Programme de conférenciers invités en santé amérindienne de l'Université de Toronto

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FONDATION CANADIENNE DES RELATIONS RACIALES

PROGRAMME DE CONFÉRENCIERS INVITÉS EN SANTÉ AMÉRINDIENNE DE L’UNIVERSITÉ DE TORONTO : S’ATTAQUER AUX PRÉJUGÉS INCONSCIENTS Chandrakant P. Shah, M.D., FRCPC, S.M. (Hyg), O.Ont. Professeur honoraire Dalla Lana School of Public Health Université de Toronto Mai 2020


Programme de conférenciers invités en santé amérindienne de l’Université de Toronto : S’attaquer aux préjugés inconscients

Chandrakant P. Shah, M.D., FRCPC, S.M. (Hyg), O.Ont. Professeur honoraire Dalla Lana School of Public Health Université de Toronto et Médecin consultant honoraire Anishnawbe Health Toronto

Contact : c.shah@utoronto.ca


Résumé Le préjugé inconscient désigne un préjugé que nous possédons, mais que nous ignorons et ne contrôlons pas. De tels préjugés inconscients chez les prestataires de soins de santé et de services sociaux pourraient expliquer certaines disparités en matière de soins de santé, tout comme ils ont une incidence sur d’autres disparités dans la société. En 1980, en tant que professeur, je me suis rendu compte qu’il existait parmi les étudiants de premier et de deuxième cycle et les chercheurs de l’Université de Toronto, de même que chez les travailleurs du domaine de la santé et dans la population en général, de tels préjugés envers les populations autochtones. Comme aucun contenu donnant la parole aux Autochtones ou relatant leurs expériences ne faisait partie des programmes d’études des facultés de sciences sociales et de la santé, le programme Visiting Lectureship on Native Health (« Conférenciers invités en santé amérindienne »), d’une durée de trois semaines, a été instauré en 1990. L’objectif était de sensibiliser les travailleurs en soins de santé (actuels et futurs) aux problèmes des Autochtones de façon à ce que les services offerts tiennent compte de leur dimension culturelle. Une fois devenus des décideurs, ces travailleurs adapteraient mieux leurs politiques et, au fil du temps, deviendraient des défenseurs des besoins autochtones. Ce programme a duré onze ans, de 1990 à 2001. Chaque année, un thème différent était abordé et d’éminents intervenants autochtones de tous horizons et de partout au pays ont été invités à venir donner des conférences dans trois universités de Toronto. En plus de permettre l’organisation de tribunes publiques, le programme a également permis d’offrir des séances de formation dans des hôpitaux universitaires et communautaires et des groupes de professionnels de la santé. Les résultats d’une évaluation réalisée ultérieurement ont montré que les intervenants autochtones avaient été extrêmement bien reçus dans le cadre de ce programme et que le contenu des conférences avait été précieux; les intervenants autochtones ont évalué que le programme avait été très utile, autant pour leur public que pour leur croissance personnelle. Au bout de onze ans, un fonds de dotation de deux millions de dollars a


servi à financer une chaire en santé et bien-être autochtones à l’Université de Toronto, la première du genre au Canada, et à embaucher un professeur autochtone. Ce projet était en accord avec les recommandations de la Commission de vérité et de réconciliation en matière d’éducation pour éliminer les préjugés inconscients chez les professionnels de la santé. Il est bien établi que de nombreux facteurs sous-jacents ont des répercussions négatives sur la santé des Autochtones, dont la pauvreté et les effets intergénérationnels de la colonisation et des pensionnats indiens. Mais un obstacle à une bonne santé relève directement du système de santé lui-même. Beaucoup d’Autochtones ne faisaient pas confiance aux services de soins de santé classiques — et ne les utilisaient donc pas — parce qu’ils ne se sentaient pas à l’abri des stéréotypes et du racisme et parce que l’approche occidentale de la médecine pouvait créer chez eux des sentiments d’aliénation et d’intimidation. Conseil canadien de la santé (2012) Le Conseil canadien de la santé a établi que les Autochtones au Canada subissaient directement du racisme et de la discrimination dans le système de soins de santé (Conseil canadien de la santé, 2012). Au cours des cinquante dernières années, en tant qu’enseignant, j’ai agi comme chercheur tout en militant en faveur d’une meilleure santé autochtone. Dans cet article, j’explique à quel point les préjugés inconscients envers les peuples autochtones sont présents chez les étudiants de premier cycle et je décris le programme éducatif dont l’objectif était de lutter contre ces stéréotypes. Nous parlons ici de préjugés automatiques, influencés par nos antécédents, notre environnement culturel et nos expériences personnelles, déclenchés par le cerveau et qui lui font juger et évaluer rapidement les personnes et les situations (Cornish Consulting Services, 2014). De tels préjugés inconscients chez les prestataires de soins de santé et de services sociaux pourraient expliquer certaines disparités en matière de soins de santé tout comme ils ont une incidence sur d’autres disparités dans la société (Blair IV, Steiner JP et al 2011; Kitching, GT, Firestone, M., Schei, B. 2019).


