going out of drawing by drawing

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going out of drawing by drawing

“Figuration numérique en architecture, sortir du dessin par le dessin janvier 2018 Colloque « Le dessin entre maîtrise et incertitude » par Daniel Estevez professeur HDR au LRA ENSA Toulouse, Université de Toulouse Jean Jaurès


information science :

cnrtl http://www.cnrtl.fr/definition/informatique

“science of the rational processing of information considered as the support of human knowledge�

NRZ-L NRZ-M NRZ-S RZ Biphase-L Biphase-M Biphase-S binary line code formats in Differential digital signal processing Manchester for the word 1010110010 Bipolar

https://fr.wikibooks.org/wiki/Fonctionnement_d %27un_ordinateur/Encodage,_traitement,_d %C3%A9codage


Ce texte propose quelques réflexions sur la figuration en architecture dans ses relations avec le numérique. Je crois qu’il est nécessaire d’envisager ce mot de “numérique” à partir de certains concepts spécifiques des sciences de l’information. Partons de la définition officielle de l’informatique (« information science »). C’est la “science du traitement rationnel, notamment par des machines automatiques, de l’information considérée comme le support des connaissances humaines”. Cette définition académique introduit trois concepts fondamentaux (traitement, information et support). Elle établit également une distinction entre information et connaissance comme étant deux choses séparées.

Penchons nous brièvement sur le concept d’information. Concrètement, qu’estce qu’une information ? Le premier niveau de définition d’une information est la transcription garantie d’un phénomène donné dans un code donné. Dans les technologies numériques on parle de codage de l’information. Ici le phénomène matériel choisi pour le codage est le phénomène des tensions électriques. Ces tensions (de faible voltage) permettent de coder des informations sous forme de nombres dans des composants électroniques (c’est à dire des registres). On utilise différentes méthodes pour coder un bit (c’est à dire un nombre binaire). Par exemple, dans le codage en NRZ, lorsque la tension passe en-dessous d’un seuil donné on consi-

dère que l’information codée est un 0. Au dessus de ce seuil la tension représente un 1. Dans tous les cas on observe que le codage est un procédé de discrétisation. C’est à dire qu’on passe d’un phénomène fluctuant et continu (les tensions représentées par des courbes) à un ensemble d’états finis et stables (l’information représentée par des nombres).

Information : une information est un phénomène physique mesurable (par exemple une tension électrique mesurée en bits) susceptible de coder un message numérique en annulant toute possibilité d’écart entre le support physique et le code numérique associé (principe des codes correcteurs d’erreur). C’est ce message formel codé numériquement qui peut subir un traitement, c’est à dire une opération matérielle portant sur une forme indépendamment de son interprétation possible.


example of Quick Response Code (QR Code) using ReedSolomon error correction code h t t p s : / / e n . w i k i v e r s i t y. o r g / w i k i / R e e d %E2%80%93Solomon_codes_for_coders

00010111 (+23) left-shift 00101110 (+46)

00010111 (+23) right-shift 00001011(+11) examples of bit shifts in bitwise operations https://en.wikipedia.org/wiki/Bitwise_operation


Penchons nous à présent sur le concept de support. Pour garantir la correspondance non ambigüe entre un signal électrique et une information numérique, on introduit des procédures de contrôle et de correction automatique des erreurs du codage: les codes correcteurs d’erreurs. Il s’agit d’une redondance d’information dans le codage du signal. Celle-ci garantit la fiabilité du codage pour un traitement donné (par exemple l’ajout systématique d’un bit supplémentaire dans un mot).

On observera ici un paradoxe intéressant. Ce procédé efficace garantit la relation univoque et stable entre support matériel du codage et information codée. Mais cette fusion logique entre support et information, rend in fine l’information elle même indépendante de son support physique. C’est ce qu’illustre l’exemple bien connu des QR codes. Ces dispositifs de codification graphique utilisent des Codes Correcteurs d’Erreurs assez puissants. Dans l’image présentée ici par exemple l’information numérique codée est en effet identique dans chaque cas malgré les altérations que subit le support (couleur, forme, bruit). On peut le vérifier en lisant ces codes avec un smartphone, ils renverrons tous à la même adresse internet (celle qui contient le texte de cette conférence).

Penchons nous enfin sur la notion de traitement. Il faut remarquer que c’est uniquement l’information en tant que codage formel d’un signal physique, qui fait l’objet de traitements. Or qu’estce qu’un traitement ? Par le terme de traitement on désigne des calculs formels. Ce sont des combinaisons d’opérations élémentaires sans signification intrinsèque (duplications, décalages, verrous, bascules…). Ces opérations sont essentiellement des déplacements de valeurs de bit dans des registres récepteurs. Dans l’exemple présenté ici l’opération de décalage d’une position permet de coder un multiplication ou bien une division. Bien entendu pour être traité et stockée toute information doit respecteur des conventions de mise en forme, c’est

à dire à un format. Dans notre exemple le format de l’information est un octet (huit bit classés de la droite vers la gauche selon leur poids).

Je livre ces remarques générales afin de souligner trois propriétés fondamentales des technologies informationnelles, trois propriétés qui ont des conséquences précises sur les activités de figuration. 1/ une séparation fondamentale entre information et signification 2/ une désactivation du support dans la représentation de l’information 3/ une structuration formelle de l’accès à l’information en vue de son traitement, le format.


a journey into architectural design : from information to fact, from operation to action

http://www.tschumi.com/publications/


Ce contexte lexical propre à la théorie de l’information étant rapidement énoncé, je peux en arriver au thème de notre rencontre : “le dessin entre matrîse et incertitude”. Alors maîtriser quelque chose c’est d’abord en avoir une connaissance précise. Je dirais que la maîtrise concerne donc la précision des faits et des actions. Être dans l’incertitude à propos de quelque chose c’est être dans l’impossibilité d’en avoir une connaissance prévisible. Je dirais donc que l’incertitude concerne l’indétermination des faits ou des actions.

Je prendrais comme point de départ de cet exposé ce diagramme que présente Bernard Tshumi dans son ouvrage « Praxis ». Il servira de guide à mon intervention. Comme on le voit, ce dessin illustre des principes d’organisation généraux en architecture. Il met en relation un terme relatif à la précision (“structural “) et un autre relatif à l’indétermination (“random”). A partir de là, il croise la notion dynamique de déplacement (“flow” figurés par des flèches) et la notion statique d’espace (“void” représentée par des figures).

