Pâques, la catho pride

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• 1,40 EURO. PREMIÈRE ÉDITION NO9314

LUNDI 25 AVRIL 2011

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MARIE-FRANCE PISIER L’ÉCHAPPÉE BELLE PAGES 24-26

Pâques, la catho pride Les catholiques, décomplexés, proclament leur foi et sont de plus en plus visibles dans l’espace public. Une démarche revendiquée par Amanda Lear ou Olivier Py. PAGES 2-6

Syrie:le choix de la répression

L

a Syrie a probablement connu vendredi sa journée la plus sanglante depuis le début des troubles il y a cinq semaines. Dans une vingtaine de villes et d’agglomérations du pays, pour ce jour baptisé «vendredi saint» par l’opposition syrienne, les forces de sécurité sont passées à l’attaque. Sans sommation. Le bilan de ces attaques oscille entre 76 et 112 morts. Damas attribue les fusillades à de mystérieux «gangs armés», qui ne sont autres que les services de sécurité ou les chabbiha, des milices contrôlées par des cousins du président, Bachar el-Assad.

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Les politiques tweettent dans le vide Ministres ou députés utilisent de plus en plus les micromessages. Mais leur com est trop souvent à sens unique. PAGES 14-15

BCA.RUE DES ARCHIVES

n page 1 24/04/11 11:19 Page1

IMPRIMÉ EN FRANCE / PRINTED IN FRANCE Allemagne 2,10 €, Andorre 1,40 €, Autriche 2,80 €, Belgique 1,50 €, Canada 4,50 $, Danemark 25 Kr, DOM 2,20 €, Espagne 2,10 €, Etats-Unis 4,50 $, Finlande 2,40 €, Grande-Bretagne 1,60 £, Grèce 2,50 €, Irlande 2,25 €, Israël 18 ILS, Italie 2,20 €, Luxembourg 1,50 €, Maroc 15 Dh, Norvège 25 Kr, Pays-Bas 2,10 €, Portugal (cont.) 2,20 €, Slovénie 2,50 €, Suède 22 Kr, Suisse 3 FS, TOM 400 CFP, Tunisie 2 DT, Zone CFA 1 800 CFA.


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EVENEMENT

ÉDITORIAL

Par FRANÇOIS SERGENT

Ensemble «En un mot, je veux l’Eglise chez elle, et l’Etat chez lui», disait Victor Hugo, comme le rappelait ce week-end dans Libération le philosophe de la laïcité Henri Pena-Ruiz. C’était il y a 150 ans. Depuis, l’Eglise n’est plus unique ni exclusivement romaine. Et, en ces jours de Pâques, l’Eglise catholique revient dans le siècle et occupe même les rues et les places de France. Entre pèlerinages et pardons, processions et flashmobs. Elle se défend de vouloir rivaliser avec l’islam devenu la seconde religion du pays et qui, dans un explosif mélange de contrainte et d’ostension, entend pouvoir prier dans les rues. Jean Paul II fut au siècle dernier le premier pape à affirmer cette Eglise catholique visible et décomplexée. Avec lui, les catholiques sortent des catacombes et occupent l’espace public. Des millions de jeunes cathos affichent leur foi aux JMJ à l’étonnement d’une France qui se croyait déchristianisée. Mais, la laïcité à la française ne se définit pas contre les croyances, elle ne définit pas un cadre de tolérance qui ne serait que la forme juridique d’une subordination. Elle donne la liberté de croire, ou non à ses citoyens. Egaux en droits et devoirs. Il ne faudrait pas en ce contexte largement apaisé, que la surenchère entre les religions du verbe ou, pire encore, une manifestation identitaire nuisent à ce vivre ensemble que la République a su maintenir. Et qui finalement fonde la République.

REPÈRES

LIBÉRATION LUNDI 25 AVRIL 2011

Entre célébrations pascales publiques et coming out de célébrités, les croyants affirment leur désir de visibilité.

