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améliorations, à considérer des solutions alternatives, à proposer des innovations mais aussi à imaginer des simplifications. Sa “patte” se retrouve sur certains ULM comme les Kitfox, Vixen, Storm, Flash Eurofly, Fascination et jusqu’au Focus, un appareil en composites à aile basse.
Un projet personnel
Aerogallo l’étrange volatile... Alberto Péricoli Photos auteur. Trad. F. Besse
Avec des “particularités de vol” et un pilotage non standard, le gallinacé se limite aux meetings…
ttone Baggio, grâce à ses exceptionnelles capacités manuelles – il a les doigts d’or – maîtrise tous les types de construction et de technologie. Pour se faire plaisir, il a décidé un jour de réaliser un aéronef de sa conception, aux formes étonnantes et qu’il a baptisé Aerogallo.
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Autodidacte
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Sa passion pour l’aéronautique a débuté dans les années 1960, quand il a été appelé pour son service militaire. Né en avril 1941 dans le nord de l’Italie, il doit ainsi être versé dans l’armée de l’Air comme aviateur, sur la base aérienne de Decimomannu, en Sardaigne. Le secteur est propice pour voir passer de multiples jets militaires aux couleurs de l’Otan. Sa tâche principale consiste à avitailler des chasseurs, tels que les Republic F-84 Thunderjet ou North American F-86 Sabre, les
Sorti du cerveau d’Ottone Baggio, son concepteur, cet ULM fait la tournée des plages d’Italie durant la saison estivale…
Lockheed F-104 Starfighter ou English Electric Lightning. Cette initiation à l’aéronautique, dans le bruit assourdissant des réacteurs et des odeurs de kérosène brûlé, va l’orienter à jamais… Fin du service, il devient employé dans une société gérant des grues sur les chantiers puis les premières moissonneuses-batteuses modernes débarquant en Italie. Les années 1970 sont marquée par une période de récession économique et les voitures circulent en fonction des jours de la semaine et du week-end selon le numéro de la plaque minéralogique. Ottone décide de se prendre en main et d’utiliser son adresse en mécanique pour ouvrir un atelier de construction et de maintenance de motos… La technologie employée n’est pas foncièrement différente de celle permettant de quitter le sol, surtout si l’on prend en compte l’exemple des frères Orville et
J-3 Cub.Avec son savoir-faire manuel, la patience et la méticulosité mises dans son travail, le résultat final est impeccable. Les nouvelles vont vite et, rapidement, plusieurs passionnés vont lui demander des conseils et de l’aide pour réaliser des machines à partir des premiers kits diffusés en Europe. Ottone va tirer un avantage de cette activité, en ayant l’opportunité de s’initier à la construction de plusieurs aéronefs légers, acquérant des bases de conception et de construction à la fois dans le domaine du bois et du métal, mais aussi dans la mise en oeuvre de résines composites et des fibres de carbone. Son approche des lois de l’aérodynamique demeure cependant très empirique avec la volonté d’évaluer toutes les solutions déjà testées. Son objectif est de chercher à optimiser, à apporter des
Avec un moteur placé à 2,40 m de hauteur, les variations de régime entraînent des couples en tangage. La motorisation est sur base de Rotax 912 (80 ch) avec une hélice tripale à pas variable.
A la recherche d’une décoration A la fin de la construction, l’engin était totalement blanc mais Ottone a alors contacté l’un de ses amis proches, Giuliano Basso, architecte. Ce dernier, depuis la vision des neuf Fiat G-91 des Frecce Tricolori lors d’une meeting, fait partie de ces personnes toujours intéressées par l’aéronautique, un visiteur fréquent des aérodromes et des meetings durant la saison. Ottone lui demandera d’imaginer une décoration pour les ailes et le fuselage, tout en précisant sou-
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Malgré une maquette radiocommandée pour dégrossir les problèmes de centrage et de pilotage, l’Aerogallo n’a pas réussi à proposer un comportement en vol standard.
