et 16 secondes, elles ne divergeaient que de 26 secondes des meilleures déterminations modernes. En permettant aux navigateurs de faire le point avec précision, elles allaient contribuer à l’essor des grandes explorations. Ces tables coûtèrent 40 000 ducats au souverain, qui aimait à répéter, avec un solide toupet : « Si Dieu m’avait consulté lorsqu’Il créa l’univers, les choses eussent été dans un ordre meilleur et plus simple. » (DICL)
ALICE Réputée pour son parmesan et son jambon, la ville italienne de Parme l’est aussi pour ses anchois, un poisson qui, rapporte la version française du site madeinparma, s’appelle là-bas acciuga ou alice : « L’anchois (ou Alice), une excellence de Parma, un produit qui s’est imposé en un endroit qui n’a pas de mer », titre la page décrivant cette spécialité. Alice a cours aussi dans la région de Naples et en Sicile. D’origine germanique, le prénom, lui, est bien sûr sans rapport avec le poisson, baignant dans le latin hallex, qui désignait l’anchois en saumure. ALPHONSE En déshérence sans être ancien (après 1860), le sens dépréciatif d’Alphonse (« souteneur »), d’Alphonsine (« prostituée à son service ») et d’alphonsisme (« proxénétisme », 1882) a dû échapper aux deux ingénieurs français qui, en 2016, ont lancé le site Les talents d’Alphonse, où les deux prénoms, le masculin et le féminin, désignent un senior transmettant son savoir aux jeunes générations. « Alphonse et Alphonsine sont de vrais passionnés. Ambiance chaleureuse et déjantée garantie ! », annoncent les concepteurs en invitant les internautes à éveiller leurs talents aux côtés des plus expérimentés, « retraités dynamiques et passionnés ». L’intervention d’un Alphonse est tarifée : quinze euros de l’heure, quelle que soit la spécialité (couture, jardinage, bricolage, musique, photo). L’initiative des fondateurs a notamment été relayée par Rue 89 (20 juillet 2016) sous le titre sarcastique Ils ont créé une application pour ceux qui se font chier pendant la retraite. Fonce, Alphonse ! Alphonsine. Cet appareil médical sorti d’usage, le Grand Larousse universel du XIXe siècle et le Dictionnaire de Bescherelle l’ont hébergé sous l’entrée Alphonsin, tandis qu’à la même époque (1860), le Nouveau manuel complet du fabricant d’instruments de chirurgie lui offrait une seconde graphie, féminine : l’alphonsine. Étymologie limpide : son inventeur, en 1552, était le chirurgien Alphonse Ferri, qui la baptisa de son prénom. Ce Napolitain, futur médecin du pape Paul III, fut le premier de sa corporation à publier une étude sur les blessures de guerre, en particulier les lésions par armes à feu, et à chercher des méthodes moins empiriques pour
ANACLET Ce prénom, dont les trois plus récents titulaires français sont nés en 1996 (contre dix en 1901), distinguait généralement des esclaves dans l’Antiquité grecque, mais pas toujours en mauvaise part, puisqu’il signifie « irréprochable », ce qui est un compliment pour un serviteur. Son diminutif, Clet, était cité naguère au canon de la messe, entre Lin et Clément. Avec eux, ce Clet († 91 ?), peut-être un esclave affranchi, fut en effet un des premiers pontifes, à tout le moins un des premiers évêques de Rome : le titre de 10
pape n’apparut que tardivement, après qu’un érudit, vers 180, se fit fort de reconstituer la liste des successeurs directs de saint Pierre. En fait, se désole Bernard Lecomte (Dictionnaire amoureux des papes), on ne sait rien de ces premiers chefs de l’Église, pourtant tous considérés comme saints car présumés martyrs. (BLDP)
Elles sont « la preuve grandiose des possibilités de la simplicité en cuisine », applaudit en effet Jean Baudet dans ses Petites histoires de la cuisine à raconter la bouche pleine (Jourdan Édition, 2019). Deux ingrédients seulement : des pommes de terre et du beurre. Dans un moule allant au four, on dispose de fines rondelles des premières, entrecroisées en couches minces et séparées par des noisettes de beurre clarifié. Moelleux à l’intérieur, croustillant à l’extérieur, ce plat aux allures de gâteau accompagne à merveille les viandes rouges. Il a été conçu en 1870 au Café anglais, boulevard des Italiens à Paris, un établissement disparu en 1913, mais qui, avec ses vingt-deux salons et cabinets particuliers, était au siècle précédent un lieu de rendez-vous fort couru par une société huppée. Les personnalités y trouvaient de charmantes compagnies, surtout dans l’un des salons, le Grand Seize, un des points de chute favoris d’Anna Deslions (1820-1873). C’est à cette courtisane de haut vol que le chef cuisinier du lieu, le célèbre Adolphe Dugléré, dédia sa recette, devenue un classique. Née dans un milieu très modeste, et employée jusqu’à ses seize ans dans une maison de passe, cette riche nature, que l’on surnommera « la lionne des boulevards », fit tourner bien des têtes, dont celle, déjà très mobile, du prince Napoléon, de deux ans son cadet, ce qui lui vaudra aussi le sobriquet de Princesse. Les frères Goncourt l’ont ainsi décrite (Journal, 8 juin 1857) : « Des cheveux noirs opulents, magnifiques, des yeux de velours avec un regard qui est comme une chaude caresse, le nez un peu en chair, la bouche aux lèvres un rien entrouvertes, une superbe tête d’adolescent italien, éclairée de la coloration dorée de Rembrandt en ses têtes juives ». D’autres admirateurs ont vanté « ses seins impertinents par leur fierté, ses épaules tombantes, sa chair de rose et de lait », mais les raffinés « jugeaient peuple son langage, son allure » (Alain Decaux, L’Empire, l’amour, l’argent, Librairie Académique Perrin, 1982). Elle fut l’une des trois ou quatre femmes les plus en vogue à Paris, et elle servit de modèle à Émile Zola pour son roman Nana. Elle mourut, ruinée, misérable et solitaire, dans son logement de la rue Taitbout, à un jet de tubercule du luxueux Café anglais qui avait naguère fait sa gloire. Nancy prend la tête d’un sémillant peloton où lui succèdent, dans l’ordre, Yvonne, Louella, Olivia et Nina. En isolant l’initiale de chacune pour une mise bout à bout, qu’obtient-on ? Le terme nylon, ainsi imaginé d’après les prénoms des cinq jeunes femmes, épouses (ou secrétaires)
ANNE Pour veiller sur les célibataires prolongées, celles qui coiffent sainte Catherine, sainte Anne fut jadis enrôlée à son tour, à travers l’expression wallonne, appliquée à une vieille fille, Èlle è-st-è l’årmå d’ sinte Ane (« Elle est dans l’armoire de sainte Anne »), qu’un article des Enquêtes du musée de la Vie wallonne (1996, p. 119) glosait ainsi : « Être ou rester dans l’armoire de sainte Anne, c’est rester repliée sur son sexe, comme la sainte, qui demeura si longtemps stérile. Cependant une autre suggestion a été proposée. L’armoire de sainte Anne s’expliquerait par la Bible : selon la tradition catholique, Anne est la mère de la Vierge, qu’elle eut alors qu’elle était déjà très âgée ; c’est pourquoi elle est devenue la patronne des femmes enceintes. » Par ailleurs, Sinte Ane a Diu ! (« Sainte Anne à Dieu ! ») est renseigné par Stasse (2004) comme ancien « jurement de femme ». Ana. « Je m’appelle Ana, mais les médecins m’appellent anorexie mentale » : ainsi s’ouvre la première Lettre d’Ana, où, par abréviation, ce féminin est l’homonyme, et même le synonyme, de l’anglais anorexia – de la même façon que mia raccourcit parfois boulimia. Prônant l’anorexie comme mode de vie, le mouvement Pro-ana a défrayé la chronique depuis les années 2000 par sa recherche de nouvelles recrues, jeunes filles fragiles qu’il convainc de ne pas se considérer comme malades. Moins répandu qu’Anna, qui dépassa souvent les deux mille attributions annuelles dans la France du XXe siècle, le prénom à consonne unique est lui-même un palindrome (il se lit de gauche à droite comme de droite à gauche). Il a rejoint en 2017 le Top 10 au Portugal et en Slovénie, tandis qu’il a franchi par deux fois, en 1974 et en 2009, le cap des trois cents dévolutions dans l’Hexagone. Les météorologues le tiennent pour courant : ils ont baptisé Ana la tempête qui toucha l’Europe en décembre 2017. L’expérience a montré en effet que si l’on personnalise par un nom familier un phénomène de ce type, la population est plus réceptive aux mises en garde. (BEHI) Anna. Issues du prénom d’une cocotte vedette du demi-monde, les pommes Anna ont la patate. 11
des chimistes qui, en 1937, dans un laboratoire du Delaware, découvrirent cette fibre synthétique. Dans 2 500 noms propres devenus communs (Avant-Propos, 2012), Georges Lebouc ironise sur cette origine supposée : « La dérivation la plus loufoque, jaillie du cerveau d’un étymologiste imaginatif, est celle de (ces) cinq prénoms féminins, pas moins !, qui auraient servi, par procédé acronymique, à constituer le mot. Se non è vero… » Pourtant, il s’est trouvé de grands formats de l’étymologie, dont le linguiste Albert Dauzat († 1955), pour souscrire à cette filiation, que reproduisait aussi naguère le Quid. D’autres explications, reprises par Lebouc, ont été avancées pour ce textile : une synthèse des vocables vinyl, coton ou rayon ; la contraction de New York et London (NY-Lon) ; un choix du personnel de la société Dupont de Nemours, sur la base de syllabes aléatoires sorties d’un ordinateur ; une altération de « no run » (ne file pas) ; des acronymes à nouveau, mais guerriers, ceux de « Now you lose, old Nippon! » (Maintenant vous perdez, vieux Japonais !) ou de « Now you’re lost old Nippon ! » (Maintenant vous êtes perdus, vieux japonais !), trouvailles, tardives et apocryphes, de soldats américains dont la toile des parachutes était confectionnée avec la nouvelle fibre. Celle-ci, au surplus, mettait à mal chez l’ennemi l’industrie traditionnelle de la soie.
d’esprit », « imbécile », « nigaud », s’ajouteront ceux de « maladroit(e) » pris autrefois par les dérivés tougne, tougnau et tougno ; de « femme difforme, stupide, grossière » pour togno (dans le Gard) ; de « gros benêt » pour tougnas et tougnasse (Dordogne). Toni s’est par ailleurs banalisé, jusqu’à se confondre avec un collectif impersonnel, voisin de « on », de « tout le monde » ou de « nous » : « Deman es dimenche, Tòni balara » en est un exemple en 1879 chez Mistral (« Demain dimanche, nous nous réjouirons »). (GCPP, GCPP) ARNAUD La locution régionale conte de Maître Arnaud s’applique à des sornettes, des billevesées, bref des carabistouilles comme on dit en Belgique. Elle peut recouvrir une niaiserie, une histoire à dormir debout, un conte de fées, ou un simple mensonge utilitaire : « À ses parents qui tergiversaient, il débita un conte de Maître Arnaud : il irait chez son parrain, un fieffé avare, vert comme une queue d’oignon (André Dégioanni, Chroniques du pays provençal, La Poterne, 1985). Un dicton garantit qu’il est loisible de forcer sur les calembredaines : « Mèstre Arnaud » y ouvre en effet rime à « quaranto à la panau » (quarante au double décalitre). Le personnage de référence est le même que celui animant le tour onguent de Maître Arnaud, qualifiant un remède « que fai ni bèn ni mau » (qui ne fait ni bien ni mal), voire, plus généralement, « un expédient inutile que l’on propose dans quelque affaire que ce soit ». Une tradition assimile cette figure proverbiale, non pas à un charlatan, mais à un authentique érudit provençal, Arnaud de Villeneuve (1238-1313). Ce médecin et savant fut l’un des tout premiers professeurs de médecine à l’université de Montpellier (fondée en 1289) et il rédigea plusieurs traités de pharmacologie. On lui a même attribué la découverte de l’alcool et la recette de la pierre philosophale. Dans ses Quatre vérités de Mestre Arnaud (Cheminements, Grasse, 1980), René Bruni le décrit au surplus comme un « grand guérisseur des âmes ». Il le fait naître en « l’an pèbre », expression de Marseille correspondant à « en des temps très reculés », mais qui remonte en fait au milieu du XIXe siècle, lorsqu’une épidémie de pébrine dévasta les élevages de vers à soie, nombreux autour de la ville. (GCPP)
ANTOINE Selon Le Bouquin des mots du sexe (2015), la locution tentation de saint Antoine a parfois défini les exigences sexuelles. Ainsi dans une des Lettres à Lou de Guillaume Apollinaire (1914) : « Si tu savais comme j’ai envie de faire l’amour, c’est inimaginable. C’est à chaque instant la tentation de saint Antoine, tes totos chéris, ton cul splendide, tes poils, ton trou de balle… » La comparaison, hardie, se justifie par les tentations auxquelles le démon soumettait le saint ermite du désert, et sans doute aussi par le cochon que l’iconographie a associé à ce fondateur du monachisme. Depuis 1850 environ, cochon peut en effet signifier « indécent, obscène » (des histoires cochonnes). (MSAP) Toni. Galtier (1983) renseigne trois formulettes accablant Tòni, dont « Tòni, Barbantoni / Lou rèi di couioun », soit « Antoine, Barbantoine / Le roi des couillons ». Pour le Dictionnaire étymologique de la langue d’oc, les mécomptes ainsi encourus par cet Antoine occitan sont imputables, selon le phénomène classique de dépréciation, à l’abondance même de ce nom de baptême. Aux sens, déjà rapportés, de « simple
ARTHUR Jeu de plateau, de rôle ou de console, avec pions, figurines ou avatars… le passe-temps actuel 12
fondé sur la légende arthurienne ne ressemble plus du tout à ce qu’il fut jadis, où, bien davantage qu’une simple expression, jouer au roi Arthur était un mode de vie. S’y adonnaient partout en Occident et dans l’Orient latin, pour de vrai, rois, princes, seigneurs et chevaliers, parfois imités par les milieux moins privilégiés. Il s’agissait là, selon Jacques Le Goff (Héros et merveilles du Moyen Âge, Seuil, 2005), d’ « un authentique fait urbain », une frénésie répandue au moins jusqu’au milieu du XIVe siècle. La réalité historique du roi guerrier et de ses compagnons de la Table ronde coulait bien sûr de source. On cherchait à reconstituer leurs exploits, on faisait corps avec l’image fougueuse qu’ils perpétuaient dans les esprits, on adoptait jusqu’à leurs noms. À ce propos, Michel Pastoureau a mis en lumière la diffusion, très significative à l’époque, des prénoms Arthur, Tristan, Lancelot, Perceval ou encore Gauvain (le porteur d’Excalibur, l’épée magique). Le médiéviste et héraldiste observait à cette occasion qu’un nom de baptême n’est jamais neutre : il est « le premier marqueur social, le premier attribut, le premier emblème ». Bref, se faire appeler Arthur était autrefois un tour très gratifiant, à l’opposé du sens contemporain (« se faire enguirlander »), né dès 1849 d’une dévalorisation du prénom par des chansons de soldats et de son association par l’argot à l’amant d’une femme entretenue. C’est sa noblesse même, séculaire, qui l’avait rendu pléthorique, et donc sujet aux sarcasmes.
1970, les navires polaires ralliant les Terres australes et antarctiques françaises. Quant à l’infortuné Abélard, il a lui-même animé de façon passagère l’expression triviale ne pas se laisser abélarder (« ne pas se laisser casser les couilles », plus élégamment « ne pas se laisser marcher sur les pieds »), ainsi que le tour faire des Abélard (« rendre impuissant ») : « – Héloïse ! J’ai-t-y une gueule à faire des Abélard ! Il y a de quoi couper la chique aux michés ! » (Jean Lorrain, La Maison Philibert, 1904). (MSAP) ATTILA Toujours très populaire chez les Hongrois pour qui le roi des Huns (Ve siècle) fut bien davantage un héros fondateur qu’un chef barbare, ce prénom désigne néanmoins un oiseau très agressif pour sa petite taille, en conformité avec l’image de férocité laissée en Europe occidentale par le conquérant et ses hordes. Vivant exclusivement en Amérique, le belliqueux volatile, passereau de la famille des Tyrannidés, se répartit en sept espèces, dont l’attila à croupion jaune, l’attila à tête grise et l’attila à queue rousse. AUGUSTE Augustine. Littré accueillait l’augustine, « sorte de chaufferette où une lampe à esprit-de-vin donne de la chaleur », sans préciser que c’est Augustine Chambon de Montaux qui la baptisa de son propre prénom en 1815, lorsqu’elle perfectionna ce petit meuble tenant les pieds au chaud. Institutrice de son état, cette Parisienne, à qui l’on doit aussi un traité sur l’éducation des abeilles et un autre sur les avantages de la monarchie (1819), était l’épouse du Dr Nicolas Chambon de Montaux (1748-1826), médecin des armées, auteur d’ouvrages relevant de son art et maire de Paris en 1792-93. À la braise et aux cendres chaudes, l’inventrice avait substitué un quinquet disposé de manière à prévenir le renversement de l’huile en cas de mouvement brusque. L’appareil était économique (moins de 30 centimes pour 15 heures de fonctionnement) et il chauffait en quarante minutes un bain de sable qui ne refroidissait que lentement. (DILC) Une dame de la haute bourgeoisie peut éventuellement répudier la chaufferette, mais qu’offrir à la « stationnaire » plantée au coin de la rue lorsqu’il fait moins six ?, demandait en 1834 le Dictionnaire de la conversation et de la lecture. Lors du dépôt du brevet en 1815, le Mercure de France saluait déjà une grande bienfaitrice, qui poursuivait « le double but d’être utile aux personnes aisées et aux malheureux, en procurant quelques jouissances aux premiers et
ASTROLABE Né en 1116, le fruit des amours tumultueuses d’Héloïse et du théologien Pierre Abélard fut pourvu par sa mère de ce prénom étrange, énigmatique, sibyllin, pour tout dire exclusif. À l’époque, l’astrolabe, littéralement « capteur d’astres », n’était pas encore un instrument de navigation, mais d’astrologie et d’astronomie, le savoir du temps unissant ces deux disciplines, chères au père de l’enfant. Du nom latin de celui-ci, Petrus Abaelardus I, se dégagerait l’Astralabius choisi, les lettres en surplus fournissant, toujours par anagramme, les mots propitiatoires Puer Dei (Fils de Dieu). On peut difficilement aller plus loin dans l’hermétisme. Astrolabe sera l’unique enfant du couple puisque Fulbert, l’oncle d’Héloïse, fera émasculer son géniteur. Et le petit garçon deviendra chanoine, tout comme Fulbert. Avec La Boussole, L’Astrolabe fut un des navires chargés par Louis XIV d’une expédition autour du monde, et ce même nom a baptisé, à partir des années 13
des secours aux autres ». À l’aide de son ingénieuse machine, lisait-on encore, on procure aux malades, outre les avantages d’une veilleuse, les boissons ou les aliments servis au degré convenable, des fumigations et même des linges secs et chauds. L’augustine peut faire office de bassinoire, s’utiliser en voyage et convenir aux hommes sous la forme de pupitre de pieds, de chancelière, etc. En 1852, dans son Dictionnaire des inventions et découvertes anciennes et
modernes, l’abbé Migne parlera au passé de cette invention, pourtant définie comme un « meuble commode, élégant, d’un transport facile, répandant une chaleur égale, n’exhalant aucune odeur ». Encore amplement distribué au début du XXe siècle, le prénom, lui, reprend des couleurs avec de 5 à 20 attributions annuelles en Belgique depuis l’an 2000. On ignore combien d’augustines, religieuses soumises à la règle de saint Augustin, ont recouru aux augustines.
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B BARTHÉLEMY trompé »). Enfin, l’homme qu’une tradition croyait apercevoir dans la lune, en exil pour avoir travaillé le dimanche, était en Provence Bernat ou Matiéu (Mathieu) le fendeur de bois. (GCPP, TDFM) Bernarde. « Prègo, prègo Diéu, bernardo / Autramen seras danado ! » (« Prie, prie Dieu, Bernarde / Sinon tu seras damnée ! ») : tel était en pays d’Oc l’ultimatum adressé par les enfants lorsqu’ils observaient ou capturaient une mante religieuse. Le nom usuel de l’insecte, qui joint ses pattes avant, lui vient de son attitude évoquant la dévotion : on le dirait réfugié dans la prière, d’où, en d’autres lieux, sa désignation populaire par madeleine, en écho à la repentance de la pécheresse de l’Évangile. Ici, c’est sans doute la piété ou le culte de saint Bernard qui lui a valu ses appellations de bernado, bernada, prègo-bernado (Aveyron), outre celle de prègadieu (« prie Dieu »). Mais la mante religieuse a joué sur les deux tableaux, le bénéfique et le funeste. L’étymologiste Jean-Henri Fabre († 1915) a remarqué combien les Provençaux tenaient pour souverains ses nids, une fois appliqués par friction pour guérir engelures et maux de dents. Ils n’oubliaient pas cependant que la bestiole, qui dévore son mâle après l’accouplement, pouvait se faire une alliée du diable, d’où sa qualification diamétralement opposée de prègo-diable (« priediable »), et les comparaisons hypocrite ou sournois comme un prègo-diable, soit comme celui qui invoque Satan ou pactise avec lui. (OCTY, TDFM) A priori banale et vouée au rebut, une autre Bernarde fut cependant « de grand renom » dans le jeu de mail sous Louis XIV. Elle s’octroie tout un chapitre du Nouveau joueur parfait (1797), où Edmond Hoyle raconte comment un certain Bernard, as de ce jeu d’adresse, jeta son dévolu, chez un marchand d’Aix-en-Provence, sur une boule bientôt désignée par son nom. Personne ne voulait de ce projectile rugueux, fait « d’un vilain bois à moitié rougeâtre ». Bernard l’acheta pour quinze sous et en tira des coups fumants. Cette boule, dont le champion éponyme avait pressenti les propriétés en la soupesant, roulait en effet très loin, jusqu’à plus de 450 pas dit-on,
Bartholo. Avec deux autres pièces ultérieures de Beaumarchais, le Barbier de Séville (1775) a introduit dans la langue familière le nom de Figaro, synonyme de « coiffeur ». De façon plus transitoire, l’œuvre a aussi laissé naguère celui de Bartholo, pour « surveillant jaloux, gardien soupçonneux » : « Nos mondaines parisiennes pourront défier ensuite les Bartholo les plus adroits » (Larchey, 1878). Sur scène, Bartholo, vieux médecin, est en effet le tuteur ombrageux de Rosine, qu’il a pour projet d’épouser. Forme abrégée de Barthélemy, Bartholo a surtout circulé en Espagne, Portugal et Italie. (PVLL) Bartolomèi. Dans le patois valaisan, et notamment à Liddes, Bartolomèi fut un des noms plaisants du soleil : « Bartolomèi cha lèivè, cha katsè » (« Barthélemy se lève, se couche »). (GPSR) BENOÎT Le registre érotique, rapporte la linguiste Agnès Pierron (2015), a occasionnellement recouru à l’expression verge saint Benoît pour le pénis, « par allusion aux mœurs supposées débauchées des moines, ainsi qu’à leurs pratiques, par pénitence, de la flagellation ». (MSAP) BERNARD Dans le sud de la France, « Presse, Bernard ! » (Quicho, Bernat !) fut un cri d’encouragement au jeu de l’esquicho-anchoio (presse-anchois), où l’on se serre « les uns contre les autres pour se faire céder une place mutuellement ». Esquicho (esquicher) signifie « comprimer, serrer », tels les anchois ou les sardines dans leur boîte, et s’emploie au figuré dans divers composés (esquicho-figo, esquicho-melero) pour une personne qui entasse et serre son bien, un avare, un lésineur. Galtier (1983) donne par ailleurs la tournure « Bernard aux jambes écartées » (Bernat l’escambarla) pour un individu qui ménage des intérêts contradictoires (la chèvre et le chou), ainsi que la formule « C’est le pauvre Jean Bernard » (Es lou paure Jan Bernat), énoncée au décès d’un « mort d’avoir trop vécu » (Que lou trop viéure a trompa, « qu’une trop longue vie a
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et de façon plus contrôlable que les autres. Elle était homogène, de son pourtour à son centre, tandis que ses concurrentes de l’époque, en dépit d’un poids équivalent, n’offraient pas cet avantage : plus pesantes d’un côté que de l’autre, elles zigzaguaient ou progressaient par bonds. « Avec la Bernarde, je défierais le diable ! », s’extasia l’heureux héritier de cette remarquable sphère, qu’un autre joueur acquit ensuite à prix d’or dans une vente aux enchères (Comment vivaient nos ancêtres, Jean-Louis Beaucarnot, Lattès, 2006). Du Moyen Âge à la Première Guerre, le jeu de mail, ainsi appelé d’après le maillet propulseur, était fort répandu. Inspirateur du golf, du croquet voire du billard, il s’établira en toponymie, où les rues et allées du Mail, et même la Porte Maillot à Paris, gardent trace des lieux où il se disputait.
pu évacuer son sens primitif de « lourd, lourdaud », ni se départir d’un rapprochement avec « brute » ou « abruti ». Il aura fugacement tiré parti du phénomène d’anticomanie surgi à la fin de XVIIIe siècle, qui a propagé un véritable code culturel axé sur l’Antiquité, et dont un exemple sera le port du bonnet phrygien. Ce symbole de l’affranchissement des esclaves frappait déjà la monnaie romaine, émise par Brutus justement, après l’assassinat de César. C’est dans ces circonstances que les femmes, habillées à la romaine, prénomment leurs garçons Brutus, détaille Les mots-clés de la culture (Le Robert, 2005), pour qui « L’omniprésence des références antiques n’aura d’égale que leur rejet après la Terreur ». (MCDC)
BLAISE Une des très rares dénominations humaines de l’escargot est Blaise, Blézou en Bretagne, remarque Claudine Fabre-Vassa dans Le soleil des limaçons (Études rurales, no 87-88, La chasse et la cueillette aujourd’hui, juillet-décembre 1982). Cette désignation lui vient de saint Blaise, l’ermite du carnaval, fêté le 3 février. (MERP)
BUSTER Né d’un sobriquet générique, ce prénom n’a jamais fait recette. Selon Behind the name, son pic aux États-Unis, d’ailleurs très relatif, remonte à 1910, année où son titulaire le plus fameux, Buster Keaton (1895-1966) n’avait pas encore commencé à tourner, donc à le propager. Buster signifie « pote, mec » en anglais (Hi buster !, Salut mon pote ! ; Get lost, buster !, Titre-toi, mec !), mais également « gars remuant ». Lorsqu’il vint au monde, Keaton avait pour petits noms officiels Joseph Frank. C’est vers l’âge d’un an qu’une chute dans les escaliers suivie d’un vol plané lui attira l’exclamation « What a buster ! » (« Quel casse-cou ! »), émise, soit par son père, soit par un ami de celui-ci, le prestidigitateur Harry Houdini (1874-1926), témoin de la scène. Le mot sera inséparable de la vie et de la carrière cinématographique de l’acteur au visage figé, qui deviendra « l’homme qui ne rit jamais », et que les Français baptiseront parfois Frigo en raison de cette impassibilité (Daniel Lacotte, Les surnoms les plus célèbres de l’histoire, Pygmalion, 2010 ; Fabrice Antoine, Dictionnaire français-anglais des mots tronqués, Peeters, Louvain-la-Neuve, 2000). (BEHI)
BRUTUS Le traficotage des toponymes est un des caprices de l’argot : ainsi, au XIXe siècle, Toulabre ou Lontou pour Toulon, Canelle pour Caen, SaintDenaille pour Saint-Denis (1829), voire Turquie pour Touraine (1836). En 1849, il a rebaptisé Brutus, comme le prénom, la Bretagne, au seul motif, croit-on, d’une vague ressemblance morphologique. Pourtant, l’existence d’un Brutus de Bretagne, roi légendaire et éponyme de la Bretagne (ici l’Angleterre), a été entretenue par une mythologie où ont longtemps puisé les historiens du Moyen Âge. La tradition en faisait le petit-fils d’Énée, héros de la guerre de Troie, et l’ancêtre du roi Arthur. (PVLL, SLAR) Bien que très courtisé à la Révolution (meilleure année en France : 1794), le petit nom, lui, n’a pas
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C CATHERINE délivre !) / Je suis morte de faim. Le trait n’est pas joli. / Mais votre cœur touché me dérobe à l’oubli ! / L’art fait douter si j’ai cessé de vivre… » Classique est le phénomène d’attribution de prénoms et dérivés à des animaux, dont les volatiles, de jacquot (pour le geai) à sansonnet (étourneau) en passant par pierrot (piaf) et margot (pie). (GPAS) Catheau, pour « prostituée », se réclamait de Catherine via catin : plutôt que de coiffer sainte Catherine, elle s’était « mariée avec le trottoir », selon Sabine Duhamel (2013). (INJD) Catherinette. « [Le dimanche 14 janvier], les Catherinettes poil à gratter se sont retrouvées à dîner. C’était la première fois qu’elles se revoyaient depuis la parution dans Le Monde du 9 janvier de leur texte polémique » (Nouvel Observateur, 18 janvier 2018.) Ici, le prénom ne vise assurément pas les chastes filles honorant sainte Catherine, mais les cent femmes signataires d’une tribune controversée, titrée Nous défendons une liberté d’importuner, indispensable à la liberté sexuelle. Elles y dénonçaient la fièvre d’envoyer des « porcs » à l’abattoir, manœuvre de délation répandue sur les réseaux sociaux, d’une façon abusive à leur sens, depuis la campagne « Balance ton porc » (octobre 2017), consécutive aux accusations de harcèlement et d’agression, lourdes et réelles celles-là, portées contre le producteur américain Harvey Weinstein. « Si le viol est un crime, la drague insistante ou maladroite n’est pas un délit », estimaient-elles. Ce surnom ironique de Catherinette leur venait d’une des initiatrices du mouvement, l’écrivain Catherine Millet (auteur en 2001 de La vie sexuelle de Catherine M.), deux autres Catherine au moins (Deneuve et Robbe-Grillet) militant dans le collectif. Catoche, un des nombreux diminutifs, a servi, comme Catin ou Catau, à nommer la prostituée dans le parler populaire. Raoul de la Grasserie (1907) a introduit ce terme parmi 147 autres synonymes de « fille de joie », où la fleur de macadam le dispute à la descente de lit. Dans la catégorie « Mots grossiers », où il rassemble les argotismes pour coïter, bordel, courtisane, femme, fille,
« C’est une sainte Catherine ! », ironisait-on à propos d’une femme chaste, insensible aux assauts, bref un rempart de vertu inexpugnable. L’allusion se fonde sur Catherine d’Alexandrie, vierge et martyre. (MSAP) Catarinello a signifié « hypocrite » dans le Tarn. En Languedoc, la péjoration de ce diminutif rejoint celle de catarinot, « faux dévot, tartuffe », mot dérivé du cimetière Sainte-Catherine à Montpellier (Hérault). Selon Mistral, sur ce site, en 1617, se regroupaient des troupes séditieuses de huguenots, qui y causaient de grands désordres. C’est parmi ces agitateurs que Molière, en 1659, aurait, dit-on, pris le modèle de sa Cathos, une de ses Précieuses ridicules, relève Jeanine Delpech (Prénoms, Connais qui tu aimes – Catherine, Horay, 1958), en rappelant que l’étymologie même de Catherine renvoie à une pureté qui a pu à son tour être dévoyée. Sa notice accueille aussi l’expression faire catarinasso, (« faire la sainte-nitouche »). (TDFM) Cateau. C’est un fâcheux glissement de sens de Catherine, type théâtral de la servante, qui a valu à ce diminutif de désigner une fille dépravée et de s’illustrer dans l’expression s’habiller comme Cateau, soit, selon Georges Musset (1931), « sans goût, quoique avec beaucoup de fanfreluches ». Peut-être en raison du plumage, le même abréviatif a aussi distingué, au masculin et au féminin (un cateau vert, une grosse câteau), une espèce de perruche (Psittacula eques echo), répandue dans les îles de l’océan Indien. Elle y passait pour une prédatrice des récoltes, autant que les rats, comme en fait foi un récit de voyages aux Seychelles en 1781 (Les dégâts des cateaux). Cateau devint une appellation familière pour toutes les perruches, dont celles importées en France et captives de leurs barreaux. Sous le titre Épitaphe de Cateau, perruche, morte à Lagny chez Mme De La Chaise, l’un de ces oiseaux eut même droit à ces vers de l’écrivain François-Félix Nogaret (Mercure de France, 2 novembre 1782) : « J’ai traversé les mers pour vivre en cage ici ; / J’y faisais vos plaisirs : je parlais… comme un livre ! / Répétant les phrases d’autrui, / Caquetant, jabotant, disant non, disant oui. / Moi qui chassais l’ennui (dont le Ciel vous 17
pédéraste et souteneur, les substituts à « prostituée » sont de très loin les plus prolifiques. Relevons au passage que le catoche, au masculin, fut par ailleurs un vocable médical ancien correspondant à « catalepsie ». (ESAP) Katioucha. Certes ténu, le lien qui relie Rika Zaraï à Staline passe par ce diminutif affectueux de Iekaterina, une Catherine à la russe. En 1969, pour son tube dansant Casatschok (700 000 exemplaires), l’artiste israélienne reprit en effet la mélodie de Katioucha (1938), chanson soviétique très populaire, où l’héroïne adresse, à son aimé parti au front, une douce et fervente complainte, afin qu’il protège son pays et son amour. Du prénom de la belle, les Soviétiques baptisèrent les puissants lance-roquettes qu’ils firent fonctionner en batteries, la première fois en 1941 à la bataille de Smolensk : leurs engins étaient postés au sommet d’une paroi rocheuse, et c’est aussi du haut d’une falaise que s’élevait la voix de la jeune fille. L’ennemi allemand, lui, appela « orgues de Staline » ces redoutables dispositifs, en raison des sifflements de leurs projectiles, disposés en tuyaux d’orgue. Le terme Katioucha devint générique pour désigner les lanceroquettes d’origine ou d’inspiration soviétique : on l’a ainsi employé dans le conflit israélolibanais de 2006 et lors de la guerre civile libyenne de 2011. Trinette, peu usité comme prénom, a souvent désigné une fille de mauvaise conduite, indique, sous l’entrée Catherinette, le Glossaire des patois de Suisse romande. Dans cet ouvrage, et avec un sens identique, figure le diminutif Trinon, relevé à Leysin, mais classé, lui, sous Antoinette. (GPSR)
principauté dont il fut le chef puissant et redouté. Emprisonné par le successeur de son père, le pape Jules II, il s’évada et mourut au combat en Espagne (Bernard Klein, 300 proverbes et expressions hérités du latin et du grec, Librio, 2020). CHARLES Frugal dans ses dévoiements, le paradigme Merci + prénom s’est pourtant illustré avec Merci Jacquie et Michel, un slogan qu’ânonnent, en réponse à la question Merci qui ?, les actrices présumées ravies lors des tournages de vidéos pornographiques – les deux prénoms étant ceux des fondateurs, en 1999, de la marque française. Sortie de son cadre, cette devise, promue mot d’ordre jubilatoire, s’est déclinée sur des produits dérivés, des chaussettes aux teeshirts, et elle s’affiche jusque dans les stades de football. En s’échappant de son contexte avec plus de retenue, Merci Bernard !, qui baptisait une émission humoristique de Jean-Michel Ribes, sur FR 3 de 1982 à 1984, a quelquefois joué sur le même tableau euphorique. Le gimmick venait ici du journaliste Bernard Père : en 1978, il commentait depuis l’Argentine la coupe du monde de football, dont les images tardaient, et il était abondamment remercié par Michel Drucker, contraint comme lui de meubler l’antenne. Mais quid de Merci Charles ? En 2006, sur le forum d’ABC de la langue française, une contributrice de Göttingen, férue d’expressions françaises (hors de sa langue maternelle), assurait que ces mots s’employaient « de façon plutôt ironique, quand quelqu’un vous a joué un mauvais tour, ou encore par résignation, lorsque tout va de travers ». Elle avait repéré cette formule en 1995, notamment dans le film La haine, de Mathieu Kassovitz, « dans la scène où le serveur d’une galerie – qui ne s’appelle certainement pas Charles – offre aux jeunes du champagne, l’un d’eux lui répondant alors Merci Charles ». « Il aurait pu tout aussi bien dire Merci mon brave, commentait un participant au forum : ne s’adresse-t-il pas à lui comme à un domestique, un loufiat de luxe, un valet de chambre, Charles lui paraissant être, à tort, le summum du prénom aristocratique ? » « C’est une façon de parler en faisant intervenir un prénom qui sonne bien, nuance un autre. On dit bien T’as l’bonjour d’Alfred, comme une sorte d’ornement, on ne dira pas Merci André ou T’as l’bonjour de Joachim. » « Certains prénoms utilisés familièrement sont porteurs d’une connotation sociale », conclut le modérateur, en citant Vas-y Jeannot !, ou encore Gérard, Zézette (épouse X), Robert, Germaine, Gontran, Gladys. Merci