Les catholiques font entendre leur foi Par CATHERINE COROLLER

est bien là. «Nous sommes passés d’un catholicisme majoritaire qui imprégnait toute la société, à e catholicisme est-il en train de ressusci- un catholicisme minoritaire», reconnaît Pierreter ? Les catholiques n’hésitent plus en Hervé Grosjean, prêtre du diocèse de Versailles. tout cas à sortir des catacombes pour D’après une enquête Ifop pour la Croix, 64% des proclamer leur foi urbi et orbi. Chez les Français se déclaraient catholiques en 2009 people, le «coming out catho» est très in. contre 87% dans les années 70. Et 4,5% seuleCes dernières années, plusieurs célébrités ont ment vont à l’église chaque dimanche. proclamé leur appartenance à la religion catholi- Mais, pour les responsables catholiques, la messe que. «Longtemps, j’ai gardé ma foi secrète», con- n’est pas dite. La faiblesse du catholicisme serait, fie la chanteuse et comédienne au contraire, une force. «Les Amanda Lear (lire page 4 et 5). chrétiens d’aujourd’hui ne le sont «En parler m’a véritablement lipas à moitié. Ils ne le sont plus L’ESSENTIEL béré», déclare le producteur et pour obéir à un modèle social, ou écrivain Thierry Bizot. Autre par convention. On a affaire déLE CONTEXTE manifestation de cette recherche sormais à un christianisme de Pour Pâques, l’Eglise de visibilité nouvelle, en ce conviction», affirme le père catholique choisit une week-end de Pâques plusieurs Grosjean. «Dans dix, trente ans, plus grande visibilité. diocèses ont organisé des céléil n’y aura peut-être plus que 10% brations dans l’espace public, de Français catholiques, mais ils L’ENJEU hors les murs des églises et des seront très pratiquants», pourCette nouvelle temples. suit-il. affirmation peut-elle L’actuelle recherche de visibilité nuire au pacte FORCE. S’agit-il des derniers des catholiques résulte-t-elle en républicain ? sursauts d’une religion agonipartie de l’émergence de l’islam sante? Le fait est que la situation en Occident ? Le cardinal frandu catholicisme n’est pas çais Jean-Louis Tauran, présibrillante. Le nombre de baptêmes continue dent du Conseil pontifical pour le dialogue interinexorablement de baisser. Comme celui des ma- religieux, le dit explicitement : «Comment a fait riages à l’église. Ou des séminaristes et des prê- Dieu pour revenir dans nos sociétés?» s’était-il intres en exercice. Seul celui des catéchumènes terrogé dans l’Osservatore Romano, organe offi–ces adultes inscrits au catéchisme en vue de se ciel du Vatican, le 28 novembre 2008. Et de réfaire baptiser – se maintient à peu pondre : «Ce sont les musulmans qui, près, ce qui permet à l’Eglise catholidevenus en Europe une minorité imporANALYSE que de publier des communiqués tante, ont demandé de l’espace pour triomphants. «Depuis dix ans, de plus en plus Dieu dans la société.» «Nous vivons aujourd’hui d’adultes demandent le baptême», pavoise-t-elle. dans une société pluriculturelle et plurireligieuse : En réalité, si le chiffre est effectivement passé de c’est une évidence», ajoutait le prélat français. Et 8945 en 2001 à 9846 en 2009, il est redescendu pour lui ça n’est pas un problème car «la thèse à 9 538 en 2010. de Huntington, sur le choc des civilisations, s’est Bref, et quoi qu’en dise l’épiscopat, la crise de foi révélée fausse». Ce week-end, les musulmans

L

PÂQUES Cette fête commémore la résurrection de Jésus-Christ, le troisième jour après sa passion. La solennité commence le dimanche de Pâques qui marque la fin du jeûne du carême, et dure pendant huit jours (semaine de Pâques ou semaine radieuse ou semaine des huit dimanches).

64

C’est le pourcentage de Français qui se disent catholiques selon une enquête Ifop/la Croix, en fin 2009. Et 15,2% assistent régulièrement à la messe (environ une fois par mois).

étaient d’ailleurs de sortie, eux aussi. L’Union des organisations islamiques de France organisait son rassemblement annuel au Bourget, près de Paris (lire page 6). «DÉPASSÉ». Ainsi, désormais les catholiques se montrent. Et Pierre-Hervé Grosjean veut croire que les réactions leur sont très favorables: «Les gens font preuve d’une curiosité étonnée et positive, car on vit dans un désert spirituel, et nous sommes porteurs d’un message qui donne du sens, or les gens sont hyper à la recherche de ça.»

