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Rétrofit de Telehouse TH2 Voltaire - Le chantier d’une vie
by DCmag
Le rétrofit de TH2, un engagement pour l’avenir
“Sans mettre de la pression à mes équipes, je vais dire un truc vraiment qui vient des tripes. Pour moi, c'est le projet de ma carrière. C'est à dire que je n'ai rien de plus important que de redonner 25 ans d'âge à un monument, à Notre-Dame des Télécoms quʼest TH2. Il n'y a rien de plus important aujourd'hui sur mon bureau que ce projet là. Si je réussis ça, je considère qu'à titre personnel en tout cas, j'aurai contribué à l'Internet français tout particulièrement et à l'Internet de manière générale. Parce que pérenniser un site comme celui-ci, c'est permettre aux interconnexions entre des milliers et des milliers d'utilisateurs de perdurer dans le temps et de devenir adaptées aux contraintes écologiques, aux contraintes environnementales, aux exigences liées à l'IA ou à ce nouveau service. Donc, c'est vraiment un projet qui me tient particulièrement à cœur, et sur lequel je suis à titre personnel très très investi.”
Sami SLIM, Président de Telehouse France
A lʼheure où les grands acteurs de la colocation nʼen finissent plus de miser sur la démesure avec des projets toujours plus grands, des investissements toujours plus lourds, qui se nourrissent de centaines de mégawatts dʼélectricité, pour au final servir quelques clients et leurs clouds publics, dʼautres jouent la carte de la diversité, de la proximité et de la continuité. Car aux côtés de ces géants, le numérique a besoin dʼacteurs de taille intermédiaire, qui offrent une typologie réseau bien connue, celle des clouds privés, des clients corporate, souverains, nationaux, européens…
Cʼest ainsi quʼau gigantisme, Telehouse répond par le service dʼinterconnexions de milliers de clients via des centaines dʼopérateurs, historique de lʼInternet et indispensable à la vie numérique. Et il continue de perpétuer un héritage unique, celui de “la plus ancienne maison de data centers au monde”.
Sʼil nʼa pas quitté sa position de cœur historique des télécommunications en France, le datacenter Telehouse TH2 Voltaire affiche son âge, 25 ans. Mais alors que le numérique vire à lʼIA et aux infrastructures massives, il est temps de lui donner une nouvelle jeunesse. Pourtant, à la facilité de la construction à partir dʼune feuille blanche, Sami SLIM, Président de Telehouse France et gardien dʼun héritage unique, joue la carte du rétrofit. Il a engagé à contre courant un chantier pharaonique, celui de la réhabilitation dʼun datacenter historique au cœur de Paris. Le chantier dʼune vie !
• Première étape de notre reportage, nous évoquons avec Sami Slim la place de TH2 et la dimension exceptionnelle de ce projet de réhabilitation.
• La seconde étape est consacrée à la relation clients, partenaires et voisins, indispensable pour mener à bien le rétrofit dʼun datacenter parisien.
• Enfin, la troisième étape donne la parole Audrey CHESNEAU, Head of DC Operations de Telehouse France, qui pilote le chantier.

Les enjeux de la relation client dans un retrofit historique

Lors de notre rencontre avec Sami SLIM, Président de Telehouse France, dans le cadre de la réhabilitation exceptionnelle du datacenter TH2 Voltaire à Paris, nous lʼavons interpellé sur la relation avec ses clients et son évolution au travers du chantier. Au programme : organisation, information, transparence, et une occasion de partager pour évoluer vers plus dʼefficience.
DCmag - Un chantier comme celui du rétrofit de TH2 est différent d'un chantier de construction. Quʼavez-vous pris comme mesures spécifiques ?