CÉCILE Cècile. Ine grande Cècile : ainsi qualifiait-on parfois à Liège une femme grande et mince, quel que soit son prénom. (DPWL) CÉSAR Prénom machiavélique, gorgé d’ambition et de cynisme, au moins dans le cas de César Borgia (1475-1507) : ce prince italien sans scrupules, qui servit de modèle à Machiavel pour son Prince (1513), a pleinement souscrit au sens de « conquérant, arriviste » adopté par César à la Renaissance, en référence à l’illustre Romain de l’Antiquité. Sa devise, qu’il suivit au pied de la lettre, était d’ailleurs « Être César ou rien » (« Aut Caesar, aut nihil »), c’est-à-dire aspirer à s’imposer partout. Fils du pape Alexandre VI Borgia et frère de la non moins fameuse Lucrèce, il devint évêque à 17 ans et cardinal à 18, avant de raccrocher la robe pour se constituer une 18
Charles n’aura toutefois pas creusé de profonds sillons, en dépit du téléfilm Merci pour tout Charles, d’Ernesto Ona (2015), où, après trente ans de mariage, une épouse (Charlotte de Turckheim à l’écran) apprend que son mari, d’ailleurs un vrai Charles pour état civil, la quitte pour une autre. Charlot. Le sceau de l’infamie a toujours marqué les bourreaux. À la fin du XVIIIe siècle, le peuple était si échauffé contre eux que Charlot ! devint une insulte à Paris. Celle-ci se fondait sur le prénom Charles, héréditaire dans la dynastie des Sanson, exécuteurs des hautes œuvres, un prénom qui sera par ailleurs étrillé dans des locutions comme bascule à Charlot ou rasoir à Charlot, substituts familiers à « guillotine ». Charles Henri Sanson, qui en 1793 coupa la tête de Louis XVI, s’offusquait de l’affront ainsi dirigé contre des officiers de justice à qui « on ne peut prêter d’autre crime que celui d’avoir rempli correctement leurs devoirs ». L’ostracisme était tel qu’il ne pouvait même plus approcher une fille publique sans se faire éconduire : une prostituée du Palais-Royal, « avertie sourdement de l’ignominieuse profession du personnage », ne l’avait-elle pas refoulé ? Son collègue du Var ne fut pas logé à meilleure enseigne : son barbier refusait de le raser. D’une façon générale, la Révolution, loin d’assurer la prospérité des bourreaux, les mit sur la paille, en réduisant leur nombre à un seul par département, en balayant leurs privilèges féodaux, en tarissant leurs revenus. Beaucoup se retrouvèrent sans ressources, toute velléité de reconversion se heurtant à l’hostilité publique (Jean-Yves le Naour, Histoire de l’abolition de la peine de mort – 200 ans de combats, Perrin, 2011). Charlotte. Dans plusieurs villages de Suisse romande, une charlotte répondait à la définition de « femme négligée, qui ne sait pas s’habiller » (GPSR)
l’incendie de 1624, doit de s’être appelée Christiania jusqu’en 1924. Cette cité accueillit en 1867 la première compétition de ski, un mode de déplacement et de sport dont les Scandinaves ont été les pionniers. C’est dans ce contexte que, vers 1900, et en conservant souvent la majuscule, on désigna par Christiania une figure, virage ou arrêt exécuté skis parallèles. On distinguait le Christiania léger et ceux d’amont, d’aval ou d’arrêt. Sans être archaïque, le terme tend à sortir d’usage, indiquait en 1993 le Grand Robert. Avec les mots ski et slalom, il appartient à un mince patrimoine d’emprunts au norvégien, au même titre que rorqual, lemming, fjord, et, via l’anglais, iceberg. CHRISTOPHE Stoffel. Daté du XVIe siècle, le sens d’« homme raide et pataud », adopté jadis en Alsace par ce diminutif, provient d’Allemagne et de saint Christophe lui-même, campé par l’iconographie et la tradition en géant un peu lourdaud, gauchement appuyé sur une perche pour franchir la rivière. Cité par Balnat (2017), Rudolf Köster, dans ses Noms propres dans le vocabulaire allemand (Eigennamen im deutschen Wortschatz, 2003), confirme le dévoiement ancien de ce prénom, qui avait pourtant les faveurs des paysans. Aujourd’hui désuète, l’idée de maladresse et de balourdise a glissé vers celle de rudesse et de muflerie : familièrement, un Stoffel est souvent, chez les Allemands, un grossier personnage. (BAPC) CLAUDE C’est en bois de Saint-Claude (la ville du Jura), réputé pour sa résistance, que furent taillés les manches des premiers eustaches, ces couteaux de poche bon marché ainsi appelés d’après leur inventeur, et que popularisèrent, dans les années 1830, les grandes expositions industrielles françaises. La solidité de cette matière et la rosserie du temps eurent tôt fait de propager la locution avoir le manche en bois de Saint-Claude pour « être costaud », et singulièrement pour « être en érection ». La sous-préfecture jurassienne étant aussi la capitale mondiale de la pipe, un glissement jouant sur ce dernier mot a suscité l’éclosion de formules appliquées à la fellation : être première ouvrière à Saint-Claude, rendre hommage à saint Claude, faire des prières à saint Claude. « Du coup, argumente Agnès Pierron, le saint est devenu le patron des bonnes pipeuses. Et comme faire une pipe se pratique généralement à genoux, l’image de la prière est adéquate ». (MSAP)
CHRISTIAN Christiania. En France, ce féminin n’a rien d’une vedette : une seule occurrence d’une prénommée Olga-Christiania au XXe siècle, dans le Pas-de-Calais. Quant au christiania, technique de ski, il a pour père lointain Christian IV (15771648), roi du Danemark et de Norvège. Sa pratique est très présente dans le film Les Bronzés font du ski, de Patrice Leconte (1979) : « Les acteurs portaient des bonnets qui grattent et la France skiait en Christiania. Flexion, extension, flexion » (Émilie Lanez, Génération Giscard, dans Paris Match, 10 décembre 2020). Et c’est en l’honneur du souverain nordique que la ville d’Oslo, qu’il avait fait reconstruire après 19
Claudine. À l’âge d’or de la prostitution, lorsque les établissements huppés proposaient aux messieurs un large choix parmi des partenaires accoutrées selon leurs vœux (en paysanne, en écolière, en institutrice, etc.), les clients jetaient volontiers leur dévolu sur la Claudine, « jeune fille sage d’apparence, mais un brin perverse ». Cette créature convoitée renvoyait au personnage fétiche, au début du siècle dernier, de la romancière Colette (1873-1954), l’héroïne de Claudine en ménage ou de Claudine à Paris. Au théâtre, elle fut incarnée par la chanteuse et actrice Polaire (1874-1939), célèbre pour sa taille de guêpe et son intimité avec le couple ColetteWilly. Claudine nous a laissé le col Claudine, et, accessoirement, un néologisme, claudiniser (« prendre l’aspect de la jeune femme »), employé dans Mes cahiers bleus (1921) par la danseuse et courtisane Liane de Pougy (1869-1950) : le poète Max Jacob l’avait complimentée pour ses cheveux coupés courts, une coiffure qui « claudinise ». (MSAP) Par ailleurs, la Claudine a nommé un fromage en Haute-Marne (Eugène Rolland, Variétés bibliographiques, oct.-nov. 1883, vol. 3). (MERP) Glaude, prononciation ancienne ou régionale, équivalait à « nigaud, pauvre d’esprit », sens qui était encore le sien dans le Lyonnais et ailleurs vers 1930. Par ailleurs, balayant les étymologies savantes, Chautard est d’avis que le mot godemiché (phallus artificiel) combine les variantes Gode (de Glaude) et Michi (de Michel), l’une et l’autre ayant désigné le simplet. Ce sont donc deux compères ingénus qui, personnifiant l’amant factice, s’unissent au bénéfice de commères esseulées. Des noms propres doubles, tels Jean Chouart et Jean Jeudy, s’utilisaient déjà chez Rabelais pour le membre viril lui-même. (VEAC)
« La France c’est nous, Clovis on s’en fout ! » fut l’un des slogans des anti-Clovis, hostiles tant à la visite papale qu’à la récupération politique de la commémoration du baptême qu’administra saint Rémy à Reims. CONDOLEEZA De 2001 à 2009, ce prénom saugrenu et excentrique revenait régulièrement sur les ondes, lorsque Condoleeza Rice était conseillère à la Sécurité des États-Unis, puis secrétaire d’État en charge de la diplomatie dans l’équipe du président George W. Bush. Surnommée Condi par son entourage, cette passionnée de piano, native de l’Alabama en 1954 et fille unique de parents musiciens, jouait déjà du Mozart à quinze ans dans un orchestre symphonique. C’est sa mère, Angelena, fervente d’opéra et organiste d’église, qui eut l’idée de la baptiser Condoleeza, d’après le terme italien « Condolcezza » (Avec douceur) utilisé en notation sur les partitions pour en préciser le style de jeu. Mais il y eut erreur de copie à l’état civil, sans doute de la part du fonctionnaire tenant les registres. Et même trois erreurs dans cette transcription afro-américaine de la langue de Dante, a décortiqué Patrick Gofman (Le Dictionnaire des emmerdeuses, Grancher, 2012). « Mais rice signifiant riz en anglais, j’ai la méchanceté d’appeler cette dame Riso Con Dolcezza, Madame Riz-au-Sucre », plaisante cet auteur. CORINNE Corine. Au XIXe siècle ce féminin ne courait pas les rues dans la province française : il ne livrera sa pleine mesure qu’à partir de 1945, avec un pic de 12 500 naissances en 1963 dans l’Hexagone, la plupart des porteuses affichant la graphie à double n. Mais l’Antiquité avait déjà compté deux Corinna notoires, égéries ou maîtresses de poètes, l’une de Pindare, l’autre d’Ovide. Comme aujourd’hui, leur identité s’enracinait dans le mot grec korê (« jeune fille »). À défaut de connaître ce prénom, plusieurs dialectes ont recouru au vocable corine pour désigner une jeune fille, en bonne conformité étymologique. Il y a bien plus : dans le Bourbonnais, le terme allait en outre à la petite truie, enseigne Le patois bourbonnais (Imprimerie bourbonnaise, 1908). Dans une note de bas de page, l’auteur, JosephÉdouard Choussy, se dit conscient de l’étonnement que peut susciter cette association. Il la trouve pourtant assez naturelle parmi les paysans, chez qui l’affection pour les animaux s’accompagnait d’un puissant intérêt pécuniaire :
CLOVIS Mobilisation laïque et républicaine des anti-Clovis, titrait Le Monde du 26 mai 1996, à quelques mois de la venue dans l’Hexagone (en septembre) du pape Jean-Paul II. Cette année-là était celle du 1 500e anniversaire du baptême de Clovis – que la plupart des historiens s’accordent pourtant à dater de 499 et non de 496. Ainsi qu’elle le fit un siècle plus tôt, la France s’affronta entre pro- et anti-Clovis, les uns soutenant que le baptême de ce roi barbare symbolisait celui, fondateur, de la France, nation chrétienne, les autres invoquant la séparation de l’Église et de l’État. Au souverain des Francs, certains ont opposé la figure de Vercingétorix, « héros républicain, l’antiClovis », selon l’intitulé de l’ouvrage d’André Simon (Ramsay, 1996). 20
« Qu’ils sont jolis !, s’écrient-ils en présence d’une bande de petits cochons ; Viens mon petit, viens ma petite, viens ma jolie ! » Ainsi les noms les plus doux, réservés aux êtres les plus chers, rejaillissent-ils sur les bêtes, et il est alors moins surprenant « de voir placer à peu près au même rang une jeune fille et une corine », termine Choussy. De son propre aveu, son interprétation est néanmoins fournie « sous toutes réserves ».
Larchey, 1872), le féminin Crépine, épinglé par Szecskó (2017), est sporadiquement allé, au XIXe siècle encore, à la cordonnière, ce dernier mot (aujourd’hui négligé par les dictionnaires) s’appliquant alors tant à l’artisane du cuir qu’à l’épouse de l’artisan. Quant au prénom Crépine, il n’était pas rare dans la France du XVIIe : dans son Histoire de Soissons illustrée à travers ses rues (Horvath, 1985), l’auteur, Geneviève Cordonnier – un nom qui ne s’invente pas – explique, à propos de la rue Richebourg, qu’en 1634 un de Richebourg prit pour femme une demoiselle Crépine de Vauxaillon. (PVLL, SLAR)
CRÉPIN Crépine. Si par le passé, et en référence au saint patron de la corporation, la langue familière a parfois nommé Crépin le cordonnier (« Je défie bien le Crépin de me faire des bottes plus justes »,
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D DAGOBERT
DANIEL
Dago. En Belgique (où sont nés cinq Dago entre 1995 et 2019), on connaît bien sûr le dago, abréviatif de dagobert, pour la demi-baguette de pain garnie, consommée sur le pouce (Francard, 2010). Venu de Dagoberto, le diminutif n’est pas rare chez les hispanophones et les lusophones ; en Afrique, il réunit d’autres porteurs, tel le footballeur Dago Tshibamba, natif de Kinshasa en 1997. Dans le français périphérique de Côte d’Ivoire, ce même nom s’est distingué par sa valeur péjorative, celle de « péquenaud, rustaud, guignol ». Cette dérision, il la doit au héros d’une BD de 1973 (Dago à Abidjan), la première publiée dans ce pays, et racontant l’arrivée dans la grande ville d’un humble paysan jailli de sa brousse : « Les personnes qui viennent à Abidjan comme les personnes qui viennent d’ailleurs sont taxées de dago [le mot ne prend pas la marque du pluriel ] parce qu’elles n’ont pas connaissance des informations de fraîche date ou des techniques nouvelles, enfin de tout ce qui est d’actualité » (Reine Caummaueth, 1988, cité en 2002 par Suzanne Lafage, Le lexique français de Côte d’Ivoire). Débarquant dans la capitale lors du boum économique de la fin des années 1960, Dago, avec ses pauvres mots, se confrontait à la rude vie d’une cité où règne la loi du plus fort. Analphabète en français, il s’exprimait dans une sorte de dialecte ou de créole, appelé par les linguistes Le français de Dago (cf. Paulin Touché, Du français de Dago au nouchi en Côte d’Ivoire : la brève histoire d’un français périphérique, blog de l’université de Binghamton, État de New York, 2018). En 1978, Ivoire Dimanche, qui avait publié les premières aventures, les poursuivit sous le titre de Monsieur Zézé, avec un retour au village du protagoniste et, dans sa manière de parler, une nouvelle évolution, elle-même suivie après 1990 d’une troisième forme d’expression, illustrée à son tour par un feuilleton : le nouchi, pratiqué d’abord par les marginaux, puis étendu à toute la jeunesse et toujours en pleine expansion populaire et créatrice. (DFLB, SLCI, BEHI)
Danielle. « On connaît tous des Tatie Danielle que les enfants ont envie de jeter par la fenêtre », écrivait Le Point en 1990, à la sortie de Tatie Danielle, le film d’Étienne Chatiliez, avec Tsilla Chelton († 2012) dans le rôle-titre. Alors âgée de 71 ans – le scénario lui en attribuait onze de plus –, l’actrice incarnait une harpie, une vraie peau de vache, ronchonne, fantasque, mielleuse et fielleuse, un chameau invivable. « Je crois qu’elle est méchante ! », finira par déduire son neveu. « Vieille femme méchante et odieuse » : ainsi le Wiktionnaire définit-il l’archétype auquel elle donna corps et qui, en italiques ou non, guillemeté ou pas, s’immisça un peu partout. Échantillons : « C’est l’histoire d’une Tatie Danielle, une retraitée teigneuse. Chaque aprèsmidi, Mme Bourre feint de s’évanouir sur le trottoir ; les âmes compatissantes qui la ramènent à la maison, elle les tourmente de ses exigences » (L’Express, 1995) ; « Une Tatie Danielle virée de sa maison de retraite près de Niort » (Le Matin, 9 octobre 2013, avec une photo de Tsilla Chelton) ; « Ma mère est une Tatie Danielle (forum de Doctissimo, 21 août 2015) ; « Le méchant se nourrit de sa méchanceté, à l’instar d’une tatie Danielle ; il s’en repaît jusqu’à la jouissance » (L’Express, 12 avril 2015) ; « Une Tatie Danielle au verbe haut condamnée à Rouen » (Paris-Normandie, 17 mars 2017) ; « Une Tatie Danielle de 83 ans rayait les véhicules de ses voisins et crevait leurs pneus » (Le Dauphiné, 15 décembre 2017) ; « Chacun d’entre nous a sûrement dans son entourage une Tatie Danielle au caractère exécrable » (Communication au congrès de psychiatrie sur Les troubles du grand âge, Nantes, 2018). Gardant la trace de sa référence, le syntagme, consigné par Sylvie Brunet (2012), s’abstient de prendre la marque du pluriel : « Mamie Nova basculerait-elle dans le camp des Tatie Danielle ? » (Le Parisien, 16 novembre 2013) » ; « […] des tyrans qui s’éteignent passé cent ans dans leur lit ou des Tatie Danielle qui font de solides vieillards (Dr Frédéric Saldmann, Prenez votre santé
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en main !, Albin Michel, 2015). Le prénom, figé, s’intègre de la sorte dans la phrase par un procédé de « semi-lexicalisation », en échappant aux règles imposées aux autres mots. Cette propriété est partagée par Tanguy (« célibataire prolongé restant accroché au foyer familial »). Tatie Danielle et Tanguy (2001) intitulent d’ailleurs chacun un film du même réalisateur et cataloguent des antihéros. Investissant généreusement la langue, ils identifient d’un trait familier des modèles sociaux jusque-là dépourvus d’un terme spécifique. Tanguy a même élargi son acception primitive : il s’étend parfois aux jeunes gens qui, après avoir quitté le domicile de leurs parents, reviennent y vivre, mus par des raisons financières. Ils appartiennent à ce qu’on appelle la génération boomerang, locution entrée au Larousse 2018. (SBPE, BAPC) Il arrive enfin que Tatie Danielle s’applique à un homme : ainsi, en chroniquant le Dictionnaire égoïste de la littérature mondiale (Grasset, 2019), le magazine Lire (septembre 2019) qualifie l’auteur, Charles Dantzig, de « Tatie Danielle de l’histoire littéraire », car, de l’avis du critique, il multiplie les vacheries, étale une mauvaise foi savamment mise en mots, attribue arbitrairement bons et mauvais points, pratique l’art du raccourci ravageur et n’épargne ni Cervantès, ni Hemingway, ni Nabokov.
DIMITRI Taki est l’un de ces prénoms émergents (huit dévolutions en France entre 2013 et 2017) choisis au bénéfice de leur sonorité et de leur concision. Néanmoins, il se prévaut à l’occasion d’une filiation avec Dimitri, et, au-delà, avec Déméter, cette « mère des blés » du panthéon grec, protectrice de la fécondité du sol. En 1969, à New York, un coursier grec de 17 ans, qui avait précisément abrégé en Taki son petit nom Demetrius, eut l’idée de couvrir les murs de sa signature, suivie d’un chiffre (183, le numéro de sa rue) et bientôt enjolivée d’effets graphiques. Ainsi se serait popularisé, tiré du diminutif, le terme « tag », désormais universel (Le premier tag de l’histoire, Ça m’intéresse - Histoire, été 2011). Le pionnier eut droit, en juillet 1971, à une pleine page du New York Times. Bravo l’artiste ! Mais, tout autant que certains barbouillages du street art, le lien entre l’identité du tagueur et le court vocable est controversé : attesté sous nos cieux en 1980 au sens de « marque, insigne, étiquette », tag existait depuis six siècles en anglais, qui l’aurait d’ailleurs soutiré au français tache, « signe distinctif ». C’est sûr : le tag fait tache et/ou distingue son auteur. L’étymologie anecdotique a au moins pour elle le mérite du pittoresque, et, pour nous, celui d’être prénominale. Notons que, selon le site Behind the name, Taki est parfois rattaché à « taka », verbe du vieux norrois signifiant « capturer », et, pour sa rare forme féminine, à un mot japonais traduit par « cascade ». (BEHI, DIHL)
DAVID Dave, fils de David, est le nom, fondé ici sur l’acronyme Dispositif Anti Vitesse Excessive, dévolu depuis 2018 à de faux gendarmes postés au bord des routes françaises, des leurres qui ont pour effet de faire lever le pied aux conducteurs de façon plus efficace encore que les radars, a-t-on calculé. Ces silhouettes photographiques, montées sur un support en plastique et déplacées quotidiennement aux endroits les plus sujets à accidents, ressemblent à s’y méprendre, même à courte distance, à d’authentiques pandores. De la Moselle à la Vendée, l’artifice, qui s’est répandu à la demande des maires, s’est inspiré d’une pratique semblable venue de Mons, en Belgique, pays où, déjà en 1999, de tels trompe-l’œil, d’abord mis en place par l’Unité provinciale de circulation de la province de Luxembourg, répondaient à l’appellation de Patrick, d’après Patrick Jaumot, vrai motard de la maréchaussée, qui avait posé pour les premiers pièges. Quant au prénom Dave, sa meilleure année française, avec 111 naissances, est 1976, année où David, lui-même à son pic, talonnait les 20 000.
DONAT « Monsieur Donat est mort » (version originale : Moussi Dounat es mort) était une manière euphémique de signifier aux quémandeurs qu’on ne donne plus, donc qu’ils repartiraient les mains vides, sans obtenir le prêt ou le crédit convoité : modeste jeu de mots (Galtier, 1983) sur le verbe et nom propre, lui-même hérité de donatus (« donné, gratifié [par Dieu] »). Calembour comparable avec « Monsieur Donat est toujours le bienvenu » (es toujour lou bèn arriba), cette fois pour exprimer l’idée qu’une rentrée d’argent ne peut que réjouir (Almanach provençal, 1869). On sait par ailleurs combien ce prénom, illustré par un saint protecteur très vénéré en Wallonie, y a été écharpé (Haust, 1923), spécialement au pays de Mons, sous le sens de « dupe, imbécile » (« donat del farce », dindon de la farce). En Belgique, il ne naît plus de Donat (le patronyme dérivé Donnay reste, lui, très répandu), et les Donatienne et Donatella ne
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dépassent pas la demi-douzaine par an. En France, le millésime 1900 fut l’un des plus avantageux pour les Donat, alors que Donatien
était confidentiel en 1740, quand vit le jour son plus fameux titulaire, le sulfureux marquis de Sade. (GCPP, HEWF)
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E ÉLIACIN Issu de la tragédie Athalie de Racine (1691), le nom de (jeune) Éliacin, qui a qualifié un doux naïf, un perdreau de l’année, a été remis à l’honneur en France à la fin des années 1970 par Raymond Barre, alors Premier ministre, qui désignait ainsi les élus novices et ambitieux à l’excès (Philippe Alexandre, Dictionnaire amoureux de la politique, Plon, 2011, s.v. Barre).
ever, diffusé sur Arte le 27 mars 2020, pour le 90ème anniversaire de la création de la pin-up la plus aguicheuse des dessins animés américains, celle qui popularisa le voluptueux poo-poo-pee-doo bien avant Marilyn Monroe. La baptiser ainsi avait donc du sens. Si, aux États-Unis, l’apogée du diminutif coïncide avec la naissance de ce sex-symbol (1930), elle fut plus tardive (1976) en France, où sa péjoration a été très passagèrement ressentie : « Sans vouloir être méchante, je trouve que ce prénom fait nom de conne et je lui préfère Élisabeth », tranche une Angèle B. sur le site tousurlesprenoms (30 janvier 2010), non sans s’attirer une levée de boucliers d’autres internautes.
ÉLISABETH Babette mérite le fouet. « Babette, je la lie, je la fouette et parfois elle passe à la casserole » : non, ce n’était pas un slogan sadique qui, dans la France de 2000, se répandit d’un coup sur cinq mille panneaux d’affichage, où le tablier d’une ménagère s’ornait de la formule choc. Il s’agissait simplement d’une campagne publicitaire un rien provocatrice pour la nouvelle marque de crème épaisse Babette. Les concepteurs avaient joué sur les mots, et un pan de l’opinion s’en émut vivement : la Coordination française pour la marche mondiale des femmes publia un communiqué dénonçant « une banalisation du sexisme, de la violence conjugale et du viol », et des pétitions circulèrent pour le retrait des affiches. Le groupe laitier Candia, qui lançait le produit, objecta que le texte, pensé par une équipe féminine, était déjà édulcoré, puisqu’au départ « Je la fouette » était suivi de « Je la bats », également polysémique, mais culinaire en première intention. Le slogan devint par la suite « Babette, j’en fais ce que je veux » (Babette fouette l’opinion publique, Les Échos, 2 août 2000). « Oui, vous avez le devoir de vous plaindre des féministes mal biaisées [sic] », écrit, à propos de ce tollé aussi lourd que la crème, JeanChristophe Buisson dans Le Figaro Magazine (11 mai 2018). Il y chroniquait l’ouvrage En finir avec l’ironie ? (Robert Laffont), où l’essayiste Didier Pourquery, « en appelle à sauver le second degré, ingrédient essentiel de l’humour, dangereusement menacé par le politiquement correct ». Betty, « considéré comme ‘‘limite argotique’’, s’est utilisé pour désigner une femme [quelconque] ; une Betty, c’est comme une nana », commentait le documentaire Betty Boop for
ÉMILE Mimile. L’appellation passe-partout du quidam, du lascar ou du cave, s’est aussi introduite dans l’argot du cinéma pour y nommer plaisamment un projecteur de mille watts : « Ton Mimile surchauffe ! » (Passek, 2001). (DICI) EMMANUEL Par rosserie, ce sont toujours des prénoms féminins que l’imagination populaire a attribués çà et là à des récipients de belle contenance – pour une tourie, grosse Jeanne, dame-jeanne, mariejeanne, belle-jeanne, marie-élisabeth ; pour une cruche en grès à large panse, jacqueline et christine. Exception de taille en Provence avec le manoli (Emmanuel), voire, à Marseille, le papa-Emmanuel (papo-manoli), volumineuse bouteille carrée en verre noir. « On y met du vin, ou encore du vinaigre avec des plantes aromatiques », notait Honnorat (1846). (OCTY, PFHL, BAPC) ERNEST En appellatif dédaigneux, et avec un relâchement significatif dans la prononciation, Ernesse s’est adressé, dès 1832, à un maître d’hôtel. La citation que voici date de 1914 : « – Ah ! as-tu fini Ernesse !... Pas d’vant moi, tes boniments d’mariole ! Pac’que ces messieurs sont d’la province, faudrait pas s’payer nos cafetières !... Ouste ! quatre soupes à l’oignon ! » (CharlesHenry Hirsch, La grâce de Bichu, dans Racaille et parias, Charpentier). (BOBA) 25
EUGÈNE « Où il y a d’ l’ Eugène, n’y a pas de plaisir ! », entendez « pas de plaisir pour l’ennemi ». C’est ce que claironnait en 1916, à la gloire de l’Eugène – le canon de 75, « le meilleur de son temps » –, un journal du front, dont Les Annales politiques et littéraires (vol. 66) ont reproduit l’élogieux article. Cette pièce d’artillerie (on en dénombrait 3 840 en 1914 et 5 500 en 1918) y est carrément personnifiée, biographie succincte à l’appui : « Bien qu’il soit né en [18] 95, Eugène est un lascar dont on dit volontiers ‘‘Il est de 75’’. Dès sa naissance, il se montra bruyant, emporté (en général par six chevaux), et, contrairement à la majorité des amateurs de tabac, il prit aussitôt l’habitude de cracher avant de fumer. Débrouillard, il se mit à l’affût et réussit dans la vie à avoir vite la célébrité, car il avait, comme on dit, quelque chose dans le caisson… » Capable de tirer jusqu’à vingt coups à la minute, d’une portée atteignant 8 500 mètres et d’un poids en batterie de 1 140 kilos, l’Eugène a
répondu à d’autres surnoms, prénominaux (Charlotte, Julot, Joséphine) ou pas (le râleur, le cigare), a relevé Jean-Pierre Colignon (Petit abécédaire de la Grande Guerre – Ces mots qui racontent l’Histoire, Le Courrier du livre, 2014). Le choix d’Eugène était-il gratuit ? Non, si l’on pense à Eugène Turpin (1848-1927), qui mit au point un composé chimique, l’acide picrique ou mélinite (sa couleur rappelant celle du miel). Bien plus redoutable que la poudre noire, son invention augmenta considérablement les effets de l’explosion des obus. L’hebdomadaire Le Miroir du 14 février 1915 lui a consacré sa photo de couverture, avec cette légende : « L’infatigable chercheur qui découvrit la mélinite, et auquel notre artillerie doit une large part de ses succès. » Avec plusieurs de nos vieilles connaissances, dont le Louis-Philippe (mortier de tranchée) et la Rosalie (baïonnette), l’Eugène a les honneurs de l’étude de Milton Garver, French army slang, publiée en 1917 par l’Université Yale. (MGYU)
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F FÉDORA Fédor, variante slave de Théodore qu’illustra Dostoïevski, fait au féminin Fœdora ou Fédora, la première forme ayant été choisie en 1831 par Balzac pour un personnage de sa Comédie humaine. Cette comtesse russe, mondaine et intrigante, le romancier la fait naître en 1805 et lui associe la mention « la femme sans cœur », qui sera aussi le sens pris génériquement par son prénom chez quelques érudits. Il y a gros à parier qu’une Fédora littéraire plus familière en Wallonie, parmi les lecteurs d’Arthur Masson, est la mendiante extravagante qui s’incruste dans le refuge de Thanasse (Thanasse et Casimir, 1942), avec ses vastes jupes à ramages, ses bijoux clinquants et son turban de damas rouge. On la dit Bohémienne, mais elle est née à Bruxelles, rue Haute, « d’un père italien et dresseur d’ouistitis et d’une mère anversoise et cartomancienne ». (BEFI, MSAP)
capable d’enclore d’un fossé en un seul jour. Il se mit en route, traînant derrière lui son bâton qui, miraculeusement, creusa une profonde tranchée sur un périmètre considérable. Réfutant toute intervention divine, la médisante Becnaude le taxa de sorcellerie et s’empressa de le dénoncer de ce chef auprès de Faron, qui n’accorda aucun crédit à ses cancans, mais convoqua néanmoins l’intéressé. Pour patienter avant l’audience, celuici s’assit sur une pierre, qui s’amollit aussitôt à son contact. Ce nouveau prodige l’instituera guérisseur des hémorroïdes ! Quant à l’accusatrice, elle avait des raisons plus terre à terre d’en vouloir au défricheur : dans son expansion territoriale, il avait annexé un bois lui appartenant ; de surcroît, il interdisait l’accès de sa propriété à toutes les filles d’Ève, « jugées d’esprit léger et portées à la calomnie », note Jean Chalon (Fétiches, idoles et amulettes, 19201922).
FIACRE
FRANÇOIS Franky. Afin d’inciter les automobilistes à lever le pied, une campagne de la prévention routière suisse a diffusé en 2009 un clip au succès si fulgurant que le pseudonyme du chanteur du groupe, L’ange Franky (de son vrai nom Yves Loutan), s’est spontanément associé à la prudence et au contrôle de la vitesse dans les déplacements. Ailé et tout de blanc vêtu, le personnage emblématique est familier à tous les usagers helvétiques par sa présence sur des panneaux le long des grands axes et par son slogan « Slow down, Take it easy » (« Tranquille, Ralentis »), relayé par des autocollants apposés sur des milliers de véhicules. En France, ce diminutif anglo-saxon a culminé en 1976 (36 naissances) avant de mordre la poussière (aucune dévolution en 2014, trois en 2016). En Belgique, un de ses plus illustres titulaires, Vercauteren, né en 1956, une des gloires du football, n’a pas usurpé son surnom de « petit prince du Parc Astrid ».
Au XVIe siècle, une méchante langue, une baratineuse ou une importune s’attirait parfois la qualification insolite de « becquenau qui a accusé saint Fiacre ». Le mot becquenau, écrit aussi becnaude ou baguenaude, signifiait alors « croque-noix » ou « casse-noix », la coquille se brisant sous l’action du bec. Les mouvements frénétiques des dents en cette circonstance menèrent à une extension de sens vers le caquetage ou la fabulation. Riche en variantes, une légende du VIIe siècle raconte comment une commère, nommée Houpdée mais rebaptisée Becnaude ou Baguenaude par les hagiographes, prit pour cible le futur patron des jardiniers, alors simple moine venu d’Irlande pour évangéliser une partie de l’actuelle Seinte-et-Marne, à Breuil, aujourd’hui SaintFiacre-en-Brie. Désireux d’étendre le domaine de son ermitage pour accueillir davantage d’ouailles et établir un potager modèle, Fiacre avait obtenu de saint Faron, l’évêque de Meaux, de disposer d’une propriété aussi vaste que celle qu’il serait
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G GAUTIER Gåtî. En concurrence avec Watî (où subsiste l’initiale issue du francique), Gåtî fut un pendant wallon de Gaut(h)ier, présent, avec Tîbî (Thibaut), dans quelques locutions : djåzer d’Tîbî èt d’Gåtî (parler de Pierre et de Paul, soit de n’importe qui) ; dîre a Tîbî a Gåtî (s’exprimer à la cantonade, à qui veut l’entendre) ; èpronter a Tîbî a Gåtî (emprunter à droite et à gauche). (DPWL)
travers le monde par les Gédéons (Gideons), association née en 1899 aux États-Unis à l’initiative de voyageurs de commerce qui se désolaient de n’avoir pas accès, à chacune de leurs étapes, à la parole de Dieu. L’écrivain se dit toujours ému de retrouver le recueil sacré dans le tiroir de sa chambre d’hôtel. Pourtant, les jours des Gédéons sont peut-être comptés, pense-t-il : « Quantité de nouveaux établissements hôteliers choisissent en effet de mettre plutôt des préservatifs, voire des jouets sexuels, à la disposition de leurs clients. » Les fondateurs du mouvement, qui répandent aussi gratuitement le pieux ouvrage dans les collectivités (hôpitaux, casernes, prisons), ont emprunté leur nom à un personnage de l’Ancien Testament, libérateur de son peuple par sa victoire sur une tribu palestinienne. Dans le Livre des Juges, ce Gédéon, juge d’Israël, est le seul humain à qui s’adresse Yahvé, via un messager. La version propagée en quatre-vingt langues par les zélateurs est celle établie par le pasteur Second (1875), familière aux protestants, mais qui ne soulève pas d’objection majeure pour les catholiques : à Namur, l’action des Gédéons auprès des étudiants a d’ailleurs bénéficié du soutien de l’aumônerie des Facultés Notre-Dame de la Paix. Pour le père jésuite Georg Fischer (Bulletin de liaison du Centre Pedro-Arrupe, octobre 1999), Gédéon veut dire « celui qui abat », mais on pourrait aussi traduire par « vieux campagnard » ou « vieux cheval de guerre ». Le prénom, rare, est celui du mémorialiste français Tallemant des Reaux (1619-1690), fin observateur des mœurs de son temps. Dans le Pinocchio de Collodi (1883), Gédéon et Grand coquin abandonnent la poupée de bois au marionnettiste Stromboli. En 1923, le dessinateur Benjamin Rabier a donné vie à Gédéon le canard, dont les aventures s’étalèrent sur seize albums.