2952

C’est le nombre d’adultes qui ont souhaité recevoir en ce week-end pascal, le sacrement du baptême. 60% des nouveaux baptisés à l’âge adulte ont moins de 35 ans.


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Samedi à Orléans, lors d’un flashmob. Les participants miment la mort puis la résurrection du Christ. PHOTO OLIVIER COULANGE. VU

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Antoine Guggenheim, prêtre et chercheur au collège des Bernardins analyse le nouveau désir d’exposition de l’Eglise catholique:

«Etre minoritaires nous a libérés» A

JONATHAN ZERBIB

ntoine Guggenheim est prêtre, à l’Eglise de s’incarner dans le visible. docteur en théologie, et direc- Sa beauté renvoie à quelque chose de teur du pôle de recherche du grand et de profond. Le fait qu’on y collège des Bernardins à Paris, «lieu de accueille tous ceux qui sont prêts au recherche et de débat pour la société», qui dialogue fait que ce lieu a été accepté a ouvert ses portes en 2008 à l’initiative comme lieu d’écoute et de proposition, du cardinal Lustiger. Il analyse le nou- donc de visibilité. veau désir de visibilité de Les Bernardins ont-ils trouvé l’Eglise catholique leur public? aujourd’hui en France. La réponse est assez étonLes catholiques veulent-ils nante et donne du courage. être plus visibles et audibles Ça n’était pas gagné au dédans la société aujourd’hui? part, et certains ont été très Notre civilisation est un peu surpris du dynamisme de narcissique, si on n’est pas cette institution, et du fait visible, on n’existe pas, il faut voir et que, comme catholiques, nous ayons être vu. Dans le passé, le catholicisme été capables de faire vivre un tel lieu. a été très visible mais il s’y est un peu Le Nouvel Observateur y a organisé deux brûlé les ailes et les doigts ! En même fois ses journées pour ses abonnés, ce temps, il y a toujours eu, chez nous, une qui est un signe que cette ouverture tension entre la visibilité et l’intériorité. fonctionne ! Aux Bernardins, j’ai obLes cathédrales disent quelque chose du servé la manifestation d’un désir d’enmystère de Dieu. Elles extendre assez étonnant, aussi priment par leur architecbien de la p a r t de s INTERVIEW ture quelque chose d’un conférenciers que des mystère plus grand que nous. L’inté- «vrais gens». Il y a vingt ans, on était rieur, le plus intime, peut également se encore dans une époque de fermeture traduire par une action sociale visible. idéologique, ça n’est plus le cas Êtes-vous d’accord avec la déclaration aujourd’hui. Les intervenants nondu cardinal Tauran lorsqu’à la question croyants que nous faisons venir, ont «Comment a fait Dieu pour revenir dans envie de débattre avec nous parce qu’il nos sociétés?», il a répondu: «C’est le n’y a pas beaucoup d’institutions grand paradoxe : grâce aux musul- comme le catholicisme qui soient à la mans» car ce sont eux qui «ont de- fois historiques et universelles. J’obmandé de l’espace pour Dieu dans la so- serve aussi une grande attente, plus ciété» ? spirituelle. Les gens nous disent: «Mes Je dirais que c’est mai 1968 qui a fait re- grands-parents étaient très croyants, mes venir Dieu. En proclamant le retour de parents ont été baptisés mais pas moi, je l’Esprit et la fin du marxisme monoli- n’ai pas la foi, qu’est-ce que je peux faire thique. Je crois que ça peut se démon- pour l’avoir?» Lors des préparations au trer. Un seul nom : Philippe Sollers ! baptême, il arrive que le parrain ne soit Dieu revient, mais différent, mort et pas baptisé, et qu’il passe la soirée à ressuscité ! vous assaillir de questions énormes, L’ouverture du collège des Bernardins magnifiques : «Quel est le sens de la répondait-elle à une volonté de visibilité vie ?» ; «est-ce qu’un chrétien peut être des catholiques? un humaniste, et est-ce qu’un humaniste Les Bernardins sont un lieu qui permet peut dialoguer avec Dieu ?» On