Dans la petite traversée réflexive que je propose, les questions d’information et de traitement vont donc se transformer. Les situations de conception que j’évoque déplacent en effet ces notions vers celles de “fait” et “d’action”. Elles déplaceront également le couple maîtrise / incertitude vers celui de précision / indétermination.


1 design as program : determinate actions on structured data

program

strategy

2 design as strategy : specific facts for undeterminate actions

3 design as convention : unspecified facts and determinate action

4 design as tactics : unplanned facts for undeterminate actions

convention

tactics

1.  design as program determinate actions on structured data


Alors si on s’amuse à rapporter le terme “flow” au concept d’action et celui de “void” au concept de fait alors on peut utiliser le tableau de Tshumi pour illustrer quatre situations type de conception en architecture (paradigmes) : 1. le programme dont les actions sont déterminées (opérations programmées) et portent sur des faits structurés (données) 2. la stratégie dont les actions sont indéterminées a priori et s’actualisent à partir des structures de faits (classement, catégorie) 3. la convention dont les actions sont déterminées (règles tacites, habitudes) et portent sur des faits non décrits (implicites) 4. la tactique dont les actions se déterminent au cas par cas selon des faits non structurés (improvisation) La première situation que je voudrais évoquer elle celle où la conception entre dans le schéma général du programme. Il est bien clair que cette situation touche directement le contexte numérique. Un programme, c’est à dire un système d’opérations déterminées portant sur des faits structurés (des informations).

L’hypothèse de mon intervention est que chacun de ces quatre registres de conception entrainent la pratique contemporaine de figuration vers ce que j’appelle une sortie possible du dessin. Mais, si cette sortie peut dans certains cas se comprendre comme un abandon pratique et effectif de la forme dessin (sa disparition), dans d’autres cas en revanche, il s’agit d’une sortie critique, c’est à dire d’un dépassement qui respecte le dessin comme l’un des paradigmes fondamentaux de la pratique de conception contemporaine. Ce sont ces dépassements que je voudrais parcourir brièvement aujourd’hui.


drawing in a digital context : “augmented drawing”

Design as a tree of diagrams. Determination of Components for an Indian Village from « notes on the synthesis of form » Christopher Alexander, 1966 http://misri470umd.blogspot.fr/


Dans le contexte numérique, le dessin doit assumer les concepts fondamentaux des systèmes d’information. Et je voudrais montrer en quoi il peut alors être redéfini comme un dessin augmenté.

En 1966, avec son livre “Notes on the synthesis of form”, l’architecte Christopher Alexander fut probablement l’un des premiers architectes à tenter d’intégrer la structure informationnelle données/programme dans la conception architecturale. La conception qu’il modélise est un processus formel fondée sur l’analyse, la synthèse et la structure en arbre de données. Il écrit : “le point de départ de départ de l’analyse ce sont les données, le produit final de l’analyse est le programme qui est un arbre hiérarchique de données. Le point de départ de la synthèse est le diagramme. La produit final de la synthèse est la réalisation du problème qui est une arborescence de diagrammes.” p.84) En assumant la séparation entre information et si-

Machine ouverte : Le philosophe de la technique Gilbert Simondon oppose automatisme et indétermination. Il observe que «pour rendre une machine automatique, il faut sacrifier bien des possibilités de fonctionnement, bien des usages possibles.» Pour lui l’automatisme peut conduire à la réduction des capacités d’usage des objets techniques, c’est à dire à leur fermeture. Une machine ouverte est caractérisée au contraire par son indétermination. L’indétermination s’oppose à l’automatisme. Il écrit: «le véritable perfectionnement des machines, celui dont on peut dire qu’il élève le degré de technicité, correspond non pas à un accroissement de l’automatisme, mais au contraire au fait que le fonctionnement d’une machine recèle une certaine marge d’indétermination.»

gnification dans son modèle de conception, Alexander assume l’hypothèse opérationnelle fondamentale de la théorie de l’information. Ses premières recherches, tout comme celles de Noam Chomsky à la même époque, s’inscrivent dans le projet général d’une l’intelligence artificielle. Il s’agit précisément de formaliser de façon syntaxique des éléments sémantiques. Cette modélisation repose elle-même en grande partie sur des schémas hiérarchiques, des arbres (voir les arbres de dérivation des grammaires générative chez Chomsky). On cherche donc en quelque sorte à procéder à une « sémantisation » automatique de l’information. En fait, cela revient à tenter d’automatiser les processus interprétatifs (qui relèvent norma-

lement des sujets humains) en les formalisant dans un cadre logique (hypothéticodéductif). Ces modèles totalisants fondés sur des structures d’arbre, n’ont pas connu d’aboutissement opératoires réels en architecture. C’est que, comme l’a montré Gilbert Silmondon, le principe d’automatisme ne peut conduire qu’à la production de machines fermées. Fermées c’est à dire déterminées et inaccessibles à des usages non programmés. Ce que Simondon appelle les machines ouvertes sont au contraire des systèmes faisant place à des marges d’indétermination.


Inference engine in a CAD model https://help.sketchup.com/fr/article/3000223

Student’s exercise of visual programming http://misri470umd.blogspot.fr/


Ainsi les systèmes d’IA ont ils bel et bien pénétrés les pratiques de conception mais sous une forme accessoire, ou additionnelle. Pour la figuration par exemple, de tels systèmes infèrent des informations géométriques pertinentes implicites dans le dessin et puis les affichent. Ils augmentent ainsi le nombre d’informations accessibles par l’utilisateur. C’est une réalité bien connue des infographistes. Car on rencontre désormais des modules inférentiels dans la plupart des logiciels graphiques. Ceux-ci ont été rendus populaires par le logiciel Sketchup d’où est tirée cette image. Le dessin est donc désormais prolongé par des traitements automatisés intégrés aux machines logicielles. Alors pour que la machine à dessin contemporaine, le logiciel graphique notamment, soit une machine ouverte

comment faire ? Pour Simondon, il faut simplement maintenir le principe d’automatisme à un niveau précis par lequel il augmente la capacité d’usage du concepteur au lieu de la diminuer et de la refermer. Il faut parvenir à un équilibre par lequel la machine logicielle devient incitative pour l’utilisateur. Une machine ouverte.

