Anesthésie et myasthénie

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Anesthésie et myasthénie S. Lammens, B. Eymard, B. Plaud La myasthénie est une maladie auto-immune responsable d’une fatigabilité et d’une faiblesse de la musculature striée squelettique. Elle est plus fréquente chez les femmes. La myasthénie est liée à des autoanticorps dirigés contre les récepteurs post-synaptiques à l’acétylcholine entraînant un blocage de la transmission au niveau de la plaque motrice. D’autres maladies auto-immunes peuvent y être associées. Le traitement repose sur les anticholinestérasiques et les immunosuppresseurs ainsi que le respect des médicaments contre-indiqués pouvant aggraver les symptômes. Les poussées aiguës peuvent nécessiter le recours aux immunoglobulines intraveineuses ou des plasmaphérèses. Le thymus serait à l’origine du déclenchement et de l’entretien de l’auto-immunisation dans la myasthénie. Le recours à l’anesthésie peut ainsi s’effectuer dans le cadre spécifique d’une thymectomie mais également pour une chirurgie en urgence ou bien un acte d’obstétrique. La prise en charge périopératoire, pluridisciplinaire, nécessite une évaluation préopératoire tenant compte notamment de la gravité basée sur des scores cliniques (score musculaire fonctionnel de la myasthénie notamment), modifie les schémas d’utilisation des agents anesthésiques (curares notamment), impose une surveillance postopératoire en unité de surveillance continue, en réanimation ou à proximité immédiate. Dans la plupart des cas l’évolution postopératoire est simple, superposable à une population normale. Néanmoins, le risque de complication postopératoire est documenté et concerne essentiellement la fonction respiratoire. Dans ce contexte deux formes graves doivent être distinguées : la crise myasthénique (poussée aiguë de la maladie) et la crise cholinergique (surdosage en anticholinestérasiques). © 2010 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Mots clés : Myasthénie ; Anticholinestérasiques ; Thymectomie ; Curares ; Obstétrique

Plan ¶ Introduction

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¶ Physiopathologie de la transmission neuromusculaire appliquée à la myasthénie 2 ¶ Diagnostic, traitement

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¶ Stratégie de la prise en charge anesthésique Évaluation préopératoire

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¶ Modifications induites par les médicaments de l’anesthésie Curares

5 5

¶ Surveillance instrumentale de la curarisation

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¶ Agents anesthésiques inhalés

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¶ Agents anesthésiques intraveineux

6

¶ Anesthésie locorégionale

6

¶ Cas particulier de la grossesse

6

¶ Période postopératoire

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¶ Conclusion

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■ Introduction La transmission neuromusculaire est un mécanisme physiologique complexe permettant la communication entre la Anesthésie-Réanimation

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terminaison nerveuse d’un neurone moteur d’une part, et le muscle strié squelettique d’autre part. La connaissance de la physiologie neuromusculaire revêt une grande importance en anesthésie puisque le site d’action des curares est précisément le récepteur nicotinique à l’acétylcholine de la plaque motrice. Il en est de même pour la physiopathologie neuromusculaire, déterminante pour la pratique anesthésique, car certains patients proposés pour une chirurgie présentent une anomalie de cette transmission neuromusculaire. Quand il existe une anomalie de la transmission du message nerveux, il faut distinguer les pathologies touchant le récepteur nicotinique à l’acétylcholine de la plaque motrice telle la dérégulation du récepteur (dite basse comme dans la myasthénie ou bien haute par lésion du neurone moteur ou brûlures étendues par exemple), des anomalies de la libération du neurotransmetteur (l’acétylcholine) tel le syndrome myasthénique de LambertEaton ou iatrogène [1]. Ces maladies sont rares et, en dehors des centres spécialisés, la pratique médicale en général, anesthésique en particulier, y est peu confrontée. La myasthénie est une maladie auto-immune responsable d’une fatigabilité et d’une faiblesse de la musculature striée squelettique. Elle constitue, à l’heure actuelle, la mieux connue des maladies auto-immunes tant sur le plan de la physiopathologie que du traitement [2, 3]. La connaissance de cette pathologie par le médecin anesthésiste réanimateur est importante. L’anesthésie peut entraîner des modifications chez ces patients du fait de l’interaction de nombreux médicaments avec la jonction neuromusculaire. Elle

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peut être à l’origine de détresses respiratoires aiguës. Les facteurs déclenchants des poussées, leur présentation clinique et leur traitement ainsi que les médicaments contre-indiqués doivent être intégrés. Dans ce contexte, l’atteinte de la jonction neuromusculaire est souvent indissociable de celle de la respiration et de la déglutition qui en fait la gravité. La prise en charge périopératoire d’un sujet myasthénique nécessite une évaluation préopératoire soigneuse, pluridisciplinaire, amenant à contreindiquer l’utilisation de certains médicaments anesthésiques ou à modifier les schémas d’utilisation d’autres produits, afin de réduire le risque de complication périopératoire (respiratoire notamment). La procédure chirurgicale qui a fait l’objet du plus grand nombre de publications sur la prise en charge anesthésique du myasthénique est la thymectomie souvent effectuée dans des centres spécialisés et donc entraînés. Mais le recours à l’anesthésie peut également être nécessaire pour une chirurgie en urgence ou bien un acte d’obstétrique dans des structures moins habituées à ce type de pathologie.

