Prix Charles Gide du meilleur reportage en économie sociale ème
21 édition PALMARÈS 2015
Ces articles sont publiables avec le nom de l’auteur et la mention : Cet article a été primé dans le cadre du Prix Charles Gide « du meilleur reportage en économie sociale » de la Fondation Crédit Coopératif.
1er Prix (2 500 €) Philippine ROBERT CFJ Paris
À Bordeaux, l’habitat participatif est dans les starting-blocks Face à la crise du logement, l’habitat participatif se développe. Dans la métropole bordelaise, où le prix du mètre carré est parmi les plus chers de province, les projets se multiplient. Pour le moment, ce n’est qu’un chantier comme les autres, entourés de grilles et de panneaux jaunes “Danger Travaux”. Coincé entre un arrêt de tramway, un stade et des grandes barres de béton à Bègles, dans la métropole girondine, ce bâtiment de bois et de paille n’est pourtant pas une résidence comme les autres. Les futurs occupants de “La Ruche” ne se sont pas contentés d’acheter ou de louer un appartement. “Les logements ont été pensés et voulus par les habitants, pas par des promoteurs immobiliers”, explique Audrey Canu, chargée d’études à la coopérative immobilière Axanis, qui porte ce projet avec la ville de Bègles et l’Etablissement Public d’Aménagement Bordeaux Euratlantique. “La Ruche” est ce que l’on appelle un habitat participatif. Les futurs habitants se sont réunis régulièrement, pendant plusieurs années, pour fixer un cahier des charges, concevoir les parties individuelles et les zones mutualisées et définir une charte autour de valeurs communes, comme l’entraide, la mixité sociale ou l’écologie. Une façon différente de penser le logement qui est en train de se répandre dans la métropole bordelaise. Chaleur humaine Si ce type d’habitat existe depuis des siècles, il bénéficie d’un regain d’intérêt ces dernières années. D’abord pour une raison économique. Se loger est devenu un parcours du combattant, surtout dans les grandes métropoles où les prix sont très élevés. À Bordeaux, le prix médian du mètre carré dépassé les 3000 €, ce qui en fait la quatrième ville de province la plus chère, derrière Nice, Lyon et Aix-en-Provence. Vivre dans les rues du centre-ville, classées au Patrimoine mondial de l’Unesco, est quasiment impossible pour les petits budgets. Même dans les communes alentours, comme Bègles, les tarifs de l’immobilier ne sont pas parmi les plus accessibles. Il ne reste alors plus qu’à s’inscrire sur les listes d’attente pour de l’habitat social pendant des années. En plus de l’aspect économique l’habitat participatif répond à une autre demande : “Ce que les gens veulent, c’est du contact humain. Dans les réunions publiques, ils demandent un retour à l’esprit de quartier”, constate Solène Chazal, élue de Bordeaux déléguée au logement et vice-présidente du Réseau des collectivités locales pour l’habitat participatif. Résultat, plusieurs projets sont en cours de réalisation dans la métropole bordelaise. Certaines initiatives sont portées par des organismes, comme “La Ruche” à Bègles ou le projet du COL (Comité Ouvrier du Logement) dans le quartier de Brazza, sur la rive droite. D’autres sont le rêve de groupes autoconstitués, comme H’Nord et L’Sud à Bordeaux ou les Boboyakas à Bègles.