GÉDÉON Au début des années 1910, les tarifs à prix réduit consentis aux militaires et aux bonnes d’enfants drainaient en masse les premiers vers la salle du Ba-Ta-Clan, où la foule parisienne se divertissait d’un spectacle intitulé Gédéon, gueule d’empeigne, d’après un antihéros créé dans le journal Comœdia par le caricaturiste Joe Bridge (1886-1967), newyorkais d’origine mais français d’adoption. Flanqué de son chien Roquet, Gédéon, grotesque et brocardé, entra furtivement dans la langue familière, en priorité dans celle des soldats, sous le sens d’« homme peu favorisé par la nature ». Ainsi le Gédéon était-il « une face moche, un mal éclos, un mal balancé », lira-t-on dans L’Écho des marmites, une des feuilles destinées aux combattants de la Grande Guerre. Dans son Argot des tranchées d’après les lettres de Poilus et les journaux du front (Boccard, 1915), Lazare Sainéan le classe dans la catégorie des noms propres devenus communs et d’emploi péjoratif, avec cette définition : « Type du dégénéré physique et intellectuel, personnage principal d’une revue jouée à Ba-Ta-Clan, rôle d’amoureux fort laid, inflammable et ridicule, popularisé par les caricatures d’un humoriste de talent, Joe Bridge, actuellement prisonnier ». Le 22 juillet 1915, Le Petit Parisien, relatant une visite dans un camp de prisonniers en Allemagne, y épinglait effectivement la présence de Joe Bridge, père « du fantastique Gédéon dit Gueule d’empeigne, un drôle si furieusement édenté, qui fit, durant de longues semaines, la joie de tout Paris ». (BOBA) Mais voici un Gédéon plus reluisant : dans son Dictionnaire amoureux de la Bible (Plon, 2009), Didier Decoin estime à un milliard et demi le nombre d’exemplaires du livre saint diffusés à
GENEVIÈVE Si la langue verte, jouant sur les mots, a baptisé Geneviève ou Guenièvre le genièvre, elle en a fait tout autant avec le gin, cette eau-de-vie étant 28
elle-même à base de baies de genévrier, enseignait en 1878 un des dictionnaires d’argot de Larchey. Il existe même en Suisse un gin Geneviève, « le gin des mamies », mis au point par trois amis de Lausanne et titrant 40 degrés. Bel exemple d’étymologie populaire dans l’ouest de la France, où l’arbuste devenait à l’occasion le gènelièvre (jeune lièvre), en vertu de la ressemblance de ses baies avec les crottes du petit mammifère. (PVLL, GPAS) Djènevîre. Au pays de Liège, « li må d’sinte Djènevîre » (mal de sainte Geneviève) désignait des dartres jaunes ou des plaies au visage. « Pour les faire disparaître, on allait chercher de l’eau à la fontaine de sainte Geneviève à Strée-lez-Huy et l’on en faisait des compresses. Il se formait des croûtes qui tombaient toutes seules sans laisser de traces. À Florée (Assesse), existe également une source dédiée à la sainte, réputée pour soigner les maladies de la peau, l’impétigo par exemple (Remèdes populaires, Passeurs de mémoire, in Cahier des aînés d’Amay, 2018). (DPWL) Ginette. De l’appellatif narquois pour femme quelconque, tantôt nunuche, tantôt portée sur le sexe, l’argot a rapidement étendu son champ sémantique à la fille publique, acception confirmée par le Nouveau dictionnaire de la langue verte (Pierre Merle, Denoël, 2007) : « Les ginettes qui racolent d’habitude à côté du club ne sont pas là ce soir » (Giorgio Faletti, Seuls les innocents n’ont pas d’alibi, Robert Laffont, 2012). Prostituée française de type traditionnel, la ginette arpentait le pavé français bien avant que ne déboulent ses concurrentes, dont les natachas slaves, catapultées en masse sur le bitume par des réseaux internationaux et mafieux. Le prénom est aussi passé à des accessoires pour ébats solitaires, ainsi vantés sur la Toile (janvier 2018) : « Les Ginettes sont prêtes à l’emploi, on décapsule et hop ! La ginette ‘‘Deep throat’’ reproduit les sensations de succion d’une fellation dite ‘‘Gorge profonde’’. La ginette ‘‘Double hole’’ procure sensation devant-derrière et vous fera goûter aux joies (peut-être défendues) de la sodomie. En pack de quatre ginettes ; fonctionne manuellement et sans piles ; made in Japan. » (BAPC) Par ailleurs, grâce à la formule d’encouragement Allez, Ginette !, qui fonctionne comme un mot de passe, Ginette a désigné une lampe, par d’inattendus détours. En 1989, Allez, Ginette ! intitulait une chanson du premier album (Not dead but bien raides) du groupe français des Têtes raides : « Faut s’enivrer quoi qu’il arrive / Et puis rêver et faire la fête / C’est des musiciens sur les tréteaux / Tôt ou tard ça va s’écrouler / Mais leur
histoire on s’en fout / Et là y’a Ginette / Qui continue à tourner / Sur cet air de ferraille / Et de verres cassés / Ginette ! / Allez Ginette ! / Ouais Ginette, allez ! / Ginette ! Ginette ! Ginette ! » Lorsque le chanteur et parolier Christian Olivier en arrive à Allez, Ginette !, il attrape au-dessus de sa tête l’abat-jour d’une lampe à incandescence et l’envoie se balancer à toute force, raconte Bertrand Dicale (Dictionnaire amoureux de la chanson française, Plon, 2016). Dans toutes les salles et à tous les concerts, le public chante, braille et pleure quand se balance Ginette, puisque c’est devenu le nom de la lampe, poursuit Dicale, pour qui « avoir vécu Ginette, et l’avoir vécue souvent, pendant des années, c’est appartenir à une sorte de conspiration du verbe et de l’émotion, et même – si l’on n’a pas peur des grands mots – à une certaine France ». Et de renchérir : « Que l’on pardonne à l’auteur de ce Dictionnaire amoureux d’être amoureux de Ginette, et d’avoir eu vingt fois, trente fois, cinquante fois peut-être, le cœur serré en voyant Ginette se balancer au-dessus de la scène et de la salle, devenir folle, bondir et rebondir au bout de son fil, parfois même claquer brutalement. » GEORGES Les saint-Georges (sic), pour « soutiens-gorges », c’est une création de Jacques Audiberti, qui, en 1948, dans sa comédie baroque Les femmes du bœuf, fait dire au bœuf, à propos des articles que pourrait vendre un marchand forain : « (…) les jarretelles, les saint-Georges pour les mamelles de devant, les éponges, les épingles, tout ce que le ménage a besoin. » Pierron (2015) interprète ainsi cette trouvaille : « Saint Georges, quand il terrasse le dragon, porte une armure pour le protéger. Les femmes, elles, portent des soutiens-gorges pour se défendre du dragon, une représentation du Mal. (MSAP) Georgette. Pour sa Georgette, l’Ariégeois JeanLouis Orengo a reçu, parmi d’autres distinctions, la médaille d’or du Concours Lépine en 2015, assortie de la mention spéciale « design ». Plusieurs reportages dans la presse écrite et à la télévision (dont Jour de foire, TF 1, 4 juin 2016) se sont penchés sur cette invention astucieuse, un couvert hybride qui combine cuiller et fourchette et dont le bord latéral effilé tranche aussi les aliments, sans risque de blessure lorsqu’on les déguste. Des restaurants gastronomiques ont adopté d’emblée cet ustensile polyvalent et ergonomique, petite révolution dans l’art de la table, puisqu’il permet de gouter un mets avec sa sauce en une seule bouchée. Pourquoi l’avoir baptisé Georgette ? Pour ses courbes suggestives 29
et par stratégie décalée, répond le dossier de presse : « Un prénom ancien pour un couvert nouvelle génération. Georgette se prononce facilement en anglais, de quoi stimuler une diffusion hors frontières. »
savonnaient au Bébé Cadum, se lavaient les dents à l’Émail Diamant, se soignaient le foie à la Boldoflorine et se cultivaient sur Radio Luxembourg entre 19 h 44 et 19 h 55 en suivant les aventures domestiques de la Famille Duraton – se retrouvaient, comme jamais, dans ce couple de braves gens qui leur ressemblaient et avec lesquels ils allaient eux-mêmes, par la pensée, grimper les marches de l’Élysée. » Avant la France de De Gaulle et de Tante Yvonne, c’était donc celle de Coty et de Mémé Germaine.
GERMAIN Germaine. Le sens de « mégère » répandu au Québec par ce prénom est amplement confirmé en 2020 dans le Dictionnaire critique du sexisme linguistique (Collectif, dir. Suzanne Zaccour et Michaël Lessard, éd. Somme Toute, Canada), où des sociologues font un sort aux expressions sexistes nées de la vieille règle selon laquelle « le masculin l’emporte », l’homme conquiert, la fille est facile et la femme soumise. On y lit ainsi que, dans l’attribution traditionnelle des rôles, le mâle occupe celui du chef, du dirigeant, du bon père de famille, et sa compagne celui de la subordonnée « dont le seul terrain d’autorité est la sphère domestique – et encore ! ». Le couple dérogeant à ce modèle sera raillé, l’homme qualifié de « femmelette » et la femme « traitée de mégère, de Germaine ou de moissonneusebatteuse (sic) », « accusée de contrôler son homme, de le tenir par les couilles (re-sic) ». Démembré en « (celle qui) gère (et) mène », ce féminin dénote déjà l’enquiquineuse. Pourtant, en France, il a distingué une (bonne) femme quelconque, avec ironie certes, mais aussi avec une nuance de sympathie, voire d’affection, qui a rejailli sur son abréviatif Mémène. Cette part d’estime serait alors à rapprocher, croyons-nous, de la vive popularité dont a joui Germaine Coty, née en 1886, époque où le prénom atteignait son record de dévolutions. De janvier 1954 à sa mort en novembre 1955, elle fut la première dame de France pour avoir épousé René Coty, le dernier président de la IVe République. Celle que des chansonniers baptisèrent pour ses rondeurs « Madame sans gaine » incarna très vite dans l’opinion une sorte de bonne-maman, de Mémé confiture. Humble, déroutante de gentillesse et de naturel, elle reçut sans façon les journalistes venus l’interviewer, elle et son mari, le soir de l’élection. Parmi eux, Christian Millau, alors à Paris-Presse, s’est souvenu de la scène, digne d’une caricature de Daumier, dans son Journal d’un mauvais Français (Rocher, 2012) : « […] une Germaine au chignon et à la hanche large, emballée dans une robe à col en dentelle, tenant une soupière de ses deux battoirs à étaler d’un coup une boule de pâte à tarte, tandis que son époux, l’air pensif entre ses deux grandes oreilles, regardait le fond de son assiette. La photo eut un succès fou. Les Français – qui se
GERTRUDE Avec Titine ou Gudule, ce fut un nom familier de l’automobile, dès les années trente. Dans son autobiographie Et mes secrets aussi, composée avec Bernard Stora (Robert Laffont, 2013), Line Renaud raconte son retour d’exode en 1940 : « Nous pûmes recharger nos matelas sur le toit de Gertrude, réinstaller la bicyclette de Maman sur le marchepied, bourrer la malle arrière jusqu’à la gueule, fixer les sangles au capot et reprendre le chemin de la maison. » Ce véhicule de Line Renaud était une bien nommée Renault, apprend-on un peu plus avant : « Un dimanche sur deux, maman prenait le volant de la voiture familiale, une Renault baptisée Gertrude achetée d’occasion et nous rendions visite à mon père » (pendant la drôle de guerre, en 1939). Dans le duché d’Oldenburg, ancien État allemand, Gertrude désignait le limaçon, grâce à la sainte ainsi appelée ; en d’autres lieux, les enfants invoquaient celle-ci pour « enchanter » les escargots, qu’ils baptisaient aussi Gertrude (Claudine Fabre-Vassa, Le soleil des limaçons, 1982). (MERP) GILLES Djîle. La valeur de « nigaud, empoté, ahuri, ébahi » (Djîle l’èwaré) qui a éreinté, spécialement à Liège, cette variante dialectale du prénom s’est confirmée dans Bonut’ Djîle ! (Bonne nuit, Gilles !) exclamation servant à clore une discussion avec un importun, ainsi que dans le syntagme Djîle(s) pètoye signifiant « sot, innocent, niais, imbécile » (Les mots wallons de Guy Fontaine, n ° 758, 2001). (DPWL) GOLIATH Golias, graphie médiévale latine et forme portugaise du Goliath biblique, subsiste vaille que vaille au Brésil et chez les lusophones des États-Unis : en tout, 27 attributions comme prénom, contre 468 patronymes dans 19 pays, calculait en 2020 Namespedia. Par ricochet, ce masculin atypique expédie le lecteur dans les 30
fabliaux du Moyen Âge, parmi les goliards. Étudiants dévoyés, à la plume et au langage crus, ceux-ci se réclamaient de l’évêque éponyme mais légendaire Golias, un « ennemi de l’Église », luimême réputé héritier du géant philistin vaincu par David. Essaimant entre les XIe et XIIIe siècles sans jamais faire dans la dentelle, ces lettrés vagabonds, aux satires paillardes et anticléricales, rimaillaient et ripaillaient, goliard renvoyant d’ailleurs aussi à la gula ou gueule, canal de l’expression salace et de l’absorption gourmande. Si beaucoup sont restés anonymes, le mot Golias, pour « sexe féminin », a eu cours dans leurs confréries, et il était compris comme tel par leur public. Sous ce sens, il apparaît chez l’un d’eux, Gautier Le Leu, dans La Provance [expérience] de femme, écrit vers 1250, et rebaptisé plus tard La Veuve. (BEHI, TLFI) Cet auteur raconte en effet comment une dame avare, aiguillonnée par son Golias qui « tant l’argüe et la coite » (« l’excite et la harcèle tellement »), cherche avec frénésie « le bout de bois qui lui guérisse son mal de reins » (sic). Elle jette son dévolu sur un jeune homme à qui elle promet le gîte, le couvert et de l’argent s’il lui fait son affaire. Mais le partenaire ne déploie pas la fougue escomptée : le voici incapable de « croupionner ». Et il s’en justifie ainsi : « Dame, vos estes en defois !, / tant par avés torblé le vis, / je vos adoise mout envis. / Je ne vos puis tenir covent : /Golias bee trop sovent. /Je ne le puis asasiier, / tot i morrai de dessier ! » Soit, en français d’aujourd’hui, selon la traduction empruntée à Bernard Ribémont : « Dame, vous êtes bien en peine ! / Vous m’avez tellement fatigué la bite / que je vous touche avec dégoût. / Je ne peux tenir mes engagements : / votre Golias est trop souvent béant. / Je ne puis le rassasier. / À vouloir le satisfaire, je finirai par en mourir ! » Invoquant ces contretemps, l’amant exige la somme convenue, ce que lui refuse la veuve. Finalement, il lui donne « de bons coups », gages de sa virilité foncière, puis il la rosse généreusement. Il souscrit de la sorte au précepte suivant lequel « l’homme doit satisfaire sa femme, mais ne doit pas non plus s’user la santé à cause de la voracité de celle-ci. Si elle est trop exigeante en matière de sexe, il suffit de la battre copieusement », analyse Ribémont (Femme, vieillesse et sexualité dans la littérature médiévale française, XIIIe-XVe s., in Éros, blessures et folie, détresses du vieillir, dir. Alain Montandon, Presses universitaires Blaise Pascal, Clermont-Ferrand, 2006). (DIAF) Dans Trubert, un autre fabliau érotique – sinon pornographique et scatologique – signé par Douin de Lavesne au même XIIIe siècle, Golias
est le nom d’un roi « dont la bouche ressemble à une vulve ». Mais le registre ne change pas du tout : « De la gueule au con, le glissement de sens est évident : c’est toujours d’appétit qu’il est question », observe Arnaud de La Croix (L’érotisme au Moyen Âge – Le corps, le désir, l’amour, Tallandier, 2013). Un récit copieux et débridé décrit la geste de ce Trubert, paysan sanguinaire, fripon diabolique et pervers, cherchant à humilier les puissants. Il prétend faussement au duc de Bourgogne avoir décapité le roi Golias, mais la bouche et les narines qu’il exhibe comme trophées devant lui sont en réalité le sexe et l’anus d’une villageoise qu’il a mutilée (« Il lui découpe le cul et le con, / Et met dans un sac cette venaison. / Il compte l’offrir au duc en présent »). Il bastonne ce duc avec une trique enduite de merde ; il baise treize fois la duchesse ; déguisé en demoiselle, il engrosse la fille du couple, Rosette ; en se faisant passer pour elle, il épouse Golias ; il viole une servante qui occupera le rôle de la reine, et il sera lui-même couronné reine… (!) Le reste à l’avenant. En définitive, et si tant qu’il y ait un soupçon de morale dans ce tableau graveleux, Golias épousera Rosette. Avec de La Croix, convenons que ces textes populaires, à l’écart des douces chansons de troubadours et des nobles romans arthuriens, révèlent « une vision particulière de la sexualité, fort différente de celle de l’amour courtois et à mille lieues des noces mystiques ». C’est là une littérature proprement marginale, comme sont marginaux les petits dessins scabreux que les copistes glissaient en marge des manuscrits, ou les sculptures profanes parfois haut perchées de certaines cathédrales. Enfin, c’est bien en référence au pseudo-évêque du Moyen Âge qu’a été appelée Golias une maison d’édition française, très critique envers l’institution ecclésiastique, et fondée en 1985 par Christian Terras, chrétien progressiste. Sa devise : « L’empêcheur de croire en rond. » GRÉGOIRE Grégory. On connaissait le petit Grégory, nom cruellement donné à un cocktail (Gin Tonic et olive) dans le film C’est arrivé près de chez vous (1992), en référence féroce au meurtre de Grégory Villemin, retrouvé ligoté et noyé dans une rivière vosgienne en 1984. L’ichtyologie, elle, dispose dans ses tablettes du beau grégory, petit poisson jaune des récifs coralliens, originaire des Caraïbes. Il est réputé résistant, hardi et querelleur. On l’appelle parfois beau grégoire, et, en anglais, beau gregory ou beaugregory, « sans que l’on puisse savoir qui était ce Grégory ». Dans la 31
même famille, évolue un congénère plus grand, le garibaldi, à la livrée rouge orangé, ainsi identifié, lui, par le général italien que suivaient les Chemises rouges dans les luttes pour la libération de l’Italie (Henriette Walter et Pierre Avenas, La fabuleuse histoire du nom des poissons, Robert Laffont, 2011).
une chaîne humaine, en s’échelonnant, pour se passer de l’un à l’autre des matériaux de construction, voire simplement des outils ». Parmi ces derniers, plusieurs, dont un rabot, ont d’ailleurs eux-mêmes été identifiés par ce vieux prénom qui talonnait jadis Jean dans ses dévolutions et ses lourdes péjorations (Pasquier, 1560). Mais ici, la technique mise en œuvre dans l’acheminement de pierres relève d’une entraide fraternelle. Plusieurs exégètes, dont l’historien et poète Léon de Berluc-Pérussis († 1902), l’ont rapportée à l’entente salutaire conclue au XIe siècle entre deux Guillaume déterminés (variantes Guihaume, Guiheume), l’un comte de Gap, l’autre comte d’Arles : ils firent alliance pour débarrasser le Champsaur (Hautes-Alpes) des envahisseurs sarrasins. (TDFM) Consignée par Littré, une autre tournure incorpore le nom propre : faire quelque chose comme M. Guillaume inventait ses couleurs, pour « se vanter, s’octroyer des mérites qui reviennent surtout à un tiers » : « Paris est plein d’amateurs qui font leurs ouvrages comme M. Guillaume inventait ses couleurs », note le lexicographe pour illustrer son propos. Il évoque ainsi les écrivains de l’ombre, ceux qu’on appelait dès 1757 des nègres, mot auquel se substituent peu à peu ceux de prête-plume ou d’écrivain fantôme. Quant à l’origine, littéraire, de la locution, elle remonte à 1706, année de création de L’avocat Patelin, comédie de David Augustin de Brueys. À la scène VI du premier acte, lorsque Patelin s’émerveille de la couleur d’une étoffe, le drapier Guillaume abonde dans son sens, en l’avisant qu’elle est couleur de marron. « De marron ? Que cela est beau !... [Je] gage, monsieur Guillaume, que vous avez imaginé cette couleurlà ! », complimente l’avocat. « Oui, oui… avec mon teinturier », doit convenir du bout des lèvres son interlocuteur. (DILC) Bill. Sous les formes gros bill et grosbill, ce lointain fils de Guillaume via William émerge si souvent dans les forums et commentaires des jeux de rôle qu’il a produit le mot grosbillisme et qu’une notice de Wikipédia lui est dédiée. Il qualifie un joueur qui cherche à s’imposer d’emblée, de façon écrasante, au détriment du caractère interactif de la partie, dont il casse ainsi l’ambiance. Dès 1981, une revue spécialisée l’avait défini comme possédant « la cervelle du canari et la puissance de feu du porte-avions nucléaire ». À l’origine, Gros Bill était le surnom adopté par un joueur parisien de Donjons et dragons qui attirait l’attention « par sa manière peu subtile de tricher dans le seul but d’acquérir un personnage surpuissant ». « Si vous avez laissé un gros Bill dans votre groupe et qu’il semble avoir
GRIMAUD Célèbre comme patronyme grâce aux Grimaldi du Rocher monégasque, ce vieux nom de baptême qu’illustra un prieur de Saint-Bertin (Saint-Omer) devenu au IXe siècle le premier abbé de Winchester, en appellerait à une souche francique (*grima), d’où nous viennent masque et grimace. L’un de ses autres porteurs médiévaux est l’éponyme de la commune de Grimaud (Var), voisine de Saint-Tropez. Confidentiel de nos jours, le prénom n’en est pas moins recensé par le site baby.be, où la psychologie de ses titulaires est ainsi décrite : « Ils sont un peu brouillons, en raison de leur forte réactivité qui les amène à réagir sur-le-champ avec violence. » Désuet, le vocable grimaud, attesté dès 1480, est encore défini au Robert par « écolier des petites classes, élève ignorant ; homme inculte ou pédant, mauvais écrivain ». Germain (2007) n’exclut pas que la seconde acception péjorative ait pu peser sur le nom de famille. Pour Morlet (Les noms de personne sur le territoire de l’ancienne Gaule, 1968), celui-ci a peut-être motivé la dépréciation. Quant à Sainéan (Notes linguistiques sur Rabelais, 1907), il tenait l’origine de grimaud pour inséparable d’un homonyme, un appellatif dévolu au diable, relevé par Oudin (1640) dans l’injure « Grimaud, le père au diable » : « En provençal, grimaud désigne le diable et le sorcier, et, dans le normand de Rouen, il a le sens de vaurien. Grimaud, petit écolier, est un terme de mépris pour les enfants turbulents des écoles élémentaires ». De l’avis de Chautard (1931), grimaud avait autrefois pour synonyme son sens étymologique de « masque », employé à l’égard des enfants, « pour leur reprocher leur laideur et leur dissimulation » (sic). Quant à l’apparentement diabolique, il s’expliquerait par d’autres valeurs obsolètes de grimaud : « Individu déplaisant à voir, renfrogné, grognon, rabougri ». Grimaud fut enfin un nom vernaculaire de la chouette, oiseau à la face maussade, peu avenante. (TLFI, DNWB, VEAC, FEWI) GUILLAUME À défaut d’avoir pratiqué en personne l’exercice, on a tous vu un jour faire Guillaume : cette expression du sud de la France, issue du jargon des ouvriers maçons, correspond à « improviser 32
Wilhelm. Au moment d’aborder le cri Wilhelm, on paraphrasera Archimède: « Tout corps précipité dans le vide émet toujours le même bruit. » Si on le transcrit par « AAAh ! », « Aaaaarrrggggghhhhhh ! », « AaaaAAAouu ! » ou « AAAwouoo ! », c’est en effet le même hurlement, enregistré au milieu du siècle dernier et donc figé depuis lors, qu’Hollywood a systématiquement extrait de ses archives pour sonoriser le cri poussé par une victime, tantôt lors d’une chute ou d’une défenestration, tantôt lors d’une agression violente, d’un coup mortel, d’une explosion, etc. Les bruiteurs s’en sont entichés et l’ont resservi dans plusieurs centaines de scènes d’action : il est devenu chez eux un gag passe-partout, une lubie, un caprice, une toquade, un gadget, un gimmick, une blague d’initiés. Les vrais cinéphiles s’en amusent, les esprits chagrins s’offusquent de son caractère si récurrent et de ses débordements dans les feuilletons de télé et les jeux vidéo. Dans ses Petites et grandes histoires du cinéma (Le Cherche-Midi, 2014), Bruno Solo le présente à la fois comme une mascotte sonore et un signe de connivence, en plantant ainsi le décor : « Quel est le point commun entre Une étoile est née, La horde sauvage, Star Wars, Indiana Jones et le temple maudit, Kill Bill et Toy Story ? Le cri Wilhelm : depuis des lustres, Hollywood l’inclut en clin d’œil dans de nombreux films. » Il a résonné pour la première fois en 1951. C’était à la 45e minute des Aventures du capitaine Wyatt, de Raoul Walsh, avec Gary Cooper : dans les marais de Floride, pour les besoins du scénario, un alligator happait un figurant. Beuglant tout son effroi en moins d’une seconde, celui-ci, joué par Sheb Wooley (19212003), passera de ce seul chef à une postérité oublieuse du reste de sa carrière d’artiste, de musicien et de chanteur. Son cri, la Warner le conservera dans sa sonothèque, sous la référence « Homme se faisant dévorer par un alligator », et, en 1953, il sera réutilisé par Gordon Douglas dans La charge sur la rivière rouge, premier western en relief et en couleurs. Il y illustre cette fois la plainte fatale d’un soldat touché en plein cœur par une flèche des Cheyennes. C’est d’ailleurs justement au nom de ce soldat, Wilhelm (incarné par Ralph Brooks, 1904-1991), qu’il empruntera en définitive le sien. Ce cri Wilhelm sera réemployé pour d’autres tournages jusqu’aux années 1960, puis rejoindra les tiroirs, d’où l’extirpera en 1977, pour la saga de La Guerre des étoiles de George Lucas, le monteur Ben Burtt. Ce technicien l’insérera par la suite dans toutes les productions auxquelles il
pris beaucoup trop de pouvoir, il ne faut pas se décourager : il est encore temps d’agir. Cependant, il faut songer rapidement à lui faire comprendre qui est le maître », recommande la page Les désastres du Grosbillisme (orm.free.fr/jdr/grosbill/gros_bill.htm). Quand tous les coups sont permis, la frontière est parfois fragile entre joueur parasite et joueur expérimenté et astucieux. En 1998, le sobriquet a inspiré une société française de matériel informatique dans le choix de son enseigne : Grosbill, déficitaire, a dû fermer plusieurs de ses boutiques en 2017. Billy. On connaît Biribi, bagne miliaire d’Afrique du Nord au temps de la colonisation, mais beaucoup moins le bilibi, une soupe de moules, qui doit son nom à un prénommé Billy. Ce potage aux crustacés cuits au vin blanc aurait été créé en Normandie lors du débarquement, à l’occasion d’un dîner d’adieu offert audit Billy, un officier américain. Le mot bilibi résulte d’ailleurs de la francisation et de l’abrégement de « Billy, bye bye ! ». Les moules sont accompagnées d’oignons, de persil, de céleri et de fumet de poisson. On sert le plat chaud ou glacé, avec de la crème fraîche semée de paillettes de parmesan. Le Grand Larousse gastronomique (2007) lui fournit une autre étymologie, plus courte et moins pittoresque, où Billy est simplement le surnom d’un amateur de moules, et il en attribue la recette à Louis Barthe, chef du Maxim’s de 1920 à 1955. (GLGQ) D’autre part, le football et l’humour ont infligé un discrédit très transitoire à Billy : « Des Italiens brûlent des Billy partout dans le monde », titrait, le 14 novembre 2017, le site belge d’infos parodiques nordpresse.be. Les émeutiers, lisait-on, se répandaient dans les rues, investissaient les maisons pour y détruire par le feu tous les meubles provenant du géant suédois Ikea. Le Billy, une bibliothèque en bouleau plaqué commercialisée depuis 1979, ne pouvait leur échapper : c’est en effet le produit phare de ce constructeur, avec une vente toutes les cinq secondes en moyenne pour l’ensemble des magasins de la planète. Face à la Suède, l’Italie venait d’échouer à se qualifier pour la Coupe du monde de football 2018, et l’article imaginait ainsi ces scènes de « représailles », échos de pure fantaisie aux saccages et sanglantes échauffourées dont Bruxelles avait réellement été le théâtre trois jours plus tôt, à l’issue de la qualification du Maroc pour ladite Coupe. On notera par ailleurs que l’anglais dispose de silly Billy pour « sot » et d’old-billy pour « diable ». 33
collabora, dont E.T. l’extra-terrestre de Steven Spielberg (1982).
Quant au prénom, il représente la forme germanique de Guillaume : les Français appellent Guillaume les empereurs allemands Wilhelm.
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HI HECTOR pour sa thèse sur la mémoire de l’eau, qui justifiait l’efficacité des produits homéopathiques, même dilués à l’infini. Un phénomène hautement contesté et qui heurte les rationalistes, d’où leur riposte sarcastique. Le site anglais improbable.com tient à jour les « découvertes » dont se gaussent les tenants de l’orthodoxie. Leur « rigorisme aveugle » est bien sûr condamné par l’autre camp, pour qui il n’existe pas de recherches vaines. Nazi, diminutif naguère courant d’Ignaz(ius) dans le sud de l’Allemagne, en Bavière notamment, fut pris en mauvaise part au début du XIXe siècle : il désigna le rustre, le niais, le lourdaud, dans le sillage d’autres prénoms, d’outre-Rhin (Hans, Heinz) ou français (Jeannot, Colas, Robin). « Ignaz symbolise la stupidité et la simplicité ; on appelle Nazi celui que caractérisent ces attributs », relevait en 1896 un philologue allemand. L’abréviatif fonctionna aussi dans le blasonnement : les habitants de Neuchâtel sur le Rhin (Bade-Wurtemberg) étaient ainsi traités de Nazi par leurs voisins de Müllheim. Le même nom s’ajouta par ailleurs aux sobriquets emblématiques baptisant les soldats selon leur provenance (Fritz pour l’Allemand, Ivan pour le Russe, Tommy pour le Britannique, etc.) : « Dans l’armée allemande, les recrues originaires d’Alsace et de Lorraine se voyaient affublées du surnom péjoratif Schangel (de Jean). Les alliés autrichiens portaient les noms de Nazi, ou, plus précisément, de Kakanazi, composé dont le premier membre fait allusion à l’abréviation k.u.k. pour kaiserlich und königlich [impériale et royale], titre officiel de la double monarchie austro-hongroise. » En 1922, l’écrivain allemand Kurt Tucholsky intitula Die Nazis un essai où il fustigeait « les émigrés autrichiens arrivés en masse à Berlin et dont l’insolence et le chauvinisme l’horripilaient ». Si l’homonymie est parfaite, mais fortuite, entre ce dérivé et l’enseigne du national-socialisme, certains auteurs, dont Rudolf Majut (1958), n’excluent pas qu’elle ait pu favoriser l’implantation du parti parmi les Bavarois. (BAPC) Par parenthèse, en France, les tours populaires
Le vocabulaire galant du XVIIe siècle appelait cheval d’Hector la position sexuelle où l’homme, allongé sur le dos, était chevauché par sa partenaire dont il ne voyait que le dos. Il s’agirait d’une allusion espiègle à l’utilisation stratégique par les Grecs du fameux cheval de Troie, empli de guerriers, pour investir la ville dont Hector fut le défenseur le plus valeureux. (MSAP) HUBERT D’une femme à la poitrine opulente, on a pu dire malicieusement qu’elle arborait une vraie laiterie Saint-Hubert, d’après le nom d’une célèbre laiterie, fondée en 1904 à Nancy par Paul Couillard, et qui, outre le lait pasteurisé, commercialise des yaourts, du fromage et du beurre. (MSAP) IGNACE Ignatius. François se compacte parfois en Fr et Jean en Jn – ainsi les théologiens citent-ils l’évangéliste. Pourquoi, dès lors, ne pas abréger Ignatius en Ig ? C’est effectivement ce que font depuis 1991 des scientifiques, inventeurs du personnage d’Ig Nobel, Ignatius donc, le cousin imaginaire du célèbre Alfred, créateur du prix fameux couronnant savants et bienfaiteurs de l’humanité. Des récompenses portant le nom du parent fictif sont attribuées chaque année, mais non sans dérision, puisqu’en anglais Ig Nobel et Ignoble se prononcent de la même façon. Cette homophonie donne la mesure du persiflage dont le jury, riche d’authentiques prix Nobel, accable les lauréats. En 1998, pour la biologie, ses lauriers sont allés à l’Américain Peter Fong, auteur de travaux sur l’amélioration de l’humeur des palourdes traitées au Prozac, et, pour la statistique, à un laboratoire canadien qui s’était penché sur « la relation entre la taille de l’homme, la longueur de son pénis et sa pointure » (Anne-Marie Casteret, L’Express, 22 octobre 1998). En France, le Dr Jacques Benveniste († 2004) a reçu à deux reprises ce prix caricatural, catégorie Chimie, la première 35
avoir le nazi (1874) et être nazigué (1880) ont caractérisé un syphilitique, par altération de naze (nez), attesté en 1835, ou de lazi (nez aussi, dans l’argot des bouchers, le largonji) : « Sans doute les argotiers ont-ils comparé le pus des plaies d’origine syphilitique aux mucosités nasales », supputait Chautard (1931). Le sens actuel de naze (« foutu, fatigué, sans valeur, hors course ») ne serait qu’une extension du mot visant naguère le malade. (VEAC, TLFI)
que celui-ci, fort de 1 720 attributions dans l’Hexagone lors de son apogée en 1972, n’en revendiquait plus que dix-sept en 2012 : cent fois moins. Sa consécration antérieure, il la devait pour une part à deux Suédoises, l’une sainte, princesse et moniale du XIIIe siècle, l’autre actrice, Ingrid Bergmann (1915-1982). Il demeure très diffusé dans son fief, avec pour sens « Ing est belle » en vieux norrois, Ing étant une divinité mythologique du cru.
INGRID « Ingrid, est-ce que tu baises ? » Bien des titulaires, françaises ou belges, de ce féminin scandinave auront été chambrées ou taquinées par cette question, la toute première posée par un JeanPierre lunetté et loucheur, alias Didier Bourdon, dans Tournez ménage, le féroce pastiche imaginé en 1992 par les Inconnus. Ils y singeaient Tournez manège, ce jeu matrimonial qui fit les belles heures de la télé de 1985 à 1993. « J’ai une pensée pour les Ingrid, qui ont subi des vannes pendant de longues années à cause de ce sketch », commente un internaute à l’occasion d’une rediffusion sur Youtube ; « Et elles continuent à en subir », renchérit un deuxième ; « C’est vrai, ma cousine s’appelle comme ça et elle a pris cher ! », conclut un troisième. Feignant l’indignation, Michèle Laroque, la présentatrice dans la caricature, presse le candidat de reformuler de façon moins abrupte, ce qui donne : « Ingrid, quand tu vas au cinéma, est-ce que tu préfères les films d’aventure ou les comédies, et surtout, après, estce que tu baises ? » Si on ne peut déterminer avec rigueur l’influence exercée par la petite phrase sur l’évolution du prénom, on observera
IRMA Par référence espiègle aux prophétesses antiques, on qualifie parfois de sibylle la diseuse de bonne aventure, mais Irma, cet autre prénom bien davantage associé à la voyante besogneuse et caricaturée, n’a lui-même rien d’arbitraire : des réclames parues dans les journaux à partir de 1908 attestent qu’une authentique Madame Irma, extralucide, a bien pratiqué son art 7, rue Tesson à Paris, où elle recevait tous les jours. « Consultezla : par ses cartes, secrets, vous réussirez ; toutes vos espérances se réaliseront : procès, mariage, héritage, affaires ; amis et ennemis », lisait-on ainsi dans une annonce de 1910, insérée par celle qui se proclamera bientôt « la célèbre Madame Irma ». Cette icône de la divination, fille d’un couple de charcutiers béarnais, aurait accompli une longue et belle carrière puisque, selon le site audiotel.tv, elle compta parmi ses clients le boxeur Marcel Cerdan (1916-1949). Le 19 décembre 2017, sur France 2, une question des Grosses têtes de Laurent Ruquier (« Qui exerçait ses talents 7, rue Tesson ? ») l’a tirée de l’oubli le temps d’une anecdote.