■ Physiopathologie de la transmission neuromusculaire appliquée à la myasthénie La connaissance des modifications de la jonction neuromusculaire observées dans la myasthénie permet d’expliquer les signes cliniques et électrophysiologiques d’une part, et d’autre part d’éviter certaines complications dans le contexte d’une intervention chirurgicale [1]. La jonction neuromusculaire (JNM) ou plaque motrice est constituée au niveau présynaptique par la terminaison, au contact d’une fibre musculaire, de l’axone d’un motoneurone. Cet axone contient de nombreuses vésicules synaptiques d’acétylcholine (ACh) qui est le médiateur de la transmission neuromusculaire. Un espace étroit, d’environ 50 nm, appelé fente synaptique, sépare la membrane du motoneurone de celle du muscle. Au niveau post-synaptique se situe le sarcolemme d’une fibre musculaire, qui présente à ce niveau de nombreux replis augmentant la surface d’échange (appareil sous-neural). Les récepteurs nicotiniques de l’acétylcholine (RnACh) sont concentrés au sommet de ces replis. Le RnACh est une glycoprotéine transmembranaire résultant de l’assemblage de cinq sous-unités polypeptidiques (pentamère) délimitant un canal ionique central (adulte : 2a1b1d1E ou fœtal : 2a1b1d1c). Un site de liaison de l’ACh est situé sur chacune des deux sous-unités a. La fixation d’une molécule d’ACh sur chacune des deux sous-unités a provoque une modification de la conformation allostérique du récepteur entraînant une ouverture du canal ionique et une dépolarisation par entrée de Na+ et sortie de K+. La liaison de l’ACh à son récepteur est transitoire, la dissociation de cette liaison est suivie de l’hydrolyse de l’ACh par l’acétylcholinestérase (AChE) présente dans la fente synaptique au niveau de la membrane basale qui recouvre la plaque motrice. La myasthénie est liée à des autoanticorps dirigés contre les récepteurs post-synaptiques à l’ACh entraînant un blocage de la transmission au niveau de la plaque motrice (bloc neuromusculaire de type postsynaptique) [2, 3]. Ces anticorps provoquent une perte en RnACh fonctionnels par trois mécanismes : • les anticorps qui sont divalents pontent les RnACh sur la surface membranaire. Cela provoque l’internalisation et la dégradation lysosomale des RnACh, dont la durée de vie est en conséquence significativement raccourcie ; • les anticorps provoquent une lyse de la membrane postsynaptique médiée par le complément. Ces lésions expliquent les modifications morphologiques de la jonction neuromusculaire, à type d’aplatissement des replis post-synaptiques du sarcolemme et d’élargissement de la fente synaptique, qui sont observées dans la myasthénie ; • dans certains cas, l’anticorps bloque directement l’accès de l’ACh à son site ligand sur le récepteur. La diminution du nombre des RnACh fonctionnels est à l’origine d’une diminution d’amplitude du potentiel de plaque qui devient insuffisant pour entraîner le potentiel d’action

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musculaire. Lorsque la transmission neuromusculaire échoue au niveau de trop nombreuses jonctions, il y a une diminution globale de la force musculaire qui se traduit cliniquement par une faiblesse ou une fatigue à l’effort [4]. D’autres anticorps ont été détectés chez la moitié des patients atteints d’une forme généralisée de myasthénie et chez qui les anticorps anti-RnACh sont absents (patients dits séronégatifs). Ces anticorps anti-MuSK sont dirigés contre une tyrosine kinase de la membrane post-synaptique, MuSK, qui après avoir fixé l’agrine libérée par le nerf moteur concentre et stabilise le RACh au niveau de la synapse [5]. Plusieurs arguments laissent à penser que le thymus est à l’origine du déclenchement et de l’entretien de l’autoimmunisation dans la myasthénie [2, 3]. Le thymus est le siège chez 50 % des patients (en grande majorité des sujets de moins de 40 ans, avec taux élevé d’anticorps anti-RnACh) d’une hyperplasie caractérisée par la présence de centres germinatifs de type ganglionnaire. Un thymome correspondant à une prolifération anarchique des cellules épithéliales affecte 20 % des myasthéniques, en règle plus âgés. De plus, la thymectomie est souvent bénéfique dans les formes généralisées du sujet jeune avec anticorps anti-RnACh. De très nombreux travaux ont, dans les dernières années, permis de mieux cerner l’implication du thymus dans la maladie. En cas d’hyperplasie et de thymomes, certains lymphocytes thymiques sont sensibilisés au RnACh qui est exprimé au niveau des cellules épithéliales et des cellules d’origine musculaire (myoïdes). Le caractère primaire ou secondaire de l’autosensibilisation thymique reste discuté. L’hypothèse d’un déclenchement de l’auto-immunisation par une infection virale a également été évoquée mais n’est pas prouvée à l’heure actuelle [6].