Si, dans ce document, j’emploie le terme « amérindien » pour nommer les peuples autochtones, ce n’est pas par manque de respect, mais plutôt parce qu’il s’agit du terme utilisé dans les années 1990 lorsque ce travail a été réalisé.

Éducation à la santé autochtone à l’Université de Toronto dans les années 1990 En 1982, j’étais très conscient des problèmes de santé des Autochtones ainsi que de l’effet des déterminants sociaux et politiques sur leur santé. L’état de santé des Autochtones était lamentable et, comme d’habitude, très peu de gens tentaient d’améliorer ce triste état de choses. Je croyais alors que, pour améliorer la qualité de vie des peuples autochtones et apporter progressivement des changements durables à leur santé, le public canadien devait y être mieux sensibilisé. Pour ce faire, j’étais d’avis que les établissements d’enseignement supérieur, comme l’Université de Toronto, devaient agir en leaders afin de sensibiliser et d’inciter le public à soutenir les peuples autochtones. Mais, en regardant autour de moi à l’Université de Toronto, et en particulier dans mon propre département des sciences de la santé publique (qui porte aujourd’hui le nom de Dalla Lana School of Public Health), j’ai constaté le peu d’efforts déployés, que ce soit pour enquêter sur les difficultés éprouvées par les peuples autochtones ou pour créer des mouvements de soutien. Déçu, mais non découragé, j’ai imaginé qu’au sein des sciences de la santé publique, un poste permanent pourrait être créé pour un professeur autochtone qui se consacrerait à la santé autochtone. Par écrit, j’ai demandé au doyen de la faculté de médecine de l’époque (étant donné que notre département faisait partie de cette faculté), et par la suite aux deux doyens qui l’ont suivi, si une telle chaire pouvait être créée. Dans mes lettres, j’insistais sur les changements sociaux que cela pourrait inspirer au sein de l’université et à travers le Canada. Malheureusement, ces envois sont restés lettre morte et toutes mes tentatives pour discuter du sujet


avec le doyen ont échoué. J’ai commencé à réaliser que la création d’un tel poste ne pourrait se faire sans le soutien du public. Genèse du programme de conférenciers invités en santé amérindienne En tant que professeur à la faculté des sciences de la santé publique de l’Université de Toronto et chercheur en santé autochtone, les facultés de sciences sociales et de sciences de la santé de l’Université m’invitaient souvent à donner des conférences d’une à deux heures sur la santé autochtone. De telles conférences attiraient entre 100 et 150 étudiants de plusieurs facultés, dont celles de pharmacie, des sciences infirmières, de dentisterie et de travail social (Shah C. P., Svaboda T et Goel S., 1996). Je m’étais fait un point d’honneur de commencer chaque conférence par une activité simple qui, selon moi, donnait la mesure du niveau de compréhension des étudiants de la culture autochtone. Suivant la présentation, je demandais au public : « Quels adjectifs vous viennent à l’esprit lorsque vous pensez aux peuples autochtones? ». Je les encourageais à dire tout ce à quoi ils pensaient, peu importe l’interprétation que l’on pouvait en donner. Avant qu’ils me répondent, je leur tournais généralement le dos, me plaçant face au tableau noir afin de ne pas influer sur leurs réponses. Généralement, les étudiants répondaient honnêtement et j’écrivais au tableau la plupart des mots énoncés. Après cela, je recommençais l’activité, mais en utilisant un groupe ethnique diffèrent dans l’énoncé, par exemple les Chinois, les Allemands ou les Français. Après avoir transcrit leurs réponses, je me retournais vers l’assistance et je demandais à tous ceux qui connaissaient un Autochtone de lever la main. En général, une dizaine de mains se levaient. Puis, je demandais combien d’entre eux avaient déjà pris un repas en compagnie d’un Autochtone qu’ils connaissaient. À ce moment, 4 à 5 mains tombaient. En terminant, je demandais s’il y en avait qui étaient déjà entré dans la maison d’un Autochtone. Presque toujours, il n’y avait plus aucune main levée. Je me retournais alors vers le tableau pour revoir les mots inscrits. En général, près de quatre-vingts pour cent de ceux concernant les Autochtones étaient des stéréotypes négatifs. Le contraste était