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J JACQUES (Mœurs des Conduzes, éd. de Saint-Hubert, VervozOcquier, 1933). « Le trou du cul de Madame Jacques » : ainsi, sous la plume de Maurice Barbotin, le Dictionnaire du créole de Marie-Galante (Buske, Hambourg, 1995) traduit-il « bonda a man-jak », qui désigne, dans cette île comme dans tout l’archipel des Antilles françaises, un piment, le plus puissant au monde. D’autres auteurs écrivent « bondamanjak », en un mot, ou bien, bouchant le « trou », s’en tiennent à « cul de Madame Jacques ». Dans ses Proverbes et expressions créoles d’autrefois (2006), Pierre Bonnet, en glosant « bonda a man Jacques », parle plutôt des « fesses de Madame Jacques », locution sous laquelle ce piment semble le plus connu, y compris en métropole où on l’importe. Les cuisiniers sont invités à le manier avec un luxe de précautions, en ouvrant les fenêtres, en portant des gants et en se bornant à une dose homéopathique sur la pointe d’un couteau (cf. moichef.fr/blog/et-si-vous-goutiez-auxfesses-de-madame-jacques). Le 23 décembre 2016, la troisième formulation, celle des « fesses », figurait au questionnaire de l’émission de TF 1 Les douze coups de midi : la tournure saugrenue n’eut pas de secret pour le candidat. De faible taille (3 cm), le végétal, vert, jaune ou rouge, et dont le nom officiel est Piment Habanero, évoque une petite poire inversée, une poire qui ferait le poirier en quelque sorte, avec sa partie la plus large à son sommet, d’où l’analogie avec un popotin dodu. Mais on en a appelé aussi à la « chaleur de feu » suscitée par sa consommation, rapportée en ce cas « à la légèreté des mœurs et à l’insatiabilité » d’une authentique Madame Jacques du cru (cf. azmartinique.com/fr/gastronomie/fruits legumes/piment -antillais). Cette riche nature enjoliverait une anecdote locale, puis une comptine (La rue zabym), où elle n’est plus qu’une vieille dame vivant dans une case de paille. Sur l’échelle simplifiée de Scoville, mesurant depuis 1912 la force des piments, le Habanero rouge ouvre la marche : classé comme « explosif », il laisse loin derrière lui le Tabasco (« volcanique ») et le Cayenne (« torride »).
En Picardie comme ailleurs, le prénom, longtemps privé du s final, fut ravalé en synonyme de « minus, simple d’esprit, malotru », dans le droit fil de la balourdise que lui assigna l’époque médiévale. À partir du XVIIe siècle, sa dépréciation engloba peu à peu la forfanterie, l’esbroufe, l’excentricité, décelables dans le tour faire le Jacques, où l’idiot se double d’un bravache. Dans la Somme, un Jacque fut ainsi, au XIXe, « un fanfaron qui vante sa bravoure pour se faire valoir » : « On dit à celui qui s’est vanté de réussir dans une entreprise qui a échoué : T’es-tun bieu (beau) Jacque ! », écrit en 1893 le Dictionnaire d’Alcius Ledieu. L’auteur enchaîne par une acception supplémentaire, celle de « gourmand », car l’individu brocardé abat « plus de besogne à table qu’au travail » : « Pour mengé, tu t’appéle Jacque ! » (sic). Parmi les cent-soixante publications que signa Ledieu, historien et linguiste picard, l’une, Petit glossaire du patois de Démuin (publié à Paris par la bien nommée maison Picard), traite du parler propre au village où il naquit en 1850, à une vingtaine de kilomètres d’Amiens. Dévolu au jeune conscrit dans les Charentes au XIXe, le sobriquet de Jacques (parfois décliné en Jacquot) l’a aussi été au soldat en général. Un glossaire des patois de cette région fournit les exemples que voici : « Quand ils voient passer le Conseil de révision, on dit : ‘‘Argardez don les Jacques qui passaont’’ ; et, au régiment : ‘‘Où vas-tu là…, tu vas faire le Jacques’’ (c’est-à-dire le sot) ». (GPAS) En Wallonie, le nom de baptême est allé à un verre de pèkèt, eau-de-vie autrefois inséparable de la vie sociale et toujours présente, de Liège à Namur, lors des grosses réjouissances populaires : « Pour rien, hormis gagner de l’argent ou boire un Jacques (verre de genièvre), l’homme du pont ne quitterait sa place » (Revue Wallonia, 1897). Le dialecte en faisait un djaques : « Dans le Condroz […], on appelle djaques le plus imposant des verres de genièvre », note Marc Lamboray (Pèkèt, roi de la fête, compagnon du Travail, maître des traditions, 2018), citant Abel Lurkin 37
Djåque. Mêsse Djåque (Maître Jacques) a pris en wallon un sens distinct de celui de factotum apparu dans L’Avare de Molière : il désignait, non sans ironie, un chevalier servant, un galant empressé. (DPWL) Jack. Dans son étude Sur quelques traditions celtiques (Revue des Traditions populaires, avril 1891), David Fitzgerald observe qu’outre-Manche aussi l’âne s’est vu attribuer des prénoms familiers, dont Jack en Angleterre (avec jackass, « âne Jack », pour baudet). Il en existe d’autres là-bas pour cet équidé : Ned et Neddy (diminutifs d’Édouard), Dicky (de Richard, via Dick) et Cuddy dans le Cumberland, ce dernier emprunté à Cuthbert, qu’illustra un saint évêque anglosaxon du VIIe siècle. Selon le Dictionnaire étymologique d’Oxford, cité par Henriette Walter et Pierre Avenas (L’étonnante histoire des noms de mammifères, Robert Laffont, 2003), l’attraction du nom Jack a pu jouer pour plusieurs animaux supplémentaires, tels le choucas (jackdaw), le chacal (jackal), et le lièvre d’Amérique (jack rabbit). (MERP) Jacqueli (variante : Jacquelin) s’est employé pour « petit niais, ingénu » dans les parlers de langue d’oc. (TDFM) Jacqueline. Le choix de ce prénom sous son sens de « prostituée » a été motivé par les mots jacques et jacquot, désignations populaires anciennes (XVIe siècle) du sexe masculin. (INJD) Jacques-Pierre, apparu en argot vers 1830 pour désigner de façon générale le chef d’une bande de truands, et repris sous ce sens en 1880 par Larchey (Nouveau Supplément à son Dictionnaire), s’inspire probablement d’un malfrat ainsi nommé ou prénommé. (SLAR, PVLL)
accueillit saint Paul à Thessalonique. Ce sera toutefois sous la seule impulsion des feuilletons américains que Jason s’établira à la fin du XXe en France, où son meilleur millésime fut 1995. JEAN Jean de la suie pour un ramoneur, Jean du presbytère pour un curé : l’usage ancestral d’identifier une catégorie d’individus par le plus polyvalent des prénoms flanqué d’un article aux allures de particule s’est à nouveau illustré en 1914-1918 avec Jean des Embuscadins, qui n’a rien d’un titre de noblesse, mais désigna de façon méprisante un embusqué. « À l’abri à l’arrière, tout le monde obtient le statut d’embusqué aux yeux des soldats et de leurs familles, écrit Julien Arbois (Histoires insolites de la Grande Guerre, City Éditions, 2013). Celui qu’on finit par surnommer Jean des Embuscadins est décrit comme un pleutre, un jeune homme le plus souvent efféminé, qui se pavane dans les trains ou hante les terrasses des cafés. Pour le Poilu loin de sa femme, il devient une menace permanente. Vilipendé depuis les tranchées, il montre en négatif le cruel besoin de reconnaissance des combattants, qui affrontent la mort dans l’anonymat le plus total. » À partir de 1915, commença une véritable traque à l’embuscomanie, au point que se constitua une Ligue nationale contre les embusqués. Dans son livre Les embusqués (Armand Colin, 2007) rédigé d’après sa thèse de doctorat, Charles Ridel rappelle que le verbe embusquer, fondé sur l’italien bosco (« bois ») et appliqué d’ordinaire aux chasseurs tapis dans les fourrés pour surprendre le gibier, voire aux soldats tendant à l’ennemi un piège, un traquenard, une embuscade, se doubla au milieu du XIXe siècle d’un sens diamétralement opposé, que consacra justement la Première Guerre : l’embusqué ne faisait plus face au danger, il s’y soustrayait ; il n’était plus un brave, mais un planqué. Des dérivés comme réembusquer, surembusquer, embuscophile, embuscophobe, embuscomaniaque, etc., foisonnèrent alors pour cerner toutes les facettes d’un vaste phénomène et accabler l’homme ainsi visé. On imagina même que son attitude résultait d’une tare héréditaire et l’on parla de familles Lembusqué, comme il existe des Lécuyer ou des Langlois : « Cette dénomination, lorsqu’elle comporte une particule (Jean des Embuscadins), a pour objectif de stigmatiser une classe sociale prédisposée à l’embusquage des siens », commente l’historien. Jean-le-Soûl (ou Jean soûl) a défini régionalement un homme repu, gavé, au ventre plein : il a mangé ou bu à satiété, voire davantage – au
JASON Pour nous faire jaser, Jason s’acoquine à son insu avec le calendrier : seul dans son cas, et en français comme en anglais, il reproduit en effet les initiales de cinq mois consécutifs de l’année (Juillet, Août, Septembre, Octobre et Novembre), une propriété morphologique repérée par Thomas Segal pour son Encyclopédie de l’inutile (Chemins de tr@verse, 2010). Jason signifie « guérisseur » : dans le panthéon grec, Jaso, fille d’Esculape, était la déesse de la guérison. La même mythologie fait grand cas du héros Jason qui conquit la Toison d’or pour récupérer son trône. Mais les premières attributions de ce masculin, chez les Anglosaxons lors de la Réforme du XVIe siècle, se fondaient plutôt sur le prénom hébreu Joshua (« Dieu délivre »), porté par un disciple qui 38
point d’en avoir tout son soûl. C’est de ce surnom qu’a émané l’expression viande à Jean (le) Soûl pour un mets léger, trop raffiné pour ce gourmand qui ne pourrait l’apprécier. Ce plat s’appelait aussi viande creuse, aliment insuffisant qui à lui seul ne nourrit pas ou que l’on consomme en supplément. « De la crème fouettée est par excellence de la viande à Jean-lesoûl, mets à prendre quand on est déjà rassasié », écrivait le comte Jaubert dans son Glossaire du Centre de la France (Napoléon Chaix & Cie, 2ème éd. 1864). (MERP) Peu péjoré était le Jean-vouéyer, mot par lequel, en Aunis et en Saintonge, on a désigné l’agent voyer, autrement dit le préposé à l’entretien des chemins publics, le cantonnier. Quant au composé jean-jeudi, dont on affublait le mari trompé (une croyance garantissait des cornes à l’époux marié un jeudi), il s’est aussi associé, dans l’ouest de la France et dans le Berry, à une grosse sauterelle verte et sonore, l'éphippigère des vignes, dont d’autres noms plus familiers sont jeudi, jeudie, judie, voire tizi, d’après son cri ou ses stridulations (tsii-zi). Ce surnom de jean-jeudi viendrait des écoliers, qui aimaient jouer avec l’insecte. Mais « la raillerie de Jean-Jeudi, charivari de la sauterelle des vignes » a même été clairement invoquée dans le rejet des épousailles en ce jour de la semaine (cf. Robert Colle, La condition féminine de la Préhistoire à nos jours, en Aunis et Saintonge, éd. Rupella, La Rochelle, 1989). (GPAS) Dans le patois de la Marne, un jean du cul était un minus « dont la taille n’atteint pas la ceinture d’un individu normal ». Daunay (1998) accueille en outre, dans ses parlers champenois, le jean-gicoula, « grand niais » et le jean-puna, « pondeur », « qui pond, qui couve, qui se charge des occupations réservées aux femmes. (JDPC) Du côté de Limoges et de Clermont-Ferrand, Jean-chauffe-la-couche (Jan châoufo lo coucho) s’employait pour se gausser d’un mari soumis à toutes les volontés de sa femme (Louis Queyrat, Parler de la Creuse, le patois de la région de Chavanat, 1930 (Imp. Betoulle-Lecante, Guéret). Surnom traditionnel du curé de paroisse, Messire Jean a animé quelques tours proverbiaux. « Il ressemble à Messire Jean, qui ne peut lire quand on le regarde » exprimait l’idée que les gens peu dégourdis sont vite déconcertés, constat vérifié par l’adage voisin « Le greffier de Vaugirard ne peut écrire quand on le regarde » : éclairé par une humble lucarne, l’homme posait sa plume dès qu’il prenait à un passant la fantaisie de jeter un œil par l’étroite ouverture, car cette curiosité lui bouchait le jour (Quitard, 1842). « Il faut que
Messire Jean y passe » signifiait que l’ecclésiastique devait célébrer le mariage : ainsi, à Philippin qui lui propose « Si tu veux nous coucherons tous deux », Alizon objecte : « J’ai patience que nous soyons mariés, il faut que Messire Jean y passe, & puis tu y passeras tout ton saoul, je vois bien que tu es bien amoureux car tu es chatouilleux » (La comédie des proverbes, 5ème éd., 1715). (QUIP, BODC) Maître Jean l’ivrogne, curé de Pomponne : visant un soiffard au XVIIe siècle, ce persiflage semble préfigurer celui qui brocardera, au XVIIIe, le desservant de cette paroisse de Seine-et-Marne, dans la chanson paillarde Le curé de Pomponne. « Embrassez-moi cinq ou six fois, et je vous le pardonne ! », enjoint le confesseur à la jeune pénitente venue lui avouer « avoir embrassé un homme » Refrain : « Ah !, il m’en souviendra, larira, du curé de Pomponne ! », s’exclame la fille, pour qui « la pénitence est bonne ». Mais ici, le prêtre est davantage porté sur la chose que sur la bouteille. (CUFR, BODC) « Les crapauds nourris par des sorcières sont appelés Jean », lit-on chez Jean-Baptiste Laborde, in Les ‘‘brouches’’ en Béarn, Gascogne et Pays basque, Histoire et folklore, Lescher-Montoué, Pau, 1936. L’auteur renvoie à sa source, une notice de neuf feuillets publiée en 1671 à Bordeaux par l’abbé Descout, curé d’Érette-enBéarn : Fidelle relation faite avec serment au Parlement de Pau, Contenant toutes les maximes diaboliques qui se pratiquent parmy les Sorciers et Sorcieres. Brouches et brouchs sont de vieux mots occitans pour « sorcier, sorcière ». (MERP) Pour mémoire, Jean et Guillaume ont été prénoms passe-partout blasonnant « les gens qu’estimons de peu d’effet », comme l’observait dès 1560 Étienne Pasquier (Recherches de la France). Ce discrédit n’est sans doute pas étranger à la tournure à trille-bardou chez Jean Guillemette. Elle désignait un lieu inconnu, banal ou lointain, un peu à la manière des actuels Trifouillis-les-Oies ou Pétaouchnock, avec cette différence que trillebardou a réellement existé, par corruption de Trie-le-Bardou, aujourd’hui Trilbardou (Seine-etMarne), ainsi appelé d’après Bardou, surnom d’une dynastie de seigneurs de l’endroit au XIe siècle. (CUFR) S’il a ciblé le vigneron, Jean Raisin en a parfois fait tout autant avec le vin (Peterson, 1929) : « Laissez circuler Jean Raisin ! Avec son vieil ami le Pain ! » (Gallet, Rapport de délégués lyonnais, 1879). Chez les Angevins, jean des bois distingua le loup, brièvement étiqueté jean dans le sud-ouest (et Yann en Bretagne), alors que, dans le Loiret, jean, seul à nouveau, baptisa le bouc (Rolland, Faune populaire de France, 1877-1911). Par jean flameuse, 39
on entendait un gâteau à Beaune (Côte-d’Or), et, par jean-léger, un plat breton à base de poumon de bœuf, nous instruit Cramer (1931), chez qui le composé Saint-Jean, raccourci d’herbe de la SaintJean, est renseigné pour plusieurs végétaux : le lierre dans le nord et dans le Languedoc, la giroflée jaune en Anjou, le cresson des prés en Haute-Marne, le millepertuis au Mans (Sarthe), la marguerite en Wallonie, la lavande à Nice. (CFDB) Le Jean-Crétin, s’il n’offre pas l’ancienneté qu’on pourrait soupçonner, a repris chichement du service au XXIe siècle. Ainsi, en 2020, il ne cache rien de sa vilénie dans ces mots de Florence Hainaut : « Les femmes se font emmerder partout où elles sont. Rue, réseaux sociaux, monde du travail, t’as jamais la paix, toujours un Jean-Crétin pour te dire que tu n’es qu’un cul et que tu devrais agir comme lui l’entend. » Il s’agit là de l’un des derniers tweets de la journaliste de la RTBF, qui, annonçait Le Vif du 11 juin, avait fermé trois jours plus tôt son compte (riche de 27 400 abonnés), « lasse d’être la cible quotidienne de raids d’avanies sexistes ». En 2015, sur le site Allociné, un des spectateurs déçus du film Extinction d’Adam Spinks (2014) tirait à boulets rouges sur la galerie de personnages, dont « une attardée mentale, une rebelle qui déteste les Occidentaux (…) et un Jean-crétin psychotique ». Quant au mal (de) Saint-Jean (épilepsie), habituellement rapporté à l’apôtre prié en cette circonstance – et qui, d’après la légende, en fut lui-même atteint le jour où un orage le foudroya –, Wikipédia préfère l’associer à Jean-Baptiste : du Précurseur, Salomé obtint la tête en pratiquant devant Hérode la danse dite des sept voiles, dont les mouvements auraient suggéré les crises convulsives. Dans l’imaginaire collectif, les contorsions de l’ensorceleuse sont pourtant moins spasmodiques que voluptueuses et lascives.
puisque son sens est « Je suis un pauvre sire ; je n’ai pas un nom connu ». (DPWL) Djihène. Outre une femme ébouriffée et godiche, ce pendant liégeois de Jeanne a désigné un grand pot contenant quatre pintes (2, 55 l), aussi appelé bèle-djihène (belle-jeanne), mais plus modeste que la dame-jeanne, dont la capacité peut atteindre les 50 litres. (DPWL) Hanz. En Suisse romande, l’exclamation humoristique Adieu Hanz ! avait pour sens « C’est fini ! Il n’y a rien à faire ! ». Ainsi dans cet extrait daté de 1888, à propos des candidats soumis à l’examen d’entrée d’une société de musique : « Se ne repondont pas dè sorta : adieu Hanz ! » (« S’ils ne répondent pas correctement, rien à faire ! ») (GPSR) Iann, une des déclinaisons bretonnes dans le Finistère, aura été, ainsi que l’observe Troude dans son Dictionnaire (1876), « un mot sur lequel on se plaît, comme en français sur le mot Jean, à multiplier tous les défauts que peuvent avoir les hommes ». Le procédé relève du style familier et trivial, et il n’est guère utilisé que sous forme d’interpellation, nuance-t-il. S’il s’agit par exemple d’apostropher un imbécile, on lui dit : ‘‘ ‘‘Ke, Iann banezenn (pour panezenn) !’’, soit « Vat’en, Jean Panais ! », glosé par « Jean bête comme les animaux qui ne mangent que des panais ». À l’homme qui tolère l’inconduite de sa femme ou s’aveugle sur le sujet, on lance Iann-Iann (JeanJean, deux fois Jean). De même, on dit Iann billenn (pour pillenn, « guenille ») à un loqueteux, que l’inconduite a réduit à la misère ; Iann trapet (Jean benêt) ou Iann-ioud (Jean bouillie) à un nigaud ; Iann frank he c’houzouk à un ivrogne (littéralement : Jean-large-son-gosier) ; Iann-laou (Jean aux poux) à un malpropre, couvert de vermine. (TDBF) Par ailleurs, et de même source, les paysans superstitieux nommaient mestr Iann (maître Jean) un esprit follet, qui, à les en croire, pénétrait la nuit dans les écuries pour étriller les chevaux et leur couper les crins de la queue. « On comprend l’intérêt qu’avaient les voleurs de ce genre de mettre à la charge d’un être imaginaire un vol qui pouvait les mener à la cour d’assises », justifie le lexicographe.
Dian est, avec Zian, une des formes de Jean en Savoie, où, redoublé et lexicalisé (un dian-dian), il a raillé un benêt, ainsi voué au même discrédit que le jean-jean et ses variantes dialectales. On le connaît aussi sous ce sens en Suisse romande. Ce dénigrement est à coup sûr antérieur à Mai-68, où, selon la boutade, la force publique répondait par Étudiants / dian-dian au slogan CRS / SS jailli des barricades. (FBFR)
Iannik a rejoint le précédent pour quelques tournures accablantes, dont, par antiphrase, Iannik kountant (Jean content) pour un mari cocu. (TDBF)
Djihan, un Jean à la liégeoise, s’est glissé dans l’expression « On m’ lome Djihan tot plat – ou tot coûrt » (On m’appelle platement Jean, ou Jean tout court), qui en dit long sur la banalité du prénom,
Jan. Prospecté avec minutie par Mistral dans son Dictionnaire provençal-français (1879), le discrédit de Jan (forme dominante en langue 40
d’oc) a déjà, par ce biais, trouvé ici un copieux écho (cf. Supplément 2016, s.v. Jean). Voici un nouvel échantillon, emmené par le jan-locho (locho, « pénis »), escorté d’un autre composé aussi obscène et injurieux, le jan-caspi. Ils ont respectivement qualifié un nigaud et un propre à rien. « Sies un jan-caspi ! », soit « Tu es un jeanfesse ! », assène-t-on à un foutriquet. Caspi, qui a fonctionné aussi comme interjection (pour Peste ! ou Morbleu !), résulte, hasarde Mistral, soit d’un euphémisme du mot cacho (« phallus, membre viril »), soit d’une contraction du juron gascon « Cap de ma bitto ! », qui n’est pas sans évoquer l’infamant « Tête de nœud ! », né au XIXe siècle. À peine moins malmenés sont d’autres spécimens collectés par le cofondateur du Félibrige, dont le jan-figo (« des figues »), pour un vaurien ; le jan-flahuto (« flûte ») pour un imbécile ; le jan-fai-tout, factotum ; le jan-femo ou femello, qui s’immisce dans les occupations des femmes ; le jan-sausso, qui se mêle de cuisine, tandis que le jan-recuelo (« lambin ») est redevable de son supplétif à l’impression qu’il donne de progresser à reculons à la manière des écrevisses. Seul Jan-d’Auvergno rehausse quelque peu le tableau : il personnifie, en Bas-Limousin, le vent du Nord, qui, soufflant des monts d’Auvergne, est réputé vecteur de fortes gelées par beau temps. (TDFM) Enfin, lorsque plusieurs personnes réunies manquaient une tâche jugée pourtant facile, elles s’attiraient le commentaire « Tres Jan batejèron pas un ase » (« Trois Jean ne parvinrent pas à baptiser un âne »), le bourricot animant aussi la raillerie Dous Jan em’ un Pèire fan un asé entié (« Deux Jean et un Pierre font un âne entier »). (GCPP)
le nom de Manifeste des Janettes : les signataires, issues des milieux culturels et féministes, y firent d’ailleurs suivre leur propre prénom du sien. Jean-Kevin (ou Jean-Kévin) s’est à l’occasion distingué parmi les internautes, qui l’assimilent volontiers, tout comme Kevin, à un parasite, à un troll (Titiou Lecocq et Diane Lisarelli, Encyclopédie de la web culture, Robert Laffont, 2011). Le troll « est un e-sacripant qui vient pourrir une discussion, un forum, un blog, par ses coms (commentaires) vicieux, stupides, provocateurs, importuns (Didier Pourquery, Les mots de l’époque, 100 tics, trouvailles et autres extravagances du langage quotidien, Le Monde / Autrement, 2014). Dans la langue des jeunes encore, un Jean-Kevin est un inconditionnel du jeu vidéo Minecraft (Brunet, 2012). Il a droit à sa chanson : « Je m’appelle JeanKevin / Dans la vie je vis dans la téci (cité) / Et mon âge ? / J’ai dix ans et demi. » L’intéressé possède souvent une console XBOX 360, lit-on sur le forum du jeu (2016), où le Kévin seul est plus accablé (« Il a le Q.I. d’une tapette à mouche et fait des blagues de merde »). (SBPE) Jean-Jacques. C’est donc une réplique réputée culte qui a valu une relative dépréciation à ce prénom double, aux composants déjà rudoyés de longue date : « Je t’en prie, qu’est ce que tu fais, tu es en train de rouler à deux à l’heure comme un JeanJacques là comme ça, avance, bouge ! », s’énerve Gad Elmaleh, alias Coco, dans le film éponyme qu’il réalisa en 2009. Questionné à la télé sur le sens de « Jean-Jacques », l’humoriste le définit par « mec qui fait bien les choses, qui ne prend pas trop de risques ». « Individu conformiste, trop lisse, pas assez ‘‘cool’’ », généralise Balnat (2017) en recensant des extensions d’emploi. Cette trouvaille a surtout pénétré le langage des jeunes et les cours de récréation, mais elle a essaimé aussi ailleurs, souvent sous la forme comparative : « Guitare à la main, habillé comme un Jean-Jacques, le regard charmeur et nonchalant, Roméo dévoile un morceau résolument séraphique » (Audrey Depuydt, Le rap et les femmes, site du magazine Elle, 17 mai 2017). Ce Roméo rappeur qui fait ainsi son Jean-Jacques n’est pas un inconnu en Belgique : il a pour mère la comédienne Laurence Bibot et pour père le chanteur Marka, Serge Van Laeken pour l’état civil. (BAPC) Jean-Michel. Tout autant que la séquence Régis est un con du Journal de Canal + (de 1990 à 1992) avait fait mordre la poussière à Régis, assimilé au tocard, la Grosse Émission, dix ans plus tard, sur la chaîne Comédie !, sera fatale aux Jean-Michel, dont les scores s’effondreront à leur tour dans
Janet (flanqué de ses satellites Janetou, Janel, Jouantet, Janu, tous des « Petits Jean » au gré des régions de langues d’oc), a flétri en vrac le mari commode, le nigaud et l’imbécile. (TDFM) Janète, Jeannette liégeoise, fut l’un des noms dialectaux de la jeannette, planchette de repassage, mais aussi de la bassinoire. (DPWL) Janette. On ne l’identifie plus que par son prénom, Janette, lui-même entré dans les mœurs « pour désigner une féministe combattante ». Dans son Dictionnaire amoureux du Québec (Plon, 2014), la romancière et femme de télévision Denise Bombardier évoque ainsi une figure médiatique hautement populaire dans la Belle Province : la journaliste et auteur dramatique Janette Bertrand, née en 1925, à qui des générations de Québécoises se sont identifiées. La pétition qu’elle publia en 2013 en faveur d’une charte des valeurs est connue sous 41
les états civils. Les sketchs de Kad Merad et Olivier Baroux se gaussaient en effet de chanteurs ringards imaginaires, tous ainsi prénommés, et flanqués d’un patronyme de fantaisie accentuant la charge : Jean-Michel Amoitié, Raccourci, Lafin, Saturé, Padceinture, Malsapé, Cafard, etc. La recette a été plus d’une fois reprise, dans la vie courante et les réseaux sociaux, par un public populaire, qui a prioritairement propagé le Jean-Michel Incompétent, sobriquet d’un incapable. Un savant article a traité de ce phénomène dans le magazine Slate (16 mars 2020), sous la plume Thomas Messias (Le prénom Jean-Michel, ou les mille facettes de la domination masculine - De Jean-Michel Àpeuprès à Jean-Michel Argument, ils sont partout). Jean-Michel seul y apparaît comme celui qui multiplie les avis qu’on ne lui demande pas, rapporte tout à son nombril, ne se remet jamais en question. Au bureau, c’est, avec son diminutif Jean-Mi, un surnom pour petits chefs et collègues toxiques. Dans son Guide d’autodéfense sur la charge mentale (Le Livre de Poche, 2020), Coline Charpentier a recours à l’archétype JeanMichel Argument, sorte de Jean-Michel au cube, donneur de leçons intempestif.
utilitaires : planchette pour repasseuse, machine à filer, boîte en fer blanc pour botanistes, bijou, bonnet, etc. Joignons-y une acception de souche normande : pièce de toile, « fine, blanche, destinée à cacher l’encolure du corsage et à préserver le fichu. Elle doit être plus grande qu’un grand mouchoir. On la plie en deux dans le sens de la diagonale » : « La Jeannette pend parfois bas sur la poitrine avec un coulant souvent volumineux en forme de cœur », écrivent Pierre-Louis Menon et Roger Lecotté (Au village de France – La Vie traditionnelle des paysans (Marseille, Jeanne Laffitte, 1987, 1ère édit. Paris, 1954). Plus récemment, par métonymie, et en Normandie encore, on a appelé Jeannettes les employées de la biscuiterie Jeannette à Caen, où l’on a fabriqué pendant un siècle des madeleines pur beurre, avant une mise en liquidation judiciaire fin 2013, suivie d’une longue phase d’occupation des lieux par les trente-huit ouvrières indignées : elles pensaient être Jeannettes pour la vie ; la plupart comptaient plus de trente ans de service, explique Florence Aubenas (En France, éd. de l’Olivier, 2014). Un financement participatif a permis une reprise des activités en 2015. (MERP) Joan, qui, dans le sud de la France, aura été avec Jan une des variantes populaires du prénom chef de file, s’octroie une entrée généreuse chez Louis Alibert (1966) sans en tirer bénéfice : on le définit en effet par « vilain, gros bêta », infortune partagée par ses succédanés Joanical (« balourd ») et Joanet (« mari qui ferme les yeux sur l’infidélité de son épouse »). La notice du Dictionnaire occitan-français d’après les parlers languedociens (Institut d’Études occitanes, Toulouse) ne méconnaît ni le joan-farina (« nigaud ») ni le joanfotre (« chenapan »), deux classiques à peine retouchés, ni, chez les dames, la joanassa (« grande et grosse femme »).
Jeanne. Parce qu’elle geignait dans la cheminée sous l’action des flammes, la bûche, assimilée à un être vivant, fut familièrement nommée Pauvre Jeanne (Janot-pauro, chez Mistral). Le vent qui l’attisait était aussi appelé de la sorte. (TDFM, GCPP) Jeannette, déjà associée par Choux à la « femme qui, au goût des amateurs, prête le devant et le derrière » (Curiosités érotiques et pornographiques, 1881), l’a aussi été aux « cocottes de l’ancien temps », autrement dit à ces filles de bas étage, entretenues, d’où vient l’expression sentir la cocotte (répandre un parfum de piètre qualité). Nom familier de l’oiseau de basse cour, cocotte, s’agissant d’une créature de conquête facile, a pour synonyme logique « poule » (cf. Viens ma poule ; une poule de luxe). C’est François Fertiaut qui a épinglé le rapport jeannette / cocotte dans son Dictionnaire du langage populaire verdunochalonnais – Saône-et-Loire (Librairie Bouillon, 1896). Il s’appuyait sur un couplet métaphorique d’un noël mâconnais où l’on oppose la fleur pure au prénom qui l’est moins : « Vous aviez donc mal ès yeux / Étiez sans lunettes / Quittant un lys gracieux / Pour une Jeannette. » (CNEP) Désignant par ailleurs les adhérentes d’un mouvement de jeunesse (en référence à Jeanne d’Arc), et, péjorativement, un homosexuel (par attraction de femmelette), Jeannette a aussi identifié çà et là la chèvre, sans se départir de ses sens
Johnny. Johnnies, soit « les petits Jean » (repris par le breton « ar Johnniged ») fut le sobriquet désignant en Angleterre les colporteurs du Finistère qui franchissaient chaque été la Manche pour vendre au porte-à-porte une des richesses de leur terroir, les savoureux oignons de Roscoff, assemblés en longues tresses sur leurs épaules. Le commerce pratiqué par ceux qu’on baptisa aussi Johnnies Onions débuta en 1828 lorsque l’un d’eux eut l’idée d’embarquer sa production, et il ne se termina que dans les années 1980, un demi-siècle après son apogée. Souvent, ces marchands, qui atteignirent vers 1930 le nombre de 1 400, étaient accompagnés de leurs enfants d’une dizaine d’années, d’où, 42
selon Wikipédia, le diminutif Johnny, correspondant à Yannick, lui-même issu de Yann, prénom usuel en Bretagne. À Roscoff, le musée du Patrimoine a pour enseigne Maison des Johnnies et de l’oignon. Depuis 2013, l’oignon local, véritable « trésor d’Armorique », bénéficie d’une appellation d’origine protégée. C’est un moine venu du Portugal qui en aurait apporté les graines au XVIIe siècle (L’Express, 17 juillet 2019). Zean. Dans le Pas-de-Calais, et singulièrement chez les marins de Boulogne-sur-Mer, le surnom de Zean l’bren allait à un prétentieux, un faiseur d’embarras, qu’on appellerait volontiers un (petit) merdeux, bren étant d’ailleurs synonyme d’excrément. Quant au Zean d’Boulone, c’était simplement un matelot du cru engagé au service de l’État. En 1884, Ernest Deseille, qui recensait ces mots à la toute fin de son Glossaire du patois des matelots boulonnais (éd. Picard), relevait que la lettre z paraissait être « la principale de l’alphabet marin » : les équipiers disaient en effet, et écrivaient à l’occasion, Zacques, Zules, Zean, zamais, zambe, zardin, zendarme, zeune, zilet, zoliment, etc. La couverture du volume porte elle-même en sous-titre Le langaze des zens de l’Burière (La Burière, quartier des marins).
On ne la confondra pas avec le haricot de Jésus ou de Saint-Ignace (Strychnos ignatii), arbuste originaire des Philippines, dont la graine, une fève toxique, s’utilise en homéopathie en cas de troubles anxieux et de spasmophilie. La référence à Jésus vient du mot jésuite, d’après l’ordre fondé par Ignace de Loyola et auquel appartenait Georg Kamel. Botaniste, ce religieux s’intéressa à ce végétal à la fin du XVIIe siècle, et, de sa mission aux Philippines, il rapporta un autre arbrisseau, le camélia, qui perpétue son patronyme. (GPAS) Si l’anatomie populaire, parfois sacrilège, appela jésus un phallus (spécialement dans le jargon des Poilus, cf. Gaston Esnault, 1919 et 1956), ou bien encore la verge d’un garçonnet (« Cache ton Jésus ! »), elle désigna aussi par ce saint nom le coude. Sous l’entrée Se cogner le coude (signe de cadeau) de son Dictionnaire des traditions et croyances (Je ne suis pas superstitieux, L’Opportun, 2011), Évelyne Keller relève que cette partie du corps était baptisée petit Jésus « dans certaines contrées », sans en fournir la raison. On ne peut exclure le rôle de l’abondante imagerie pieuse où saint Joseph porte le petit Jésus assis sur la saignée du coude. (PTQP) Grippe-Jésus, vieux sobriquet du gendarme – de l’avis du voleur, il ne capture que des innocents –, a aussi brocardé les douaniers, lit-on en 1887 chez Paul Sébillot (Revue des Traditions populaires, T. II). Le folkloriste recensait ce surnom parmi plusieurs autres, dévolus par les marins à ceux qu’ils appelaient également perroquet de falaise, rat de côte, habit vert, loup de la lune, dragon de la lune, ou Qu’as-tu là ? (d’après la question posée lors d’un contrôle impromptu), sans compter l’incontournable gabelou. « Un gabelou ! dix-sept degrés plus bas qu’un chien ! », soutenait un dicton de Loire-Atlantique. « Gare le requin ! », prévenaient encore dans leur argot les contrebandiers lorsque se profilait l’uniforme redouté.
JEMIMA Parfois associé aux vieilles filles par la littérature anglaise et, on l’a vu, déjà étiqueté « presque risible » en 1924, ce féminin issu de la Bible a fait reparler négativement de lui en 2020, à travers la société Aunt Jemima (Tante Jemima), accusée de véhiculer des stéréotypes racistes sur ses emballages à l’effigie d’une femme noire (Noms dépassés : pour s’adapter, des entreprises débaptisent leur produit, in Télémoustique, 4 novembre 2020). Le groupe Quaker Oats fabriquant depuis 1893 cette marque de farine pour pancakes et de sirop d’érable a résolu de changer de logo, imitant ainsi la décision prise pour le riz Uncle Ben’s (devenu Ben’s Original), dont le personnage fétiche évoquait à son tour l’époque de l’esclavagisme et de la ségrégation. Aux États-Unis, précise Wikipédia à ce sujet, « Aunt Jemima désigne une femme noire amicale, obséquieusement soumise ou agissant en protectrice des intérêts des blancs ». Une chanson de 1875, Old Aunt Jemima, était à l’origine du label désormais désavoué.