Dans ces conditions, le travail de “dessin en contexte informatique” peut s’orienter vers des activités de contrôle et de commande. Ce dessin consiste alors moins en des gestes graphiques qu’en l’organisation de séquences d’opérations automatiques déterminées proposées par les outils et portant sur des modèles prédéfinis. C’est là par exemple l’une des caractéristiques de ce que l’on nomme l’architecture paramétrique. Ce qui est intéressant en définitive, c’est que les capacités des machines actuelles, en tant que machines ouvertes, permettent à certains égards de ré-explorer la question de la série dans le dessin de conception. Or il s’agit d’une propriété inhérente au dessin de tradition en architecture (voir les schémas sériels de

Palladio au XVIème siècle présentés plus loin). C’est pourquoi la sortie du dessin proposée par les dispositifs numériques se fait par un saut strictement quantitatif. En dépit des apparences, cette augmentation ne déplace pas fondamentalement le paradigme du dessin de conception. Car le numérique peut parfaitement assumer, soutenir, voire même augmenter les propriétés sérielles du dessin d’architecture.

Machine incitative : Le sociologue de la pratique Richard Sennett souligne lui aussi que l’augmentation des possibilités d’action constitue un objectif fondamental de l’environnement technique : « La façon éclairée d’utiliser une machine consiste à juger de ses pouvoirs, à façonner ses usages, à la lumière de nos limites. Nous ne devons pas rivaliser avec elle. Une machine, comme tout modèle, devrait proposer plutôt qu’ordonner […]. »


IFC

BIM

IFC specification of a door in a BIM model

(from ANR research project “inhabitable skins�) https://issuu.com/daniel-estevez/ docs/h_a_b_i_t_a_b_l_e_s_k_i_n_s

2. design as strategy specific facts for undeterminate actions


On sait, par définition, que tout programme exige une précision des données comme des opérations. Cela conduit à agir sur des objets formatés et suffisamment détaillés, suffisamment définis. Le thème de la définition des objets, de la définition des représentations, est devenu un pôle intentionnel central du travail de figuration numérique contemporain. C’est que la puissance d’action d’un programme dépend de la richesse de la structure de donnée associée à un objet : ce qu’on appelle sa définition. A partir de là, les pratiques figuratives en architecture tendent vers un usage de représentations possèdant une définition maximum, une haute définition. Cela débouche logiquement sur la manipulation de modèles à l’échelle un pour un. C’est à dire sur la manipulation de maquettes numériques (au

sens BIM). Une maquette numérique peut être vue comme une explicitation numérique totale de la représentation d’un projet. C’est un modèle complet, instancié ou non, un prototype numérique conforme à un format standard de donnée (IFC). Les conséquences méthodologiques de ce dispositif d’explicitation sont importantes pour la conception. Apparemment, elles peuvent correspondre à des ruptures culturelles. C’est que le travail de conception prend désormais pour point de départ des objets entièrement prédéfinis et des actions élémentaires prédéterminées (nous sommes bien dans le paradigme de la conception comme programme). Mais ce point ouvre aussi des pistes intéressantes. Par exemple, l’idée reçue d’une conception architecturale comprise comme activi-

En matière de conception la connaissance n’est pas toujours formalisable par explicitation formelle. Le travail interprétatif du sujet concepteur n’est pas toujours déterminé comme peut l’être un calcul formel qui suppose une séparation entre information et signification. C’est ce que montre par exemple l’approche pragmatiste de la conception. Cette approche pragmatiste intègre le travail graphique de conception dans un autre cadre cognitif. Un cadre qui privilégie non pas la déduction descendante hiérarchique propre au schéma du programme mais le principe inductif propre au schéma de l’enquête. Tout projet est indéterminé dans ses actions mais porte sur des faits précis insépa-

rables de leurs significations. Pour le pragmatiste John Dewey on ne peut pas admettre en pratique de séparation absolue entre information et signification : « sans une certaine sorte de symbole, il n’y a pas d’idée. […] puisqu’une existence [i.e information] est le support et le véhicule d’une signification […] les significations ou idées incorporées peuvent être examinées et développées objectivement. Examiner une idée n’est pas une simple façon de parler. » (John Dewey, Logique, Une théorie de l’enquête. p.175)

té de résolution de problème allant du flou vers le précis (Descartes) est concrètement invalidée dans ce contexte. Cela constitue certainement un progrès car au fond ces outils programmatiques fournissent peut être l’occasion de penser et de pratiquer la conception en dehors du mythe de la création ex-nihilo. Il semble que toute la recherche architecturale qui s’est penchée sur l’idée d’une «conception par précédent» doit désormais investir ce nouveau champ de pratiques. Une question méthodologique demeure cependant. Car si des objets formels précis pré-existent à toute démarche de conception en architecture alors comment maintenir l’indétermination des actions sur ces objets ?


strategic drawing :

“Embodied meanings are capable of objective development. To look at an idea is not a mere literary figure of speech”

https://archive.org/details/ JohnDeweyLogicTheTheoryOfInquiry

set of patterns from Christopher Alexander’s book « A Pattern Language » http://www.iwritewordsgood.com/apl/set.htm

“drawings as operational facts-meanings”


L’approche pramatiste substitue le concept de “fait opérationnel” à celui d’information. Elle considère la signification comme résultant d’une interprétation/classification des faits. Qu’est-ce qu’un fait ? La définition de John Dewey indique qu’un fait existe, en dehors de nous, comme « élément constitutif d’une situation donnée que nous pouvons organiser dans l’observation » (p.173). Dans le schéma de l’enquête, la notion de fait correspond à un outil de la dynamique inductive de recherche. Ainsi, la valeur d’un fait en cours d’enquête dépend de son utilité pour le concepteur. Un fait est valable s’il constitue un appui temporaire du travail d’interprétation. Cela au détriment parfois même de sa réalité mesurable (validité, vérité).

Lors d’une enquête les faits sont choisis, décrits, examinés, arrangés, organisés, catégorisés et classés avec une intention projectuelle, “ils ne sont pas simplement les résultats d’opérations d’observation” (p.178) mais relèvent d’une tâche interprétative méthodique que l’on peut apparenter à une tâche de conception. Qu’est-ce qu’un fait opérationnel ? C’est un fait portant une signification en soi (notion de monde chez Goodman). Mais c’est aussi un fait qui s’articule avec d’autres pour produire une fin définie. Cette finalité, en architecture par exemple, est la transformation d’une situation donnée qu’on appelle un projet.

