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: LA XÉNOPHOBIE ARC-EN-CIEL DE BRUXELLES À TEL-AVIV

Par Bandit

Le débat a pris de l’ampleur quand en 2010, la philosophe américaine Judith Butler, une des personnalités les plus importantes de la théorie du genre et du queer, refuse le prix de la Gay Pride de Berlin, en justifiant que la lutte contre l’homophobie avait dégénéré en action xénophobe et raciste

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Cela porte un nom : c’est “l’homonationalisme”, conceptualisé par Jasbir Puar, qui critique la façon dont les discours libéraux sur les droits des gays et lesbiennes produisent des récits de progrès et de modernité qui accordent à certaines populations l’accès à des formes culturelles et juridiques de citoyenneté, et qui excluent partiellement ou totalement d’autres.

En gros, c’est l’inclusion de l’homosexualité dans le discours nationaliste des Etats afin de mieux repousser l’Autre, l’étranger

C’est proclamer la supériorité d’une civilisation qui aurait aboli toute oppression sexuelle envers une autre, barbare. Une troublante téléologie de la modernité à chemin unique qui nous rappelle certains Redflags comme l’UNIVERSALISME ou encore la COLONISATION, des petites babioles.

La quasi-totalité du temps, dans le discours occidental, celui-ci oppose les identités gay et musulmane, en faisant du même coup de l’homosexualité une réalité blanche et masculine. Et depuis le 11 septembre 2001, où on parle souvent d’un “choc des civilisations”, ce binarisme n’a cessé de s’amplifier.

Je vais vous illustrer tout cela avec premièrement le cas d'Israël, aussi surnommé “l’Eden Gay du Moyen-Orient”, et les discours de l’extrême droite en Europe, récemment nouvelle adepte de l’Amour avec un grand A, mais surtout des Frontières avec un grand F.

Le cas Israël :

La communauté LGBT en Israël s'est développée à partir des années 1980, et surtout en 1990. Cette acceptation n'allait de base pas du tout de soi. Le récit national sioniste a posé la famille hétérosexuelle féconde comme garante de la pérennité de la nation, et y a associé une masculinité héroïsée et invincible. C'est dans le contexte du conflit entre "laïc.que.s" et religieux.ses que les sionistes laïc.que.s ont développé la question de la défense des minorités sexuelles pour remettre en cause le fondamentalisme religieux. Petit fun fact, en Israël, plus de la moitié de la population est considérée comme "laïque", c'est-à-dire qu'elle est Juive de culture et d'héritage mais n'est pas considérée comme "religieuse pratiquante" à proprement parler. Une distinction à garder en tête quand on fait des comparaisons entre pays sur « l’acceptation » .

C'est surtout Tel-Aviv qui a fait émerger cette communauté. En réalité, elle n'existe pas vraiment voire pas du tout ailleurs. En se gentrifiant à la fin du 20ème siècle, le tourisme s'est très développé et le gouvernement de droite a privatisé beaucoup de pans de l'économie. Ayant tout d'une ville développée (sécurité, urbanisation), elle a été considérée comme très "safe" pour le tourisme gay. Parallèlement, l'armée s'ouvre aux personnes gays et lesbiennes en 1993. C'est un énorme pas puisqu'elle constitue historiquement l'une des deux institutions principales du pays

Mais dans les années 2000, suite à l’escalade militaire au MoyenOrient, le pays voit son image internationale fortement se dégrader, et va mettre au point the "Brand Israel Group", une stratégie de marketing nationale et une campagne de promotion visant à contrer sa réputation en opposant la démocratie israélienne à un monde arabe rétrograde et autoritaire. Et c'est là qu'on déroule le tapis rouge, ou plutôt le tapis rose Les deux axes du plan sont le côté high-tech, et le côté gay-friendly. Un cabinet de communication "spécialisé pour les LGBT" est à l'œuvre. Reportages, subventions de personnalités gays pour venir en Israël, de l'art, du cinéma (comme le réalisateur Eytan Fox) Le projet est très explicite : "Nous avons décidé d'améliorer l'image d'Israël à travers sa communauté gay" (Stand With Us). Car en effet, à l'international et plutôt par l'Occident, être perçu comme gay-friendly, c'est être moderne, développé, cosmopolitain, démocratique, faire enfin partie du "global north". Une censure par divers moyens est mise sur les groupes qui essaient de dénoncer ou s'y opposer : arrêts de fonds, déprogrammation, censure numérique, etc.

