BONHEUR EN URGENCE (de l’architecture à un l’air du joie)
Introduction
Chapitre 1. Architecture d’urgence, composants et particularités 1.1 La triade formatrice de la discipline 1.2 Les acteurs de l’humanitaire 1.3 Légitimité et qualité de l’architecture de l’urgence
Chapitre 2. Processus d’élaboration d’un projet dans l’urgence 2.1 Les méthodes d’études du territoire à distance 2.2 Urgentiste et l’éthique d’intervention 2.3 La typologie d’urgence, études de cas
Chapitre 3. L’action collaborative de l’urgentiste sur site 3.1Le processus du projet et l’acte de faire 3.2 L’échange d’expérience et mise en commun de savoir-faire 3.3 Qualités sociales et architecturales de l’urgence:l’architecture du bonheur.
Compléments du récit, de l’expérimentation vers l’objet
Aboutissement de la réflexion (conclusion)
Annexe Bibliographie
Je tiens à remercier : Françoise Coulon et Benjamin Avignon, directeurs de l’option de projet “Design Process”, pour leur suivi durant la conception et la liberté qu’ils ont donné à mes recherches ;
Lora Artugina, réalisatrice de films documentaires, et Alexandre Fomenko, comédien de théâtre à Kiev, tous deux membres de l’ONG «New Donbass », pour leur rapidité de réponse à toutes mes propositions et pour le financement du voyage à Slavutych qui m’a permis de réaliser le projet participatif « Carcasse sur place » ;
Ingebord Razafintsalama, et Alexis Paszkowski de l’atelier maquette à l’ENSA Nantes, qui m’ont aidé pour la découpe du bois de récupération et qui m’ont fait découvrir de nouveaux outils pour le thermoformage des plastiques ;
Lorène Chiron, Natalya Yankovska et Lucien P. de Gurbert, étudiants de l’école, pour leur support plein d’énergie, leur intérêt et enthousiasme pour mon projet;
Valya Sablina qui m’a chaleureusement accueillie à Slavutych,
et tous les habitants de la ville qui m’ont inspiré à continuer de travailler sur le sujet de l’architecture d’urgence après la fin du diplôme.
10 / Introduction
Introduction
«La meilleure façon de modérer un traumatisme psychologique est de faire participer les gens dans une action collective positive»1
L’architecture de l’urgence, c’est un vaste champ d’exploration à définir; celle-ci ouvre énormément de terrains d’étude et de questionnements. Généralement, nous avons une vision très limitée de l’architecture de l’urgence en voyant derrière ces mots des tentes temporaires pour héberger les victimes d’un sinistre. Mais il ne faut pas oublier que la mission initiale de l’architecte dans de telles situations est la recherche des sources de renaissance permettant à la communauté d’envisager l’avenir. Il y a des actes pour assurer la survie dans l’urgence, puis ceux pour une vie de l’après sinistre, la réflexion et les actions sur le moyen et long terme. Pour trouver les réponses et la manière d’agir dans les situations de crise en fonction des catastrophes, il est importent de rester très proche du site sinistré. C’est à dire qu’il faut devenir un médecin du territoire avec un lien direct pour soigner les maladies et le cadre de vie des victimes causés par les désastres. Dans le cadre de l’urgence, les architectes deviennent des urgentistes du territoire, et la situation assimilable à une opération es urgentistes se préparant pour une opération chirurgicale. Car c’est seulement en étant en lien étroit avec le contexte singulier du site, que l’architecte est capable d’évoquer la problématique spécifique pour mettre en place les méthodes d’intervention adaptées aux besoins locaux. La polyvalence est un critère important dans le travail de l’urgentiste, il devient l’apporteur des solutions qui visent à résoudre les problèmes liés aux problématiques diverses comme par exemple les transports, les espaces communautaires, les abris temporaires, les centres médicaux etc. Donc le domaine de l`humanitaire est un secteur qui regroupe tous les corps de métiers dans lequel l`architecte, l’artiste, le concepteur ou l’urbaniste ont un rôle important à jouer pour trouver un nouveau mode de vie. Dans un lieu qui a subit des menaces et des violences naturelles aussi bien que pour celles causées par les conflits militaires. Le principe de mise en place d’un processus participatif et de regroupement des nombreux spécialistes est fondamentalement nécessaire pour un résultat durable et évolutif. Ce qui nous m’anime dans ce mémoire, c’est la quête des formes architecturales capables de régénérer un lieu et perpétuer son occupation durablement. On connaît quelques
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Fitrianto,Andrea, citation traduite de l’anglais dans l’article Learning from Aceh, tireé du livre Beyond shelter, Architecture and human dignity, New-York,Metropolis Book, 2011
/ 11 Introduction
exemples de telles manifestations, notamment en Europe durant la Première Guerre Mondiale avec l’organisation de campements d’hôpitaux temporaires. Ces quelques tentatives de se réunir pour combattre les problèmes liés aux questions humanitaires et aux installations face à l’urgence immédiate, ouvrent la réflexion sur l’espace de l’urgence. Mais c’est seulement dans les années 2000, suite aux catastrophes à très grandes échelles, que de nombreux architectes, ingénieurs et planificateurs ont formé un organisme unique prenant la forme d’une association des « Architectes de l’urgence »2. Cette association a pour vocation d’agir sur la problématique des catastrophes naturelles, technologiques et humaines. Ainsi il est important de noter l’apparition du travail des Organisations Non Gouvernementales (ONG) qui tentent de résoudre rapidement tous les besoins de survie : l’alimentation, l’eau, la sécurité et les soins. De ce fait le travail sur les questions d’urgence se rapporte aujourd’hui aux nombreux organismes et un bon résultat dépend de la méthode d’élaboration d’un projet collectif, réunissant les architectes, les habitants, les professionnels et les gouvernements locaux. Au regard du contexte global et local lié aux conflits militaires comme celui qui se déroule actuellement en Ukraine, la réflexion sur l’architecture en urgence demeure malheureusement très réduite et insuffisante. Il y a un réel manque de regroupement des architectes autour de ces questions et une absence de mobilisation professionnelle. Globalement, malgré quelques écrits sur ces sujets, il y a peu de pratiques formelles et de recherches de typologies architecturales. Mais paradoxalement il y a une puissante initiative venant des certains groupements d’architectes et de la population locale elle même. Les victimes du conflit ainsi que les autres citoyens ukrainiens sensibles à ces problèmes recherchent des moyens de reconstitution d’une nouvelle vie. Après un an de guerre hybride, d’agression militaire russe contre l’Ukraine, près d’un million de personnes ont perdu la possibilité de bien vivre dans le propre pays. Cette guerre est qualifiée « d’hybride » par les média et la presse ukrainienne. Cette appellation vient du fait que ces affrontements ne sont toujours pas reconnus comme une véritable guerre, pourtant les dommages et les victimes augmentent chaque jour. Cette tragédie humaine et culturelle a une portée à la fois locale et globale et sa complexité vient de la proximité originelle des deux pays; l’ambiguité n’est pas ethnique, ni religieuse, elle est politique et surtout territoriale. Grâce à ce projet et la réflexion que je mène dans ce mémoire, j’espère attirer toute l’attention sur ces questions de l’urgence, de vie en période d’après-guerre, de recherches actives sur les moyens de rendre le bonheur aux gens, en essayant de rendre leur territoire de vie. Dans ce mémoire je me pose la question de comment aménager un site accidenté? Comment rentrer en contact avec des milieux conflictuels et ses habitants atteints physiquement et moralement? Mon travail de mémoire s’inscrit donc dans une approche très personnelle puisque je me consacre à la recherche des méthodes de conception du projet architectural suite à une agression militaire dans mon pays. Je souhaite orienter mes recherches formelles sur ces questions en menant mon projet à distance, étant ici à Nantes. Cependant j’entretiens un contact permanent avec les organisations locales et les personnes qui suivent ce conflit sur place. Mes deux séjours en Ukraine,
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Aquilind,Marie,Beyond shelter,architecture and human dignity,New-York,Métropolis Book, 2011
12 / Carte d’Ukraine avec les zones du risque/en guerre
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Régions sous le contrôle gouvernemental
Régions sous le contrôle gouvernemental, revendiqées par les séparatistes
Régions contrôle par les séparatistes
Régions administrées par la Russie
14 / Introduction
L’effet catastrophique de la guerre “hybride” à Sloviansk
l’un en Décembre 2014 et le plus récent Avril 2015, nourrissent éminemment ce projet de fin d’étude, notamment par les rencontres, la collecte d’informations, de cartographies et la réalisation d’actions concrètes in situ. Cette proximité avec le contexte me permet de faire évoluer mes propositions, les construisant de la manière la plus adéquate avec la situation en Ukraine, en variation permanente selon les pressions politiques. Bien qu’il me soit de plus en plus difficile de rester objective à ce stade de projet, je sais qu’il est impossible de résoudre une situation de conflit seulement par des propositions architecturales et spatiales. Néanmoins j’ai la conviction que la construction d’un espace de vie durable et l’émergence des fondements d’une vie collective peut émaner de ces temps troubles et difficiles. Ce travail textuel et formel a donc pour ambition de redonner l’espoir et le sourire aux réfugiés de la région de Donbass.
La bande dessinĂŠe En recherche du bonheur...
Chapitre 1. Architecture d’urgence, composants et particularitÊs
/ 19 Chapitre 1 Architecture d’urgence, composants et particularités
Chapitre 1. Architecture d’urgence, composants et particularités
1.1 La triade formatrice de la discipline Dans une période de guerre, c’est la culture qui tend à disparaître en premier. Ses fondements se démantèlent et la fierté d’une civilisation éclairée peut sombrer dans un conflit fraternel. On voit ainsi se produire, à travers plusieurs phases de crise, une dégradation sociale qui se manifeste par une fracture culturelle, mettant à distance les nations, les peuples ou toutes communautés concernées par un conflit. Par conséquent, les communautés au sein d’une nation s’exposent au risque de la désintégration et de la fracture nationale. L’effet destructif de la guerre fait que les villes et les villages se dispersent. A travers la fuite ou l’exode, les habitants perdent leur mode de vie habituel et se perdent eux-même dans une structure urbaine dévastée. Généralement les habitants agissent seuls et essayent par eux-même de trouver des itinéraires de secours ou des lieux de halte dans des villes-relais. Cette quête individuel ne résout bien-sûr en rien le problème de fuite à l’échelle territoriale, et ces problèmes de déplacement de populations ne peuvent se traiter à l’échelle individuelle. Ainsi, pour se lancer à la recherche de solutions pour regrouper les efforts individuels et tenter d’améliorer les conditions de vie dans les zones conflictuelles, il semble nécessaire de déterminer trois termes essentiels qui oriente cette recherche d’une architecture de l’urgence : habiter, urgence et solutions humanitaires. Toutes les définitions conventionnelles de l’architecture de l’urgence se focalisent principalement sur le fait de « palier au sinistre et créer des conditions pour vivre dans un espace offrant un cadre de vie et de développement »1. Mais ce terme commence à prendre différents sens en fonction de ce que l’on veut aborder; et le cadre de l’urgence commence alors à dépasser le sinistre originel. Grâce à différentes approches sensibles, on peut saisir l’aspect sensoriel et qualitatif du terme, l’élargissant vers la recherche d’une qualité de notre cadre de vie2. Cela veut dire qu’il est important de garder une échelle personnelle et subjective qui permet de construire la notion de qualité, de laquelle émergent entre autres les idées d’habitats modulables, adaptables selon les besoins de celui qui va les manipuler au sein d’un contexte précis. Une autre approche technique nous ouvre à un sens plus fonctionnel, à un aspect plus technique et économique du projet. Mais c’est bien l’approche symbolique qui s’avère cruciale, l’approche symbolique de laquelle provient la signification «les habitants sont témoins de nos valeurs et de nos connaissances»3. Cette citation illustre précisément l’aspect social du terme et soulève ainsi la question de la participation dans la construction d’un projet architectural. C’est cette approche qui fait le fondement de mon travail, car, spécialement dans un contexte de guerre, l’expertise d’usages des habitants prend tout son sens.C’est justement le degré d’engagement et d’implication qui rend possible l’appropriation du projet par les habitants.