Faits provisoires : c’est ainsi que John Dewey caractérise le fait dans l’enquête, les contenus factuels ont un caractère provisoire et opérationnel, c’est à dire fonctionnel: « Il est reconnu qu’une hypothèse ne doit pas être vraie pour être très utile à la conduite de l’enquête […] la même chose vaut pour les faits. Ils étaient utiles non parce qu’ils étaient vrais ou faux mais parce que, quand ils étaient considérés comme instruments de travail provisoire pour faire avancer les recherches, ils conduisaient à la découverte d’autres faits plus adéquats et solides. » (p.212) Il s’agt alors de produire des faits nouveaux susceptibles d’alimenter le travail de formulation (énonciation, nomination…) et de maintenir le processus d’interprétation de ces faits ! L’enquête repose sur une continuité récursive où les conclusions obtenues à un stade deviennent des moyens matériels de mener une nouvelle enquête (Dewey).

Un fait opérationnel n’est jamais isolé. Pour Dewey les faits « prouvent et éprouvent une idée dans la mesure où ils peuvent être organisés les uns avec les autres. Il n’y a organisation que s’ils sont en interaction réciproque. » (p.178). Le travail d’enquête consiste donc à transformer les situations existantes par l’organisation et la classification des faits significatifs.

repose pas sur l’usage d’informations et de traitements, mais sur l’interprétation par le lecteur humain de séries de motifs linuistiques-architecturaux précis et décrits sous forme de “patterns”. Tous les motifs proposés sont des sortes de fragments d’architecture vécue, des faits significatifs, ce sont des unités indépendantes sans lien déterminé entre elles et sont décrites sous la forme d’une liste non hiérarchisée, elle-même inachevée car le lecteur est invité à poursuivre cet inventaire. Aucun programme général ne préside à l’utilisation de ces 243 motifs combinables. Les patterns sont des descriptions de faits-types considérés comme les mots d’un langage.

Redescriptions :: Nous pourrions évoquer ici les positions du pédagogue pragmatiste Syemour Papert lorsqu’il écrit : “La conception comme l’enseignement ne peuvent-elles être considérés comme des tentatives permanente de redescription de la réalité” c’est aussi la compétence d’un enseignant expérimenté que de savoir produire les images critiques susceptibles de restructurer temporairement la situation de conception par des ruptures signifiantes pour l’étudiant. Comme l’écrit Seymour Papert lui-même, la capacité de redescription de l’action est le propre du bon formateur qui « sait capturer la complexité d’une action dans des métaphores qui aident à transmettre la sensation d’une performance à réaliser. (par exemple ‘affrontez la pente !’ dans l’apprentissge du ski). C’est un travail analogique et relationnel. Le dessin peut entrer dans la production de «métaphores génératives». On citera le cas du « paintbrush as a pump » (Donald Shön, “the reflective practitionner”, p.184) ou bien “le théâtre est un archipel” métaphore utilisée dans la négociation du collectif d’action (régisseur, public, habitant, etc.) lors d’un workshop de construction de notre atelier Learning From dans le Gers en France. (voir http://learning-from. over-blog.fr)

Christopher Alexander, encore une fois, servira d’illustration de cette approche pragmatiste de la représentation en architecture. Dans son deuxième ouvrage phare, intitulé A pattern language et publié en 1977, la conception n’est plus appréhendée comme un programme de résolution de problème mais comme une tâche d’expression. La conception ne


FLORENCE HOUSE

workshop Learning From The Florence House, Johannesburg, SA SOUTH CORRIDOR WEST CORRIDOR

FIRST FLOOR - INVENTORY #1 NORTH CORRIDOR

student’s inventory of inhabited situations in the Florence House – 2011 http://learning-from.over-blog.fr/tag/learning %20from%20the%20florence%20house/

strategic drawing :

”Art it’s not about reproducing or inventing forms, but it’s to grasp forces. In that meaning no art is figurative." Gille Deleuze, Logique de la sensation, La différence, Paris, 1981, p.39

“drawings as immediate facts”


“Examiner une idée n’est pas une simple façon de parler”. Selon Dewey les faits dépendent de leur description représentationnelle pour être opérationnels. Or cette description n’est pas univoque, un fait peut en effet être décrit et redécrit de différentes façons. Redécrire des faits, voilà le travail de conception. C’est cette possibilité de descriptions multiples qui donne à un fait son caractère d’hypothèse provisoire dans le processus de l’enquête. Ainsi des faits seront opérationnels s’ils peuvent être indexés/renommés, dessinés/ redessinés, photographiés/ catégorisés, comparés, énumérés, mis en relation etc. Ce concept de faits opérationnels induit par conséquent une fragmentation des représentations et une hybridation des descriptions. Il conduit aussi vers un usage de l’inventaire comme un outil de conception-enquête Une autre propriété du dessin stratégique de projet est de se constituer comme un fait expérienciel, c’est à dire un fait dont on peut faire l’expérience directe. (immediate facts) Cette notion rompt apparemment avec l’approche informationnelle de la représentation sans support car elle fait précisément intervenir le matériau spécifique de dessin comme élément actif de représentation (en peinture : “le subjectile”).

notamment en architecture. Je donnerai une illustration (non-détaillée) de l’usage de cet outil en citant certains travaux de nos ateliers d’enseignement de master Learning From à l’ENSA Toulouse en France. Nous y menons des projets en contexte critique (squat, bidonville) comme ici dans un hôpital désaffecté du centre de Johannesburg occupé par 247 familles de façon informelle. Les outils d’inventaire du contexte permettent de produire des répertoires explicites de situation de cet habitat spontané sous forme d’ensemble de pattern structurés. Ces patterns sont des multi-description qualitatives utilisant plusieurs procédés représentationnel. Ce sont ces multiplicités de représentations détaillées qui permettent de décrire le système socio-spatial de l’hôpital squatté comme un ensemble complexe de “faits

opérationnels” (de situations). Le projet d’architecture se présentera alors comme un agencement nouveau de ces données existantes, une transformation. Il va opèrer sur ce système de faits-significations (pattern). Ici l’un des rôles du dessin est alors de décrire, consigner, noter, annoter, cartographier (openstreetmap), arpenter… il doit contribuer à construire les faits, c’est à dire ces patterns significatifs.