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Plus de barres de béton L’habitat participatif reste une exception mais un pas en avant a été fait en 2014 avec la loi ALUR (Loi pour l’Accès au Logement et un Urbanisme Rénové). Depuis la suppression du statut de la coopérative d’habitants en 1971, il n’existait plus aucun dispositif légal encadrant ou favorisant ce type d’initiatives. Cette loi modifie le code de la construction et de l’habitat pour permettre la création de coopératives d’habitants ou de sociétés d’autopromotion, différentes voies qui peuvent être empruntées pour constituer ces collectifs d’habitants. Dans le cas de l’autopromotion, le projet est porté par des professionnels. “C’est rassurant pour les habitants, car les partenaires assurent le financement du projet et les accompagnent tout au long du processus”, détaille Audrey Canu. À Bordeaux intra-muros, en plus de Brazza, d’autres projets sont dans les cartons, près du Jardin Public, en partenariat avec l’office HLM Aquitanis, ou à Euratlantique, le nouveau quartier d’affaires qui est en train de se créer autour de la gare Saint-Jean. “On souhaite développer ces nouvelles façons d’habiter la ville. Les gens aspirent à vivre différemment, on ne va pas continuer à construire des barres de béton”, affirme Solène Chazal. Pas de spéculation La coopérative d’habitants pousse la logique de l’habitat participatif beaucoup plus loin, en supprimant le principe de propriété individuelle. “C’est comme une SCOP (société coopérative et participative, ndlr), mais transposé aux habitations. C’est la coopérative qui est propriétaire et les habitants détiennent des parts sociales”, résume avec simplicité Marc Lasaygues, le président de l’Atelier des coopératives d’habitants (At’Coop), la branche bordelaise d’Habicoop, association qui promeut cette idée de logement alternatif. Installé dans son local professionnel le long des quais de la Garonne, l’architecte détaille avec enthousiasme les modalités de ce dispositif, notamment l’impossibilité de spéculer, car en quittant la coopérative l’habitant récupère seulement son capital indexé sur le coût de la vie, et le principe de démocratie, chaque occupant disposant d’une voix. Sans oublier d’être une réponse au “modèle failli” de la politique du logement qui a été mené pendant des années. “L’idée est de construire la ville ensemble, par petites touches, et de ne pas laisser cela entre les mains d’un grand urbaniste. C’est de l’autogestion dans un projet politique, au sens étymologique du terme”, avance Marc Lasaygues. L’architecte fait aussi partie des membres fondateurs d’H’Nord, l’un des groupes autoconstitués à Bordeaux. Crée en 2004 par une “bande de copains qui voyaient le quartier des Chartrons bouleversé par les promoteurs immobiliers”, l’association a ciblé un terrain en forme de “H” pour proposer une autre manière de vivre au sein de la ville. “En sortant de l’école d’architecture, on pensait qu’on allait refaire le monde et pas faire comme les ‘vieux cons’. Au final, on bricole toute sa vie des choses plus ou moins réussies. Ce projet, c’est aussi une façon de finir sa carrière en beauté”, glisse avec malice Marc. Face à lui, Alia El Gaied est la dernière arrivée dans le projet. Egalement architecte, la jeune femme s’est intéressée à cette démarche alors qu’elle commençait à réfléchir à un achat avec son compagnon. “Mais il y avait quelque chose qui me gênait, je n’avais pas envie d’être propriétaire ou locataire, de servir ce système. La démarche d’H’Nord rejoignait ma vision de la ville”, explique-t-elle.
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Vieillir ensemble Pendant longtemps, les membres de ces collectifs se sont sentis incompris. “Nous étions des privilégiés, des bobos, des gauchistes, dans l’entre-soi, tous ces clichés, raconte Marc. Alors que, contrairement aux communautés des années 70, nous ne sommes pas des gens en révolte qui veulent recréer un système en-dehors, mais dans l’ouverture sur la société et ses débats. Les problèmes de la société sont les problèmes de la coopérative.” Les deux architectes racontent alors les discussions qui opposent “laïcards purs” et “féministes” pour savoir s’il faut accepter le voile au sein de la coopérative. Ce type d’habitat répond également à d’autres problématiques sociétales, comme l’autonomie des personnes handicapées ou la question du vieillissement. Un projet est en cours pour réunir de jeunes handicapés moteur et des retraités dans un logement participatif. Anne fait partie d’H’Nord. Elle raconte: “ je n’avais pas envie de vieillir entre ma télé et mon chat, je voulais avoir un groupe divers et varié autour de moi. Les Boboyakas, à Bègles, se sont même réunis autour de cette idée, du “pourquoi pas vieillir ensemble”. “On vivait les problèmes de nos parents face à la vieillesse, à la mort, aux maisons de retraite. Ce groupe, c’est une manière de trouver une réponse à la question du vieillissement”, retrace Raoul, l’un des Boboyakas. En attendant les décrets Si l’habitat participatif a été formalisé par une loi, tout n’est pourtant pas encore éclairci. Pour le moment, les décrets d’application de la loi ALUR n’ont pas encore été promulgués. Contacté, le ministère du Logement laisse entendre qu’ils le seront avant la fin du mois de juin. Ce qui n’empêche pas les politiques de s’emparer de cette question, laissée pendant longtemps en suspens. “Cela a été un bond en avant. Les projets étaient un peu inertes tant que le politique ne disait pas ‘banco, on y va’”, reconnaît Marc Lasaygues. Avant d’ajouter : “Maintenant, chaque ville veut son projet d’habitat participatif”. En attendant les décrets, les projets avancent petit à petit. Avant 2020, les premières coopératives d’habitants de la métropole girondine auront investi leurs nouveaux logements et peut-être inspiré de nombreuses autres initiatives. Du côté de la Ruche, celle-ci se mettre à butiner en 2016.