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Aquilind,Marie,Beyond shelter,architecture for crisis,New-York,Thames Hudson, 2011 Coulombel Patrick, Bâtir des murs pour reconstruire des vies,Architectes de l’urgence,Paris,2011 Eyraud Thierry G. White Jaques, Autour de l’urgence, modules d’habitation, Saint-Etienne,2007
20 / Chapitre 1 Architecture d’urgence, composants et particularités
En Ukraine des espaces qui ont subit une quelconque agression militaire subissent l’effacement des structures urbaine et de toutes les limites territoriales, car la ville en ruine devient un site vaste et zone vague. Quand les machines de guerre s’appliquent à raser les bâtisses et les infrastructures, la ville perd sa familiarité et commence ainsi le processus de distanciation des habitants avec leur lieu de vie. Ma volonté est de rétablir le processus d’appropriation et de familiarisation pour initier la réintégration des habitants dans le tissu urbain et les aider à rétablir leur intimité spatiale. Néanmoins les traumatismes et les souvenirs de souffrances quotidiennes persistent dans les zones conflictuelles; ainsi faut-il reconstituer l’unité de la notion d’habiter en en renforçant l’aspect symbolique, afin de retrouver, à nouveau, le sentiment d’être chez soi. Habiter un territoire en urgence, c’est avant tout redonner la protection matérielle grâce à laquelle on peut se sentir en sécurité4. Il faut pour cela trouver les méthodes pour recréer un espace optimisé avec le minimum de modifications et le maximum d’implication des habitants. L’urgence de l’architecture est le deuxième terme qui m’intéresse dans la définition des fondements de ma recherche. La terminologie latine urgaire signifie « qui ne peut attendre »5. Dans les dictionnaires, on peut lire comme définition « l’urgence est la qualité de ce qui ne peut être différé, ce qui doit être ou décidé sans délai »6. Cette définition de l’urgence implique nécessairement la notion de temps, non sans effets paradoxaux dans le cas de l’architecture et de la construction. D’un côté, les délais très courts d’une réaction qui se doit rapide sur le site peuvent devenir support de regroupement d’individus autour d’un problème, et moteur d’un travail assez productif. Mais d’un autre côté, ces délais dictent une influence forte sur la conception du projet. Il risque en ce sens de devenir pauvre dans ses réponses, motivées par des besoins locaux très spécifiques, qui demandent eux-même un temps d’étude spécifique. Se trouver dans l’urgence c’est devoir agir vite; dans un contexte de guerre et d’après-guerre c’est pouvoir s’orienter facilement sur le territoire, rentrer facilement en contact avec des personnes par une action appropriée, pour répondre avec efficacité à une situation inattendue. Dans les conditions de travail particulières qui sont celles de mes recherches, on peut souligner deux spécificités : la demande d’un résultat immédiat, puisque l’intervention a pour objectif d’améliorer la situation de crise, et celle d’une organisation efficace, pour que le processus de réalisation mène un résultat satisfaisant dans les plus courts délais. Ainsi, dans l’urgence la temporalité de création de l’objet de design ou d’architecture est très marquante. Les solutions amenées par les architectes d’urgence sont marquées par le caractère exceptionnel de la situation des zones d’aprèscatastrophe; il est donc nécessaire d’agir rapidement, sans aucune perte du temps. Les situations d’urgence portent deux caractéristiques essentielles: d’une part le danger, d’autre part le risque, tous deux
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Coulombel Patrick,Architectes de l’urgence:un nouveau métier de l’humanitaire,L’Harmattan, Paris,2007 Coulombel Patrick,Architectes de l’urgence:un nouveau métier de l’humanitaire,L’Harmattan, Paris,2007 Coulombel Patrick, Bâtir des murs pour reconstruire des vies,Architectes de l’urgence,Paris,2011
/ 21 Chapitre 1 Architecture d’urgence, composants et particularités
Sauver des vies, changer les mentalités / Stratégie 2020. La Stratégie 2020 de la Croix Rouge.
ressentis sur le site. Par définition, le danger est la « situation ou l’état qui menace l’intégrité physique et psychologique? des personnes ». Quand à la notion du risque, c’est la rencontre entre l’homme et le danger. Et justement sur les territoires d’après-guerre ces deux notions sont les premières à traiter et résoudre en urgence. Par exemple, les restes des symboles soviétiques, comme les statues de Lenin démolies sur les grandes places, représentent un danger au même titre que les tanks abandonnés dans les villes. Leur point commun étant l’appréciation par l’habitant du paysage déconstruit de sa ville, et de l’ambiance d’insécurité qui s’en dégage, comme un risque. Mais plus ce danger sera présent, plus l’intervention en urgence se fera pressante, et se fera ressentir. Il est plus difficile, en troisième lieu, de formuler précisément la notion d’humanitaire. D’après le Petit Larousse, « humanitaire » signifie « qui s’attache à traiter les hommes humainement, à leur faire du bien ». Par la recherche de synonymes on trouve bonté, altruisme, bienveillance. C’est ce qui vise « sans aucune discrimination et avec des moyens pacifiques à préserver la vie dans le respect et la dignité (…) afin d’aider les membres d’une communauté à traverser une période de crise ou de rupture d’un équilibre antérieur ». « Humanitaire » apparaît pour la première fois dans littérature An XVIII ème siècle7. Lamartine l’utilise pour désigner une attitude de bienveillance envers l’humanité considérée comme un tout. Les « humanitaires » sont ceux qui professent une confiance dans les hommes et dans leurs capacités à s’améliorer, à construire un monde plus juste. 1.2 Les acteurs de l’humanitaire Il existe dans le monde de très nombreuses organisations humanitaires, qui visent à porter secours aux victimes des guerres ou des catastrophes naturelles. L’acte fondateur de « l’humanitaire moderne », qui marque le début du fin XIXème siècle jusqu’à la Première Guerre Mondiale, est la création de la Croix-Rouge en 18638. Du début de l’humanisme du siècle des Lumières jusqu’aux mouvements modernes, une idée initiale se forme selon que «les armées doivent être retenus, que l’éclatement des violences de la guerre ne doit pas se faire de façon démesurée»9 . Dans le monde anglo-saxon se créent les organisations humanitaires d’inspiration religieuse, à l’instar de Save The Children en 1919 10. Ces associations visent
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Albert Dauzat,Jean Dubois,Henri Mitterand,Nouveau dictionnaire étymologique et historique,Librairie Larousse,Paris,1971
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Coulombel Patrick, Bâtir des murs pour reconstruire des vies,Architectes de l’urgence,Paris,2011 Coulombel Patrick,Architectes de l’urgence:un nouveau métier de l’humanitaire,L’Harmattan, Paris,2007 Brauman Rony,Penser dans l’urgence,parcours critique d’un humanitaire,Seuil,Paris,2006
22 / Chapitre 1 Architecture d’urgence, composants et particularités
+ Region
= People
New Donbass
Région, Habitants, Nouveau Donbass. Le logo de “New Donbass’ 3 / 32
à aider les victimes qui doivent vivre après les ravages des guerres mondiales et des crises économiques. Après la Seconde Guerre Mondiale, on voit se poursuivre la naissance de nombreuses ONG (Organisations Non Gouvernementales)11 : International Rescue Committiee (IRC), Catholic Relief Service (CRS), Cooperative for American Remmittancies Everywhere (CARE) aux USA. En 1947, l’UNICEF, l’agence de l’ONU pour les enfants, voit le jour. Et à son tour, en 1951, la première véritable institution internationale humanitaire HCR (Haut Commissariat des Nations Unis pour les Réfugies). Dans les années 1980, du fait de l’explosion du nombre de réfugiés dans le monde, rappelant l’épisode de l’exode des réfugiés de la République Démocratique de Congo. Tenant compte de cette période de multiplication des conflits périphériques tels que en Angola, au Cambodge et en Afghanistan, la situation s’aggravait car que les associations humanitaires, telle que la Croix Rouge ne pouvait pas intervenir, provoquant ainsi des blocages et les dégradations sanitaires. La deuxième phase de l’humanitaire commence à la fin des années 60, dans le contexte de la décolonisation au Biafra. D’où émerge notamment le mouvement des Médecins Sans Frontieres (MSF) en 197112. C’est dans les années 80 qu’apparaît la notion de l’humanitaire «d’urgence»13. Jusqu’à nos jours, elle continue à évoluer de par les situations particulières à chaque pays ou zone désastrés. Le terme d’«architecte de l’urgence» est assez récent. C’est en France en avril 2001, lors des inondations de la Somme, que se sont créés les Architectes de l’urgence. Un groupe d’architectes de ce département décident de tenter d’apporter une aide aux populations avec des constructions temporaires. Depuis 2001, les Architectes de l’urgence ont organisé 37 actions dans 28 pays différents. En Ukraine, après tous les derniers événements tragiques survenus à Kiev, en Crimée, à Donetsk, à Luhansk et plus largement à l’Est d l’Ukraine, se sont formées plusieurs organisations locales. Elles se sont composées d’individus aux très divers horizons professionnels: journalistes, réalisateurs, médecins, écrivains, entrepreneurs, peintres et nombre d’autres domaines pouvant fournir des biens et des services. Mais il n’existe actuellement pas des regroupement d’architectes locaux. Au fil de mon travail je me suis liée avec deux organisations agissant sur place pour comprendre quel rôle possible peut mener un architecte dans leurs structures. L’une, « SOS Crimea », travaille généralement avec les réfugiés de Crimée pour leur relogement et leur réintégration sociale. L’autre, «New Donbas », traite elle des territoires ayant souffert des conflits militaire à l’Ouest de l’Ukraine avec des actions très diverses, qui vont de l’aide psychologique à la
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Coulombel Patrick,Architectes de l’urgence:un nouveau métier de l’humanitaire,L’Harmattan, Paris,2007 Coulombel Patrick,Architectes de l’urgence:un nouveau métier de l’humanitaire,L’Harmattan, Paris,2007 Coulombel Patrick,Architectes de l’urgence:un nouveau métier de l’humanitaire,L’Harmattan, Paris,2007
/ 23 Chapitre 1 Architecture d’urgence, composants et particularités
Reconstruction des bateaux à Haïti
reconstruction de lieux de vie. J’ai pu comprendre que la mission humanitaire, impartiale, n’as pas de frontière et ne fait cas ni de nationalité, ni de sexe, ni d’âge. Le but final de n’importe laquelle de ces organisations est l’allègement de la souffrance humaine et l’apport de paix dans le quotidien des populations touchées. Chaque situation de crise portant un contexte local assez spécifique, il est nécessaire de venir sur le territoire, de se rapprocher au plus près des besoins actuels des habitants, pour traiter leurs problèmes en urgence et avec efficacité. 1.3 Légitimité et qualité de l’architecture d’urgence Quelle place occupe l’architecte dans les situations extrêmes? Seul un travail réellement in situ peut permettre de répondre à cette question. Une reconstruction post-catastrophe ouvre un contexte extrêmement particulier. Ce que j’ai observé pendant mes visites en Ukraine, c’est la façon dont l’acte de construire participe du sauvetage psychologique des habitants, et sa capacité à recréer du lien entre ces derniers. Les démarches architecturales post-catastrophe portent une mission de reconstruction de la population elle-même. Les «shelters» montés au plus vite mettent en sécurité les gens, leur offrent un toit, mais ne peuvent pas être à eux seuls la réponse à leur désarroi. Le soin des douleurs psychologiques est primordial et doit être initial; car c’est seulement par l’investissement de la population que l’architecture peut vraiment devenir une des sources de renaissance. Dans la video de la conférence donnée suite à la catastrophe naturelle à Haiti en janvier 2010, Patrick Coulombel explique la polyvalence du métier d’urgentiste: «L’architecture d’urgence ne pas se résume pas seulement par la construction de bâtiment, il faut mettre tout en œuvre les méthodes pour la reprise rapide du système économique local. Par exemple, à Sigli, au Sri Lanka, à la suite du tsunami décembre 200414, les Architectes de l’urgence ont commencé par reconstruire des bateaux, permettant à la population de retourner pêcher, activité principale de la ville»1. On comprend d’après cette conférence que l’architecture parvient par divers moyens à légitimer sa conception dans l’urgence. L’article «Une autre Thailande» rapporte le récit de deux jeunes architectes norvégiens TYIN Tegnestue15 et de leur projet à Bangkok, soulevant cette question de la qualité architecturale dans l’urgence: «Même dans ce contexte, la qualité architecturale ne relève pas du luxe superflu mais de la nécessité». Ce qui signifie que la population locale, bien que démunie, est en droit de demander une architecture de qualité. Un simple toit leur permettant de survivre est insuffisant.
