Quelle est la conception juive de l’étranger ?

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Collège des Bernardins, Séminaire sur l’Altérité

Département Judaïsme et Christianisme

Séance du 10 février 2011 Intervenant et compte rendu : David Banon

Sujet de la séance (1ère partie) :

Ger, nokhri, zar : l'étranger dans la tradition juive Quelle est la conception juive de l'étranger ? Quel est le jugement que la tradition juive porte sur quelqu'un qui vit en dehors, de l'autre côté ou en marge de la communauté d'Israël ? Que pense un Juif d'un non-­‐Juif qui vit dans sa proximité ? Il semble que la Bible et les corpus de la tradition rabbinique aient été très attentifs à cette tension entre la condition de l'humain et l'incondition d'étranger. Dans la Bible, l'étranger se décline sous plusieurs appellations : ger, nokhri et zar. Dans le contexte biblique, ger et nokhri indiquent une situation juridique et géographique, tandis que zar relève du domaine exclusif des considérations spirituelles et religieuses. Autrement dit les deux premiers termes ont une application sociale et politique tandis que le troisième suggère le religieux. Zar désigne ce qui est étranger au point d'apparaître radicalement hétérogène, incompatible : ainsi la avoda zara désigne l’idolâtrie, la liturgie et le rite sans aucun lien avec la avodat haqodesh : le service saint. C'est très précisément un service étranger. Avoda zara est le fait, pour un juif, de se détourner de son propre enseignement pour glisser vers un dévoiement de la finalité de l'ensemble des commandements. Ces trois notions subissent des transformations notables dans la littérature talmudique. Le ger vit parmi le peuple d'Israël : en terre juive, dans un environnement juif et une ambiance juive. Il n'a pas embrassé la foi juive, mais il se conforme à certaines coutumes et respecte certaines valeurs. Le nokhri, en revanche, c'est un ger qui tient à demeurer différent, séparé, replié sur lu imême.

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Alors que le ger s'adapte et va même jusqu'à s'intégrer librement, le nokhri se veut étranger. Il n'est pas hostile, comme le zar, mais il ne se sent pas partie prenante de la société et il tient à ce que cela se sache. En résumé, ger et nokhri désignent également l'étranger mais en tant qu'objet des sollicitudes de la Torah. Celle-­‐ci se montre, en revanche, extrêmement sévère envers le zar, faisant même preuve d'agressivité à son encontre car le terme zar ne s'applique qu'au Juif qui se livre à un culte étranger. C'est le juif qui décide de se rendre étranger à lui-­‐ même et à ses coreligionnaires. Il sera ici question du ger et plus particulièrement du ger toshav de l'étranger-­‐résidant, différent du ger tsédèq, du converti de justice ou à la justice. C'est donc un individu qui se trouve en voie d'intégration culturelle à la suite d'une résidence prolongée dans le pays d'Israël. Son statut social se situe, de ce fait, entre celui du citoyen désigné indifféremment par le vocable ezrah' ou ah' et celui de l'étranger appelé nokhri ou ben nékhar (de la racine noun, kaf, rèch : aliéné, attaché à son Dieu, à sa culture) Le ger toshav Ce qui caractérise le ger, l'étranger de la Bible, et partant tout étranger en tout temps et en tout lieu, c'est qu'il est démuni. L'étranger est un indigent, sans ressources, manquant des choses les plus nécessaires à la vie. Sans aide donc, il ne saurait subsister. C'est pourquoi la Bible insiste sur le devoir de venir en aide à l'étranger en lui donnant du pain à manger et un vêtement pour se couvrir (Gn 28,20), et en « ne le laissant pas dormir dehors » (Job 31,32). Cette aide est, en fait, calquée sur une imitation de Dieu qui témoigne de « son amour pour l'étranger, en lui assurant le pain et le vêtement » (Dt 10,18). Mais cet élan de solidarité ne doit pas s'exprimer ponctuellement et une fois pour toutes. Il est recommandé de l'insérer dans le tissu économique et professionnel et, partant, de lui accorder le repos shabbatique (Ex 20, 9-­‐10) Toutefois, étant donné qu'il manquait du strict nécessaire, l'étranger constituait une main d’œuvre facilement exploitable. Et le roi David ne s'en est pas privé. « Il ordonna de grouper les étrangers établis dans le pays d'Israël et en fit des carriers pour extraire des pierres de taille en vue de la construction de la maison de Dieu. » (1Chr 22, 1).