■ Diagnostic, traitement La myasthénie est une maladie plus fréquente qu’on ne l’estimait initialement. Sa prévalence est estimée aux États-Unis à 200 par million [7]. Si elle débute à tout âge, de 6 mois à plus de 80 ans, elle affecte surtout des adultes de moins de 40 ans (60 % des cas), en majorité des femmes. La symptomatologie est dominée par une fatigabilité musculaire, c’est-à-dire une diminution de la force musculaire pouvant aller jusqu’à la paralysie qui apparaît lors d’efforts répétés ou maintenus. La force musculaire redevient normale après repos. Dans près de la moitié des cas, les premières manifestations sont purement oculaires avec ptôsis et diplopie, mais après 1 an d’évolution, chez 80 % à 90 % des patients, d’autres territoires sont affectés, les muscles pharyngolaryngés ou les muscles des membres et axiaux (nuque tombante) ou les muscles respiratoires : la myasthénie est alors généralisée. Une minorité de patients (10 % à 15 %) n’a qu’une atteinte oculaire après 2 ans : il s’agit de myasthénies oculaires pures qui se voient plus volontiers chez l’homme après 40 ans. L’évolution de la myasthénie est capricieuse, mais elle se caractérise habituellement par : • la survenue de poussées faisant parfois suite à des rémissions ; • une tendance à l’aggravation dans les premières années : pour 85 % des patients, le stade de gravité maximal de la maladie est atteint dans un délai inférieur à 3 ans. La sévérité de la myasthénie est très variable d’un patient à l’autre et, chez un même patient, d’un moment à l’autre. L’atteinte des muscles respiratoires thoraciques et diaphragmatiques et les troubles sévères de déglutition caractérisent les formes graves (20 à 30 % des patients) qui peuvent entraîner une détresse respiratoire mettant en jeu le pronostic vital. Le diagnostic de myasthénie repose sur la symptomatologie et des investigations complémentaires. Le test à la néostigmine (anticholinestérasique) complète l’examen clinique. L’électromyographie (EMG) révèle, au cours d’une stimulation itérative supramaximale entre 2 et 5 Hz, une diminution progressive de l’amplitude et de la durée des potentiels recueillis. La diminution entre le 2e et le 5e potentiel doit être supérieure à 10 % pour affirmer le diagnostic. La détection par dosage radioimmunologique d’anticorps anti-RnACh présents dans 80 % des cas certifie le diagnostic. Dans la moitié des formes généralisées Anesthésie-Réanimation


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Tableau 1. Stratégie thérapeutique au cours de la myasthénie. Paramètres

Thymome, sévérité, âge

Toujours

Anticholinestérasiques (Tableau 2), respect des contre-indications médicamenteuses (Tableau 7)

Si thymome

Thymectomie associée à une radiothérapie et éventuellement une chimiothérapie en cas de caractère invasif

Forme généralisée du sujet jeune (jusqu’à 40-45 ans), même si légère

Thymectomie sauf si présence d’anticorps anti-MuSK

Forme sévère ou invalidante

- Corticoïdes (plutôt sujet jeune), azathioprine (plutôt sujet âgé) - Association corticoïdes + azathioprine : si inefficacité d’un seul médicament

En cas de poussée sévère (fausses routes, troubles respiratoires)

- Mesures de réanimation : sonde gastrique, ventilation

Si résistance à un traitement bien conduit

- Vérifier qu’il ne s’agit pas d’une erreur diagnostique (par exemple, une myopathie mitochondriale : biopsie musculaire)

- Immunoglobulines polyvalentes intraveineuses, plasmaphérèses - Relais par corticothérapie et/ou azathioprine

- Rechercher une affection associée à la myasthénie : dysthyroïdie, lupus, maladie de Biermer notamment - Essayer un autre immunosuppresseur : mycophénolate mofétil, cyclophosphamide en bolus rituximab. Utilité des plasmaphérèses ou des immunoglobulines intraveineuses, tant que l’équilibre n’est pas obtenu Si atteinte purement oculaire après 2 ans (myasthénie oculaire pure)

Anticholinestérasiques mais souvent peu efficaces, correction par prisme si la paralysie des muscles oculaires n’est pas trop variable. Si ces moyens sont insuffisants et que le dédoublement de la vue est très gênant : corticothérapie à dose faible.

Tableau 2. Médicaments anticholinestérasiques. Dénomination

Présentation ®

Néostigmine (Prostigmine )

Ampoules 0,5 mg ml

2 à 5 amp par jour en 4 à 6 injections

Posologie -1

Délai d’action

Durée d’action

s.c. ou i.m. : pour le traitement Pour le test 1 amp (i.v.) : 0,5 à 1 mg

1 minute

70-80 minutes

s.c. ou i.m. : 5 mg

10 minutes

2 heures

Pyridostigmine (Mestinon®)

Comprimés 60 mg

4 à 8 cp en 3-4 prises

2 heures

3-4 heures

Ambémonium (Mytélase®)

Comprimés 10 mg

3 à 10 cp en 3-4 prises

15-20 minutes

5-6 heures

s.c. : sous-cutané ; i.m. : intramusculaire ; i.v. : intraveineux ; amp : ampoule ; cp : comprimé.

