Conseil de DĂŠveloppement de la Loire-Atlantique
D C
ossier ontribution Oeconomie Arnaud du CREST
Conseil de DĂŠveloppement de la Loire-Atlantique
Les Dossiers
Mai2009 2009 Mai
POINT de VUE oeconomique sur la crise et les territoires
2 Conseil de Développement de la Loire-Atlantique - Contribution d’Arnaud du CREST
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OMMAIRE 4
Portrait du conférencier
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Résumé
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I - Évolution de la productivité et surendettement
6 8 14 16
17 17 18 18 19 19 20 20
21 21 25 29 29
32 32 33 34 35 36
37 37 37
La crise financière La diminution du taux de croissance de la productivité Le relais par l’endettement Les cinq dimensions de la crise
II - Faut-il changer le moteur ? Les deux types d’industrie Les ciseaux des prix Le solde commercial Le bâtiment Les transports La consommation Les ressources fiscales
lll - Les différents modèles Les modèles territoriaux La bioéconomie, l’oeconomie Le temps Synthèse
lV - Modèles et indicateurs Les limites des indicateurs de productivité Les nouveaux indicateurs Les indicateurs et les trois piliers du développement durable Indicateurs et modèles de développement Utopie et résistance
V - Annexes Un siècle de productivité en France Éléments bibliographiques
Contribution d’Arnaud du CREST - Conseil de Développement de la Loire-Atlantique 3
L
e conférencier
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epuis 2007, Arnaud du Crest est Directeur de la mission Observatoires à la SEM des Pays de la Loire.
La SEM Régionale des Pays de la Loire a été créée en 2006 par la Région pour être son outil opérationnel. Elle est présidée par M. Jacques Auxiette et dirigée par M. Alain Breysse. Elle comprend quatre directions opérationnelles : développement économique, promotion économique, construction et mission observatoires. La mission observatoires de la SEM est depuis mai 2008 le maître d’œuvre de l’observatoire régional économique et social de la Région des Pays de la Loire. A ce titre, la mission observatoires met en place une base de données d’indicateurs sur les activités et le contexte régional et conduit les études qui lui sont commandées, dont l’une sur la recherche avec le Comité consultatif régional de la recherche et du développement technologique. Les missions confiées par la Région comprennent également la contribution à l’animation du réseau régional des observatoires, la publication mensuelle d’une note de conjoncture, l’édition de bulletins thématiques.
llllllllllllllllll
Une présentation de la SEM, de la mission observatoires et de la note de conjoncture sont disponibles sur le site www.sem-paysdelaloire.fr Arnaud du Crest était précédemment directeur de l'Observatoire régional emploi formation puis du Centre d’Animation et de Ressources pour l’Information sur la Formation (Carif-Oref ) des Pays de la Loire. Spécialiste de la problématique formation/emploi, Arnaud du Crest a publié plusieurs ouvrages et articles sur ce sujet. Ses principales publications : • Scénarios pour l’emploi et la formation, Ed. L'Harmattan, 1997 • Les difficultés de recrutement en période de chômage, Ed. L'Harmattan, 2001 • L’accompagnement en formation, Ed. L'Harmattan (en collaboration), 2001
4 Conseil de Développement de la Loire-Atlantique - Contribution d’Arnaud du CREST
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ntre utopie, gestion et résistance
L
a crise n'est pas finie. De nombreuses sociétés rachetées par des fonds d’investissement pourraient faire faillite et les systèmes de garanties de créances manquent de réserves. Mais ce n'est pas la crise financière qui s'étend à l'économie réelle, c'est cette dernière qui a provoqué la crise financière. Trois mécanismes se sont enchaînés et nous ont enchaînés : la baisse de l'augmentation de la productivité (qui est le point aveugle des décideurs et de nombre d'analystes), la hausse de l'endettement, la baisse de la valeur des actifs. Le Pib augmente depuis les années 1950 (sauf fin 2008 et en 2009), mais le taux de croissance du Pib diminue depuis plusieurs décennies. Accepter de penser que la productivité a des limites, c'est accepter de penser que la croissance – telle que définie et mesurée actuellement – a des limites. Aujourd'hui, l'homme doit reconnaître à la fois les limites de la planète et les siennes propres. Il a fallu trouver un palliatif à la baisse tendancielle de l'augmentation de la productivité, donc de l'augmen-
tation du Pib par habitant. Ce fut l'endettement, qui permet d'acheter plus chaque année, donc d'afficher un Pib en augmentation. La dette publique passe de 20 % du Pib en 1980 à 65 % en 2008. L'endettement des ménages augmente concurremment. La diminution du gain de productivité a engendré la crise financière. Les contraintes de ressources et écologiques accentuent les limites d'un développement économique sur les bases passées. La contrainte démographique va limiter les capacités budgétaires publiques. De nombreux modèles ont été élaborés pendant la phase de croissance, dont on connaît les plus récents : clusters et pôles de compétitivité d'un côté, économie présentielle de l'autre. D'autres émergent ou redeviennent d'actualité. La place respective du travail et des produits qui s'y substituent est de nouveau posée, entre lutte contre les délocalisations et relocalisation.
l'entropie : la bio économie ou l'oeconomie, l'économie de la réparation et l'écologie industrielle; l'économie de fonctionnalité; l'économie du temps. Ces modèles dessinent les compétences de demain, qui sont présentes aujourd'hui et ne demandent qu'à être revivifiées. Ces modèles ne pourront pas être mis en œuvre de façon opérationnelle sans changer d'indicateurs. Il y a profusion de propositions sur les indicateurs alternatifs au Pib, profusion qui peut s’expliquer par la quantité de questions que pose leur élaboration. La société est un assemblage de modèles, assemblage dont le ciment est apporté par les valeurs. Ces valeurs relèvent pour partie de l'utopie et croisent les deux autres cultures, celle de la gestion et de la résistance.
Ces modèles peuvent se combiner entre eux, mais aussi avec trois modes de fonctionnement : l'économie qui reconnaît le principe de
Contribution d’Arnaud du CREST - Conseil de Développement de la Loire-Atlantique 5
l - Évolution de la productivité et surendettement
A
vantpropos
La situation d'aujourd'hui peine à dire son nom. Crise cyclique ou rupture ? Le vocabulaire politiquement correct règne. Les institutions parlent de croissance négative… Croissance on connaît, baisse aussi, mais croissance négative ? Pourquoi cet oxymore ? Crise ou rupture ? Les deux sont sans doute possibles selon la façon dont la situation sera gérée. Et la première n'est peut-être pas la meilleure, au vu des tensions sociales, économiques, écologiques, qu'elle peut engendrer.
1 La crise financière
U
n rapide survol de la crise financière s'impose d'abord, en mettant en évidence deux phénomènes, un système de prix inversé et un détournement de la régulation. • Une inversion du système de prix
Michel Aglietta, La crise. Comment en est-on arrivé là ? Comment en sortir ? Ed. Michalon, 2008, 2 Zygmunt Bauman, Le Monde, 28 février 2009. Auteur de S’acheter une vie, éd. Jacqueline Chambon, 2008, 3 Etude du Boston Consulting Group, citée par Le Monde, 15-16 février 2008 1
Nous proposons de regarder d'un peu plus loin la crise actuelle, de renverser l'ordre des facteurs entre le financier et l'économique, puis de revenir sur le terrain, sur celui de l'organisation territoriale, de la façon dont nous vivons ensemble.
De manière générale, nous sommes poussés à acheter moins quand les prix montent. Si la viande rouge augmente, nous achetons de la viande blanche, et si les cerises sont chères, des pommes. C'est ce que l'on nomme la « théorie standard de l’offre et de la demande » : une augmentation des prix entraîne une baisse des quantités échangées à l’équilibre. Sur les marchés financiers c'est exactement l'inverse, quand les prix montent, la demande augmente comme Michel Aglietta1 l’expose très pédagogiquement. Plus les actions sont chères, plus il y a d'achats, puisque le capital des acheteurs augmente d'autant, en tous cas tant que le crédit est ouvert. La valorisation des actifs à leur valeur de marché a encore accentué le phénomène. • Des prêts sans garantie Ceci a été aggravé par des techniques comme les prêts ninja (no income, no job, no capital) faits à des personnes sans ressources et sans travail pour les pousser à acheter leur maison (avec
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des prêts à taux progressif ), et par le contournement de la réglementation bancaire (ratio de prêts sur fonds propres) par la titrisation. En effet la réglementation limite le montant des prêts bancaires en fonction de leurs capitaux propres, mais si les banques revendent ces créances à des sociétés de bourse, elles changent de nature et n’ont plus aucune limite. Ceci est assez cohérent, dans un premier temps, avec la logique de rémunération des banques, qui2 « font leur profit sur la gestion permanente des dettes plutôt que sur les remboursements rapides. Selon leurs critères, un client idéal est celui qui n’arrivera jamais à solder ses comptes. On encourt même de lourdes pénalités en proposant un remboursement intégral avant échéance… En Angleterre l’un des principaux établissements de crédit vient de refuser le renouvellement de carte bleue aux clients qui s'acquittaient de leurs mensualités et échappaient ainsi aux pénalités financières ». On entend ici la carte bleue comme une carte de crédit (impliquant un débit à la banque) et non la simple carte de paiement. Mais les banques ne gagnent que tant que leurs débiteurs n'ont pas assez pour tout rembourser, mais assez pour rembourser chaque mois un peu. Il faut qu'ils aient des ressources limitées, mais pas trop… Un équilibre difficile. Si les clients ne peuvent plus assurer les échéances, la banque reprend les garanties, et si le mouvement est massif celles-ci perdent leur valeur. C'est le début de la fin. • D'autres faillites à venir La crise n'est pas finie. Par exemple, la moitié des sociétés sous LBO pourraient faire défaut au cours des trois prochaines années3. Le LBO est le leverage buy out, c'est-à-dire un mécanisme qui consiste à acheter des sociétés par des fonds d'investissement avec un recours à l'emprunt
dont le remboursement est assuré des fonds pour garantir la transacpar l'entreprise elle-même sur ses tion, il reçoit des primes périodiques résultats. Moins de résultat et c’est et augmente ses avoirs sans aucun la faillite, contrairement aux entre- investissement en capital si aucun prises classiques qui peuvent im- événement de crédit n’a lieu jusqu’à maturité du puter un résultat contrat. Mais si négatif sur leurs Crise ou rupture ? Les le crédit assuré fonds propres. Les deux sont sans doute posn'est pas remCDS (credit default boursé, le venswap, ou assurance sibles selon la façon dont deur doit faire un contre un défaut la situation sera gérée. paiement compde paiement) sont tant à l'assuré. Et des assurances prises par un créancier contre un il n'y a aujourd'hui aucune régulation défaut de paiement. Ils s'élevaient de ce marché. C'est une autre épée à 45 milliards de dollars mi 2007… de Damoclès au-dessus des marchés. Le vendeur de CDS (qui assure) n’a pas d’obligation de mettre de côté
Contribution d’Arnaud du CREST - Conseil de Développement de la Loire-Atlantique 7
2 La diminution du taux de croissance de la productivité • Inverser le raisonnement
Ce n’est pas non plus un manque de crédit qui a provoqué la crise mais plutôt son excès, son hypertrophie par rapport à la richesse réelle 5 Le Monde, 3 mars 2009 6 Le Monde, 6 mars 2009 7 Bernard Perret, Le capitalisme est-il durable ? Carnets nord, 2008 8 Dominique Meda, Qu’est ce que la richesse ?, «Alto», 1999, Aubier, rééd. Champs-Flammarion, 2000 9 J’adapte, Alfred Sauvy raconte cette histoire avec une cuisinière. 10 Ce découplage est en partie du au fait que la croissance du Pib repose depuis les années 1970 sur la croissance des dépenses réparatrices, publiques et privées, générées par la répartition des effets négatifs de la croissance des effets externes environnementaux et sociaux. 11 On trouvera en annexe l’évolution de la productivité sur longue durée, depuis un siècle. Pour approfondir le sujet se reporter à Michel Husson, Du ralentissement de la productivité, La Revue de l’IRES n°22, 1997, ou à Olivier Marchand, Claude Thélot, Économie et statistique, 1990 Volume 237 N° 237-238 12 Il peut y avoir un effet technique dans cette rupture, l’intégration du coût des administrations publiques dans le Pib à partir de cette date, au coût des facteurs (on estime que la production de l’administration est égale à son coût, sa productivité est donc stationnaire par définition). Ceci ne remet pas en cause les évolutions antérieures et postérieures. 4
On décrit souvent la crise à partir des années 2005 ou 2006, de l'excès de l'endettement. Mais elle a ses racines beaucoup plus loin que le 15 septembre 2008. Ce n'est pas la crise financière qui s'étend à l'économie réelle, c'est cette dernière qui a provoqué la crise financière4. Et Nicolas Baverez peut bien affirmer qu'il faut que la productivité reparte5, elle est en panne. Centrer l'analyse sur la crise financière c'est se condamner à ne rien comprendre, et faire des scénarios à la mode des consultants, mais sans sens, par exemple, les scénarios en V, U, W ou L… avec de grands noms à l'appui6 : en V : Christina Romer, conseillère économique d'Obama; en U : Sung Won Sohn, professeur à l'université publique de Californie; en W : Stephen Roach, patron de Morgan Stanley en Asie; en L : Nouriel Roubini… Trois mécanismes se sont enchaînés, et nous ont enchaînés : la baisse de
Endettement Crise financière Economie Le discours dominant
8 Conseil de Développement de la Loire-Atlantique - Contribution d’Arnaud du CREST
l'augmentation de la productivité (qui est vraiment le point aveugle des décideurs et de nombre d'analystes), la hausse de l'endettement, le baisse de la valeur des actifs. Les analyses qui suivent sont anciennes et connues, la crise financière avait été annoncée par beaucoup d'économistes, sociologues ou philosophes depuis longtemps. Mais comme elle n'arrivait pas, le discours commun considérait ceux qui l'annonçaient comme des prophètes de malheur. La crise est là. Alors, peutêtre les réflexions qui suivent serontelles prises en considération ? • La productivité Avant de parler de la productivité, rappelons les définitions du Pib et de la croissance. Les graphiques concernent ici les données nationales pour la France. Le produit intérieur brut mesure la valeur ajoutée produite. Pour schématiser, c'est l’addition de la valeur marchande ou monétaire (pour les
Le cycle plus complet Économie productivité Production
Crise financière
Endettement
administrations) des produits et des services. La force de cet indicateur est que la majorité de la population considère qu’il détermine la richesse et l’emploi. Sa force est7 « d'être une convention sociale qui fait de l'argent la mesure de la valeur des choses ». Critique du Pib Ceci revient à simplifier outrageusement notre condition humaine, en réduisant la richesse à la production et l’accumulation de biens ou services marchands ou monétaires8. Pour illustrer les limites de ce concept, citons l’histoire connue de l’infirmière9. Je me casse une jambe dans un accident de voiture, le Pib augmente par le chiffre d’affaires du garagiste et les soins que je reçois à l’hôpital. Mon infirmière est tellement gentille que je me marie avec elle : le Pib recule, puisque je ne la paie plus. Le plus intéressant n’est pas tant l’histoire elle-même, qui circule depuis plus de trente ans, mais le fait que, tout en reconnaissant ces défauts structurels, reconnus dès sa création, le Pib reste pour les décideurs la mesure de base. Le Pib était adapté à une société industrielle de croissance, pas à une société de services. Le Pib augmente continûment depuis sa création, à quelques exceptions près, tandis que les indicateurs de bien-être ou de santé sociale stagnent10 depuis les années 1970. Nous allons poursuivre le début de notre réflexion en utilisant néanmoins cet indicateur et en allant au bout de sa logique. La croissance (du Pib) Quand on parle de croissance dans le vocabulaire courant on parle donc de croissance de la valeur (en équivalente monétaire) produite.
