Quelle mission pour l’école du XXIème siècle ?

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Mardi des Bernardins 15mars 2011

Quelle mission pour l’école du XXIème siècle ? L’école républicaine a longtemps fonctionné autour de trois piliers : la transmission du savoir (et notamment la culture générale), l’intégration des nouveaux venus dans la communauté de citoyens et l’égalité des chances. Aujourd’hui, de nouvelles demandes sont adressées conjointement à l’école comme le bien-être des élèves, le libre-choix des familles, la reconnaissance des différences ou la préparation à la vie professionnelle. Parmi ces multiples valeurs, lesquelles choisir pour construire un nouveau projet éducatif ? Le désarroi actuel de l’école est aussi la possibilité d’une audace. Quelle mission voulons-nous donner à notre système éducatif national ? Pour répondre à cette question, Christian de Cacqueray donne la parole à trois intervenants : 

Le Père Jacques de Longeaux est théologien et co-directeur du département « Sociétés humaines et responsabilités éducatives » du Collège des Bernardins. Il a publié Des Héritiers sans testament.

Anne Coffinier, normalienne et énarque, est fondatrice et directrice de la Fondation pour l’école. Elle dirige également l’association « Créer son école » qui soutient la création d’écoles hors-contrat.

Alain Bentolila est professeur de linguistique à l’université Paris-Descartes, conseiller scientifique de l’Agence nationale de lutte contre l’illettrisme et de l’observatoire national de la lecture. Il est auteur de Tout sur l’école, Urgence école, Le verbe contre la barbarie et de Parle à ceux que tu n’aimes pas.

Avant de débattre de la mission de l’école aujourd’hui et dans les années à venir, Christian de Cacqueray pose les deux grands axes historiques de l’éducation nationale : le XIXème siècle fut le siècle de l’édification de l’école de la république, tandis que le XXème a visé sa démocratisation dans la société. Mais selon Alain Bentolila, mieux vaut parler de « massification », suite à la levée de l’examen de sixième qui a ouvert les portes des études secondaires à tous les jeunes. La « démocratisation » de l’école fut, elle, partiellement ratée : la réussite au baccalauréat n’est plus un gage d’excellence, le niveau des élèves ayant considérablement baissé. Anne Coffinier s’alarme davantage de cette situation, qu’elle juge « catastrophique », puisqu’aujourd’hui un enfant sur cinq ne parvient pas à s’exprimer correctement. Comment expliquer un tel changement par rapport aux générations précédentes ? Pour le Père de Longeaux, il ne faut pas sous-estimer l’impact culturel des grands drames du XXème siècle : après les deux guerres mondiales, on observe une profonde disqualification de la génération antérieure et de ses modèles d’autorité. Après un certain laxisme, il faut aujourd’hui parvenir à concilier le développement de l’enfant et l’autorité du professeur : l’élève doit comprendre que cette autorité est à son service afin qu’il construise sa vie en acquérant des connaissances. La « mort de l’autorité » des enseignants s’ancre dans un changement d’attitude vis-à-vis de l’enfant : « on a voulu faire de l’enfant un adulte », regrette Anne Coffinier. Or, l’enfant est un être en devenir qui a besoin d’être éduqué. Il n’est pas l’égal de l’adulte, qui doit être un guide délicat sur le chemin de l’éducation, dans le processus d’humanisation de l’enfant. Quel est donc la bonne attitude du maître vis-à-vis de l’enfant ? Alain Bentolila explique que celui qui guide doit être « sincère » afin de faire progresser l’enfant. En outre, il doit « avoir de l’ambition » pour son élève, afin de l’affranchir de lui-même : « le mot fondamental, c’est : je veux avoir de l’ambition pour toi ». Enfin, le maître doit donner le sens de l’enseignement à l’enfant : « Le grand problème, c’est que l’enfant ne sait pas pourquoi il doit apprendre. Et s’il ne sait pas pourquoi il doit apprendre, pourquoi