Son imagination est souvent sans limite, dans sa façon de voir les choses.Aucune règle établie n’est définitive au départ, avec la faisabilité et la fonctionnalité évaluées en profondeur avant de passer au stade de la conception finale. Dans ce contexte, un jour, il imagine un projet totalement original. Un modèle en polystyrène, d’une vingtaine de centimètres de longueur, est façonné, caractérisé par une cellule massive, finissant en biseau à l’avant, avec une silhouette étonnante. Une excroissance, insérée dans cet appendice et développée vers le haut, sert de support à une petite hélice en bois. Ce sera la première ébauche du futur Aerogallo et le début du travail qui ménèra, très vite, en quelques mois, à la construction de la machine volante à l’échelle 1. L’étrange appareil a été construit dans une cave, dont l’accès se trouve dans son jardin. L’Aerogallo est une appareil conçu en tant que biplace à un train classique. La structure du fuselage repose sur un treillis de tubes d’acier, soudés, le tout recouvert selon les secteurs de toile ou de fibres de verre. La voilure principale repose sur une structure mono-longeron, réalisée avec des planches de pin, de section décroissante en envergure, les nervures étant également réalisées en bois. Le revêtement est un mélange de fibres de verre pour les bords d’attaque et de toile pour le reste de la surface alaire. Les gouvernes, avec un profil laminaire biconvexe, reprennent le même type de construction. Les volets utilisent les deux-tiers du bord de fuite, le reste revenant aux ailerons.
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Wilbur Wright, passés de la production de bicyclettes à celle de machines volantes… Au fil du temps, il va savoir réaliser des structures en tubes, à la fois légères et fort robustes, en contrôlant parfaitement le devis de masse. Il y a quelques années, par un bel après-midi ensoleillé d’un mois de septembre, son oeil a été attiré par des machines volantes rudimentaires, faites de tubes et toile, décollant et atterrissant à partir d’une petite bande gazonnée.Au sommet se trouvait un “triangle de tissu” ressemblant à un énorme cerf-volant et le tout était propulsé par un vieux moteur Volkswagen accouplé à une hélice propulsive. Déclic… Incroyable, cela vole et il va pouvoir s’en construire un exemplaire ! Un peu de réflexion, de calculs et son premier projet, sous le nom de Poppy, concerne un monoplace à la silhouette très proche de celle du Piper
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haiter avoir “des yeux et une gueule de requin”. Après analyse de l’étrange objet, l’artiste va définir une décoration selon sa propre inspiration… En faisant des recherches sur internet, il note la reproduction d’un tableau réalisé par le célèbre peintre naïf Antonio Ligabue, le Douanier Rousseau italien. Ce dernier a peint et créé ses oeuvres sans aucune formation de base, suivant seulement son instinct et jouant avec l’imaginaire et la mémoire de sa jeunesse. L’oeuvre dont il s’est inspiré est “le combat de coqs”. Le mois suivant, il n’est plus question que de brosses, de pinceaux, de pots de peinture acrylique et de bidons en plastique, découpés pour servir de palettes. Progressivement, le plumage est dessiné, les couleurs sont vives et l’animal commence à prendre forme. Le cône d’hélice correspond à la pointe du bec et les carénages de roues deviennent des serres, autour des roues. En pratique, le point le plus difficile consistera à adapter la texture des plumes à l’intersection entre voilure et fuselage. La documentation abondante, avec les caractéristiques, des dessins, des plans et diverses données techniques sont alors envoyés sous la forme d’un dossier technique à Rome, auprès de l’Aero-Club d’Italie afin d’ob-
La longueur de l’Aerogallo atteint 5,90 m (dont 1,05 m pour la cabine). La voilure, sans dièdre, dispose de 7,20 m d’envergure pour 10,80 m2 de surface alaire. Avec une corde moyenne de 1,50 m, l’allongement géométrique n’atteint que 4,8.
Les volets à recul sont désormais à commande électrique. Pour une croisière “rapide”, ils peuvent se braquer négativement de 3°. Ci-dessous, Ottone Baggio, concepteur et Giulano Basso, auteur de la décoration.