Productivité du évolution annuelle en %endu%Pib Productivité dutravail, travail, évolution annuelle du Pib 10 9 8 7 6 5 4 3 2
?
1 0 1950
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2000
2010
2020
Source : Comptes nationaux - Base 2000, Insee. Valeur Ajoutée / Volume d'heures travaillées
La croissance ainsi mesurée est générée par une augmentation de la valeur produite par personne, et par le nombre de personnes du pays concerné. Pib = production/actif x population active Pib = productivité x population active
A population constante, il faut donc augmenter chaque année la production par personne pour augmenter la valeur produite et pouvoir, chaque année distribuer un peu plus de valeur, augmenter le pouvoir d'achat, investir plus, etc. Le Pib peut aussi baisser parce que la population active baisserait, ne l'oublions pas. La baisse de la population active est annoncée dans les pays développés en Europe (et déjà en cours au Japon), ce qui entraîne une augmentation du vieillissement, donc des coûts sociaux. Le Pib augmente donc (sauf fin 2008 et en 2009, nous sommes en récession), mais le taux de croissance du
Pib diminue depuis plusieurs décennies. Nous sommes, nous étions, chaque année plus riches, mais chaque année un peu moins. C'est la baisse tendancielle de l'augmentation du Pib… mais c'est là un secret bien gardé, quoique facilement accessible dans la littérature économique. Bien gardé car si l'on prolonge la tendance des 50 dernières années11, on arriverait à zéro en 2020. Prolongation n'est pas prévision, est encore moins prospective, mais cela nécessite d'y regarder de plus près. On remarque les gains de productivité importants à la sortie de la guerre, et des augmentations ponctuelles quand la durée du travail diminue (1969, 1982 par exemple). La baisse est perceptible depuis la fin des années 1970, assez exactement depuis 197712 : la part de la contribution de l'industrie à la croissance passe de 1,5 à 2 % (tendance depuis 1950, les 30 glorieuses), à moins de 0,5 %. Les services marchands, dont la contribution était de l'ordre de 2 %, passent à une tendance de 1,5 %. L'impact le plus important est celui de l'industrie, car si sa contribution diminue, la tendance à l'augmentation de sa productivité se maintient
Contribution d’Arnaud du CREST - Conseil de Développement de la Loire-Atlantique 9
Évolution du Pib en volume - Source : INSEE
à plus de 5 % par an. Quel est ce paradoxe ?
ductivité. Examinons donc ces deux hypothèses.
Cette « baisse tendancielle » provient de la diminution de la part des secteurs pour lesquels il peut y avoir le plus de gains de productivité (agriculture, industrie), et du plafonnement de ces gains (voir ci-dessous). C'est le théorème de Baumol : l'augmentation de la productivité est proportionnelle à la part de l'industrie dans l'économie, et inversement proportionnelle à celle des services. Le maintien de la productivité dans l'industrie est en partie artificiel, par l'externalisation des fonctions périphériques dans lesquelles la productivité ne peut pas beaucoup augmenter (nettoyage, transport), ou par la délocalisation des process utilisant beaucoup de main d'œuvre.
Augmenter encore plus la productivité de l'industrie ? Certains disent que c'est possible par l'apparition de nouvelles technologies comme précédemment les machines à vapeur puis l'électricité. C'est effectivement ainsi que les prévisions de Malthus (rapport population/ressources alimentaires) ont été contredites par l'invention des engrais chimiques, que celles de Marx (rapport travail vivant / travail mort) l'ont été par une baisse du coût du travail vivant en délocalisant dans les pays en développement, par un changement de la loi de la valeur, de la valeur fonction du temps de travail à la valeur fonction des barrières à
Si l'on prend en compte la productivité ainsi mesurée, quand l'industrie et l'agriculture représentaient 50 % de l'activité, un gain de 6 % de productivité produisait, en simplifiant 3 % de croissance. Quand ces deux secteurs ne représentent plus que 20 % de l'activité, le gain n'est plus que de 6% x 20 % = 1,2 %. Et comme les gains de productivité des services sont en moyenne très faibles, la baisse tendancielle ne peut que s'accentuer. Pour renverser la tendance, il faudrait soit augmenter la productivité des services (dont les services aux personnes représentent la majeure partie de l'emploi), soit augmenter la part de l'industrie avec une augmentation de sa pro-
l'accès aux produits (logiciels protégés par des brevets, innovations produits successives, monopoles, voir André Gorz) et par une diminution énormes des coûts énergétiques13. Mais… les coûts augmentent également désormais dans les pays en développement, leur niveau technologique et leurs capacités financières les ont transformés en concurrents. Les coûts énergétiques ne peuvent à terme qu'augmenter avec l'épuisement des ressources fossiles, enfin, les innovations technologiques ont désormais des effets contre productifs. On le voit déjà ici, cette crise met en jeu des facteurs économiques, démographiques, environnementaux. Elle ne peut être comprise que dans la prise en compte de cette multidimension.
Evolution la productivité de secteurs Évolution de ladeproductivité dedeux deux secteurs
Source : INSEE 15
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0
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EE Industries des biens d'équipement EN Services aux entreprises
-10 1950
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• Y-a-t'il des limites à la producti- sonne dans les services aux pervité ?
Les effets contre productifs Ivan Illich14 a longuement développé cet aspect de la croissance. Prenons quelques exemples en actualisant son analyse. En agriculture l'intensification a des effets sur les sols qui, devenus artificiels, s'épuisent perdant leur humus, coupés de leur substrat profond par la semelle de labour. L'irrigation ellemême qui fait remonter les sels à la surface et stérilise le sol (ce qui a fait disparaître des civilisations comme en Mésopotamie). La productivité des productions céréalières stagne en France depuis une quinzaine d'années15. Dans l'élevage les vaches frisonnes ont un potentiel génétique de production laitière supérieur à leur capacité physique à manger (elles font déjà les 3 x 8 : manger, ruminer, dormir, pas moyen de trouver plus de temps pour manger), les épidémies se développent avec l'intensification des lieux d'élevage (grippe aviaire)… Dans l'industrie la productivité horaire augmente mais le stress aussi, et l'épuisement des salariés à partir de 45 ans a un effet très coûteux pour la collectivité, c'est un effet contre productif moins visible car pris en charge par les budgets sociaux. Dans les transports, plus nos véhicules sont efficaces de manière individuelle, plus il y en a, moins on va vite (en ville). Dans les services, il y a le stress également (effets contre productif et coûteux à l'hôpital), mais aussi la dégradation de la qualité. On ne peut pas augmenter la productivité, dans la majorité des services, sans dégrader la qualité. Les exemples sont légion : - réduisez le personnel de service d'un restaurant, vous augmentez la productivité apparente, et vous attendrez plus longtemps vos plats, - réduisez le temps passé par per-
sonnes âgées, vous augmentez leur isolement, - faites saisir par les clients leurs poids et codes barres au super marché, vous augmentez la productivité, mais à terme, vous créerez des postes de vigiles pour surveiller tout ça, - et l'histoire que je préfère, c'est celle d'un chef d'orchestre qui demande à un consultant comment améliorer la productivité de son orchestre. Celui-
Les «esclaves énergétiques» de JeanMarc Jancovici 14 Ivan Illich (1926 - 2002), d’origine autrichienne, est un penseur de l’écologie politique et une figure importante de la critique de la société industrielle. 15 Bruno Parmentier, Nourrir l’humanité, La Découverte, 2008 13
Dans les transports, plus nos véhicules sont efficaces de manière individuelle, plus il y en a, moins on va vite : un exemple indéniable d’effet contreproductif de la productivité
ci assiste à une répétition et lui dit, vous avez 15 violons qui jouent la même partition, 5 suffiraient, vous avez 5 contrebasses, une suffit avec un amplificateur, et je ne parle pas du triangle qui joue au plus 5 minutes sur une durée d'une heure, vous pourriez le faire vous-mêmes…
va améliorer la formation et l'efficacité de son équipe de direction, les sessions de formation seront mieux préparées, programmées, mais on ne pourra pas augmenter le ratio de jours de formation par formateur sans dégrader la qualité de la formation.
On peut certes améliorer la qualité du management, l'organisation, et même la productivité du travail des managers. Mais ceci n'aura pas beaucoup d'effet sur la productivité de leur service, qui est contraint par la durée du face-à-face avec le client ou l'usager. C'est par exemple le cas d'un organisme de formation qui
On peut enfin essayer d'augmenter la production en réunissant des organisations en mettant en commun des fonctions support, comme la comptabilité, la communication, le nettoyage…. ceci a souvent pour effet de réduire la communication à la base, de recentrer chacun sur « son » métier… et d'alourdir l'organi-
Contribution d’Arnaud du CREST - Conseil de Développement de la Loire-Atlantique 11
sation. Le comptable ne donne plus un coup de main aux formateurs en comptabilité, le cadre n'aide plus à ranger les chaises. C'est l'effet contre productif de la complexité des organisations. C'est toute la question de notre rapport aux limites Accepter de penser que la productivité a des limites, c'est accepter de penser que la croissance – telle que définie et mesurée actuellement – a des limites. Mais l'homme moderne se refuse à regarder ses limites, c'est le point aveugle de la politique. L'ori-
dans Regards sur le monde actuel, Paul Valéry écrivait : « Le temps du monde fini commence. » Le refus de nos limites est inscrit dans notre vie quotidienne. L'économie monétaire a effacé les limites, les écarts de revenus n'en finissent plus d'augmenter, Picsou pouvait nager dans les dollars... Une fois désencastrée du social, l'économie est devenue folle (Polanyi). L’accumulation d’avant l’économie financière était limitée par la capacité d’accumulation de biens physiques : la terre, les chevaux (qu’il faut faire manger), les bi-
Il n'y aurait donc de limites ni à l'accumulation financière dont les «décideurs» nous disent que cela peut « repartir » après la crise, ni à la technologie. C'est considérer que l'on trouvera toujours quelque chose, mais toujours veut dire éternellement ? Donc que l'homme serait éternel ? On sait bien que non, qu'il sera –sans doute – soumis aux mêmes lois que les autres espèces, et que de toutes façons il ne vivra pas plus longtemps que la Terre, et certainement moins longtemps, avant d'être brûlé par le soleil grandissant. Cette hypothèse suppose aussi que l'on peut substituer à une ressource qui disparaît une autre dont la valeur serait du même ordre, sans tenir compte des contraintes physiques. Remplacer un métal par un autre, le charbon par le pétrole, le bar par la sardine… ce qui a chaque fois des conséquences sur l'équilibre économique des pays concernés, l'équilibre alimentaire, l'environnement…
En 1945, dans Regards sur le monde actuel, Paul Valéry écrivait : « Le temps du monde fini commence. »
gine de cette aspiration à la toute puissance est ancienne, mais a été renforcée par la monétarisation de l'économie puisque l'on peut accumuler de la monnaie virtuelle sans limite, contrairement aux biens matériels. Le premier à comprendre et à exprimer la mutation subie actuellement par l’humanité n’a été ni un responsable politique ni un homme de science, mais un poète. En 1945,
en fait qu'une nouvelle porte, une nouvelle frontière à franchir, quel qu'en soit le besoin ou l'absence de besoin (Ellul), un nouveau défi. Cela ne veut pas dire que les inventions sont inutiles une fois inventées, je me sers de mon ordinateur et d'internet pour écrire ce texte, mais qu'elles ne sont pas nécessaires.
joux (qu’il faut fabriquer), les stocks (de céréales ou d’épices), la monnaie tant qu’elle a été représentée par des valeurs métalliques ou des billets convertibles en or16. Les valeurs traitées aujourd’hui n’ont plus de limite, un agent de banque peut prendre des positions de 50 milliards € sans en posséder une seule pièce ou un seul billet17. La technologie non plus n'a pas de limites, puisque tout découverte n'est
12 Conseil de Développement de la Loire-Atlantique - Contribution d’Arnaud du CREST
Avant la révolution industrielle l'homme était conscient de ses limites mais ne connaissait pas les limites du monde. Puis il a terminé le tour de toute la planète, et commencé à percer les secrets des lois de la physique, de la biologie… Il connaît – ou croit connaître- les limites du monde, mais a perdu les siennes, se croit tout puissant. Demain, aujourd'hui, il lui faut reconnaître à la fois les limites de la planète et les siennes propres.
