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S’ouvrir à l’Autre
ENTRETIEN AVEC ANDRÉE POULIN, AUTEURE
Par Pierre-Alexandre Bonin, responsable de la médiation et de la Sélection chez CJ
S’OUVRIR À L’AUTRE
L’auteure Andrée Poulin n’est plus à présenter. Elle a publié une soixantaine d’albums et romans pour la jeunesse, dont plusieurs ont obtenu des prix. Dans certaines de ses œuvres, elle s’intéresse à des problématiques qui nous amènent à voyager et à ouvrir nos horizons vers des réalités synonymes d’injustice. Nous avons voulu en savoir plus sur cet intérêt, marqué pour l’Autre.
Peu de gens le savent, mais avant d’écrire, Andrée Poulin a été journaliste. Un voyage en Inde pour une série de reportages a eu un impact significatif sur la suite de sa carrière. « Ça a vraiment transformé ma vie, confie-t-elle. Je me suis dit : “Ça ne se peut pas, il faut que j’aille travailler en coopération internationale”. » Et c’est ce qu’elle a fait ! Après un retour aux études, elle a obtenu un diplôme en développement international et a travaillé pendant 12 ans pour Affaires mondiales Canada. « J’ai vécu en Afrique pendant deux ans, je suis allée souvent sur le terrain, raconte-t-elle. Et ces 12 années-là m’ont vraiment ouverte à ce qui se passe ailleurs, surtout dans les pays pauvres. » Ce fut après cette expérience marquante qu’Andrée Poulin a décidé qu’il était temps pour elle de se consacrer à son rêve : l’écriture.
DES INTÉRÊTS VARIÉS
Quand on lui demande comment elle choisit les sujets d’actualité dont elle souhaite parler dans ses livres, Andrée Poulin répond sans hésiter : « Souvent, ce sont des coups de cœur. Je lis, comme tout le monde évidemment, les nouvelles qui se passent ailleurs, et je suis toujours à l’affût. » Et elle ne voit pas de difficultés à aborder des enjeux qui se déroulent dans des régions du monde éloignées de la nôtre. Comme elle l’explique avec enthousiasme, « je trouve que c’est un défi fascinant. Peut-être est-ce lié à mon passé de journaliste ? Tu prends un sujet, tu fais de la recherche, puis tu te demandes quelle est la meilleure façon de simplifier, de vulgariser et de présenter ça de façon accrocheuse et respectueuse. »
UNE SENSIBILITÉ NÉCESSAIRE
Évidemment, on ne peut pas parler de n’importe quel sujet, n’importe comment ! L’auteure précise d’ailleurs que pour elle, « le grand, grand défi, quand j’écris sur des thèmes comme les réfugiés, la vie dans un pays en guerre, la pauvreté extrême, c’est évidemment de sensibiliser, de décrire. Mais sans tomber dans le misérabilisme, le “oh mon Dieu, ils font donc pitié !” Ça, c’est un équilibre très délicat à trouver. Il faut raconter ou présenter des situations délicates et difficiles tout en le faisant avec sobriété ».
En guise d’exemple, Andrée Poulin reprend le thème central de son roman graphique Enterrer la lune (La courte échelle), qui porte sur le manque de toilettes en Inde, ainsi que de l’impact de cette situation sur la santé et la dignité des adolescentes et des femmes. « Quand tu penses, dit-elle, qu’il y a des milliards de personnes qui font leurs besoins dehors, dans les champs, comment racontes-tu ça sans que ça devienne caricatural, ou sans manquer de respect aux gens dont tu parles ? »
DES ENJEUX UNIVERSELS
Quand on demande à Andrée Poulin s’il est nécessaire de vivre la réalité pour pouvoir écrire sur certains sujets, elle s’emporte : « Pantoute ! Je pense qu’une auteure peut écrire sur des réalités très loin des siennes. Évidemment, en faisant ses devoirs, en faisant des recherches rigoureuses et sérieuses. En vérifiant et en contrevérifiant tout. » D’ailleurs, lors de la réalisation d’Enterrer la lune, la créatrice a demandé à des Indien·ne·s de lire son manuscrit. Elle a notamment appris grâce leurs commentaires que le personnage principal ne pouvait pas voler une pelle sur un chantier, puisqu’en Inde, on utilise plutôt des bêches pour creuser. Alors, à celleux qui pourraient être tenté·e·s de l’accuser d’appropriation culturelle, l’autrice répond : « C’est sûr que je ne l’ai pas vécue, cette réalité-là, mais ça ne m’empêche pas de la décrire de façon convaincante et exacte. Je trouve aussi très important de présenter à nos jeunes toutes ces réalités d’ailleurs. Ce n’est pas une auteure en Inde qui va écrire un roman sur cet enjeu-là pour des lecteur·rice·s québécois·es. »
UNE LITTÉRATURE ENGAGÉE
En plus de se demander si un·e auteur.rice peut parler d’enjeux qu’iel n’a jamais rencontrés ou vécus, on peut aussi s’interroger sur ce que les jeunes peuvent retirer d’œuvres qui présentent des problématiques éloignées de leur propre réalité. Or, selon Andrée Poulin, « Il y a la littérature miroir, dans laquelle les jeunes se retrouvent. Ça les réconforte, iels aiment ça. Et il y a la littérature fenêtre, qui ouvre les horizons, qui les amène à regarder ailleurs, plus loin que leur nombril. » Cette dernière permet, selon l’autrice, d’ouvrir des discussions avec les enfants et d’aborder des problématiques qui sont parfois plus proches de nous que nous pourrions le croire. Une chose est sûre : Andrée Poulin n’a pas fini de s’intéresser à l’actualité internationale et d’y puiser des sujets pour ses livres. Elle mentionne d’ailleurs avoir « très envie de faire un documentaire sur la faim. Il faut juste que je trouve une maison d’édition intéressée ». Gageons donc que d’ici quelques années, il y aura, sur les tablettes des librairies et des bibliothèques, un nouveau documentaire d’Andrée Poulin pour nous sensibiliser sur cet enjeu crucial.
Cinq livres pour découvrir des enjeux internationaux en compagnie d’Andrée Poulin, une autrice engagée!
ENTERRER LA LUNE
Un roman sensible et nécessaire sur une réalité trop souvent taboue.
À partir de 9 ans
MANCHOTS AU CHAUD
Un bel album pour conscientiser les enfants sur les catastrophes écologiques qui se passent à l’étranger.
À partir de 6 ans
Y’A PAS DE PLACE CHEZ NOUS
Un album déchirant mais rempli d’espoir sur une problématique encore et toujours d’actualité.
À partir de 3 ans
OÙ SONT PASSÉS LES ZIPPOPOS?
Une histoire d’amitié et d’entraide, sur fond de dépaysement et de choc culturel au Mali!
À partir de 7 ans
À LA DÉCOUVERTE DE L’ONTARIO FRANÇAIS: ABÉCÉDAIRE
Quoi de mieux qu’un abécédaire pour découvrir l’Ontario français, d’où est originaire l’autrice?
À partir de 8 ans