Mardi des Bernardins 17 mai 2011
Les religions, l’homme et la femme II. Sacerdoce et célibat Les religions s’interrogent depuis toujours sur l’être humain et sa place dans l’univers. Elles nous proposent des regards multiples sur l’homme et la femme, sur leur rôle dans la société et leur nature profonde. Au-delà des différences culturelles qui ont influencé les religions, qu’est-ce qui est propre à l’homme et à la femme, et qu’est-ce qui leur est commun ? Quelle est la place de l’homme et de la femme dans chaque religion et leur rôle dans la société ? Cette table ronde s’inscrit dans le cycle « Les religions, la femme et l’homme », décliné en trois dates : I. 29 mars : De la sexualité II. 17 mai : Sacerdoce et célibat III. 7 juin : La famille Catherine Escrive accueille, pour la deuxième table ronde de ce cycle, trois intervenants :
Rabbin Haïm Nisenbaum, vice-président du Consistoire de Paris, porte-parole du Beth Loubavitch de Paris, membre du Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF) et responsable des émissions religieuses sur radio J
Père Michel Guéguen, Supérieur du séminaire de Paris depuis 2006, enseignant à la Faculté NotreDame et aux cours publics du Collège des Bernardins
Dominique Trotignon, directeur de l’université bouddhique européenne depuis 2003, spécialiste du bouddhisme ancien et de l’école du Theravâda, bouddhiste pratiquant
La deuxième table ronde du cycle « Les religions, l’homme et la femme », accueille trois témoins de religions différentes – le judaïsme, le christianisme et le bouddhisme – afin de saisir leur vision du lien entre sacerdoce et célibat. Sacerdoce et célibat dans le catholicisme, le judaïsme et le bouddhisme La question du célibat des prêtres catholiques fait aujourd’hui débat. Pourtant, depuis toujours dans l’Église latine, comme le rappelle le Père Michel Guéguen, le choix du célibat s’appuie sur les Évangiles et les lettres apostoliques, suivant la volonté d’approcher le mystère de Jésus. Si le célibat ne s’imposa pas de manière immédiate et uniforme dans la réalité, il fut très tôt encouragé par les Pères de l’Église. Le premier Concile de Nicée, en 325, l’évoque déjà. Le célibat, point réfléchi à travers les siècles, fut établi comme une règle pour les clercs. S’il n’est pas répandu dans l’ensemble du monde chrétien – des prêtres sont mariés dans l’Église orientale ou orthodoxe – le célibat dans l’Église catholique est un choix spirituel répondant au sens du sacerdoce : il s’agit d’une manière d’exprimer la fonction sacerdotale du Christ, une fonction de médiation entre Dieu et les hommes. Trois points entrent alors en jeu : l’imitation du Christ, le don total de soi-même à Dieu (signification ecclésiologique) et la visée du Royaume de Dieu (signification eschatologique). La question du célibat est bien sûr abordée avec les séminaristes dans l’étude et la formation, et elle est vécue en pratique dès l’entrée au séminaire. Dans le judaïsme, la question du célibat se pose autrement. En effet, le Rabbin Haïm Nisenbaum rappelle que les rabbins ne sont pas célibataires : il est lui-même père de sept enfants. Le mariage est un
véritable choix, guidé par l’idée que tout acte humain est au service de Dieu. La Genèse rapporte que l’homme et la femme doivent « croître et multiplier ». Le mariage a un sens spirituel très fort : il trouve son modèle dans le Cantique des Cantiques, métaphore conjugale entre Dieu et le peuple juif. « Le prototype du mariage, c’est l’union mystique entre le Créateur et sa créature », explique le rabbin. Certains sages, considérés comme des cas exceptionnels, peuvent choisir de ne pas se marier afin de s’unir à la Tora, à l’étude. Mais les Juifs prônent davantage le mariage, comme « présence au monde » afin de « réaliser la demeure de Dieu dans un monde matériel ». Dans le bouddhisme, comme l’explique Dominique Trotignon, la règle générale penche vers le célibat. Il n’y a pourtant pas de vœux perpétuels : si quelqu’un ne se sent pas capable de suivre ses devoirs, mieux vaut qu’il y renonce plutôt qu’il faute. Le bouddhisme ancien est un mouvement ascétique : Bouddha quitte femme et enfant pour s’engager dans la voie spirituelle, au sein de la forêt. Dans les évolutions du bouddhisme, des communautés de disciples (bhikshus) se constituent et reviennent vers la société, tout en restant en marge : ces disciples ont une véritable vie communautaire de célibataires, contrairement aux « maîtres de maison » qui connaissent une vie familiale. Mais il est préférable de se diriger vers une vie quasi-ascétique, comme les bhikshus, ou totalement ascétiques, comme