Sami SLIM - Effectivement, l'angle intéressant dans cette histoire, c'est de bien marquer la différence entre la réhabilitation d'un site en exploitation, en production, et la construction d'un nouveau datacenter. Surtout un site aussi critique que TH2. C'est juste le site le plus interconnecté de France, le quatrième au monde. On parle bien des mêmes organes, on parle toujours des groupes froids, des UPS, de batteries et de distribution électrique et climatique. Mais dans un cas finalement, on déroule un plan de chefferie de projet construction sur du greenfield, et dans un autre on va avec la pince à épiler pour faire le tri entre ce qui est en prod, ce qui ne doit pas être touché. Il faut installer le neuf, le tester, le commissionner, et puis petit à petit décommissionner l'ancien. Et s'assurer que quand on décommissionne, on ne touche à aucun brin de fibre. Et donc, de cet environnement contraint vient toute une nouvelle ingénierie. Et là, il y a l'ordonnancement dont a parlé Audrey [lire lʼinterview dʼAudrey CHESNEAU, Head of DC Operations de Telehouse France, qui suit], et j'imagine qu'elle a donné quelques autres détails sur comment on gère un système d'exploitation quand on fait des travaux de ce type.
Mais surtout, il y a le dédoublement des équipes. Il y a la chefferie de projet, c'est-à-dire quand on fait ce qu'on appelle la réunion de chantier du matin, où on a un plan d'exécution des tâches. En fait, dans chaque tâche, on essaye d'isoler ce qui potentiellement peut toucher à la production client. Et ces tâches-là, ce qu'on appelle les tâches critiques, on les renforce en termes de suivi humain. C'est à dire, par exemple, quʼon ne laisse pas du personnel du gros œuvre tout seul, on accompagne toujours avec des chefs de projet qui vont s'assurer que les personnes du gros œuvre ne commettent pas finalement de déviation par rapport à la procédure à exécuter.
Donc, on rajoute finalement du people au chantier. Et donc on le ralentit, et on augmente son coût de manière à avoir zéro impact sur lui. Et ça, c'est une vraie grosse différence avec la construction d'un datacenter greenfield. Nous estimons que le CAPEX à mobiliser pour faire un rétrofit d'un site comme le nôtre, avec cette volumétrie là, est environ trois fois supérieur à celui qu'on mobilise pour construire la même puissance IT sur un site neuf. Cʼest pour donner un ordre de grandeur, ce n'est pas un chiffre précis et ça vient justement des ressources que lʼon met en plus, des gens que lʼon embauche, en plus du fait de ralentir le chantier pour ne jamais avoir d'incident. Et ça l'est encore plus sur certains lots, comme la clim plus que l'élec, ou encore sur l'incendie. Bref, effectivement, entre du rétrofit et une construction à neuf pour la même puissance IT, encore une fois dans un site aussi sensible que TH2, on ne peut même pas se permettre une coupure, même la plus courte. En fait, c'est zéro incident, et c'est ça la contrainte.
Sur un chantier aussi sensible, comment se gère la relation avec les clients du datacenter ?
C'est une question centrale. J'ai connu une époque où effectivement on faisait les maintenances de datacenter sans rien dire aux clients. Cette époque-là est révolue, parce que les clients maintenant souhaitent mesurer leurs risques et éventuellement basculer leur trafic sur d'autres datacenters s'il y a le moindre risque qui est pris. En tout cas, si la matrice de risque nécessite un transfert de flux. Par ailleurs, nous avons entamé ce projet titanesque avec cette nouvelle philosophie client. Et du coup, finalement, nous avons fait quelque peu les choses en grand par rapport à ce que l'on faisait avant.
C'est-à-dire que, d'abord, on a fait presque une réunion publique avec tous les clients. En gros, nous avons ouvert notre notre salle de conférence ici, à Voltaire, nous avons invité ceux qui pouvaient venir, et nous leur avons présenté le chantier avant qu'il démarre. Pour leur dire quʼil va durer 3 à 5 ans, comment il va se passer, quel sera l'impact pour eux. Évoquer également les risques éventuels.