frappant avec les mots concernant les autres groupes ethniques qui comprenaient près de quatre-vingts pour cent de notions positives. Je savais que les étudiants n’étaient pas foncièrement racistes et qu’ils se rendaient compte de l’erreur commise. Afin de comprendre comment un groupe de personnes aussi instruites pouvait tomber dans le piège grossier du stéréotype que l’on accole à toute une race, je leur demandais d’expliquer ce qui leur faisait croire que ces stéréotypes négatifs s’appliquaient aux autochtones. À leurs yeux, les plus grands coupables étaient les médias et la représentation négative qu’ils donnaient des peuples autochtones. Bien sûr, je comprenais cette perception, mais je restais toujours un peu interloqué en rappelant à mon auditoire que l’objectif des études supérieures était justement de développer la « pensée critique » – mais je n’ai jamais critiqué mon public, parce que je savais qu’il possédait les outils nécessaires pour ne pas adhérer à la négativité véhiculée par les médias. Au fil de mes conférences, les mêmes perceptions au sujet des peuples autochtones se répétaient constamment et cela m’ennuyait. J’ai commencé à réaliser que, dans l’enseignement supérieur, il existait un manque flagrant d’éducation à la culture autochtone. J’ai également réalisé que dans les écoles primaires et secondaires fréquentées par les étudiants, la culture autochtone n’avait jamais été abordée. C’est alors qu’une idée a commencé à germer dans mon esprit, soit celle de créer une sorte de tribune universitaire où l’on inviterait des intervenants autochtones à venir témoigner. Je me disais que si des Autochtones venaient en personne raconter leurs expériences, l’impact sur le public serait plus grand que celui que pouvait avoir l’intervenant non-autochtone que j’étais. Les intervenants autochtones seraient ainsi à même de réclamer une plus grande justice sociale. C’était en 1990 et le Canada traversait une grave récession. Il n’y avait aucune possibilité de financement pour une telle tribune, ni de l’université, ni de mon département, ni d’organismes à but non lucratif. Au sein des organismes subventionnaires canadiens, rien n’était prévu pour de tels forums annuels. Pour obtenir les fonds nécessaires, j’ai donc commencé à approcher un certain nombre d’agences et de fondations, en demandant à chacune une petite contribution tout en leur assurant que je n’utiliserais leurs fonds que si je parvenais à obtenir le montant


de 25 000 $ requis pour les cinq prochaines années. Beaucoup de mes collègues doutaient de ma capacité à réunir une telle somme. En recueillant des fonds auprès de divers groupes (aujourd’hui, cela s’appellerait du financement participatif), j’ai réussi à réunir la somme nécessaire pour faire vivre le forum dont je rêvais pendant cinq ans. J’ai nommé ce forum/programme Visiting Lectureship on Native Health  (« Conférenciers invités sur la santé amérindienne ») (à l’époque, le mot autochtone n’était pas courant). Conférenciers invités en santé amérindienne Comme mentionné précédemment, à la fin des années 1980, l’état de santé des Premières nations du Canada était déplorable (Shah CP et Johnson R, 1992). Les enfants de moins de 15 ans, qui représentaient 35 % de la population, étaient particulièrement touchés. Au début des années 1990, le taux de mortalité infantile et le taux de handicap (d’incapacité) des enfants étaient de deux à quatre fois supérieurs à la moyenne nationale et le taux de suicide chez les 15-24 ans était six fois supérieur à la norme. Les conditions de vie dans les réserves aborigènes étaient choquantes. La plupart des maisons étaient surpeuplées et n’avaient pas d’eau potable ni d’installation pour traiter les eaux usées. Dans de nombreuses réserves, le taux de chômage atteignait 85 %. Près de 60 % de la population autochtone vivait en milieu urbain. La discrimination, le faible niveau de scolarité, l’insensibilité des services de santé et sociaux et le manque de réseaux de soutien contribuaient au niveau élevé et continu de maladies physiques et mentales (Santé Canada, 2005). Au cours des deux dernières décennies, plusieurs Autochtones éloquents ont agi comme moteur de changement au sein de leurs communautés afin de faire évoluer les choses. Pour leur faciliter la tâche, il était impératif d’éduquer et de sensibiliser les non-Autochtones au sort des communautés des Premières Nations; le processus que nous appelons aujourd’hui Allyship (« Alliés autochtones »). Obstacles durant la première phase Après avoir obtenu le financement nécessaire, en juillet 1990, j’ai commencé à planifier le programme de conférenciers invités en santé amérindienne de