sans anticorps anti-RnACh, d’autres anticorps, également pathognomoniques, anti-MuSK sont retrouvés. Tous ces tests sont parfois négatifs ne rejetant pas le diagnostic lorsque le tableau clinique est évocateur. Si la vision double ou la chute de paupière sont isolées, il est recommandé de faire une imagerie cérébrale (scanner ou imagerie par résonance magnétique [IRM]) pour éliminer une lésion cérébrale. Le pronostic de la myasthénie dépend des troubles de la déglutition et de l’atteinte respiratoire [8]. L’atteinte respiratoire peut être provoquée par deux mécanismes, la crise cholinergique ou la crise myasthénique. La crise cholinergique est liée à un surdosage en anticholinestérasiques qui provoquent une paralysie par bloc nicotinique, la paralysie respiratoire peut être précédée de signes d’intoxication aux anticholinestérasiques (myosis, nausées, douleurs abdominales, diarrhée, hypersalivation, sueur). La crise myasthénique est liée à une poussée évolutive de la maladie. La stratégie thérapeutique générale pour la myasthénie est présentée dans le Tableau 1. Celle-ci comprend toujours en première intention, le respect des contre-indications médicamenteuses et le recours aux anticholinestérasiques (Tableau 2). Une prise en charge en réanimation est indiquée lorsqu’existent des manifestations mettant en jeu le pronostic vital. En cas de thymome, l’exérèse chirurgicale est proposée, complétée par une radiothérapie si le thymome est invasif. Les autres moyens thérapeutiques répondent à deux objectifs : • le traitement de fond de la myasthénie : thymectomie, corticothérapie, immunosuppresseurs [6] ; • le traitement à court terme d’une poussée sévère : plasmaphérèses, immunoglobulines intraveineuses. Mis à part le thymome, les indications dépendent de trois paramètres : l’âge, la sévérité de la myasthénie (troubles de déglutition, troubles respiratoires, important retentissement socioprofessionnel), les contre-indications inhérentes à une classe médicamenteuse (ex : diabète décompensé et corticothérapie, dysfonction hépatique et azathioprine). Anesthésie-Réanimation

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La prise en charge de la crise myasthénique impose une hospitalisation en réanimation pour un traitement symptomatique des défaillances, le traitement de la cause déclenchante (infection par exemple), l’administration d’anticholinestérasiques intraveineux, d’immunoglobulines intraveineuses et éventuellement des séances de plasmaphérèse. Enfin, la thymectomie peut entraîner une amélioration prolongée [9]. C’est principalement dans ce contexte que le médecin anesthésiste est sollicité.

■ Stratégie de la prise en charge anesthésique Évaluation préopératoire Estimation de la gravité de la myasthénie La gravité de la maladie est évaluée sur la fonction respiratoire. Dans le Tableau 3 est présenté un score fonctionnel sur 100 prenant en compte l’atteinte des différents groupes musculaires. Celui-ci est reproductible et permet un suivi rapproché. Dans le Tableau 4 est présentée l’échelle américaine de la Myasthenia Gravis Foundation of America [11] qui comporte cinq stades de gravité croissante. L’atteinte de la musculature pharyngolaryngée ou thoracique fait craindre des complications respiratoires postopératoires [12]. La fonction respiratoire est toujours quantifiée avant toute intervention chirurgicale par des épreuves fonctionnelles respiratoires (EFR) (notamment la pression inspiratoire maximale et la capacité vitale). Les EFR permettent d’avoir une valeur de référence et entrent dans les scores prédictifs de ventilation mécanique postopératoire (Tableau 5) [13].

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Tableau 3. Score musculaire fonctionnel (maximum 100 points) établi par l’équipe de réanimation de l’hôpital Raymond Poincaré de Garches [10]. Membres supérieurs étendus à l’ho- Pendant 150 secondes = 15 points, rizontale en antépulsion (manœu- pendant 100 secondes = 10 points, vre de Barré) pendant 50 secondes = 5 points, pendant 10 secondes = 1 point Membres inférieurs, patient en décubitus dorsal, cuisses fléchies à 90° sur le bassin, jambes fléchies à 90° sur les cuisses (manœuvre de Mingazzini)

Pendant 75 secondes = 15 points, pendant 50 secondes = 10 points, pendant 25 secondes = 5 points, pendant 5 secondes = 1 point

Flexion de la tête, malade en décubitus dorsal

Contre résistance : 10 points

Tableau 4. Classification clinique de la myasthénie selon l’échelle de la Myasthenia Gravis Foundation of America [11]. Classe I

Atteinte limitée à un groupe musculaire (oculaire le plus souvent)

Classe II

Faiblesse légère affectant des muscles autres qu’oculaires Les muscles oculaires peuvent être touchés IIa : atteinte prédominant aux membres, aux muscles axiaux, ou les deux IIb : atteinte prédominant aux muscles oropharyngés, respiratoires ou les deux

Classe III

IIa : atteinte prédominant aux membres, aux muscles axiaux, ou les deux

Sans résistance : 5 points Impossible : 0 point

Passage de la position couchée à la position assise

Sans l’aide des mains : 10 points Avec l’aide des mains : 5 points

IIb : atteinte prédominant aux muscles oropharyngés, respiratoires ou les deux Classe IV

IVa : atteinte prédominant aux membres, aux muscles axiaux, ou les deux

Normale : 10 points

IV b : atteinte prédominant aux muscles oropharyngés, respiratoires ou les deux

Ptôsis isolé : 5 points Diplopie : 0 point Occlusion palpébrale

Faiblesse sévère affectant des muscles autres qu’oculaires Les muscles oculaires peuvent être touchés

Impossible : 0 point Oculomotricité extrinsèque

Faiblesse modérée affectant des muscles autres qu’oculaires. Les muscles oculaires peuvent être touchés