Et voici la promesse de Telehouse : tout ce qui va se passer là sera transparent pour vous. Voici tous les moyens que l'on mettra en œuvre pour que jamais, jamais vous n'ayez un impact sur votre rack, votre exploitation sur ce site. Et voici le plan de communication qui sera déroulé. Donc, semaine par semaine, on vous mettra à jour sur votre portail. Qu'est ce qui va venir là ? Est-ce que votre étage est touché ? Où est-ce que vous pouvez avoir des détails ? Et puis, vous avez une ligne unique, une espèce de hotline en ligne et au téléphone qui vous permet d'aller plus loin dans les détails pour ceux qui le souhaitent. Et il y en a qui le souhaitent, même sʼils ne sont pas nombreux. Il y en a qui veulent avoir plus de détails sur certaines procédures, ce qu'on appelle les MOP, les Method of Procedure, une explication détaillée de ce que nos équipes, ainsi que nos partenaires externes, vont dérouler sur une zone IT donnée. Ces MOP permettent au client de faire une matrice de risque bien calculée pour rationaliser le risque. Et parfois, quand il estime que le risque est élevé, le client peut choisir de basculer leur charge sur d'autres datacenters le temps de passer la maintenance ou l'intervention en question. Et puis, il rebascule son trafic chez nous.
Voilà comment ça a été géré, comment ça continue à être géré. Je touche du bois, mais jusque là, nous nʼavons eu aucun incident. Et je suis sûr qu'avec le talent d'Audrey et de ses équipes, il nʼy en aura aucun. En tout cas, la transparence sera toujours là. C'est-àdire que les clients savent exactement à quelle heure, quel jour, quelle opération, et ils peuvent demander le maximum de détails possibles. Encore une fois, le data center n'est plus une boîte noire. La nécessité d'être très très transparent est désormais vitale pour tout le monde.
Évidemment, cette transparence, vous l'avez jouée aussi avec la communauté urbaine, avec les habitants, etc.
Absolument. Effectivement, il y a un autre risque à cadrer, celui des nuisances au voisinage.
Parfois, il nous est arrivé de bloquer le Boulevard Voltaire un samedi, un dimanche, pour notamment, par exemple, placer la grue. A ce moment-là, nous avons mis des flyers dans toutes les boîtes aux lettres de nos voisins. On a fait un affichage, un affichage en mairie, on a fait une réunion publique en mairie, on a mis un site privé pour un certain voisinage collé à nous, qui leur permet d'évaluer tout impact éventuel qui pourrait avoir lieu à leur domicile. Quand on dit impact, c'est à dire attention, là, il va y avoir du bruit ou de la vibration, ou telle ou telle opération qui arrive, ou un mouvement de grue, etc. Donc, effectivement, au-delà des clients, les voisins et la communauté urbaine sont des partenaires dans ces travaux, et on leur doit un certain niveau de transparence. Pas le même que les clients, forcément, parce que l'on n'a pas à dévoiler les éléments techniques à tout le voisinage. Mais en tout cas une transparence vis à vis des impacts éventuels qu'ils peuvent avoir dans leur domicile.
Il est vrai que nous sommes forts d'une certaine expérience à Voltaire : nous avons construit un datacenter à côté, rue Léon Frot. Donc nous connaissons tous nos voisins, nous les avons habitués à quelques grues dans le coin…
Et au final, notre précédent chantier, qui était beaucoup plus conséquent, en tout cas pour le voisinage puisque c'était une construction et non pas une réhabilitation, s'est très très bien passé. On a eu zéro impact avec les voisins, et donc finalement il y a un capital confiance qui s'est établi. Cela fait 25 ans qu'on est là et ils nous connaissent tous très bien. Ce capital confiance est vraiment précieux quand on conduit ce genre d'opération.
Un chantier de réhabilitation comme celui-ci doit représenter une sacrée occasion de se rapprocher de ses clients et de renouer des liens, voire de les étendre ?
Tout à fait. Et c'est surtout l'occasion de motiver le client à remettre le nez dans son historique. C'est en fait un alignement des intérêts, c'est bien pour eux, c'est bien pour nous. Ils disent “vous allez rétrofiter l'ensemble du site, on peut rétrofiter notre quart d'heure, voir si nos câbles sont encore utilisés, cleaner un petit peu l'arrivée d'air froid”. Donc finalement, les améliorations énergétiques et l'efficacité que l'on va injecter suite à ces travaux, elles seraient vaines si le client ne fait pas sa partie, si le rétrofit ne va pas jusqu'au rack et non pas uniquement sur la partie infrastructure. Donc, c'était surtout l'occasion de les motiver pour faire ça.