l’Université de Toronto qui devait débuter en octobre de la même année. Alors que je commençais à faire de la publicité pour le programme à l’université, j’ai reçu un appel du bureau du vice-recteur m’indiquant que je n’avais pas les approbations nécessaires pour un tel programme, soit celles du Conseil de faculté de la faculté de médecine et du Comité des affaires universitaires du Conseil d’administration de l’université. Je n’étais pas au courant d’une telle exigence, mais malgré ce fait, on a insisté pour que je suive le processus, ce qui allait retarder la création du programme pour des mois, voire des années. J’étais consterné et presque prêt à me soumettre aux conseils régulateurs de l’université afin d’obtenir leur approbation lorsqu’en juin 1990, une élection provinciale a soudainement été déclenchée et, à la surprise générale, le Nouveau Parti démocratique a été élu. J’avais assisté à une réunion avec le premier ministre nouvellement élu, le très honorable Bob Rae, quatre semaines avant le déclenchement des élections, et je savais qu’il me tenait en haute estime. En juillet, quelques jours après les élections, je l’ai invité à venir inaugurer le programme de conférenciers invités. Le fait que par le passé, il avait été particulièrement actif à promouvoir la cause autochtone faisait de lui l’homme idéal. Alors que le grand élan acquis par le programme semblait sur le point de retomber, une bouée de sauvetage m’était lancée de façon spectaculaire; j’ai reçu un appel du Cabinet ministériel m’informant que le premier ministre avait accepté mon invitation et qu’il serait l’un des conférenciers invités parmi d’autres intervenants autochtones lors du lancement du programme. Il s’agirait même de sa première intervention publique en tant que premier ministre de l’Ontario. À la suite de cette merveilleuse nouvelle, j’ai appelé le bureau du vice-recteur pour l’informer que le premier ministre avait accepté mon invitation. Sa position à propos du programme de conférenciers invités a alors brusquement changé. J’ai rapidement été informé qu’une erreur avait été commise – que l’on croyait que je désirais créer un programme de professeurs invités plutôt que d’assistants. On m’a expliqué que je n’avais pas besoin de l’approbation du comité des affaires universitaires pour un programme d’aides-conférenciers et on m’a donné l’autorisation de poursuivre ma planification et d’inviter le premier ministre.


Créer une fondation Ce fut le début du programme, qui a duré onze ans. Trois semaines par année, nous recevions des experts autochtones venant parler des problèmes de santé autochtone et de la refonte de leur système de santé. J’ai dirigé un comité de planification composé de professeurs et d’étudiants de l’université dont les membres étaient autochtones et non-autochtones. Chaque année, pour diverses raisons, quelques membres démissionnaient, mais ils étaient rapidement remplacés, ce qui permettait de constamment rafraîchir le programme. Ce comité décidait du sujet annuel à traiter dans le cadre du programme, ainsi que des intervenants à inviter chaque semaine. Les intervenants venaient de partout au Canada, étaient de toutes origines et provenaient de tous les milieux. La seule exigence demandée était qu’ils soient autochtones et connaissent bien le sujet dont ils comptaient parler. Ces conférenciers autochtones organisaient une présentation de deux heures au cours desquelles ils donnaient leur conférence, puis dirigeaient un séminaire ou un atelier sur la santé autochtone destiné aux étudiants de plusieurs disciplines dont la médecine, la pharmacologie, le travail social, les soins infirmiers, l’anthropologie, le droit et les hôpitaux universitaires. Ces présentations étaient conçues pour être aussi accessibles que possible aux étudiants et aux membres du personnel enseignant. Les seules conditions pour assister à une conférence étaient que celle-ci devait faire partie d’un cours officiel et que les étudiants devaient être interrogés pendant le cours sur ce qu’ils avaient appris. La raison principale de ceci était que, pour de nombreux étudiants, il n’est pas nécessaire de porter attention à la matière qui ne sert pas à leurs examens. Après leur présentation, les intervenants autochtones se mettaient à la disposition des chercheurs et des étudiants diplômés qui désiraient les consulter dans le cadre de recherches sur la santé autochtone, et donnaient des consultations et des ateliers à des organisations communautaires professionnelles comme des hôpitaux universitaires affiliés à l’Université de Toronto, le Public Health Departments of Metropolitan Toronto, le ministère de la Santé de l’Ontario, le Anishnawbe Health Centre, le Sioux Lookout Zone Hospital et l’Aboriginal Health Authority. Les intervenants étaient également envoyés dans les départements


universitaires appropriés de trois universités de la région du Grand Toronto; l’Université York, l’Université Ryerson et l’Université McMaster; ainsi qu’au Canadian Memorial Chiropractic College, au Canadian Naturopathic College et dans quelques écoles secondaires locales. Afin de participer au programme, on leur demandait également de bien vouloir participer à un débat public sur la santé autochtone organisé dans la salle du conseil de l’hôtel de ville de Toronto pour les membres de l’université et pour le grand public. Ce débat était suivi d’une réception organisée par le maire. Le logo du programme a été conçu par un artiste autochtone. Il est formé d’un cercle représentant une roue médicinale au centre duquel une main autochtone transmet (donne) des connaissances à une main non-autochtone; les quatre plumes symbolisent les quatre races qui se déplacent en harmonie pour améliorer la santé des peuples autochtones.