Classe V

Complète : 10 points

Myasthénie très sévère : intubation avec ou sans ventilation mécanique Si uniquement sonde nasogastrique → IVb

Incomplète : 5 points Nulle : 0 point Mastication

Normale : 10 points Diminuée : 5 points Nulle : 0 point

Tableau 5. Score de Leventhal ou score de prédiction du risque de complication respiratoire postopératoire [13]. Item

Déglutition

Normale : 10 points Dysphagie sans fausse route : 5 points Dysphagie avec fausse route : 0 point

Phonation

Points

Durée de la maladie > 6 ans

12

Autre maladie respiratoire associée

10

Pyridostigmine > 750 mg j-1

8

Capacité vitale < 2,9 l

4

Total

34

Voix normale : 10 points

Score < 10 : extubation postopératoire immédiate

Voix nasonnée : 5 points

Score 10-12 : zone d’incertitude

Aphonie : 0 point

Score > 12 : ventilation mécanique postopératoire

Pathologies associées Si le patient présente une masse médiastinale antérieure (thymome), il y a un risque d’obstruction trachéobronchique ou vasculaire lors de l’induction anesthésique, voire lors de l’installation en décubitus dorsal. La réalisation de courbes débit-volume en position assise puis couchée peut aider pour évaluer le retentissement ventilatoire de la masse médiastinale [14]. D’autres maladies auto-immunes peuvent être associées à la myasthénie [2, 3]. Ces pathologies peuvent avoir des implications anesthésiques propres et doivent donc être recherchées (Tableau 6). De même, les troubles hydroélectrolytiques doivent être systématiquement recherchés chez ces patients traités par corticoïdes au long cours.

Tableau 6. Pathologies auto-immunes associées à la myasthénie et leurs implications anesthésiques. Pathologie associée

Implications anesthésiques

Thyroïdite

Hypo- ou hyperthyroïdie symptomatique

Lupus érythémateux disséminé

Risque thrombotique

Polyarthrite rhumatoïde

Risque d’intubation difficile

Risque d’endocardite Risque de luxation atloïdoaxoïdienne (risque de tétraplégie)

Anémie de Biermer, anémie Risques propres à l’anémie hémolytique

Traitement anticholinestérasique, prémédication La conduite à tenir concernant les anticholinestérasiques est discutée. Plusieurs attitudes sont proposées. Si la pathologie est équilibrée, la poursuite du traitement jusqu’à l’intervention est souhaitable. L’autre attitude est d’interrompre le traitement anticholinestérasique au moins le jour de l’intervention, notamment si l’utilisation de curares est envisagée et nécessaire car les anticholinestérasiques diminueraient l’efficacité des curares non dépolarisants [15] et allongeraient la durée d’action du suxaméthonium [16]. Si la pathologie du patient est mal équilibrée par le traitement médicamenteux, des séances de plasmaphérèse ou l’administration d’immunoglobulines intraveineuses en préopératoire immédiat pourraient être bénéfiques [17] . Une préparation préopératoire par kinésithérapie

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respiratoire est indispensable pour optimiser la fonction ventilatoire du patient. La multidisciplinarité (médecin anesthésiste, neurologue, chirurgien et kinésithérapeute) dans la prise en charge périopératoire de ces patients est souhaitable. La prémédication doit éviter les médicaments ayant un effet dépresseur respiratoire de durée d’action prolongée. Les benzodiazépines, susceptibles d’aggraver une myasthénie, ne sont pas indiquées (Tableau 7). De nombreux médicaments interfèrent avec la jonction neuromusculaire et sont susceptibles d’aggraver la maladie, pouvant aller jusqu’à provoquer des crises myasthéniques. Ces interactions doivent être envisagées dès la période préopératoire afin de limiter au maximum le risque d’erreurs en per- et postopératoire [18]. Le Tableau 7 présente les principaux Anesthésie-Réanimation


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Tableau 7. Médicaments (DCI) susceptibles d’aggraver la myasthénie Contre-indication absolue (aggravation clinique fréquente)

Antibiotiques

[18].

Contre-indication relative (précaution d’emploi car aggravation clinique possible ou exceptionnelle)

Aminosides

Lincosamides

Colistine

Cyclines per os

Cyclines injectables

Aminosides locaux

Télithromycine

Quinolones Macrolides et apparentés

Médicaments cardiovasculaires

Psychotropes et médicaments du système nerveux central

Quinidiniques

Lidocaïne

Procaïnamides

Inhibiteurs calciques

Bêtabloquants (y compris collyres)

Furosémide

Diphénylhydantoïne

Lithium

Brétylium Benzodiazépines Carbamazépine Phénothiazine IMAO

Divers

Magnésium i.v.