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Le Talmud enseigne par la bouche de Rabbi Eliézer le grand « Par trente-­‐six fois la Torah nous met en garde à propos de l'étranger – d'autres disent par quarante-­‐six fois. ». Maïmonide dans son Code établit que Dieu a prescrit l'amour de l'étranger comme Il a prescrit de L'aimer Lui-­‐même 1 . Il convient de souligner ici qu'il ne s'agit pas d'un amour-­‐sentiment, d'affection ou de concupiscence mais d'un amour-­‐obligation, c'est-­‐à-­‐dire de responsabilité vis-­‐à-­‐vis de l'étranger. D'avoir souci de lui. De prendre en charge un tant soit peu de son dénuement. De partager son pain avec lui. C'est un amour-­‐responsabilité. Le prophète Ezéchiel a instauré en faveur de l’étranger un véritable droit de la citoyenneté, un droit à la naturalisation. En évoquant, en diaspora, le partage de la terre entre les tribus, lors de la Rédemption, il déclare « Et vous aurez à attribuer en héritage à vous et aux étrangers séjournant parmi vous, qui auront engendré des enfants parmi vous. Ils seront, pour vous, comme le citoyen autochtone parmi les enfants d'Israël ; avec vous, ils participeront à l'héritage au milieu des tribus d'Israël. Et ce sera dans la tribu même où l'étranger sera domicilié que vous lui donnerez sa part d'héritage, dit YHVH Dieu.» (Ez 47,22-­‐23). Le noachide Si la naturalisation évoquée par Ezéchiel octroie des droits à l’étranger, elle requiert des devoirs, notamment le fait de délaisser l'idolâtrie et d'appliquer les sept lois noachides. Comment se présentent-­‐elles ? Un commandement positif et six autres négatifs : _ « L'obligation d'édicter des lois/dinim ou selon une autre lecture d'établir des

cours de justice, de nommer des magistrats/dayanim [pour arbitrer les conflits surgissant dans la société entre les personnes].

_ L'interdiction du blasphème, de l'idolâtrie, de l'inceste, du meurtre, du brigandage et de la consommation d'un membre retranché d'un animal vivant2.»

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« Règles des moeurs 6, 3 et 4 » Car Dieu « rend justice à la veuve et à l'orphelin et il aime l'étranger au point

de lui donner pain et vêtement » (Dt 10,18) 2

Sanhédrin 56 b

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C'est une sorte de législation minimale à laquelle doit accepter de se soumettre l’étranger résidant au milieu des enfants d’Israël. Cette législation est nécessaire et indispensable à la préservation de l'état de droit et à la possibilité du vivre ensemble. Le noachide n'est pas croyant mais citoyen de l'Etat. Il n'est pas obligatoire de l'associer à la communauté religieuse pour qu'il fasse partie de la communauté civile.

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Intervenant et compte rendu : Rafic Nahra

Sujet de la séance (2ème partie) :

Le rapport du Juif au non-­‐Juif D’après Yaïr Zakovitch3, aucune occurrence du mot ger dans la Bible juive ne se rapporte à ce qu’on appelle dans le langage postbiblique ger tsédèq (terme désignant le non-­‐juif qui s’est converti au judaïsme). Lorsque la Bible parle de ger, c’est d’ordinaire pour définir le statut social et juridique de l’étranger vivant au milieu des enfants d’Israël, sans se référer à son identité religieuse. Une seule occurrence fait exception, à savoir Ex 12,48-­‐49, où la dimension religieuse est évoquée de façon indirecte, puisque la participation du ger à la Pâque juive est conditionnée par la circoncision de tous les mâles de sa famille. Dans la littérature talmudique, on distingue clairement entre ger toshav (étranger résident) et ger tsédèq (converti de justice). L’évolution sémantique du terme ger vint de ce que la situation du peuple juif a changé radicalement, surtout après la destruction du Temple. N’étant plus souverains, la notion classique de ger devenait moins pertinente – sinon comme un sujet d’étude – puisque les Juifs même ceux qui demeurèrent sur leur propre terre, se trouvaient désormais sous domination étrangère. Nous avons abordé la question de savoir s’il y avait une forme de prosélytisme juif au début de l’ère chrétienne, tel que Mt 23,15 le laisse entendre. Cette question divise les chercheurs. Marcel Simon4 (Verus Israel, p. 482-­‐488) croit à l’existence d’une certaine forme de prosélytisme juif à l’époque du NT, même s’il n’y avait pas de plan missionnaire bien organisé. 3