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Conference :Haiti demain,au lendemain de la catastrophe,Pavillon d’Arsenal,Paris,2010 Namias,Olivier,Une autre Thailande,A vivre, Paris, 2010
24 / (Community Architects for Shelter and Environment) de Bangkok , TYIN Tegnestue avec les ĂŠtudiants et les habitants du quartier de Klong Toey.
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26 / Chapitre 1 Architecture d’urgence, composants et particularités
Un exemple m’ayant marquée est celui du programme gouvernemental pour la banlieue de la ville Kharkiv, dans l’Ouest de l’Ukraine, qui a mis en place un camp des containers sans la moindre qualité. Je me suis entretenue plusieurs fois avec les gens qui ont commencé à y vivre : «Il n’y a aucun transport proche, il faut marcher 30 minutes vers un arrêt de bus... On est en exile»… «Dans les centenaires la surface est très limite, le périmètre du camp est strictement défini et il n’y a aucune possibilité d’organiser un espace public pour les habitants»… «On est situé si loin en banlieue qu’il est difficile d’entrer en contacts avec les autres habitants de la ville, on se sent dans un aquarium». Alors où se situe vraiment la qualité dans des architectures particulières et prend-elle un sens différent dans l’urgence? Patrick Coulombel, dans un langage plutôt cru et directe, nous avoue que «ce n’est pas parce qu’on travaille pour des pauvres qu’on doit faire de la merde»16. La qualité est indispensable, et si elle n’est pas prise en compte le projet créera encore des problèmes supplémentaires, comme dans le cas du camp en Kharkiv. Il faut savoir croiser la qualité architecturale avec la situation d’urgence pour amener avec le projet un véritable confort de vie. Shigeru Ban partage ce point de vue et met en place une conception extrêmement réfléchie de la qualité en architecture. «Si les maisons ne sont pas des objets aussi singuliers que d’autres réalisations de l’architecture japonaise, leur qualité architecturale indépendamment de l’efficacité de leur plan, vient de la justesse de la conception et de l’évidence des solutions employées, à la fois techniquement performantes, simples à mettre en œuvre et apportant une qualité spatiale et formelle actuelle.»17. Ainsi donc la qualité de la réalisation sera issue d’une bonne conception. Pour synthétiser, les phases préalables d’un projet tel que celui d’une architecture de l’urgence doivent se composer de l’évocation des besoins urgents des habitants, du travail participatif avec ces derniers, et de la recherche des matériaux locaux, le tout au plus près du site. L’architecture d’urgence désigne donc un contexte de conception très large dans lequel il existe une multitude de méthodes d’intervention. La temporalité de l’objet réalisé ne doit pas en appauvrir la qualité. C’est pourquoi ce processus cernés par l’urgence et le manque du temps doit se diriger d’abord vers la résolution des besoins précis formulés avec les habitants.
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Conference :Haiti demain,au lendemain de la catastrophe,Pavillon d’Arsenal,Paris,2010 Shigeru Ban, Architecture from commission to construction,.Laurence King, Londres,2011
Chapitre 2. Processus d’élaboration d’un projet dans l’urgence
30 / Chapitre 2 Processus d’élaboration d’un projet dans l’urgence
“TYIN architect’s toolbox”
2.1 Les méthodes d’étude du territoire à distance «Urgence en ligne» est devenue un nouveau moyen de communication. Il existe plusieurs supports numériques utiles qui permettent construire un dialogue à distance : les blogs internet diffusent les informations avec assez de rapidité, les réseaux sociaux ouvrent les portes du dialogue dans toutes les villes, l’utilisation de Skype (téléphone par internet) permet d’effectuer une conversation sans frontières. Tous ces nouveaux moyens ont le pouvoir de créer des liens et regroupent facilement les individus, posant ainsi la première pierre dans le projet d’urgence. En cela, l’espace numérique et ses possibilités d’échange rapide d’informations dans les endroits les plus dangereux est ce qu’il y a de plus important à décrypter et comprendre dans une étude comme la mienne. L’agence norvégienne TYIN montre un bon exemple d’utilisation des moyens de communication actuels pour partager les clés de processus d’élaboration d’un projet. Dans sa volonté de communiquer, elle met en ligne sur son site internet1 un petit livret numérique intitulé “TYIN architect’s toolbox” : « La toolbox contient les outils requis pour créer de belles et utiles structures, en toutes circonstances… Elle contient des conseils pratiques sur la façon de procéder pour des projets aux délais courts, aux budgets serrés et aux ressources limitées ». On retrouve dans cette boite à outil les paramètres essentiels à l’architecture dite d’urgence que sont les facteurs temporels et économiques. L’agence TYIN propose et utilise elle-même ce guide pour la connaissance et l’emploi des outils et méthodes indispensables à la réalisation d’un bon projet. Les architectes nous explique leurs philosophie de conception et de construction, à travers deux phases difficiles à distinguer dans le domaine particulier de l’urgence. Dans leur « toolbox », on trouve d’abord l’inventaire d’objets matériels, nécessaires à l’élaboration du projet, ainsi que d’outils de conception: le tableau blanc effaçable qui est selon eux l’outil de conception le plus efficace sur le site, le dessin sur papier etc. TYIN insiste sur le fait que la conception et la construction dans l’urgence sont l’un comme l’autre un travail de terrain. On y retrouve donc ensuite, après ceux de la réflexion, les outils de l’action: la scie, le marteau, les boulons, jusqu’au gel antibactérien pour se laver les mains, etc. Selon les architectes, un projet en urgence demande d’un fort investissement personnel, physique mais aussi émotif: «Vous serez touché par le projet. Il y aura du sang, de la sueur et des larmes. Il y aura de la poussière, de la boue, de la laideur». TYIN utilise ainsi les moyens que nous offre internet pour partager facilement et universellement un savoir-faire et leur expérience aux quatre coins du monde, partout où ces connaissances peuvent servir en urgence. Après avoir étudié le principe de fonctionnement du “TYIN architect’s toolbox », j’ai voulu développer ma propre méthode du travail «en ligne». Dans le cadre de ma recherche à distance, j’avais besoin d’obtenir des images des villes post-conflits auxquelles je m’intéressait.
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www.tyinarchitects.com
/ 31 Chapitre 2 Processus d’élaboration d’un projet dans l’urgence
La carte du site gouvernemental démontre la densite des des réfugiés. (03.06.2015)
Suite à la guerre dans l’Est de l’Ukraine, qui perdure jusqu’à aujourd’hui, la région du Donbass reste très insécure dans l’optique d’y mener une étude. Il y a eu de très nombreuses destructions, et ce sont des centaines de milliers de personnes qui ont été contraintes de quitter leurs lieux de vie. La situation de déplacement de ces personnes relève du véritable chaos. Entre les camps formés à Kharkiv, les personnes installées dans les sanatoriums dont les places sont offertes par le gouvernement, et les celles qui louent des appartements dans les villes éloignées de la zone dangereuse, des solutions décentes de relogement doivent impérativement être trouvées afin d’enrayer des processus d’appropriation qui risquent de devenir incontrôlables. Les ONG sont actuellement les seuls organismes qui peuvent contribuer à apporter une aide d’urgence sur le site. Une centaine de ces Organisations Non Gouvernementales agissent dans de nombreuses villes, quand les conflits s’y sont apaisés. Il est difficile de les dénombrer avec exactitude. Le gouvernement en a enregistré 60, mais il semble que ce chiffre reste loin de la réalité. On retrouve en effet sur internet plusieurs centaines d’organisations ou associations qui traitent des problèmes locaux. Ce phénomène d’émergence rapide des ONG est apparu pendant la révolution de la place Maïdan à Kiev. L’organisation «100 bénévoles», par exemple, est née le 21 novembre 2013 sur un réseau social, et a débuté son travail par la livraison de matériaux de construction destinés aux barricades d’une part, et par l’organisation d’ hôpitaux temporaires d’autre part. Quand eu lieu l’annexion de la Crimée par la Russie, ses bénévoles ont aidé les premiers réfugiés à s’installer à Kiev. On peut considérer que la situation d’urgence a ainsi donné vie à un nouveau type d’organisation citoyenne, avec pour base Internet. Internet, que les ukrainiens nomment ironiquement «Ministère alternative de la politique sociale». Suite à cette longue période d’instabilité et d’agression militaire, les ONG ont pu établir une structure très efficace. C’est tout un système de mise en ligne et en réseau des besoins urgents des populations qui s’est rapidement diffusé. Plusieurs volontaires des villes et villages de la « zone d’opération antiterroriste », comme on l’appelle dans les media ukrainiens (ATO), ont rejoins ces organisations. Cette chaîne de groupes a donc commencé avec un fonctionnement à échelle globale, pour organiser et mettre en place une facilité d’accès à l’information locale, et notamment pour pouvoir suivre les dernières nouvelles dans les zones touchées . Je me suis fortement intéressé à ce type de regroupement dans la région du Donbass, et dans les villes les plus menacées par le conflit que sont Doneck et Louhansk... J’ai passé des mois de discussion avec les dirigeants de plusieurs de ces groupes. Parmi tout le large spectre des organisations, c’est le travail de «New Donbass» qui ma le plus intéressée. «New Donbass» (Новий Донбас en ukrainien) est un projet qui vise la reconstruction d’une vie nouvelle et la création d’un
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Membres du “New Donbass” avec des volontaires