Contenu du programme Chaque année, le programme était axé sur un thème particulier lié à la santé autochtone. Les thèmes étaient abordés lors de plusieurs conférences, séminaires et ateliers dirigés par des spécialistes autochtones issus de nombreux milieux. On y retrouvait des professeurs, des écrivains, des politiciens, des professionnels de la


santé, des dirigeants communautaires et d’autres intervenants impliqués dans la refonte des soins de santé autochtone. Le programme durait trois semaines. Au début de la première semaine, lors d’une conférence inaugurale, des dirigeants autochtones locaux, provinciaux ou nationaux et l’un des ministres provinciaux concernés étaient invités à faire des interventions sur le thème choisi. Le recteur ou le président de l’Université de Toronto et le doyen de la faculté de médecine faisaient état de la pertinence du programme pour la communauté universitaire et prononçaient une allocution de bienvenue. De nombreux invités aux conférences étaient de hauts fonctionnaires des hôpitaux universitaires, des services de santé publique et du ministère de la Santé ainsi que des dirigeants ou des militants communautaires et des personnes du grand public. À la fin de la conférence se tenait toujours une réception informelle permettant aux membres du public et aux intervenants de discuter entre eux. Chaque semaine, pendant la durée des conférences, un dîner était organisé où le conférencier invitait les membres du comité et quelques autres fonctionnaires à se joindre à lui. Ces événements ont eu une forte incidence sur le traitement de nombreuses questions autochtones. La première semaine du programme était consacrée au contexte historique en lien avec le sujet choisi, notamment l’impact de la colonisation sur les peuples autochtones. Durant la deuxième semaine, on se penchait sur les problèmes de santé et les enjeux sociaux que les communautés autochtones devaient affronter. La troisième semaine était consacrée aux solutions pour résoudre ces problèmes. Le tableau 1 montre la liste des thèmes des onze années du programme.


Tableau I : Thèmes des conférences Année Thème 1990 Points de vue sur la santé amérindienne 1991 Points de vue sur la violence familiale chez les Amérindiens 1992 Points de vue sur la santé des Amérindiens vivant en milieu urbain : Vivre en ville 1993 Points de vue sur la toxicomanie dans les communautés amérindiennes et les moyens de la guérir 1994 Points de vue sur les problèmes de santé mentale des Amérindiens et les moyens de les guérir 1995 Points de vue sur la santé des femmes amérindiennes 1996 Points de vue sur la nutrition et la santé chez les Amérindiens 1997 Rapport de la Commission royale sur les peuples autochtones : point de vue sur la santé 1998 Les pratiques de guérison traditionnelle : Combler le fossé 1999 Enfants en santé : Des nations en santé 2000 Différentes nations : différents problèmes


Comme mentionné précédemment, notre public cible était principalement composé d’étudiants, d’universitaires et de groupes professionnels et communautaires. Ils étaient sélectionnés en se fondant sur l’espoir qu’avec le temps et les connaissances acquises lors du programme, ils élaboreraient des politiques et offriraient des services culturellement adaptés ou militeraient pour la cause autochtone. Le financement du programme provenait de sources très diversifiées. Nous pouvions compter sur le soutien du gouvernement, de fondations, d’organisations non gouvernementales et de diverses institutions. Au cours de ces onze années, les thèmes abordés ont été extrêmement variés comme en témoigne le tableau II. Tout au long de son existence, le programme a permis de donner 179 conférences et 135 séminaires et ateliers aux étudiants de premier cycle, aux diplômés et aux étudiants des cycles supérieurs de départements et de facultés de plusieurs universités et institutions (tableau II).

Tableau II : Résumé de la série de conférences à l'Université de Toronto sur 10 ans Année de la conférence Nombre de :


