Atelier 2010 - Learning From Hillbrow - Pour une architecture de la vie quotidienne

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Pour une architecture de la vie quotidienne. Atelier Learning From, master ENSA Toulouse, Christophe Hutin, Daniel Estevez, Saskia Frankenberger

Dans le centre ville abandonné de

Florence House, Johannesburg, South Africa

Johannesburg, les habitants des immeubles squattés construisent au quotidien une leçon de détournement de l’architecture. Ils transforment la ville. Des étudiants en architecture travaillent à la réhabilitation d’un immeuble collectif dans ce contexte à la fois critique et créatif.

Atelier Learning From 2011, France ABENIA Tiphaine AKOUAOU Tanast BAHAOUI Fayçal BENSALEK Hiba BERDAH Juliette CAPDEVIELLE Inès FRIGOLA VIDAL Victoria MATEO LAJARIN Javier NAVARES JUANCO Elena NESPOULOUS Elodie RAOUL Margaux RICHARD Salomé


Johannesburg, Afrique du Sud. Dans le quartier central de Hillbrow des centaines d’immeubles vacants, à l’abandon, sont occupés de fait par les habitants les plus pauvres de la ville. Un contexte urbain critique et souvent conflictuel mais qui témoigne aussi d’une énergie humaine incroyable ; ce quartier dense et actif pourrait être le moteur d’un intense développement urbain, économique et culturel à venir. Des étudiants en architecture français et sud africains ont investi ce territoire au cours d’un atelier international organisé dans le cadre du master Learning From 2011, de l’Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Toulouse. Ils ont travaillé sur le cas d’un ancien hôpital, la Florence House, aujourd’hui désaffecté et occupé spontanément sans aucun aménagement lourd par 247 familles. Les habitants vivent là avec beaucoup d’intelligence et très peu de moyens, et le bâtiment, malgré l’indigence des conditions de vie, est à sa façon une leçon d’appropriation collective et individuelle de l’architecture. Pour intervenir dans ce milieu, la question cruciale est la lecture du contexte. Relever les lieux avec précision, inventorier les situations, comprendre les usages, rencontrer les gens, discuter. Ce projet de réhabilitation est d’abord un travail collectif d’inventaire de toute les ressources existantes. Comprendre ce qui est déjà-là et puis soutenir, améliorer, accroître, intensifier. Pièce après pièce, lieux après lieux, les transformations de l’espace opérées par les habitants eux-même livrent peu à peu l’anatomie sociale de la Florence House. Articuler les lieux. Lorsqu’on entre dans le vaste sous-sol, on trouve une pièce de vie comme blottie dans un coin. On la distingue d’abord par les barrières bleues qui la délimitent. Ce salon, rassemble tout un tas d’éléments : plusieurs fauteuils et chaises autour d’une table basse, des casques de chantier, des magasines féminins et d’autres détails en tout genre. En plus de ce salon improvisé, on aperçoit un petit coin cuisine et aussi trois chambres, celles des trois résidents qui se partagent ces espaces limités. Mais pourquoi ont-ils eux même délimité ce salon commun sur une portion de la

fig. 1 «La Florence House» crédit : Atelier Learning From 2011

fig. 2 «Articuler les lieux» crédit : Atelier Learning From 2011


surface disponible du sous sol ? La délimitation privatise. En restreignant l’accessibilité de ce lieu, celui-ci est coupé du reste de la grande pièce publique et nul ne peut y pénétrer sans y être invité. C’est l’un des critères fondamentaux du principe de « prétention territoriale » du privé sur le public que décrit Hertzberger. En jouant sur différents degrés, on articule l’espace, on crée des lieux privés, semi-privés, semi-publics, publics et toutes les nuances qui s’y ajoutent. Des institutions spontanées. Dans l’angle d’un couloir du sous sol se dessine un faisceau de lumière électrique induisant la présence d’un lieu. Une cloison recouverte de rideaux brodés de doré ferme l’espace. Orphelin de lumière naturelle, une lampe l’éclaire et reporte au sol l’ombre des sièges aux formes et couleurs disparates. Leur alignement installe l’ordre et dessine un couloir central. L’autel, délimité par un rideau fixé au mur, se dresse au fond de la salle. Il est recouvert d’un drapé blanc scintillant marqué d’une croix rouge. Chaque élément de cette composition considère cet espace comme une église. Attribuer une fonction à un espace, y assigner des usages qui inspirent le respect c’est lui donner un sens. Ce dernier prend naissance dans chaque détail qui répond au système symbolique auquel l’esprit humain est soumis. L’église existe au sein de la Florence House telle une structure coutumière dont le but et le rôle sont établis par des règles qui organisent la société que composent les habitants de l’immeuble. Interpréter Au deuxième étage, une ancienne salle de soins a été transformée, les pièces abritent aujourd’hui une crèche qui accueille les enfants du quartier. Des dessins colorés sont affichés, des fresques peintes sur les murs… un environnement familier. L’endroit est dédié aux enfants et ils se l’approprient aisément. La crèche sert également de salle de répétition pour l’orchestre de l’immeuble, les enfants y jouent du saxophone, du tuba, les adultes leur enseignent, d’autres dansent. La musique envahit plus ou moins le reste de l’étage, la crèche crée un contexte : «Un environnement familier est quelque chose dont a besoin n’importe quel