dialogue entre les habitants du Doneck et Louhansk. Leur slogan: «On construit ensemble la nouvelle Ukraine»2. La groupe ce compose de plus que 50 personnes des différents domaines:cinéma, théâtre, sociologie, juridiction. Ils trouvent les spécialistes pour la réalisation et l’animation des projets variés, ils montent également le financement par mécénat des fondations privés ou le partenariat avec des entreprises. De plus la part importante de leur activité c’est l’organisation des bénévoles pour encadrer et animer les projets sur places pour un résultat efficace dans l’urgence de l’action. Lors d’un entretien avec Lora Artugina, réalisatrice de films documentaires, dont «Babylon13», et fondatrice de l’organisation, elle expliquait ainsi plusieurs problèmes que ces régions ont en commun : «Lors d’une crise humanitaire, il est souvent très difficile d’organiser la distribution des médicaments, de l’eau, de la nourriture et des matériaux pour la construction dans les villes menacées. Dans la plupart des villes comme Doneck et Louhansk, une ambiance de peur domine après les combats, dans les espaces publiques et les écoles, dans les hôpitaux, et les maisons sont gravement touchées par les combats militaires. Il surgit souvent une crise de l’information: la plupart des gens n’arrivant pas à accéder aux nouvelles concernant les derniers changements dans le pays, ils ne savent pas non plus où il est possible d’obtenir de l’aide. D’autre part, qui prendra en charge le renouvellement des infrastructures, une fois que les écoles et les hôpitaux recommenceront à fonctionner? Telles sont les questions de base posées par les habitants, qui restent sans réponses. Apparaît un autre crise encore, une crise de communication: les actes des terroristes et la propagande russe ont formé des frontières imaginaires dans les têtes des gens. On arrive donc aussi à une crise culturelle, sous la forme d’une décadence culturelle assez rapide après la destruction des espaces publiques. Ce sont les souvenirs de guerre qui remplacent les espaces publiques, la mémoire d’une place publique devenue un champ de guerre ou un terrain d’affrontement. Sans parler que l’absence du bonheur qui renforce la dépression physiologique». Cette discussion m’avait inspiré la volonté d’une collaboration avec «New Donbas», et m’avait donné l’envie de voir de quelles manières il est possible d’intervenir sur les sites après les désastres. Pour commencer l’étude du site tout en restant en France, donc assez éloignée géographiquement, j’ai proposé aux volontaires du «New Donbas» de partager mon travail via internet avec les habitants. Pour ma part, j’ai travaillé sur le développement d’un système cartographique, intégrant l’imagerie satellite, en poursuivant plusieurs objectifs: comprendre la problématique locale et les conséquences de la guerre sur la population, estimer l’ampleur des risques immédiats sur place, et identifier les zones dangereuse en ville afin d’organiser la mise en sécurité des populations. Suite à mes propositions lors de réunions publiques organisées dans la de ville de Sloviansk (le nom de laquelle signifie le bonheur en ukrainien), dans la région du Donbass, nous, les habitants et moi, avons testé cette méthode de travail. Les volontaires ont recueilli les données nécessaires pour composer cinq cartes avec cinq critères qui m’intéressent
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Medium.com@NewDonbas
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principalement : la sécurité en ville, les bâtiments démolis et/ou reconstruits, l’accessibilité spatiale, les édifices remarquables et maisons abandonnées, et les perspectives de développement de la ville. Durant six jours se sont tenues plusieurs réunions à Sloviansk avec des groupes aux divers profils sociaux, professionnels et générationnels: des collégiens, des artistes, des entrepreneurs, des représentants de la mairie, des membres d’associations locales, des journalistes des media de la ville. Ce sont en tout 200 habitants qui ont participé le temps d’une semaine. Après ce premier diagnostique, j’ai diffusé les résultats en ligne, sur un site actuellement accessible aux autres citoyens qui n’ont pas pu venir aux réunions. En définitive, toute la cartographie produite est évolutive et permet d’évoquer les besoins très précis des habitants de Sloviansk. Malheureusement, cette ville reste dans une zone assez dangereuse, prise entre les feux de l’armée ukrainienne et de l’armée russe. Cette expérience démontre malgré tout les possibilités d’un travail à distance quand il est combiné à fonctionnement efficace des acteurs sur place. Même si cette recherche reste pour l’instant assez théorique, elle prépare une forte base de données prête à servir moment de cessation des hostilités. 2.3 Urgentiste et l’éthique d’intervention L’effet catastrophique de l’après guerre est assez particulier. On l’a vu, il est difficile d’intervenir sur le territoire dans des délais courts à cause de la dangerosité des zones en guerre et l’instabilité de la situation sur place et la situation sur place. L’intervention sur le territoire peut donc être mené dans un premier temps à distance. Après une expertise du terrain approfondie, et quand la reconstruction en urgence devient possible, arrivent de nouvelles interrogations. On peut notamment se demander jusqu’à quel stade l’architecte peut y introduire ces propres concepts. Michel Conan, dans son œuvre, interroge la méthode et le processus de conception en urgence ainsi que les limites d’intervention de l’urgentiste. « On va retrouver dans ses propres réalisations en temps normal des questionnements, des manières de faire, des techniques, des esthétiques qui seront les mêmes ou qui auront été le fruit de légères évolutions. On peut alors s’interroger: et si on retrouvait effectivement ces thèmes aussi ans la conception d’urgence?»3 Comment réagir sur le territoire après un désastre pour mettre en perspective l’identité, la culture et la tradition ? Dans le contexte d’une zone sinistrée, d’elle même pleine de gens formidables, de technologies, d’éléments et d’informations. D’après l’article 25 de la Déclaration universelle des droits de l’Homme de 1948, « toute personne a droit à un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé, son bien-être et ceux de sa famille, notamment pour l’alimentation, l’habillement, le logement, les soins médicaux, ainsi que pour les services sociaux nécessaires ; elle a droit à la sécurité en cas de (…) perte
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Coulombel Patrick,Architectes de l’urgence:un nouveau métier de l’humanitaire,L’Harmattan, Paris,2007
34 / Le travail “en ligne” . La cartographie faite d’âpres les donnes d’association et des habitants du Sloviansk
“...les volontaires ont recueilli les données nécessaires pour composer cinq cartes avec cinq critères qui m’intéressent principalement : la sécurité en ville, les bâtiments démolis et/ou reconstruits, l’accessibilité spatiale, les édifices remarquables et maisons abandonnées, et les perspectives de développement de la ville. “
en toute sécurité je ne me sens pas en sécurité j’évite dangereux
te sécurité
me sens pas en sécurité
reux
/ 35 https://www.google.com/maps/d/viewer?mid=zspJApxo1Ec0.kjrfqsIBP6N0
“Malheureusement, cette ville reste dans une zone assez dangereuse, prise entre les feux de l’armée ukrainienne et de l’armée russe. Cette expérience démontre malgré tout les possibilités d’un travail à distance quand il est combiné à fonctionnement efficace des acteurs sur place. Même si cette recherche reste pour l’instant assez théorique, elle prépare une forte base de données prête à servir moment de cessation des hostilités.“
secteur privé 1578 endommagés + 243 détruits logements 224 endommagés + 3 détruits bâtiments publics ??? entreprises industrielles 90
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de ses moyens de subsistance par suite de circonstances indépendante de sa volonté»4. Il s’agit donc bien d’un architecte qui joue le rôle d’un médecin, loin d’une pratique classique. Le travail avec une population dévastée demande un fort engagement, une réelle plongée dans les problèmes locaux. Après la phase première d’observation, une étude du site, puis des réunions avec les habitants, il est important de rentrer profondément dans le contexte, auparavant inconnu. L’intervention devient possible lorsque de l’analyse naissent des réponses polyvalentes sur les besoins dans les zones touchées. Au delà de l’engagement, la collaboration est un élément tout aussi essentiel pour amener sur place la première phase du projet. Il est important d’entendre et de comprendre les habitants pour leurs transmettre les méthodes de construction d’une nouvelle vie qui sera la leur, et qu’il leur reviendra de continuer à mettre en place. «...Les meilleurs réponses sont celles où l’architecte envoyé s’est vraiment plié à l’écoute des besoins locaux et a quasiment disparu. L’architecte doit être très humble et quasiment disparaître dans le geste de la conception»5. L’effacement des limites entre l’architecte et les autres acteurs du projet est d’importance. Une architecture en urgence est une architecture du terrain. C’est bien pour cela qu’une fois la phase de la construction démarrée, l’architecte s’investit non seulement intellectuellement mais aussi désormais physiquement. Et c’est bien grâce à une intervention directe, avec les outils de construction, sur le chantier, que se forment un réel espace de partage du savoir-faire et à terme une ambiance positive dans la société. Car cet effacement des limites, des barrières socio-professionnelles, produit des relations proches entre tous les acteurs, et apporte à chacun d’eux une confiance et une croyance nouvelle en un avenir heureux. Ils sentent leur force, et le pouvoir partagé de construire leur futur avec leurs propres mains. Le but des architectes urgentistes est donc d’apporter un soutien adapté à chaque étape d’une situation de crise. Un soutien double: matériel et culturel. Ils sont censés comprendre rapidement les conséquences de la catastrophe sur les populations, assurer la sécurité des ces personnes, les faire réintégrer leurs lieux de vie dans de bonnes conditions, et leur permettre un rapide retour à une situation normale. Ils se doivent aussi d’apporter des solutions novatrices en termes d’aménagement de territoire, de transférer les connaissances et les savoir-faire, et de créer des plate-formes d’échange et de partage pour redonner une atmosphère sociale positive en des endroits qui portent les lourds stigmates d’un désastre. 2.3 La typologie d’urgence, les études de cas La conception en urgence est un domaine assez varié. Après avoir défini les méthodes d’analyse du site et les principes du
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Conference :Haiti demain,au lendemain de la catastrophe,Pavillon d’Arsenal,Paris,2010 Wiils Eric,Architecture to the rescuel,Londres,2010
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La Maison des jours meilleurs, installation du module de la cuisine.