tenir l’autorisation de voler. Le responsable en charge de la délivrance de cette dernière, à l’ouverture du courrier, appellera aussitôt son interlocuteur pour être certain de ne pas être victime d’une farce ! Rassuré par les réponses obtenues, l’autorisation de voler sera rapidement accordée sans autre formalité. C’est sur la piste de Cassola que seront menés les premiers essais de roulage à grande vitesse. Pour les observateurs présents, la première impression est celle d’une machine intimidante, par sa taille mais aussi sa formule aérodynamique inusuelle. On discute des problèmes de centrage et de gestion de l’atterrissage avec un fuselage si court et un moteur placé si haut. Les essais débutent mal car lors des premiers roulages à grande vitesse, un pilote d’essai expérimenté va subir un soudain cheval de bois, avec 180° de rotation en lacet. Un saumon de voilure est endommagé.A la seconde tentative, avec un autre pilote professionnel, le résultat reste similaire avec un peu de casse. Sur la base de “Jamais deux sans trois”, le troisième essai se soldera également par un inévitable cheval de bois.A aucun moment les roues principales n’ont encore quitté le sol… Une pause est donc effectuée, histoire d’assurer
les réparations et de réfléchir à la suite. Le temps va passer… On arrive à octobre 2011, lors de la manifestation aérienne de Nervesa della Battaglia, en région Vénétie. Lors du barbecue de clôture, après les présentations en vol, le sujet du fameux “poulet volant” revient dans la discussion. L’engin n’a toujours pas effectué son premier vol. A la fin du repas, Ottone décide de faire voler son modèle radio-commandé, identique en architecture à l’Aerogallo échelle 1. La maquette a été réalisée au préalable pour évaluer le positionnement du moteur. Le sort s’acharne sur le projet car lors des manipulations au sol, la maquette est endommagée. Certains respirent… Ottone cherche toujours un pilote souhaitant faire voler sa conception. Il ne reçoit que de vagues réponses, plus ou moins évasives.
Avec 1,65 m de voie et un train classique, l’Aerogallo a déjà connu plusieurs chevaux de bois…
Reprise des essais en vol Mais sur cet aérodrome de Nervesa della Battaglia se trouve Daniele Beltrame qui assure alors les essais de son Midget Mustang, réalisé sur une période de vingt ans. Il réfléchit à la proposition de faire voler l’Aerogallo, n’est pas totalement convaincu mais finit par relever le défi. Sa première action sera de vérifier si le souffle hélicoïdal balaye efficacement la direction. Pour ce faire, le train principal sera attaché à un pylone avec une corde d’une vingtaine de mètre. Avec de la puissance, la gouverne confirmera une efficacité largement suffisante mais avec un Rotax 912 placé à 2,40 m audessus des roues principales, toute augmentation de la puissance entraîne un couple piqueur en tangage, notamment lors de la montée initiale. A la réduction, le phénomène s’inverse. Sur réduction rapide des gaz, un couple cabreur se crée, pouvant mener au décrochage. Quand le pilote est aux commandes, il a l’impression d’être dans la gondole d’un dirigeable. Sans grande réfé-
La cabine est biplace côte à côte mais l’appareil n’a volé qu’en solo. C’est Daniele Beltrame qui a eu la tâche de mettre en vol l’étrange aéronef et de découvrir toutes ses particularités…
rence visuelle devant le parebrise, l’assiette de l’appareil n’est pas facile à évaluer, notamment lors des phases critiques près du sol. Les premières évolutions seront prudentes, en augmentant progressivement la vitesse pour obtenir de timides sauts de puce.Trois semaines après cette nouvelle série de roulages, les sauts s’alongent jusqu’au premier vol réel. Ce dernier révèle que le pilotage reste exigeant car la partie supérieure avant se transforme en… surface destabilisatrice, comme si c’était un plan canard vertical – ce qui pour un poulet est quand même étrange, ne trouvez-vous pas ? – et avec les effets de la motorisation, même avec de bons débattements au niveau des palonniers, la gestion de la trajectoire ne s’avère vraiment pas simple. Il est souvent préférable de réduire le régime moteur pour retrouver une situation bien contrôlée, avec des effets secondaires particuliers, pouvant imposer du pied à gauche dans des virages à droite, et vice-versa, ce qui est plutôt complexe et non instinctif. L’aile sans le moindre dièdre, même si elle est placée plutôt haute, n’améliore pas la situation, avec une grande sensibilité en roulis. Daniele va découvrir les particularités de la machine afin d’éviter des situations dangereuses.
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mentant progressivement la masse de 10 kg en 10 kg, jusqu’à 50 kg, sans conséquence hormis l’augmentation de la distance de décollage.