Orateurs Exposés Séminaires et ateliers Forums publics Participants Heures d'enseignement Universités impliquées Communauté Organisations impliquées En tout, 14 908 personnes ont assisté aux conférences pendant la durée du programme qui a également permis de donner de la formation continue aux professionnels de la santé des hôpitaux communautaires, des hôpitaux universitaires, des services de santé publique, des conseils régionaux de santé, de la Société de l’aide à l’enfance et même de la Gendarmerie royale du Canada. Au cours de cette période, 35 conférences et forums publics ont eu lieu. Le programme de conférenciers en santé amérindienne et les questions de santé qui y ont été discutées ont été largement médiatisés chaque année, pendant toute la durée du programme (1990-2000). L’un des projets importants qui ont vu le jour pendant le programme a été la production de vidéos sur la violence familiale chez les Amérindiens. Cette ressource a été extrêmement utile pour enseigner aux étudiants et aux professionnels à mieux comprendre les victimes qui vivaient de telles situations. La mise en place du réseau de la Northern Ontario Telephone a permis au programme de rejoindre les communautés du Nord et de leur donner de la formation continue, ce qui a fait augmenter notre auditoire. Huit communautés autochtones et non-autochtones, entre la Saskatchewan et Ottawa, ont ainsi pu participer au programme. En 1995, le Women’s T.V. Network a produit une émission d’une heure sur le programme, qui a été diffusée à travers le pays. Évaluation Nous avons sollicité des commentaires de la part de tous les participants, y compris du public, des organisateurs et des intervenants. Sur les 14 908 personnes


qui ont participé au programme au cours des onze ans, 7 366 ou 49,4 % ont répondu à un questionnaire. Les commentaires du public sont résumés dans le tableau III.

Tableau III : Commentaires du public recueillis dans le questionnaire Déclarations Répondants d'accord avec la déclaration Nombre Pourcentage Séances - bonnes à excellentes Pertinence des séances - excellente à bonne La plupart du matériel présenté était nouveau Une partie du matériel présenté était nouveau La durée d'une à deux heures des séances était satisfaisante Les séances d'une à deux heures étaient trop courtes * Sur une durée de 11 ans, 14 908 personnes ont assisté aux conférences. Le taux de réponse a été de 49,4 % (n = 7366) Les commentaires du public ont été extrêmement positifs. La satisfaction de la majorité du public en ce qui concerne les séances se situaient entre « bonne et excellente » (89,6 %); de manière générale, la pertinence des séances a également été jugée « bonne à excellente » (85,1 %). La moitié du public a estimé avoir acquis de nouvelles connaissances et la plupart (72,6 %) ont estimé que la durée de la


séance avait été adéquate et, chose encourageante, un participant sur cinq a trouvé qu’elle avait été plus courte que ce qu’il aurait souhaité. Certaines thématiques étaient plus souvent suggérées, notamment : les professionnels en santé autochtone, la santé des femmes, la toxicomanie et la santé des Autochtones en contexte urbain. La plupart de ces thèmes ont été intégrés aux programmes des années suivantes. Les commentaires des institutions ayant participé aux cinq premières années du programme ont été obtenus à partir de questionnaires envoyés par la poste. Le taux de réponse a été de 60 %. En résumé, la plupart des institutions ont estimé que les conférences avaient été « très formatrices et bien présentées ». Certaines institutions ont soulevé qu’un programme permanent devrait être mis en place et accompagné de « mesures de suivi menant vers un engagement de la part des participants ». En ce qui concerne la présentation, une durée plus longue et un public plus restreint ont été demandés. Les commentaires des intervenants provenaient de questionnaires envoyés à tous les intervenants qui avaient participé au programme dans les cinq premières années. Le taux de réponse a été de 50 %. Tous les intervenants ont écrit que la réaction du public avait été exceptionnellement positive. Un certain nombre d’intervenants ont estimé que le programme offrait un « cadre de formation » dans lequel ils pouvaient interagir avec des non-Autochtones et se préparer à d’éventuelles activités professionnelles. Ils ont estimé que le programme était « une entreprise louable » et une « affirmation symbolique montrant l’importance des connaissances autochtones ». De nombreux intervenants ont estimé que les conférences mériteraient d’être plus interactives et qu’elles devraient prévoir une période de discussion avec les étudiants sur les problèmes soulevés plutôt que d’uniquement en parler pendant deux heures. De nombreux intervenants ont également estimé qu’un programme d’études autochtones à l’Université de Toronto serait nécessaire pour compléter le programme de conférenciers invités en santé amérindienne. Les commentaires sur le programme ont été extrêmement encourageants et, plus important encore, satisfaisants, c’est pourquoi j’ai jugé bon d’en inclure quelques-uns afin de mieux transmettre ce que les personnes ont retiré de leur participation. Voici divers commentaires donnés par le public :