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2e Prix (1 500 €) Vincent GRIMAULT CFJ Paris
Les « Malteurs Echos », une autre économie du champ à la chope En Ardèche, une coopérative transforme de l'orge bio en malt à destination des brasseurs rhônalpins. Et tente de créer une filière locale, en appliquant les principes de l'économie sociale et solidaire. Il y a encore deux ans, ce n’était qu’un bâtiment très vieillissant, dans un quartier un peu anonyme de Beauchastel, un village de l’extrême ouest de l’Ardèche, à quelques centaines de mètres de la Drôme. Aujourd’hui, c’est un laboratoire d’une nouvelle économie qui s’invente : plus sociale, solidaire, et plus durable. Dans ce bâtiment, il y a désormais une malterie. « Malte quoi ? ». Une malterie, soit un endroit où l’on produit du malt, l’un des composants principaux de la bière. Depuis maintenant un an et demi, les « Malteurs Echos » transforment de l’orge locale et bio en malt, avant de le revendre à des brasseurs locaux, surtout rhônalpins. Les Malteurs Echos, c’est d’abord l’histoire de trois jeunes qui connaissent l’économie sociale et solidaire (ESS) depuis longtemps, et qui ont voulu la mettre au cœur de leur activité professionnelle. Baptiste François est trentenaire, mais il a déjà derrière lui un long passé de militant, notamment au Mouvement rural de jeunesse chrétienne (MRJC), une organisation d’éducation populaire qui rassemble des jeunes ruraux engagés dans l'animation de leur territoire. Marie Bourdon a aussi milité au MRJC, avant d'en devenir salariée, comme Baptiste. Quant à Guillaume Bourdon, il a longtemps été encadrant dans l'insertion par l’activité économique. Alors au moment de lancer leur activité, l’ESS est apparue comme une forme d’évidence. Le projet de la malterie a mis plus de temps à germer. « L’idée nous est venue en rencontrant des brasseurs ardéchois et rhônalpins. On s’est rendu compte qu’ils devaient importer leur malt pour produire leur bière locale. Ecologiquement c’était absurde ! » s’exclame Baptiste François. Reste qu’un malt local et bio revient plus cher qu’un malt industriel qui vient d’Allemagne. Pas de quoi inquiéter les Malteurs Echos, qui citent en exemple la coopérative Ardelaine, qui, tout près, transforme de la laine locale en vêtements « Made in Ardèche ». Une filière locale de qualité Une étude de marché et une installation en Ardèche plus tard, les trois amis lancent leur projet et créent une Société coopérative d’intérêt collectif (SCIC). Baptiste explique : « On a réalisé que les brasseurs travaillaient chacun dans leur coin, et ne connaissaient pas les agriculteurs, alors qu’ils utilisent leur orge via le malt. La SCIC permet de mettre tous ces gens en lien ». C’est un des objectifs des Malteurs Echos : faire le lien « du champ à la chope » et créer une filière locale et de qualité. Ils choisissent alors de produire du malt bio, à partir d’orge certifié. « On ne peut pas se battre sur les prix avec les industriels » ajoute Baptiste. Le malt est en effet vendu 1 150 euros la tonne, contre 600 dans l’industrie. Mais proposer du malt deux fois plus cher, c’est possible, « pour peu qu’on porte quelque chose d’autre » précise-t-il.