travail d’urgentiste, j’aimerais en venir à la question de la typologie en urgence. Des collectifs d’architectes et de designers travaillent sur une multitude de types : habitats alternatifs, objets expérimentaux, mobilier construit à partir d’éléments de récupération, etc… Je me suis fortement intéressée à l’évolution des formes premières de l’urgence. Dans l’histoire, le mode de vie mobile est le plus connu chez le peuple Rom (comme on l’appelle maintenant). Dans le but de fuir les conflits et les invasions, ils cherchèrent un habitat facilement déplaçable en cas d’urgence. Ils développèrent un moyen de se déplacer par roulotte: un habitat minimal, économique, indépendant et transformable, apparaissant sous la forme nouvelle de la caravane dans les années 19406. Ainsi la caravane devient-elle une des premières formes d’habitat mobile sur deux roues. Mais une vraie demande de formes temporaires apparait surtout après la Seconde Guerre Mondiale. On pouvait découvrir en 1944 le premier prototype d’habitat d’urgence, «Abri pour sinistrés», lors de l’exposition «Petites machines d’architecture»7 conçue par Jean Prouvé. Jean Prouvé est l’un des pionniers dans le domaine de l’architecture d’urgence. Il explore en son temps toutes les ressources techniques notamment du métal et de la tôle pliée pour développer le concept de bâtiments démontables, qui seront produits en petites séries dès les années 1930. Jean Prouvé a développé une pensée constructive basée sur une logique de fabrication fonctionnelle : «Il n’y a pas de différence entre la construction d’un meuble et d’une maison». La fonctionnalité génère une esthétique très pure en sa forme. On redécouvre dans son travail des meubles créés pour l’Afrique, des thématiques liées à l’architecture d’urgence, et ses «petites machines d’architecture». En 1944, il construit le « pavillon 6x6 » comme la solution d’urgence dans le contexte de la reconstruction provisoire au sortir de la seconde guerre. Ce pavillon, composé de modules de moins de trois mètres, destiné aux sinistrés Lorrains, pouvait être monté par quatre personnes en une journée. Ses caractéristiques initiales sont la légèreté, la mobilité et la simplicité du montage/démontage. L’expérimentation de Jean Prouvé dans le domaine de l’urgence a mis en exergue la relation entre situation d’urgence et économie de moyens. Ses recherches ont valu pour de multiples modes d’habiter: abris de campagne d’armée, caravanes dépliables, abris pour des sinistrés, etc. Du fait de la crise du logement et de l’absence d’équipement public et suite à l’appel de l’abbé Pierre, Jean Prouvé dessine en 1965 une série de formes modulaires destinées à loger les plus pauvres, d’après un prototype déjà réalisé sur un quai de Seine en 19578. Toujours sous l’initiative de l’abbé Pierre, la construction de cette maison «des jours meilleurs» est l’un des premiers exemples du financement participatif d’un projet architectural. La maison a été construite en quatre temps: une base surélevée en plate-forme, un bloc ménager au centre, des panneaux de façade en bois, enfin les cloisons et le toit. A partir de formes légères, préfabriquées et standardisées, le
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Wikipedia.org /wiki/Caravane_(véhicule)
Monnier Gérard,L’architecture:la réception immédiate et la réception différée:l’œuvre jugée,l’édifice habité,le monument célébré, Publications de la Sorbonne, Paris,2006
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Vilandrau Maurice,L’étonnante aventure des castors:l’autoconstruction dans les années 50,L’Harmattan,Paris ,2002
38 / Chapitre 2 Processus d’élaboration d’un projet dans l’urgence
Shigeru Ban «Paper Log House»
projet servira d’exemple pour toute une série d’habitats pour démunis. Il s’opère de nos jours un retour vers ces concepts. Durant la dernière biennale d’architecture à Venise9, par exemple, le pavillon français donnait au visiteur l’occasion de redécouvrir les dessins et schémas de principe de ses projets de l’architecte. Lors de situations compliquées dans le monde actuel, de par les nombreuses guerres où les désastres naturels, les recherches de Jean Prouvé sont devenues une véritable source d’inspiration. Plusieurs architectes continuent d’exploiter l’idée d’une maison évolutive. Le travail de Shigeru Ban est un exemple brillant d’une architecture d’urgence contemporaine. L’architecte japonais continue à développé certains principes de Jean Prouvé. Il propose un habitat économique et minimaliste pour des situations post-catastrophe. Dans le même temps de la conception, il s’attèle aussi au collectage de fonds de financement et de matériaux recyclables, et il organise les chantiers de construction avec une main d’œuvre locale. Shigeru Ban expérimente aussi des espaces inhabituels comme lieux d’accueil des abris, à l’instar de bâtiments publiques, des musées où des collèges. Il propose des formes temporaires facilement montables, dans lesquelles il vient tisser d’intimes relations entre intérieur et extérieur, entre paysage et habitat, entre espace public et espace privé. Les structures simples de Shigeru Ban développent des usages et une esthétique différents en fonction des désirs et des moyens de chacun. «Paper Log House»10 est un de ses projets les plus connus. Cette maison temporaire conçue à Kobe en 1995, suite à un tremblement de terre, a été fabriquée en tubes de carton. Pour rendre le sol étanche, l’architecte se sert de caisses de bière remplies de sacs de sable, et de tubes remplis de papier journaux pour isoler les abris. Des matériaux idéaux tant d’un point de vue écologique qu’économique, et simples dans leur mise en œuvre. Des projets de Jean Prouvé jusqu’aux travaux d’architectes contemporains, on comprend bien que la typologie d’urgence dépend des matériaux choisis d’une part, et des moyens locaux d’autre part. Il existe actuellement de multiples procédés techniques de «normalisation» de l’architecture en situations extrêmes par les formes : formes gonflables, formes préfabriqués, formes mobiles où éphémères. Mais les idées fondamentales restent pour toutes ces dernières la simplicité, l’économie de fabrication et l’évolution participative du projet. Ce sont les trois grands ingrédients qui forment toute typologie en situations d’urgence.
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www.labiennale.org Shigeru Ban, Architecture from commission to construction,.Laurence King, Londres,2011
Chapitre 3. L’action d’urgentiste sur site
42 / Chapitre 3 L’action d’urgentiste sur site
3.1 Le processus en urgence La conception et la réalisation d’un architecte-urgentiste est un sujet très spécifique. La réussite d’un projet dans ce contexte tient beaucoup du lien entre une production rapide et une architecture de qualité. Le véritable travail de l’urgentiste consiste à mettre en dynamique les solutions spatiales avec le travail collectif et l’investissement de centaines de mains sur le site et en temps réel. Cette méthode de mise en place du projet et d’échange des savoirs-faire rassemble de multiples domaines; c’est justement par cette fusion entre le contexte d’urgence et l’acte collectif que le projet urbain post-sinistre peut émerger. Comme dans le cas d’interventions sur les territoires après-guerre il faut rester vigilant et réceptif aux besoins locaux pour trouver les moyens de secours, soigner les malheurs physiologiques et psychologiques, reconstruire les nouveaux lieux de vie, tout en tenant le pari de disséminer et faire oublier les traumatismes, c’est à dire parvenir à un résultat successif et durable… Lors de mon travail sur ces problématiques, j’ai effectué une étude en ligne pour m’approcher des acteurs locaux. Le contexte compliqué d’une guerre hybride dans la région du Donbass qui perdure aujourd’hui ne permet pas d’intervenir directement sur le territoire. Mais le contact avec l’ONG «New Donbass» m’avait permit de récolter des informations nécessaires et d’ouvrir un dialogue à distance. Comme disait l’architecte japonais Daisuke Sugawara, «le rôle de l’architecte est de construire des relations fortes. En d’autres termes, il doit lire l’environnement dans son ensemble et produire une réponse adaptée»1 . J’espère pour ma part que le travail mené avec les cartes numériques pourra agir pour une meilleur stabilité de la situation. Mais pour l’instant, l’intervention directe reste belle et bien bloquée par l’agression militaire. Malgré tout, ces plusieurs mois d’études lointaines et mes discutions par supports numériques interposés avec «New Donbass» m’ont poussées vers de multiples propositions. Tant même, que je me suis trouvée complètement perdue dans mon choix de quel projet d’urgence développer. C’est à dire que l’instabilité de la situation n’a eu de cesse d’influencer et de faire évoluer mes recherches formelles. Au début de mon travail, j’ai d’abord dessiné des projets d’habitations reconstruites à partir de matériaux de récupération. Puis je suis passée à la conception d’abris transformables, et me suis encore attelée au dessin d’un centre communautaire dans les ruines d’un ancien centre médicale. Le processus me semblait infini, incessamment lié aux changements rapides dans les villes à l’est de l’Ukraine. Un jour, une ville était libérée par l’armé ukrainienne, et avant la nuit suivante elle passait déjà sous contrôle des terroristes russes.
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Sugawara, Diasuke, dans le dossier Reconstruire face à l’urgence,Le moniteur, Paris, n218, octobre 2012
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Ambiance sur la place
L’étude des méthodes du travail en urgence m’en a donné une vision stricte: les meilleures réponses ne peuvent être apportées que si, encore une fois, elles répondent aux besoins locaux. Je me suis posée une multitude de questions en essayant d’imaginer qu’un projet dessiné dans les murs de l’école serait capable de sortir a l’extérieur, en s’exprimant en fin dans des villes ukrainiennes. Comment élaborer un projet pour être le plus adéquat à l’environnement des habitants? Comment ma proposition sera-t-elle vécue par ces gens ? Quel rôle mes recherches à distance jouent-elles dans le contexte actuel? La conscience de l’importance de la mission de l’urgentiste, qui est d’intervenir, et de proposer une méthode qui peut rassembler des individus, leur transmettre des notions qui perdureront, cette conscience a réellement fait avancer ma recherche. Il fallait donc, pour éviter les réponses fictives et pour arrêter mon choix sur un type de projet, me rapprocher physiquement du site. Au mois d’avril, j’ai reçu une invitation du «New Donbass». Ils ont pris en charge mon hébergement et le coût de mon déplacement à Slavutych de manière à organiser un séjour de 12 jours. Même si ma recherche a commencé dans l’Est de l’Ukraine, c’est au final vers le centre du pays que je me suis tournée, là où se trouve déjà un très grand nombre de réfugiés. Cela démontre encore une fois comment cette instabilité due à la guerre influence l’élaboration du projet. Construite pour les ukrainiens déplacés suite la catastrophe de Tchernobyl, Slavutych est la plus jeune des villes d’Ukraine. Elle a accueilli dans les années 1990 2 les personnes ayant perdu leurs logements après le célèbre grand désastre technologique, et aujourd’hui elle ouvre à nouveau ses portes à ceux qui fuient la zone de guerre. A Slavutych sont présentes de nombreuses familles déplacées depuis l’Est du pays, mais la plupart des hommes de cette ville sont repartis vers le front. L’image de Slavytuch est assez particulière: plus que la moitié des habitants actuels sont des femmes avec des enfants et des jeunes. Ni la structure de cette ville ni les bâtiments n’ont été atteint par des dommages de guerre. Mais une ambiance de malheur est fortement présente. Il s’est avéré assez compliqué de comprendre comment s’élabore un travail qui peut ressembler bien plus à une aide psychologique qu’à une aide architecturale. En ce sens, j’ai décider à Slavutych de diviser mon intervention en trois parties : les rencontres non formelles, les réunions avec les habitants et le processus du travail participatif. Mon but était comprendre comment contribuer à rendre le bonheur aux gens ayant perdu leurs lieu de vie habituel et comment tisser des liens entre les habitants.