Une étape qui est nécessaire aujourd'hui, où lʼon se doit de revoir l'organisation des salles…
Attention, nous avons pris le parti de ne rien imposer aux clients non plus. On ne veut pas être dans la brutalité. Mais effectivement, si le client souhaite tirer davantage des travaux que lʼon apporte, c'est-àdire l'injection de puissance électrique et de puissance climatique, le mieux pour lui c'est d'accepter une réhabilitation. De rétrofiter son propre urbanisme dans sa salle, et certains clients sont en train de jouer le jeu. C'est complexe. Mais attention, je ne veux pas les faire culpabiliser parce que c'est dur. Imaginez, une salle télécom qui est là depuis 25 ans, je ne sais pas combien de tonnes de fibre. Et tu ne sais même pas qu'est ce qui est raccordé à quoi ! C'est un projet complexe pour eux aussi. Donc je ne suis pas dans un discours moralisateur. Je comprends et je compatis sincèrement avec mes clients sur la complexité du truc. Mais les gains sont tellement énormes si on ne s'y colle quʼau final, ceux qui ont fait ce choix là savent quʼils vont avoir un retour sur investissement évident.

Le chantier pharaonique du retrofit d’un datacenter historique
Telehouse a lancé le chantier de réhabilitation (rétrofit) de TH2 Voltaire à Paris, le datacenter historique le plus interconnecté de France, qui avec ses 25 ans dʼâge mérite bien de retrouver une seconde jeunesse… pour 25 nouvelles années ! Nous avons rencontré Sami SLIM, Président de Telehouse France, pour évoquer ce chantier exceptionnel, que certains qualifient de pharaonique.
Datacenter Magazine - Sami SLIM, merci dʼavoir accepté de répondre à nos questions. Mais avant dʼévoquer ce chantier et son contexte, pouvez-vous revenir sur le caractère historique du datacenter TH2 Voltaire ?
Sami SLIM - Telehouse est la plus ancienne maison de data centers au monde. Cela a fait notresuccès,notreexpérience, et la confiance que les clients ontennous.Maiscelafaitaussi que nous avons un héritage, un certain nombre de bâtiments partout dans le monde, et pas qu'à Paris, qui ont 25, 30, 35 ans d'âge. Et un héritage, ça se gère par des décisions difficiles mais nécessaires. Certaines décisions sont de fermer des sites. Nous lʼavons fait, nous avons décidé de fermer TH1 rue des Jeûneurs à Paris, London Metro en plein cœur de Londres, Teleporte à New York. Ces décisions, douloureuses pour nous, sont en fait en ligne avec notre stratégie de long terme qui est quʼon ne peut pas se traîner un héritage qui est incapable de s'adapter à la modernité que nous imposent nos clients. La modernité étant bien entendu la responsabilité environnementale, mais aussi la capacité d'accompagner la croissance de nos clients, notammentendensifiant,notamment en proposant plus d'espaces à louer et plus de densité. Donc, tous les sites qui ne nous permettent pas de faire ce mouvement seront fermés. Ceux par contre, qui permettent de le faire, comme TH2 à Paris, seront rénovés, mais de manière très ambitieuse et très massive. On parle quand même de 80 millions d'euros à injecter sur ce site qui est plein. Alors, on va rajouter un espace à vendre. Mais la réalité, c'est que l'investissement que l'on fait, c'est d'abord et avant tout pour les clients existants, pour leur bénéfice, parce que ça leur permet d'avoir un meilleur impact énergétique et une meilleure efficacité pour leur propre IT, mais aussi une perspective de croissance toujours dans le même site. En plus dʼune réduction des risques opérationnels, cela nous permet à nous également de, encore une fois, prendre des virages technologiques qui sont nécessaires pour l'avenir de notre entreprise. Voilà finalement l'enjeu stratégique pour Telehouse autour des questions de rétrofit. Aujourd'hui, on estime que la moitié de notre activité sera liée à la modernisation de sites en exploitation. L'autre moitié sera la construction de nouveaux sites partout dans le monde, pas qu'en France.