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Ce quelque chose d’autre, ce n’est pas un hasard si les Malteurs Echos le trouvent entre la Drôme et l’Ardèche. La malterie est installée à quelques kilomètres de « Biovallée », un territoire drômois pilote en matière de développement durable. Sur cet espace rural, 27 % de la surface agricole est cultivée en bio, contre 4 % en moyenne en France. Un travailleur sur cinq fait partie d'une structure de l'économie sociale et solidaire, deux fois plus que dans le reste de la région Rhône-Alpes. Côté Ardèche, les initiatives en faveur d’une autre économie fourmillent elles aussi. Un environnement idéal pour lancer une filière de qualité. La SCIC Malteurs Echos rassemble aujourd’hui 62 sociétaires : fondateurs, salariés, agriculteurs, brasseurs, consommateurs et clubs CIGALES (Club d’Investisseurs pour une Gestion Alternative et Locale de l’Epargne Solidaire). Développer l'emploi rural local La mayonnaise prend rapidement. En 2013-2014, les Malteurs produisent 100 tonnes, après une phase d’expérimentation avec quelques brasseurs qui les ont encouragés dès le début. David Desmards en fait partie. Brasseur dans la Drôme, il achète du malt ardéchois pour produire une de ses bières : « J’apprécie beaucoup leur démarche qui consiste à monter un réseau local de qualité et échanger avec les producteurs. Ca répond aussi à la demande de mes clients, qui veulent savoir ce qu’il y a dans leur bouteille ». Même son de cloche chez Benoît Ritzenthalen, brasseur indépendant installé à quelques kilomètres de la malterie : « L’arrivée des Malteurs Echos est une bonne nouvelle, car dans le milieu brassicole, il n’y a pas d’esprit coopératif. C’est plutôt la méfiance qui règne ». En amont de la chaîne, le discours est proche chez François Sausse, agriculteur bio qui fournit de l’orge à la malterie : « Je suis content de pouvoir valoriser ma production localement. Financièrement, je n’y gagne pas grand-chose de plus, mais je suis heureux de pouvoir faire travailler mes voisins. » L’emploi local est justement l’autre grand objectif des Malteurs Echos. En plus de deux des fondateurs devenus salariés, la SCIC a recruté deux employées à temps plein, qui gèrent les aspects commerciaux, administratifs et la qualité. Célia Knidel, 26 ans et Constance Redhon, 24 ans ont toutes les deux choisi d'être sociétaires de la SCIC. "J'avais envie de m'investir autrement que par mon poste dans la coopérative, et je voulais pouvoir voter lors de l'assemblée générale. Je pense que c'est important de s'impliquer totalement quand on est dans ce genre d'entreprise" dit la première. Même discours pour la seconde, qui ajoute : "Le statut SCIC fait qu'il y a des personnes extérieures à la malterie comme sociétaires. Ca nous apporte un regard extérieur intéressant, et humainement, cela a du sens de produire du malt à plusieurs, de connaître l'agriculteur et le champ dans lequel l'orge a poussé, et de savoir pour quelle bière le brasseur l'utilise. C'est important pour moi, et j'imagine difficilement travailler autrement." L'insertion par le travail Le travail à la malterie va donc plus loin qu'un simple boulot. Pour la production et le travail plus manuel, les Malteurs ont opté pour l'insertion par l’activité économique en créant trois emplois. Ils veulent proposer de l’emploi local aux jeunes en situation de précarité. C’était le cas d’Anthony Porte, qui a travaillé en contrat d'insertion pendant un an à la malterie, après deux ans au chômage. « Ils m’ont très vite fait confiance, jusqu’à me laisser à la production le week-end, tout seul. C’était très valorisant. En soi, le métier de malteur me plait moins que d’autres métiers que j’ai pu pratiquer avant. Mais avant, je ne me rendais pas tous les jours au travail. A la malterie, je n'ai jamais loupé une journée. Parce que des patrons comme ça, c’est rare ».
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Baptiste précise : « L’idée n’est pas de leur apprendre à être malteur, mais de leur donner confiance dans leur capacité à acquérir des compétences, par exemple en matière de logistique, d’hygiène de production ou d’organisation ». Un travail quotidien, pas toujours facile, ajoute-t-il. Et qui ne trace pas automatiquement un avenir, constate Anthony « J’avais trouvé un contrat d’avenir à la SNCF après avoir quitté la malterie. Mais la région vient de m'informer qu'ils n'avaient finalement pas les subventions prévues pour m'embaucher. Tant pis, je vais reprendre une formation. Grâce à la malterie, j’ai pu m’installer avec ma compagne et mon enfant, alors qu'avant je vivais chez ses parents. Je veux pouvoir maintenir ça ». Un autre modèle Les Malteurs pensent pouvoir créer à terme 10 à 12 emplois en insertion avec l’augmentation de la production, en plus des quatre emplois supports déjà existants. Leur objectif est de produire 1 000 tonnes de malt par an, contre 100 aujourd’hui. Mais ils refusent de grandir davantage : « Ce serait incohérent avec tout ce qu’on prône" précise Baptiste François, déterminé. "On veut continuer à pouvoir trouver du sens à ce qu’on fait au quotidien. Laissons d'autres malteurs locaux s'installer. D’ailleurs, nous avons deux visites par semaine. Notre démarche de développement agri-rural intéresse. On est en train de montrer qu’une autre économie est possible ». Deux ans après, le bâtiment vieillissant de la malterie n'est pas beaucoup plus moderne. Il a pris un petit coup de jeune certes, les murs semblent un peu moins gris. Désormais, au milieu des sacs d’orge bio, le malt est en train de tremper, puis de sécher, sous l’œil attentif des malteurs. Mais ce n’est pas ça, qui a le plus changé. Non, ici, c’est surtout un modèle d’économie alternative qui est en train de mûrir.