Le haut-parleur diffuse une quinzaine de sons préenregistrés…
lourdes. Avec 4 500 tr/mn, le badin affiche environ 130 km/h. En poussant à 5 000 tr/mn, il est possible d’atteindre 150 km/h mais les portes latérales commencent à vibrer. L’altitude déjà atteinte plafonne autour de 4 000 ft. Le pilotage se limite souvent au vol local et aux tours de piste, avec quelques segments rectilignes agrémentés parfois de virages de 360°, le tout limité par l’instabilité chronique de l’appareil. La
phase d’atterrissage demeure la plus critique. L’approche se fait vers 80 km/h, avec un braquage des volets à volonté selon la longueur de la piste, avec un soutien au moteur, tout en faisant de faibles variations de régime pour éviter les couples en tangage. Une fois au sol, méfiance aux freins pour éviter tout cheval de bois ! Pour évaluer la faisabilité d’embarquer un passager, des essais ont consisté à transporter des sacs de sable, en aug-
Effets secondaires, stabilités marginales, référence d’assiette peu visible, le pilotage de l’Aerogallo n’est pas aisé…
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Les essais en vol vont se poursuivre, amenant à une série de modifications. Le système de commande des volets va ainsi passer d’un mode mécanique, via un levier, à un mode électrique, gérable de la pression du pouce. Les palonniers, rapidement tordus du fait de leur utilisation répétée, seront renforcés et, malgré cela, Daniele précise qu’après un vol d’une heure, ses jambes sont bien fatiguées. La compensation a été améliorée. Le réservoir initial de 10 litres a été remplacé par un nouveau, pouvant recevoir près de 50 litres. Une radio s’est invitée à bord. Côté pilotage, le décollage est effectué en tirant très lentement sur le manche car la profondeur est du type monobloc. Les 100% de la puissance ne doivent pas être affichés avant d’avoir roulé au moins une cinquantaine de mètres, histoire de ne pas “planter” le nez dans la piste. Une fois l’appareil en ligne de vol, la rotation se fait vers 70 km/h avec 10° de volets. Lors des virages, la direction n’a pas d’effet notable vers la droite. Par contre vers la gauche, le résultat est un piqué rendu inévitable par l’action du souffle de l’hélice. Les volets peuvent être braqués négativement de 3° pour une croisière “rapide”, mais ceci n’est pas franchement recherché car la maniabilité se dégrade vite et les commandes deviennent plus
Pour résumer, après une vingtaine d’heures de vol, selon Daniele, l’Aerogallo ne veut jamais aller tout droit et ne vole pas parfaitement bien, mais il a appris à connaître ses travers et à réagir en conséquence, comme s’il faisait office d’ordinateur de bord dans un système de commandes de vol électriques ! Tout est devenu “automatique” mais il faut rester vigilant. En 2012, Ottone a décidé d’offrir une “voix” à sa créature, via un haut-parleur. Si vous avez vu le film Apocalypse Now, vous vous souvenez des Bell UH-1 dont les hauts-parleurs diffusaient la musique de Richard Wagner durant l’attaque d’un village aux mains des Vietcongs.Avec une mélodie bien différente, grâce à un lecteur de DVD capable de proposer plus d’une quinzaine de sons au gallinacé, le cockpit dispose désormais d’une liste de sons telle une check-list. L’utilisation désormais de l’Aerogallo se résume à la participation à quelques meetings, notamment le long des plages et des stations balnéaires durant l’été. Son succès auprès des touristes reste phénomènal, notamment du côté des enfants. A noter qu’en septembre dernier, lors du rassemblement du Club Aviazione Popolare (CAP), à Reggio Emilia, l’étonnant appareil a été inspecté de près par le comité technique de l’équivalent italien du RSA. A la demande d’un technicien souhaitant voir le système carburant, Daniele a répondu avec un brin de nonchalance :“Impossible, il est nourri au grain !”. Malgré le rire des juges, la surprise fut grande le soir avec la remise d’un Trophée à l’appareil. L’approche humoristique poussée à l’extrême par le concepteur n’est pas encore achevée. Des amis de Daniele, par ailleurs chasseurs, l’ont en effet informé qu’ils risquaient de prendre l’aéronef et ses “chicchirichiiii” pour une cible lors de la prochaine saison de chasse. Aussi, ne désarmant pas, Ottone a conçu un pod spécial, avec une commande par câble pour larguer des bandes de papier de couleur. Désormais, lors des présentations en meeting, un “personnage” armé d’un fusil tire donc (à blanc évidemment…) dans la direction de l’étrange oiseau, entraînant aussitôt un éparpillement de “fausses plumes” dans le ciel et un atterrissage immédiat du volatile. Vous avez dit humour italien ? ■
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Un résultat très mitigé