Les outés sont un peu moins enthousiastes. La divulgation de leur foi a suscité des réactions reflétant l’ambivalence de la société face au religieux. «Ma décision n’a pas été mal accueillie au niveau de mon entourage, mais elle a suscité une certaine incompréhension car la vie spirituelle chez nos concitoyens est très faible, et beaucoup de gens ont l’impression que la religion, c’est dépassé», témoigne Francis, catéchumène sexagénaire, veuf depuis peu, qui doit être baptisé ce week-end. Journaliste et écrivain, Alix de Saint-André fait partie de ces people dont la célébrité tient en

partie à son coming out. Pour témoigner des réactions de son entourage, elle reprend à son compte une déclaration du pape Benoît XVI selon laquelle «en Europe, les chrétiens qui revendiquent leur foi ne risquent pas de persécutions, comme pendant les catacombes autrefois –ou dans une très large partie du monde aujourd’hui–, mais risquent le ridicule». Avec humour, elle poursuit : «A partir d’un certain niveau d’études et de situation sociale, afficher sa foi vous fait passer pour quelqu’un d’idiot ou de mal informé. Et, en plus, je suis blonde !» •

Qu’est-ce qu’un catholique? Pour 15% des 3000 jeunes catholiques de 16 à 30 ans interrogés par la Croix (édition de ce weekend) et le Service national pour l’évangélisation des jeunes et pour les vocations, c’est d’abord quelqu’un «qui prie, qui pense à Dieu» et qui «a été baptisé». La messe est «essentielle» pour 59% d’entre eux, «très importante» pour 18%. Ces jeunes attendent

d’abord de l’Eglise qu’elle promeuve la place de la spiritualité dans la société (pour 47%) et défende davantage la vie (44%). Pour 70% d’entre eux, l’engagement dans la société est très important. 55% affirment s’investir dans une action de solidarité: secteur associatif (66%), soutien financier (44%), services ponctuels (27%), syndicat ou parti (8%).

«La question de la visibilité se pose, certainement parce que l’Eglise a moins pignon sur rue qu’autrefois et que son impact sur la société est moins important.» Jean-Pierre Ricard archevêque

«Les chrétiens devraient rendre visible au monde le Dieu vivant, en témoigner et conduire à lui.» Benoît XVI lors de la messe du Jeudi saint qui commémore le dernier repas du Christ avec ses apôtres


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EVENEMENT

entend des questions inouïes, dites avec une grande liberté, sans tabous. Qu’est-ce que les catholiques ont à dire au monde d’aujourd’hui? Le fait d’être minoritaires nous a libérés du complexe d’avoir été trop puissants, trop liberticides. Aujourd’hui, le catholicisme n’est plus perçu comme une religion dangereuse. On est dans un autre temps, dans un monde où les croyants qui se reconnaissent croyants et les incroyants qui se reconnaissent comme incroyants peuvent débattre du fond. Il y a chez les chrétiens la prise de conscience que l’on peut dialoguer sans perdre son âme avec des gens avec lesquels on n’est pas d’accord sur l’essentiel. En même temps, notre civilisation est face à des enjeux de société inédits, et si les catholiques sont capables de parler un langage, pas seulement de témoignage, mais d’humanisme et de raison, ils peuvent être entendus sur des questions graves comme le sort de la planète, l’Europe et le monde. Les catholiques ont-ils le désir de s’adresser au monde? Ils ont envie de laisser leurs convictions sortir de la sacristie. On adopte peu à peu une position où l’on est à la fois enracinés et ouverts. Les deux ne sont pas contradictoires. Cela nous donne de la liberté pour agir et rencontrer le monde comme il est. En même temps, cela nous donne une responsabilité. Nous ne sommes plus dans une phase d’évangélisation de masse, mais d’inculturation. Notre comportement doit être en cohérence avec la foi que nous proclamons. Avec ce retour dans l’espace public, avez-vous l’espoir de reconquérir les âmes? On ne reviendra jamais à une situation de foi massive. L’individualisation vue par Marcel Gauchet est quelque chose de très vrai. Aujourd’hui, les parcours sont individuels. Le risque est un renforcement des identités ou des comportements identitaires alors que l’identité de chacun est plurielle. Comment analysez-vous les «coming out cathos» de personnalités comme Olivier Py? La foi fait partie des choses intimes que l’on arrive mieux à dire aujourd’hui qu’il y a une vingtaine d’années, parce qu’on se respecte plus les uns et les autres, et qu’il y a un besoin de sens. Même les non-croyants sont prêts à reconnaître une sorte de dette envers les grandes traditions. Et le catholicisme en est quand même une, et pas seulement un truc vieillissant et dépassé. Si vous «googlisez» le mot «espoir», c’est très intéressant: vous arrivez sur des congrès de médecins et rien d’autre. Si vous «googlisez» le mot «espérance», vous arrivez sur des sites catholiques – à part «espérance de vie» qui renvoie plutôt à des sites médicaux–, comme si notre société avait du mal avec ce mot. L’espérance est-il un concept qui ne concerne que les catholiques ? Sans doute, sinon d’autres qu’eux emploieraient ce mot. Or, la santé du corps, c’est super, mais il va bien falloir mourir un jour. Notre visibilité a aussi pour finalité de rendre compte de cette espérance, si ce mot a encore un sens. Recueilli par CATHERINE COROLLER