Magnésium per os

Dantrolène

Quinquina

D Pénicillamine

Dérivés nicotiniques (sevrage tabagique)

Quinine

IMAO : inhibiteurs de la monoamine oxydase ; DCI : dénomination commune internationale ; i.v. : intraveineux.

médicaments pouvant aggraver une myasthénie et classés en deux catégories. Celle pour laquelle l’aggravation clinique est fréquente et représente donc une contre-indication absolue à leur utilisation dans le contexte d’une myasthénie. La seconde comprend des médicaments à utiliser avec précaution en fonction du bénéfice attendu et des risques encourus, représentant ainsi une contre-indication relative. À noter également que l’allopurinol potentialise l’effet de l’azathioprine, imposant de réduire la dose des deux tiers et de surveiller étroitement la numération formule sanguine (NFS). L’injection d’iode pour examen radiologique de contraste peut induire une décompensation aiguë. Elle est donc déconseillée en cas de poussée. Pour ce qui concerne les vaccinations, le retentissement sur la myasthénie est mal documenté. La vaccination contre la poliomyélite, le tétanos et la grippe n’entraîne pas d’aggravation lorsque la myasthénie est bien contrôlée. Les vaccins vivants (par exemple le vaccin antipolio buccal) sont formellement contre-indiqués chez les patients sous corticoïdes ou immunosuppresseurs. L’interféron alpha peut aggraver, voire induire une myasthénie. Enfin, l’utilisation de patch de nicotine pour le sevrage de l’intoxication tabagique peut également aggraver la myasthénie. À l’issue de la consultation d’anesthésie, le patient doit être informé des bénéfices et des risques de la stratégie médicale retenue, et notamment celui de détresse respiratoire postopératoire pouvant nécessiter une assistance ventilatoire (invasive ou non) plus ou moins prolongée. La surveillance de ces patients en réanimation ou en unité de soins postopératoires continus est donc à programmer dès cette étape d’évaluation.

■ Modifications induites par les médicaments de l’anesthésie Curares Les curares agissent directement au niveau de la jonction neuromusculaire, leur pharmacodynamie est donc fortement modifiée dans la myasthénie [19] . Pourtant, ils ne sont pas contre-indiqués dans la myasthénie mais leur utilisation est restreinte à des indications formelles (type de chirurgie notamment). Il faut connaître les particularités pharmacodynamiques induites par la myasthénie et dans tous les cas évaluer le degré de curarisation à l’aide d’un monitorage quantitatif. Les modifications rapportées dépendent de la classe pharmacologique des curares et de la sévérité de l’atteinte.

Curares dépolarisants (suxaméthonium) À l’inverse de ce qui est décrit pour les maladies musculaires (myopathie), le suxaméthonium n’est pas contre-indiqué en cas de myasthénie [1, 20]. Le suxaméthonium est un agoniste partiel du RnACh, c’est-à-dire qu’il possède une partie des propriétés pharmacologiques de l’agoniste naturel, l’acétylcholine (le suxaméthonium est composé de deux molécules d’acétylcholine disposées bout à bout). Ainsi, la réduction du nombre de RnACh observée dans la myasthénie entraîne une diminution de la puissance du suxaméthonium c’est-à-dire une augmentation des besoins pour observer le même effet [1]. La dose active 95 % (DA95 ou dose entraînant 95 % de dépression de la force musculaire évaluée à l’adducteur du pouce) du suxaméthonium chez le patient myasthénique est ainsi 2,6 fois plus élevée que chez le sujet normal : 0,8 mg kg–1 vs 0,3 mg kg–1[20]. La sévérité de la pathologie influe sur ce résultat. Ainsi, chez un patient en rémission complète, un cas clinique rapporte l’absence de résistance au suxaméthonium (DA50 = 0,08 mg kg–1 et DA90 = 0,2 mg kg–1) [21]. En revanche, les patients myasthéniques présentent un risque accru de bloc neuromusculaire de phase II suite à l’injection itérative de suxaméthonium [16]. Les traitements anticholinestérasiques, s’ils sont poursuivis en préopératoire immédiat, peuvent réduire le métabolisme du suxaméthonium et entraîner un allongement de sa durée d’action [22] . Au total, chez le patient myasthénique il est nécessaire d’augmenter les doses de suxaméthonium. Une dose de 1,5 à 2 mg kg –1 semble suffisante pour l’induction en séquence rapide [23] qui reste la règle en cas de suspicion d’estomac plein ou de situation à risque, même en cas de myasthénie [24]. Enfin, il faut éviter les réinjections et monitorer la curarisation avant d’administrer un curare non dépolarisant (si cela est indiqué) afin de s’assurer de l’absence de curarisation prolongée ou bien encore pour détecter un bloc de phase II.

Curares non dépolarisants Compte tenu de la physiopathologie de la myasthénie, la sensibilité aux curares non dépolarisants est augmentée, correspondant à une réduction des besoins variable selon la gravité et l’évolutivité de la myasthénie [25]. Il est donc indispensable de titrer la réponse clinique (par exemple débuter par 1/10e de la DA95) sous couvert d’un monitorage instrumental de la curarisation. Pour le vécuronium, la DA95 chez le myasthénique est réduite de 45 % [26] à 60 % [27] par rapport à celle du sujet normal (Tableau 8). L’atracurium est 1,7 à 1,9 fois plus puissant chez le sujet myasthénique que chez le sujet normal [28]. La sensibilité des patients myasthéniques est également

Tableau 8. Doses actives 95 % (DA95*) exprimées en mg kg-1 des curares chez des sujets sains indemnes (contrôles) et présentant une myasthénie Suxaméthonium

Atracurium

[23, 26, 28].