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Wikipedia.org/wiki/Slavutych
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“...même si ma recherche a commencé dans l’Est de l’Ukraine, c’est au final vers le centre du pays que je me suis tournée, là où se trouve déjà un très grand nombre de réfugiés. Cela démontre encore une fois comment cette instabilité due à la guerre influence l’élaboration du projet.“
parc
école des arts
la mairie
supermarché cinéma
Plan de la la place centrale
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“Construite pour les ukrainiens déplacés suite la catastrophe de Tchernobyl, Slavutych est la plus jeune des villes d’Ukraine. Elle a accueilli dans les années 1990 les personnes ayant perdu leurs logements après le célèbre grand désastre technologique, et aujourd’hui elle ouvre à nouveau ses portes à ceux qui fuient la zone de guerre.“
Plan du Slavutych
Plan du Slavutych
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3.2 L’échange d’expérience et mise en commun de savoir-faire Il est certain que la population locale doit être l’actrice principal de la construction de son nouveau mode de vie. Dans le sens du développement d’un projet commun, capable de redonner force et motivation à la communauté. La vie communautaire, les relations sociales sont primordiales dans le relèvement des populations. Dans le cas de Slavutych, j’ai ressenti le besoin de mobiliser les réfugiés pour les rattacher à leur nouveau lieu de vie: «reconstruire, c’est d’abord rétablir une confiance entre les gens et les lieux »3. On peut voir en ce sens le travail manuel comme semblable à une thérapie de groupe. Pour les personnes qui ont perdu tout lien avec leur mode de vie habituel, il est important d’amener du leur dans un espace au préalable inconnu; et cette volonté, cette part de soi est l’ingrédient initial dans la reconquête de la vie quotidienne. Cela correspond à un travail très sensible, basé sur la participation de la population, où il importe de prendre en compte les besoins de chaque individu. Dès mon arrivée à Slavutych, j’ai commencé mes recherches formelles et de nouveaux questionnements sur les usages des espaces publics de cette ville ont bientôt surgies. Grâce à l’association «New Donbass », j’ai séjourné dans l’appartement d’une famille adhérente. Une dame prénommée Valya vivant avec son fils Denys, m’a accueillie très chaleureusement. Ils étaient très attentif à l’intérêt que je portais pour leur vie quotidienne, et pour ma part, ne pouvant passer à côté de cette mine d’informations, je leur posait une multitude de questions sur leur ville et leur propre pratiques urbaines de Slavutych. Des pratiques qu’ils qualifièrent eux-même de «tout a fait ordinaires». J’ai essayé d’instaurer une relation amicale et simple afin d’estomper les limites entre le participant et contribuant, le résident et l’hôte. Valya m’a raconté que ses grands parents habitaient non loin de Donetsk, dans le village de Pervomaiske. Trop âgés pour faire le déplacement en bus, ils ne se voyaient pas souvent. J’ai aussi appris qu’il y a deux mois, son mari Micha avait intégré le corps de la Garde Nationale dans le bataillon Dnipro I. Elle me le disait avec les larmes aux yeux, se remémorant cette rupture familiale causée par la guerre. Elle disait, d’une façon étonnamment précise et bouleversante, vivre au quotidien avec le sentiment « d’être en exil dans son propre pays, d’être seule face à tous les problèmes ». Suite à de longues conversations, je lui ai proposé de m’aider dans l’organisation et l’implication des personnes partageant sa situation; ceux qui ont fuis Donetsk ou ceux dont les proches y demeurent. Je lui ai également expliqué les tenants de ma mission à Slavutych, l’idée de réunir la population pour solidariser notre effort dans la mise en place un projet au profit des espaces publics de leur ville. De mon côté, avec l’association «New Donbass », nous avons entrepris une campagne d’affichage invitant les habitants à venir participer au workshop, et à contribuer à la construction des modules. Avec l’aide du maire de Slavutych,Vladimir
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Fitrianto, Andrea, citation traduite de l’anglais dans l’article Learning from Aceh, tirée du livre Beyond shelter, Architecture and human dignity,New-York, Métropolis Book, 2011
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Une des premières réunions avec les habitants
Udovichenko, nous avons obtenu que la salle de la bibliothèque soit à notre disposition durant les 3 jours qu’ont durées les réunions publiques. Cela prouve qu’un projet participatif a aussi besoin d’une certaine implication institutionnelle, notamment dans ces moments logistiques et pratiques. Au début, ce sont principalement des jeunes de mon âge qui sont venu exprimer leurs manques et leurs souhaits par des moyens très simples : des mots, des bouts de phrases, des dessins, des poèmes. Mais au fur et à mesure, de plus en plus de personnes et de générations ont franchi le pas et sont venues participer. Après trois jours de conception collective, nous avons été en mesure d’évoquer le problème initial –l’absence d’un lieu partage. Cela m’a d’abord paru étonnant, car il existe une énorme place en plein centre de Slavutych. Mais les résultats de notre recherche en urgence ont justement démontré que cette place est liée, dans les pensées des habitants, à l’esprit communiste et au pouvoir dictatorial. La place est principalement caractérisée par une échelle surdimensionnée, grandiose, voir inhumaine, et surtout par sont attribut majeur, la statue de Lenine. Symbole d’une idole et d’une époque longue de soixante-dix ans, ses formes sculpturales ont dépassé la période historique (qui s’arrête après 1990, date de la fin de l’URSSS et de l’indépendance de l’Ukraine) et ont perduré jusqu’aux émeutes de 2015. Le programme de transformation de la place est ainsi devenu le point de départ d’une quête pour retrouver un endroit joyeux, agréable et ouvert aux rencontre entre habitants et réfugiés. Mais la forme et l’image du projet restaient encore floues. Pour visualiser nos moyens de travail et notre marge de manœuvre sur l’espace de la place, j’ai alors numérisé l’information récoltée pendant les précédentes réunions en affichant tous les schémas sur un tableau, et sur un autre j’ai commencé à faire des croquis. En prenant en compte le temps très court dont je disposais, j’ai proposé un travail initia avec la forme simple et facilement manipulable d’un cube. J’en ai effectué les premiers dessins en public, devant les gens. Ma main posée sur la feuille était dirigée par les avis en direct des habitants. Les trois notions essentielles ont été évoquées : « modulable », « transformable » et « simple en mise en œuvre ». C’était là le moment de la fusion de mon savoir-faire avec les spécificités locales. Prenant en compte un grand pourcentage d’enfants déplacés du Donbass et de jeunes, mes recherches ont été dirigées vers la conception d’une aire de jeux pour tous les âges. Suite à une journée de partage d’idées était né un même module qui pouvait servir à de multiples besoins et à différents usages: une assise, une table, et en en rassemblant plusieurs ils devenaient un espace pour les concerts, une plate-forme de communication, et un jeux d’escalade. On se rend bien compte que, poussée par des délais anormalement courts, une communauté d’individus peut livrer des clés fondamentales pour la conception d’un projet. Le processus de communication est essentiel. Pour favoriser l’échange après les réunions, j’ai pris part aux repas partagés qui sont une autre occasion de se rapprocher des autres, d’effacer les frontières officielles qui nous en sépare, et de s’investir au maximum dans leur quotidien. Suite à ces quatre jours de
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concertation et de dessin, la phase de construction a démarrée. J’ai d’abord choisi un matériau selon ces trois critères déjà identifiés: il devait être local, économique et techniquement facile à mettre en œuvre. Comme Slavutych est entourée par la forêt, j’ai pris contact avec une scierie locale. Alors, très vite, nous avons passé l’ensemble des dessins à l’échelle 1. Cela commençait à prendre forme. Le premier module était devenu une véritable base d’expérimentation. je l’avais monté en une seule journée, avant le début du travail en groupe. Je voulais montrer un exemple d’assemblage, pour ainsi lancer la réflexion et les débats formels. A partir de cette base, j’ai dû réfléchir à l’organisation des participants, essayer de définir des zones techniques pour la découpe du bois, choisir un marquage au sol pour le rangement des tasseaux découpés, mettre en place le protocole de montage des modules. Cette division de l’espace, rendue possible par la répartition des tâches, m’a permis de projeter le déroulé logistique du workshop et d’encadrer ainsi le processus, avec des questions de sécurité notamment. Il fallait surtout prendre en compte le fait que les participants n’étaient pas sensibilisés aux règles de sécurité; et tenaient très probablement pour la première fois de leur vie une scie sauteuse dans leurs mains. Il était donc important de retenir les noms de chacun des participants, ainsi que leurs capacités et leurs degrés de maitrise de l’outil, afin d’optimiser son rôle dans le workshop. J’ai pu également mesurer l’importance du « coup de main » et du conseil que l’on se doit d’apporter aux participants en encadrant ce genre de workshop. Paradoxalement, c’est en faisant et en fabricant que je me suis rendue compte que notre vie quotidienne, subordonnée par le monde contemporain fugitif, nous a éloigné du travail manuel. Bien sûr la production, qu’elle soit industrielle ou artisanale, est toujours régie par les techniciens et les artisans. Mais à mon sens cela ne dispense aucunement les architecte du prototypage et de la construction. Pourtant, le fait de fabriquer avec ses mains et avec les « moyens du bord » évoque la base des besoins humains, celui de fabriquer l’objet d’un besoin, et par conséquent l’importance de la technique dans notre civilisation. On peut presque parler d’un réflexe naturel de la création de son propre environnement, confortable et désirable pour vivre. Ainsi le prototype est devenu un outil pédagogique qui précède l’objet et la série. Durant la construction et nos manipulations, visuellement très curieuses pour les passants, notre petit chantier public et le module de la «carcasse sur place » ont commencé à attirer l’attention de nombreuses personnes, dont des passants hâtifs, des promeneurs et des enfants. Je pense que notre workshop a fait découvrir aux jeunes curieux des techniques de construction en les faisant entrer au sein d’un processus de conception ouvert à tous. Finalement, tout l’espace de notre chantier éphémère est devenu une plate-forme d’échange d’idées et de savoirs-faire. Tout cela dans une atmosphère remplie par l’enthousiasme de l’équipe et par l’optimisme des participants, animés par la croyance en leur propre force. J’apprenais en même temps, puisque le prototype me permettait d’identifier les autres problématiques parallèles à la conception architecturale des modules, telles que l’organisation d’un projet participatif, les aspects techniques, ou
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l’animation du process… Grâce à ces réflexions, j’ai pu ensuite envisager des pistes d’amélioration et d’optimisation des méthodes de fabrication. Par exemple, avant l’arrivée des participants sur le lieu du workshop, j’ai monté deux structures symétriques comme exemple des possibles. Il reste néanmoins aujourd’hui à mener une réflexion sur les modes d’emploi destinés au grand public, qu’il faudra mettre en place sous forme de notices explicatives, dans l’éventualité d’un lancement de production de modules à monter soi-même. Le mode d’emploi et la simplification du montage des modules peuvent vraiment faciliter la construction et faire gagner du temps. Le manque de temps a inévitablement influencé notre production, nous faisant oublier certaines étapes. Dans cette précipitation, je n’ai pas pu assembler la « scène modulaire », une sorte de tribune composée uniquement de modules de la «carcasse sur place ». De ce fait, j’ai remplacé les éléments manquants par une structure en bois plis simple, tenant d’un seul bloc. Mais la contrainte du temps n’a heureusement pas impacté la qualité des modules et l’atmosphère chaleureuse de notre changer éphémère. Une fois tous les modules terminés et exposés sur la place centrale de Slavutych, toutes sortes de personnes, par vagues ou par plus petits groupes, commencèrent à venir voir notre travail. Et cela leur a donné l’impression d’un « joyeux bordel », mélangeant musiciens venus avec leur guitare, enfants escaladant les modules, et leurs parents discutant à côté, personnes âgées testant les assises, installées pour bouquiner, et des groupes d’amis venus pour pique-niquer. On voit donc que le développement d’une population est possible à travers une activité proposée librement par le projet architectural. La construction en urgence est un processus qui offre une possibilité de réunir des personnes auparavant détachées les unes des autres, et qui apporte à la population un modèle pour les reconstructions à venir par la suite. 3.3 Qualités sociales et architecturales de l’urgence: l’architecture du bonheur La situation instable apportée par la guerre démolit les liens entre les gens et leur mode de vie habituel. La dégradation des valeurs matérielles et spirituelles sont les résultats de la confrontation militaire qui a lieu en Ukraine et dans de nombreux autres endroits dans le monde. Les personnes déracinées déplacent avec elles des sentiments de peur, d’insécurité et de dévalorisation. Quelle méthode pour une réhabilitation de la société post-traumatique? C’est tout d’abord un travail sur la durabilité sociale. Pour redonner l’espoir et rendre le bonheur, il faut être nécessairement connecté aux rêves des gens et aux visions locales de la situation. Actuellement en Ukraine, il existe déjà des solutions rapides pour héberger les personnes touchées. Il ne s’agit donc pas de livrer seulement un habitat transitionnel. Il s’agit finalement de découvrir comment intégrer les réfugiés dans la structure sociale d’une autre ville.