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3e Prix ex-aequo (1 000 €) Yoann LE NY EJC Aix-Marseille
Ma petite coopérative ne connaît pas la crise Croissance en berne, chiffre d’affaires en baisse, voire liquidations : les perspectives de nombre de sociétés françaises ne sont guère rassurantes. Dans cet environnement difficile, quelques entreprises résistent mieux à la crise. Leur particularité : ce sont des Scop. Serge Boureau est un PDG heureux. Dans son bureau, il consulte les derniers chiffres de Macoretz, la société de construction de logements située en Loire-Atlantique qu’il dirige depuis 28 ans. Vingt millions d’euros de chiffre d’affaires en 2014, une hausse de 3 % dans un secteur très concurrentiel. Sur la même période, ce chiffre a baissé de 10 % en moyenne dans les firmes de la même branche. La santé de l’entreprise est excellente. Sa particularité : Macoretz a opté pour la forme coopérative. Démarrée avec quatre associés militants et précurseurs en 1986, la Scop emploie aujourd’hui 190 salariés et compte 112 sociétaires. « Notre chiffre d’affaires grossit d’années en années, se félicite Serge Boureau. Et nous recrutons 6 à 7 personnes par an. » Un très joli succès alors qu’une crise est passée par là et que le secteur de la construction se porte mal. Le secret de Macoretz serait-il justement d’être une Scop ? Cette résistance des entreprises coopératives aux moments difficiles est confirmée par un chiffre de la confédération générale des Scop. En 2013, 76 % des coopératives lancées en 2010 étaient toujours en activité, contre 65 % des entreprises classiques. Une résistance à la crise, une « résilience », selon Nadine Richez-Battesti, maître de conférences en sciences économiques à l’université d’Aix-Marseille. « La résilience, c’est cette force qu’ont les entreprises à amortir les périodes de vache maigre avec l’aide de différents dispositifs. Et pour les Scop, ces dispositifs se trouvent dans leur structure même », détaille la spécialiste de l’économie sociale et solidaire. Des comportements moins risqués L’obligation de mise en réserve semble être l’élément déterminant de cet arsenal. En clair, les entreprises coopératives doivent mettre de côté une partie de leurs recettes chaque année, le minimum légal étant de 15 %. « Les comportements sont donc moins risqués, analyse Nadine Richez-Battesti. Cela leur donne la capacité d’amortir la crise si elle n’est pas trop longue, ce qui n’est pas forcément le cas pour les autres entreprises. » Les Scop ne sont également pas obligées de rémunérer leurs actionnaires. Et quand elles le font, elles le font très modestement (moins de 3 % par an). L’avantage : l’entreprise dispose d’une marge de manœuvre plus forte, car ces sommes non distribuées peuvent être directement réinjectées et servir à développer la société. Cela permet notamment aux Scop d’établir leurs objectifs sur le long terme, au contraire des entreprises classiques, qui doivent prendre des décisions à court terme, afin que la rentabilité de la société soit effective dès les premiers temps. Pour les coopératives, c’est moins cette logique de bénéfices rapides qui les anime. « Ces entreprises ont donc pour objectif principal de construire le meilleur produit et non de rechercher la rentabilité immédiate », précise
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Nadine Richez-Battesti. Et pour les y aider, les coopératives peuvent s’appuyer sur un allié de poids : leur union régionale. Tous les cinq ans, ces entreprises doivent effectuer une révision coopérative auprès d’elle, c’est le moment de rendre des comptes. C’est également le moment où la stratégie de l’entreprise peut être remise en question et améliorée, avec l’aide des membres de cet organisme. Chaque union régionale dispose aussi d’outils de financement, destinés à aider à résoudre les problèmes financiers des Scop quand les banques font défaut. L’humain avant tout Plus que les finances, l’important, pour tous les dirigeants de coopératives, c’est le capital