Inventaires : De nombreux architectes adoptent aujourd’hui des méthodes de représentation fragmentée mettant en œuvre de véritable travaux d’inventaires actifs. Il s’agit d’engager une représentation raisonnée de la réalité physique destinée affronter la complexité des contextes de projet instables. Le groupe d’architectes japonais Bow-Wow a notamment illustré cette approche dans plusieurs ouvrages dont le plus connu s’intitule «Made in Tokyo». On y voit à l’œuvre une lecture systématique des architectures spontanées de la capitale japonaise et cette lecture construit une vraie stratégie opératoire d’architecte. Ce genre d’action n’a rien de commun avec une analyse urbaine. On sépare, on distingue pour agir, et cette séparation est elle-même une action projectuelle, le classement est conception.


http://www.philippe-lamy.net/philippe-lamydessins

Philippe Lamy, sketches (excerpt) http://www.philippe-lamy.net/philippe-lamydessins


Dans son livre “papier machine”, Jacques Derrida écrivait : “Le papier résonne. Sous l’apparence d’une surface, il tient en réserve un volume, des plis, un labyrinthe dont les parois renvoient les échos de la voix qu’il porte lui-même”. Ce paradigme de la « feuille de papier » fait entrer le subjectile dans la figuration comme élément à part entière.

Dans le modèle communicationnel élaboré en 1948 par Claude Shannon (“A Mathematical Theory of Communication”) une information correspond à un signal envoyé par un émetteur et reçue par un récepteur par l’intermédiaire d’un support, nommé le canal. Les systèmes de codage du signal et de correction d’erreurs que nous avons déjà soulignés visent alors à supprimer tout bruit provenant du canal, à supprimer les interférences, à rendre le support transparent vis à vis du message. Avec le paradigme de la «feuille de papier» il en va tout autrement. Ici le support du dessin est parfois producteur de faits perceptifs imprévus, de bruits qui opacifient le message informationnel émis, mais qui peuvent pourtant être porteurs de significations valides pour le concepteur.

L’activité de dessin dont il est question ici répond pour partie à la formule de Gilles Deleuze lorsqu’il écrivait dans Logique de la sensation : « En art, et en peinture comme en musique, il ne s’agit pas de reproduire ou d’inventer des formes, mais de capter des forces.» (Gille Deleuze, Logique de la sensation, La différence, Paris, 1981, p.39). Je citerai ce travail graphique de l’artiste Philippe Lamy qui propose ici un déplacement du dessin signifiant vers un dessin a-signifiant à partir de faits expérienciels provoqués par le tracé : tâches, lignes, hachures, aspérités… (Philippe Boudon a bien observé l’importance de ces phénomènes graphiques qu’il avait dénommés des plusieurs publications des “dromies”)

Ici tout se passe comme si l’artiste empruntait un chemin qui le conduit de l’objet signifié (les coquillages) vers le dessin comme phénomène graphique spécifique (le mode de tracé de la coquille d’huitre). Le dessin issu de ce processus est une sorte de prolifération des micros-phénomènes de tracés prélevés dans le dessin figuratif initial. Ces faits graphiques sont donnés à voir pour eux même, en tant qu’expérience.


Sol Lewitt, no title http://www.tate.org.uk/art/artworks/lewitt-notitle-p07061

Peter Zumthor, Atelier, Haldenstein, GraubĂźnden, 1986 http://zumthor.tumblr.com/post/ 121927206368/peter-zumthor-atelierhaldenstein-graub%C3%BCnden


Nous parlons donc d’une figuration a-signifiante mais ayant une valeur opératoire en tant qu’espace d’expérience où l’on fait jouer des forces graphiques. Cette idée ne concerne pas seulement les pratiques artistiques. On pourrait souligner par exemple la similitude entre les 2 dessins suivants. Celui de l’artiste Sol Lewitt et le second dessiné par l’architecte Peter Zumthor. Dans les deux cas des effets perceptifs provenant du support de tracé sont recherchés : irrégularités dans un dessin régulier, variations dans un dessin répétitif. Ici on voit comment l’architecte met finalement ces effets expérienciels au service d’un dessin informationnel codifié (il s’agit d’une élévation).


Yves Brunier, trois jardins particuliers Ă Brasschat, 1991

3. design as convention unspecified facts and convergent action


La figuration stratégique ne relève donc pas de la communication transparente shannonienne. Elle concerne une communication comportant des opacités, des artefacts, qui retardent ou détournent la réception des messages sans pour autant les détruire ou les annuler. C’est pourquoi cette figuration peut accepter et même provoquer complètement des accidents, des collisions, des dislocations, des bouleversements donnant lieu à des confrontations de faits hétérogènes (comme le montrait parfaitement l’énergie du travail figuratif de Yves Brunier dans les années 1990) Les processus de conception par collage répondent à une telle attente. Il ne s’agit pas d’une procédure mimétique déterminée mais d’un principe général de montage, d’un assemblage de données. Et d’une certaine façon on

peut parler de traitement formel : déplacement, duplication. Ces processus offrent aux systèmes informatiques actuels, de par leurs capacités de stockage, leur opérateurs d’assemblage et de combinatoire, une possibilité de remettre le dessin numérique à l’intérieur du paradigme de la “feuille de papier” qu’évoquait Derrida. Le montage, voilà alors peut être une autre sortie possible du dessin par le dessin.

La troisième situation de conception que je voudrais commenter est celle de la convention. La convention est un phénomène très ancien dans les processus d’édification. Ainsi, comme l’ont montré Alain Dupire et Bernard Hamburger, dès le XVIe siècle l’architecte classique s’appuyait dans son travail graphique sur sa connaissance de la pratique constructive commune aux gens de métier. Il n’était pas tenu de décrire lui-même ces questions implicitement admises. Il en va de même pour la plupart des projets ordinaires dans l’architecture vernaculaire (architecture paysanne en milieu rural par exemple). Tout se passe comme si les projets ne soulèvaient aucun problème de mise en oeuvre dans la mesure où ils s’ap-

puient sur des données et des savoirs implicites non formalisés mais supposés connus de tous. Ces données communément admises n’ont pas lieu d’être à chaque fois redéfinies par des dessins spécifiques (détails techniques, plans d’exécution...). Il s’établit alors un consensus, un accord entre les acteurs de l’édification qu’on peut appeler une situation conventionnelle.


drawing in conventional situations : “drawings as performative facts�

drawing in situ, experimental workshop in Soweto, South Africa, 2012

http://learning-from.over-blog.fr/tag/learning %20from%20soweto%20kliptown%20youth/


Une situation de convention repose sur des données admises a priori mais non explicitées. Dans une telle situation, l’action d’édification entreprise converge vers un but connu comme par exemple un archétype, ou bien une réalisation que l’on a l’habitude de produire. Le rôle du dessin est alors ponctuel, fonctionnel, opérationnel. Il est littéralement un fait opérationnel pour l’action. C’est à dire qu’il est le support temporaire de décision d’action qui sont prises in situ. Ces décisions concernent simplement l’adaptation de l’action au contexte. Notamment il renseigne et soutien les actes de construction dans un un contexte physique particulier (pente, orientation, dimensions, nombre de travées etc.).