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Vitaly travaille sur la construction
Il y a un vraie nécessité d’offrir le sentiment d’« être chez soi » ; et cela à la seule condition de trouver des lieux de rassemblement qui seront des espaces d’échanges, des espaces pour tenter de résoudre certains problèmes sociaux et d’organiser une nouvelle vie collective. Auparavant, le gouvernement ukrainien ne faisait aucun effort pour développer ce type d’endroit. La pratique de l’espace public n’est parvenue à entrer dans l’esprit des gens qu’après seulement les mouvements révolutionnaires de la place Maidan, à Kiev. Et pendant mon travail à Slavutych, j’ai constaté le besoin d’un tel espace pour se rencontrer, discuter et s’intégrer au fur et à mesure dans une nouvelle vie. C’est une stratégie au long terme, mais les premiers résultats positifs sont visibles assez vite. Une des premières étapes vers l’union de la société est donc la conception et la production d’espaces nouveaux, réalisés avec le soutien des acteurs locaux. A travers les ateliers, les réunions publiques et la construction ludique, les habitants trouvent leur propre source de renaissance. Là se trouve tout l’enjeu: comprendre comment redonner un sourire et faire rêver les gens. De grandes améliorations sociales et sociétales s’installent bien sûr dans un temps beaucoup plus long que celui de la durée de mise en place d’un tel projet, mais l’échange du savoir-faire apporte un secours immédiat à des populations qui ont perdu tout ancrage avec leur territoire. L’expérience que j’ai eu pendant mon déplacement à Slavutych m’a permis de comprendre et de vivre pleinement le processus de conception d’un projet d’urgence. C’était un moment de conception vécu dans un lieu d’échange social. Car ayant duré seulement 12 jours, mon intervention ne peut pas être considérée comme un véritable projet architectural, et c’est pour cela que j’appelle mon intervention « architecture ouverte ». Ce qui m’intéresse, au-delà des échanges fabuleux qui ont eu lieu à Slavutych, c’est la suite, la passation qui a lieu après le workshop : cela compte vraiment pour moi en tant que durabilité du concept, une suite qui dure en ce moment même. Puisque suite à notre travail participatif (la conception théorique du projet), la réalisation à proprement parler et la fabrication in situ appartient maintenant aux participants (habitants, passants, membres de l’équipe). J’évoque avec une fierté absolue, la réflexion d’un des petit garçons qui ont pris part à la construction des modules. Ce petit Vitaly âgé de 12 ans m’a dit : «Regardez! C’est moi qui a construit, c’est un module qui peut servir à tous, il a plusieurs fonctions! ». Après son petit chantier personnel, il a commencé devant ses amis à faire une véritable présentation de sa réalisation, s’appropriant l’acte de faire, devenant à ce moment précis l’architecte de sa forme. C’est donc bien que l’engagement des participants porte l’intention initiale du projet, même après la fin de l’intervention. Aujourd’hui encore ils continuent à expliquer, chacun à leur manière, l’historique du processus et l’histoire du projet, du début incertain jusqu’à la fabrication. C’est le récit du passage du concept oral à l’acte de faire, dans un temps très court, quasi immédiat. Cette rapidité entre le concept et le passage à l’acte dévoile justement la banale mais très pertinente locution « l’union fait la force ». A ce titre rappelons nous ce qui demeure écrit dans de l’Article 5 de la constitution ukrainienne : « Tout le pouvoir appartient au peuple ». Et je prends le risque de dire
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que ce « pouvoir » qui appartient au peuple se matérialise et s’exprime dans de tels projets. Les habitants de la région Donbass, les habitants des villes sinistrées, tous ceux qui sont venus contredire les actes et les désastres de la guerre ont véritablement senti leur force et leur devoir moral d’être à l’origine des changements. Surtout dans les villes et villages où la dictature se ferait ressentir le plus, limitant toute tentative d’expression des droits et des libertés fondamentales. La place centrale de Slavutych est devenue une plate-forme d’expérimentation qui potentiellement pourra devenir un modèle pour les autres villes d’Ukraine, toutes les villes qui veulent réveiller la conscience collective de l’espace public par l’implication directe de ses habitants. Afin d’envisager l’évolution du projet je reste en contact constant avec la famille de Valya et d’autres habitants qui ont participé au workshop. Sur le réseau social j’ai crée une page liée à mon travail, grâce à laquelle j’invite les habitants de Slavutych à m’envoyer leurs avis, remarques, critiques, ainsi que des photos et vidéos de notre carcasse spatiale. Dans la continuité de l’usage et du processus de transformation, les personnes se sont approprié l’espace, chacun en fonction de son âge, de son parcours ou de son imaginaire. J’ai déjà un grand nombre de retours par mail, des demandes pour que je transmette les plans de la « carcasse spatiale », afin de pouvoir en fabriquer de nouvelles. Je suis vraiment ravie de cette vie post-workshop qui perdure grâce aux personnes engagées. Car pour moi c’est précisément ces envies locales qui précèdent la naissance d’une dynamique positive potentiellement durable : se poursuivant après mon départ, le processus continue. Le dernier retour que j’ai eu à propos de la suite du projet, c’est le déplacement des six modules sur la plage, les berges fluviales de Slavutych. Je pense que cette diffusion du projet dans le tissu de la ville, conforme l’aspect pratique du mobilier, confirmant sa mobilité et son usage libre. Les habitants ont eu la possibilité de définir les espaces agréables, de choisir les nouveaux lieux publics pour se réunir. Ces participants deviennent des metteurs en scènes et des concepteurs de la forme, ils créent eux mêmes des lieux de socialisation dans des lieux choisis de Slavutych. C’est un événement atypique pour une ville ukrainienne, car longtemps la conception et la programmation des espaces publics étaient réservés aux services municipaux et à la logique étatique. Dans notre cas, il s’agit de l’élaboration d’un projet participatif qui peut paraître tout à fait ordinaire pour un français. Dans le contexte ukrainien actuel, il a une grande importance et une intuition puissante, puisque c’est le moment où le pays commence enfin à se battre pour son indépendance. Peut être que l’indépendance des personnes peut trouver aussi une expression dans l’indépendance des choix urbains et la conception collective, je m’obstine à le voir ainsi. L’envie d’avoir des endroits d’usages libres dans les espaces publics, des occasions pour communiquer, c’est en fait une toute nouvelle tendance jamais vue ni vécue auparavant. Ce phénomène est très complexe. Il peut être expliqué par le grand nombre de réfugiés qui s’installent dans les « villes libres », et par les exodes forcés qu’il y a entre les régions d’Ukraine. On peut encore interpréter l’existence de ce phénomène par un besoin social, d’intervenir dans son milieu naturel, sa propre ville, devenant enfin metteur en
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scène de son propre quotidien. Je pressens que le moment de la conception du bonheur est venue. Pour toutes ces raisons les architectes, les designers et les artistes doivent trouver les moyens de rendre le sourire et faire oublier le quotidien douloureux qui angoisse toutes ces personnes. Il est difficile d’envisager la fin de la guerre car c’est un conflit qui nous dépasse, dont la résolution ne nous appartient pas entièrement. Mais il est possible de commencer à reconstruire la société accueillant fraternellement ceux qui ont dû quitter leur foyers et leurs espaces publics habituels. Prenons le risque d’en créer de nouveaux ensemble.
Compléments du récit, de l’expérimentation vers l’objet
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Prototype d’element connecteur en Plexiglas
L’expérience que j’ai eu à Slavutych a été rendue possible grâce à l’association « New Donbass », mais aussi beaucoup grâce à ce semestre enrichissant à Nantes que j’ai pleinement vécu dans le cadre de cette option de projet Design process, animé par Benjamin Avignon et Françoise Coulon. Durant ce dernier semestre, j’ai eu l’occasion d’expérimenter les outils infographiques, les croquis manuels, la maquette et le prototypage. Sans oublier les démarches effectuées et les prises de contact avec les partenaires, les fabricants et les fournisseurs à convoquer pour la réalisation des prototypes. Cela fut un excellent exercice qui m’a obligée à faire évoluer mes réflexions en fonction des moyens techniques et des budgets disponibles. Ces contraintes réelles poussent et provoquent l’évolution du projet, enrichissant ainsi le processus d’élaboration. Le travail mené sur les deux projets en parallèle a véritablement mis en dynamique les idées et a produit des assemblages, des combinaisons formelles inédites, des rencontres uniques aussi. Originellement inspiré par la thématique de la guerre, mon premier projet développe le volet social du contexte et le deuxième son aspect symbolique. L’élaboration de la «carcasse sur place », le nom de baptême de nos modules de workshop, s’est avérée être un processus complexe qui comprenait la prise de contact et le dialogue avec l’association « New Donbass », l’immersion très rapide dans le contexte urbain de la ville de Slavutych, l’observation de ses pratiques quotidiennes et enfin l’élaboration du workshop et la conception participative. Aujourd’hui mon projet de fin d’étude arrive à sa fin universitaire mais ne s’achève pas en réalité, car je continue à suivre ses effets sur la ville et les réactions des habitants qui souhaitent poursuivre et faire évoluer le projet selon leurs besoins. Ainsi, il est crucial pour moi de garder ce contact vivant dans mon projet de fin d’études, car heureusement le processus de conception et le projet ne s’arrêtent pas avec l’obtention du diplôme. J’ai voulu, à la fin de mon mémoire, revenir plus précisément sur le deuxième projet de design, celui de la chaise «prochaise». Celui-ci exprime l’aspect faible et fragile de la condition humaine durant les sinistres, et la faiblesse des Hommes d’une manière générale et universelle. Tous les malheurs et les violences de la guerre n’ont pas seulement un effet psychologique, mais aussi et d’abord une trace physique, nous traumatisant, amputant nos membres, nous laissant les balafres et les cicatrices éternelles. Le corps humain peut être gravement atteint et endommagé, et l’on parle autant de blessures physiques que de blessures morales. Dans ce contexte d’handicap corporel, je me suis intéressée aux inventions mises en place pour aider les objets malades, pour soulager ces « corps du design » et les aider à surmonter le manque d’appuis naturels. Ces inventions technico-médicales couvrent le champ des prothèses qui aident les victimes de la guerre à recommencer leur vie normale. Cette direction de mon travail explore la question des appuis, de l’équilibre et du confort précaire. Car il s’agit ici de défier le confort moderne en haussant nos appuis habituel, provocant ici de nouvelles situations d’assises et d’usages, pour une des bases du Design qu’est la chaise. Revenons à la prothèse, dont l’étymologie vient du grecque « πρόσθεσις »1 et signifie ajouter, assembler, joindre. On
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Wikipedia.org/wiki/Prosthesis
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Otto Dix «Les joueurs de skat »
parle donc d’une addition artificielle à une entité naturelle de manière à palier à sa défaillance. L’histoire nous indique l’apparition des premières prothèses en Égypte et en Grèce Antique entre 1000 et 600 avant JC, dont on peut voir certains exemplaires au musée du Caire. La prothèse évolue au fil des siècles, des guerres et par conséquents des besoins médicaux; cette évolution prenant évidement en compte le progrès techniques dans le domaine de la mécanique et aujourd’hui de la robotique. Elle s’est complexifiée, passant de la forme très simple du bout de bois à un cyber-membre articulé. Dans ce projet, je fais le choix délibéré de m’intéresser à la prothèse dans sa forme simple, quasi rudimentaire,faisant avec mes « moyens du bord » et ceux de l’école d’architecture, limitant volontairement mes matériaux, me rapprochant ainsi des moyens d’un contexte de guerre ou de sinistre. Il s’agit ici d’un imaginaire formel explorant des pistes d’objet-support pour les jambes endommagées et arrachées, que l’on doit réparer dans l’urgence pour continuer le combat (de vie). Toutefois, je ne nie pas la véritable révolution mécanique des prothèses, apportée par James Potts au début du 19° siècle avec sa conception de la prothèse pour jambes «Anglesey »2. Prothèse dont le nom est emprunté à un marquis atteint d’une blessure à la jambe dans la bataille de Waterloo en 1815. Mais c’est après la Première Guerre Mondiale que le prothèse devient largement utilisée pour soulager les mutilés de la Grande Guerre, illustrés avec provocation dans le tableau de Otto Dix «Les joueurs de skat », 1920. De façons moins connues, d’autres personnes ont développé leurs propres prothèses pour les adapter à d’autres besoins. Comme par exemple ce jeune soldat américain du nom de Edward Hanger3, blessé durant les manœuvres, amputé de la jambe. Son handicap le plonge dans un travail d’amélioration des prothèses de l’époque disponible à l’armée. De base, une prothèse est composée d’une seule pièce de bois massif, lourde au quotidien, augmentant la fatigue dans les déplacements de l’invalide, et c’est sans évoquer la gène morale causée à son utilisateur par le bruit très prononcé produit par la prothèse au contact du sol. Le prototype de Hanger donne en fin le confort de la flexibilité grâce à un mécanisme de charnières et l’utilisation des matériaux supplémentaires : acier, caoutchouc. Se complexifiant, la prothèses gagne en confort et en liberté de mouvements pour son utilisateur. De ce fait le design de prothèses est intimement lié aux besoins particuliers dans lesquels il faut considérer les postures et le confort quotidiens. Je pense qu’il est important de voir la prothèse comme une extension du corps et d’envisager chaque prothèse comme une pièce singulière pour chaque humain. J’ai appliqué la procédure de prothétique4 consistant en un remplacement des parties du corps accidentées par des substituts artificiels, à la conception d’un objet de design: la chaise. Au travers de cette lecture symbolique, j’ai dessiné la