Nous avons la chance d'avoir dans nos actifs un monument des télécoms et de l'internet en France. Et le mot monument est vraiment pesé ici.
Cʼest quand même un peu la Mecque des télécoms dont on parle là. Et sans ce site, très peu de trafic pourrait être acheminé entre un point A et un point B. Effectivement, ça fait peser une forme de responsabilité et ça nous oblige à ne pas commettre le moindre faux pas. Et on parle de 80 millions d'euros.
Cʼest un investissement important pour un rétrofit.
En effet, et ça aurait pu être beaucoup moins si j'avais pris la décision de l'éteindre, de le rétrofiter, puis de le rallumer.
Cela m'aurait coûté un ordre de grandeur de 30 à 40 millions d'euros maximum. Mais nous avons choisi pour nos clients de maintenir le site en exploitation. D'accord, cela aurait été beaucoup plus facile, beaucoup moins coûteux pour nous de faire des travaux sans l'exploitation. Beaucoup, beaucoup, beaucoup plus facile. Mais effectivement, cʼest dans notre responsabilité de faire ces travaux en exploitation, avec zéro coupure pour les clients. Parce que ce monument des télécoms, non seulement mérite une nouvelle vie, une nouvelle jeunesse, l'adaptation à l'IA et aux nouveaux usages, mais il mérite également qu'on le respecte et quʼaucune fibre qui passe par ce site ne soit touchée pendant toute la durée des travaux.
Performance, sécurité, résilience sont trois mots qui sont essentiels aujourd'hui sur le projet.
Clairement oui. La performance se mesure surtout au niveau du point de dégagement de CO2. Et puis sur la performance climatique, c'est-à-dire lerajoutd'unepuissanceʻfroidʼ qui permettra des extensions de certains espaces sur le site.
Donc, clairement, c'est là où on aura un RoI (retour sur investissement) pour nous et nos clients, qui sera de diviser par 24% ou 25% les émissions de CO2, diviser par un facteur de 35 la consommation de lʼeau, dʼaméliorer le PUE jusqu'à 1,49 alors qu'il est de un peu plus de 2 actuellement. Et puis, rajouter environ 600 kW d'espace vendable. C'est effectivement la performance que nous allons aller chercher. Concernant la résilience, cʼest pareil à partir du moment où lʼon passe à de la technologie dernier cri, à des niveaux de redondance et d'automatisation des processus de l'outil industriel et de sa maintenance. Nous allons gagner en résilience parce que ça sera plus fiable, parce que ce sera monitoré de manière plus automatisée, parce que nous aurons beaucoup moins de process manuels et que nous serons beaucoup plus dans la maintenance prédictive et dans la supervision avec des outils de pointe. Donc, clairement, avec cette résilience, et en passant d'une génération à une autre, nous faisons un saut quantique. Nous gagnons 25 ans d'âge tout de suite, donc forcément nous sommes plus résilients et plus sécurisés. Voilà les gains effectivement qui sont évidents pour les clients et pour le site, et qui sont un objectif sur ce projet.
Est-ce que tous les clients ont bien conscience de ce que vous leur apportez ?
Jʼavoue que non, les clients ont une seule problématique, actuellement en tout cas, c'est que ce ne soit pas coupé ! Quand je fais ce pitch au client de ce quʼon va faire, il me dit ok, mais est ce qu'on va être coupé ? Là, du coup, on insiste sur le fait que tout cela se fera en transparence, et que, bien sûr, ils ne seront pas coupés. Je pense que les gains d'un projet comme celui-ci ne seront visibles quʼaprès coup. Les gens ne se projettent pas dans les gains actuellement, ils se projettent dans le risque.
En matière de RSE, lʼimpact sera également important sur le Scope 3 de vos clients.