Les processus de décision concernant les adaptations des actes constructifs au contexte physique du projet peuvent donner lieu à des négocations et des délibérations collective. C’est ce que nous avons souvent expérimenté dans nos travaux d’atelier en milieu informel. Les images montrées ici par exemple concernent une opération de réhabilitation d’un orphelinat dans un bidonville de Soweto en 2013.

Ces formules de workshop de projet-réalisation in-situ peuvent être rapprochés sous bien des aspects à une situation conventionnelle contemporaine. Les techniques engagées sont simples et les procédés constructifs élémentaires. Le dessin intervient ponctuellement alors comme outil de délibération. Il permet de s’accorder collectivement sur les choix adaptatifs (implantations, dimensions, orientations…).


S t u d e n t ’s f i n a l experimental project in ENSA Toulouse, France, 2016 http://www.quaternion.fr/testimonials/95ekilaya/32-cathedrale-de-carton-4

4. design as tactics

Bricolage means that when acting “each fact represents a set of concrete and virtual relations, they are operators that can be used for any operations”

https://books.google.fr/books? id=WIcBBQAAQBAJ&printsec=frontcover&dq =inauthor:%22Claude+LEVI-STRAUSS %22&hl=fr&sa=X&ved=0ahUKEwiD6NaLqMH YAhXLbVAKHcMBAG0Q6AEISDAF#v=onepa ge&q&f=false

unplanned facts and undeterminate action


On pourrait indiquer enfin que les outils informatiques de production (CFAO) peuvent parfois entrer dans ces processus conventionnels. Ici un travail de diplôme de construction expérimentale autour des gridshell sorte d’archétype contemporain. Travail qui s’est largement appuyé sur les fablab, machine low-cost et groupes de “open makers”.

La dernière figure de conception que je voudrais évoquer (schéma de Bernard Tshumi) est celle de la tactique. Cette figure provient comme on sait de l’art de la guerre, elle concerne l’indétermination de toute action face à des faits entièrement contingents. On peut plus pacifiquement se rapprocher ici du concept de jeu, d’improvisation, de navigation ou de bricolage dans le sens que l’anthropologue Claude Levi-Strauss donnait à ce terme dans son ouvrahe «La pensée sauvage». Dans l’action de bricolage en effet chaque fait est un élément de la situation de conception. Un fait “représente un ensemble de relations, à la fois concrètes et virtuelles”. Levi-Strauss ajoute que “[ces faits] sont des opérateurs mais utili-

sables en vue d’opérations quelconques.» De tels opérateurs concrets et virtuels laissent donc place à l’action libre du concepteur dans un contexte instrumental entièrement incertain, divergent et indéterminé. Qu’en est-il alors pour la représentation ? Le dessin ?


tactical drawing : “drawings as dissensus facts”

Rem Koolhaas, drawing for the project “Parc de La Villette” h t t p : / / laboratoireurbanismeinsurrectionnel.blogspot.f r / 2 0 11 / 0 5 / r e m - k o o l h a a s - u n - g e n i e reactionnaire.html


Dans son ouvrage “Le spectateur émancipé” le philosophe Jacques Rancière propose une distinction non pas entre information et signification mais entre représentation consensuelle et dissensuelle. La représentation consensuelle instaure une convergence entre information et signification. L’interprétation s’apparente alors au décodage. Rancière parle d’un “accord entre sens et sensible, entre un mode de présentation sensible et un régime d’interprétation de ses données » (p.75) La représentation de consensus repose sur une certaine univocité des messages. Elle suppose l’absence d’ambiguïté dans leur décodage informationnel (modèle de Shannon).

Dans le dissensus au contraire, les éléments de la représentation ne sont par convergents mais contradictoires, hétérogènes. Leur interprétation n’est pas immédiate mais indéterminée. Elle peut produire des divergences et des conflits de sens. Mais ces conflits doivent stimuler le travail interprétatif. Ce sont donc des faits déclencheurs qui activent le concepteur et élargissent sa perception de la situation de projet. L’architecte Rem Koolhaas avait emprunté à Salvador Dali la notion de “paranoïa-critique” pour désigner ce phénomène. Une figuration active qui organise des faits dissensuels pour les interpréter voire les sur-interpréter.


Sixteen study drawings for a villa by Andrea Palladio XVI century https://journal.eahn.org/articles/10.5334/ah.ck/

Aldo Rossi, project’s drawing for the monument to resistance in Cuneo, 1971 http://w3.toulouse.archi.fr/li2a/ac/ axonometr/exoaxono1.html


Je préciserais ces réflexions un peu abstraites par quelques exemples, en citant le le cas du dessin en géométral. Le géométral est comme on sait l’un des outils fondamentaux de la figuration architecturale de tradition. C’est Julien Guadet qui affirmait “Le dessin d’architecture est le dessin géométral. Le géométral est le dessin exact, on peut dire le dessin par excellence.” Or l’observation de l’usage de ce dessin montre qu’il peut être mis en oeuvre de façon fondamentalement dissensuelle au sens de Rancière.