voulez-vous qu’il apprenne ? », s’exclame Alain Bentolila. Anne Coffinier ajoute que le maître est aussi celui qui fait grandir et qui sert d’exemple : son rôle d’exemplarité et de témoignage est essentiel. « Le maître enseigne par ce qu’il est autant que par ce qu’il dit et ce qu’il fait. » Dans leurs propos, les intervenants mêlent enseignement et éducation. Mais est-ce le rôle de l’école que « d’éduquer » ? Le père Jacques de Longeaux rappelle que, pour l’Église, « la responsabilité première de l’éducation d’un enfant revient à la famille » : c’est d’abord la famille qui doit expliquer à l’enfant le sens de la vie et qui doit lui transmettre des valeurs, qu’elles soient morales, esthétiques, etc. Mais les ruptures familiales de plus en plus fréquentes sont une véritable difficulté dans l’éducation des jeunes. Si la famille a un rôle fondamental, notamment dans l’éducation affective et sexuelle, la société et l’école défendent aussi un tronc commun de valeurs, basé sur le respect de la dignité humaine. Pour Alain Bentolila, l’école a avant tout la mission de développer la « probité intellectuelle » : elle doit éduquer la liberté de penser et le respect de la pensée d’autrui. Pourtant, l’éducation nationale, d’après Anne Coffinier, manque souvent à ses devoirs, voire pratique une « anti-éducation » en cherchant à émanciper l’enfant par rapport aux « préjugés familiaux » ou en infantilisant les professeurs, soumis à des circulaires, des programmes et des inspections. Pour éduquer, le professeur doit être libre et responsable. L’école doit également servir la cohésion sociale, en permettant aux jeunes qui ne se ressemblent pas de se côtoyer et en luttant contre le communautarisme. « L’école essaye de garantir cette capacité de ne pas se choisir », résume Alain Bentolila. Pourtant, doit subsister pour les parents la liberté de choix de l’école, même pour les personnes à faible revenu. Une liberté qui n’est malheureusement pas financée par l’État, comme le regrette Anne Coffinier. Cette ancienne diplomate a justement créé la « Fondation pour l’école » pour récolter des fonds, afin que le prix des écoles indépendantes, où le directeur gère luimême la cohésion de son établissement et décide des méthodes d’enseignement, soit le plus accessible possible. La question de ces écoles hors-contrat provoque une vive réaction d’Alain Bentolila : multiplier les écoles « entre soi » ne facilite pas la cohésion sociale. Le combat est à mener au sein de l’éducation nationale pour améliorer ses méthodes et servir les millions d’enfants qui en dépendent. Mais les écoles indépendantes, pour Anne Coffinier, permettent de poser des questions : comment sortir de ce blocage ? Quelle est la solution la plus efficace pour pousser le système à se réformer ? Pour elle, il faut avant tout éviter que les enfants soient « massacrés par l’école publique ». Une remarque qui soulèvera le débat avec la salle, une fois l’émission terminée. En guise de conclusion, comment résumer la mission de l’école du XXIème siècle ? Le Père de Longeaux relève plusieurs points importants : toute la société doit servir l’éducation, tandis que l’école doit renforcer la cohésion sociale, notamment autour de l’unité de programme. La personne humaine doit être éduquée pour construire ses relations et comprendre que travailler, c’est différer un plaisir immédiat pour un plaisir plus lointain et plus grand. Selon Anne Coffinier, la mission de l’école est « d’aider l’enfant à devenir ce qu’il est, par la transmission des savoirs, par l’ancrage dans une tradition ». Les éducateurs doivent être responsables en s’engageant personnellement et en répondant aux élèves. Pour respecter leur liberté, le cadre idéal reste, pour elle, les structures libres. Enfin, l’éducation repose sur le travail commun des professeurs et des parents, à qui il faut donner davantage de moyens. Alain Bentolila résume la mission de l’école en une phrase : « l’école doit former des résistants intellectuels » qui sachent affronter un monde difficile.


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