Vécuronium

Contrôle

Myasthénie

Contrôle

Myasthénie

Contrôle

N

20

10

10

5

10

Myasthénie 5

DA95*

0,310

0,820

0,240

0,140

0,036

0,0020

N : nombre de patients. * Dose entraînant 95 % de paralysie à l’adducteur du pouce. Anesthésie-Réanimation

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augmentée pour le cisatracurium [29] et le mivacurium [30] . Comme pour la succinylcholine, les anticholinestérasiques peuvent interférer avec le métabolisme du mivacurium et augmenter sa durée d’action. Le sugammadex, nouvel agent décurarisant, est une gamma cyclodextrine encapsulant spécifiquement et uniquement les curares stéroïdiens (rocuronium, vécuronium) pourrait présenter un intérêt dans cette pathologie neuromusculaire du fait de l’abscence d’effet sur le métabolisme de l’acétylcholine. Mais aucune donné dans cette indication n’est actuellement disponible.

■ Surveillance instrumentale de la curarisation Classiquement, le monitorage de la curarisation doit être réalisé au muscle sourcilier pour l’induction et à l’adducteur du pouce pour la décurarisation. Chez le patient myasthénique, la sensibilité des différents groupes musculaires aux curares peut être modifiée par rapport au sujet sain. Une étude a montré que le monitorage de la curarisation à l’orbiculaire de l’œil peut surestimer le bloc neuromusculaire chez le patient myasthénique [31] . L’atteinte quasi constante des muscles oculaires explique sans doute ce résultat. De plus, la sensibilité des différents groupes musculaires aux curares est différente en fonction de l’évolution de la maladie. Ainsi, si chez le patient ayant une myasthénie oculaire pure, le monitorage à l’orbiculaire de l’œil surestime le bloc neuromusculaire, ceci n’est plus vérifié chez le patient ayant une myasthénie généralisée [31]. De même, chez un patient atteint de myasthénie oculaire unilatérale, le monitorage du muscle sourcilier controlatéral n’est pas fiable pour prédire les conditions d’intubation [32]. L’évaluation chez le myasthénique du rapport de train de quatre (Td4) par EMG au niveau des muscles hypothénars de la main avant l’administration de tout myorelaxant permettrait de prédire la sensibilité aux curares non dépolarisants. Ainsi, le rapport de Td4 avant curarisation est inférieur à 0,9, la sensibilité aux curares est plus importante et les doses injectées doivent être moindres par rapport à des sujets myasthéniques ayant un rapport supérieur à 0,9 [33]. Au total, l’évaluation de la gravité de la maladie selon les classifications de Garches [10] et de la Myasthenia Gravis Foundation of America [11] couplée à celle de la valeur du rapport de Td4 avant l’induction à l’adducteur du pouce (inférieur ou supérieur à 0,9) permettraient de prédire la sensibilité aux curares non dépolarisants.

■ Agents anesthésiques inhalés Les agents halogénés interfèrent avec la transmission neuromusculaire [34] . Cet effet est plus marqué chez le patient myasthénique [35] avec là encore une variabilité en fonction de la gravité de la maladie. Il a de plus été démontré (chez le sujet sain) que l’hypothermie et les agents anesthésiques inhalés potentialisent l’action des curares dépolarisants et non dépolarisants [36, 37]. Les agents anesthésiques inhalés peuvent être utilisés pour l’entretien de l’anesthésie chez les patients myasthéniques mais il semble préférable d’éviter l’association aux curares.

■ Agents anesthésiques intraveineux Le thiopental, le propofol, l’étomidate et la kétamine peuvent être utilisés dans la myasthénie. Les opiacés posent le problème de la dépression respiratoire induite. Les opiacés de très courte durée d’action comme le rémifentanil semblent intéressants dans ce contexte. Des cas cliniques rapportent l’utilisation de rémifentanil chez des patients myasthéniques pour différents types de chirurgie sans complications respiratoires [38-42]. Un cas

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clinique rapporte un retard de réveil de 12 heures après utilisation de rémifentanil chez une patiente myasthénique opérée d’une thymectomie mais sans prouver de relation de cause à effet [43].

■ Anesthésie locorégionale Les anesthésiques locaux interfèrent également avec la transmission neuromusculaire [44]. Ils peuvent donc théoriquement être à l’origine d’une diminution de la force musculaire si les concentrations plasmatiques sont importantes. Mais aucune complication de ce type n’a été décrite chez les patients myasthéniques. Quand l’intervention le permet, l’anesthésie locorégionale semble préférable à l’anesthésie générale en raison de son moindre retentissement respiratoire. Il est conseillé de diminuer les doses d’anesthésiques locaux par rapport au sujet sain [14]. La péridurale thoracique a été proposée pour l’analgésie peret postopératoire des thymectomies [14, 45-47]. Cette technique paraît intéressante en complément d’une anesthésie générale intraveineuse utilisant le rémifentanil, elle permet en effet de limiter fortement l’utilisation de morphiniques en postopératoire [41]. Comme tout bloc périmédullaire, le rapport bénéfice (fonction respiratoire)/risque (complication de la technique et surveillance dans un environnement adapté) doit être correctement évalué. Dans le contexte de la myasthénie, les séries publiées sont trop faibles, peu ou pas comparables dans le temps pour pouvoir faire des recommandations de grade élevé.