les ermites. Le bouddhisme considère qu’il y a deux niveaux de réalité : la réalité mondaine ou conventionnelle, et la réalité ultime, supramondaine. Si nous souffrons, c’est que nous prenons la réalité conventionnelle pour la réalité ultime. Il faut donc parvenir à dépasser la réalité illusoire et viser la réalité supramondaine, ce qui demande un détachement du monde. Au contraire, le bouddhisme tantrique, majoritaire en Himalaya, choisit de s’appuyer sur le monde, de le transformer, sans qu’il soit nécessaire de s’en couper pour entrer dans une vie spirituelle : des lignées laïques se développent alors dans ce courant. La fonction sacerdotale dans chaque tradition Pour les catholiques, le sacerdoce ne relève pas seulement des prêtres, mais de l’ensemble de l’Église. Le Père Michel Guéguen précise qu’il n’y a qu’un seul prêtre véritable : le Christ. Si chaque chrétien participe à la vie sacerdotale, certains, suite à l’appel de Dieu, peuvent exprimer davantage cette qualité sacerdotale en faisant de leur vie et du monde une offrande au Seigneur. Les trois charges sacerdotales sont celles du prêtre (la célébration), du prophète (la transmission) et du roi (le gouvernement). Dans l’histoire du judaïsme, il y a eu une notion de prêtres choisis par Dieu, chargés des offrandes au sein du Temple de Jérusalem : les Cohen. Les Lévites, eux, étaient chargés de chanter pendant les offrandes, dans le Temple. Mais aujourd’hui, le rabbin n’est pas prêtre. « Rabbin » signifie « maître », « enseignant » : chargé d’enseigner, il est celui qui en sait plus que les fidèles, bien que ceux-ci puissent être aussi très cultivés. Dans l’esprit de certains Juifs, il est une figure inspirée de celle du prêtre, qui peut prier, bénir et former. Mais c’est une erreur pour le rabbin Haïm Nisenbaum : le rabbin peut conseiller en tant qu’il est « plus savant », mais non en tant qu’être inspiré. Autrement dit, le Judaïsme ne connaît pas véritablement la notion de clergé. Le sacerdoce, c’est le « service de Dieu », qui concerne tout le monde, constamment. Le principe est posé que tous les Juifs doivent respecter les 613 commandements. Le sacerdoce, c’est donc chaque minute de la vie, afin de « servir Dieu de toutes les manières possibles ». Un verset dit ainsi : « Connais Dieu dans tous tes chemins ». Enfin, pour le judaïsme, tout homme a sa place dans le plan divin : il n’est pas nécessaire d’être Juif pour parvenir au Salut. « Le sacerdoce, c’est pour chaque membre de l’humanité, à son niveau, dans sa culture et dans sa vie quotidienne », précise le rabbin Haïm Nisenbaum. Le père Michel Guéguen souligne que cette notion de « peuple sacerdotal » est très proche de la pensée de l’Église latine.
Le bouddhisme est anti-ritualiste au départ. Ce sont les bhikshus qui sont spécialisés dans la transmission des textes et des exégèses. Le fondement de leur rôle est d’être un exemple d’engagement profond dans la pratique enseignée par le Bouddha, une « incitation à avancer plus loin » pour les maîtres de maison : ils sont des repères, des modèles. Théoriquement, il n’y a pas de distinction entre hommes et femmes. Mais, comme, historiquement, les conventions des pays ont été respectées, les femmes ont été mises à un rang inférieur. Dans le judaïsme, le prototype de l’homme et de la femme se retrouve dans le Cantique des Cantiques, qui souligne la spécificité et la nécessité de ces deux êtres : le rabbin Haïm Nisenbaum rappelle que le texte est à deux voix car « l’échange doit être réciproque ». Leurs missions ne sont pas identiques : l’homme, par exemple, est tenu à tous les commandements concrets, tandis que la femme, qui n’est pas obligée de se rendre à la synagogue, est chargée de l’enseignement en priorité, ainsi que d’allumer les bougies à l’entrée du Shabbat, ce qui est un acte essentiel.
Si le célibat des prêtres fait question dans la société contemporaine, c’est à cause, pour le Père Michel Guéguen, d’une certaine manifestation voire publicité de la sexualité, dont l’usage est présenté comme une dimension essentielle et nécessaire à l’épanouissement humain. Or, la sexualité n’est pas simplement de l’ordre physique : elle se retrouve aussi sur le plan psychologique et spirituel. En outre, l’engagement dans cette condition répond à un appel de Dieu, à qui on se donne totalement. Enfin, « le célibat n’est pas une privation d’amour » : il est un « charisme », un don, avant d’être une ascèse. Il rappelle que le cœur de l’Homme ne peut être pleinement comblé que par Dieu. Il s’agit d’un autre état que le mariage pour vivre la relation entre Dieu et l’humanité.