fig. 3 «Des institutions spontanées» crédit : Atelier Learning From 2011

fig. 4 «Interpréter» crédit : Atelier Learning From 2011


individu ou n’importe quel groupe. Sans un endroit qui lui est propre il ne peut se situer.» a écrit Herman Hertzberger. En prenant l’initiative d’aménager ce lieu, les habitants de la Florence House lui ont offert un usage singulier mais en ont fait également un moment particulier de leur environnement quotidien. Ils ont réinterprété l’architecture selon leurs besoins et leurs désirs, une action directe sur leurs conditions de vie. Ceci est un terrain de foot. L’escalier desservant le toit de la Florence aboutit à un lieu couvert et ouvert sur le paysage. Sur l’un des murs est inscrit « soccer field ». Un terrain de football, vraiment ? Ni marquage au sol, ni cage et pourtant les traces de ballon tapissant le mur témoignent de l’utilisation régulière de ce lieu. En lui donnant un nom, l’espace indéfini devient un lieu déterminé et respecté en tant que tel. Si les codes standard du terrain de foot ne sont pas présents, les habitants se sont néanmoins appropriés ce lieu et la pratique qui s’y déroule n’en pâtit pas. Nous approprierions-nous mieux un lieu dont la forme ne répond pas aux standards d’usages préétablis? Couvert, généreusement ouvert sur l’extérieur, sans horaire restrictif, barrière ou voiture venant interrompre le jeu : ce choix d’appropriation libère les usages. Personne ne pourrait avancer que ceci n’est pas un terrain de foot. L’appropriation par le jeu. La Convention des Nations Unies sur les droits de l’enfant stipule à l’article 31: « Les États parties reconnaissent à l’enfant le droit au repos et aux loisirs, de se livrer au jeu et à des activités récréatives propres à son âge, et de participer librement à la vie culturelle et artistique. « Dans la Florence House on ne trouve aucune aire de jeu formelle pour les enfants. En conséquence, les enfants s’approprient des espaces disponibles, des zones de circulation, comme les couloirs et les escaliers. Ils les transforment en patinoires ou pistes de danse improvisées. Les enfants, par leur imaginaire de jeu et leur énergie, sont les premiers acteurs de toute appropriation de l’espace.

fig. 5 «Ceci est un terrain de foot» crédit : Atelier Learning From 2011

fig. 6 «L’appropriation par le jeu» crédit : Atelier Learning From 2011


Les seuils. Au deuxième étage on remarque une porte restée ouverte car la chambre vient d’être lavée. Un gamin est assis sur le pas de la porte. Il est en train de nettoyer ses chaussures mais peut être aussi en train de surveiller l’entrée en attendant que sa chambre soit prête. Il est à la fois chez lui mais aussi dans le monde extérieur. Le petit geste de cet enfant assis sur le seuil transforme totalement la perception du couloir comme simple zone de passage. Peut être devons nous favoriser ces gestes subtils d’appropriation des espaces pour transformer le bâtiment, petit à petit, en un vrai foyer. S’asseoir. Sur les paliers des escaliers extérieurs, accoudés ou assis sur les gardes corps, des habitants discutent. Ces lieux de passage à l’air libre peuvent revêtir différents rôles, on y étend du linge, on répare, on nettoie. Mais ces petites pièces extérieures offrent d’abord une des occasions de s’asseoir dans les parties communes, une possibilité simple d’appropriation temporaire qui crée les circonstances de rencontre avec les autres. C’est l’une des leçons que souligne Herman Hertzberger : « La disposition la plus élémentaire pour permettre aux gens de prendre possession de leur environnement direct est probablement la mise à disposition de places pour s’asseoir « Cloisons improvisées. Après avoir discuté quelques minutes, le jeune homme qui nous avait ouvert la porte nous accueille chez lui. Nous pénétrons dans une grande salle lumineuse, des murs de draps suspendus délimitent une large circulation bordée par un coin cuisine ouvert sur l’extérieur et se termine par une salle d’eau commune. La partition de cette pièce est réalisée à l’aide de tissus qui sont souvent d’anciens rideaux détournés de leur usage habituel. Ils sont attachés à l’aide de pinces à linge à des fils tendus au plafond. Derrière ces tissus qui divisent cette ancienne cafétéria en onze chambres vivent une douzaine de personnes. Ces rideaux modulables qui font office de cloisons ne jointent pas avec le plafond et ne sont pas non plus totalement opaques, ils laissent donc passer la lumière jusque dans les chambres situées au fond de la pièce. L’économie de