Jiminy. Oui, c’est bien ici qu’il faut introduire ce masculin confidentiel (une douzaine de porteurs, dont trois en France), où l’on pourrait voir de prime abord un succédané de Jimmy, ce dérivé de James, lui-même venu de Jacques via Jacobus. En fait, Jiminy combine, dans une vieille expression anglaise de surprise, la première syllabe de JEsus et les deux dernières de doMINE (Jesus Domine, Seigneur Jésus). C’était là une manière de neutraliser par euphémisme un juron, que l’on adoucissait aussi par Gemini (Gémeaux, le signe du zodiaque). De telles rectifications ont été pratiquées en français : ainsi Sacrebleu pour Par le sacré Dieu, Scrogneugneu pour Sacré nom de Dieu, ou Sapristi d’après Sacristie.
JÉSUS Aux foires de Marans et sur les marchés d’autres villes de Charente-Maritime, une savoureuse variété de haricots portait le doux nom de Jésus. 43
À Jiminy s’ajoutait parfois Cricket, les deux initiales reprenant alors celles de Jésus-Christ. Jiminy Cricket a refait surface en 1940 chez Disney pour baptiser le grillon, compagnon de Pinocchio. L’insecte est un sage, un conseiller avisé, la bonne conscience de l’enfant. C’est pourquoi son nom donne lieu depuis peu à une expression imagée assez courue dans la presse : Emmanuel Macron : le Jiminy Cricket de Hollande, titrait L’Obs (27 mars 2014), en décrivant le secrétaire général adjoint de l’Élysée de l’époque comme « l’inspirateur de la nouvelle politique du président » ; « Macron est le Jiminy Cricket social-démocrate de Hollande, son ‘‘hémisphère droit’’ », confirmera la même source (26 août 2014) ; « Je ne suis pas le Jiminy Cricket de Macron », annoncera dans Télé Obs (11 avril 2018) Catherine Nayl, patronne de l’info à France Inter après l’avoir longtemps été à TF 1. Sur RTL (29 janvier 2016), au moment au Christiane Taubira quittait à grand bruit le Gouvernement, le polémiste Éric Zemmour assénait : « Tout le monde croit qu’elle était ministre de la Justice d’un Gouvernement de gauche, alors qu’elle en était la conscience : un Jiminy Cricket insupportable ! »
Nicaise. Ce nom paraît tout simple. Supposez qu’il nous réponde Valère, Agénor, Gaston ou Raphaël : nous voilà étonné et comme frappé d’une dissonance et d’une aberration » (cité par Coulmont, 2017). (BCSP) Zézé. Au zozo, ce pitre qui a fait le zozo en bidouillant la première syllabe du prénom Joseph – lui-même longtemps déconsidéré –, on accrochera le zézé, « personne niaise et simplette » dans le parler du nord de la France : « Il est bien brave, c’est un sacré zézé, le pauvre ! » (Avanzi et Horiot, Le français des régions, 2017). La souche est identique : Joseph, après un transit par José (lequel a produit Zezé au Portugal et Zèze en Occitanie). On notera toutefois que, dans son Répertoire des prénoms familiers (2000), Enckell ne tient pas Zézé pour un dérivé : il le définit par « appellation enfantine (donnée quelquefois parce que la personne zézaye) ». Attesté en 1960, l’adjectif zinzin (« un peu fou, bizarre ») relève d’une onomatopée remotivée par les abréviatifs désobligeants et leur double z. (FBFR, TLFI, BEHI, REPF) JOSSE Au Jefke, fantassin de ligne dans l’armée belge (Harou, 1887), répondait en flamand le Josse, un peu bêta (een Joosklot, « un Josse de mes c… », Kryptadia, 1888), auquel Garver accrochait en 1917 le sens supplémentaire de « soldat, dans l’argot belge ». En dépit des apparences, ce nom, qui prit dès le Moyen Âge une valeur péjorative (Freeman, 1975), n’est pas fils de Joseph, mais de Judocus, forme latinisée de Judoc (« seigneur »), qui baptisa un ermite breton du VIIe siècle, souche d’un culte au XIVe à Saint-Josse-TenNoode (Région de Bruxelles-Capitale). Sa variante anglaise la plus profuse est Joyce, et, parmi ses dérivés patronymiques romans, figurent Joset, Josquin, Jospin, Jupin, Josselet et Josselin, ce dernier père du nom de baptême Jocelyn(e) selon Jean-Louis Beaucarnot (Les noms de famille et leurs secrets, Robert Laffont, 1988). Quant à Joost, il prénommait l’écrivain néerlandais Vondel (1587-1679), celui-là même que l’on invoque pour parler de la langue de Vondel, à côté de celles de Molière, de Goethe de Shakespeare. (MGYU, BEHI, DNWB)
J OB À côté de la comparaison pauvre comme Job, le patriarche de la Bible à la résignation proverbiale a jadis motivé l’étrange expression tiercelet de Job : « Mais si, dist Panurge, Dieu le vouloyt, et advint que j’espousasse quelque femme de bien, et elle me batist, je seroys plus que tiercelet de Job si je n’enrageois tout vif » (Rabelais, 1546). Faucon mâle, le tiercelet est plus agile mais plus petit d’un tiers – d’où son nom – que sa femelle, sa « moitié ». Par métaphore, tiercelet de Job désigne une réplique, modèle réduit, du saint homme, à la patience égale ou peu s’en faut. (BODC, CUFR) JOSEPH Au XIXe siècle, et parmi tant d’autres, Joseph pouvait dénoter un larbin, à en lire Dumas fils (notes de 1895, in Théâtre complet, 1898) dans sa digression sur son choix d’Alphonse pour un souteneur (Monsieur Alphonse, 1873). L’écrivain en était lui-même surpris ou intrigué (là où Balzac avait déjà invoqué les discrédits illogiques, les affinités mystérieuses ou les tyrannies du goût) : « Pourquoi les noms de Joseph, de Jean, de Victor, d’Antoine, de François évoquent-ils plus l’image d’un domestique que les noms de Guy, de Raoul, de Marc et de Gontran ? Nous demandons son nom à un paysan, il nous répond Jean, Thomas,
JULES Julot. Dans le voisinage direct du julot casse-croûte, « souteneur de petite envergure », voici, lui aussi attesté à l’aube du XXe siècle, le julot mie-de-pain, qui baptisait « la boulangère » la prostituée dont il tirait profit. On le comparera avec son 44
congénère le julot café-crème. Celui-ci « attend sa môme, sa gagneuse, en face de la chambre où elle est montée avec un client, pour qu’elle vienne, une fois la passe faite, régler ses consommations ». (MSAP) D’autre part, il peut arriver à un prénom féminin (Caroline, Capucine, Catiche, Angelina) de désigner trivialement un homosexuel, mais l’inverse se borne à un seul exemple, Julot, pour « détenue lesbienne ». Propre à l’argot pénitentiaire, on le rencontre deux fois en 1947 chez Lucien Diamant-Berger († 1992), médecin et écrivain, dans Prisons tragiques, prisons comiques, prisons grivoises (Solar, Monte-Carlo) : « Elle abhorre surtout les lesbiennes, qu’elle appelle les ‘‘Julots’’, selon le terme consacré dans la prison. Elle racontait aujourd’hui l’histoire d’un de ces ‘‘Julots’’ dont la bien-aimée était en prison » ; « Il y a en ce moment aux femmes un ‘‘Julot’’. Elle est presque habillée en homme, et se montre fière d’être lesbienne. On dirait d’ailleurs un vieux Monsieur ; ‘‘Nous autres garçonnes’’ », ditelle ». (BOBA) Déjà attesté lors de la Seconde guerre, cet emploi est cité à ce titre par Claire Andrieu dans Réflexions sur la Résistance à travers l’exemple des Françaises à Ravensbrück (in Politique, culture, société, N° 5, 2008). Il été propagé par Germaine Tillion (1907-2008), ethnologue et résistante, déportée en 1943 dans ce camp d’internement. L’historien et sociologue Régis Schlagdenhauffen y consacre un long développement dans son étude de 2017 Genre et sexualité dans l’univers concentrationnaire nazi.
En octobre 1944, à Ravensbrück, Germaine Tillion, lit-on, avait clandestinement composé Verfügbar [« disponible »] aux enfers, opérette inspirée de l’Orphée aux enfers d’Offenbach, et où le personnage clé, un naturaliste, cherche à comprendre comment on peut survivre dans un environnement hostile. Parmi les espèces marginales qu’il observe, figurent les Julots, femmes ouvertement lesbiennes et appartenant à la catégorie des « asociales » (les « triangles noirs »). Dans les didascalies de l’œuvre, Germaine Tillion indique que les Julots sont « gras, chics, aux cheveux plaqués, ceintures très serrées, poitrines arrogantes ». Ils s’opposent à la masse des concentrationnaires souffrant de malnutrition dans des conditions matérielles désastreuses. De plus, commente l’historien, ils sont toujours masculinisés à travers les termes d’adresse : dès la première scène du premier acte, le naturaliste les appelle « messieurs ». Et ces derniers parlent d’eux au masculin comme lorsqu’ils chantonnent en chœur : « Regardez comme nous sommes chics, comme nous sommes gras, comme nous sommes beaux hola ho / Nous sommes les champions du vol, de la combine, et du culot. / Le regard hardi, les ch’veux plaqués, le verbe haut, / C’est nous qui sommes les julots. » Proches des droits communs dont ils maîtrisent les usages, et décrits, au masculin à nouveau, comme hautains et hardis, ils évoluent en marge des détenus ordinaires (les Verfügbar corvéables) et sont ainsi tantôt redoutés, tantôt enviés, résume Schlagdenhauffen.
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K KEVIN La malédiction des Kevin – Un Kevin n’a pas le droit d’être un intellectuel, titrait Clara Brunel (Le Point, 1er avril 2015), en invoquant « un véritable handicap social ». C’était à l’occasion de la sortie du roman La revanche de Kevin (éd. P.O.L.), où l’auteur, Iegor Gran, imagine les représailles salutaires d’un authentique intello ainsi prénommé, las du discrédit infligé par cet état civil et des brimades d’un milieu pour qui Kevin ne baptisera jamais, au mieux, qu’un prof de muscu, un vendeur d’imprimantes ou un gérant de supérette. Accoutré d’une nouvelle identité, blindée celle-là contre toute humiliation, le héros, s’intitulant éditeur, entortillera des écrivains à qui il fera miroiter monts et merveilles. Une revanche féroce, cruelle par ses intrigues, et qui ne laissera pas indemne le piégeur lui-même. Avant cette farce, le prénom Kevin, jugé inélégant, n’était jamais apparu dans la littérature française (Jérôme Garcin, L’Obs, 19 mars 2015). Le voilà donc dédommagé par sa propre imposture.
Déjà pointée dans l’argot anglais dès 1998 par le Harrap’s slang qui l’associait à l’inculture, au manque de goût, à la vulgarité sinon à la violence, la déconfiture de ce masculin n’a cessé de s’amplifier, en Grande-Bretagne, en Allemagne et à coup sûr en France, où on le tient pour « un prénom de beauf, véritable marqueur social des années ‘‘boys band’’ », chef de file de tous ses congénères d’extraction populaire brocardés par les classes dites supérieures. Ses scores trahissent ses déboires : entre 1989 et 1994, il squattait les sommets du palmarès, avec un record de 14 087 naissances dans la France de 1991 (près de 40 par jour !) pour retomber à moins de deux pour toute l’année 2010. En commentant ces chiffres, Coulmont (2014) indique, s’il en est besoin, qu’il existe une lecture sociale des prénoms, dont certains deviennent parfois très lourds à porter. Le Dictionnaire Ados-Français (First, 2014) n’accueille-t-il pas, dans le Top 5 de ses expressions, faire son Kévin au sens de « faire n’importe quoi, énerver le monde avec des remarques dénuées de toute maturité » ? On peut aussi définir ce tour par « multiplier les gamineries, se la jouer (frimer), être égocentrique », ou encore par « afficher un comportement infantile, effronté ou stupide », d’où la synonymie entre Kevin (parfois privé de la majuscule ou francisé par l’accent aigu) et « adolescent puéril, élève désinvolte, niais, trouble-fête, malotru » : « Si un gosse s’appelle Kevin, il y a 80 % de chances que ce soit une tête à claques », analysait un enseignant français en 2009, constat pleinement recoupé la même année en Allemagne, lors d’un sondage parmi les instituteurs. Certes, les parents n’ont pas voulu cela : le prénom irlandais les avait appâtés à la faveur des séries télévisées américaines, puis du film Danse avec les loups de Kevin Costner (1990). On nageait alors dans les belles années des importations sous influence, avec les Jessica (pic en 1982), les Cindy (en 1987), avant les Jason (en 1995) ou les Dylan (en 1996). (BCSP)
KOUADIO Parmi plusieurs peuples d’Afrique de l’Ouest, un usage est de donner à bébé, dans une des langues du cru, le nom du jour de sa naissance : ainsi Amlan (mercredi) pour une fille née un mercredi, ou Kouadio pour un garçon du mardi. Le second cité a bénéficié d’un destin insolite en Côte d’Ivoire, où l’argot l’a utilisé pour parler d’argent, spécialement des bourses octroyées aux étudiants : « On obtient le kouadio après un long cheminement » ; « Le gros kouadio, payé en juin, est plus important, car il couvre la période des vacances ». Cet emploi provient du nom que portait le premier caissier principal du Centre national des Œuvres universitaires (CNOU), pourvoyeur de ces allocations versées au début du mois. Il a donné lieu à quelques expressions pittoresques, dont « Kouadio a mal à la gorge » (plainte émise entre le 15 et le 20), « Kouadio tousse » (à la fin du mois), « Kouadio cause » (à la perception du montant), « couper le kouadio » (perdre sa bourse). (SLCI)
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L LAURE
LÉOCADIE
Lorelei s’amalgame volontiers à une enjôleuse maléfique, en y perdant parfois sa majuscule : « Moi j’aimerais une socialiste, et toi une Allemande, une sorcière blonde, une lorelei ? » (Pascale Roze, Aujourd’hui les cœurs se desserrent, Stock, 2011). Ou, par métaphore, on parle d’elle comme d’une fée perverse qui détourne le petit peuple de la réalité : « Ils [de pauvres gens mal habillés, mal logés, mal nourris] ont tous la boîte magique qui les entraîne dans le monde virtuel. Une Lorelei… Avec leurs portables, ils existent ! » (Olivia Chaumont, D’un corps l’autre, Robert Laffont, 2013). Inusités en France jusqu’en 1984, ce féminin et ses voisines (Loreleï, Loreley, Lorelay) y conquièrent depuis lors quelques dizaines d’attributions bon an mal an (41 en 1993, 31 en 2019), sans grimper aussi haut (132 mètres) que le rocher rhénan ainsi nommé. Celui-ci a baptisé à son tour la nymphe perchée à son sommet par la mythologie germanique. C’est une envoûteuse, fantomatique et funeste : telle la sirène, elle captive par ses chants les navigateurs, qui, subjugués, se fracassent sur les récifs. Sous diverses formes, les romantiques allemands développèrent sa légende, le premier, Clemens Brantano, l’appelant en 1801 Lore Lay. On fit d’elle tantôt une âme en peine, trompée par son amant et noyée dans le fleuve, tantôt une croqueuse d’hommes. Chez Nerval, Lorely sera en 1852 une « ondine fatale ». Chez Apollinaire (Alcools, 1913), La Lorelay rimera avec « ensorcelé » sous les traits de la jeune Anglaise dont le poète tomba amoureux, « une sorcière à contrecœur, malheureuse et douloureuse, victime de la puissance maléfique de l’amour ». La créature évanescente vit son profil écorné dans les années 1930 par une idéologie qui chercha à la réduire à un emblème archaïque de la femme, notent Marie-José Brochart et Gilles Firmin, pour qui on retrouvera pourtant encore « la séduction, l’amour et la mort dans la personne de Marilyn Monroe, qui fut une inoubliable Lorelei Lee (prénom de son personnage) dans le film de Howard Hawks, Les hommes préfèrent les blondes (1953) ». (BEHI, MCDC)
L’année de sa mort (1836), le docteur Alexandre Parent-Duchâtelet a publié un ouvrage qui fit longtemps autorité, De la prostitution dans la ville de Paris, considérée sous le rapport de l'hygiène, et auquel Jean-Loup Chiflet consacre un écho dans son Dictionnaire amoureux de la langue française (Plon, 2014). C’est que le médecin, spécialiste de prophylaxie, y inventoriait avec soin les prénoms, surnoms et sobriquets à ambition générique que se donnaient ou recevaient les filles publiques de son temps. Ces désignations, écrivait-il, offraient de grandes dissemblances et fournissaient à elles seules une idée des sociétés que fréquentaient ces dames. Il est remarquable en effet de relever qu’au sein de la classe dite élevée, ces noms emblématiques étaient tous, sans exception, des prénoms plutôt BCBG : Léocadie, Octavie, Malvina, Modeste, Nathalie, Sidonie, Olympe, Flore, Thalie, Aspasie, Lucrèce, Clara, Angélina, Flavie, Célina, Émélie, Reine, Anaïse, Delphine, Fanny, Virginie, Azélina, Ismérie, Lodoïska, Palmire, Arthémise, Balzamine, Armande, Armide, Zulma, Calliope, Irma, Zélie, Amanda, Paméla. Tandis que dans la classe dite inférieure, on n’en repérait qu’un seul, Colette, fourvoyé parmi des pseudonymes franchement triviaux : Poil-Ras, Poil-Long, Raton, Belle-Cuisse, Belle-Jambe, Faux-cul, Bourdonneuse, La Ruelle, Baquet, Boulotte, etc. Léocadie, qui emmène ici le peloton, viendrait par le latin du grec leukos (« blanc, brillant ») ou de l’île ionienne de Leucade. LILIANE Lily. Avant chaque scène, les opérateurs de cinéma filment une Lily, terme désignant la charte colorimétrique qui permet l’étalonnage. Cet abréviatif de Liliane, figurant au Larousse du cinéma, est l’enseigne de la société bordelaise Lily PostProd, spécialisée, comme son nom l’indique, dans la postproduction. Souhaitant « faire de leur Lily une référence pour les producteurs », ses concepteurs rapportent la légende selon laquelle George Eastman (1854-1932), le fondateur de la société Kodak qui révolutionna la prise de vues, « s’aidait de sa femme Lily pour mettre au point ses nouvelles pellicules en la filmant 47
accompagnée d’une charte de couleurs ». Légende en effet, puisque, selon Wikipedia anglais, cet industriel inventif n’a jamais été marié, et la longue relation purement platonique qui l’entretint le fut avec une Joséphine, l’épouse de George Dickman, son associé. (DICI) Lily, au parfum de lys comme Liliane, hisse sa corolle sur les registres : le prénom, peu usité en Belgique avant 1995, y dépassait en 2012 les 250 attributions.
expression, fruit d’un calembour sur le style Louis XVI. LUC Lucette. Quelques exclamations à prénoms proviennent de publicités télévisées : à Tu pousses le bouchon un peu trop loin, Maurice ! (« Tu exagères ! »), mot d’un enfant reprochant à son poisson rouge d’avoir dévoré sa mousse au chocolat (Chocosuisse, de Nestlé), a ainsi succédé en 2002 une invitation à la résignation, C’est le jeu, ma pauvre Lucette !, empruntée à un spot pour la Française des jeux. Même des années après la diffusion, le public retient cette réplique, remarque L’Express (10 août 2012), pour qui « Au Loto, le grand gagnant, c’est la publicité ». Dans la séquence, un papy, qu’on suppose à la recherche d’une destination de vacances, fait rapidement tourner une sphère terrestre de la taille d’un ballon puis la stoppe en plantant son index en plein hémisphère sud. « Australie ! », lance-t-il à sa femme, occupée à faire la vaisselle. « Ah non, pas encore ! », réplique-t-elle. Et lui d’objecter : « C’est le jeu, ma pauvre Lucette ! », avant de s’entendre répondre « T’as pas autre chose ? », puis de réagir par « Alors, on va relancer la boule ! ». Et une voix off de conclure : « Loto, à qui le tour ? » Ce slogan à Lucette, « tous les amateurs de poker l’ont déjà entendu à leur table », soutient un internaute (2 mai 2007). Mais il circule aussi ailleurs : « En rentrant, on se paie l’embouteillage de Leucate, mais c’est le jeu ma pauvre Lucette », se consolent des véliplanchistes au retour de la plage ; « Voilà une illustration qui n’a pas été acceptée... Je suis un peu dégoûtée, mais c’est le jeu ma pauvre Lucette », tempère une dessinatrice éconduite ; « Bien sûr, il y a toujours des gens peu aimables ou qui me regardent d’un air mauvais, mais bon, c’est le jeu ma pauvre Lucette ! » (Catherine Manin, L’envol de ma vie en Asie du Sud-Est). La même campagne aura eu pour autre effet d’encourager le recours au hasard dans le choix des voyages touristiques. Lulu. C’est sans doute l’abréviatif Lulu baptisant une Luce héroïne d’histoires pour enfants qui, au Québec, a fait naître le mot lulu pour une couette – la touffe de cheveux noués de chaque côté des oreilles : « Elle aime bien se faire des lulus » (Mathieu Avanzi, Mélanie Mettra, La Francophonie ou le français hors de France, Petits guides de la langue française, Le Monde / Garnier, 2017). Cette couette doit elle-même de s’appeler ainsi à l’ancien français coue (« queue », cf. queue-de-cheval) alors que son homonyme en literie dérive du latin culcita (« matelas »).
LOUIS « Ma Louis » : ainsi, au début du XIXe siècle, la langue familière nomma-t-elle quelquefois la casquette, d’après les représentations habituelles de Louis XI (1423-1483), porteur d’un chapeau à bec dont l’avancée au-dessus du front évoquait une visière (Chautard, 1931). Bonnet taillé dans une peau de castor, la coiffe elle-même du pieux roi se garnissait des médailles de ses saints favoris. L’usage du chapeau dit Louis XI fut longtemps de tradition parmi les paysans. (VEAC) Comme bien d’autres mots français de la mode, le talon Louis a pénétré le vocabulaire angloaméricain, où on l’appelle aussi French heel, Louis’s heel ou talon français. C’est là un héritage du temps de Louis XIV : pour paraître plus grand, le Roi-Soleil adopta en effet, vers 1660, les chaussures à talons haut créées par Nicolas Lestage, un maître cordonnier déjà inventeur des bottes sans couture. Le souverain en fut si satisfait qu’en 1663 il accorda à l’artisan, dont le portrait orna même une des galeries du palais, de belles armoiries, où une couronne flanquée de fleurs de lys coiffait une botte d’or. Originaire de Bordeaux, où il tenait boutique à l’enseigne du Loup botté, Lestage s’essaya aussi à la poésie, avec moins de bonheur. Certains des talons de l’époque mesuraient plus de dix centimètres et étaient décorés de scènes de bataille. Si le talon Louis a traversé les siècles, c’est, nous instruit Marie Treps (2015), grâce à Mme de Pompadour, la maîtresse de Louis XV, qui féminisa le modèle, rebaptisé un moment de son nom. Ensuite, dans les années 1800, les Américaines, copiant la mode parisienne, s’emballèrent pour ces chaussures à talons devenus moyens et à courbe concave effilée vers l’extérieur. (OLMT) « Chez moi, tout est en style Louis Caisse, car je dépose tous mes bibelots sur des caisses retournées », écrit Jean-Claude Hoferlin, un féru de brocantes, dans sa Semaine de l’Échornifleur, 1995-2000 (éd. Dricot, Liège). Le célèbre abbé Pierre (1912-2007), qui rangeait tous ses dossiers dans des cageots et des caissettes, fut le propagateur, sinon l’inventeur, de cette 48
M MALVINA L’entrée Malvina du Glossaire d’argot de SaintCyr (1901) renvoie à Tartelette. Tartelette et Malvina étaient en effet les surnoms dont les élèves officiers accoutraient indistinctement les femmes qui vendaient des gâteaux et des petits pains aux troupes, les jours de service en campagne. Dans ce lexique, toucher tartelette revenait à « manger du gâteau ». Quant il ne se réclame pas du latin malva (mauve), ce prénom, dont la meilleure année française fut 1988 (95 naissances), revendique pour aïeul un terme gaélique signifiant « front lisse ». L’auteur écossais James McPherson l’aurait créé en 1761, en prétendant l’avoir déniché parmi les chants épiques d’Ossian, un barde fictif du IIIe siècle, père putatif d’un Oscur, qui fit éclore Oscar. Napoléon avait un faible pour ces noms mythiques. En son temps, on « ossianisait » tout, écrira même Balzac (La Maison Nucingen, 1837), à propos d’un ses personnages qui avait précisément fait choix d’appeler sa fille Malvina. (BCSP)
Jean Chouart, Jean jeudi, Jean pipi, Marius, Nestor, Popaul, Anatole, Prosper, Charles-le-Chauve, – autant de vieilles connaissances), et s’octroie même un surnom féminin, Coquette. C’est que, note l’auteur, le pénis, « souvent assimilé à un enfant, à un gosse, voire un poupon (cf. tremper son baigneur), est conçu comme indépendant, siège d’une volonté et d’une pensée propres ». Aussi peut-il être recevoir une identité, comme n’importe quel individu, contrairement au vagin, qui, « sans doute à cause de sa position interne, se prête peu à la personnification ». Par ailleurs, en 1931, Émile Chautard donnait marguerite comme substitut populaire à « préservatif », « dans le langage des filles », précisait-il, en datant le mot de 1927. De capote à redingote anglaise, en passant par condom et doigt de gant, l’accessoire aura certes bénéficié de multiples synonymes, le plus chic étant « armure d’Éros » au XVIIIe siècle. (VEAC, ARMO) Greta. De couleur miel, il mesure moins d’un millimètre et n’a ni yeux ni ailes. Ce coléoptère coprophage de la famille des Ptininae, collecté en 1965 dans le sol kényan et conservé, avec des millions d’autres, par le musée des Sciences naturelles de Londres, a été baptisé, en octobre 2019, Nelloptodes gretae, en hommage à l’activiste climatique Greta Thunberg. L’idée en revient à l’entomologiste Michael Darby qui, penché sur l’insecte encore anonyme, a voulu « saluer le travail de la jeune militante suédoise et sa contribution exceptionnelle aux questions environnementales ». Par centaines, des espèces demeurent à découvrir dans la vaste collection du musée et dans le monde, dont certaines disparaîtront avant même d’être répertoriées en raison de la perte de la biodiversité, a indiqué Max Barclay, un responsable de l’institution, pour qui « il est donc parfaitement approprié que la découverte la plus récente soit appelée du nom de quelqu’un qui s’est démené pour défendre le monde naturel et protéger les espèces vulnérables ». « On n’est jamais trop petit pour faire la différence », ajoutait-on de même source : allusion probable à la petite taille de
MARCEL Attribut du beauf, le Marcel, ce maillot de corps qui identifie aussi par métonymie celui qui l’enfile, a du plomb dans l’aile : « Le Marcel de bistrot, franchouillard, est remplacé par un nouveau héros, le Malien qui fait la plonge dans un restaurant chinois », assure Philippe de Villiers dans son brûlot Les cloches sonneront-elles encore demain ? (Albin Michel, 2016). L’auteur estime que le vote immigré s’est substitué au vote ouvrier depuis que la gauche, devenue « prolophobe », a abandonné la vieille mythologie qui vénérait le métallo de Billancourt. MARGUERITE À l’exclusion d’autres prénoms, Marguerite et Margaut sont familièrement associés au sexe féminin, constate Sylvie Brunet (Les doigts de pied en bouquet de violettes, Dictionnaire coquin de l’amour et du sexe en 369 expressions, L’Opportun, 2013). La linguiste, observe que, dans ce registre, le sexe masculin, lui, multiplie à plaisir les noms de baptême (Jacques, Jacquemard, 49
l’égérie scandinave. À en lire Le Figaro du 26 octobre 2019, quelques scientifiques ont tiqué, ne serait-ce que pour la forme : d’habitude, c’est le patronyme latinisé (au génitif), et jamais un prénom, qu’on joint au nom du genre, et Nelloptodes thunbergi eût été plus correct. Ainsi trouve-t-on, dans la nomenclature binaire et complexe des naturalistes, Okapi johnstoni pour l’okapi, d’après l’explorateur Harry Johnston (1899), ou, en 1882, Equus grevyi pour le zèbre de Grévy (ou zèbre impérial), en référence au président français Jules Grévy, qui en reçut un spécimen, offert par l’Abyssinie (exemples cités par Henriette Walter, 2014). (WMLM) Margau. Decorde (1852) a enregistré cette variante dans le patois picardo-normand du pays de Bray, sous l’acception, peu surprenante, de « fille d’une conduite équivoque ». (PPBD) Margot. À Liège, on entendait par bouli-Margot (« bouilli-Margot ») la viande entrant dans la préparation des pot-au-feu et ragoûts, appelée aussi surlonge : c’est le morceau de l’échine du bœuf à hauteur des trois premières vertèbres dorsales. (DPWL)
Défiant l’allégorique grande Faucheuse, la Marietrompe-la-mort dessine sa forte silhouette de risque-tout. Parce qu’elles stimulaient le moral des troupes partant au combat, de fougueuses cantinières héritèrent de ce sobriquet, qui passa aussi à leur tenue vestimentaire : dans le catalogue des robes de vivandières que fabriquent, pour des reconstitutions historiques, les élèves du lycée Pierre de Coubertin à Meaux (Seine-et-Marne), figure la Marie-trompe-lamort. Elle affiche cependant des couleurs de deuil : coton noir, rayé de beige et de gris sur le bas, avec tablier beige et gris. Marie trompe la mort surnomma, tout autant que Marie casse-cou, La fiancée du danger ou La femme du siècle, une authentique et téméraire Marie, Marie Marvingt (1875-1963). Avec plus de trente distinctions, dont la Légion d’honneur et la Croix de guerre, elle fut la femme la plus décorée de France et la première au monde engagée dans l’aviation militaire pour des missions de combat. Globetrotter et polyglotte, elle s’illustrera aussi dans l’alpinisme et le journalisme. En 1967, sous le titre Marie-trompe-la-mort, Pierre Perret, de son côté, n’a mis en scène qu’une facétieuse et aguichante employée des pompes funèbres, douée d’ « une vocation manifeste dans l’art d’accommoder les restes ». Refrain : « Marietrompe-la-mort / Marie trouve l’amour / Je t’aim’rai jusqu’au dernier jour / Et si t’as la flemme de mourir avant moi / C’est moi qui f’rai le premier pas. » Enfin, sur la même expression, le site Allo-le-grand-voyage y va d’un jeu de mots : « Votre prénom, c’est Marie... Marie trompe la mort ? Mais oui mais oui... je vais enfin enterrer ma vie de garçon ! Mais oui mais oui...c’est la mort dans l’âme que je quitterai mes amis ! » En 1893, le Glossaire du Vendômois (Loire-etCher) de Paul Martellière renseignait la Marie-gas, sans mystère sur son passe-temps favori : elle aime à jouer avec les gars, et pas qu’à la marelle. En provenance de régionalismes français de l’Ouest, ont déboulé plusieurs déclinaisons du prénom disgracié, à commencer par la mariebaderne, ménagère apathique, lambine ou nonchalante. Le Bescherelle de 1845 précise que le mot baderne, désignant d’abord un mauvais cordage, avait aussi cours chez les marins pour « toute chose ou tout individu hors d’état de servir » – sens subsistant dans la formule vieille baderne qui étrille un gâteux. Un adage cher aux matelots traitait de Marie-Baderne, pour sa lenteur à réagir, une pièce maîtresse servant à hisser les voiles : « Il faut sept ans pour la virer de bord ! », ironisaient-ils. De son côté, la mariebeurdasse a cumulé plusieurs travers : une hyperactivité gesticulante mais stérile, un
MARIE Professionnelle de l’accotement et de l’accostage, la Marie-Trottoir arpente l’ouvrage de Serge Koster Le sexe et l’argent – Abécédaire (Melville / Léo Scheer, 2009), avec cette explication savante : « Le substantif trottoir est à relier au verbe trotter, dont l’étymon germanique désigne une forme intensive de l’action de marcher. La putain qui occupait cet espace commercial se nommait aussi une trottière ou Marie-Trottoir, titre d’une chanson de Piaf ». C’est en effet Piaf qui, en 1961, sur des paroles de Michel Vaucaire et une musique de Charles Dumont, interpréta cette complainte : « MarieTrottoir, bonsoir Marie, Marie, bonsoir, / Toi qui n’attends personne / Et un peu tout le monde, / Perchée sur tes talons / Sur tes trop hauts talons, / Marie qui vend du rêve / À ceux qui ont envie d’espoir. » La marchande d’amour est, chez cette artiste, l’un des personnages archétypiques du répertoire, ce dont témoigne cet échantillon d’un hommage d’admirateurs : « Entre mon légionnaire / Et l’homme à la moto / Y’a pas d’jalousie dans l’air / Moi la Marie-Trottoir, la p’tite Marie poulbot / J’les aime tous les deux / Y sont ma douceur, mon manège à moi » (sur jill-bill.over-blog.com). Le mot composé a voyagé hors de France : en 1984, Anita Ulrich a intitulé Marie Trottoir son étude sur la situation sociale des prostituées à Zurich à la Belle Époque (Schweizerische Zeitschrift für Geschichte, in Revue suisse d’histoire, Vol. 34). 50
manque d’ordre, et surtout un caquet très productif (beurdasser, c’est bavarder) : « Madame préférait assurément noter ceux qui n’obéissaient pas ou ceux qui n’abattaient pas assez d’arbres, et elle allait le répéter au patron. Et cette MarieBeurdasse, elle obtenait toujours gain de cause » (Laurent Cornu, Facéties de l’étrange, éd. Le Manuscrit, 2008). Quant à la marie-saguenot, dont on sait qu’elle est une malpropre, une mariesouillon, c’est le terme local saguenot (« urine ») qui lui a valu son sort. (TLFI, GPAS, JPST) En Champagne, on entendait par marie-faga une fille à la saleté repoussante, appelée aussi marie-trou.llon (trou.ller, « lâcher un pet »). Déjà renseignée par Tarbé en 1881 (Langage et patois de Champagne), la marie-haut, elle, était une culbute dans le parler enfantin. Dans la même sphère dialectale et pour le même exercice, Jean Daunay mentionne le cu-mariau, « culbute, jambes en l’air, retombée en avant sur les mains à plat ». (JDPC) Empruntées par d’aimables détours au prénom italien Pasquino (cf. Supplément 2016), les pasquilles, ces récits satiriques dialogués dont l’un des fiefs fut le nord de la France, n’étaient pas chiches en Marie désobligeamment qualifiées. Les Étrennes tourquennoises ou Recueil de chansons facétieuses et plaisantes sur les Tourquennois, par feu F. Decottignies, dit Brûle-Maison (5e éd., Tourcoing, 1844), fournissent ainsi une Marie l’étourdie, en l’espèce une commère daubée par un savetier de Lille pour n’être pas lilloise : « Le Savetier : – Adieu donc Marie l’étourdie, / Sûrement que t’es de Tourcoing ! / La Paysanne : – Awi, j’en suis, je ne l’nie point. » L’époque était alors aux moqueries entre villes voisines : pour les gens de Lille, les natifs de Tourcoing avaient l’esprit lourd, tandis que les seconds tenaient les premiers pour un peu toqués. Une autre pasquille de même source opposait un époux à sa femme, traitée de Marie la fureur et de Marie l’avale tout. Avec la Marie braiyoire (« pleurnicheuse », de braire, « pleurer ») ou la Marie plaidoire (« bavarde, volubile »), ces Marie patoisantes ont échoué dans les filets du romaniste français Charles Bonnier, auteur, en 1888, d’une thèse sur les noms propres français, soutenue à l’Université de Halle et rédigée en allemand (Über die französischen Eigennamen in alter und neuer Zeit). (BAPC) « Ferme ta gueule ou tu vas de faire marie-trintigner ! » Flanqué de la mention « néologisme » et avec pour définition « tuer sa compagne », ce verbe improbable s’est établi dans le Wiktionnaire, qui en fournit toute la conjugaison. Le rappeur Orelsan l’a créé en 2006, dans sa chanson SaintValentin, à partir du nom de Marie Trintignant.