Je présente ici un dessin très connu emprunté à Aldo Rossi. Il s’agit du géométral pour le monument à la résistance de Cuneo en Italie. Ici chaque vue du dessin codifié est présentée comme une figure isolée. Chaque vue se focalise sur un aspect de l’objet. Le dessin est simple et précis. Pourtant il comporte des contradictions projectives entre les vues. Ici la signification peut contredire l’information. En réalité, dans leur usage du géométral les architectes privilégient le principe de focalisation sur celui de la cohérence (notamment projective). Aussi chaque pièce (plan, coupe, élévation) possède une opérationnalité en soi. Chaque vue constitue un fait, une focalisation sur un élément de la réalité, voire sur un registre d’action. Or

ces fragments, (ces “faitssignification”), peuvent très souvent être contradictoires, hétérogènes ou imcomplets. L’opérationnalité conceptuelle du dessin n’en est pas amoindrie. Tout au contraire elle ressort renforcée par ces effets de fragmentation dissensuelle. Ils stimulent le processus d’enquête.

Signification contre information : La composition graphique insiste sur la géométrie du carré. Chaque figure est aussi centrée sur sa signification allégorique. L’ascension souterraine, la porte étroite, le trajet dont le but est invisible quand on s’y engage, la porte donnant sur une cours nue ou bien sur le ciel, l’horizon étroit, le mur aveugle, le bunker etc. tous ces faits architectoniques représentés dans le dessin peuvent en effet être pris dans un sens métaphorique, symbolique. Ces niveaux de significations de chaque vue contredisent parfois le niveau projectif de l’objet dessiné. Ils entrainent par exemple des incohérences, des contradictions dans le dessin.


workshop City Movie, Cagliari, Italie, 2008 http://aeroports-airspaces.over-blog.com/tag/ workshop%20cag/

workshop City Movie, Cagliari, Italie, 2008 http://aeroports-airspaces.over-blog.com/tag/ workshop%20cag/


En assumant les propriétés dissensuelles du géométral d’architecte, il est possible de transposer ce mode de dessin dans d’autres media. Une autre sortie du dessin. Ainsi en va-t-il dans cet exemple de travail d’étudiant lors d’un workshop de relevé vidéo de l’aéroport de Caliari en Italie en 2008. Nous avons utilisé la représentation vidéographique comme outil d’échantillonnage selon des modalités de prise de vue directement issues des règles du géométral (association entre plan fixe vidéo et plan de géométral, travelling et coupe, panoramique et élévation…)

Dans ce workshop de Caliari, la mise en espace par multiprojection des différents échantillons prélévés constituait la dernière étape du travail. Cette opération est d’abord d’ordre diagrammatique. En effet, l’assemblage spatial d’échantillons vidéographiques peut être envisagée comme une opération diagrammatique in-situ. Les vidéogrammes sont reconfigurés dans l’espace de la salle de projection. On pouvait alors faire voisiner des éléments qui étaient séparés sur les lieux réels ou séparer des espaces urbains pourtant adjacents dans la réalité. En spatialisant la projection des échantillons, la multiprojection transforme l’espace de projection lui-même en un échantillon équivalent à l’espace étudié, un espace à l’échelle 1 qui ne soit pas une reproduction. Dans ce sens, elle remplit le rôle assigné

Le géométral vidéo : On propose de prélever dans l’espace étudié des échantillons vidéo anarratifs selon certains protocoles précis de prise de vue. Il sont parallèlement catégorisés et classés en collections. Ce travail de prélèvement vidéo doit fournir le matériel de lecture des usages de l’espace : événements, situations, mouvements, parcours sont captés sans intentions préalables mais selon des règles et des formats identifiés. Les représentations vidéo s’effectuent en respectant trois modes uniques de prise de vues : le plan fixe, le travelling avant et le travelling latéral. Nous les considérons comme trois modalités de la pensée en géométral de l’espace. Le plan-fixe opère comme un plan, il a pour fonction de fixer les éléments physiques de l’environnement (immobilité) et d’en révéler les mouvements et variations (mobilités). Le travelling-avant est apparenté à la coupe (section verticale), il opère comme un instrument de pénétration de l’espace, décrit les intériorités et met en scène les épaisseurs, les profondeurs. Le travellinglatéral organise la visibilité de l’architecture et, tout comme une élévation, il exprime la visibilité de l’architecture. Par ailleurs ces opérateurs de relevé vidéo sont combinables et peuvent être coordonnés. Ils constituent des diagrammes par échantillonnage.

à la représentation dissensuelle par Jacques Rancière lorsqu’il écrit : « Représenter c’est donner un équivalent, l’image n’est pas le double d’une chose. »

Le dessin dissensuel est redescriptif. Il ne communique pas une information à propos d’une signification. Il est au contraire producteur d’un « surplus de signification » chez le concepteur (Francastel).

Diagrammes : La dimension diagrammatique du dessin lui procure des avantages opératoires connus (vitesse computationnelle, lecture indicielle, outil performatif, topologie, voisinages, analogies non modélisables, mémoires de cas, base de données : informations implicites) par rapport aux représentations linguistiques (schéma linéaire, concaténation, séquences ordonnées, succession d’états discrets : informations explicites). Larkin et Simon dans leurs recherches sur les stratégies de résolution de problème (Why a Diagmm is Sometimes Worth Ten Thousand Words en 1987) opposaient la représentation sentencielle (« sentential ») fondée sur des séquences linguistiques à la représentation diagrammatique basée sur une organisation spatiale graphique. La sentence indexe les informations par leur positions dans une liste en séquence tandis que le diagramme le fait par localisation dans un espace (plan). Ces travaux pionniers dans le domaine du traitement automatique de l’information montraient déjà que pour un acteur humain la représentation sententielle présente bien l’avantage de restituer une hiérarchie ordonnée des éléments du problème, et d’autres caractéristiques comme des relations temporelles ou logiques des composants du problème. La représentation diagrammatique en revanche est beaucoup plus efficiente pour les actions de recherche et d’identification de données (exemple de problèmes de géométrie) et dans une moindre mesure pour les actions inférentielles, toutes tâches justement cruciales dans le champ de la création et de la conception. Mais le diagramme n’est pas une modélisation et n’offre pas de certitude sur sa productivité inférentielle : « although every diagram supports some easy perceptual inferences, nothing ensures that these inferences must be useful in the problem-solving process. » (p.99).


tactical drawing : “drawings as empowering facts”

Le terme de partition sert à désigner une structure ouverte, visant à attirer l’attention sur les conditions de l’assemblage. Elle a pour vocation de notamment placer des fragments et des structures minimales au coeur de l’attention et d’en tirer partie. Ch. Dell p.105

«Spacial Events pour flûte et vibraphone », composed by Christopher Dell, p.1 & p.4 http://www.christopher-dell.de/en/


Le dessin tactique serait donc un dessin capable d’augmenter les capacités interprétatives mais nous pouvons peut-être aller plus loin et imaginer pour finir un type de représentation contemporaine, n’excluant pas le dessin numérique et qui se fixe réellement un but émancipateur en accroissant nos capacités d’action humaine sur notre environnement en tant que concepteur, habitant ou utilisateur de l’espace.