fig. 7 «Les seuils» crédit : Atelier Learning From 2011

fig. 8 «S’asseoir» crédit : Atelier Learning From 2011


moyens est extrême mais les habitants arrivent à trouver leur réponse à la surdensité tout en préservant malgré tout une certaine intimité. Ecrire sur les murs. « A tous les résidents : ceci n’est pas une salle de bain mais des toilettes publiques. Tous les résidents utilisant cet espace doivent en prendre soin avec amour, laver à grande eau après utilisation. On dirait que nous sommes des monstres. » L’appropriation d’un lieu peut aussi passer par un simple mot écrit sur un mur. L’auteur de ce message insiste sur la notion d’hygiène, fondamentale dans tout processus d’appropriation. Un lieu ne nous appartient pas tant qu’on ne l’a pas nettoyé. Au vu de l’état actuel des sanitaires, on peut en déduire que les résidents ne se sentent pas tous impliqués par l’entretien des locaux, l’espace ne leur appartient pas. Un véritable espace commun est un lieu non seulement utilisé par tous, mais également préservé par tous. Laissé à l’abandon, il n’est plus qu’un espace de transit, véritable reflet d’un sentiment de non appartenance des résidents à une communauté. Transformer les contraintes. L’emplacement qu’a choisit ce vendeur ne doit rien au hasard. Placé sur le seuil de l’entrée de la Florence House, il peut à la fois entreposer ses marchandises à l’intérieur, et en surveiller la vente à l’extérieur. Il peut facilement rentrer sa petite table amovible à la moindre alerte, car le commerce informel est strictement interdit sur l’espace public. Ce dispositif simple s’adapte à l’environnement, à ses contraintes et aux circonstances, il démontre une parfaite compréhension du lieu. L’appropriation d’un espace ne peut se faire que par l’intégration profonde de toutes les contraintes qui le constituent. Ainsi, avant d’être définie par ses usages, l’identité du lieu est avant tout fabriquée par l’ensemble des contraintes qui le régissent. Approprions-nous l’interdit. Nous sommes habitués à vivre selon des règles en vigueur et de rigueur, à suivre une route toute tracée. Nous choisissons la facilité. En d’autres termes, nous préférons que quelqu’un choisisse à notre place, ce qui nous semble plus simple,

fig. 9 «Cloisons improvisées» crédit : Atelier Learning From 2011

fig. 10 «Ecrire sur les murs» crédit : Atelier Learning From 2011


plus aisé. En contrepartie, nous n’avons pas toujours le pouvoir de décider librement. On nous le retire, on ne nous l’accorde pas. Nous nous estimons tenus de nous rebeller, d’aller contre ces règles et d’aller vers une appropriation de l’interdit. C’est le cas de la Florence House où les habitants se voient obligés à transgresser, jour après jour, la faible ligne qui démarque la limite entre le monde du légal et le monde de l’illégal. Cette capacité de contradiction du système préétabli est entrée dans la vie quotidienne des habitants-squatteurs, ils naviguent entre ces deux mondes. Qui peut mesurer les distances et tracer cette limite ? Les interdits sont des négociations, ils résultent des usages en cours.

fig. 11 «Transformer les contraintes» crédit : Atelier Learning From 2011

L’union fait la force Au centre de Johannesburg, l’ancienne maternité côtoie des lieux stratégiques autant pour le tourisme que pour les émeutes. La Constitution Hill, qui abrite la cours constitutionnelle nationale, l’ancienne prison Number Four. Ces dernières années la violence persiste dans certains quartiers du centre. Les conflits interethniques sévissent. On ne dit pas facilement d’où l’on vient. Ici au point le plus bas de l’immeuble, trois unités d’environ 6 mètres carrés occupent un espace central. Les trois locataires d’ethnies différentes, ont choisi l’union face à la précarité insalubre de l’espace du sous sol. Ils n’ont pas fragmenté la pièce en trois pourtant l’espace est là… Ils ont conçu deux lieux dans ce grand espace. Un salon, une kitchenette, avec frigo, radio, canapés. Le minimum semble là. Du haut d’une étagère, Mandela, sous sa vitre, les regarde discuter dans un mélange de dialectes difficilement identifiable. Ils étaient de pays limitrophes, ils sont devenus locataires/squatters d’un même espace de vie. Ces hommes ont dépassé les frontières pour s’adapter au lieu. Ils portent eux-aussi une partie de l’avenir de ce pays. fig. 12 «Approprions-nous l’interdit» crédit : Atelier Learning From 2011


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