• « Génial! Continuez à faire venir des intervenants. Nous en profitons tous! » • « Excellent dans l'ensemble. » • «Vraiment intéressant. Que pouvons-nous faire? (pour aider). » • « Je pense que les étudiants doivent mieux comprendre ce à quoi les Canadiens autochtones sont confrontés --- c.-à-d. à quel point il est difficile pour eux d'envisager une formation universitaire, sans même parler de la terminer. Merci, c’était une excellente conférence. » • « Merci, merci. Félicitations au Dr Shah. J'espère que la conférence continuera de porter ses fruits et que la sagesse des peuples autochtones imprègnera les structures blanches de l'université, du gouvernement et de notre pays. » D’autres commentaires soulignent également l’importance du programme pour la communauté universitaire et les intervenants autochtones : • Le programme de conférenciers invités en santé amérindienne du Dr Shah « est un modèle pour tous… À l’Université du Colorado, j’ai décrit le travail du Dr Shah à des personnes impliquées dans le programme d’études approfondies sur les Amérindiens et cela a suscité un très grand intérêt. Ce qu’il fait est sans nul doute unique et extrêmement important. » Edward Chamberlin, Centre de littérature comparée, Université de Toronto, 1997 • « J’ai connu le Dr Shah dans le cadre de son travail sur le programme de conférenciers invités en santé amérindienne de l’Université de Toronto, dont l’objectif était de sensibiliser les futurs travailleurs de la santé et le grand public aux problèmes de santé des Premières Nations… Je ne pourrai jamais suffisamment remercier le Dr Shah pour toute son aide. En éduquant le public, en favorisant la recherche et incitant à élaborer et à analyser les politiques, il a grandement contribué à améliorer la santé des habitants de Nishnawbe-Aski. » James Morris, grand chef adjoint, Nation Nishnawbe-Aski • « Je suis sortie enthousiasmée du programme de conférenciers invités en santé amérindienne, fière des Autochtones à qui l’on rendait très bien justice… J’ai vu le Dr Shah en action, faisant preuve d’une générosité sans


borne dans la promotion d’une culture différente de la sienne. Dans le cadre de son programme annuel de conférenciers invités en santé amérindienne, il nous a rendu un immense service en nous offrant une tribune où nous pouvions parler à cœur ouvert de nos expériences en tant que peuples autochtones. » Madeleine Dion Stout, fondatrice, Carleton Centre for Aboriginal Education, Research and Culture, Carleton University, 1997 • « Le travail du Dr Shah nous incite à reconnaitre que les peuples autochtones contribuent régulièrement à notre société diversifiée. Son objectif est de redonner aux peuples autochtones leur place légitime dans leur patrie, d’être une sentinelle institutionnelle de leur droit de parole et de leur garantir qu’ils pourront bénéficier du même état de santé que les autres Canadiens. L’équité est une valeur intrinsèque du nationalisme canadien et elle se reflète dans la vie professionnelle du Dr Chandrakant P. Shah. Toutes ses contributions à l’université et à la communauté sont empreintes de justice sociale. » KishkAnaquot, directeur, Services consultatifs sur la santé, Santé des Autochtones, Santé Canada • « Le dévouement inébranlable du Dr Shah a poussé à la création du programme de conférenciers invités en santé amérindienne… il a fait augmenter la compréhension des problèmes sociaux, culturels et de santé auxquels sont confrontées nos communautés autochtones chez les professionnels de la santé; et il a permis la coopération nécessaire à l’atteinte d’un objectif commun, celui d’améliorer la qualité de vie des peuples autochtones. » Robert Prichard, président, Université de Toronto, 1997 Créer des ressources pour faire avancer la cause autochtone En 1999, le programme fêtait son dixième anniversaire. Lors de cette célébration, la communauté autochtone m’a remis la plume d’aigle, l’un des prix les plus honorifiques accordés par la communauté autochtone à une personne nonautochtone, pour mon rôle dans le programme de conférenciers invités en santé amérindienne. La ministre de la Santé, Mme Elizabeth Witmer, m’a également remis un chèque de 100 000 $ pour créer une chaire dédiée à la santé et au bien-être