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Wikipedia.org/wiki/Henry_William_Paget Wikipedia.org/wiki/James_Edward_Hanger Wikipedia.org/wiki/prothétique
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structure de la chaise qui se formalise par un squelette composé de tasseaux en bois reliés par des connecteurs plastiques. Sans ces éléments de connexion en plastique, la structure de la chaise ne pourrait pas s’équilibrer dans la position verticale. La «prochaise » exprime un côté très humain avec une approche spécifique, celle de l’adaptation à l’existant; ces assemblages et ses questionnements se rapportent à ceux de Edward Hanger, ce même besoin d’avoir des prothèses très personnifiées cherchant à répéter le mouvement. Grâce à la variété des connecteurs, l’assemblage devient tout un processus, une sorte de jeu de combinaisons qui suit une logique du chemin eulérien. Ce processus peut engendrer une série avec des chaises très différentes, variant et mutant selon la position et l’articulation des éléments de transition et les liens. L’invention du connecteur qui après expérimentation s’avère s’ajuster le mieux aux tasseaux en bois est devenu l’essentiel dans mes recherches. La résolution technique m’a permit de pousser la réflexion et d’intégrer un nouvel élément. Je voulais obtenir un effet très humain, défaillant et aléatoire de la structure qui contrasterait aves la raideur et la géométrie des tasseaux identiques. A fur et à mesure des tests, j’ai réalisé plusieurs éléments dans des matières plastiques termoformables comme le Plexiglas, sous forme de nombreux motifs, des formes de tubes, des essaies de joints, des empreintes en négatif d’objets. En découvrant progressivement les possibilités et les limites des machines pour thermoformer et chauffer le plastique, j’ai pu faire mes tests à partir de pièces de récupération. Une forme de recyclage s’est donc imposé en moi par soucis d’économie de moyens mais aussi par la volonté d’une liberté d’expérimenter la déformation jusqu’à la rupture de la matière, état critique de la matière. Les contraintes liées à la quantité et la qualité très variables des plastiques récupérés, notamment plus ou moins adaptés à la thermoformeuse, m’ont permis d’approfondir mes recherches. J’ai également découvert un nouvel outil – le décapeur thermique, et un nouveau matériau – le PVC sous forme de tube de plomberie. A partir desquels j’ai créé toute une série de «prothèses ». Les tubes en PVC sont devenues la solution idéale à la fois pour fixer les tasseaux des sections différentes, mais également par leur coût relativement bas. Ces nombreux testes de matières et d’assemblages m’ont donc permis de comprendre le fonctionnement des prothèses, leurs différentes formes rendues possibles par l’usage du PVC. Je pense que la «prochaise » illustre tout à fait, ou du moins relance la problématique du manque et de la défaillance qui peuvent rendre difficile notre vie, limitant l’activité physique. Pour s’asseoir confortablement il est nécessaire de se balancer et de maintenir l’équilibre. Il y a dans les postures et les conditions de l’assise beaucoup de dualités: se balancer-s’appuyer, se tenir-se laisser tomber. Les différentes postures permettent de tendre les muscles des jambes et du dos, de garder dans une bonne forme le corps; c’est cette tension du corps et son état d’alerte que vise à expérimenter la «prochaise », la situation active d’un individu assis. Un homme qui vit quotidiennement dans un rythme intense a besoin d’avoir accès aux moyens simples pour rester dans un bon état physique. Ce dernier passe également par la possibilité de se reposer, de se caler lors d’un moment de répit, mais également la possibilité de rester alerte et prêt face
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Prototype d’element connecteur en PVC
aux changements de situations. C’est certainement mon intérêt pour les contextes de guerres et les territoires sinistrés qui m’a inconsciemment poussé à explorer les situation d’inconfort et d’alerte permanente, celles dans lesquelles un individu, soldat ou civil, est obligé de rester dans un état de vivacité et d’attention constante. Je pense sincèrement que l’éveil et l’agilité d’un individu, vitaux à sa survie, sont étroitement lié à la posture du son corps. De ce fait l’introduction d’un certain inconfort dans l’assise est une tentative d’introduire et de provoquer un état dynamique, qu’il soit moral ou physique. Dans cette perspective la « prochaise » accomplie son rôle d’assise agile, potentiellement adaptable à un contexte d’hostilités. Parallèlement à mes premières réflexions, je pense que l’intérêt d’une assise active est intéressant à soulever par rapport au manque d’activité sportive dans notre vie quotidienne, certainement dû au manque de temps libre et à la rareté des situations propices à l’entrainement physique. Je cerne ici l’intérêt du sport par rapport à son résultat musculaire, cette mise en tension du corps et le maintient de la forme seine. Probablement le confort excessif de la vie occidentale est en partie responsable de l’atrophie de notre corps, l’habituant aux assises confortables développant le repos passif et la mollesse physique. Je ne m’engage absolument pas dans la critique de ce dernier car l’invention du confort dans le design occidental du XX° siècle se rapporte directement au confort recherché de ces générations d’après guerre. Seulement mon contexte d’étude m’oriente vers une toute autre conception du confort et explore les pistes de la faiblesse d’une part et des prouesses d’autre part qu’un corps peut endurer dans les contextes conflictuels. Dans mon sujet c’est l’objet même qui fait appel au corps endommagé. Ce dernier se main-tient avec les connecteurs et la force musculaire de son propriétaire, et oblige son protagoniste à sortir de sa zone de confort habituel. La chaise à pour but de se maintenir en équilibre par la force des muscles et la recherche de ses propres appuis, c’est la recherche de chacun de son propre processus d’assise, la prise de conscience de son propre degré d’aisance. S’asseoir sur la « prochaise » relève d’un exercice d’équilibre pouvant rappeler une session d’entrainement à la salle de gym sur un simulateur. Cet inconfort recherché reste néanmoins tolérable, et tâche de nous garder en bonne forme corporelle, allant peut être jusqu’à résoudre les problématiques actuelles de l’effort physique quotidien.
Aboutissement de la rĂŠflexion (conclusion)
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L’évolution d’un projet en urgence décrit le processus d’une l’architecture en transformation qui vise à redonner la joie dans une atmosphère de partage. Dans ce contexte de crise en Ukraine, très peu d’architectes travaillent sur les qualités sociales et humanitaires sous-jacentes. Pourtant la force des organisations non gouvernementale arrive à agir et aider vraiment les populations sinistrées. En communicant et diffusant ces différentes actions avec eux, il est possible de franchir les barrières pour entrer en contact constructif avec les habitants, malgré le fait que le processus d’élaboration d’un projet participatif in situ dans la région du Donbass (région occupée) demeure encore impossible dû à l’intensification des affrontements armés. Les moyens alternatifs mis en place afin d’initier les actions de soutien aux réfugiés dans les autres régions sont en revanche tout à fait possibles. Le désintéressement institutionnel et étatique des besoins des victimes rend la situation de rétablissement plus difficile à atteindre. Il s’agit de mobiliser les moyens de sensibilisation pour inviter à l’appropriation des espaces publics, initier la démocratisation des espaces collectifs et amorcer des études précises de ce contexte de guerre. Cependant, l’expérience vécue pendant mon voyage à Salavutych a démontré que de petites interventions sous forme de workshops participatifs ou encore sous forme de happenings peuvent devenir déclencheurs de l’action publique et avoir une répercussion globale, comme une contamination positive du virus collectif. La spécificité de ce processus de conception convoque les méthodes de lancement d’un projet, voulant effacer les limites entre le concepteur et l’usager, entre le sachant et le public profane. L’essence de ce projet et la mise en commun des savoirs et des rôles parmi les différents acteurs de la ville. L’échange des savoir-faires permet d’avoir, au fil des étapes du projet, une réponse plus efficace et durable. A mon sens, la renaissance sociale à travers un œuvre collective est la raison du travail d’un architecte-urgentiste. Actuellement, la population ukrainienne est en train se battre pour son indépendance, dont la proclamation institutionnelle a eu lieu il y a 24 ans mais dont l’expérience commence juste à s’exprimer. C’était une indépendance officielle mais non vécue, sans valeurs effectives dans le quotidien des ukrainiens. Cette première indépendance a crée des frontières au sein du pays, provoquant de nombreuses censures dans les langues, religions et opinions politiques entre les régions. Aujourd’hui, si on doit noter un des seuls effets positifs de la guerre, cela serait celui de l’effacement de certaines limites régionales qui s’atténuent à cause des déplacements de populations sinistrées. Les populations anciennement urbaines repeuplent certaines zones rurales, cherchant à reconstruire leur vie loin des confrontations. Enfin, la provocation de la propagande commence a perdre de sa force, notamment grâce à la solidarité et la réunification des personnes qui cherchent à réunir, discuter et analyser la situation réelle pour trouver des solutions et rétablir le dialogue. La population est en train de se reconstruire, le processus est lancé. Le rôle de l’architecte est de soutenir la population dans ses envies collectives, ses expressions audacieuses, et être force de proposition avec des projets d’espaces publics adaptés aux besoins actuels. Les ukrainiens sont en train de prendre conscience et de mesurer la richesse de leur culture et se saisir des questions des sujets dont ils ont été écartés, dont l’espace public en fait partie.
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Il apparaît donc important que l’architecte devienne un des acteurs de ce processus et se mobilise pour trouver des solutions et des modes d’emploi de l’espace public, invitant enfin à son appropriation par les habitants. C’est à l’architecte ou au concepteur que revient la création d’une ambiance seine et positive qui pourra stimuler la conception participative. Dans un contexte politico-social aussi rude, c’est en fait l’architecte qui est à l’origine du projet architectural. Un projet qui continuera après son départ, dont la persistance et la mutation seront les meilleures récompenses, car ce seront elles qui vérifieront l’adéquation et la durabilité du projet afin d’aider à instaurer une stabilisation sociale. Pour ces raisons il est important de travailler avec des matériaux locaux facilement accessibles, d’adapter le projet au contexte spécifique, et de savoir modérer la tolérance et l’entente collective. Bien sûr ce travail demande un grand engagement personnel et l’envie de partager un tel projet. En plus de la conception habituelle, L’architecte joue ici un rôle à la fois d’animation sociologique et psychologique, tel un médecin qui traite les maladies physiologiques du territoire. La triade réunissant la pérennité, l’usage et la forme doit traverser la totalité de ce projet. Selon moi une production de qualité n’est possible qu’au contact direct avec son site et sa population, l’acte du projet doit également prendre en compte la réaction locale, et être en capacité d’ajuster si besoin le projet. Tout cela est mis en œuvre sans aucune autre prétention que celle de rendre une perspective d’avenir aux personnes sinistrées, et de retrouver le bonheur de vivre ensemble sur leur territoire. C’est une pratique différente du métier d’architecte au sens classique, mais les actions d’urgence impliquent de ce fait une responsabilité pour le futur du collectif, dont la meilleure garantie demeure l’implication et le sourire des gens.
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