Le domaine de la création musicale contemporaine peut nous inspirer. Je citerais ici le musicien et urbaniste Christopher Dell qui propose d’aborder la représentation musicale ou urbaine à partir de la notion de « partition ouverte ». Il s’agit de considérer le travail de notation musicale sous un angle performatif éloigné d’un fonctionnement prescriptif de l’exécution instrumentale. La partition ouverte utilise le diagramme dans une logique de notation relationnelle désormais constituée « d’assemblages, de cut-ups, de tissus de relation, de connexions sérielles » qui entraine un élargissement des lectures possibles de la musique et produit donc un effet performatif. (p.56).

Dans la partition présentée ici des indications qualitatives sont fournies avec un réservoir de notes et des thèmes possibles pouvant être transformés.

Prescription : Classiquement la notation musicale est prescriptive et vise à l’exécution pure de l’oeuvre et non pas au jeu (p.37) elle est donc « organisée selon le modèle émetteur (compositeur) et récepteur (musicien)». C’est la notation mode d’emploi qui est réduite à un « vecteur de transmission ». Au Xxème siècle, on passe d’une notation prescriptive à une notation performative. Pour Dell ces nouvelles partitions ouvertes “offrent un cadre plus ou moins structuré qui confie aux performeurs de la pièce musicale, de l’événement ou d’une situation concrète, une part importante du résultat d’une partition. Les partitions ouvertes favorisent des expériences. » (p.104)


Diagram for the Fun Palace, Cedric Price, 1961 https://megaestructuras.tumblr.com/page/15

A calculated uncertainty approach : « Les hautsplate a u x , l o t i s s e m e n t vertical », Christophe Hutin and Saskia Frankenberger, 2015, Bègles, France h t t p : / / w w w. c h r i s t o p h e h u t i n . c o m / C H / Projet_HP_2.html


Une analogie peut être faite avec le projet de Fun Palace imaginé par Cédric Price et souvent cité comme un cas d’architecture performative. Les représentations grahiques de ce projet sont toujours hybrides et puisent largement dans la notation par diagramme. Cette figuration proliférante, saturée, exerce également un effet performatif à l’aide de ses représentations imagées d’expériences concrètes.

Dans cette approche tactique de la conception, l’édifice constitue une performance sociale plutôt qu’une réalisation formelle, un processus évolutif plutôt qu’un objet statique. Les dessins alors sont provisoires, ce sont des faits hétérogènes mais utilisables comme des images hypothèses, des suggestions à interpréter. Dans ce dessin qui intègre l’indétermination comme une donnée fondamentale, la représentation est alors plus proche d’un discours ou d’une fiction que de descriptions ou de prescriptions techniques. C’est ce que montre ici par exemple la représentation du projet de lotissement vertical intitulé Les Hauts Plateaux par l’architecte Christophe Hutin à Bègles (France). Il s’agit d’un projet structuraliste

inspiré de la démarche de Frei Otto à Berlin dans son Eco-House. Il propose un processus d’autoconstruction libre et non planifiée sur une structure physique commune (plateaux et rampes d’escaliers).


Sketch for « Les hautsplate a u x , l o t i s s e m e n t vertical », Saskia Frankenberger, Christophe Hutin 2010, Bordeaux, France h t t p : / / w w w. c h r i s t o p h e h u t i n . c o m / C H / Projet_HP_2.html


Dans ce contexte, la représentation concerne des scénarios possibles imprédictibles au moment du projet. L’objectif du dessin est de figurer un processus plutôt qu’un état. De montrer la capacité d’une structure à recevoir les compétences d’action des habitants. De stimuler l’interprétation projective des habitants. De représenter des histoires possibles mais qui n’arriveront pas, des fictions.

Ces techniques de représentation offrent alors peut-etre une autre sortie du dessin. Une sortie qui reprendrait à son compte la capacité narrative du dessin comme paradigme. Une sortie qui serait en quelque sorte discursive et fictionnelle. Une sortie vers un dessin-objet. Un dessin qui fonctionne à la fois comme poème et comme catalogue.

«[...] Le catalogue du poète est donc un contre-catalogue qui annule la différence entre valeur d’usage et valeur d’échange en restituant à chaque chose à sa place. Cette place nie la hiérarchie des anciennes positions. [...] Et le vertige même des noms communs de choses communes suit l’indication donnée par Emerson sur le rôle du poète comme donneur de noms, la valeur suggestives de simples listes de mots empruntées à un dictionnaire pour un «esprit imaginatif et en état d’excitation», et le fait que ce qui serait vulgaire ou obscène pour les gens obscènes devient glorieux quand on l’énonce dans un nouvel enchaînement de pensées. Le «catalogue» est enchaînement et c’est l’enchaînement qui rachète toute laideur et toute vulgarité : «Comme c’est leur sépa-

ration et leur arrachement à la vie qui rend les choses laides, le poète qui ré-ajointe les choses à la nature et au tout dispose à son gré des faits les plus disgracieux. Le lecteurs de poésie, quand ils voient l’usine de village et le chemin de fer, s’imaginent que ceux-ci détruisent la poésie du paysage, car ces oeuvres de l’art ne sont pas encore consacrées dans leurs lectures ; mais le poète les voit tomber sous la loi du grand ordre non moins que la ruche ou que la toile géométrique de l’araignée.» R.W.Emerson The poet

«For, as it is dislocation and detachment from the life, that makes things ugly, the poet, who re-attaches things to nature and the whole, — re-attaching even artificial things, and violations of nature, to nature, by a deeper insight — disposes very easily of the most disagreeable facts. Readers of poetry see the factory-village, and the railway, and fancy that the poetry of the landscape is broken up by these; for these works of art are not yet consecrated in their reading; but the poet sees them fall within the great order not less than the beehive, or the spider’s geometrical web. « R.W.Emerson The poet [...] Jacques Rancière, Aisthesis, Scènes du régime esthétique de l’art, Ed. Galilée, 2011


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