Effectivement, l'impact de ce projet sur le Scope 3 de nos clients est énorme. C'est-àdire quʼon apporte des améliorations à deux chiffres. D'abord, il ne faut pas que ça coupe, et après on parle du Scope 3. C'est pour cela que je pense que les clients vont l'apprécier plus tard, une fois qu'ils passent la phase de risque où ils ont un petit peu peur qu'il y ait des incidents. Ils pourront lire que le reporting s'est beaucoup amélioré. Comment cela se fait ? Et bien là, on va leur ré-expliquer que, en fait, on a fait tout ça, et qu'effectivement il y a un saut quantique sur le Scope 3 des clients parce quʼon est plus efficace, parce quʼon émet moins de gaz à effet de serre, parce quʼon nʼutilise plus d'eau, parce quʼon partage la chaleur fatale, etc.
Ce rétrofit offre-t-il lʼoccasion dʼappréhender le virage de lʼIA ?
Clairement. L'un des objectifs du projet, au-delà de donner 25 ans d'âge de plus, donc une cure de jeunesse pour ce site, c'est de le préparer aux grands virages qui arrivent, surtout celui de l'IA. La traduction de l'IA pour nous est simple : c'est la capacité à densifier les racks.
Et donc là aussi, Voltaire permettra aux clients d'avoir des racks haute densité, voire très haute densité. Pour nous, l'anticipation est là. Après, quels usages, comment va se comporter l'IA? Honnêtement, on ne sait pas. On ne va pas non plus essayer de faire de la prospective qui nous dépasse. Par contre, nous saurons répondre très concrètement aux clients qui souhaitent avoir de la très haute densité et même du HPC sur ce site Boulevard Voltaire. Et on pense que la valeur que lʼon crée va finalement être en mesure de répondre à des besoins de très très haute densité en plein centre de la ville, à côté des fibres. C'est une valeur qui est assez unique sur le marché. Je le redis, pour faire du HPC, pour faire de l'IA, les clients doivent s'éloigner beaucoup des centres villes. Grâce à ces travaux, les clients auront une solution de très haute densité, en plein cœur de la ville et au plus proche des fibres. Et on pensequeçaseraparticulièrement adapté aux besoins d'inférence pour l'IA. Alors, peutêtre pas pour l'entraînement des modèles, mais pour l'inférence, c'est certain. Il est impensable pour nous, quand on lance des travaux comme ceux-ci, de ne pas proposer de la très haute densité à nos clients. On veut pouvoir donner la possibilité à certains clients. Mais attention, ce ne seront pas des mégawatts et des mégawatts pour quelques racks…
Nouspensonsquelʼavenirde lʼIA sera dans des clusters, avec la création des modèles dansdesdatacentersgéants, et lʼinférence sur des sites de proximité. Est-ce la vision de Telehouse ?
Effectivement, il va y avoir des clusters spécialisés en inférence. Je suis complètement d'accord. Mais ces clusters vont devoir être très très proches des centres de connectivité comme le nôtre, voire même incorporés dedans. C'est pour cela que lʼon réserve un espace IA dans ce nouveau TH2, parce quʼon pense quʼil sera nécessaire d'interconnecter ces clusters aux milliers d'utilisateurs qui sont fibrés, à TH2 quoi ! Encore une fois, c'est un peu la spécialisation que lʼon voit de plus en plus dans les datacenters. TH2 est voué à avoir un rôle clé dans l'inférence de l'IA auprès des clusters. Ce sera un écosystème qui va finalement s'interconnecter l'un à l'autre. On ne fera pas, par contre, d'entraînement de modèles. Clairement, ce n'est pas fait pour nous. Je trouve qu'il y a beaucoup de confusion, il n'y a pas assez de clarté finalement dans qui va faire quoi ?

Audrey CHESNAU, Un pilote sur le chantier
Audrey CHESNEAU a rejoint récemment Telehouse France au titre de Head of DC Operations. Elle supervise les importants travaux de modernisation du datacenter Telehouse TH2 Voltaire, lʼun des plus grands (7 000 m²), des plus anciens et des plus stratégiques datacenters de Paris.