Despersonnalitésracontentleur

SEBASTIEN CALVET

A. ULF. SIPA

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ALINA REYES auteure de romans érotiques, OLIVIER PY metteur en scène, a révélé

a fait son coming out il y a trois ans:

sa conviction il y a quatre ans:

«Auprès de ma famille, je passe un peu pour une folle»

«Ça m’a coûté très cher, personne n’y croyait»

«J

e suis issue d’une famille complètement athée, communiste, anticléricale, où l’on n’évoquait pas du tout la religion. Alors, quand mes proches ont appris que j’étais catholique il y a environ trois ans, ils l’ont mal pris. Cela peut paraître surprenant, mais mes écrits érotiques passaient beaucoup mieux auprès de ma famille que le fait que je croie en Dieu. C’était véritablement aussi violent qu’un coming out. Depuis, on n’en parle plus, je passe un peu pour folle. «Dieu c’est le tabou par excellence. La religion touche les gens au plus profond. Quand elle fait son apparition dans des films, comme Des hommes et des dieux, ou dans des livres, elle apparaît comme une belle image, lointaine. Dès qu’elle est ré-

vélée par des proches, le tiraillement entre désir et répulsion devient très fort. Du coup, je parle plutôt de la religion dans mes livres ou sur mon blog. «La religion, comme la sexualité auparavant, me permet de nourrir des idéaux d’une vie autre. Cela vient peut-être de mon côté militant, combattant. Je garde un idéal de justice, d’un monde changé. La religion est un moyen de faire évoluer les choses. Mais elle a aussi besoin d’évoluer, en phase avec la société. Au fond, je voudrais lutter contre l’image néfaste que peut avoir la religion catholique, comme bien d’autres. Et tous les malentendus qui peuvent engendrer une fracture dans la société.» Recueilli par VIRGINIE BALLET

«L

ongtemps, j’ai gardé ma foi secrète. Lors de mon arrivée à la tête du théâtre de l’Odéon en 2007, il y a parfois eu des réactions très violentes à ce coming out. Ça m’a coûté très cher, car le milieu dans lequel j’évolue est fermé au message chrétien. Dans le même temps, certains journaux ont écrit que j’étais “prétendument catho”. Personne n’y croyait, ça a choqué. On considère mon homosexualité comme un paradoxe par rapport à ma foi. Ce prétendu paradoxe, mes études de théologie m’ont permis de m’en défaire. C’est une chose difficile à faire entendre, d’autant que la religion catholique continue de souffrir d’une mauvaise image. Elle est associée à la moralité bourgeoise du XIXe siècle,

autoritaire, pudibonde. Aujourd’hui, plus que jamais, cette image est encore là, associée à l’intolérance et à l’homophobie. Peut-être que j’ai permis à certains croyants qui vivaient un déchirement, de se sentir mieux, mais je ne suis qu’une voix parmi d’autres, d’une époque, d’une génération qui affirme qu’on peut être homosexuel et catholique. «J’ai le sentiment qu’il est de plus en plus difficile d’affirmer sa foi. On donne trop la parole aux imbéciles, aux intégristes, à ceux qui attaquent les musées, les œuvres d’art en général. Je pense qu’il faut commencer par connaître ce qu’on cherche à combattre : il y a une réelle méconnaissance des religions en général.» Recueilli par V.B.