La permanence des limites Mais cet effacement des limites, qui fait croire que ce que nous appelons le progrès ne s'arrêterait jamais, oublie les limites inscrites depuis longtemps, très longtemps, dans notre vie. Limite physique Limites de place pour les hommes, la superficie par humain quand nous serons 9 milliards (en 2050) sera la moitié de celle que nous avions quand nous étions 4,5 milliards, il n'y a pas si longtemps (il y a seulement 30 ans, en 1980). C'est une limite pour l'espace vital de chacun, pour l'espace productif, pour l'espace disponible globalement. L'indicateur de l'empreinte écologique le traduit simplement en calculant combien d'hectares chacun d'entre nous a besoin pour vivre, et combien d'hectares sont disponibles. « En 2005, l'empreinte écologique mondiale était de 17,5 milliards d'hectares globaux ou 2,7 hectares globaux mobilisés par personne (un hectare global est un hectare avec une capacité de production de ressources et d'absorption de déchets correspondant à la moyenne mondiale). Du côté de l'offre, la surface productive totale de la Terre, ou biocapacité, était de 13,6 milliards hectares globaux, soit 2,1 hectares globaux disponibles par personne. De sorte qu’en 2005, la demande était de 30 % supérieure à l'offre ».18 Limite des ressources Cette hypothèse énoncée par le rapport du Club de Rome en 1972 se traduit concrètement aujourd'hui sur le pétrole, le fer, les métaux précieux, l'eau... C'est aussi la limite quant à la capacité de l'atmosphère à absorber le CO2, le méthane, le protoxyde d'azote. A l'absorber, pas à le stocker, là on ne connaît pas les limites, mais on connaît les conséquences, c'est l'effet de serre... En agriculture, c’est l'épuisement des réserves en eau des nappes
phréatiques pour l'irrigation (et l'hypothèse du dessalement de l'eau de mer suppose une consommation d'énergie énorme, donc une émission de CO2 si l'on utilise pour partie des énergies d'origine fossile), Dans l'industrie c'est l'épuisement des ressources en matières premières (cuivre, nickel, bauxite, platine, iridium…). Limite temporelle Nous ne sommes pas les maîtres du temps. On sait que de toutes les façons, la Terre a ses limites dans l’espace mais aussi dans le temps, la fin de notre planète est prévue, dans un
diversité). L'occultation de la mort dans nos sociétés modernes est un autre signe de ce refus de la fin. Limite philosophique Les philosophes grecs professaient que l'on ne peut pas trouver le bonheur en recherchant des biens qui n'ont pas de limite, puisque l'on ne peut jamais atteindre son but (la chrématistique d'Aristote). L'absence de limites dans ce domaine est le moteur même de la consommation moderne.
Un monde borné...
Hier
Aujourd’hui
Demain
peu plus de trois milliards d’années, quand notre étoile soleil abordera sa fin de vie, deviendra une étoile géante qui brûlera puis absorbera notre petite planète. Est-ce une raison pour anticiper cette fin par nos propres actions, sinon pour justifier la croyance que l’homme est la fin (aux deux sens du terme) de l’évolution, ce qui sera vérifié si l’homme met lui-même fin à la vie sur la terre (c'est l'enjeu du maintien de la bio-
L’homme
La planète
Connaissait ses limites
N’avait pas de limites connues
Se croit sans limites
Est entièrement explorée, et montre ses limites
Reconnaîtra-t’il ses limites ?
Restera limitée, plus encore dilapidons ses richesses
La fin de la convertibilité du dollar a sonné le glas des limites de la finance et ouvert à toutes les folies 17 Cf. L’affaire Kerviel de la Société Générale, en 2008 18 WWF, Rapport Planète Vivante, 2008 16
Contribution d’Arnaud du CREST - Conseil de Développement de la Loire-Atlantique 13
3 Le relais par l’endettement
P
ourtant notre économie de marché ne fonctionne que s'il y a chaque année plus de valeur à partager, car autrement le profit diminue, les marges s'érodent, les entreprises sont en difficultés et ne créent plus d'emploi, mais en détruisent (la stabilité n'existe pas). Est-ce aussi vrai ? Pas dans les services, pas toujours dans le bâtiment. Mais c'est vrai dans l'industrie, qui est la matrice de l'économie globale. Il a donc fallu trouver un palliatif à la baisse tendancielle de l'augmentation de la productivité, donc de l'augmentation du Pib par habitant. Ce fut l'endettement, qui
Insee, le patrimoine des ménages, mars 2008 20 Spécialiste français en économie internationale et en politique monétaire, Patrick Artus cumule plusieurs fonctions et publie de nombreux ouvrages. Il est professeur à l’école polytechnique et professeur associé à l’université Paris I Panthéon Sorbonne. Il est également directeur de la recherche et des études d’IXIS Corporate & Investment, qui est une filiale de Natixis. 21 Journaliste et écrivain français 22 Isaac Joshua, La grande crise du XXIe siècle, La Découverte, 2009 19
70
10 9
60
8 7
50
6
40
5 4
30
3
20
2
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1950 1955 1960 1965 1970 1975 1980 1985 1990 1995 2000 2005
Dette publique en % Pib
Gains annuels de productivité %
Dette productivité Dette etetproductivité
0
Moy. mobile sur 3 pér. (Evolution productivité %)
dette publique % PIB
Source des données Insee Annuaire rétrospecrtif de la France et Annuaire statistique de la France
Dette publique etet dette privée Dette publique dette privée
Source Insee 1000 900 800
Etat (S13111) dette des ménages
Milliards euros
700 600 500 400 300 200 100 0 1978
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14 Conseil de Développement de la Loire-Atlantique - Contribution d’Arnaud du CREST
permet d'acheter plus chaque année, donc d'afficher un Pib en augmentation, sans contrepartie réelle à la production. C'est plus d'importations (dégradation de la balance commerciale), plus de services… à crédit. L'endettement public augmente à partir de la fin des années 1970. La dette publique passe de 20 % du Pib en 1980 à 65 % en 2008 et sans doute plus en 2009. Nous avons, vraiment, vécu à crédit. La dette publique au sens de Maastricht atteint 1210 milliards d'euros en 2007. Il est vrai que la valeur du patrimoine (terrains et actifs financiers) reste supérieure à la dette, le patrimoine net est de 774 milliards d'euros19, le pays est solvable, mais ce patrimoine a diminué en valeur relative. Il représentait 11 % du patrimoine national total au début des années 1990, 6 % en 2007. Cette augmentation de l'endettement, ce n'est plus de la relance keynésienne (une relance sur deux ou trois ans oui, sur trente ans…), c'est un transfert de dette sur les générations suivantes. L'endettement des ménages augmente concurremment mais moins rapidement au début, jusqu'en 2000, puis plus rapidement à partir de 1998, du moment où la dette publique atteint le maximum des règles du traité de Maastricht de 1993 (60 % du Pib). Là encore, le patrimoine des ménages est supérieur à leur endettement et a augmenté par rapport au revenu disponible brut, c'est-à-dire à leur capacité à s'endetter à rembourser. Les raisons avancées de l'endettement privé sont, schématiquement, de deux ordres. L'un est analogue à celui de l'endettement public, moins de gains supplémentaires à partager compensé par l'endettement. L'autre est relatif à la répartition des revenus, de plus en plus inégaux au sein d'un même pays et entre les pays. La pola-
Les deux dettes représentent actuellement pour la France près de 1000 milliards d'euros chacune (dont 133 milliards pour les collectivités locales). A ce propos permettonsnous une incidente, l'Etat (au sens large, incluant les comptes sociaux) représente environ 90 % de l'endettement public et 25 % des investissements publics, les collectivités locales représentent environ 10 % de l'endettement public et 75 % des investissements publics. On voit bien que l'endettement public sert majoritairement à financer le fonctionnement, ce qui est une très mauvaise pratique de gestion. Qui va payer ? On peut vendre le patrimoine certes et ne rien – ou peu – laisser à nos enfants. L'augmentation actuelle des dettes publiques, puisque les banques refusent d'augmenter les dettes privées, est une
Dette patrimoine desdes ménages Dette etetpatrimoine ménages
Source : Insee 1600
8 Indice d'encours d'endettement (prêts à long terme) Patrimoine net / revenu disponible brut
1200
8 7
Patrimoine/RDB
1400
Indice des prêts à long terme
risation entre de très hauts revenus d'une part et une masse de bas revenus d'autre part, correspondant à deux secteurs économiques – la finance et les technologies de l'information d'un côté, la production de masse soumise à la concurrence mondiale de l'autre, a poussé à favoriser l'endettement privé. « Poussé » car c'est une manière douce (tant qu'il n'y a pas de catastrophe) de résoudre les tensions sur le partage des revenus et de rendre les emprunteurs dépendants de leur employeur et de leur banquier. Ceci conduit au modèle classiquement proposé d'une hausse de l'endettement due au mode d'organisation de la production et de la répartition des revenus, sans prendre en compte le contenu de la production, le rapport capital/travail. Revoir la seule question de la spécialisation productive, c'est soit proposer de généraliser les hautes technologies et la croissance verte (Patrick Artus20), soit un protectionnisme régional à l'échelle de l'Europe (Olivier Todd21). Mais dans les deux cas, c'est faire l'impasse sur ce rapport capital/ travail qui, c'est vrai, remet en cause les hypothèse de croissance infinie.
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Endettement et crise financière Baisse des gains de productivité Une explication amont
Mondialisation Spécialisation productive
Les explications des économistes Inégalité des revenus
Faiblesse des revenus
Hausse de l’endettement Soutien de la demande
L’explication publique
Crise financière
traite sur l'avenir en supposant que la croissance va repartir par la productivité… Mais ce principe keynésien de relance par l'endettement vaut pour une courte période, pas sur 30 ans. Sur cette longue période, il traduit seulement un point aveugle de la politique économique, le refus de voir la baisse tendancielle de la productivité, en pensant chaque année que « cela va repartir ». Cette augmentation va poser la question de la solvabilité de certains pays. Déjà les taux d'intérêt des emprunts d'Etat se différencient selon leur situation économique (la Grèce par exemple). Fin 2008 plusieurs pays ont eu du mal à boucler leurs émissions de dette publique comme l'Autriche, les Pays-Bas ou même l'Allemagne. Nous limitons ici l'analyse à l'essentiel, le relais de la croissance par l'endettement. D'autres analyses
ouvrent des champs connexes. Pour Isaac Joshua19, « le surendettement des ménages, mis en régime de surconsommation, remplace aux Etats-Unis le pacte social fordiste » selon lequel les « rémunérations tendent à suivre l'évolution de la productivité, garantissant de ce fait le partage de la valeur ajoutée ». Pour Patrick Artus également, l'endettement s'est substitué aux revenus pour financer une hausse continue de la demande. On peut en effet relier l'augmentation de l'endettement et la fin de la stabilité du partage de la valeur ajoutée, mais celleci n'est pas le résultat d'une volonté gratuite des détenteurs du capital, elle est un essai de réponse à la diminution des gains de productivité.