■ Cas particulier de la grossesse La grossesse a une influence variable sur l’évolution de la myasthénie. Elle peut entraîner une aggravation surtout dans les trois premiers mois et pendant le post-partum, ou plus rarement une rémission de la maladie [6, 48-50]. A contrario, la myasthénie a peu d’influence sur le déroulement de la grossesse et de l’accouchement. Il faut néanmoins être prudent et l’accouchement doit être programmé dans un centre disposant d’une réanimation pour la parturiente et le nouveau-né. Le traitement de la myasthénie doit être optimisé durant la grossesse, l’accouchement et le post-partum. L’analgésie péridurale est une indication médicale dans la myasthénie [51]. Elle est réalisée en associant systématiquement un morphinique afin de diminuer les doses d’anesthésiques locaux. Il faut en revanche éviter l’utilisation de clonidine qui majore le bloc moteur et le risque d’hypotension. La combinaison rachianesthésie-péridurale est également possible chez ces patientes [51]. Si une anesthésie générale est indispensable, la succinylcholine n’est pas contreindiquée dans la myasthénie mais une dose plus élevée est nécessaire (1,5 à 2 mg kg–1). Une myasthénie néonatale est à craindre chez 20 à 30 % des nouveau-nés au cours des 24 premières heures. La prise en charge systématique en néonatologie des nouveau-nés de mère myasthénique semble donc justifiée.

■ Période postopératoire Il faut anticiper une prise en charge en unité de soins continus. Actuellement, l’extubation précoce est le plus souvent possible à condition que l’évaluation préopératoire et l’anesthésie aient été bien conduites. L’utilisation de curares non dépolarisants majorerait le risque de complications respiratoires [46] . Les critères d’extubation du myasthénique sont les mêmes que pour le sujet sain. Plusieurs scores prédictifs de ventilation mécanique postopératoire ont été proposés mais ils n’ont qu’une valeur indicative [12, 13, 52, 53]. La faiblesse musculaire postopératoire pose des problèmes diagnostiques. Elle peut être liée à un effet résiduel des agents anesthésiques (agent halogéné et curare notamment), à une crise myasthénique ou à une crise cholinergique. L’attitude à adopter vis-à-vis de la reprise immédiate ou non des anticholinestérasiques n’est pas tranchée. La reprise différée permettrait d’éliminer le risque de crise cholinergique et de simplifier le diagnostic étiologique Anesthésie-Réanimation


Anesthésie et myasthénie ¶ 36-657-C-10 .

d’une faiblesse musculaire postopératoire. Dans tous les cas, leur réintroduction est titrée, en débutant le plus souvent à la moitié de la dose en préopératoire. En cas de détresse respiratoire, la ventilation non invasive semble une alternative intéressante à l’intubation [54].

■ Conclusion L’anesthésie a des conséquences chez un patient myasthénique. La connaissance de la physiopathologie de cette maladie, la qualité de l’évaluation préopératoire et l’utilisation de techniques anesthésiques validées dans cette pathologie permettraient de limiter au maximum le risque anesthésique chez ces patients. En cas d’anesthésie générale, l’extubation immédiate est le plus souvent possible. Néanmoins, la période postopératoire s’organise en unité de soins continus afin de pouvoir détecter et prendre en charge immédiatement toute détresse ventilatoire. L’analgésie obstétricale par voie périmédullaire n’est pas contre-indiquée en cas de myasthénie. L’utilisation du suxaméthonium n’est pas contre-indiquée dans la myasthénie. La prise en charge pluridisciplinaire est la règle.

■ Références [1]

[2] [3] [4] [5] [6] [7] [8] [9]

[10]

[11]

Points essentiels

La myasthénie est une pathologie auto-immune caractérisée par une destruction des récepteurs postsynaptiques à l’acétylcholine du muscle strié squelettique. Le traitement comporte toujours des anticholinestérasiques ainsi que le respect des contreindications vis-à-vis des médicaments pouvant aggraver une myasthénie. L’exérèse d’un thymome est impérative. Les corticoïdes, les immunosuppresseurs et la thymectomie sont utilisés comme traitement de fond dans les formes invalidantes. Les immunoglobulines intraveineuses ou les échanges plasmatiques sont réservés aux poussées aiguës. La chirurgie proposée à ces patients peut être spécifique de la maladie (thymectomie chez le myasthénique), ou non (acte en urgence, obstétrique). L’évaluation préopératoire de ces patients est multidisciplinaire et repose essentiellement sur la répétition de scores cliniques musculaires fonctionnels. Dans la grande majorité des situations l’évolution postopératoire est non compliquée et comparable à celle d’une population témoin. L’atteinte de la respiration et de la déglutition fait la gravité de cette maladie. Dans le contexte postopératoire deux entités cliniques doivent être distinguées : la crise myasthénique et la crise cholinergique. Pour l’anesthésie générale, la préférence va actuellement à l’anesthésie intraveineuse totale, les agents halogénés étant souvent mal adaptés au contexte (retentissement sur la force musculaire). L’anesthésie locorégionale est une alternative intéressante quand la chirurgie le permet ainsi que pour le contrôle de la douleur postopératoire. Elle n’est pas contre-indiquée pour l’analgésie obstétricale. La succinylcholine est utilisable en cas d’intervention en urgence ou de suspicion d’estomac plein (césarienne). Les curares non dépolarisants peuvent être utilisés mais les besoins sont considérablement réduits. Le monitorage de la curarisation est donc impératif dans ce contexte. Anesthésie-Réanimation

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