Cette comédienne fut tuée lors d’une dispute en 2003 à Vilnius (Lituanie) par Bertrand Cantat, le leader du groupe Noir Désir, qui écopa de huit ans de réclusion. Le dossier connut une ample médiatisation, et, après la sortie du titre SaintValentin, au texte très cru, des mouvements féministes appuyèrent l’action intentée contre l’emploi de ce marie-trintigner, « point culminant de la banalisation des violences faites aux femmes ». Opinion partagée par les magistrats du tribunal correctionnel de Paris, qui infligèrent à Orelsan une amende de mille euros (avec sursis) pour injures publiques et provocation à la violence à l’égard d’un groupe de personnes en raison de leur sexe. Si, en appel, la prescription bénéficia au rappeur, les juges statuèrent aussi sur le fond en 2016, en prononçant cette fois la relaxe, au nom de la liberté d’expression. Tantôt les décisions judiciaires condamnent, tantôt elles acquittent, observera en 2018 JeanClaude Bologne en revenant sur ce procès dans son Histoire du scandale (Albin Michel). Toute œuvre artistique s’autorise un certain recul par rapport à la réalité. L’artiste est libre de déranger, de provoquer, de faire scandale. « Ce n’est pas moi qui parle, mais les personnages de mes chansons », se justifiait d’ailleurs Orelsan. Un argument repris dans l’arrêt finalement rendu, où a été tenue pour évidente cette distanciation avec les propos, qui permet d’apprécier leur caractère fictif. Comme ceux de Jean (Jeannot), de Marguerite (Margot) ou de Madeleine (Madelon), les hypocoristiques – diminutifs affectueux – de Marie, récusés par la bourgeoisie, se sont naguère cantonnés dans le monde rural, « un fait acquis pendant tout le XIXe siècle », insistait Albert Dauzat (Le français moderne, trimestriel, juin 1941), en s’appuyant notamment sur une anecdote datant de 1840 et que lui avait contée dans sa jeunesse (il était né en 1877) une vieille femme de Vic-le-Comte (Puy-de-Dôme). « Au catéchisme, le curé lui demanda son nom de baptême. Elle répond ‘‘Marie’’. Et le curé d’objecter : ‘‘Mais Marie est un nom de demoiselle, pas un nom de paysanne ; tu dois t’appeler Maïon ou Miïon’’. Vexée, la fillette riposte : ‘‘Je m’appelle Marie ; j’ai bien le droit de porter le nom de la bonne Vierge comme les demoiselles !’’ » Marèye. Outre les emplois déjà repris dans les précédents ouvrages (2103 et 2016), cette forme liégeoise du prénom marial s’est introduite dans les tours Marèye baragwin (« bègue, à l’élocution difficile », Marèye barbote, (« bougonne, grogneuse, grincheuse »), Marèye ås longs contes (« aux longs contes », pour une discoureuse, une babillarde), 51
Marèye å vinêgue (« au vinaigre »), pour une personne avisée, difficile à gruger. La formule s’utilisait aussi à propos des hommes : « C’è-st-ine Marèye å vinêgue, i k’noh sès candes », disait-on d’un commerçant qui, connaissant bien ses clients, ne se laisse pas tromper. Enfin, si la Marèye clapesabots (« claque-sabots »), restée vivace grâce à une chanson folklorique, martèle bruyamment le sol, c’est parce qu’elle est capable de produire davantage de tapage que d’ouvrage. (DPWL)
(1958), Cyrus Sulzberger († 1993), grand reporter au New York Times (En observant De Gaulle, Plon, 1962). Faute d’autres justifications, cette désignation est souvent rattachée à une maîtresse femme, noire et corpulente, du nom de Maria Lee, tenancière, à Boston, vers 1820, d’une pension pour marins. Musclée, elle prêtait main forte aux policiers chaque fois qu’il fallait embarquer un matelot ivre, casseur ou tapageur. (BAPC)
Mari. Sous cette graphie, plusieurs dictionnaires breton-français, dont celui de Troude (Brest, 1876), ont accueilli « ce nom de baptême de femme, Marie ». Comme son chef de file, il a servi « à accumuler les défauts que peuvent avoir les femmes ». Ainsi a-t-on dit Mari-forc’h pour une souillon ; Mari-flao pour une désordonnée, et Mari-morgant pour une poissarde. Ce dernier composé, que l’on traduit par Marie-arrogante, fut aussi associé à un poisson fabuleux, une sorte de sirène. (TDBF) La variante Mari a également eu cours au pays basque, avec Mari-chorri pour un moineau, alors qu’en Béarn Mariachourre et Mario-chourro sont allés à un oiselet quelconque, non autrement déterminé, et qu’à Nice l’alouette était distinguée par chourro seul. Mistral (1879) rattache clairement chourro et consorts à l’espagnol zorra, « prostituée, garce », ce qui conforte la péjoration, pour le prénom et pour les volatiles. Parmi ceux-ci, la Mariachourre encaisse même une couche de sarcasme supplémentaire dans L’oiseau éperdu, de Gérard Cazalis, article publié le 9 janvier 2021 sous la rubrique Des humeurs et des jours de son blog : « Dans l’enfance, ma grandmère Anna me désignait les oiseaux qu’on voyait voleter dans les haies et les arbres qui bordaient la cour de la ferme. Elle me donnait les noms en béarnais et s’en amusait parfois : ‘‘Tu vois Ninou, ce tout petit merdeux minuscule [sic] làbas, planté sur la branche, la queue fièrement dressée, et qui engueule tout le monde avec ses Tchic… Tchic… Tchic… saccadés, eh bien c’est la Mariachourre !’’ » (TDFM)
Marianne. Dans le Centre-Ouest de la France, marianne a nommé usuellement un moucheron « qui voltige en quantité pendant les chaleurs l’après-midi » (Paul Martellière, Glossaire du Vendômois, Imp. Jacob, Orléans, 1893). À l’ombre d’un grand arbre, et avant le coucher du soleil, ces insectes volent en repassant incessamment l’un sur l’autre, précise Rolland dans le Tome III de sa Faune populaire (1911). Un lien avec les Îles Marianne, que des explorateurs du XVIIIe siècle ont décrites « infestées de moucherons fort incommodes », paraît douteux. Quant au terme moucheron lui-même, il s’applique, non à une mouche à peine éclose, mais à toutes les familles d’insectes diptères (à une seule paire d’ailes) voisines des mouches. En Belgique, on lui préfère le mot mouchette (une mouchette dans l’œil, ou sur le pare-brise), inconnu sous ce sens en français central (Francard, 2010). (FPRF, DFLB) Marie-Antoinette. De ce prénom composé, on baptisa passagèrement des fichus semblables à celui qui couvrait les épaules la reine MarieAntoinette lorsqu’elle monta à l’échafaud le 16 octobre 1793, huit mois après son Louis XVI de mari. La pièce d’étoffe lui avait été remise par Simon, son brutal geôlier, sur l’insistance de sa modiste, Rose Bertin (1747-1813). Celle-ci donna elle-même son nom à une nuance de gris (le gris Rose Bertin) et imagina d’autres teintes ou couleurs, dont le puce (un brun rouge), et, en 1781, le caca-Dauphin (un vert kaki). Marie-Charlotte. Les prénoms, observatoires des mœurs, estampillent socialement leurs porteurs : il y a ainsi fort peu de chances que les Gersende, les Réginald, les Edmée ou les Hedwige vivent dans les mêmes immeubles que les Stacy, les Brandon ou les Dylan. Si on a raillé les prénoms populo en toisant leurs titulaires, on s’est aussi gaussé des prénoms aristo, surtout les composés, en les associant au snobisme, à la préciosité, à une vaine supériorité de façade : Marie-Chantal en est le parfait exemple. À leur tour, les Marie-Charlotte ont parfois alimenté des soupçons d’un élitisme coupé des réalités, bourgeois ou prétentieux. Sur le forum du Journal
Maria. Si Black Maria (Maria noire) se dit d’un fourgon cellulaire en argot anglo-américain, ce tour, certes aussitôt traduit, s’incruste parfois dans des ouvrages parus en français : « « En argot français, le mot pour « fourgon de police », ce que nous appelons le « Black Maria », est panier à salade. Il y a des années que Paris n’avait vu tant de paniers à salade, rangés en formations serrées, remplis de gendarmes, d’escouades spéciales et de gardes mobiles casqués », écrivait, au moment du retour de De Gaulle aux affaires 52
des femmes, entre 2004 et 2011, plusieurs d’entre elles témoignent : « Plus jeune j’ai eu droit à des allusions comme quoi j’étais issue de la haute (mais non !) » ; « Un peu dur à vivre ! Mes parents m’ont appelée Marie-Charlotte, je leur en ai beaucoup voulu ! Ce prénom, trop long d’une part, est facilement assimilé à un milieu social élevé et je me souviens des nombreux MârieCharlôtte du collège dont on m’affublait sans raison » ; « Bien sûr que le prénom de MarieCharlotte, à connotation quelque peu aristo, n’est pas forcément facile à porter pour une jeune personne » ; « Je n’aime pas mon prénom. Depuis toute petite, je ne me suis jamais identifiée comme une Marie ni une Charlotte, et encore moins comme une Marie-Charlotte. Ce prénom a été synonyme d’une grande souffrance durant mon enfance et adolescence. C’est pourquoi, à l’âge de 18 ans, j’ai décidé de me faire appeler Morgane » ; « J’avoue que parfois, quand j’étais petite, j’ai eu aussi droit à plusieurs surnoms dérivés pas très agréables à entendre » ; « Lorsqu’on a entendu toute son enfance des Marie-Capote et j’en passe, on n’aime pas du tout ce prénom beaucoup trop long à écrire à 5 ans ! » ; « J’ai nommé ma fille Marie-Charlotte et je sais qu’elle a parfois subi certains préjugés surtout que notre nom (non aristocratique, mais assez vieille France dans sa tonalité) est très long et original aussi ! ».
de poire, à une technique d’encadrement, à une pâtisserie, et, en argot, et à l’instar de Louise, à un pet (« Christophe a craqué une MarieLouise »). On ajoutera que la mode l’a aussi embrigadé, en particulier dans le département d’Ille-et-Vilaine, pour nommer une coiffe féminine en tulle brodé, portée aux grandes occasions dans la région de Dourdain (Mikaël Lascaux, Contes et légendes de Bretagne recueillis dans le pays de Rennes, France-Empire, 1985). Dans le récit du canton de Liffré où il apparaît, le couple du sire de Changé a enfin un enfant, au terme de longues années de stérilité. Afin de célébrer l’événement, puis le baptême, le seigneur donne de splendides fêtes, dont un festin auxquels il convie tous ses vassaux. Pour la circonstance, « les ménagères étaient parées de leur plus belle Marie-Louise fraîchement lavée et repassée », liton. (MERP) Mariette. Avec les arbres et l’eau vive, les pierres ont été la source de croyances ancestrales et de pratiques magiques, que l’Église s’est efforcée, parfois en vain, de christianiser. Outre les pierres de la mariée, où l’épousée se livrait à un rituel propitiatoire (frottement, glissade) le jour de ses noces, les pierres mariettes, dites aussi pierres des époux, réunissaient le couple, notamment en Provence, pour que son union soit féconde et la femme bonne nourrice (Gélis, 1984). (JGAF) Mârîye. Porter à Sinte-Mârîye se disait à Meux (près de Namur) lorsque deux personnes soulevaient un bébé sur leurs mains entrecroisées et le promenaient installé de la sorte ; à SaintServais, à quelques kilomètres de là, et ailleurs dans le Namurois, la manœuvre s’appelait porter à l’civère Mârîye Godère (« à la civière Marie Gouttière ») ou à Madame Tchèyère (« à Madame Chaise »), ou encore, spécialement lorsqu’il s’agissait d’un jeu entre enfants, djouwer à l’chèyère di coucou (« jouer à la chaise de coucou »), mentionne Fernand Danhaive (Mœurs et spots du terroir, Namur-Nord, Le Guetteur wallon, n° 14, octobre 1924). Plusieurs régions de France, on le sait, adoptaient plutôt le tour porter à la SainteAgathe. (DIFW, LIMO)
Marie-France. Une volonté de se hausser du col, de se démarquer du tout-venant, passe à l’occasion par la permutation des éléments d’un prénom composé : ainsi le choix de FranceMarie trahit-il un souci d’une distinction à l’égard du plus commun Marie-France (Paul Siblot, De la signifiance du nom propre, in Cahiers de praxématique, 8, 1997). Les statistiques montrent toutefois que cette inversion ne s’est guère produite que dans un cas sur cinq cents : entre 1929 et 2003, sont nées dans l’Hexagone plus de 50 000 Marie-France pour une centaine de France-Marie. (BAPC) Marie-Jeanne. Peut-être d’après le prénom de la cuisinière qui en popularisa la recette, une mariejeanne était en Anjou une soupe à base de vin (Cramer, 1931). (CFDB) Marie-Louise. Ce composé, on l’a vu, s’est déjà faufilé parmi les mots pour désigner, sous l’impératrice Marie-Louise, les conscrits des classes 1814-1815 prématurément incorporés en 1813, puis, par extension, des recrues peu aguerries et des individus inexpérimentés en général ; il s’est en outre appliqué à une variété
MARTIN L’expression char de Saint-Martin a parfois pris un sens funeste au XIVe siècle en Normandie : elle qualifiait la charrette conduisant les âmes des morts, et répondait ainsi à la redoutable charrette de la Mort des Bretons, convoyée par l’Ankou. Mais la même tournure qualifiait aussi au Moyen Âge la Grande Ourse. Cette constellation, « signe 53
au ciel composé de sept principaulx et notables estoilles » (définition de 1380), suggérait à l’observateur un char à bœufs et son bouvier. En 2018, dans une étude sur le sujet, Jacques Merceron a rappelé que nombre de légendes avaient embrigadé le célèbre saint dans des récits l’assimilant à un charretier, et c’est également à son échéance calendaire (11 novembre) que les charretiers étaient redevables d’une taxe, imposée en 1350. L’auteur situe précisément dans l’actuel Calvados l’éclosion du char de SaintMartin dans l’astronomie populaire. L’association d’un saint nom à des phénomènes ou structures célestes a produit maints exemples, de la Voie lactée, dite chemin de saint Jacques, au simple arcen-ciel, désigné çà et là par couronne de saint Barnabé, courroie de saint Léonard, croix de saint Médard, etc. (MERP)
la loi du plus fort est toujours la meilleure, se vérifie dans d’autres domaines, comme l’apprentissage, la vie artistique, le statut social : les plus doués, les plus habiles, les plus riches ou les plus en vue creusent leur avance de façon exponentielle, en projetant une ombre paralysante sur ceux demeurés en retrait de leur niveau. Le phénomène est un cercle vicieux : la réussite concentre les regards ; elle s’amplifie du seul fait de leur convergence. Une variante particulière de l’effet Matthieu est l’effet Matilda, du prénom de la militante féministe américaine Matilda Joslyn Gage († 1898). Misogyne, cet effet-là sous-estime la contribution des femmes dans l’essor des sciences pour la reporter d’office sur des collègues masculins plus prestigieux. Matî personnalisa plaisamment le soleil en wallon, tout comme Dj’han (Jean) le fit pour le vent et la bise : Matî tchåfe (le soleil chauffe), note Stasse (2004), en relevant par ailleurs la tournure Dji m’ rind foû Matî au sens de « J’abdique, je donne ma langue aux chiens ». Jusqu’au XIXe siècle, c’était aux chiens que l’on donnait, ou plutôt jetait, sa langue, juste bonne à les nourrir lorsqu’elle était incapable d’émettre une solution. Au chien, on substitua le chat, jugé plus savant ou plus complice. (DPWL)
MATTHIEU « On ne prête qu’aux riches », prêche un proverbe déjà repérable dans la parabole évangélique des talents (les pièces antiques), où un maître récompense les domestiques qui, en doublant le capital, ont rentabilisé ses biens, et punit celui qui s’est borné à enfouir l’unique talent reçu. Ce maître ordonne que l’on retire cet argent au paresseux pour qu’il profite à ses compagnons méritants, « bons et fidèles serviteurs ». Il enjoint aussi de précipiter ce troisième homme, inutile, « dans les ténèbres du dehors, là où il y aura des pleurs et des grincements de dents ». C’est saint Matthieu, fin connaisseur en matière de placements – il fut usurier et prêteur sur gages –, qui, en son chapitre XXV, a reproduit ce récit, dont la leçon est la suivante (verset 19) : « À celui qui a, il sera beaucoup donné et il vivra dans l’abondance, mais à celui qui n’a rien, il sera tout pris, même ce qu’il possédait. » Négligeant la portée allégorique du texte, où les talents sont dons de Dieu à faire fructifier, la sociologie s’est appuyée sur cette phrase de l’évangéliste pour dégager, en 1968, la notion d’effet saint Matthieu ou d’effet Matthieu (Matthew Effect). Sous ce concept, elle émet le principe que les bénéficiaires d’avantages obtiendront des privilèges supplémentaires : les détenteurs d’un pouvoir ou d’un savoir ont en effet tendance à l’accroître en développant leur hégémonie aux dépens d’autrui. Ainsi les universités et les chercheurs de renom, une fois acquis un certain degré de notoriété, éclipsent-ils des institutions et des scientifiques tiers, au point de se voir parfois attribuer la paternité de découvertes imputables à moins illustres qu’eux, ce qui leur vaut, par effet boule de neige ici, un surplus de considération et de crédit(s). Ce mécanisme, où
MAURICE À Bessans (Savoie), lorsqu’un distrait laissait inutilement une chandelle allumée, il s’attirait cette remarque piquante : « Il faut aller chercher Maurice » (en patois : Fawt alâ tsêtché Mouhizë), ce prénom étant celui du sacristain du lieu, scrupuleux dans l’extinction des cierges (Francis Tracq, La mémoire du vieux village. La vie quotidienne à Bessans, éd. La Fontaine de Siloé, 2003, cité par Roger Viret, Dictionnaire français-savoyard, 8e édition, 2021). MÉLANIE « Une Mélanie avec un bloc ! », trépignait Maurice Siégel, directeur général d’Europe n°1 de 1961 à 1974, dès qu’il voulait dicter un texte à une sténo. Encouragé par Jean Gorini, alors patron de la rédaction, il baptisait en effet de ce prénom passe-partout, et non sans condescendance, les rares femmes salariées de la radio, où pourtant aucune ne s’appelait ainsi. Cet usage, rapporté par Pierre Bouteiller († 2017) dans son livre de souvenirs Radioactif (Robert Laffont, 2006), rejoignait somme toute la pratique de certaines maisons bourgeoises des années 1870-1920, où un même prénom de servante (Mélanie, Marie, Léonie, Clémentine) était définitivement dévolu 54
aux domestiques, ce qui dispensait Monsieur d’avoir à en retenir un nouveau en cas de changement de bonne et ce qui dissipait toute confusion avec les prénoms d’invités, qu’eût offensés une homonymie. (TREP)
Les astrologues de l’Antiquité et les alchimistes du Moyen Âge associèrent Mercure à la planète à laquelle ils consacrèrent le vif-argent (« vivant argent »), métal qui fut à son tour nommé mercure, peut-être pour sa mobilité comparable à celle du dieu, commissionnaire empressé du panthéon. À l’époque classique, on entendait par mercure un messager d’amour, porteur de billets doux : « Un bon père ne doit être ni le tyran de son fils, ni son mercure » (Voltaire). Les fluctuations du corps chimique dans les instruments de mesure suscitèrent en outre l’expression imagée fixer le mercure, c’est-à-dire « arrêter l’inconstance ou la désinvolture d’un esprit capricieux ». C’est un mercredi, jour voué à Mercure, que le Parlement de Paris tenait sa première séance annuelle, d’où le mot mercuriale pour un discours inaugural ou émaillé de remontrances. Le dieu du commerce a laissé une autre mercuriale, tableau officiel du prix des denrées.
MENGOLD Médjô est la forme dialectale du prénom Mengold, dévolu, au moins jusqu’au XVIIe siècle, à quelques garçons de Huy en l’honneur d’un saint patron de cette ville de la province de Liège. Grand faiseur de miracles, comte de son état, Mengold serait mort martyr vers l’an 900, dans sa cité où on lui dédia au XIIe siècle une remarquable église, classée en 1933 mais désacralisée en 1979. Le Dictionnaire françaisliégeois de Haust (posthume, 1948) fait état de la péjoration de ce nom de baptême, « on sint Médjô » (un saint Mengold) correspondant à la fois à « nigaud » et à « fourbe ». Sous l’entrée « Niais » de l’ouvrage, il en rejoint plusieurs autres, dont Nikêse (Nicaise), Djîle (Gilles) Matî (Matthieu) et Djâk’lène (Jacqueline). Les raisons de sa disgrâce sont mal éclaircies.
MICHEL Dans l’Île de Beauté, « le prénom de Michel (Micheli, Michelaccio) donne naissance à deux expressions très différentes », distingue le linguiste et historien du cru Fernand Ettori (1919-2001) dans son Anthologie des expressions corses (Rivages, 1984, et Petite Bibliothèque Payot, 2017). D’une part, dans « Hé un Micheli » (C’est un Michel), Michel qualifie « le fainéant qui a élevé la paresse à la hauteur d’un métier ». En outre, la locution italienne « Fare l’arte di Michelaccio (ou Michelazzo) », pour « exercer le métier de Michel », et corrigée ou enrichie par « mangiare, bevere e andare a spasso » (manger, boire et se promener), est d’usage courant en Corse, dans le nord et le centre, nous instruit ce même auteur. Il en a repéré le premier témoignage écrit à Florence chez le littérateur du XVIe siècle Anton Francesco Doni, pour qui ce Michelaccio n’était autre qu’un certain Michele Panichi, un Florentin déjà érigé en son temps synonyme populaire de « mollasson, vagabond ». Toutefois, nuance Ettori, certains n’excluent pas un lien avec les pèlerins du Mont-Saint-Michel, « en raison du sens péjoratif de Michel dans le français du Moyen Âge ». En définitive, tranche-t-il, l’origine de l’expression est oubliée de ceux qui l’utilisent. Il n’en va pas de même d’un autre emploi corse du prénom Michel. Ici, un Michel (Micheli) est « un sot, un grotesque », dont on se souvient parfaitement du modèle, un certain Micheli a Scufia (Bonnet), ainsi surnommé parce qu’il se coiffait toujours d’une sorte de bonnet de nuit.
MERCURE Une fois élus, les premiers papes conservaient leur nom civil : Victor, Zéphyrin, Denys, Félix, Boniface. Mais, en 533, les chrétiens choisirent pour pontife un prêtre romain de 63 ans, appelé Mercure comme le dieu païen, identité incompatible avec sa charge. Il se rebaptisa donc Jean II, en souvenir de Jean Ier, un prédécesseur mort martyr dix ans plus tôt. Ce n’est qu’à partir de 1029 que, systématiquement, les successeurs de Pierre adoptèrent un autre nom que le leur pour accéder au trône (Lecomte, 2016). (BLDP) Le martyrologe renseigne par ailleurs deux saints Mercure suppliciés pour leur foi au VIe et au XIIIe siècle, l’un en Cappadoce, l’autre en Russie. Le calendrier républicain, lui, avait installé Mercure au 23 nivôse (12 janvier), moment où le mercure est plutôt bas dans les thermomètres. Le site Namespedia fait état de 80 occurrences de ce prénom, surtout aux États-Unis et au Canada, mais il y eut au moins un Mercure né en France en 2000. Pendant de l’Hermès grec, le dieu romain, dont l’étymologie rappelle le mercator (« marchand »), veillait sur les commerçants et les voyageurs, et même sur les voleurs, ce qui n’a pas échappé à Brassens dans ses Stances à un cambrioleur (1972) : « Monte-en-l’air, mon ami, que mon bien te profite, / Que Mercure te préserve de la prison, / Et pas trop de remords, d’ailleurs nous sommes quittes, / Après tout ne te dois-je pas une chanson ? » 55
Ce pauvre hère « mendiait dans les rues d’Ajaccio au XIXe siècle et faisait rire les badauds ». Créateur en 1953 d’une académie pour la défense de la langue corse, Petru (Pierre) Rocca (1887-1966) a célébré l’extravagant personnage en 1955 dans Aghiacciu (Ajaccio). Échantillon (traduit) : « Michel Bonnet se tenait toujours / Juste à l’entrée de la place du Diamant ; / Il tendait la main droite au passant / En invoquant tous les saints. / La gauche, il se la mettait au cul. » Pour un sot, termine Ettori, on dit également un micchettu (un petit pain, micchettu ou micchetta) : micheli et micchettu renforcent ainsi mutuellement leur sens figuré. « Mais si vous allez à Florence, ne dites pas ‘‘Hé un Micheli’’ en parlant d’un sot : là-bas ce prénom évoque un homme supérieurement habile ! » Miché, cette forme populaire de Michel qui a désigné le micheton, soit « l’homme qui donne de l’argent à une femme en échange de ses faveurs », a eu cours aussi au féminin : « une femme miché » pour « une femme qui paie (un gigolo) », selon Henri Bauche, Le langage populaire (tel qu’on le parle à Paris) avec tous les termes d’argot usuel (Payot, 1928). Pour Chautard, l’association de miché au niais dans le bas langage serait en partie imputable à l’ancien surnom de Michel accoutrant le soldat allemand, « [celui] qui reçoit une tape par derrière et demande encore : ‘‘Qu’y a-t-il pour votre service ? ’’ ». Miché – ainsi prononçait-on le prénom – était employé sous le sens de « nigaud » au XVIIe siècle, tandis qu’au XVe michault ciblait le cocu chez Guillaume Coquillart. (VEAC) Micheline. Parmi les mots français récupérés dans d’autres langues et sous d’autres sens, voici micheline, terme par lequel l’espagnol désigne plaisamment un bourrelet disgracieux autour de la taille, adiposité qui répond chez nous à l’euphémique « poignée d’amour ». Selon la linguiste Marie Treps (2015), la pittoresque acception s’est fondée, non sur l’autorail chaussé de pneus et conçu par l’industriel François Michelin en 1931 (une année record pour le prénom féminin dans l’Hexagone), mais sur le célèbre Bibendum, figure fétiche de la marque. Ce personnage aux formes rebondies doit luimême son nom à un fragment de vers d’Horace, « Nunc est bibendum », soit « C’est maintenant qu’il faut boire », pour le simple motif que le pneumatique « boit l’obstacle ». Une réclame qui ne manquait pas d’air ! (OLMT) Mickey. Dans l’émission de jeux de TF 1 Les douze coups de midi du 27 septembre 2019, il fallait répondre « le mickey » à la question « Quelle est
l’unité de mesure du déplacement du pointeur de la souris ? » Si le nom anglais de l’accessoire, mouse, et son association naturelle au prénom (Mickey Mouse) facilitaient ce choix, l’aimable mot ne fait pas l’unanimité. Il est même absent du copieux article sur la souris informatique de Wikipédia, dont un premier contributeur avait pourtant fourni l’explication que voici, passée à la trappe (à souris) lors d’une mise à jour : « Les performances des souris se fondent sur la précision et la célérité du déplacement du curseur, dont la vitesse se calcule en unités de base appelées mickeys. Le mickey correspond au rapport entre la longueur de déplacement du pointeur (en pixels) et celle du capteur exprimée en pouces. Il vaut approximativement un deuxcentième de pouce. » À l’attrayant vocable, on préfère le sigle rébarbatif de DPI (Dotes per inches), en français PPP (Points par pouce). Plus le DPI est élevé, plus le pointeur est précis, les chiffres allant de 800 DPI pour un usage bureautique à 16 000 pour certains jeux. Mikel. Davantage que leur chef de file, nombre de variantes de Michel ont jadis été déconsidérées : à michaut (« nigaud », dès 1510), à michon (« sot », 1611), ou encore à michet et miché (« niais », au XVIIIe siècle), on adjoindra, pour le XIXe, la proie rêvée des escrocs, le mikel (« dupe ») qui, confirmait Larchey (1878), « est le nom de Michel dont le diminutif michon signifiait autrefois sot ». À ce Mikel gobe-mouches, qu’il honorait d’une majuscule, Vidocq consacrait en 1837 une abondante notice de son ouvrage Les Voleurs, Physiologie de leurs mœurs et de leur langage. Il y décrit la crédulité du personnage, floué et mystifié par des charlatans, marchands de pommade miraculeuse, mais surtout devins et diseurs ou diseuses de bonne aventure, dont regorgeait alors Paris : « Les individus qui vont demander des conseils aux tireurs de cartes sont des imbéciles, sans doute, mais il ne doit cependant pas être permis de les exploiter ; aussi, je ne comprends pas l’indulgence de la police. [Les devins] ne se contentent pas toujours de faire naître, moyennant finances, l’espérance dans le cœur du Mikel, ils veulent bien se charger de la réaliser. Lorsqu’ils ont trouvé un niais de force à croire qu’ils peuvent le faire aimer d’une femme, gagner à la loterie, ou découvrir un trésor caché, ils puisent à poignées dans sa bourse ; ce sont tous les jours des consultations, qui alors ne se donnent plus pour deux sous, mais qui sont payées fort cher ; ce sont des présents qu’il faut faire au génie familier du sorcier, etc. Il arrive souvent, très souvent même, 56
que le Mikel n’est désabusé que lorsqu’il est complètement ruiné. » Une des fripouilles de l’époque était un certain Fortuné, si bien nommé : « On mit un jour sous les yeux de M. Anglès, alors préfet de police, une pétition qui relatait toutes les ruses mises en œuvre par le sieur Fortuné pour dépouiller un Mikel. » (DIHL, SLAR, PVLL) Mitchî. Au tour dialectal verviétois on laid Mitchî (« un laid Michel », pour un homme peu engageant), a répondu à Liège l’expression ironique ou antinomique Hoûtez l’bê Mitchî ! (« Écoutez le beau Michel ! ») pour un bellâtre empressé auprès des femmes, un galantin. On disait narquoisement aussi Hoûtez l’bê Djodjo !, qui en appellerait ici à Jean ou à Joseph. D’autre part, le Mitchî-Cacaye (Michel-babiole, de pacotille) était le bonhomme de pâte offert aux enfants pour la Saint-Nicolas. (DPWL)
formes culturelles d’infanticide : on laissait ainsi mourir ou l’on supprimait des poupons rachitiques, supposés être issus de sortilèges. S’il pimente le film La vie est un long fleuve tranquille (Étienne Chatiliez, 1988), l’échange d’enfant à la naissance alimente toujours aujourd’hui les appréhensions de jeunes accouchées dans les maternités : tous les bébés se ressemblent, sauf pour la maman qu’assaille la peur d’une méprise. (JGAF) MOULOUD Le sceau de la xénophobie frappe régulièrement la manière de distinguer des personnes selon leur appartenance ethnique ou religieuse. Un prénom typique dans une communauté fait alors office de sobriquet générique. C’est le cas avec Mamadou pour une partie de l’Afrique noire ou avec Mohamed pour les Maghrébins (cf. Le jeanfoutre, 2013). Pour ces derniers, Mouloud et Khaled ont également cours : « Nous les faces de craies subissons le racisme anti-France par tous ces moulouds qui font régresser notre pays depuis 30 ans » (forum Immigration sur Yahoo, 2010) ; « Quand comprendront-ils que des Khaled on en ramasse à la pelle, que maintenant il y a nécessité impérieuse de créer notre État souverain si nous ne voulons pas disparaître, submergés par la peste arabo-islamiste » (kabyle.com, mai 2016). Au XIXe siècle, les Juifs d’Allemagne étaient déjà stigmatisés par des prénoms tels Itzig (Isaak), Mauschel (Moïse), Schmul et Schmuel (Samuel), perçus comme étrangers à la tradition du pays, détaille Balnat en s’appuyant sur l’ouvrage de Dietz Bering L’antisémitisme dans la vie quotidienne allemande, 1812-1933 (Stuttgart, 1987). Aujourd’hui, s’agissant des migrants turcs, Hakan, Mehmet ou Murat sont employés outreRhin. (BAPC)
MORGANE Margot. Tantôt bienfaisantes, tantôt féroces, les Margot la fée des croyances bretonnes ancestrales emprunteraient davantage leur nom à la fée Morgane de la légende du roi Arthur qu’à un diminutif de Marguerite (d’où leur classement ici). Les familles les redoutaient notamment pour leur capacité à substituer à un nourrisson robuste un petit être chétif, un « changelin » malingre, alors lui-même appelé un margot-la-fée : « Sur le moment, les parents ne s’aperçoivent de rien, mais au bout de quelques mois, alors que l’enfant devrait bien prendre et profiter, il se détourne du sein maternel, reste grêle et souffreteux. C’est à n’en pas douter un ‘‘enfant de fée’’ ! Un ‘‘fayon’’, un ‘‘margot-la-fée’’, fiévreux et contrefait ! », analyse Jacques Gélis (1984). Loin d’être anodine, cette crainte, jadis bien ancrée dans l’imaginaire d’un entourage désemparé, a pu, insiste l’historien, susciter des
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N NATHALIE Natacha, du russe Natasha, variante de Natalya, a beau se réclamer, avec Nathalie ou Noël(le), de la Nativité du Christ (natalis dies, jour de la naissance), il n’en est pas moins devenu l’un des prénoms les plus péjorés depuis la fin du XXe siècle : il désigne une prostituée originaire d’Europe de l’est, à l’œuvre en France et ailleurs, souvent sous la coupe de structures mafieuses. C’est la prolifération de ce féminin dans les pays slaves qui l’a accablé de cette tapageuse déconvenue, d’abord relevée en Turquie avant d’essaimer. En effet, après la dislocation de l’Union soviétique, beaucoup de jeunes femmes monnayant leurs charmes s’établirent sur le territoire turc, où leur venue bouleversa les interdits sexuels ancestraux parmi les autochtones, qui appelèrent génériquement natashalar, dans leur langue, ces professionnelles. Leur présence est manifeste dans certaines villes, dont Trabzon, alias Trébizonde, au bord de la mer Noire. Ce chef-lieu de la province éponyme paraît même leur être dédié, selon le site de voyage zlm-concept : « Elles sont arrivées là après le démantèlement de l’URSS. La plupart sont plutôt blondes, ce qui fait apparemment leur succès. Pour le reste, elles n’ont rien de très attirant, et ressemblent plutôt aux caricatures que l’on fait habituellement des prostituées : grosses, plutôt fanées, habillées de vêtements moulants avec décolletés ravageurs (?), et barbouillées de maquillage... Bref, on peut difficilement ne pas les remarquer ! Par contre, pour les Turcs, pas de problème, elles font partie du paysage. » Dès 1993, le mot Natacha était repris par un magazine français, L’Événement du jeudi, dans un article renseignant la ville de Batoumi, en Géorgie, comme « le principal relais des Natachas, une halte obligatoire, un centre de ‘‘distribution’’ des prostituées ». C’est en 1991, si l’on s’en réfère à une note de bas de page de Visibles mais peu nombreux – Les circulations migratoires roumaines (dir. Dana Diminescu, éd. Maison des sciences de l’homme, 2003), que les Turcs ont fait choix du terme. On apprend à cette occasion que la presse turque a traité avec virulence une communauté particulière de travailleurs clandestins : les femmes roumaines
s’adonnant à la prostitution : « ([Elles] ne sont sans doute pas aussi nombreuses que les Natachas russes (en fait souvent ukrainiennes, géorgiennes, moldaves ou autres), mais leur présence est tout aussi remarquée ». À la question Quels sont les prénoms de filles qui vous font craquer ?, posée sur le forum de jeuxvideo.com, le premier participant à réagir, le 1er novembre 2012, répondait : « Les Natachas, des grosses cochonnes ». Pur hasard ? Coïncidences : c’est en Turquie, à Izmir (jadis Nicomédie) que vit le jour et périt martyre la sainte Natacha vénérée par les Orientaux, et c’est un autre bouleversement politique, la révolution russe de 1917, qui, via les émigrations, sema hors de son bastion un prénom déjà illustré en 1865 par Natacha Rostov, l’héroïne de Tolstoï dans Guerre et Paix. En France, l’année la plus prolifique en dévolutions fut 1973 (1 763 naissances), époque où venait aussi d’éclore, sous le crayon du dessinateur liégeois François Walthéry, le personnage de Natacha, l’hôtesse de l’air. Qui plus est, en 2018 (L’Avenir du 19 mai), à l’occasion de la Fête aux langues de Wallonie, le jury des Noûmots (nouveaux mots) a validé l’emploi de natacha, honorable néologisme dialectal pour « hôtesse de l’air ». NICOLAS En 1916, dans leur Dictionnaire militaire, les Éditions Larousse accueillaient le Nicolas, sobriquet argotique du soldat russe – plus volontiers rebaptisé Ivan, forme slave de Jean, pendant la Seconde Guerre. La référence est Nicolas II, dernier tsar de Russie de 1894 à 1917 (exécuté avec sa famille en 1918 lors du massacre d’Ekaterinbourg). Quant aux mots manne de saint Nicolas, ils n’auraient ici rien d’affriolant s’ils ne qualifiaient que la hotte, pleine de joujoux, du patron des enfants sages. De façon plus surprenante, l’expression a identifié une relique salutaire ou, au contraire, un poison hautement mortel. Natif d’Asie mineure, le saint du 6 décembre († 345) est inhumé sous la basilique de Bari (Italie du Sud), dans une tombe de marbre d’où 58
s’échappe depuis des siècles une huile transparente, parfois décrite comme aromatique et odorante, mais avant tout réputée prodigieuse. En excluant des infiltrations venues de l’extérieur et en invoquant l’étanchéité de la sépulture, la croyance attribue en effet ce phénomène à un exsudat miraculeusement secrété par la dépouille, au mépris des lois de la physique. Le précieux liquide, relique jugée authentique, est encore recueilli chaque année, lors d’une célébration spéciale, par des religieux qui en remplissent une ampoule, dont l’évêque dilue ensuite quelques gouttes dans de l’eau bénite, à destination des fidèles. Rédigés par les Bollandistes depuis 1643, les Actes des Saints ont défini la substance par « liqueur miraculeuse ». Elle fut d’un usage thérapeutique polyvalent, guérissant les maladies des yeux, les membres fracturés, et redonnant vie aux moribonds. Parmi d’autres propriétés, selon la Revue de l’Art chrétien (1896), elle rendait l’ouïe aux sourds et remettait en santé les débiles. Son nom de manne résulte d’une assimilation avec la manne céleste, elle aussi fruit d’une grâce inespérée et providentielle, que Dieu envoya aux Hébreux pendant leur traversée du désert. Mais déjà au XIVe siècle, on entendait par manne le suc suintant de plusieurs végétaux (mélèze, frêne, eucalyptus), employé comme édulcorant ou comme laxatif. Toujours sous l’étiquette de manne de saint Nicolas, ont circulé dans l’Italie du XVIIe siècle des flacons garnis de l’effigie du saint, mais autrement plus dangereux. On les baptisait de la
sorte pour égarer les autorités, en les présentant comme d’anodins objets de dévotion. En réalité, ces fioles renfermaient un redoutable toxique à base d’arsenic, l’acqua-tofana, du nom de Giulia Tofana, empoisonneuse en série née à Palerme et installée à Rome avec sa fille pour y exercer ses talents. Le nombre de ses victimes, accidentelles ou non, dépassait déjà les six cents lors de son exécution en juillet 1659 (JeanChristophe Tomasi, sous l’entrée Boucon – « morceau empoisonné, poison » – de l’ouvrage 200 drôles de mots à ressusciter pour vaincre la morosité, Le Robert, 2018). N OÉ Noé est péjoré dans la tournure syndrome de Noé, qui désigne l’adoption compulsive et excessive d’animaux de compagnie, traditionnels (chats, chiens) ou réputés nouveaux (furets, reptiles), sans avoir les moyens de les faire vivre dans des conditions décentes. Il s’agit d’une maladie mentale, que l’anglais, sans référence au patriarche biblique, nomme animal hoarding (« accumulation d’animaux »). « Ce besoin d’adopter est vraiment pathologique, puisque même les animaux morts n’étaient pas jetés, mais conservés sur une étagère », expliquait, en évoquant un cas précis, un inspecteur de la Société protectrice des animaux de Liège (L’Avenir, 8 avril 2017). Au départ, il existe un attrait, une volonté de bien faire chez l’acheteur, mais par la suite celui-ci, envahi, se laisse dépasser, et la situation tourne à la maltraitance.