Contribution d’Arnaud du CREST - Conseil de Développement de la Loire-Atlantique 15
4 Les cinq dimensions de la crise Le Monde, 27 mars 2009 24 Les abeilles par exemple réalisent la quasi-totalité de la pollinisation d’environ 20000 espèces de plantes et en particulier les arbres fruitiers 25 C’est un résumé schématique. Le vieillissement se produit par les deux bouts, par l’augmentation de la durée de vie d’une part, par la diminution du nombre d’enfants par femme d’autre part. Des phénomènes sanitaires peuvent modifier ces évolutions, la durée de vie aux Etats-Unis serait modulée par l’obésité. Et la balance entre l’augmentation des coûts sociaux dus aux personnes âgées et la réduction par la baisse des jeunes à former est incertaine. 23
L
a crise est trop souvent analysée indépendamment de la raréfaction des ressources en matières premières et des déséquilibres économique, écologique et démographique. Or les cinq dimensions sont étroitement dépendantes. Comme le dit Jean Gadrey23, "Nous allons vers une crise des subprimes écologiques. Nous accumulons vis-à-vis de la nature des dettes pourries et la banque mondiale des ressources naturelles, qui pour l'instant nous fait encore crédit, va nous faire payer durement ces dettes excessives". La diminution du gain de productivité a engendré la crise financière. Les contraintes de ressources et écologiques accentuent les limites d'un développement économique sur les bases passées. La contrainte démographique va limiter les capacités budgétaires publiques. Tout ceci peut paraître inutilement complexe, ne vaut-il pas mieux traiter les questions les unes après les autres ? Non, la crise est systémique
et comme pour un radeau qui commence à couler, si l'on n’essaie de soulever que l'un des coins de l'esquif, on fera couler tout le reste. La meilleure illustration est de prendre un point de vue local, qui facilite la compréhension de la convergence de ces cinq crises. Prenons le cas d'une usine agroalimentaire située en ville qui ferme, les causes peuvent être simultanément : - financières, difficultés à emprunter pour investir - économiques c'est moins cher en Italie - de ressources, l'usine tourne au fuel - écologiques, les coûts d'épuration dans un lieu en centre ville - démographiques, les habitudes de consommation de la population changent. Au niveau international ou national, ces cinq crises apparaissent séparées car les spécialistes ont des connaissances très sectorisées, publient de manière séparée. Au niveau local, chacun peut faire le lien.
Les 5 crises Nature de la crise
Manifestation
Effets
Financière
Réduction de la circulation des crédits, de la capacité d’investissement
Réduction des investissements matériels, de l’activité des secteurs industriels
Ressources
Limites à l’accès aux ressources énergétiques fossiles, métaux, sols, eau
Augmentation du coût de ces ressources
Biodiversité (écologie)
Dégradation de la biodiversité, augmentation de la température suite aux gaz à effet de serre
Limitation de la production24, ou des transports, ou augmentation de leur coût, réduction de la vitesse
Économie de la production
Limitation des gains de productivité, de la capacité de réduire les coûts de production
Réduction du gain de pouvoir d’achat
Démographique
Vieillissement global de la population mondiale, baisse de la population active, diminution de la population mondiale à partir de 2050
Augmentation des coûts sociaux25, réduction de la base productive
16 Conseil de Développement de la Loire-Atlantique - Contribution d’Arnaud du CREST
ll - Faut-il changer le moteur ?
I
ntroduction
Disponible sur www.sem-paysdelaloire.fr 26
L
es industries de biens lourds, qui sont achetés à l'aide d'emprunts, subissent la crise de plein fouet. On peut différer un investissement, qu'il soit industriel (machines, bâtiment), ou personnel (voiture, maison) et cela a un fort impact. Les industries de biens achetés avec notre revenu mensuel, alimentation et habillement, sont moins impactées, au moins pour l'alimentation de base. On ne cesse pas de se nourrir, ni de se vêtir et si ces consommations courantes peuvent être réduites, l'impact sera moins fort. Cette dernière assertion est à moduler, puisque l'on observe début 2009 une différence entre les in-
Niveau des des carnets de commande Niveau carnets de commande
Source : Banque de France 100 50 0
indice
La question aujourd'hui n'est pas tant celle du "quand le moteur repartira", mais du "comment ? ". Le "quand" fait penser au randonneur qui marche en montagne, la ligne d'horizon s'éloigne, au fur et à mesure qu'il avance, découvrant toujours de nouvelles vallées (François Partant). Nous proposons ci-après une lecture des indicateurs mensuels d'une région, à partir de la note de conjoncture de la Région des Pays de la Loire réalisée par la SEM des Pays de la Loire26. Cela permettra de repérer concrètement les relations entre les évolutions de la production, de la consommation, l’emploi, les finances publiques, et les changements de comportements. L'ensemble des données concernent la région des Pays de la Loire.
1 Les deux types d’industrie
Industrie alimentaire
-50
Industrie automobile
-100 -150 -200 J F M A M J J A S O N D J F M A M J 2007
J A S O N D J F
2008
2009
dustries de la viande et du lait, qui se maintiennent et celles des boissons et des plats cuisinés, qui sont plus en difficulté. Plus le produit est élaboré et cher par rapport à sa valeur d'usage, plus il est sensible à la conjoncture. C'est ce que traduisent les courbes d'activité des différents secteurs industriels. C'est peut-être aussi une piste de re-développement, une incitation à s'appuyer sur ces points forts de notre activité, de nos besoins ? Acheter moins de biens à accumuler, se recentrer sur les besoins de consommation courante et les produire à proximité. C'est tout le thème de la relocalisation et de la vie simple.
Contribution d’Arnaud du CREST - Conseil de Développement de la Loire-Atlantique 17
2 Les ciseaux des prix duction (lutte intégrée, semis sans labour, alimentation des ruminants à l'herbe, réduction de la densité des animaux en élevage…). Ceci rejoint les thèmes de la relocalisation, la situation de l'environnement, la gestion des ressources.
Prix agricoles Prix agricoles
Source : Agreste Insee CRA27.
150
indice
O
n constate un écart de prix des intrants (énergie, céréales pour l'alimentation, engrais et phytosanitaires) et des prix à la production (soumis de plus en plus à la concurrence internationale). C'est le phénomène de ciseaux, le prix des intrants augmente plus que celui des prix à la production. Dans le passé, les agriculteurs ont augmenté la productivité pour résister à ce phénomène, mais on atteint des limites techniques et l'agrandissement des exploitations, qui a été un mode très efficace, aboutit aujourd'hui à une désertification des campagnes.
140
Prix des intrants
130
Prix agricoles à la production
120 110 100
Une hypothèse serait de réduire le volume d'intrants (carburant, phytosanitaires, semences…) pour restaurer les marges, ce qui peut entraîner un changement de mode de pro-
90 80 2004
2005
2006
2007
2008
Attention aux interprétations : indice 100 commun en 2000. Prix des intrants (IPAMPA) pour les Pays de la Loire, 27
3 Le solde commercial
L
Commerce Commerceextérieur extérieur
4e trim
6000 5500 5000 4500 Millions €
e solde commercial s'améliore par la réduction des importations et par l'exportation périodique d'un paquebot construit à Saint-Nazaire. Comment réduire l'écart entre importations et exportations, dans une période où les flux commerciaux diminuent (de 6 % au dernier trimestre 2008) et où la concurrence fait rage ? Une réduction des importations serait une piste à étudier, au moins autant que la recherche de l'augmentation des exportations.
4000 3500 3000
Export Import total Import hors hydrocarbures transfert
2500 2000 1T2005
Douanes
3T2005
1T2006
3T2006
1T2007
18 Conseil de Développement de la Loire-Atlantique - Contribution d’Arnaud du CREST
3T2007
1T2008
3T2008
Deux hypothèses : - pour les biens quotidiens, la priorité aux ressources proches, maintien de l'activité par relocalisation avec une répartition différente des approvisionnements (agro-alimentaire), peutêtre une augmentation de la production (habillement, chaussure). - pour les biens lourds, l'économie de fonctionnalité (location de voitures, de pneus), - pour les biens intermédiaires, la recherche d'approvisionnements proches et moins chers (écologie industrielle).
4 Le bâtiment
Logements autorisés Logements autorisés Source DREAL / CER BTP
25000 20000 15000 10000 Individuel Collectif
5000
8 20 0
7 20 0
6 20 0
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4 20 0
5
0
3
n constate depuis 2007 une diminution des autorisations de construire pour les logements individuels, qui sont au-dessous du niveau de 2003 et parallèlement, leur maintien pour le logement collectif qui reste deux fois plus élevé qu'en 2003 (les mises en chantier diminuent néanmoins). Cette évolution pourrait illustrer un passage du modèle de la maison individuelle au petit collectif, plus intéressant en termes de consommation d'espace et de consommation énergétique.
20 0
O
30000
Voir la thèse de Bernard Fritsch selon lequel on atteint la limite possible de dépenses publiques en matière de transports en commun. 28
5 Les transports
I
l y a une diminution du trafic pour les voyages aériens intérieurs (affaires) depuis novembre 2008, mais une augmentation pour les voyages vacances (création de lignes low cost), alors que la fréquentation dans les TER est en hausse et la consommation de carburant en diminution. La diminution du trafic aérien montre une limitation des déplacements et sans doute un transfert vers les communications virtuelles, mail ou télé-réunion. Les TER captent actuellement 10 à 20 % du trafic sur les déplacements où existent des lignes ferroviaires. L'augmentation du trafic des TER résulte d'un transfert des déplacements en moyens individuels aux transports en commun, mais ceci a un coût important. Pour un budget régional transports de 135 M€ en 2008 soit 16,8 % du budget de la Région. Pour 1€ de charges du réseau, l’usager paie 30 centimes environ. Limitation globale des déplacements ou augmentation du transfert vers les transports en commun, les
deux sont complémentaires, mais les transports en commun ne pourront pas absorber la plus grande part des déplacements, qui se font encore à plus de 80 % en voiture et le coût d'infrastructure des transports en commun pèse déjà très lourd sur les finances publiques28. Peut-on faire plus, aujourd'hui ? Les deux pistes sont à explorer, la li-
mitation globale ressort en grande partie de questions d'aménagement du territoire, de rapprochement entre lieux de vie et lieux de travail, lieux de production et lieux de consommation, l'usage de moyens alternatifs à la voiture de décisions collectives mais aussi… individuelles.
Trafic régulier national Nantes Trafic régulier nationalaéroport aéroport Nantes
Fév
Source Aéroport Nantes Atlantique-CCI Nantes St-Nazaire
130000
110000
90000
2007 2008
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2009 50000 J
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M
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Contribution d’Arnaud du CREST - Conseil de Développement de la Loire-Atlantique 19
Millions d'euros par semaine
6 La consommation Ventes alimentaires Ventesde deproduits produits alimentaires (grandes surfaces) (grandes surfaces) Source IRI
80 75 70 65 60
2007 2008 2009
55 50 J
L
a consommation apparaît globalement stable pour l'instant, avec selon les sources nationales, un transfert partiel des magasins classiques vers le discount. L'évolution récente montrerait une diminution en volume des achats de biens d'hygiène et entretien de la maison
Fév
F
M
(depuis début 2008) et une diminution en valeur pour l'alimentation (pression sur les prix, changement de gamme, conditionnements réduits…).
A
M
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O
N
D
qui est ici posée. Le consommateur peut rechercher le meilleur rapport usage/prix, et non qualité prix. C'est ce qui a expliqué le succès de la Logan par exemple.
C'est la question de l'écart entre valeur d'usage et valeur d'échange
7 Les ressources fiscales
Droits hors successions Droitsde de mutation, mutation, hors successions
Fév. Fév
Source Trésorerie générale
12
Millions d'euros
10 8 6 4 2 0 J 2007
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20 Conseil de Développement de la Loire-Atlantique - Contribution d’Arnaud du CREST
L
es ressources des collectivités locales (et de l'Etat) dépendent étroitement de l'activité économique. Si celle-ci diminue, leurs ressources aussi, au moment même où il y en a le plus besoin. C'est le cas de la TIPP (taxe intérieur sur les produits pétroliers) qui a diminué de 7 % en un an, des immatriculations de voitures neuves fin 2008, des droits de mutation des transactions à titre onéreux dont la diminution est énorme, de près de 12 millions d'euros par mois en janvier 2007 à moins de 4 millions en janvier 2009. On ne pourra pas tout demander aux collectivités locales.
I
ntroduction
De nombreux modèles ont été élaborés pendant la phase de croissance, dont on connaît les plus récents : clusters et pôles de compétitivité d'un côté, économie présentielle de l'autre. D'autres émergent ou plutôt redeviennent d'actualité, comme l'oeconomie, au croisement du développement endogène et du développement durable. La place respective du travail et des produits qui s'y substituent est de nouveau posée, entre lutte contre les délocalisations et relocalisation. Nous présenterons trois modèles d'économie régionale : - Les économies d’agglomération, (Michael Porter) - L'économie résidentielle29 , la plus connue, popularisée par Laurent Davezies. - La relocalisation de l'économie. En résumé et à grands traits, il s'agit de vivre à partir des revenus générés sur place, ou à partir du transfert de revenus produits ailleurs, ou enfin de produire et consommer sur place. Il n'y a pas évidemment de modèle pur, chaque territoire est, plus ou moins, composé de ces trois types...
lll - Les différents modèles 1 Les modèles territoriaux
C
es modèles peuvent se combiner entre eux, mais aussi avec trois modes de fonctionnement : - L’économie qui reconnaît le principe de l’entropie (bio économie) développée dans les années 1960 par Nicholas Georgescu-Roegen, et renommée oeconomie par Pierre Calame, l’économie de la réparation et l’écologie industrielle, - L’économie de fonctionnalité, dont le principe est de louer plutôt que de vendre, - L’économie du temps qui s’ajoute aux modèles liés à une conception de l’espace, à partir de l’expérience des mouvements comme Slow life ou Slow food en Italie, ou des réflexions de Paul Virilio.