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EVENEMENT

comingoutcatholique

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Les Eglises chrétiennes se sont réunies hier dans plusieurs villes de France.

Pâques célébré dans la rue

GINIES. SIPA

R. ROIG. AFP

T

THIERRY BIZOT producteur et écrivain,

AMANDA LEAR chanteuse et comédienne,

«Parler de ma foi m’a libéré de mes angoisses»

«Dire qu’on est catho, c’est le comble de la provoc’»

a affiché son catholicisme à 44 ans:

«E

n parler m’a libéré. Jusqu’à mes 44 ans, âge où j’ai fait mon coming out catholique, je ne pouvais pas dire que j’étais un homme. J’étais un mec ou un type, et, à l’intérieur, un caniche mouillé qui tremblait de peur. J’avais des angoisses chroniques, des peurs enfantines, un manque de confiance en moi. Quand j’ai parlé de ma rencontre avec Jésus à un ami, j’ai été envahi par une émotion très forte, et lui aussi. Je me suis rendu compte qu’en parler me faisait découvrir des choses nouvelles sur ma foi et me rendait plus serein. C’était autant un processus pour moi que pour les autres. Avec le livre (1), puis le film (2), on m’a demandé de venir parler de ma foi dans les écoles, je suis devenu “le catho de service”. Il ne s’agit pas de faire

du prosélytisme, mais d’un besoin de parler de mon expérience, qui pourrait en aider d’autres. Car il y a une véritable attente, les gens se posent des questions et sont soulagés de voir des personnes en parler. C’est vrai qu’il y a un tabou à avouer qu’on est catholique. Et souvent, les cathos qui s’expriment publiquement sont les plus militants, les plus conservateurs, voire les extrémistes. Du coup, l’image qu’ils renvoient suscite la peur chez les autres croyants. Peur d’une image ringarde, d’être critiqués. Et puis tout cela touche à l’intime. Moi, je me sens libre, aimé de manière indéfectible.» Recueilli par V.B.

(1) Catholique anonyme, éditions du Seuil, 2008. (2) Qui a envie d’être aimé? d’Anne Giafferi, sorti le 9 février.

n’a jamais cherché à dissimuler sa foi:

«A

ffirmer “oui, je suis catho” est bien plus provocateur à mes yeux que des œuvres blasphématoires comme ce Piss Christ, cette création d’Andres Serrano qui représente un crucifix trempé dans l’urine. C’est d’autant plus vrai dans la société actuelle, où tout le monde cherche à provoquer. «En ce qui me concerne, je n’ai pas fait à proprement parler de coming out, car je n’ai jamais vraiment cherché à dissimuler quoi que ce soit. Il y a une certaine pudeur à admettre sa foi catholique, comme une marque de faiblesse. Probablement à cause de toutes ces interdictions : pas de viande le vendredi, pas de baise hors mariage, pas de capotes… Et puis, il y a parfois un fanatisme insupportable. Peut-être que

l’on parle plus de notre foi quand on traverse une période difficile. «Certaines personnes m’ont accusée de vouloir me faire de la pub et ont moqué cette foi contraire à mon côté femme fatale, glamour. Mais cette image publique liée à mon métier ne m’empêche pas de prier au volant, dans ma loge au théâtre, en peignant… Cela me donne le courage de continuer, de lutter, de tenir le coup face aux épreuves. A l’inverse, d’autres semblent se reconnaître dans ce que je dis, dans mon admiration pour sainte Rita, la sainte des petites gens. D’une certaine manière, je transmets un message de tolérance. Je vais parfois à l’église à Pigalle. Les filles qui font le trottoir y prient, elles aussi.» Recueilli par V.B.