humain. C’est leur principale force. Pour Serge Boureau, c’est même la source de son engagement. « Le principe du "un homme égale une voix" m’a immédiatement séduit. » Le salarié peut choisir d’être sociétaire de son entreprise, et donc de posséder une partie de son capital. Ainsi, il connaît mieux les enjeux du développement de la société, se sent plus concerné par son travail, et cela permet de mettre en place une stratégie de développement plus importante. « Mais attention, tempère Nadine Richez-Battesti, cela ne marche que si l’entreprise a un grand nombre de salariés-sociétaires. L’avantage, c’est de faire partager les à-coups de développement de la Scop. » Le fait d’avoir un projet d’entreprise partagé entre la direction et les salariés-sociétaires est un moyen d’impliquer tout le monde. « Devenir sociétaire, c’est un choix, un acte volontaire. On ne réussit pas si les gens n’ont pas envie de le devenir », explique le dirigeant de Macoretz. Concrètement, dans cette entreprise, il faut que le salarié investisse 5 % de sa rémunération dans le capital de l’entreprise afin de devenir sociétaire. Il doit également s’impliquer dans la gestion de la Scop, notamment par le biais de réunions. Et si la société peut compter sur un taux de sociétariat qui avoisine les 60 %, 5 points de plus que la moyenne, c’est parce qu’elle y met les moyens : 5 % des coûts de la masse salariale sont destinés à former les salariés-sociétaires, notamment à la gestion d’entreprise. Un chiffre élevé, le taux légal étant de 1,6 %. « Les sociétaires comprennent mieux ce qu’est un bilan ou un business plan. Nous sommes la Scop qui formons le plus de coopérateurs dans la région », complète Serge Boureau. Le but : permettre aux salariés d’être véritablement acteurs. « Quand tout le monde s’implique, la machine roule trois fois plus vite qu’une entreprise classique », se réjouit-il. La Scop numéro 3 mondiale La prise en compte et la mise en avant de ce capital humain peut même permettre à une Scop de jouer à armes égales avec des multinationales cotées en bourse. C’est le cas du groupe Up (anciennement Chèque Déjeuner). Créée il y a 50 ans, la coopérative est devenue un modèle de réussite, admiré par toutes les Scop. Présent dans 14 pays, le groupe Up est numéro 3 mondial sur le marché des titres de service, avec 319 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2014. Pour Jean-Philippe Poulnot, l’un des administrateurs du groupe, le facteur le plus important de leur réussite est le facteur humain. « Les salariés-sociétaires sont propriétaires de l’entreprise, de manière collective. Ils mettent la main à la pâte. À partir du moment où la société vous appartient, vous faites attention. » Et cette importance de l’humain est bien retranscrite au sein du groupe Up. Pour preuve, les administrateurs, chargés de décider de la stratégie de développement de l’entreprise viennent de différents horizons : pôle international, unité de production… Comme le résume Jean-Philippe Poulnot : « Il y en a toujours plus dans plusieurs têtes que dans une seule, fût-elle bien faite. »
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Autre avantage d’avoir opté pour la forme coopérative : « Cela nous permet d’être patients, d’être capables d’investir sur le long terme, cinq ou six ans, par exemple dans une filiale, détaille-t-il. Le fait de ne pas avoir d’actionnaires permet de lisser nos éléments financiers dans la durée et ainsi rendre l’entreprise pérenne et solide. » Les actionnaires, ce sont eux qui contribueraient à mettre l’entreprise traditionnelle en difficulté, selon Jean-Philippe Poulnot. « Ils veulent toujours un retour sur investissement, même en temps de crise. À la différence de nos concurrents, on ne regarde pas le cours de la bourse tous les matins. On ne se pose pas ce genre de questions. » Libérées de ces considérations, les Scop peuvent donc focaliser leur attention sur le bien-être de leurs salariés et la satisfaction de leurs clients. L’esprit même d’une entreprise.