Trois modèles, une combinatoire -
Relocalisation
Transports
Économie de production
Économie résidentielle
+
• L’économie d’agglomération Elle est aussi dénommée présentielle, les deux termes apparaissent synonymes pour notre propos. 29
Ce modèle est bien connu sous ses diverses formes, clusters, districts industriels ou systèmes productifs locaux, pôles de compétitivité. Il y a bien sûr des différences entre ces applications et
Contribution d’Arnaud du CREST - Conseil de Développement de la Loire-Atlantique 21
Paul Krugman Séminaire OIPR du 22 mai 2008, Paris 32 En pays de la Loire, IPO, UEO, Ouest croissance... 33 Travaux de Pascal Glemain, UCO, Angers 30 31
certains ont opposé par exemple le modèle des clusters, correspondant à des ensembles de PME, et celui des pôles, plus orienté vers les grandes entreprises. Le facteur commun est le rapprochement des fonctions, de la conception à la commercialisation pour les clusters, de l’enseignement et la recherche à la production pour les pôles. Un élément commun est donc l’absence du consommateur de proximité, dans les deux cas. On se situe dans un marché mondialisé. • L'économie résidentielle Définition Par « économie résidentielle » on entend l'économie d'un territoire en tant qu'elle dépend de la présence sur ce territoire de personnes dépositaires de revenus qui ont été générés ailleurs. Ces personnes sont principalement les résidents qui travaillent sur un autre territoire, les pensionnés et les touristes. On peut aussi inclure dans ces revenus ceux qui proviennent de transferts sociaux (allocations familiales, de chômage) et ceux qui proviennent de financements publics (administrations, éducation, action sociale). Cette approche provient du développement de l'économie géographique ou économie spatiale, au
sein de laquelle se sont développées deux thèses, l’une considérant que la richesse d’un territoire dépend de la capacité de production de ce territoire, l’autre que la richesse dépend du revenu perçu et dépensé sur ce territoire, quelqu’en soit la provenance. Dans le premier cas, c’est une transposition de la théorie des avantages comparatifs définie par Ricardo au niveau international, à un niveau local par les économies d’agglomération produites entre autres par l'accumulation dans la même région d'une grande quantité de clients (ou de fournisseurs). C’est la nouvelle économie géographique30. Dans le second cas, c’est l’analyse des flux de transferts sociaux, prenant en compte le fait que plus de la moitié du Pib est socialisée, donc redistribuée, et que les « producteurs » ne vivent pas tous, ni tout le temps, sur les territoires de production (Laurent Davezies). De plus, le fait de quitter la sphère « macro » et d’entrer dans la sphère « méso » permet de saisir d’autres mécanismes et d’autres logiques, ce que Laurent Davezies appelle justement la « circulation invisible des richesses » autour de quatre types de source de richesses (Cf. Tableau cidessous).
La circulation invisible des richesses D'après Davezies
Origine du revenu des habitants d’une zone géographique en France
Moyenne des aires urbaines
Moyenne des zones d’emplois, sur l’ensemble du territoire
Base productive marchande : revenus du travail et du capital
24%
19%
Activité non marchande : salaires et emplois publics
21%
13%
Base résidentielle : retraites, revenus d’actifs employés ailleurs, tourisme
42%
55%
13%
12%
Prestations sociales autres que les retraites
22 Conseil de Développement de la Loire-Atlantique - Contribution d’Arnaud du CREST
Critique Dans les deux variantes, cette théorie est une théorie adaptée aux périodes de croissance, soit de croissance interne, soit de redistribution des fruits de la croissance, mais assez peu à une période de stagnation, voire de récession. Nous reprenons ci-après l’analyse qu’en a fait Guy Loinger31 : « On observe une tendance forte allant dans le sens d’une dissociation croissante entre la localisation de la sphère de l’économie productive (directe et indirecte, la production et les services) et de la localisation de la sphère de l’économie de la redistribution des revenus dans l’espace. […] On pourrait ainsi mettre à jour un concept d’économie locale rentière. Ce sont simplement des économies qui captent des revenus dont la source provient d’autres territoires, soit parce qu’ils ont sur leur sol de nombreux retraités (cas du Limousin), soit parce que la solidarité nationale joue un rôle plus important qu’ailleurs (cas des DOM). Ce ne sont pas les économies les plus dynamiques qui sont les mieux placée pour capter la valeur produite ailleurs, mais celles dont la sociologie est la plus en adéquation avec la formation du revenu disponible. […] On peut se demander si cette forme d’organisation n’est pas vouée à l’échec à long terme avec la montée des coûts de l’énergie... » La nouvelle économie géographique est en cohérence avec la politique des pôles, l’économie résidentielle avec le développement du tourisme.
Rapprocher fournisseurs et consommateurs Biens Production de biens primaires ou intermédiaires Production finale Consommation Système financier
mentation, le logement (matériaux d'isolation, de construction), l'achat de biens (mobilier, vêtements...). Elle peut aussi être définie comme le retour dans un pays développé d'une activité qui avait précédemment été délocalisée dans un pays en développement. On pourrait rapprocher cette démarche de la réflexion sur l'aménagement du territoire face aux problèmes de transport, non plus des biens mais des personnes. On considère ici la personne dans sa double fonction, producteur, et consommateur, en réduisant la distance entre production et consommation d'une part, entre lieu de travail et lieu de vie d'autre part. La relocalisation est généralement
Rapprocher les lieux (s’oppose aux délocalisations)
Personnes Rapprocher les lieux pour réduire les transports Mobiliser l’épargne locale
considérée du seul point de vue de la relation consommateur final/producteur, elle peut être étendue aux relations fournisseurs/producteurs. Il s’agit de renforcer et de rapprocher les fournisseurs et clients d’une même filière (politique filière étendue et localisée, au sens des districts industriels italiens), mais aussi de généraliser cette politique à l’ensemble des filières et entre filières. C’est donc en quelque sorte une politique de district industriel généralisé. Dans le domaine financier, cette démarche privilégie les outils locaux d’épargne et de mobilisation de l’épargne, de type privé comme les fonds d’investissement régionaux32, ou de type coopératif et mutualiste33 sur le modèle d’Herrikoa (pays basque espagnol), ou du fonc-
• La relocalisation de l'économie Définition La relocalisation économique désigne un changement d'implantation géographique de tout ou partie des activités d'une entreprise qui a pour objectif de rapprocher les lieux de production de ceux de la consommation. Ceci peut concerner l'ali-
Contribution d’Arnaud du CREST - Conseil de Développement de la Loire-Atlantique 23
tionnement d’origine des établissements bancaires mutualistes (Crédit mutuel, crédit agricole) mais qui ont fortement dérivé par un mimétisme vis-à-vis de l'économie non mutualiste. Cette hypothèse est pour partie proche des clusters ou districts industriels dans le rapprochement entre production intermédiaire, finale, et système financier, mais s'en distingue par la position du consommateur. Les moyens sont aussi divers que les débats que cette option a engendré : du protectionnisme douanier classique, aux barrières règlementaires (normes techniques ou sanitaires), en passant par les taxes sur les transports, des modulations de TVA, la mobilisation citoyenne (achetez national, avec les risques de xénophobie)…. Une proposition intéressante est celle de Pierre Calame d'une taxe sur la matière première et l'énergie non renouvelables incorporées. Elle ne différencie pas l'origine des produits mais incite de fait à réduire les transports et à valoriser les matières renouvelables proches. La critique principale de cette op-
tion est le risque d'autarcie si elle est développée à l'abri de barrières douanières ou tarifaires, l'irréalisme si le territoire reste ouvert. Mais aujourd'hui, où le commerce international s'effondre ? Mais demain, quand les coûts énergétiques du transport auront "flambé " et que les contraintes environnementales les limiteront ? Cette orientation est cohérente avec l’option du développement durable (réduction des transports), et partiellement avec la politique de filière (renforcement des relations au sein de la filière). Elle l’est moins avec les pôles de compétitivité qui traduisent une option de concentration des moyens pour une production destinée à un marché souvent mondial.
l'Union Européenne », par Paul SORIANO, Président de l'Institut de Recherche, d'Etudes et de Prospective Postale de la Poste (IREPP). La Revue Anthroplogy of food a publié un numéro spécial sur les produits et systèmes agroalimentaires locaux, en mars 2007, avec en particulier un article intitulé From local food to localised food/De produits locaux à produits localisés de Georgina Holt et Virginie Amilien. Un colloque sur le thème AMAP et relocalisation de l’économie s'est tenu à Chambéry en mars 2008.
Cette thématique fait l'objet de conférences et publications. Il y a eu un Institut pour la relocalisation de l’économie, qui semble avoir arrêté ses activités en 2003. Une conférence a été organisée par l'Institut Locarn (Bretagne) le 27 avril 2007, avec une intervention sur « Signaux faibles et issues fatales dans les systèmes productifs et sociétaux de
Les AMAP - Associations pour le maintien d'une agriculture paysanne - sont destinées à favoriser l'agriculture paysanne et biologique qui a du mal à subsister face à l'agro-industrie. Source : reseau-amap.org
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2 La bio-économie, l’oeconomie, le temps
N
ous décrivons ci-après la théorie de base (bioéconomie), une expression plus récemment exhumée (oeconomie) et deux modes d'applications concrètes (écologie industrielle et économie de réparation). • La bio économie Nous abordons là un courant de pensée qui trouve son origine dans les travaux de Nicholas GeorgescuRoegen sur l’analyse de l’entropie dans l’économie (l’épuisement inéluctable de l’énergie entropique), c’est-à-dire l’intégration de la dimension physique dans l’économie qui dans sa forme classique ne s’attache qu’à la valeur d’échange (les prix, la monnaie...). Le principe de base est que l'usage des biens se fait toujours à entropie croissante, et que l'on ne peut pas revenir en arrière. La transformation du pétrole en essence utilise de l'énergie qui n'est plus utilisable (dissipée en chaleur) pour une part, intégrée dans les produits raffinés d'autre part. Quand l'essence est brûlée, elle est transformée en gaz certes, mais on ne peut pas les réutiliser sans dépenser plus d'énergie. La bio-économie, c'est encore de passer de la physique du XIXe siècle (Loi de Laplace, l'énergie se transforme mais se conserve, 1er principe de thermodynamique) à la physique du XXe siècle, le second principe (Carnot) selon lequel l'entropie augmente de façon continue (l'énergie se transforme en chaleur, non réutilisable à son terme). Qu'en serat-il des relations de la physique du XXIe siècle et de l'économie ? Nous ne sommes qu'à l'orée de ce siècle, difficile de prévoir les conséquences de la théorie des cordes par exemple (relations entre infiniment petit et infiniment grand, de la macro et micro économie). Du point de vue de la bio-écono-
mie, puisque Principe de la fusion thermonucléaire l ’e n v i r o n n e C’est une réaction ment physique deutérium neutron entre deux noyaux de l’activité atomiques légers produisant un noyau atohumaine est mique plus lourd et par définition libérant une quantité d’énergie considérable limité, et que : réaction qui n’est pas la transformaaujourd’hui maîtrisée. ©CEA / Source texte : tion de cet enfr.encarta.msn.com tritium noyau d’hélium vironnement ne peut que lui faire perdre De grands espoirs sont mis dans la fusion thermonucléaire, qui utilise aujourd’hui plus d’énergie qu’elle n’en produit, de son énergie ou dans le moteur à hydrogène… autant de tentatives pour (principe d’encontrer le principe de Carnot, renverser le mouvement de tropie), la croisl’entropie, retrouver la toute puissance de l’homme. sance infinie dans un monde fini n’est pas possible. C'est vrai pour l'usage des biens non différents économistes ou sociolorenouvelables comme les minéraux, gues, comme Serge Latouche, França l'est aussi pour les biens et éner- çois de Ravignan sur les dimensions gies renouvelables, puisque nous de la croissance personnelle… ne pouvons pas en utiliser plus que leur taux de renouvellement ou de • L'oeconomie notre capacité d'extraction d'éner- Il s'agit d'un vieux mot français, hégie du soleil (l'énergie solaire est elle rité d’avant le siècle des lumières. même à l'origine des autres éner- La définition donnée par le dictiongies comme le vent, qui engendre la naire universel de Furetière (1690) est la suivante: "Mesnagement pruhoule). Nous pouvons améliorer ce taux, par dent qu'on fait de son bien, ou de des capteurs au silicium plus effi- celuy d'autruy[..]" ou Von Linné : l'art caces, des machines à houle… mais de tirer parti de tous les biens de la on est là plus aujourd'hui dans le do- nature35. Le terme est aujourd'hui maine de l'amélioration marginale utilisé par certains économistes et que dans celui de l'accumulation chercheurs, dont Pierre Calame, des deux siècles passés. De grands pour proposer une vision plus transespoirs sont mis dans la fusion ther- versale de l'économie. monucléaire, qui utilise aujourd'hui plus d'énergie qu'elle n'en produit, ou dans le moteur à hydrogène… autant de tentatives pour contrer 35 Karl Von Linné (1708-1778) Principes le principe de Carnot, renverser le de l’oeconomie, publié en 1752 mouvement de l'entropie, retrouver la toute puissance de l'homme. Ces travaux ont été élargis dans les années 1960 par des auteurs comme Jacques Ellul ou Charbonnier, puis repris depuis quelques années par
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Laure Després a complété à la relecture cette interprétation un peu libre de Pierre Calame. « Oikonomia » est un terme grec qui signifie la gestion de l’oikos, le domaine familial, qui comprend la famille du citoyen, ses esclaves et ses terres. C’est le titre d’un ouvrage du « pseudo Aristote » du IVe siècle (probablement des disciples d’Aristote), qui donne des recettes pour une vie bonne, reposant sur une autarcie de l’oikos, complétée par l’échange des surplus de production contre des biens non produits sur le domaine. La chrématistique, ou accumulation sans limite de richesses permise par l’argent, est, à l’opposé, contraire à la nature des choses (l’argent ne fait pas de petits, contrairement aux animaux, donc le prêt à intérêt est proscrit) et aussi à la nature de l’homme. Néanmoins les grecs n’avaient rien contre le fait de s’enrichir, bien au contraire. Mais il y avait des moyens nobles de s’enrichir (la politique et la guerre, le pillage, la mise en esclavage des ennemis vaincus) et des moyens indignes d’un citoyen (le commerce, le prêt d’argent). 37 Expérience vécue, j’ai réussi à la faire faire en 1985. Serait-ce encore possible aujourd’hui ? 36
Le principe est de revenir à l'origine de l'économie : utiliser au mieux nos ressources, sans les faire entrer, les soumettre, à d'autres logiques comme la logique de métier ou de choix rationnels, d'accumulation. Ce qui la symbolise le mieux est la proposition de Pierre Calame de mettre en place une taxe sur la quantité de matières premières utilisées, ce qui aboutirait à favoriser ceux qui utilisent au mieux nos ressources. On est alors très proche de l'écologie industrielle, et des tenants de l'économie de réparation. C'est déjà ce que disait Sicco Manscholt en 1972. Pierre Calame rappelle que « Aristote distinguait deux régimes de l'économie36 : « l'un qui reste solidaire de la nature et qui se charge de stocker, gérer, et rentabiliser les produits nécessaires à la vie (économie), l'autre, illimité, qui ne vise que l'enrichissement (chrématistique) et nécessite une vigilance éthique du fait de la substitution de l'argent aux biens eux-mêmes ». Avec la « valeur d'actionnaire » chère aux économistes des dernières années du XX ème siècle, nous avons parcouru tout l'itinéraire qui va de l'oeconomie à la chrématistique pure. Il est sans doute temps de faire le chemin inverse. » Pour traduire en chiffres
Il peut être moins coûteux d'un point de vue monétaire d'acheter une nouvelle paire fabriquée en Chine que de faire réparer des chaussures en France, mais la seconde hypothèse économise plus de ressources.