ous dans la rue, sans croix, ni autel. Ce week-end, coïncidence du calendrier aidant, les Eglises catholique, protestante et orthodoxe ont célébré Pâques ensemble. «Un rassemblement œcuménique et festif», organisé dans une dizaine de villes de France. Au fond, une envie de visibilité. «Au même titre qu’une manifestation civile, la composante religieuse exprime qu’elle est là, sans tapage, analyse Mgr Bernard Podvin, porteparole de la Conférence des évêques de France. Ces rendez-vous sont liés au besoin des catholiques d’être moins complexés.» Hier, la place Royale de Nantes (Loire-Atlantique) a vibré aux sons des chants gospel et d’un message d’espérance, lu par les trois représentants des Eglises chrétiennes, oubliant les différends de l’histoire. Samedi, en plein centre-ville d’Orléans (Loiret), quelque 150 personnes se sont allongées à même le sol puis relevées pour un flashmob symbolisant la résurrection du Christ. D’autres rassemblements ont eu lieu, comme sur les bords des lacs d’Enghien (Val-d’Oise) et d’Annecy (Haute-Savoie). «L’idée était aussi d’interpeller. Nous pensons que dans une société laïque, il doit y avoir la liberté pour chacun de dire ses convictions sans que cela ne représente une menace», explique le pasteur Guillaume de Clermont, de l’Eglise réformée d’Orléans. A Nantes, où Claude Guéant s’était attaqué aux prières de rue au début du mois, le pasteur Caroline Schrumpf regrette seulement que ce débat «parasite» un événement prévu déjà depuis un an. Une célébration inspirée par celle de La Défense, près de Paris l’année dernière, qui avait alors rassemblé 5 000 chrétiens pour la fête de Pâques. JULIE URBACH


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EVENEMENT

A l’occasion du rassemblement de l’UOIF, des musulmans témoignent des difficultés qu’ils rencontrent.

L’islam pas en odeur de sainteté D

e son jilbeb, ce long voile anthracite qui l’enveloppe de la tête aux pieds, n’émerge que son visage souriant. En ce samedi matin, ça n’est pas encore la cohue au parc des expositions du Bourget, près de Paris, qui accueille (jusqu’à ce lundi midi) la 28e édition du rassemblement de l’Union des organisations islamiques de France (UOIF). La jeune femme quitte une minute le stand d’Ariij, petite entreprise familiale de prêt-à-porter musulman, pour discuter. La semaine, elle est chargée des relations clientèle chez le principal groupe énergétique français. «Je porte un pantalon large et une tunique, j’enlève mon foulard sur le parking, et je mets un petit bandana.» Elle travaille dans un environnement mixte mais ne serre pas la main à ses collègues hommes, ni ne leur fait la bise. La patronne d’Ariij dit son âge, 38 ans, mais pas son prénom ni son nom. Elle est Française, mais se «sent mal» dans ce pays où sa religion lui semble montrée du doigt. Elle n’exclut pas de porter, un jour, le niqab. Pas ici, mais «dans un pays où il y a la charia [loi islamique, ndlr]». «En France, on prend le parti d’être discrètes.» Châle. Hizia, 29 ans, fonctionnaire à la Sorbonne, d’origine algérienne, flanquée de sa mère, feuillette un livre. Elle arbore (pour l’occasion) un châle violet noué à la manière touareg, autour de la tête. Elle aussi se sent «agressée par ce débat sur la laïcité centrée autour des musulmans» : «Nous sommes une famille réservée, nous pratiquons notre religion tout en

Samedi, au Bourget. PHOTO JEAN-MICHEL SICOT

respectant les règles de la République. Mon arrière-grandpère a fait la guerre 14-18, mon grand-père 39-45. Je ne vois pas pourquoi je devrais m’intégrer : je suis française, algérienne et musulmane.» Bayan est française, d’origine syrienne. A 21 ans, en troisième année de chirurgie dentaire, elle est présidente de la branche lilloise de l’association des Etudiants musulmans de France. «J’ai commencé à porter le hijab en fac, par envie. On ne m’a rien imposé. Je ne me suis jamais posé la question de savoir si j’étais ou pas intégrée.» La loi du 15 mars 2004 interdisant le port des signes religieux à l’école a été un déclic : «Je pense qu’il faut laisser les gens