3e Prix ex-aequo (1 000 €) Lilia HASSAINE IFP Paris
Gérard Niyondiko, patron anti-moustique Les idées les plus simples sont souvent les meilleures… Et ce n’est pas Gérard Niyondiko qui fera mentir le dicton : le burundais de 38 ans a cofondé l’entreprise sociale Faso Soap il y a trois ans, avec Moctar Dembélé, un jeune burkinabé de 25 ans. Ensemble, ils ont inventé un savon contre le paludisme, une maladie parasitaire transmise par les moustiques : « Une étude dans 15 pays africains montre que même les populations les plus pauvres utilisent le savon pour le nettoyage des habits, des assiettes, et pour le corps. C’est pour cela que nous avons pensé à un savon anti-moustique à un prix accessible permettant à la population d’intégrer la prévention contre le paludisme à ses habitudes, sans nécessiter de dépenses supplémentaires » explique-t-il. La lutte contre le paludisme, il y pense depuis ses études de chimie. Il avait alors 24 ans. Originaire de la province de Bururi, une région burundaise où l’on exploite le palmier à l’huile, l’un des composants du savon, il s’était fixé comme objectif de créer une usine de fabrication de savon à la fin de son cursus : « Cette idée n’a cessé de croître en moi et j’ai tenté le tout pour le tout pour la réaliser. Mais j’ai vite réalisé qu’avec mon salaire il me serait difficile d’atteindre mon rêve. » Gérard devient alors professeur de chimie au lycée, et travaille en parallèle avec des entreprises locales. Mais il n’oublie pas son objectif, et à force de persévérance, l’Ambassade de France de son pays accepte, en 2012, de lui financer une formation : il intègre alors le Master en environnement de l’école 2iE, une école d’ingénieurs au Burkina Faso. « A ma grande surprise, on a commencé les cours sur la création d’entreprise et la rédaction d’un business plan ! J’étais émerveillé, je réalisais que j’étais arrivé dans un lieu propice au développement de l’innovation » raconte Gérard, passionné. C’est là qu’il rencontre Moctar Dembélé, avec lequel il forme un groupe de travail : « malgré les nombreux points qui auraient pu nous écarter l’un de l’autre, l’âge, la religion, nous nous sommes rapprochés car nous avions le même désir, celui d’éradiquer le paludisme en Afrique à partir de ressources 100% locales. » Le Burkina Faso est le pays où le taux d’enfants infectés par la malaria est le plus élevé, selon l’Organisation Mondiale de la Santé. En Afrique, le paludisme tue un demi-million de personnes par an, principalement des enfants de moins de cinq ans et des femmes enceintes. Avec son associé, Gérard Niyondiko imagine alors un savon préventif : « le projet de savonnerie s’est transformé en vrai projet de 10
lutte contre les moustiques. Le savon n’allait finalement être qu’un moyen au service d’un combat qui avait beaucoup plus de sens. » Son projet d’entreprise sociale vise à surmonter deux obstacles : Les médicaments et les autres produits utilisés pour la prévention tels que les crèmes anti-moustiques, les sprays, sont souvent trop chers pour les populations, dont le salaire moyen par mois avoisine les 56 euros (37.000 Francs CFA). Par ailleurs, le développement des moustiques est plus important dans les zones où les conditions d’assainissement ne sont pas bonnes : les larves éclosent dans les eaux stagnantes. Gérard pense donc à un savon anti moustique au même prix que les autres savons du marché : « Mieux vaut penser à la prévention qu’à la guérison. Au Burkina Faso, une boule de savon classique de 300 grammes coûte autour de 300 FCFA, soit 46 centimes d’euros. Notre produit ne devra pas excéder ce prix. » Sans oublier l’intérêt écologique : contrairement aux autres produits répulsifs, les principes actifs utilisés dans la fabrication du savon sont naturels. Citronnelle, herbes, beurre de karité, huile de palmier, huiles essentielles, et autres ingrédients tenus secrets, le cocktail « Faso Soap » a la propriété de tuer les larves présentes dans les eaux usées. En 2013, Gérard et Moctar présentent leur prototype à la Global Social Venture Competition, un concours international d’entreprenariat social destiné aux étudiants. Organisé par l’université de Berkeley, aux Etats-Unis, le GSCV récompense chaque année des projets d’entreprises sociales et solidaires. Quand les besoins d’une population ne peuvent être