autochtones au Département des sciences de la santé publique de l’Université de Toronto. J’avais déjà recueilli 400 000 $, ce qui faisait 500 000 $. À la même époque, je désirais soulever la question du manque de minorités visibles dans le corps professoral de l’Université de Toronto (Shah, C.P., 2019). Cela m’avait mené à une rencontre avec le vice-recteur. À la fin de la réunion, je lui ai demandé s’il voulait bien discuter d’autres sujets et il a aimablement accepté. Je lui ai expliqué que l’un de mes rêves avant de prendre ma retraite en 2001 était de créer une chaire en santé autochtone. J’avais déjà récolté 500 000 $ et si l’Université de Toronto avait la gentillesse d’égaler ce montant, il serait possible de créer cette chaire. Comme je l’avais coincé en soulignant le manque de minorités visibles à l’université, je crois que pour me calmer, il a tout de suite promis d’égaler les fonds, ce qui a fait monter le total de la dotation à un million de dollars. Je suis convaincu qu’en accédant à cette demande, il était persuadé de gagner sur les deux tableaux : l’Université se créait une vitrine en matière de minorités visibles et il se débarrassait de moi en me permettant de réaliser mon rêve. Même si le doyen et le titulaire de la chaire du département des sciences de la santé publique étaient extrêmement satisfaits de ce que j’avais réalisé, ils souhaitaient demander un montant plus élevé à l’Université. Ils désiraient que la chaire puisse compter sur un fonds de dotation de deux millions de dollars; un million issu de la collecte de fonds et une subvention de contrepartie d’un million de l’Université de Toronto. Avec l’aide d’un collecteur de fonds, le doyen et moi avons réussi à obtenir 500 000 $ de la part du pipeline TransCanada. L’université a versé la contrepartie et un fonds de deux millions de dollars a donc été créé, un montant suffisant pour répondre aux besoins du professeur titulaire choisi. En septembre 2000, Jeff Reading, un chercheur autochtone, est devenu le premier titulaire de la chaire de santé et de bien-être autochtones. Sommaire En résumé, le programme de conférenciers invités en santé autochtone visait à éduquer les participants en ce qui a trait à la culture autochtone. Pendant onze ans, tout en diffusant, grâce à des intervenants autochtones, une incroyable quantité


d’informations sur les peuples autochtones, le programme a été un succès et s’est conclu par la création d’une Chaire en santé et bien-être autochtones. Il s’agissait d’une première tentative pour éliminer les « préjugés inconscients » au sujet des Autochtones qui prévalaient chez les étudiants, les professionnels de la santé et parmi le grand public. Le programme de conférenciers invités en santé amérindienne a marqué le début de nombreuses initiatives d’envergure à l’Université de Toronto qui visaient à améliorer la santé et le bien-être des Autochtones. Au cours des vingt dernières années, l’Université de Toronto a fait d’énormes progrès dans ce domaine en créant des programmes d’enseignement sur les questions autochtones, notamment un Master of Indigenous Public Health par le Waakebiness-Bryce Institute of Indigenous Health, et des services de soutien spécifiques aux étudiants autochtones, y compris des bourses. Ces initiatives sensibiliseront les étudiants des générations à venir aux questions autochtones, formeront des citoyens mieux informés et plus compatissants et, espérons-le, permettront d’éliminer les « préjugés inconscients » sur les Autochtones. Remerciements Je tiens à remercier Alexander Gomes de m’avoir aidé à préparer ce document; tous les membres des comités autochtones et non-autochtones de m’avoir guidé pour les thématiques abordées et de m’avoir suggéré des intervenants appropriés; des remerciements particuliers vont aux intervenants autochtones de tout le Canada qui ont consacré de leur temps précieux à l’enseignement et à la sensibilisation du public. Je remercie également les directeurs de mon département, Mary Jane Ashley et Harvey Skinner pour leurs encouragements et la P.S.I. foundation, les fondations de l’Hospital for Sick Children, les gouvernements du Canada et de la province de l’Ontario et de nombreux autres établissements et particuliers pour leur soutien financier.


SOURCES 1, Blair, I.V., Steiner, J.F. and Havranek, E.P. (2011), Unconscious (Implicit) Bias & Health Disciplines: Where do we go from here? Perm J. Spring (15): 71-78. Cornish Consultancy Services (2014), Unconscious Bias & Higher Education, Literature Review; https://www.ecu.ac.uk/wp-content/uploads/2014/07/unconscious-bias-and-highereducation.docx 2. Conseil du Canada (2012): Empathie, dignité et respect: créer la sécurisation culturelle pour les Autochtones dans les systèmes de santé en milieu urbain. https://conseilcanadiendelasante.ca/files/Aboriginal_Report_2012_FR_final.pdf 3. Santé Canada (2005). Profil statistique de la santé des Premières nations au Canada pour l'année 2000 Ottawa, ON: Santé Canada. 4. Kitching, G.T., Firestone, M., Schei, B. et al. Can J Public Health (2019). https://doi.org/10.17269/s41997-019-00242-z 5. Shah, C.P., Johnson, R: Comparing Health Status: Native Peoples of Canada, Aborigines of Australia, and Maoris of New Zealand. Can. Fam. Phys. 38:1205-1219, 1992. 6. Shah, C.P., Svoboda, T., and Goel, S. (1996). The visiting lectureship on aboriginal health: An educational initiative of the University of Toronto. Canadian Journal of Public Health. 87(4): 272-74. 7. Shah, C. P. Advocating for Change: Visible Minorities at the University of Toronto, Revue Directions de la Fondation canadienne des relations raciales, p. 1-31, août 2019.


FONDATION CANADIENNE DES RELATIONS RACIALES


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