HORS-SÉRIE

D MITTERRAN

UNE VIE MAI 2011 LIBÉRATIONINE: 7€ HORS-SÉRIE POLITA FRANCE MÉTRO

10 MAI 1981

APRÈS TRENTE ANS

s’habiller comme ils veulent. Pour être tranquille, j’ai choisi une profession libérale.» Au Bourget, toute la sociologie musulmane est représentée. Immigrés de la première génération, familles, jeunes. Bien que de nationalité fran-

précise Abdellak Eddouk, responsable de l’association gestionnaire des salles de prière de Grigny (Essonne), qui le connaît bien. En théorie, Mamadou, 27 ans, rencontré sur le stand des Jeunes musulmans de France, groupement «Quand j’ai mis le foulard, il y proche de l’intellectuel Tariq a trois ans, il y a des regards Ramadan, a qui me faisaient pleurer.» tout pour réussir. «Bac + 2 en Rania 28 ans c om mu n ic açaise, ces derniers racontent tion et trois ans d’expérience des parcours professionnels comme chef de projet» dans compliqués. Hilel, 29 ans, bac une agence de pub de pro compta, est chauffeur li- La Courneuve (Seine-Saintvreur après deux ans et demi Denis) dont la vocation est de de chômage. Il porte la barbe donner aux jeunes diplômés des musulmans pratiquants, la première expérience promais «pas depuis longtemps», fessionnelle qui leur fait dé-

faut. Les juniors sont censés n’y rester que deux ans. «Mais ça fait un an que je cherche du boulot et que je ne trouve pas.» Explication ? «Dans la pub, la palette de couleur unique est le blanc.» Pour ces jeunes, l’insertion dans le monde du travail est compliquée. L’obstacle, pour les filles, est le voile. Après un bac secrétariat, Rania, 28 ans, a «galéré» trois ans avant de trouver un job. «A chaque rendez-vous à Pôle Emploi, la conseillère me proposait un boulot. J’appelais, et je demandais si on m’accepterait avec mon foulard. On me répondait “non” et je laissais tomber. Là, je n’ai rien demandé, j’y suis allée.» De prime abord, elle trouve que

le patron de ce bureau d’études médicales a «l’air raciste». «En fait, il est adorable, ouvert, compréhensif.» Elle est française (d’origine algérienne), se considère comme une citoyenne comme une autre, mais estime qu’en tant que musulmane d’origine maghrébine elle «ne sera jamais considérée comme une Française comme les autres». «Quand j’ai mis le foulard, il y a trois ans, il y a des regards qui me faisaient pleurer», dit-elle. Elle aussi envisage dans l’avenir de porter le jilbeb. De tous les jeunes rencontrés, aucun ne votera pour l’UMP. «Je ne me vois pas voter pour Sarkozy ni pour un parti qui divise les Français en les montant les uns contre les autres», prévient Mamadou. Plainte. Mounir Diari, 35 ans, votera «ouvrier». Il est né à Soufflenheim (BasRhin), se dit «alsacien et fier de l’être». Cela ne l’a pas empêché d’être l’objet d’une discrimination qu’il n’a toujours pas digérée, quinze ans après. «Avec des amis, j’ai voulu fêter mon BEP [Equipements techniques et énergie, ndlr] à Haguenau. On m’a refusé un café en me disant “club privé”.» Il a déposé plainte et gagné. A cause d’une histoire familiale «pas grave» dont il ne souhaite pas parler, il a fait un an et demi de prison. Après sa sortie, il a créé l’association J’veux m’en sortir. Il a la rage. Mais aussi «un bon métier»: il travaille comme installateur sanitaire, en France et en Allemagne, comme beaucoup de frontaliers. CATHERINE COROLLER et FATIMA RIZKI

VENDREDI 6 MAI

C’est l’histoire d’une génération qui rêvait d’une autre politique. L’histoire d’un homme qui voyait aboutir le combat d’une vie. Et l’histoire d’un journal renaissant après des mois de crise. Trente ans après, Libération s’est replongé dans ses archives et a sélectionné éditos, grands reportages et unes emblématiques pour dessiner les multiples visages de ce président tacticien, homme d’Etat, bâtisseur, manipulateur… Le roman d’une vie, maîtrisée de bout en bout pour la postérité. HORS-SÉRIE EN VENTE EN KIOSQUE 164 PAGES-7€


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