Alors c'est vrai, comparativement aux pays arabes voisins, l'homosexualité est légale et les individus jouissent de diverses protections juridiques, là où elle est interdite et illégale au Liban, Syrie, Iran, Arabie Saoudite. Mais l'imaginaire d'un Eden Gay dans un environnement régional hostile est pourtant en décalage avec la réalité du vécu et d'accueil des minorités sexuelles sur le territoire. A l'intérieur du pays, l'homophobie reste très fréquente et Tel-Aviv est souvent présentée comme la seule ville vraiment libérale. Les Asso LGBTQ pointent en particulier l'homophobie de la police israélienne et les arrestations arbitraires dans des lieux de drague et bars. Ensuite, le durcissement des restrictions de mouvement imposées aux Palestinien.ne.s remet en cause l'idée d'un "refuge". Depuis 2000, les autorités israéliennes n'ont ni délivré ni renouvelé de permis de séjour aux homosexuel.le.s en fuite qui souhaiteraient s’y réfugier. Or, les personnes fuyant une violence homophobe et pour lesquelles une protection gouvernementale fait défaut sont en principe susceptibles de bénéficier d’une protection internationale au titre de la Convention des réfugiés qu’Israël a ratifiée en 1954. Mais le pays refuse toujours d’accorder aux Palestinien.ne.s le droit de déposer une demande de protection, invoquant le fait que ces demandeurs.euses d’asile sont susceptibles de menacer la sécurité nationale. Les autorités israéliennes refusent même de leur accorder un permis temporaire et n’appliquent pas, par conséquent, le principe de « non-refoulement » qui interdit la reconduite à la frontière d’une personne en danger dans son pays d’origine. Les Palestinien.ne.s LGBTQ+ sont enfin des cibles de choix pour les services de sécurité israéliens qui cherchent à les transformer en informateurs, en usant de chantage et de la menace du « outing »

Ce pinkwashing a de plus comme effet de camoufler l'oppression homophobe sur ses propres citoyen.ne.s, rediriger l'attention internationale portée auparavant sur ses crimes de guerres, et dégrader les valeurs et normes culturelles palestiniennes via des procédés orientalistes. Au vu de la bipolarisation extrême des deux camps, établir l'Israël en Eden Gay fait que l'homosexualité en Palestine pose également problème car elle renvoyée à l'occidentalisation et israelisation de la société palestinienne. Une personne homosexuelle en Palestine peut ainsi être persécutée en raison de son orientation, mais également car soupçonnée de collaboration.

Et enfin, invisibiliser les vécus arabes et queers : il y a également des groupes LGBTQ+ de Palestinien.ne.s qui militent et s'organisent, pour leurs besoins spécifiques, en posant leur double oppression, nationale et sexuelle, comme base de leur lutte.

Le cas Européen :

Maintenant, revenons à nos oignons et à nos contrées plates. En Europe également, les personnes LGBTQIA+ sont instrumentalisées à des fins nationalistes. Des secteurs et partis de l’extrême droite brisent leur association historique avec les valeurs familiales hétéronormatives, en intégrant à leurs agendas des politiques d’inclusion des LGBTQIA+, avec leurs propres objectifs.

Le narratif est partout le même : il est celui du “grand protecteur”, très singulier des acteurs et partis d’extrême droite, de la protection de la nation et cette fois-ci des homosexuel.le.s (mais que ceux qu’on aime bien) contre l’autre, le barbare, l’étranger. En somme, un argument parfait pour mettre en place des mesures restrictives visà-vis de l’immigration

Ces partis vont jusqu’à même vouloir organiser des “Prides” dans les quartiers à fort taux d’immigration, comme cela a été le cas à Londres ou à Stockholm en 2016

L’arc-en-ciel, oui, mais surtout en façade. Ces mouvements promeuvent une identité LGBTQIA+ totalement dépolitisée, effacée et surtout privatisée Parce que c’est bien connu, la sexualité n’a rien de structurant et codifiant dans la société et dans nos vies de tous les jours. Alors être homo, c’est ok si on le fait chez soi, bien caché.e dans sa chambre. C’est ok si dès qu’on franchit le pas de sa porte, on se conforme aux normes d’expression de genre Hors de question d’en parler à l’école, la légende raconte qu’on pourrait devenir homosexuel.le si on en parle trop longtemps.

L’Europe, qu’est-ce qu’on y est bien ! Le summum de la modernité ! Mais alors, comment on aide ces pauvres habitant.e.s des pays encore barbares ? Une nouvelle catégorie de demandeur.euse.s d’asile au niveau européen a été créée pour les personnes menacées en raison de leurs identités sexuelles ou de genre, mais un tiers de celles-ci sont refusées car l’administration ne “croit pas” leurs vécus, expériences, identités. Elles n’ont pas été considérées comme véritablement en danger. Ces entretiens sont particulièrement violents et très souvent déplacés.

Je vais essayer de conclure ces réflexions parsemées. Donner l’accès à la citoyenneté juridique et culturelle d’une certaine partie de la population homosexuelle, c’est suspendre momentanément l’hétéronormativité d’un État, des Etats, et renforcer le consensus et le sentiment national par la reconnaissance et l’incorporation de sujets précédemment marginalisés. C’est mettre en valeur sa prétendue inclusivité pour mieux asseoir ses autres spectres d’oppression. Car cet accès à la reconnaissance est tout sauf inconditionnel et dépend de la religion, l’ethnicité, la race, la classe, l’âge, l’état de santé, l’expression de genre, et encore bien d’autres embûches.

Et je vais finir par les interrogations d’Eric Fassin, partagées : comment faire pour que les campagnes en faveur de la dépénalisation universelle de l'homosexualité ou du mariage gay n'apparaissent pas comme des campagnes occidentales ? Comment faire pour ne pas abandonner de telles revendications alors même qu'elles peuvent être instrumentalisées à des fins xénophobes ?

Est-ce réellement sain d’utiliser les droits LGBT, et spécialement le mariage gay en baromètre de la modernité ?

Dernière petite braise avant de finir : quelle est la pertinence d’utiliser l’interdiction du mariage gay au Qatar pour inciter au boycott quand l’existence des personnes queer n’est même pas respectée dans nos pays occidentaux ?

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