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cette option, Pierre Calame utilise le concept d'exergie, c'est-à-dire "toute l'énergie d'un système utilisable par l'homme soit sous forme de travail soit sous forme de chaleur". On considère donc que la chaleur n'est pas une dissipation d'énergie, mais une énergie en tant que telle. C'est ce qui est appliqué dans la cogénération par exemple. L'exergie peut être appliquée – par analogie avec la thermodynamique – au système économique. Il vaut mieux utiliser sur place les ressources créées que de les exporter et d'importer d'autres biens. Par exemple, qu'apporte un centre touristique implanté dans un pays du tiers monde, et qui importe l'essentiel de la nourriture, des animateurs, des équipements ? Qu'apportaient les bases américaines implantées en Europe après la seconde guerre mondiale ? • L'économie de réparation Une façon très concrète d'appliquer ces principes est de réparer les biens plutôt que de les changer, de préserver la ressource matérielle (et notre environnement) en réutilisant, réinvestissant, dans le travail humain. Cela coûtera plus cher sans doute, mais avec moins de chômage ? C'est, d'un point de vue macroéconomique classique, le choix volontaire d'une réduction de la productivité apparente. Du point de vue du développement durable, c'est le choix de l'économie de nos ressources. Vos chaussures sont usées, vous avez le choix entre les faire réparer, changer la semelle, ou acheter une nouvelle paire. Il peut être moins coûteux d'un point de vue monétaire d'acheter une nouvelle paire fabriquée en Chine que de faire réparer des chaussures en France, mais la seconde hypothèse économise plus de ressources, et permettra de soutenir, voire de développer, les échoppes de cordonniers. Il n'en restait plus que 268 cordonniers en 1999 dans la région des Pays de la Loire, un pour 10 000 habitants.
Votre essuie-glace tombe en panne, vous avez encore le choix entre faire réparer le moteur de l'essuie glaces, ou le changer. Imaginez la tête du garagiste si vous lui demandez de réparer, et les compétences en partie disparues qui seront nécessaires. Mais c'est possible37, et s'il y seulement le bobinage à refaire, ce sera beaucoup moins coûteux en énergie et en matériaux.
Cette démarche permet de fait de réduire les volumes, donc les coûts, de transport puisque les entreprises cherchent à s’approvisionner le plus possible à proximité. L’écologie industrielle permet aussi, de réduire
tières circulant sur un territoire, ou études de métabolisme territorial, qui débouchent sur la création d'un outil d'aide à la décision pour les décideurs locaux et constituant de plus une base pour la définition de poli-
Écologie industrielle : de nouveaux flux de matières et de biens
Du côté des industriels, cela suppose de fabriquer des produits que l'on puisse réparer, on se rapproche ici de l'économie de fonctionnalité. L'économie de réparation se distingue du recyclage, on ne recycle qu'après avoir épuisé le bien. Certains poseront la question de la consommation énergétique induite par le fait de garder plus longtemps des biens consommant plus en fonctionnement que les nouveaux modèles. Cet effet est fonction des progrès technologiques pour la production des biens concernés. L'impact faible (ou nul ?) pour les chaussures, peut être important pour les voitures ou les chaudières, les nouveaux modèles consommant moins que les anciens. C'est un calcul de point mort énergétique à faire. • L'écologie industrielle L’écologie industrielle recherche une optimisation à l’échelle de groupes d’entreprises, de filières, de régions, et même du système industriel dans son ensemble. Pour ce faire, elle favorise la transition du système industriel actuel vers un système viable, durable, inspiré par le fonctionnement quasi cyclique des écosystèmes naturels. En pratique, pour tendre vers cet objectif, l’écologie industrielle s’attache à : - valoriser les déchets comme des ressources ; - boucler autant que possible les cycles de matières et minimiser les émissions dissipatives liées aux usages qui dispersent les produits polluants dans l’environnement ; - « décarboner » l’énergie.
©Jean-François Vallès 2003
les déchets, et de co-utiliser l’énergie. Traduit de l’anglais « industrialecology », il faut interpréter « industrielle » comme un qualificatif représentant l’ensemble des activités économiques d’un territoire (industrie, agriculture, commerce, transport…). Ainsi, l’écologie industrielle prône une approche systémique des activités, inspirée des écosystèmes naturels. L’écologie industrielle permet également de stimuler le tissu économique du territoire. Il s’agit d’une part, d’optimiser la gestion des flux de matière et d’énergie à travers la mise en œuvre de synergie et de mutualisations de ces flux et d’autre part, de mettre en place des filières de recyclage, valorisation, réemploi, etc. de produits. Le travail préparatoire consiste souvent en un lancement d'études des flux et stocks d'énergie et de ma-
tiques locales de développement durable. Le Danemark est un pays pionnier en la matière. • L'économie de fonctionnalité L'économie de fonctionnalité, c’est « la substitution de la vente de l'usage d'un bien à la vente du bien lui-même ». Ce terme a été inventé par le Suisse Walter Stahel au milieu des années 1990. Des usages professionnels Des exemples concrets d'expériences menées par diverses entreprises (Michelin, Electrolux, Xerox, Suez…), montrent l'intérêt d'une telle voie. Ces exemples montrent aussi que privilégier une offre de services longue durée à la production de biens stricto sensu, ne constitue pas un obstacle à l'innovation, bien au contraire.
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Michelin propose des pneus qui permettent de réduire les consommations de carburant mais, aussi et surtout, propose la maintenance de ces pneus afin d’optimiser cette réduction, ce qui semble constituer un avantage pour les clients. L’exemple montre qu’une entreprise engagée dans une logique de vente de services, plutôt que de produits, ne renonce pas à innover, bien au contraire. « Plus le pneu dure longtemps, plus Michelin gagne de l'argent. » Alors que dans une relation marchande classique, plus le pneu dure, moins Michelin peut espérer en vendre. Résultat : les pneus peuvent être utilisés pendant 1 million de kilomètres, soit une durée de vie 2,5 fois supérieure à un pneu entretenu directement par les transporteurs. Xerox constitue un autre exemple de passage à l'économie de fonctionnalité. L'entreprise vend de moins en moins de photocopieurs et d'imprimantes. Et de plus en plus de contrats de services, dans lesquels elle met à disposition des équipements, mais en conserve la propriété et les reprend en fin de vie. Ces contrats représentent 75% de ses revenus. Les composants des copieurs et des imprimantes ont été simplifiés (on en compte aujourd'hui dix fois moins qu'il y a dix ans) de façon à pouvoir être plus facilement démontés et réutilisés.
ron les consommations d'eau38. » Suez propose maintenant des contrats de chauffage d’immeubles facturés non plus directement au volume de combustible livré, mais à l‘efficience de la régulation du chauffage. Pour les consommateurs finaux aussi Ces services généralisent une pratique déjà réelle, de location de vélos en vacances, ou de voitures pour des usages particuliers (déménagement…). Location de vélos (velib….) en ville, location de voitures en ville (Marguerite), mise sur le marché en location de la nouvelle voiture de Bolloré, Blue car… Mais toutes ces pistes : écologie industrielle, économie de fonctionnalité, économie de réparation... ne pourraient se diffuser massivement que si le système de prix est profondément modifié par un système d’internalisation des effets externes.
Elis est leader français dans la fourniture et le nettoyage de vêtements professionnels. L'entreprise conçoit les vêtements, les fait fabriquer et les loue à ses clients. Elle en reste donc propriétaire et s'occupe de leur entretien et de leur reprise en fin de vie. Selon l'étude d'Ernst&Young, « la location de vêtements d'Elis permet de réduire environ de moitié les consommations d'énergie et les émissions de CO2 par rapport à une solution d'achat de vêtements avec un entretien professionnel interne au client, et de diviser par dix envi-
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N’achetez plus, louez ! par Pascal Canfin - issu de Chômage : qui va trinquer ? n°277 alternatives-économiques février 2009 39 Hannah Arendt, Condition de l’homme moderne, traduction française G. Fradier, Pocket, 1988, 1992. 38
L'économie de fonctionnalité, c’est « la substitution de la vente de l'usage d'un bien à la vente du bien luimême ». Ce terme a été inventé par le Suisse Walter Stahel au milieu des années 1990.
La seconde piste de réflexion est le développement des mouvements en faveur d'une vie plus lente, intitulés Slow life, mais aussi Slow food...
3 Le temps
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ous ajoutons, in fine, un mode de fonctionnement par rapport au temps. La dimension du temps est le complément nécessaire de l'espace, qui a conduit notre réflexion jusqu'ici. La société moderne est celle du temps court, de l'éphémère, qui est en opposition avec la notion de développement durable. Sans pouvoir développer ces éléments de façon importante, indiquons deux pistes de réflexion. D'un point de vue philosophique, cette notion est fort ancienne, mais nous retiendrons ici les travaux d’Hannah Arendt39 qui distingue trois ordres dans le produit et le rapport au travail : - le labeur, dépense d’énergie ; - le travail ; - l’œuvre, résultat durable du travail. Le labeur est une dépense dont le résultat ne dure pas, ou qui est intégré dans une chaîne que le producteur ne conçoit pas dans son ensemble, par exemple la production à la chaîne d’éléments plastiques pour
des appareils électroménagers, ou la distribution de tracts publicitaires. C’est l’énergie, le temps passé, qui comptent, plus que le produit. Du travail résulte un produit à durée de vie assez courte, trop courte en tous cas pour que son auteur puisse s’y identifier, c’est une production de briquets ou stylos jetables, de mouchoirs en papier, des meubles légers en aggloméré… L’œuvre est la construction d’un objet durable, auquel son auteur pourra faire référence, une paire de
chaussures solides, une chaise en bois massif, une maison « de maçon »… La seconde piste de réflexion est le développement des mouvements en faveur d'une vie plus lente, intitulés Slow life, en Italie ou au Canada particulièrement. Slow life, c'est l'utilisation de moyens de déplacement doux, c'est également le mouvement Slow food, prendre du temps pour faire la cuisine, pour manger ensemble, refaire de ce temps un temps de convivialité.