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O OIGNON Mêlons-nous de nos oignons ! Le village périgourdin de Limeuil (823 âmes), nous instruit le site Prénoms révolutionnaires en Dordogne, vit notamment naître, en l’an II de la République, une fille prénommée Oignon (le 3 messidor, soit le 20 juillet 1794) puis une autre Sarcloir (le 21 floréal), et, en l’an III, parmi les garçons cette fois, deux Pressoir (le 11 brumaire), un Potiron (13 vendémiaire), un Piment (28 vendémiaire) et un Cyprès (17 frimaire). Le calendrier républicain, dont le début fut fixé au 1 vendémiaire de l’an I (22 septembre 1792) et qui se prolongea jusqu’en 1806, comportait en effet, outre ses mois évocateurs des saisons (Nivôse, Fructidor), des noms de jours substitués à ceux des saints et donc aux prénoms traditionnels. Telle était la volonté de son concepteur, Fabre d’Églantine – par ailleurs auteur de la chanson Il pleut, Il pleut bergère. Dans son rapport à la Convention nationale, il avait balayé le martyrologe, « répertoire du mensonge, de la duperie et du charlatanisme », au profit de mots liés à l’agriculture et à l’économie rurale, « par égard à tous les objets qui composent la véritable richesse nationale, aux utiles productions de la terre, aux instruments dont nous nous servons pour la cultiver, et aux animaux domestiques, bien plus précieux, sans doute, aux yeux de la raison, que les squelettes béatifiés tirés des catacombes de Rome », plaidait-il. Dans ce que d’aucuns baptisèrent « le légumier », il y eut ainsi, défilant en rangs d’oignons, des jours dédiés à la betterave, au radis et au houblon ; d’autres à la bêche, à la pioche et à la serpette ; d’autres encore au bouc, à l’âne et à l’écrevisse : autant de prénoms potentiels. Tous pourtant n’étaient pas aussi ridicules, puisque le catalogue comportait aussi quelques vedettes végétales, déjà bien établies ou toujours dévolues : Violette, Narcisse, Pervenche, Anémone, Rose, Pimprenelle, Valériane, Garance, Véronique. Au demeurant, les noms les plus grotesques, dont les malheureux titulaires obtinrent souvent le changement dans les années 1810, ne firent qu’une courte carrière, liée au zèle de certains officiers d’état civil qui en affublaient volontiers les enfants trouvés. Ou bien ils n’apparaissaient qu’ à la remorque d’une forme
classique (Jean, Guillaume, Marie, Catherine). L’époque fut aussi celle des prénoms antiques (Brutus, Xénophon, César, Socrate), de ceux suggérés par l’air du temps (Liberté, Égalité, Vertu, Fidélité), en s’écartant de la sorte d’un calendrier dont les mois eux-mêmes servirent parfois à nommer les nouveau-nés (Germinal). ORPHÉE Malgré sa finale en - ée, apanage des Dorothée, Renée ou Andrée, ce prénom est masculin, et, depuis 1900, il a été choisi pour plus de deux cents garçons en France, dont quatorze en 2011. Il renvoie au musicien mythique : privé de sa superbe voix à la mort de son épouse Eurydice, il a fait souche dans les mots orphéon (la chorale et l’instrument) et orphelin (« privé de »). Chez les gens de lettres, et selon Gouget (L’argot musical, Curiosités anecdotiques et philologiques, 1892), Orphée a baptisé un poète ou un musicien sentimental, tandis que l’expression Orphée de carrefour s’est révélée plus péjorative. Naguère associée aux joueurs d’orgue de Barbarie, elle dégageait une idée de chute, de déchéance : en effet, cet orgue a entretenu un rapport étroit avec la prostitution puisque, à l’instar des filles publiques, il s’installait aux carrefours et fréquentait de préférence les quartiers interlopes, s’acoquinant avec les bandes louches et les parias, analyse Benoît Denis (L’orgue de Barbarie : un nouveau système de représentations dans la littérature du XIXe siècle, Fabula, 2016). Gouget, lui, se borne à définir le stéréotype par « musicien ambulant, pauvre diable pour qui la vie est un enfer ». N’est-ce pas aux enfers, royaume des ténèbres, que l’Orphée grec tenta de récupérer son aimée ? « L’Orphée de carrefour, après avoir vainement appelé, sur tous les tons et à tous les échos, l’Eurydice de son rêve, rentre un soir, harassé, dans son taudis, où il meurt, déchiré par la misère et la faim », compare encore Gouget. Notons enfin qu’en 1833, dans sa Promenade gastronomique dans Paris, la plume d’un amateur (Thévenin ?) massacre la cuisine bourgeoise, « terreur des chats, lieu de réunion habituel du chambriste célibataire, du domestique sans place et de l’Orphée de carrefour ». 60
P PAMÉLA doublait d’un égoïste, accaparant tout ce qu’offrait la table.
À la grande époque des maisons de prostitution, les filles, en particulier les demi-mondaines et les théâtreuses, se choisissaient un pseudonyme distingué, un prénom charmant, pour s’imposer face à la concurrence. Selon Pierron (2015), un des plus courus était Paméla, devant Lucrèce et Reine, alors que, dans ce métier, la « classe inférieure » se rabattait sur Boulotte ou Beignet. En ce temps-là pourtant, le prénom était tout à fait inusuel : il n’apparaîtra dans les états civils français qu’en 1974 (avec un score de 832 naissances en 1982, pour six en Belgique en 2016), et, même aux États-Unis, il n’émergera pas avant 1924. Son éclosion, littéraire, est fort lointaine : à la fin du XVIe siècle, cherchant un nom pour l’héroïne de sa romance pastorale L’Arcadia de la comtesse de Pembroke, l’écrivain anglais Philippe Sidney imagina celui-là, inspiré du grec « pan-meli », soit « tout-miel » ou « la sucrée ». Son œuvre bénéficia d’un vif succès, tout comme, en 1740, Pamela ou La vertu récompensée, de son compatriote Samuel Richardson, qui reprit cette identité pour sa propre héroïne. Dans son roman épistolaire, Pamela, jeune domestique de quinze ans, résiste aux avances du fils de sa patronne, qui finira par l’épouser par amour, attendri par la lecture de son journal intime. (BEHI, MSAP)
PANNONICA Vladimir Nabokov, l’auteur en 1955 de Lolita – troublante adolescente qui se lexicalisera au sens de « nymphette » – aimait à chasser les papillons, dont il découvrit deux espèces, l’une (Eupithecia nabokovi) étant d’ailleurs étiquetée sous son patronyme. Entomologiste averti, le banquier Charles Rothschild (1877-1923) fut lui aussi un grand amateur de papillons : il en trouva un jour un spécimen inconnu sur la rive droite du Danube, dans une région d’Europe Centrale appelée Pannonie à l’époque romaine. S’il baptisa logiquement Pannonica le lépidoptère, il en fit tout autant avec la cadette de ses quatre enfants : ainsi naquit à Londres en 1913 Pannonica Rothschild, future baronne de Koenigswarter. À 38 ans, elle abandonnera la France, sa famille et son mari ambassadeur pour devenir l’égérie et la protectrice des musiciens de jazz aux États-Unis, jusqu’à sa mort en 1988. Prénom et destin exceptionnels donc pour celle qui restera « la baronne du jazz », dans un milieu où elle évolua sous le diminutif de Nica. Parmi bien d’autres, Charlie Parker, Art Blakey, Duke Jordan, Tommy Flanagan et Thelonious Monk (qui lui dédiera Pannonica) bénéficieront de son mécénat. Dans le Dictionnaire amoureux du jazz (Plon, 2018), Patrice Blanc-Francard résume sa vie par la phrase : « C’est une histoire de chats, de pigeons et de papillons. » Les chats sont ici les « cats », sobriquet que s’échangent les jazzmans ; le pigeon (d’argent) le surnom que ceux-ci réservaient à la limousine Bentley gris métallisé de celle dont on aimait à dire « C’est une Rothschild ! Elle est milliardaire ! » Pannonique ouvre la marche des prénoms saugrenus que portent fièrement les personnages de la romancière Amélie Nothomb, dans l’échantillon qu’en donne Jean-Baptiste Baronian (Dictionnaire amoureux de la Belgique, Plon, 2015). Zoïle, Zdena, Plectrude, Antéchrista, Texel, Épiphane, Mélaine et Palamède lui emboîtent le pas, de même qu’Astrolabe.
PANCRACE Hérité du saint de glace (12 mai) dédicataire des paroisses de Krainem et Sterrebeek (Brabant flamand), le prénom, par assonance avec la crasse, est allé à Liège aux malpropres, mais aussi aux gourmands : l’expression I ravise sint Pancrace, i n’a qu’po s’panse (« Il ressemble à saint Pancrace, il n’en a que pour son ventre ») flétrissait un goinfre, un goulu. Pancrace était ainsi synonyme de goulafre, régionalisme repris au Robert. Selon Fontaine (Les mots wallons de Guy Fontaine, T. 6, 2001, Dricot, Liège), un sculpteur aurait représenté le saint d’une manière trop enveloppée (« ine posteûre avou on gros vinte », une statue avec un gros ventre), ce qui entretint la comparaison. Non content d’être gros mangeur, le pancrace se
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PIERRE L’euphémisme oraison de saint Pierre s’emploie, dans le jargon pudique de certains dignitaires de l’Église, pour un petit somme, une sieste impromptue, qui donne l’impression d’un profond recueillement ou d’une grande concentration. Relatant l’allocution parisienne du pape Benoît XVI devant sept cents personnalités, le 12 septembre 2008 au collège des Bernardins, Caroline Pigozzi (Le Vatican indiscret, Plon, 2012), écrit en effet : « Ce brillant discours n’empêcha pas certains hauts prélats de pratiquer la technique éprouvée de l’assoupissement pour se réveiller quelques instant avant la fin…. Ce qu’ils appellent entre eux l’oraison de saint Pierre, qui signifie sommeiller en faisant semblant de pieusement méditer ! » Rendue par avoir un polichinelle dans le tiroir, un arlequin dans la soupente ou une brioche au four, l’idée de tomber enceinte après un rapport furtif l’a aussi été, de façon irrévérencieuse, par s’être brûlée au cierge de saint Pierre. La brûlure provoque une cloque, d’où être en-cloque ; le cierge fait office de métaphore du pénis, et le chef des apôtres, vertueux porte-clés, déverrouille l’expression. « [Le père à sa fille] : - Tu t’es brûlée au cierge de saint Pierre, ma fille… Tu t’es pris des cloques. Tu n’as plus qu’à t’asseoir dessus, maintenant ! » (Agnès Pierron, Pêle-mêle sexuel, 2004). (MSAP) Signifiant « Pierre glorieux », Piro-gloriot et Piroglorious, deux désignations du loriot dans le Lyonnais, résultaient, selon Tisseur (1887), d’une plaisante corruption de compère-loriot, l’ancien nom de cet oiseau : compère s’est en effet réduit à péro, puis mué en Piro (Pierre, le prénom), tandis que loriot s’allongeait en gloriot (« gloire ») et en glorious (« glorieux »). Mais à Lyon même, le patois s’en tint à pireglorieux, sans lien avec Pierre : ainsi le loriot n’y fut-il que « le pire des glorieux ». On notera qu’une interprétation controversée fait du composé compère-loriot le pendant masculin et naturel d’une imaginaire (com)mère-loriot, passereau comme lui, dont l’envol se réclamait de merle-oriol (« merle doré », par son plumage jaune vif) et de merle-loriot (après agglutination du « l »). Compère-loriot a pris aujourd’hui le sens familier d’ « orgelet » d’après un terme voisin, leurieul, déjà connu au XVe siècle pour une inflammation du bord de la paupière. (PLPP, TLFI, MERP) Perrette. De l’expression cul de Perrette, sont issus divers mots dialectaux désignant une culbute, dont, en Champagne, cupèrète et cudpèrète : faire une cudpèrète, tête en bas. (JDPC)
Une Perrette à l’oignon est une babillarde (Catherine Guennec, Petit livre des mots inconnus au bataillon, 2015). Creusons le syntagme Trou Perrette, dont Clément Marot (XVIe siècle) indiquait qu’il était à Paris l’enseigne d’un tripot, soit, à l’époque, d’un lieu pavé et clos, destiné à la pratique du jeu de la courte paume, ancêtre du tennis. Mais la locution faire l’amoureux tripot fut de mise, de façon obscène, pour « accomplir l’acte vénérien ». Synonyme de « jeu d’âne, jeu d’amour », elle éclaire la phrase grivoise et à double sens de Villon (Grand Testament, 1461) : « S’il sut jouer en un tripot, il eut de moi le trou Perrette » (Poésies de Villon, édition établie par Jean Dufournet, Flammarion, 1992). Dans Choix de farces, soties et moralités des XVe et XVIe siècles, Chautard a épinglé l’extrait suivant : « Trou du cul Perette / Choquez des talons / Chucez la pignete / Vydez les galons ! » Quant au roman historique Hugues d’Arquœuvres dit le mauvais, de Tony Willer (Atria, 2014), il est explicite sur la question : « D’un geste bestial, il demanda aux deux soldats qui maintenaient Laudine de lui écarter les cuisses : – Dégagez le trou Perrette !, haleta-t-il ! Une juive, ça se sodomise ! » Mais une tout autre acception à Trou Perrette est fournie par le philologue Jacob Le Duchat († 1735) : « Les rieurs appellent de la sorte le tronc des églises, d’après certaine bigote appelée Perrette […], gagneuse de pardons ». Au siècle précédent, dans Les aventures du baron de Fæneste (1630), Agrippa d’Aubigné décrivait, sous le titre Triomphe de l’Impiété, un défilé où, au sommet du char conduit par Belzébuth, trônait l’Impiété, personnifiée par une vieille femme fardée « comme le visage de Perrette quand elle avait gagné des pardons ». Mérimée, qui annota d’Aubigné en 1855, précise que les Huguenots désignaient par le sobriquet de Perrette l’église catholique, « probablement à cause de l’apôtre saint Pierre, à qui ils ne pardonnent pas la papauté ». Ce qui laissait perplexe le Bulletin de la Société de l’Histoire du protestantisme français (vol. 11, 1862), puisque le tour boîte à Perrette, renseigné par Furetière (1690), alla initialement au tronc des pauvres dans les seuls temples réformés. Pierrot. S’il a distingué au XVIIe siècle, et à l’image de son compère Jeannot, un niais rural, un empoté, ce dérivé aura été alourdi par les Angevins de malveillances supplémentaires. En 1908 en effet, Verrier et Onillon lui accolaient des synonymes au moins aussi inamicaux : pleutre, paltoquet, pignouf et plat-cul (Glossaire étymologique et historique des patois et des 62
parlers de l’Anjou, Germain et Grassin, Angers). Plat-cul a qualifié un individu méprisable, hypocrite, vil ou servile : « – Qu’êtes-vous donc, platcul, triple face d’andouille, punaise de sacristie, cafard de bénitier, jésuite de la peau de mes fesses… » (OscarPaul Gilbert, La Fin des Bauduin - La Victoire sans ailes, Plon, 1948). « Qu’est-ce ce Pierrot là ? » : Chautard (1931) datait de 1892 l’usage argotique, au sens d’ « individu », de ce diminutif, tout en estimant que le nom de Pierrot, attribué aux paysans en général, n’était pas le nom propre transformé en nom générique, mais se rattachait à un mot du issu du patois du Morvan, pétrâ, signifiant « homme grossier et d’allure pesante ». Il rejoignait ainsi l’avis de De Chambure (Glossaire du Morvan, 1878). (VEAC, GLMC) Avoir le Pierrot gourmand, c’est, en un français peu académique, éprouver l’envie de s’accoupler, nous instruit Catherine Guennec dans Grimper aux rideaux et 99 autres expressions coquines (First, 2017). D’un partenaire au regard amoureux ou lascif, on disait déjà au XVIIe siècle qu’il avait les yeux tournés à la fricassée, ou à la friandise, un mot qui désignait tout ce qui rend friand, et spécialement, de façon indifférenciée, le sexe de l’homme et de la femme. Dans le même registre, et plus fraîchement attestés, sont les tours avoir les yeux en boutonnières de caleçon et avoir les yeux qui pleurent à la porte d’une culotte (sic). La propension aux plaisirs de l’amour a souvent sollicité la métaphore culinaire (remuer le gigot, faire une partie de jambons). En cas d’échec, quand on repart le cœur (et le reste) en bandoulière, on reste sur sa faim, ou bien on s’est borné à manger le papier des petits fours, même si, au rayon des amuse-gueules, le petit four voisine avec le canapé. On ne s’éloignera pas du sujet en remarquant que la sucette montée sur bâtonnet, celle qui évite de se poisser les doigts, a été inventée en 1924 par les deux confiseurs fondateurs, en 1899, de la marque Pierrot gourmand, d’après l’enseigne d’une boutique parisienne de bonbons. Pipi. Il ne fait pas couler que de l’encre, ce prénom, attesté au féminin au Japon où il renverrait aux Philippines (l’archipel) et chez les Maoris de Nouvelle-Zélande qui le rattachent à Phoebe. Au masculin, en Sicile, et avec Pepi, il abrège Giuseppe (Joseph) ; ailleurs en Italie, avec Pippo et Pippi, il émane de Filippo (Philippe). Mais c’est surtout en Bretagne qu’il a établi ses quartiers, par dérivation de Pêr (Pierre). Utiliser la forme contractée d’un nom de baptême aura été là-bas une pratique classique (Lena pour Elena, Juhel ou Jikel pour Judikaël), constate le site parents.fr, en mettant en garde, si tant est que
de besoin, contre le ridicule de certains choix, tel, précisément, celui de Pipi. Ce dernier fut néanmoins un abréviatif courant au XIXe siècle. Dans son récit Les guérisseurs populaires (Revue de Bretagne, 1891), Félix Le Bihan rapporte une anecdote relative à un médecin rural de la région de Dinan (Côtes d’Armor), toujours désigné sous le nom de docteur Pipi « par une abréviation, assez générale dans les campagnes, de son prénom de Pierre ». « Jamais au monde, du reste, qualification ne fut mieux justifiée, poursuit-il : tout son diagnostic reposait sur l’examen des urines. » Dans le nord-ouest du Finistère, au pays de Léon, fief du léonard (le dialecte du cru), Pipi avait largement cours parmi les gens de la terre. « Pipi est aussi un prénom et il répond à petit Pierre », observe à son tour le Dictionnaire de Troude (1876), sans omettre les inévitables extensions péjoratives. En effet, on s’en servait à contre-emploi pour railler un dandy, un jeune élégant très soucieux de sa mise, ou bien, via le composé pipi-gouer, on l’appliquait, par ironie ou par plaisanterie, et au vocatif, au laboureur : Deuz’ta, pipi gouer !, « Viens donc, paysan ! » (BEHI, TDBF) PILATE Présente chez Vadé dans ses Nouveaux discours des halles et des ports (1759), l’expression parler comme la servante à Pilate, du nom du préfet de Judée qui confirma l’exécution de Jésus, faisait écho aux questions que multiplia cette domestique, à l’adresse de l’apôtre Pierre, pour savoir s’il appartenait aux disciples du Christ – ce qu’il nia. Au temps des reconstitutions de la Passion à l’aide de marionnettes en bois, cette femme était le personnage grotesque du spectacle, comme Judas en était le traître. « Aussi était-elle, tout le reste de l’année, prise comme terme de comparaison avec tout ce qui était ridicule, sale, odieux, et avec quiconque versant des flots de paroles pour ne rien dire, ou pour dire des impertinences. » Si Pilate est un prénom rarissime – relégué à la 93 124ème place (!) du palmarès selon significationprenom.com qui le déclare d’origine basque –, son porteur évangélique a été vénéré comme saint et martyr, fêté le 25 juin, par des églises chrétiennes orientales, pour qui il se serait converti en secret au christianisme, ce qu’il aurait payé de sa vie. Quant au patronyme, répandu dans le Hainaut, il émanerait du surnom dévolu à un homme qui, dans les mystères du Moyen Âge, tenait le rôle de Ponce Pilate ; on l’a rapproché aussi du mot pilâte, qui eut cours jadis à Liège et à Nivelles, au sens de « fourbe, hypocrite ». Les Namurois, eux, 63
recouraient à la tournure faire le Pilate : « Nous disons d’un sournois qu’il fait l’pilate quand il affecte des allures doucereuses » (Danhaive, Mœurs et spots du terroir, Namur-Nord, in Le Guetteur wallon, n° 14, octobre 1924). (BOBA, FEWI, DNWB)
servir. Mais son message, repris par le Washington Post, se retourna contre elle, puisque les internautes prirent en masse fait et cause pour le garçon, allant jusqu’à alimenter à son intention une « cagnotte à pourboire » bientôt garnie de 60 000 dollars. Belle récompense pour « avoir tenu tête à cette Karen en liberté », qui assénait aussi dans sa prose : « Les masques sont aussi stupides que les gens qui les portent. » La plupart des « Karen » vilipendées ou raillées mentionnées par Slate sont des mégères blanches incriminant des Noirs pour des motifs futiles. Le choix de l’archétype, dopé par la tempête tropicale Karen (2019), remonterait à 2004 et au film Mean Girls de Mark Waters (Lolita malgré moi dans sa version française), où Karen Smith est une ingénue à l’esprit borné. La même source en ligne s’étend sur l’embauche, par la culture pop d’outre-Atlantique et à des fins désobligeantes, de plusieurs autres petits noms : Caroline, Patty (de Patricia) et Becky (de Rebecca), ici d’après la « Becky aux grosses fesses » chantée en 1992 dans Baby got back du rappeur Anthony Ray, alias Sir Mix-a-Lot. Un mot supplémentaire éclaire parfois le contexte du sarcasme : ainsi une authentique Jennifer a-t-elle été qualifiée sur la Toile de « BBQ Becky » pour avoir appelé la police en apercevant deux hommes noirs allumer un barbecue dans un parc public ; en 2016, à la fin de sa chanson Sorry, Beyoncé désigne par « Becky with the good hair » celle avec qui son mari Jay-Z, autre rappeur, aurait entretenu une liaison, et qui, en raison de cette chevelure belle et lisse, ne pouvait être afro-américaine comme le couple. Retour sur Pimprenelle, la marionnette de la télé qui chaque soir, de 1962 à 1973, avec son copain Nicolas, guettait le passage de Nounours et du marchand de sable avant d’aller sagement au lit. En 2014, le président François Hollande surprit tout son entourage en affublant de ce doux surnom sa ministre de l’Éducation nationale Najat Vallaud-Belkacem. Pour les observateurs (L’Opinion, 12 octobre 2015 ou France Inter, 5 juillet 2016), cette aimable trouvaille, loin d’être gratuite, s’appuyait sur la capacité de l’intéressée à désamorcer la colère des enseignants, bref à endormir à son tour les profs.
PIMPRENELLE Attribué une soixantaine de fois en France entre 2000 et 2015, et déjà semé au 17 floréal par le calendrier républicain, ce féminin qu’illustra la fillette docile de Bonne nuit les petits a pu donner par le passé du fil à retordre à ses porteuses érudites, pimprenelle ayant signifié, on l’a vu, « débauchée » (1510), puis « évaporée, éventée » (1650), au motif que le végétal, vecteur de la folie dans les mentalités médiévales, était censé exacerber la vivacité en échauffant le foie. Rebelote en 2020, où le prénom s’est propagé sur le Twitter afro-français, comme substitut à Karen (abréviatif de Catherine, de souche scandinave), qui, dans l’argot anglophone, est devenu un terme injurieux ciblant la femme blanche d’âge moyen, arrogante, vindicative, et « nouvelle incarnation du racisme ordinaire » (Télérama, 9 juillet 2020). Mais Karen, qui n’aurait pas usurpé sa propre rubrique dans nos pages, s’installera à son tour sous ce sens chez les francophones, et figurera parmi les nouveaux mots de 2020 dans le Top 10 établi en Belgique sous l’égide du linguiste Michel Francard d’après les votes recueillis par Le Soir et la RTBF. Si, le 13 juin 2020, dans le magazine Slate et sous le titre Karen et Becky, nouveaux avatars de la suprématie blanche aux États-Unis, François Oulac évoquait l’équivalence entre Pimprenelle et Karen, l’emploi du second sobriquet, générique et persifleur, s’est lui-même révélé sous nos latitudes le 20 du même mois, à la faveur d’une dépêche d’agence copieusement diffusée, en pleine crise sanitaire et au plus fort des manifestations antiracistes issues du mouvement Black Lives Matter : une cliente d’un restaurant de San Diego (Californie) était montrée du doigt et rebaptisée Karen dans la presse comme sur les blogs et réseaux sociaux. Non contente de s’opposer au port du masque demandé par un employé, elle avait pris une photo de ce dernier pour dénoncer sur Facebook son refus de la
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QR RAMELINE Ce prénom issu de la piété a glané ses plus fraîches titulaires au siècle dernier dans le Sudouest de la France. Le mot rameline désigne là-bas un petit branchage, un rameau, et c’est en écho aux célébrations et processions du dimanche des rameaux qu’a émergé ce féminin, choisi en priorité pour les filles nées à cette date, une semaine avant Pâques (Lespy et Raymond, Dictionnaire du patois béarnais, 1887). « Je ne sais pas si je vous ai dit qu’elle s’appelait Rameline parce qu’elle est née le jour des Rameaux », lit-on chez Tristan Derême (L’escargot bleu, Grasset, 1936). Et, dans Plaisirs du Béarn (Louis Barthou et al., Nouvelle société d’édition, 1931) : « Rameline, la cuisinière, aussitôt se rue dans la basse-cour et tord le cou à une volaille. » (BELR) Un autre nom de baptême, désormais désuet, s’est réclamé de cette fête chrétienne : Osanne, d’après le chant ou cri (Hosanna !) acclamant l’entrée du Christ à Jérusalem, en un jour réputé aussi dimanche de l’Osanne, où l’on agitait les rameaux louangeurs. Noël(le), Pascal(e), Toussaint proviennent eux aussi du calendrier liturgique, tout comme Tiphaine, qui émane de l’Épiphanie ou Théophanie (« manifestation de Dieu »), et dont Tiffany est un succédané à la sauce américaine.
RMI (Revenu minimum d’Insertion, devenu depuis lors le RSA, Revenu de Solidarité active), des bénéficiaires choisirent de s’appeler Rémi ou p’tit Rémi plutôt que de recourir aux mots techniques et sans âme Rmistes ou érémistes, et, à leur tour, ils fêtèrent le saint, bien réel celui-là, associé à ce prénom : « Rémi est le seul saint du calendrier fêté douze fois dans l’année, le 6 de chaque mois pour être précis. Dans le quartier populaire de la Goutte d’or, à Paris, le jour du versement du RMI a en effet un surnom : la Saint-Rémi. Ce jour-là, les cafés sont pleins, les commerçants vendent, les frigos se remplissent, les gardemanger retrouvent leur fonction » (Joseph Confavreux, Rmistes - Comment vivre avec 433 euros par mois, in La France invisible, Collectif, La Découverte, 2006). (SIMF) R’mèy. Ainsi le wallon liégeois appelait-il le saint évêque rémois qui baptisa Clovis. Il a animé deux tournures dialectales, l’une au bénéfice de la rime en - eil : Sint R’mèy vermeil (« Saint Rémi vermeil »), que l’on destinait à un homme dont le teint rubicond était gage de bonne santé, tandis que l’autre, antinomique, rilûre comme li cou d’sint R’mèy (« reluire comme le cou de saint Rémi ») s’appliquait à un individu malpropre. On suppose que l’inspiration populaire s’était nourrie de deux toiles ou statues du vertueux élu.
RAYMOND Enregistrée par Pierre Merle (Dictionnaire du français branché, 1989), la tournure être raymond (« être ringard, hors du coup ») a été précédée de l’emploi du prénom seul au sens péjoratif moins marqué de « homme, individu quelconque » (Peterson, 1929), toujours de mise en 2013 dans cette phrase d’un internaute : « Arrivé là-bas, je me déshabille, regarde autour de moi, et mis à part les quelques raymonds qui font de la pêche, je me sens bien (pour une fois) dans ma solitude. » (DIFB, PPNP)
RENAUD Rinaldi. Au XIXe siècle, à Naples, et par métonymie, on appelait Rinaldi, d’après Renaud, les conteurs qui propageaient la chanson de geste de Renaut de Montauban, autre nom donné à l’épopée des Quatre Fils Aymon et de leur célèbre cheval Bayard, une œuvre composée au tout début du XIIIe, voire à la fin du XIIe (Jacques Merceron, Le cheval Bayard et l’enchanteur Maugis : de la médecine par le secret à la chanson de geste et retour par la mythologie celto-hellénique, 2016). ROBERT
RÉMI Dès 1866, les gagne-petit baptisaient du nom d’une sainte imaginaire le jour de paie, celui oùils touchaient leurs sous : ainsi naquit la SainteTouche. Lorsqu’en 1988 la France institua le
Boby. Sous l’entrée Totoquinit de son Petit livre des mots inconnus au bataillon (First-Gründ, 2015), Catherine Guennec énumère une bonne soixantaine de noms associés au sexe masculin, 65
dont broquette, mistigouri, timon de carrosse, coquin ravageur, anguille de calcif et bistouquette. Quelquesuns sont des prénoms ou des diminutifs déjà recensés dans ce registre (Jacques, Félix, Popaul), auxquels elle ajoute Boby. Robin. La vieille locution chanson de Robin, pour « discours fastidieux », est attestée dès 1611 par Cotgrave (A dictionarie of french and english tongues) et pareillement définie par Oudin (1640). Elle s’appuie sur une manière peu mélodique, improvisée et niaise de chanter, chacun allongeant la sauce par un couplet de son cru, une pratique que l’on retrouvera encore à la fin du XVIIIe siècle (« Quand il est en colère / Il montre son derrière / Et vesse comme un daim / Maman j’aime Robin ! » ; / « Robin a des sabots / Qui sont vilains et gros / Il fait caca dessus / Maman, je n’en veux plus ! »). À cette chanson de Robin, synonyme de « propos lassant, ennuyeux », Kastner (1866) préfère la chanson d’Agathon, qui ne peut que charmer : dans la Grèce antique, on l’associait
« aux choses plus gracieuses qu’utiles, en souvenir du joueur de flûte Agathon, aussi connu par ses mœurs légères que par son talent de musicien ». (RCOT, CUFR, KAPA, BODC) ROGER Rare, l’expression voix de Roger, pour « grosse voix rauque », apparaît dans le forum de Doctissimo (janvier 2015), où un internaute se plaint de ce trouble qui le mine à la saison des pollens. Est-ce une personnalisation par le prénom de la voix de rogomme (« enrouée, éraillée »), imputée à la consommation de l’eaude-vie ainsi appelée d’après rhum et gomme (sirop de sucre) ? (BAPC) ROSE Rosalie. En Aunis, les fermiers avaient coutume de surnommer Rosalie la jument, et Robinson le cheval. (GPAS)
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S SALPÊTRE « sansonnet » le convoi mortuaire d’un indigent – en cette circonstance en effet, les cloches restaient muettes, « sans sonner » –, les Lorrains firent du même mot et par un même calembour un sobriquet du petit bâtard, pour qui les cloches demeuraient pareillement silencieuses : « On ne sonnait jamais pour les bâtards ; ils n’étaient pas considérés comme membres à part entière de la communauté, et, en Lorraine, on les surnommait de ce fait les ‘‘sansonnets’’. Lorsqu’on menait baptiser un bâtard, on le faisait toujours entrer par la petite porte du sanctuaire. Pas de cérémonie, un rituel discret » (Gélis, 1984).