satisfaits ni par les pouvoirs publics, ni par les entreprises traditionnelles guidées par une logique de marché, ces dernières inventent des solutions innovantes. Celle de Gérard Niyondiko et Moctar Dembélé répond justement à cette exigence : « Aucun statut juridique spécifique n’existe pour ce type d’entreprises, mais dans notre cas les objectifs d’impact social sont au cœur du projet, au même titre que les objectifs économiques. Convaincus que la démarche privée responsable est la nouvelle voie de développement en Afrique, nous utilisons l’entreprise comme un moyen durable d’apporter une réponse à un problème social d’envergure. » Sélectionnés en finale parmi des centaines de candidats du monde entier, les deux amis survolent chaque étape avec détermination et passion. Gérard a dû quitter sa famille deux ans plus tôt pour s’installer au Burkina Faso et lancer son projet : « Etant père d’une famille de quatre enfants, saisir cette opportunité signifiait prendre le risque de mettre ma famille en insécurité et laisser toutes les charges à ma femme. Heureusement pour moi, c’est elle qui m’a encouragé à aller de l’avant. » Mais ce jour-là, il sait que ces sacrifices ont été fructueux. Faso Soap remporte le 1er prix, d’une valeur de 25.000$. Une première, puisque jamais auparavant une équipe africaine n’avait remporté cette compétition. De quoi passer du concept à la conception de façon plus sereine : « L’impact social que ce projet pourra apporter une fois qu’on arrivera à la mettre en place, voilà la seule chose qui me motive chaque matin quand je me lève. » confie Gérard, transporté. Aujourd’hui, le jeune entrepreneur travaille au sein d’un incubateur spécialisé dans l’accompagnement d’entreprises sociales : La Fabrique, à Ouagadougou. Avec des laboratoires de recherche et des étudiants, il finalise la phase de développement de son produit et doit bientôt lancer des tests d’efficacité et d’innocuité. Si tout va bien, le savon sera en vente début 2016 : « Une grande partie des recettes de Faso Soap sera réinvestie dans la recherche. Nous envisageons aussi d’accompagner le ministère de la santé et certaines ONG qui œuvrent dans la lutte contre le paludisme. Mon souhait, c’est de voir une Afrique exempte
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de paludisme grâce à des solutions de prévention simples, efficaces, abordables et fabriquées localement.» Faso Soap collabore d’ors et déjà avec des acteurs locaux, dont une coopérative de femmes burkinabés, qui produisent du beurre de karité. Gérard veut montrer que l’Afrique a les moyens de prendre en charge son avenir économique : « En tant qu’entrepreneur social, mon grand rêve est de voir l’Afrique sortir de la pauvreté. Et je crois que nous pouvons y parvenir par nous-mêmes, par la conjugaison de nos forces et de nos ressources. Les produits Faso Soap sont d’abord destinés plus particulièrement au « bas de la pyramide », aux populations les plus pauvres pour lesquelles le taux d’infection est plus élevé. » Gérard Niyondiko est l’un de ces nouveaux entrepreneurs sociaux Africains, conscients d’appartenir à une communauté de destins. Pour éradiquer une des maladies les plus meurtrières au monde, son savon local est, au même titre que les vaccins expérimentaux, un espoir pour tout un continent.
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Prix Charles Gide 2015 du meilleur reportage en économie sociale ----Jury - 21e édition ----Guy BERNIERE Journaliste honoraire, AFP
Nicolas BARRIQUAND Journaliste, L’Express non présent aux délibérations
Sébastien COLSON Journaliste, Le Dauphiné Libéré
Marie-Candice DELOUVRIÉ Journaliste, France 3 non présente aux délibérations
Camille DORIVAL Directrice générale adjointe, Alternatives économiques
Benoît HOPQUIN Grand reporter, Le Monde
Jessica HUYNH
Journaliste, Emballages Magazine - Lauréate du 1er Prix Charles Gide 2014
Annie KATZ Journaliste honoraire, Liaisons sociales LAMY
Julie LALLOUET-GEFFROY Journaliste indépendante – Club de la Presse Bretagne
Philippe MARCHAL Président du syndicat de la presse sociale, CIEM
Isabelle MOREAU Directrice de la rédaction, AEF Social/RH
Laurance N’KAOUA Journaliste, Les Echos
Georges POTRIQUET Journaliste honoraire, Le Figaro
Claire RAINFROY Journaliste, Jeune Afrique
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