4 Synthèse • Trois modèles géographiques Les trois options spatiales sont, sur le fond, exclusives l’une de l’autre. Dans une démarche pragmatique de développement régional, elles peuvent être articulées et en partie complémentaires, mais en veillant aux effets antagonistes, par
Modèle
Définition
Relations avec les politiques régionales
Exemples sectoriels Agroalimentaire
Tourisme
Economies d’agglomération
Renforcer les effets positifs de la concentration d’activités
Pôles de compétitivité
Exportation
International
Economie résidentielle (présentielle)
Renforcer la captation des revenus
Tourisme
Importation
National
Relocalisation
Rapprocher les lieux de production et de consommation
Développement durable Filières
Local
Régional
Contribution d’Arnaud du CREST - Conseil de Développement de la Loire-Atlantique 29
exemple : - le tourisme (économie résidentielle) est congruent avec la relocalisation s’il est de proximité, antagonique s’il est international, - la construction d’une usine de fromage répond aux objectifs de l’économie d’agglomération si elle est destinée au marché mondial mais s’oppose à la démarche de relocalisation et inversement. • Trois modes de fonctionnement En complément de ces modèles, deux modes d'organisation sont apparus : l'écologie industrielle et l'économie de fonctionnalité. On dispose donc de trois modèles incompatibles entre eux, du moins en termes de filières ou de priorité de filières et de deux modes de fonctionnement compatibles, dont peut faire une présentation synthétique.
Une autre incompatibilité peut être illustrée par l'agroalimentaire. Miser sur des pôles de compétitivité dans l'agroalimentaire c'est spécialiser le territoire sur certaines productions – donc en produire beaucoup et les exporter – donc soustraire des terres à l'agriculture vivrière de proximité. C'est le conflit ancien et bien connu de la concurrence sur l'espace entre la culture d'exportation face aux cultures vivrières, réactivé par l'essor des agro carburants. Dans la métallurgie, l'opposition se situe entre la politique des pôles qui induit une spécialisation et la relocalisation qui nécessite une diversification forte. Il n'y a pas d'incompatibilité théorique, mais pratiquement, difficile de soutenir les deux démarches en même temps. L'industrie du meuble illustre la question de la taille des entreprises. Dans une démarche d'exportation,
Modèles territoriaux et modes de fonctionnement Oeconomie Économies d’agglomération
Relocalisation
Écologie industrielle, énergies durables (locales)
Il pourrait être tentant de faire du syncrétisme et de prôner les trois modèles à la fois. Mais peut-on vraiment développer une politique de tourisme de proximité et à l'international ? Oui de façon théorique car les deux clientèles peuvent s'additionner, mais l'incompatibilité est ici de type politique aussi bien du point de vue des objectifs (écologiques, sociaux) que des choix budgétaires et de l'affectation de l'espace, qui va devenir un bien rare, de plus en plus rare..
Mais par ailleurs la société est une « formation sociale », c'est-à-dire qu'elle intègre différents modes de production, hérités des périodes précédentes. Le capitalisme industriel a coexisté avec la petite production marchande et le capitalisme financier s'est ajouté aux deux premiers sans les faire disparaître. Chaque forme peut perdurer, la question du choix est surtout posée aux responsables des politiques publiques, pour l'orientation de leurs actions, et aux entrepreneurs à la recherche de nouveaux développements. C'est aussi en substance ce que dit Laurent Davezies, dans le cadre de sa théorie sur l'économie résidentielle, quand il souligne l'intérêt de territoires associant une économie industrielle, une économie résidentielle et une économie de redistribution publique (la métropole Nantes Saint-Nazaire). • Les métiers de demain
Economie de fonctionnalité
Slow life
Location de logements
Vélo
Réparation locales des voitures
Réduction des voyages aériens, vélo
Cluster énergie
Économie résidentielle
de différenciation identifiés entre les choix stratégiques, mais différents selon les secteurs.
il faut des entreprises puissantes, une démarche marketing forte, une marque reconnue. Dans une démarche de relocalisation, de petites entreprises, proches des clients, s'adaptant à leurs besoins, sont plus appropriées. Cela peut avoir des conséquences importantes en termes d'aides aux entreprises par taille. L'occupation de l'espace, l'attribution des aides publiques, la taille des entreprises, sont ainsi trois facteurs
30 Conseil de Développement de la Loire-Atlantique - Contribution d’Arnaud du CREST
Ces modèles dessinent les compétences de demain, qui sont présentes aujourd'hui et ne demandent qu'à être revivifiées. Comme pour la nature, l'enjeu est de maintenir la diversité des métiers, pour répondre à la diversité des fonctions. Réparer demande une palette de compétences plus large que produire. Gérer une équipe nombreuse (forte intensité humaine) plus de compétences en ressources humaines que de gérer un parc machines. Louer plutôt que vendre nécessite d'établir une relation de confiance de longue durée avec l'utilisateur. Exploiter la totalité d'une matière première support, que ce soit du bois, du métal ou un produit vivant, une connaissance approfondie des process. Il y a, dans toutes ces dimensions, des progrès importants à la fois d'un point de vue collectif et d'un point de vue individuel. Pour illustrer ce nouvel horizon de nos compétences, l'image du laby-
Les métiers de demain Aujourd’hui
Demain
Compétences
Secteurs
Production
Réparation
Diversifiées Autonomie
Mécanique, plasturgie, mobilier
Production à faible intensité en énergie et matière première et forte intensité humaine
Ressources humaines
Agriculture, cuisine, pêche
Location
Commerciales, entretien
Auto, bureautique, vêtements, logements
Exploitation totale
Process, matière
Alimentaire, métaux
Livraisons de proximité
Relationnelles
Transports, tourisme
Production à forte intensité énergie et matière première, faible intensité humaine Vente
Exploitation partielle Transport lointain
rinthe est très parlante. De quelles qualités a besoin celui qui se perd dans un labyrinthe ? De savoir rebondir quand il arrive dans une impasse, de sentir, goûter tout son environnement, sentir l'humidité sur les parois ou la direction d'où souffle l'air frais du dehors, naviguer sans perdre la mémoire de son chemin. La situation d'aujourd'hui est un peu celle de personnes perdues dans un labyrinthe. Ces qualités sont celles nécessaires pour en sortir et aussi pour exercer les activités que nous avons décrites. • Agir dans la complexité Cela peut paraître complexe, d'autant plus si l'on prend en compte à la fois les trois modèles territoriaux, les trois modes de fonctionnement, les cinq défis (financier, économique, ressources, environnement, démographie), et que l'on considère que chaque secteur est spécifique (hôtellerie, agroalimentaire, métallurgie…). Il faudrait simplifier ? Tout ce qui est simple est faux et ce qui est compliqué est inutilisable. Face à cette question, rappelons-
nous les outils d'analyse de la complexité40. Hologrammatique : un élément du tout représente le tout, c'est-à-dire que la situation d'un élément, une usine de chaussure à Beaupréau, un atelier de réparation de voitures à Machecoul… mettent en jeu tous ces éléments à la fois. C'est une façon « simple » de commencer à raisonner la complexité dans l'action locale. Récursivité : la cause produit l'effet, et l'effet peut lui-même être cause de la cause. L'épuisement des nappes phréatiques conduit à creuser toujours plus profond pour puiser l'eau, ce qui accélère l'épuisement des nappes. Dialogique : un élément peut être à la fois ouvert et fermé, dans une position et la position contraire. La voiture facilite la circulation et la bloque dans certaines circonstances. Ce n'est pas un vecteur univoque.
Edgar Morin, Introduction à la pensée complexe, ESF, 1990 41 Jean-Baptiste de Foucauld, Les trois cultures du développement humain, Paris, Odile Jacob, 2002 40
et faire confiance. Faire confiance ? En gardant en tête que la société ne fonctionne que si les « trois cultures » du développement humain41 sont à l'œuvre, que l'on n'en oublie pas une en chemin, la gestion certes, mais aussi la résistance (pour mettre en mouvement) et l'utopie (pour donner des horizons). Pour aller vers un horizon, on a besoin d'une direction, d'indicateurs. C'est là tout un autre chapitre à aborder, le changement des indicateurs dans un monde qui a changé. Avoir confiance : dans tous ces domaines, des initiatives existent, des personnes et des collectifs réfléchissent et agissent, au niveau local comme au niveau international.
On pourrait ajouter que dans un système complexe, un projet aboutit rarement à l'objectif fixé au départ, tellement il est soumis à des contraintes différentes, nombreuses, évolutives. Il faut donc mettre en mouvement le système, en gérer les évolutions,
Contribution d’Arnaud du CREST - Conseil de Développement de la Loire-Atlantique 31
d
lV- Modèles et indicateurs 1 Les limites des indicateurs de productivité
N
ous avons raisonné jusqu’ici avec les indicateurs classiques de la productivité, car ce sont les seuls qui sont les plus connus. Ce raisonnement nous montre les limites de ce concept pour ouvrir des perspectives de développement. Comme le dit Jean Gadrey42, on en reste à la mesure de la valeur d’échange, au lieu de prendre la valeur d’usage, qui est de nouveau première compte tenu des enjeux environnementaux et de l’importance des services. Citons-le :
tonne de blé bio, les mesures (actuelles) afficheront une chute brutale de la productivité (division par deux), une multiplication par deux du volume de travail, et une croissance zéro de la production (puisque la progression de la qualité n’est pas comptée). […]
Il n’y a de gains ou pertes de productivité que si l’on compare deux processus de production de « la même chose ». Appliquer ici les raisonnements classiques revient donc à admettre qu’un produit « propre » est « Ce qui détermine(ra) l’emploi n’est « la même chose » qu’un produit pas (d’abord) le couple (croissance « sale ». Position intenable selon moi. du PIB, gains de productivité) : si, […] comme il faut le souhaiter, les gains Les exemples abondent, surtout de qualité et de durabilité devien- dans les services. Pour gagner en nent les grands gisements de va- « productivité », on demande aujourd’hui à cerleur ajoutée (et donc taines aides d’emploi), ces gains Les modèles ne pourront à domicile de qualitatifs ne sene plus passer ront pas enregistrés pas être mis en œuvre de que 15 minutes dans les indicateurs façon opérationnelle sans au lieu de 20 actuels de gains de changer d’indicateurs. à la toilette productivité et de des personnes croissance. Ces derniers chiffres passeront à côté de âgées. Cela n’est rien d’autre qu’une tout ce qui compte(ra) le plus. Ils ne dégradation de la qualité des soins servent donc à rien et au contraire ils et des conditions de travail, masquée en gain de productivité. Idem brouillent les pistes. à l’hôpital, dans l’enseignement, les Exemple : si l’on remplace de la pro- crèches, etc. duction productiviste et polluante Nous devons refuser les analyses acde blé par de la production bio, sans tuelles de croissance et de gains de croissance des quantités et s’il faut productivité dans la grande bifurcaen moyenne (chiffre arbitraire) deux tion vers la durabilité écologique et la fois plus d’heures de travail pour une qualité sociale car, lorsqu’on change
32 Conseil de Développement de la Loire-Atlantique - Contribution d’Arnaud du CREST
de modèle économique, on change aussi de produits et de processus et donc on n’a plus d’équivalence entre les anciens et les nouveaux biens et services, même s’ils se ressemblent « vus de l’extérieur ». Retour à un exemple écologique : la valeur d’usage d’un KwH sale (aggravant le réchauffement climatique) est apparemment la même que celle d’un KwH propre si on se limite à l’énergie fournie à l’utilisateur, mais elle est très différente si l’on raisonne en valeur d’usage durable, avec toutes les caractéristiques et « externalités » utiles ou néfastes. Par conséquent, si la quantité de travail nécessaire à la production d’un KwH propre est supérieure à celle que requiert la production d’un KwH sale, il est scientifiquement illégitime, et politiquement désastreux, d’affirmer que la productivité du travail est inférieure dans le premier cas. Ces deux types de KwH ne correspondent pas aux mêmes valeurs d’usage, aux mêmes caractéristiques utiles.» Jean Gadrey, http://alternatives-economiques.fr/blogs/gadrey/2009/03/05/ cessons-de-penser-croissance-etproductivite/#more-63 43 Jean Gadrey, Florence Jany-Catrice, Les Nouveaux Indicateurs de richesse, éditions La Découverte, réédition actualisée en 2007 44 www.idies.org/index.php?post/Lesregions-francaises-face-a-leur-santesociale 45 Moyenne améliorée par un bornage des valeurs maximum et minimum, et un calcul logarithmique appliqué au PIB 46 www.stiglitz-sen-fitoussi.fr 42
L’ISS des régions françaises en 2004
2 Les nouveaux indicateurs
Appliqué au cas des régions françaises pour l’année 2004, l’ISS (indicateur de santé sociale) éclaire sous un nouveau jour les performances sociales des territoires. Ce sont surtout les régions très urbanisées qui enregistrent les moins bonnes performances, alors que d’autres comme le Limousin apparaissent performantes socialement. Deux ou trois régions demeurent en queue de peloton quel que soit l’indicateur retenu : en bas du classement en termes de RDB (revenu disponible brut) par tête, ou du Pib (produit intérieur brut) par tête, le Nord/ Pas-de-Calais et le Languedoc Roussillon conservent, selon l’ISS,une santé sociale très médiocre. Source : Florence Jany-Catrice et Rabih Zotti
I
l y a profusion de propositions sur les indicateurs alternatifs43, profusion qui peut s’expliquer par la quantité de questions que pose leur élaboration. Doit-on mesurer la valeur marchande et monétaire de la production annuelle (Pib) ou sa valeur d'usage, le bien-être, la richesse des relations sociales, le patrimoine naturel ? Le choix est fondamentalement politique (au sens de vivre ensemble) ; la technique n’intervient qu’en second. Nous avons sans doute plus besoin de valeurs - existentielles - que de repères, dont l’accumulation ne sert souvent qu’à cacher l’absence de sens. Ceux qui considèrent que le bonheur suppose d’acquérir un niveau de vie équivalent au niveau des pays les plus riches retiendront le Pib ou un équivalent. Ceux qui sont attentifs à la richesse des relations sociales s’attacheront à des indicateurs du type bien-être ou de santé sociale44, le plus souvent sur la base d’enquêtes. Ceux qui observent la dégradation de nos ressources naturelles mettront en avant les indicateurs de biodiversité, ou de pression écologique sur l’environnement (empreinte écologique). Il y a aussi des tentatives de synthèse, puisque ces objectifs ne sont pas entièrement exclusifs, par exemple l’IDH (indicateur de développement humain). L’IDH est un indicateur de transition. Il est calculé comme la moyenne45
du Pib, de la longévité (santé) et du niveau d’éducation. Il est donc en partie dépendant du Pib (et de ses travers), et ne prend pas en compte les enjeux environnementaux. C'est un compromis entre la référence unique du Pib de la période de croissance quantitative et les enjeux de santé et d’éducation, mais c'était sans doute la condition pour qu’il soit largement adopté et diffusé. Construit d’abord pour être appliqué à un niveau mondial, adopté par l’Onu en 1990, il a été adapté pour son utilisation par les pays développés, pour lesquels le gradient de différenciation devenait trop faible. Il existe donc un IDH-2, pour lequel les indices de santé et d’éducation ont été adaptés pour la région Ile de France et réutilisés dans d’autres régions (Nord / Pas-de-Calais par exemple). L'intérêt de l'IDH-2 est qu'il peut être calculé à un niveau très fin,
jusqu'à la commune, ce qui permet de mettre en évidence des écarts croissants sur les territoires. L’inadaptation des indicateurs actuels n’a pas échappé au président de la République qui a confié à une commission46 présidée par Joseph Stiglitz et Amyarta Sen la mission de définir de nouveaux indicateurs. Cette commission doit rendre un rapport final en 2009, mais elle proposera sans doute une ouverture, des pistes, pas une solution… Parallèlement, l’un des membres de cette commission, Jean Gadrey, a coinitié avec plusieurs de ses proches la création d’un réseau de chercheurs impliqués dans des démarches de construction de nouveaux indicateurs. Le réseau Fair (Forum pour d’autres indicateurs de richesse) prépare ses contributions au débat.