Aux esprits mal tournés, on rappellera que le patronyme Salpéteur n’est que l’héritier direct de l’ancien français salpestreur, désignant l’ouvrier qui extrayait le salpêtre ou le marchand qui en vendait. Ce produit, du nitrate de potassium pour la chimie d’aujourd’hui, était très convoité pour la fabrication des explosifs. Rien d’étonnant à ce que le prénom Salpêtre ait été installé, parmi d’autres incongrus, au calendrier républicain, juste entre Fumier et Fléau, en date du 9 nivôse (29 décembre), jour voué au « sel de la pierre » (latin salpetrae). Sous la Révolution, le blocus anglais ne permettait plus d’importer du salpêtre d’Égypte ou d’Inde, et il fallait bien trouver une autre solution pour la poudre à canon. Il suffisait de descendre dans les caves, car cette matière pulvérulente se forme sur les vieux murs humides. Les citoyens furent donc invités à lessiver ceux-ci et à recueillir les eaux en vue de leur traitement. Des « cours révolutionnaires » étaient spécialement donnés à cet effet dans la toute jeune École polytechnique. On y venait de toute la France, raconte Henriette Walter, en observant que la collecte du salpêtre était tellement à la mode qu’on en fit des chansons. Au siècle précédent, sous Louis XIV, c’est sur le site parisien de la Salpêtrière, antérieurement affecté à la préparation de munitions, que s’éleva l’hôpital de la Salpêtrière, devenu au XXe, après une fusion, La PitiéSalpêtrière. (WMLM)
SAMUEL Sam. Depuis 1995, la Belgique avait son Bob, conducteur abstinent lors d’une sortie entre amis ; depuis 2018, elle a aussi son Sam, prénom et acronyme de « Soins à la Maison ». Je suis Sam, titre Télémoustique (26 septembre 2018), à l’occasion de la Semaine des aidants proches. On dénombre dans le Royaume un million de personnes qui assistent un parent en perte d’autonomie, en lui consacrant un peu plus de quatre heures par jour en moyenne. « Ils sont SAM », écrit à son tour Le Vif, cette fois avec trois majuscules. L’appellation reste du genre masculin : « Mireille est le SAM de son mari, atteint de sclérose en plaques et aujourd’hui tétraplégique. » SANCHO
SAMSON Sansonnet. Chautard (1931) définit « mon petit sansonnet » par « terme obséquieux vis-à-vis d’une prostituée », tandis que « petit sansonnet » a parfois identifié le membre viril, comme dans la chanson traditionnelle L’oiseau mis en cage : « Charmante Louise, prête-moi donc ta cage, / Pour y loger mon petit sansonnet. » (VEAC) Désignant un poisson et surtout un étourneau (à l’image du pierrot-moineau tiré de Pierre), ce vieux diminutif de Samson a aussi, on l’a vu, été démantibulé au XVIe siècle en « sans son net » pour qualifier un pet silencieux mais très malodorant. Si, au XIXe, les Lillois appelaient
À l’hidalgo filiforme, utopiste et chimérique qu’incarne le Don Quichotte de Cervantès (1605), s’oppose le bon sens rustique du replet Sancho Pança, écuyer aux jugements sages. Son installation comme gouverneur et juge de l’île de Barataria n’a pas échappé à l’argot, qui ne répudie pas toujours la littérature classique : vers 1850, on a baptisé Sancho Pança un juge de paix, ce syntagme étant aussi connu par l’anglais populaire (Sancho Panza, pour « justice de paix »). (ESAP) « Estar hecho un chancho » correspond en espagnol à être gras comme un cochon : au XVIIe siècle, pour 67
nommer l’animal déjà appelé cerdo, cette langue s’est enrichie du terme chancho, « altération d’un prénom sans doute moqué, Sancho, rendu célèbre par Cervantès et associé à la panse bien remplie » (Le porc dans le langage, Alain Rey, avec Chantal Tanet et Gilles Firmin, 2005). (MCDC)
1940). Aujourd’hui hameau de Bailleul, entre Lille et Dunkerque, la localité décrite a été détruite en 1918, puis rebâtie. Petit saut jusqu’en Provence pour d’autres dénominations animalières rurales ? Voici Fanny pour l’ânesse, et Berto (Berthe) pour la vieille brebis. Encore qu’il s’agisse dans ce second cas d’une réinterprétation populaire, via un prénom, du mot berco, « brebis qui a perdu ou commence à perdre les dents de devant ». Même phénomène avec la Sérafino (Séraphine), mésange charbonnière, d’abord appelée serro fino (scie fine) pour son chant : en zinzinulant, elle imiterait le bruit de l’outil. (GCPP)
SÉRAPHIN L’expression être habillé en séraphin (« être vêtu de blanc ») a été en usage dans l’argot de Saint-Cyr, car les anges sont ainsi représentés par la tradition chrétienne. Mais surtout, ces créatures éthérées évoluent au paradis, un mot lui-même récupéré par le lexique de cette école militaire pour nommer l’infirmerie, où la tenue blanche est réglementaire. Le séraphin tout court est donc un élève malade (Julien Vinson, Revue de linguistique et de philologie comparée, T. 34, Maisonneuve, 1901). Un passage au paradis était souvent perçu comme une villégiature : « Blottis entre les draps d’un lit large et moelleux, les séraphins attendent la visite du médecin chef », écrivait en 1896 Georges Virenque (L’album d’un saint-cyrien, deux années d’école, Plon), qui confirmait : « Le Paradis, c’est l’infirmerie, séjour des Séraphins qui se reposent, en ce lieu de délices, des fatigues de l’exercice et de la Pompe ». Par Pompe, il faut entendre le corps professoral, la direction et les officiers supérieurs. (BOBA)
STANLEY Stan. « Ça veut dire quoi, un ‘‘stan’’ ? Je vois tout le temps ce mot, mais je n’ai jamais osé demander », interroge Laurine sur Twitter le 22 décembre 2016. Un secourable Florian lui répond aussitôt : « C’est un fan obsessionnel d’une célébrité, limite stalker [harceleur], ainsi appelé d’après la chanson d’Eminem. » Le mot avait donc déjà pointé le bout du nez en France avant qu’il ne soit officiellement adoubé en Grande-Bretagne en 2017 : « Le dictionnaire Oxford English Dictionary a proposé une définition du terme Stan, évoqué par le rappeur américain dans la chanson du même nom », annonce Le Figaro du 6 juin 2017, en relevant que dans son succès Stan, Eminem, lui-même mis en scène sous le label démoniaque de Slim Shady, a pour admirateur absolu un prénommé Stan, qui l’assaille de lettres demeurant dans réponse. Rongé par la folie et déçu par son idole, Stan jette sa voiture du haut d’un pont, entraînant dans la mort sa femme enceinte. Le prénom écharpé, où l’on a pu voir une simple contraction de fan et de stalker, est aussi l’abréviatif courant de Stanley (cf. Stan Laurel), lui-même issu du vieil-anglais stan-leah (« champ de pierres »). Non tronqué, il a fait son cinéma (Stanley Donen, Stanley Kubrick) et a désigné un gros fabricant d’outillage (niveaux, mètres à enroulement automatique, etc.), basé à Besançon et connu de tous les bricoleurs. Un de ses produits, le cutter, est parfois lexicalisé : « Il s’est blessé avec son Stanley. » Notons que, plus confidentiellement, Stan a pu représenter une forme diminutive de Stanislas, prénom popularisé en France lors de l’exil du roi de Pologne Stanislas Ier Leszczynski, et signifiant en vieux slave « gloire dressée ». (HIPR, PRAP)
SOPHIE Dans les Flandres françaises, avant la Grande Guerre, Sophie était, avec la polyvalente Marie, l’un des noms les plus volontiers attribués par les fermiers à leurs juments, de même qu’à leurs vaches, si ces dernières n’en possédaient pas déjà un autre justifié par leur pelage (Roussette, Brunette, Blanchette, Noirotte). Pour les chevaux, Louis et Bijou comptaient parmi les choix favoris, tout comme Miquet pour les chats ; Lisette, Finette et Bellotte (« Belle ») pour les chiennes ; Médor, Tom et Bellot pour les chiens. Ceux-ci répondaient parfois aussi au nom plaisant de Foul’camp : c’était bien avant 1958, année de sortie du film Ni vu ni connu d’Yves Robert, où le braconnier joué par de Funès possède un chien ainsi baptisé (Fous-le-camp). Ces usages anciens ont été rapportés par Marius Lateur (1884-1961), ancien galibot (enfant des mines) devenu écrivain et folkloriste, dans Vieilles coutumes du village d’Outtersteene et de ses environs (Revue de Folklore français, n° 2, avril-juin
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TU TOUMANÉ À l’instar de Mamadou – forme de Mohammed en Afrique de l’Ouest –, mais de manière un peu moins péjorative, Toumané, lui aussi issu de cette vaste région et de la langue bambara, fut l’une des désignations familières du tirailleur sénégalais par les coloniaux français (Dictionnaire des termes militaires et de l’argot des poilus, Larousse, 1916). Il était couramment employé de façon générique pendant la Grande Guerre, tant les porteurs de ce prénom peuplaient les rangs des soldats enrôlés pour le casse-pipe. Pas de majuscule, mais un brin de condescendance : « Un toumané, expédié par son colonel aux bureaux du trésor, suppléa par l’imagination aux lacunes de sa science protocolaire, et il répondit ‘‘Oui, mon trésor’’ au fonctionnaire dont le titre lui était inconnu » (Larousse mensuel illustré, vol. 3, 1914). Restrictif est par ailleurs ce syntagme de tirailleur sénégalais, simplement choisi parce que Dakar (Sénégal) était alors la capitale de l’AfriqueOccidentale française. En effet, les recrues provenaient également d’autres territoires de ce pan de l’Empire : Mauritanie, Guinée, Côte d’Ivoire, Niger, Togo, Soudan français (aujourd’hui Mali), Dahomey (Bénin) et HauteVolta (Burkina Faso). La plupart de ces pays ont pour langue véhiculaire le bambara, qui est langue nationale au Mali. (BOBA) Si Toumané a déserté les registres d’état civil, Toumani est attribué entre quatre et dix fois l’an depuis 1980 dans l’Hexagone, où son humble score rejoint celui de Toumi. Enfin, Toumané a fonctionné comme patronyme : le tirailleur sénégalais Komé Toumané, condamné à mort pour meurtre en novembre 1910, vit sa peine commuée en travaux forcés à perpétuité en février 1911 (Dossiers de recours en grâce, Archives nationales, 1996-2008).
Provence l’appela ainsi dès son accouchement « au milieu des craintes et des larmes, à cause du triste temps où elle se trouvait ». Circonstances douloureuses en effet : le nouveau-né vit le jour le 8 avril 1250 à Damiette (Égypte), pendant la septième croisade, alors que son père avait été capturé trois jours plus tôt par les Sarrasins et que sa mère était secouée par l’intense frayeur d’une agression sur sa propre personne. La nuit, elle ne cessait de crier « À mon aide ! » au plus léger bruit, et elle avait même été jusqu’à supplier le chevalier en faction à ses côtés de la décapiter en cas d’attaque de l’ennemi musulman. La présence vigilante dans la ville des alliés italiens, sollicités par ses soins, évita de recourir à cette extrémité. Quant à l’enfant, il mourra à 20 ans, le 3 août 1270, des suites d’une dysenterie, un mal qui emporta Saint Louis trois semaines plus tard, le 25 août. On sait qu’à la faveur de la légende tragique de Tristan et Iseut, Tristan avait très tôt subi la fâcheuse contamination de l’adjectif triste, auquel il est pourtant étranger, mais dont il fut perçu comme le dérivé naturel. « Tu es venu sur terre par tristesse ; tu t’appelleras Tristan », faisaient déjà dire les chroniqueurs médiévaux à la reine Blanchefleur. TYCHO Signifiant « qui atteint son but », ce masculin rare, d’origine grecque, fut illustré par un saint du Ve siècle, premier évêque d’Amathus (aujourd’hui Limassol) à Chypre, et surtout par l’astronome danois Tycho Brahé (1546-1601), l’un des plus grands scientifiques de son époque, pourtant qualifié d’« immortel le plus ridicule de tous les temps » par Milan Kundera dans son roman L’immortalité (1990). Devenu mathématicien impérial de Rodolphe II à Prague, le savant, impressionné par son mécène avec qui il voyageait en carrosse, n’osa évoquer devant lui son besoin urgent d’uriner. Lorsqu’il voulut enfin se soulager, sa vessie lui refusa tout service et il succomba onze jours plus tard à une septicémie. « Il a vécu comme un sage et est mort comme un fou » : telle est l’épitaphe qu’il rédigea
TRISTAN Jean, le quatrième fils de Louis IX alias Saint Louis, reçut le surnom de Tristan, voire le prénom composé de Jean-Tristan selon Guy Breton (Les amours qui ont fait la France, rééd. France Empire, 2012). La reine Marguerite de 69
lui-même, ce qui ne désamorça pas les moqueries posthumes. Son prénom et son nom animent l’expression plaisante ne pas vouloir mourir comme Tycho (Brahé), que les Tchèques emploient aujourd’hui encore en société lorsqu’ils sont soumis à une envie pressante et abandonnent leurs amis pour la satisfaire (Samir Bouadi et Agathe Colombier-Hochberg, Dictionnaire des cons et autres génies, Pygmalion, 2015). Selon une autre théorie, Brahé aurait été emporté par une intoxication au mercure, substance présente dans un remède de sa fabrication qu’il absorba la veille de sa mort.
l’héroïne de Balzac n’était ni l’une ni l’autre. En 1960, on lira encore chez Antoine Blondin (Les enfants du bon Dieu) : « Pour l’éternité, les servantes n’ont qu’un prénom. Comme les saintes. Mélanie, Ursule, Rosalie, Apolline, Gertrude, Clémence, Opportune, Victoire... » Par ailleurs, dans le jargon des journalistes, Ursule baptisa l’agence United Press, fondée en 1907. Le prénom, lui, est devenu cachotier : en France, où son meilleur millésime récent fut 1943 (117 naissances), il n’a plus franchi les cinq attributions annuelles depuis 1985. Son pendant germanique, parfois raccourci en Ulla, était jadis très couru dans la noblesse allemande, et c’est en Suisse alémanique, non loin de Berne, qu’a vu le jour, en 1936 sa porteuse la plus remarquée du XXe siècle, l’actrice Ursula Andress. (EAGL, PVLL)
URSULE À l’acception de « vieille fille » rapportée pour Ursule par Kölbel (1907), Larchey (1889) ajoutait pour le XIXe siècle celle de « servante », sans qu’on puisse invoquer Ursule Mirouët (1841) :
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VWXYZ VALÈRE Ce prénom typé caractérise « l’amoureux dévoué mais maladroit » : ainsi, en s’appuyant sur « le théâtre de l’ancien temps », Christophe Barbier définit-il Valère dans son Dictionnaire amoureux du théâtre (Plon, 2015), dont il dédie une entrée à un notable porteur contemporain, le metteur en scène et dramaturge suisse Valère Novarina, né en 1947. C’est vrai que les Valère furent des soupirants et des jeunes premiers récurrents chers à Molière : l’amant d’Élise dans L’Avare, d’Isabelle dans L’école des maris, de Lucile dans Le médecin volant, de Marianne dans Tartuffe… C’est précisément à cette dernière œuvre que Valère Novarina doit son petit nom : il lui fut choisi par sa mère, la comédienne Manon Trollier, qui y interprétait Marianne, flanquée d’un romanesque Valère. Quant au premier Valère apparu chez Molière, dans la farce La jalousie du barbouillé (1660), il annonçait à sa belle, Angélique : « Mademoiselle, je vous promets de contribuer de tout mon pouvoir à votre divertissement. » Message prémonitoire que Libération (28 janvier 2006) n’hésita pas à exhumer le jour où Novarina entra au répertoire de la ComédieFrançaise « pour divertir à son tour cette maison de Molière ». Valérie. Pierre Larousse, dans les vingt mille pages et les dix-sept volumes de son Grand dictionnaire universel du XIXe siècle, consacre à peine quatre lignes à la valérie, « genre d’insectes lépidoptères nocturnes (…) comprenant deux espèces qui habitent le midi de la France ». Le prénom, lui, fait en gros douze fois mieux que son pendant masculin, mais, depuis 1996, il bat de l’aile comme le papillon : cette année-là, la Belgique n’a plus enregistré que 75 Valérie, pour six Valère.
du syndrome blablablablablateur », sic). Pour rappel, ce féminin, où l’on peut voir la souche latine vanus (« vide »), est en réalité une création, en 1726, de l’écrivain irlandais Jonathan Swift, d’après la première syllabe du nom et du prénom de sa maîtresse, Vanhomright Esther. VÉRONIQUE Veronika. Petit crochet par l’Allemagne, où la Veronika Dankeschön – la Véronique Merci – est une figure emblématique que l’expérience de la guerre par les femmes allemandes intégra à la mémoire nationale. En témoigne notamment Une femme à Berlin, ouvrage autobiographique anonyme d’une journaliste de cette ville, sorti outre-Rhin en 1950, publié en France en 2006 et prolongé par une adaptation théâtrale en 2010 à Paris, avec Isabelle Carré dans le rôle-titre. L’identité de la rédactrice ne fut révélée qu’en 2006. Il s’agit de Marie Hillers († 2001), qui, audelà de son propre récit, chroniqua les tourmentes de la vie quotidienne berlinoise entre le 20 avril et le 22 juin 1945. Les types féminins qui s’en dégagent sont « la femme violée, dont l’image ternie s’efface au bénéfice de celle, euphémistique et consensuelle, de la Nation violentée » ; la Trümmerfrau, « la femme des décombres, qui préfigure le relèvement économique », et enfin la Veronika Dankeschön, « la putain qui offre son corps aux Américains pour des bas nylon et des cigarettes » (blog féministe dupainetdesroses). Le choix du nom Veronika Dankeschön n’est vraiment pas banal : il émane de l’argot militaire américain, par réinterprétation plaisante des lettres VD. En réalité, ces initiales étaient celles de Venereal Disease (« maladie vénérienne ») et s’affichaient, à titre d’avertissement, sur les boîtes d’allumettes de l’armée, avec la mention à double sens Use cover : « Utilisez la surface pour gratter l’allumette », mais aussi « Mettez un préservatif ». Cette abréviation VD voisinait avec l’image d’une femme blonde. Les soldats prétendaient reconnaître en elle l’héroïne d’un de leurs magazines, une certaine Veronika Dankeschön, nom qu’ils ramenèrent ainsi aux
VANESSA Promis, vous allez enfin comprendre les expressions des ados !, annonce Laetitia Azi sur le site aufeminin.com (6 mars 2017). En quête d’un pendant féminin à faire son Kevin (« faire son gamin, son relou, ou tout simplement être chiant »), elle donne faire sa Vanessa, plus discret en cet emploi, et relevé sur un forum dès 2006 au sens de « parler trop » (« être atteint 71
deux consonnes polysémiques (Heinz Küpper, Wörterbuch der deutschen Umgangssprache, – Dictionnaire de l’argot allemand, Berlin, 2004). (BAPC)
l’islamophobie et citait un autre cas de correction opportuniste (« Jihad devient Sébastien »). Par la suite, plusieurs journaux réagirent en revenant à un strict anonymat dans ce type de dossiers. Mais sans guère de succès : « Sur les sites identitaires, quand le nom d’un délinquant n’est pas révélé par les médias, la formule ‘‘C’est sûrement un Vladimir’’ fleurit dans les commentaires d’internautes », observe Riocreux.
VICTOR À l’occasion, Victor concurrence Arthur pour désigner le poisson rouge : dans la revue Bistrots, illustrée par Robert Doisneau (Le Point, 1960), le lexicologue Robert Giraud a ainsi relevé la description d’un comptoir « avec le siphon drapé dans son treillage d’argent ou plus simplement avec l’aquarium du poisson rouge qui répond souvent au prénom de Victor ». (BOBA)
ZAHIA Dans l’ouvrage de 2016 Trente idées pour vous éclater pendant que votre mec regarde le foot en mangeant (La Musardine – Le sexe qui rit), la plume dissimulée sous le pseudonyme phallique d’Aude Alisque définit la Zahia par « winneuse qui sent le sexe ». « Avez-vous l’âme d’une Zahia ? Pourriez-vous vous taper une équipe entière de football ? », demande -t-elle à ses lectrices lors d’un de ses tests prétendument psychologiques. Naguère inusitée en France, cette forme féminine de Zahi (« radieux, lumineux » en arabe) y a émergé vers 1960, avec quelque 1 300 attributions entre cette date et 2014, mais c’est en Algérie qu’a vu le jour, le 25 février 1992, la winneuse-gagneuse de référence, bimbo présumée nymphomane, Zahia Dehar. En 2019 encore, on l’associait au syntagme phénomène Zahia pour analyser l’inquiétante intensification de la prostitution chez les mineures, notamment en région parisienne. En effet, nombre de celles-ci, âgées de 14 à 18 ans et en décrochage scolaire, aiment à voir un modèle, un symbole de réussite, l’icône du succès, dans la jeune femme, une excall-girl devenue une vedette après un parcours très médiatisé. S’étendant sur la fascination ainsi exercée, une dépêche de l’AFP (13 avril 2019) citait les propos de Raphaëlle Wach, du parquet de Créteil, qui dénonçait les effets pernicieux du phénomène Zahia dans la banalisation de la prostitution des adolescentes : elles n’en perçoivent plus de prime abord que le côté glamour ou argent facile, voire conte de fées, au mépris des conditions souvent sordides dans lesquelles elles seront amenées à la pratiquer. Celle que L’Express (21 janvier 2013) a décrite comme « notre Lolita nationale », et à qui Match et d’autres magazines et sites consacreront tant de pages illustrées, conquit sa notoriété le 7 avril 2009, alors qu’elle était encore mineure : ce jourlà, dans un palace de Munich, elle fut le « cadeau d’anniversaire » du footballeur Frank Ribéry, qui fêtait ses 26 ans. L’année suivante, Ribéry et un autre joueur de l’équipe de France, Karim Benzema, seront mis en examen pour sollicitation de prostituée mineure. Au terme de
VLADIMIR Depuis 2012, sur des sites de la mouvance identitaire, Vladimir s’emploie par dérision pour un jeune délinquant ou criminel dont le nom, révélateur de l’origine ethnique, a été tu ou substitué dans un souci d’apaisement entre communautés, en vertu du « vivre ensemble ». Dans son essai La langue des médias – Destruction du langage et fabrication du consentement (L’Artilleur / Toucan, 2016), Ingrid Riocreux, agrégée de Lettres modernes, rend compte de ce phénomène, apparu après la mort tragique, le 22 juin 2012, d’un collégien de Rennes, Killian, 13 ans, qui succomba aux coups portés la veille par un autre élève, âgé de 16 ans. La loi sur la protection de la jeunesse interdisant la divulgation des noms de mineurs poursuivis, la presse a coutume de les baptiser d’un prénom d’emprunt en le renseignant comme tel. Dans l’affaire de Rennes, le journaliste du Monde choisit d’appeler l’agresseur Vladimir (comme Lénine ou Poutine), estimant sans doute que cet artifice suffirait à dévoiler son origine étrangère. En réalité, il provenait de Tchétchénie, où prédomine l’islam. Les réseaux sociaux et plusieurs pages Web eurent tôt fait de révéler que son prénom véritable était Souleymane. L’information suscita un tollé dans une partie de l’opinion. Celle-ci se disait en effet convaincue qu’on avait cherché à la manipuler en passant sous silence un prénom à nette connotation islamique et en escamotant à nouveau ainsi le rapport entre immigration et violence. « Souleymane devient Vladimir ou La désinformation par omission », protesta Robert Ménard, maire de Béziers, dans NationsPresse Info (27 juin 2012), invoquant, pour Vladimir, « une consonance russe, mais, c’est l’essentiel, pas musulmane », tandis que le même jour, Fdesouche, également très marqué à l’extrême droite, s’indignait à son tour des subterfuges destinés à étouffer 72
diverses péripéties judiciaires aux parfums de proxénétisme, le dossier se dégonfla comme un ballon de match : les deux sportifs seront finalement relaxés en 2014, le premier niant toute rétribution d’une partenaire dont il ignorait la qualité ou la mission, le second contestant la moindre relation. Récusant son propre statut de prostituée, Zahia elle-même admettra n’avoir aucune gêne à « profiter financièrement de tant plaire aux hommes ». Nuance. 2010, année de Coupe du monde, la projettera au devant de la scène, d’abord par la divulgation de son prénom, puis de son nom et, surtout, de ses photos, Internet contribuant au déferlement. Elle se distinguera ensuite par une habile reconversion, entretenant sa surexposition : mannequinat, ouverture d’une pâtisserie, lancement d’une collection de vêtements, égérie de certains couturiers, mondanités calculées, rôle principal dans le film de Rebecca Zlotowski Une fille facile (2019), où une ado de 16 ans est éblouie par sa sulfureuse cousine – qu’interprète Zahia, coscénariste. À propos du documentaire d’Hugo Lopez Zahia de Z à A (sur Paris-Première, en 2013), L’Obs (15 mai 2013) remettait les pendules à l’heure, sous le titre Des quartiers populaires à la grande vie parisienne : « Ce qui surprend, c’est le traitement médiatique du personnage. Tout se passe comme si nous suivions l’ascension normale et admirable d’une jeune des quartiers populaires devenue créatrice de mode à la force de son travail. La presse semble oublier qu’il s’agit, au départ, de prostitution de mineure. Tout se passe comme si cela n’était pas grave, on l’évoque rapidement, et on s’attarde sur sa nouvelle vie de rêve. Mais alors, si ce n’est pas grave, pourquoi une gamine de 14 ans, en voyant ce résultat spectaculaire, ne tenterait-elle pas, elle aussi, ce petit sacrifice temporaire ? ». « Si le documentaire réussit parfaitement à construire l’image d’une Marie Antoinette du XXIe siècle ou d’une fée intemporelle, lit-on également, il oublie les dommages collatéraux de cette mise en scène. Zahia y évoque rapidement sa souffrance d’avoir été humiliée par la médiatisation du scandale, mais elle ne parle pas de sa souffrance d’avoir dû se prostituer si jeune. »
Paris (éd. Parigramme/CPL, 1994). Selon cette source, elles se nommaient fiacres, cabriolets, milords, carolines, citadines, zéphyrines, atalantes ou carrosses. Deux prénoms donc dans cette énumération, où caroline se fonde aussi sur un mot-valise issu de carrosse et berline, et où zéphyrine renverrait poétiquement par l’étymologie au zéphyr, vent doux et tiède. Zéphyrine est allé par ailleurs à un mollusque gastéropode : « Je n’ai rien vu dans la Zéphyrine qui pût être considéré comme représentant l’appareil circulatoire », écrit le naturaliste Armand de Quatrefages (Comptes rendus hebdomadaires de l’Académie des Sciences, 1845). Dans la population d’Île-de-France, on dénombrait près de cinq cents Zéphyrine en 1800 et près de trois mille en 1900. Entre 1995 et 2010, ce féminin a encore été dévolu vingt fois dans l’Hexagone, où sa variante Zéphirine a fait bonne figure jusque dans les années 1930. ZLATAN Prénom opulent – sa souche slave, zlato, veut dire « or » –, Zlatan a été consacré par la culture populaire en France : elle en a dérivé le verbe zlataner, signifiant « gagner haut la main, vaincre de manière écrasante ou outrageante ». S’il a fait vainement antichambre au Robert et au Larousse, ce néologisme a été accueilli à bras ouverts par les lexicographes de Suède (zlatanera), là où naquit, à Malmö en 1981, d’un père bosniaque, l’icône du foot Zlatan Ibrahimovic. Secret, arrogant et rompu au starsystem, ce surdoué du ballon rond a rapidement conquis spectateurs et médias, et, avec lui, ce fameux zlataner, que les Guignols de l’info (Canal +) placèrent en 2012 dans la bouche de la marionnette parodiant son franc-parler et ses provocations (Adèle Bréau, Je dis ça et je dis rien, et 200 autres expressions insupportables, éd. Tut-tut, 2013). Avant de s’illustrer jusqu’en 2016 au Paris-Saint-Germain, dont il fut alors le meilleur buteur de l’histoire, cet indomptable attaquant fit les beaux jours de l’Ajax Amsterdam, de la Juventus de Turin, de l’Inter de Milan, du Milan AC, et du FC Barcelone. Après sa période française, ce dieu des pelouses s’aligna à Manchester United avant d’évoluer en 2018 au Galaxy de Los Angeles. La Ville de Paris l’honora en 2016 de sa médaille, lui qui avait pourtant traité la France de « pays de merde » en invoquant des erreurs d’arbitrage. Il est l’éponyme d’une marque d’articles sportifs et le coauteur d’une biographie à succès (Moi Zlatan), où il proclame : « Pour bien jouer, il faut être
ZÉPHYR Zéphyrine. Fouette cocher ! Destinées au transport public ou privé, quelque cinquantetrois mille voitures hippomobiles auraient été recensées dans le Paris de 1841, rapportent Laurence Berrouet et Gilles Laurendon sous l’entrée Cocher de leur ouvrage Métiers oubliés de 73
fou. Pour être bon, il faut se sentir en colère. » Son effigie orne des timbres en Suède, nation dont il a interprété à sa façon l’hymne national, version couronnée d’un disque d’or, d’or comme ses tirs et l’étymologie de son nom. Souvent ironique, le terme zlataner couvre un champ lexical aux contours flous : certes, c’est remporter un match, mais aussi développer une suprématie physique, technique ou tactique laissant l’adversaire, ou l’interlocuteur, pantois et mortifié. Le Wiktionnaire produit un exemple emprunté à Libération (16 juin 2014), qui répercutait le cri lancé au public par Mick Jagger avant son concert au Stade de France : « Ce soir, on va vous zlataner ! » Dans une interview au Monde, Zlatan Ibrahimovic limitait l’acception à « dominer », ce qu’un blog du même Monde (30 janvier 2013) jugeait trop restrictif : « Dans l’expression courante Il s’est fait zlataner, il y a également une part d’humiliation difficile à retranscrire autrement que par ce vocable nouveau, ce qui justifie donc entièrement son existence. » Le 20 mai 2016, footballfrance.fr allait vite en besogne, ou très haut en fantaisie, en annonçant que le Robert adoubait le verbe au sens de « cogner, rosser de manière rapide », au grand dam, d’ailleurs, de la star, dont un conseiller en image, convoqué pour l’occasion par le site, tranchait non sans malice : « Quand Zlatan zlatane quelqu’un, c’est rapide parfois, mais pas toujours, mais c’est aussi et surtout très violent et choquant. Une personne zlatanée ne s’en remet pas comme ça d’un simple claquement de doigt, elle souffre énormément et pendant longtemps. On va dès lors demander un changement de définition : si ce n’est pas possible, M. Zlatan Ibrahimovic ne répondra certainement pas de ses actes et ira zlataner ce fameux Robert pour qu’il sache ce qu’il en est vraiment de se faire zlataner. » Non, zlataner ne s’est pas introduit dans les dicos français, même s’il a été seriné par les commentateurs, a émaillé quantité de troisièmes mi-temps et s’est parfois propagé hors du cadre strictement sportif. Les linguistes l’ont estimé trop passager, soumis aux caprices d’une mode par nature éphémère. « Il est chez nous en observation, pour une période qui peut durer cinq ans », analysait en 2013 Carine Girac-
Marinier, la directrice du département Dictionnaires et encyclopédies chez Larousse. Elle trouvait le mot drôle, mais dépourvu de garanties de pérennité et de stabilité. Son de cloche identique, en 2013 toujours, aux Éditions Robert : « On l’a évidemment repéré, mais il a été décidé qu’il était sujet à disparaître aussi vite qu’il était apparu. Il est donc sage de patienter », renchérissait Alain Rey. Le conseiller éditorial nuançait : « S’il est aussi populaire l’année prochaine [en 2014], on l’intégrera dans le Robert 2015 ». Ce ne fut pas le cas. ZONA S’il a quitté depuis 1940 le Top 1 000 aux ÉtatsUnis, ce féminin inattendu y fut illustré par Zona Gale (1874-1938), dramaturge et romancière native du Wisconsin, qui décrocha en 1921 le prix Pulitzer du théâtre pour sa pièce Miss Lulu Bett, portée à l’écran au temps du cinéma muet. Le sens du prénom est « ceinture » (grec zônê, latin zona), présent dans le mot « zone », d’abord appliqué à une partie du globe terrestre délimitée par un cercle (aux pôles et aux tropiques), puis, au XVIe siècle, à une région ou à une contrée en général, y compris, à Paris, la zone, fief du zonard, terme attesté en 1970. On retrouve depuis 1810 le sémantisme de la ceinture avec le zona, cette maladie virale aux rougeurs souvent localisées autour de la taille, qui font d’elle une « ceinture de feu ». Zona, le prénom, se prévaut donc d’une étymologie vieille comme l’antique, que lui dénie Laurent Obertone, dans l’un des féroces pamphlets contre le multiculturalisme émaillant sa France Big Brother (Ring, 2015) : « Le bobo acte sa disparition en donnant à ses – rares – enfants, futurs citoyens du monde, des prénoms hybrides sans histoire ni origine (ni orthographe), à la consonance vaguement ethno-exotique. Louna, Maïssa, Manel, Louka, Noam, Tiago, Adem, Ilian, Siobane, Loan, Milo, Naïm, Nino, Wassim, Ylan, Hanaé, Inaya, Lya, Nour, Sharlye, Shanone, Djodie, Lilya-Nah, NohLan, Yaëlle, Zona, Zabrina… Surtout rien qui ait l’air trop enraciné : il faut que ces petits aient un jour une chance de se sentir chez eux, c’est-à-dire nulle part. » (BEHI, DIHL)
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Bibliographie additionnelle Consultés à nouveau, plusieurs des 340 titres des Bibliographies du volume principal (2013) et de son Supplément (2016) réapparaissent à la fin de divers paragraphes sous leur code convenu de quatre lettres, noté en italiques, de façon à les distinguer des sources additionnelles de la présente mise à jour, seules référencées ci-dessous. C’est l’étude bilingue de Vincent Balnat qui ouvre ici la liste.
BAPC BLDP BODC BCSP CFDB DICI DPWL ESAP FBFR GCPP GLGQ GPAS GPSR INJD JDPC JGAF MCDC MGYU MSAP OCTY OLMT PVLL SBPE SLCI TDBF VEAC WMLM
Vincent BALNAT, L’appellativation du prénom – Étude contrastive allemand-français, Tomes I et II, Faculté des Langues et des Cultures étrangères, Université de Strasbourg, 2017, et Narr Francke Attempto, Tübingen, collection Tübinger Beiträge zur Linguistik, vol. 565, 286 p., 2018. Bernard LECOMTE, Dictionnaire amoureux des papes, Plon, 2016. Claude DUNETON, Sylvie CLAVAL, Le bouquet des expressions imagées – Encyclopédie thématique des locutions figurées de la langue française, éd. revue, corrigée et augmentée, Bouquins, Laffont, 2016. Baptiste COULMONT, Sociologie des prénoms, La Découverte, 2017. Friedrich CRAMER, Die Bedeutungsentwicklung von „Jean“ im Französischen (Le développement du sens de “Jean” en français), 1931. Jean-Loup PASSEK, Dictionnaire du cinéma, Larousse, 2001. Simon STASSE, Dictionnaire populaire de wallon liégeois, Société royale littéraire La Wallonne, Haccourt, 2004. Raoul DE LA GRASSERIE, Étude scientifique sur l’argot et le parler populaire, Darangon, 1907. Mathieu AVANZI et Brigitte HORIOT, Le français des régions, Petits guides de la langue française du Monde, Garnier, 2017. Charles GALTIER, Les prénoms de Provence, éd. Ouest-France, Rennes, 1983. COLLECTIF, Grand Larousse gastronomique, 2007. Georges MUSSET, Glossaire des patois et des parlers de l’Aunis et de la Saintonge, cinq tomes, Imp. Masson Fils & Cie, La Rochelle, 1931. Glossaire des patois de la Suisse romande, ouvrage fondé en 1899, numérisé depuis 2014, hébergé par l’Université de Neufchâtel, en ligne sur portail-gpsr.unine.ch Sabine DUHAMEL, Dico des injures oubliées, Librio, 2103. Jean DAUNAY, Parlers champenois, Pour un classement thématique des anciens parlers de Champagne (Aube, Marne, Haute-Marne), Autoédition 1998 et Ebooks libres et gratuits. Jacques GÉLIS, L’arbre et le fruit – La naissance dans l’Occident moderne, XVIe-XIXe siècle, Fayard, 1984. Alain REY (dir.), Les mots-clés de la culture, Le Robert, 2005. Milton GARVER, French army slang – Le poilu tel qu’on le parle, Modern language notes, vol. 32, Yale university, 1917. Agnès PIERRON, Le bouquin des mots du sexe, Robert Laffont, Collection Bouquins, 2015. COLLECTIF, Dictionnaire étymologique de la langue d’oc, en ligne sur etymologie-occitane.fr Marie TREPS, Oh là là, ces Français ! Du pire au meilleur, comment le monde parle de nous, Vuibert, 2015. Adrienn SZECSKÓ, Prénoms dans le vocabulaire argotique dans les dictionnaires de Lorédan Larchey, in Argumentum 13, Université Eötvös Loránd, Budapest, 2017. Sylvie BRUNET, 365 prénoms et expressions, L’Opportun, 2012. Suzanne LAFAGE, Le lexique français de Côte d’Ivoire, Université de Nice Sophia Antipolis, 2002. Amable-Emmanuel TROUDE (colonel en retraite), Nouveau dictionnaire pratique breton-français du dialecte de Léon, avec les acceptions diverses dans les dialectes de Vannes, Tréguier et Cornouailles, Lefournier, Brest, 1876. Émile CHAUTARD, La vie étrange de l’argot, Denoël et Steele, 1931, rééd. Bartillat, 2013. Henriette WALTER, Minus, Lapsus et Mordicus – Nous parlons tous latin sans le savoir, Robert Laffont, 2014.
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