Yair Zakovitch est professeur de Bible à l'Université hébraïque et doyen de la Faculté des sciences humaines de

Jérusalem. 4

Marcel Simon (1907-­‐1986) était historien des religions ; spécialiste des relations entre le christianisme et le

judaïsme dans le christianisme primitif.

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La tradition rabbinique affirme que quelques uns de ses anciens Maîtres étaient des convertis ou issus de convertis, comme Chemayah et Avtalyon (Gittin 57b), R. Akiva (Berakhot 27b, et Rambam), Onqelos. Rapport au converti (Ger tsédèq) Deux figures bibliques non Juives qui, d’après la tradition juive, se seraient converties au Judaïsme sont : Jéthro et Ruth. Ruth est quelque peu semblable à Abraham par le fait qu’elle a quitté père et mère et patrie pour partir vers un peuple qu’elle ne connaissait pas (Rt 2,11), sachant qu’Abraham est considéré comme le premier des gerim ( ‫ תחילה‬ ‫ לגרים‬ ) (Sukka 49b). Le Talmud babylonien (Yevamot 46a-­‐47b) décrit sa démarche de conversion à partir des versets bibliques Rt 1,16-­‐18, et ces mêmes pages du Talmud décrivent les étapes de la conversion au judaïsme au cours des premiers siècles de l’ère chrétienne. La transformation de Jéthro, beau-­‐père de Moïse, en ger traduit probablement la volonté de montrer que l’épouse de Moïse, une madianite5 qu’il avait légitimement épousée avant le don de la Loi, était devenue elle-­‐même giyyoret (s’était convertie) après le don de la Loi. Concernant l’intégration du ger tsédèq, après sa conversion, au sein de la communauté d’Israël: certains textes (targ. Yon. Ex 12,48 ; Mekhilta) assimilent entièrement le ger au Juif de naissance, alors que d’autres textes sont beaucoup plus réticents. Rapport à l’autre qui n’est ni Juif ni ger On distingue entre fils de Noé (qui observent les sept commandements noachiques, dont fait partie l’interdiction de l’idolâtrie) et idolâtres : -­‐ En ce qui concerne les fils de Noé, se référer au résumé de la conférence de David Banon (en précisant que, d’après le Maïmonide, les fils de Noé ont part au monde à venir). -­‐ En ce qui concerne les idolâtres, La tradition rabbinique, dans le prolongement de la tradition biblique vétérotestamentaire, crée une barrière vis-­‐à-­‐vis d’eux pour empêcher 5

Médianite : relatif à la tribu descendant de Madian évoquée dans la Bible et le Coran, installée à l'Est du

Jourdain, entre la mer Morte et la péninsule du Sinaï.

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toute contamination idolâtrique. Toutefois, les Maîtres ne se considèrent pas investis de la mission de détruite les traces de l’idolâtrie dans le monde. Dans la Mishna, il n’y a aucun commandement de détruire les lieux des cultes païens. On explique que, de toute manière, il n’y a pas moyen d’extirper l’idolâtrie de ce monde (Mishna Avoda Zara 4,7). Au lieu de détruire les lieux de culte païens, il suffit d’en détourner les yeux. Concernant le rapport aux chrétiens, la position de la tradition juive n’est pas uniforme. En France, particulièrement à partir du Moyen-­‐âge (Méïri, les tossafistes), les chrétiens sont considérés comme des fils de Noé.

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