Contribution d’Arnaud du CREST - Conseil de Développement de la Loire-Atlantique 33
L
a matrice des nouveaux indicateurs est souvent proposée à partir des trois piliers du développement durable, économique, social et environnemental. Cela conduit généralement à considérer chaque pilier séparément et à supposer qu’une activité industrielle est durable car ses produits durent plus longtemps, même s’ils contribuent à épuiser les ressources de la planète. On assure aussi qu’un emploi est durable s’il est en CDI, quel que soit son contenu (une formation ou un emploi en plasturgie, fabrication à partir de pétrole, est-il vraiment durable ?), ce qui est une manière d’ignorer les relations entre le social et l'environnement. On estime que les services aux personnes âgées sont un moyen de créer des emplois pour les personnes en difficulté, alors que l'équilibre des retraites est incertain et que les comptes sociaux sont déficitaires, et l'on ignore ici les relations entre l'économique et l'environnement.
notre degré de liberté (sociale) face au système économique, puisque notre développement ne peut être durable que si le corps social garde suffisamment d’autonomie, de liberté, par rapport à l’économie47. La mesure de cette liberté, c’est la capacité de choisir, à tous les stades de la vie. De choisir une formation correspondant à ses aspirations et ses capabilités48, de choisir un logement, un rythme ou un mode de vie….
Pour les deux autres relations, l'enjeu est le caractère durable, ou non, de notre mode de vie. Entre les dimensions sociale et environnementale, la question est de savoir si l’espèce humaine laissera suffisamment de place, d’espace, à la nature et aux autres espèces pour survivre (et donc pour notre propre survie). La mesure est l'indicateur de biodiversité, pour laquelle les experts considèrent qu’il faut garder 15 % du territoire de la planète libre de toute activité humaine (mais pas que les déserts de L’erreur est de considérer chaque pi- sable ou de glace). Sera-ce encore lier isolément, alors que le propre du possible quand nous serons 50 % de développement durable est d’être plus sur Terre, dans cinquante ans ? systémique. Entre les dimensions Enfin, la relation entre l’économie et économiques et sociales, l'enjeu est l’environnement est mieux connue, étudiée, c’est la notion de pression de l’activité sur l’environnement. Un indi3 dimensions, 3 relations, cateur phare est 3 indicateurs l’empreinte écologique49, qui traÉconomique duit en hectares l’espace nécessaire pour l’actiCapacité Empreinte de choix écologique vité des hommes, Espace x temps ce qui permet de dire que nous utilisons en Social Environnement moyenne plus Espace de biodiversité d‘une planète Espace dans les conditions actuelles,
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L’indicateur de biodiversité lllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllll
3 Les indicateurs et les 3 piliers du développement durable Préserver
15 %
du territoire de la planète libre de toute a c t i v i t é h u m a i n e
et que si tous les humains vivaient comme les Européens il faudrait trois planètes. C’est un indicateur espace/ temps, puisque l’espace concret que nous consommons en plus dans les pays développés (hectares de cultures, de prairies, de forêts de bois d’œuvre…) est pris sur les pays qui en consomment moins (Afrique en particulier) et que les hectares de « forêt énergie », qui représentent la quantité de CO2, que les océans et la forêt ne peuvent pas absorber et qui s’accumule dans l’atmosphère, constitue une dette qu’il faudra résorber dans le temps, un jour… Ces considérations dessinent le cadre dans lequel de nouveaux indicateurs pourraient être élaborés. En effet, mesurer le temps libre ou la biodiversité se heurte à des difficultés théoriques et pratiques importantes. En attendant, il nous faut mesurer l’activité, la situation sociale, environnementale… Des initiatives sont prises, en Pays de la Loire comme dans d’autres régions.
Karl Polanyi, La grande transformation, 1944, éd. Gallimard, 1983. 48 La capabilité est un concept développé par Amyarta Sen dans Repenser l’inégalité, Éditions du Seuil, 2000. Dans la théorie des capabilités, le fait de choisir, et l’étendue, la diversité du choix, ont une valeur, indépendante de la valeur du choix fait.. 49 www.wwf.fr/pdf/LPR_2008_FR.pdf 47
4 Indicateurs et modèles de développement
Ces indicateurs nous renseignent sur ce qui est en fait notre objectif à tous, vivre mieux, sans pouvoir embrasser toutes les autres dimensions de notre environnement. Nous avons donc besoin de réinventer des systèmes complexes d'élaboration, mais simples de lecture. Simples sans devenir pour autant des fétiches, comme Pib l'est devenu, le risque est là, mais il faut le courir, sous peine d'avancer dans le noir absolu. Le croisement de deux indicateurs est une façon très illustrative de donner une vision plus large et non univoque, comme le croisement de l'empreinte écologique et de l'IDH
Desindicateurs indicateurs de production ou de revenu aux Des de production ou de revenu aux indicateurs de santé socialesociale indicateurs de santé Économie d’agglomération
Relocalisation Revenu tiré de la production locale
PIB IDH ISS BIP 40 IPH
Oeconomie/bio économie
Économie résidentielle
Empreinte écologique
Revenu
Performance des nations en matière de Performance des nations en matière de développement durable : combien de planètes ? développement durable : combien de planètes? Europe du Sud + "NPI"
Europe du Nord et de l'Ouest
USA,
Besoins des Australie, Canada générations actuelles
Indicateur de développement humain –IDH)
P
our conclure – provisoirement rapprochons ces réflexions sur les indicateurs des modèles de développement décrits plus haut. Le Pib et la productivité associée sont (ou étaient ?) assez bien adaptés à l'économie d'agglomération, basée sur l'industrie et à la répartition des revenus monétaires. Mais l'économie d'agglomération ne peut pas vivre seule, elle est immergée dans une société où les services sont dominants. Il ne peut alors s'agir que d'un indicateur local, mais non utilisable à l'échelle de la société. A l'opposé, l'empreinte écologique permet de mesurer la pression de l'homme sur son environnement, son espace. C'est un indicateur fondamental, au moins par ses vertus pédagogiques, mais partiel, comme l'ont bien précisé ses inventeurs dès le début. Il ne mesure pas la dégradation de notre patrimoine naturel, et il est centré sur les besoins de l'homme, pas de l'ensemble de la création. L'état de la société, son bien-être, peuvent être mesurés l'IDH, l'indicateur de pauvreté humaine, pour ne prendre que les indicateurs du PNUD, et encore par l'indicateur de santé sociale, ou le Bip 40…
Pays "émergents" d'Asie et d'Amérique du Sud (+ Turquie)
1
0,9 Pays "émergents" d'Afrique du Nord, Moyen Orient, Asie
0,8 0,7 0,6 0,5
Pays en voie de développement d'Asie et d'Afrique
0,4 0,3
Nombre de planètes nécéssaires en fonction de l’empreinte écologique
0,2 0,1 0 11
10
9
8
7
6
5
4
3
2
Empreinte écologique (ha/hab)
1
0
Besoins des générations futures
D’après Aurélien Boutaud, ENSMSE, BENOÎT AGASSANT – INSAZUR – Mars 2005
proposée par Aurélien Boutaud. C'est à la fois un outil technique et un support de réflexion et d'espoir : il est possible d'augmenter le niveau de vie (mesuré par l'IDH, avec toutes ses limites) des pays du tiers monde sans dégrader l'empreinte écologique et il est possible de diminuer l'empreinte écologique des pays dits développés, sans réduire beaucoup leur niveau de vie IDH50.
Compte tenu du mode de calcul logarithmique de l’IDH, et qui écrête le Pib par tête à partir d’un certain niveau. Pour plus de détail, voir Aurélien Boutaud et Natacha Gondran, L’empreinte écologique, Repères, La découverte, 2009 50
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5 Utopie et résistance
Face à la crise, il y a donc des éléments de réponse, des pistes d'action, à moyen ou long terme. A court terme, c'est l'urgence sociale d'aider ceux qui ont perdu, ou vont perdre leur travail, leur maison, leur famille. Les institutions publiques qui n’avaient pas les moyens de faire face à tous ces besoins hier, seront encore moins en capacité d'y répondre seules. Il faut une mobilisation citoyenne, partagée, non pas en tant que supplétifs des puissances publiques, mais de façon autonome, comme levains du corps social. C'est là que se rejoignent l'utopie et la résistance, deux des trois cultures du développement humain. La société ne peut pas fonctionner sur un modèle unique, dont les modèles sociaux avancés aux XIXe et XXe siècles ont montré les dangers. La société est un assemblage de modèles, et si nous pouvons croire à quelque chose, c'est
aux valeurs qui peuvent les faire fonctionner, pas aux modèles eux-mêmes. Les modèles sont des briques, il manque le ciment apporté par les valeurs. Les valeurs étaient sous-jacentes aux modèles, que ce soit la réduction des conflits sociaux ou la lutte conter l'exploitation de l'homme par l'homme. Les valeurs d'aujourd'hui pourraient se nommer le refus de l'exclusion, la capacité pour chacun de choisir son devenir, le respect de la création, de la nature et de ses ressources. On retrouve dans ces trois dimensions les trois types d'indicateurs avancés pour mesurer le développement durable. Ces valeurs ne relèvent pas que de l'utopie, elles croisent les deux autres cultures, celle de la gestion pour l'environnement, de la résistance pour le domaine social par exemple.
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V- Annexes 1 Un siècle de productivité en France
Taux de productivité apparente du travail, taux de croissance lissé en %
Un siècle de productivité en France Source : Michel Husson, Du ralentissement de la productivité, La Revue de l’IRES n°22, 1997
9 8 7 6 5
2ème guerre mondiale
4 3
1ère guerre mondiale
2 1 0 1890
1900
1910
1920
1930
1940
1950
1960
1970
1980
1990
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38 Conseil de Développement de la Loire-Atlantique - Contribution d’Arnaud du CREST
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