Datacenter Magazine - Quel a été votre parcours avant de rejoindre Telehouse ?
Audrey CHESNEAU - Je suis diplômée de lʼEcole des Mines de Nantes, jʼai donc un bagage plutôt ingénieur, et jʼai fait beaucoup de conception. Mon expérience majeure a été chez Cap Ingelec, où je suis passée par différents postes : ingénieur conception, dans un premier temps avec une dominante plutôt CVC, puis responsable commissioning, encore une fois sur des projets de conception et de réalisation, puis chef de projet, sur des projets allant jusqu'à 40 millions d'euros. Je travaille dans lʼenvironnement de Telehouse depuis 2018, sur des projets en conception et réalisation comme Léon Frot [adjacent de 4 500 m² de surface IT de Telehouse Paris 2], puis ensuite sur Magny avec toute la partie direction de projet.
Quels sont les principaux défis techniques rencontrés dans le cadre de ce projet de travaux à TH2 ?
Nous sommes en train de rénover une grande partie de nos infrastructures sur TH2, avec un gros axe sur la climatisation, avec un système de refroidissement, mais également en électricité. En termes de bénéfices, ces travaux portent sur l'amélioration de la fiabilité, avec des installations plus fiables, donc, mais également plus redondantes, avec des installations plus modernes, et de gagner également en efficacité énergétique.
Ce site a été lʼun des tout premiers implantés par Telehouse, avec un historique long et riche. Qu'avez vous trouvé lorsque vous êtes entrée sur ce chantier ?
Pas de surprise, quand je suis arrivée, c'est un projet d'envergure sur un site en exploitation. Donc forcément, les complexités et la difficulté d'intervenir, en termes de co-activité, la difficulté technique et les risques associés sont présents sur ce type de projet.
Dʼailleurs,il faut rappeler que malgré le chantier, le site ne sʼarrête pas, la gestion, la maintenance et la continuité de service nʼont pas dʼinterruption.
Oui, tout à fait. On va dire quʼil y a deux types de défis. Le premier est plutôt de type organisationnel. Nous sommes sur un site en plein cœur de Paris, qui plus est en exploitation. Nous allons donc mener des opérations complexes de type manutention, avec une grue Boulevard Voltaire en terrasse. Donc, forcément, ce sont des opérations qui sont plus complexes que sur d'autres sites. Lorsqu'on part d'un terrain vierge, par exemple, on a des espaces contraints sur site. Néanmoins, il faut trouver pour les travaux des espaces, pour la partie stockage, la base vie des compagnons, etc. Cela reste des difficultés auxquelles on s'attendait, mais auxquelles il faut répondre. Il y a également un point de vue organisationnel et co-activité, puisque les travaux ont lieu dans des zones qui sont utilisées quotidiennement. Donc, il faut gérer la co-activité à la fois avec les clients, à la fois avec le personnel. Donc à la fois Telehouse ainsi que des prestataires qui interviennent tous les jours, et à la fois les entreprises de travaux. Donc ça, c'est plutôt sur la partie organisationnelle. Et après, bien évidemment, le plus gros de notre défi est technique. Il est lié aux risques, puisque l'on mène effectivement les travaux sans interruption de service sur nos infrastructures techniques en pleine exploitation. Avec comme objectif, bien évidemment, de maintenir le niveau de service des clients.
La part la plus importante de ces travaux porte sur le refroidissement. Pouvez-vous nous en parler ?
Dans le cadre du projet, nous allons rénover l'intégralité de la partie chaîne de refroidissement. On va remplacer l'intégralité de la production frigorifique. Nous mettons en place des groupes plus respectueux de l'environnement, sur différents aspects. Il y a à la fois le remplacement, en utilisant un mix de technologies, avec de la condensation par air et de la condensation par eau avec des systèmes adiabatiques. Également, les nouveaux groupes que l'on met en place possèdent des gaz à faible impact. C'est un premier point, qui concerne la partie production frigorifique. Toujours dans la partie système de refroidissement, on vient remplacer l'intégralité de la distribution frigorifique, donc la partie production vers les salles informatiques. Cela permet encore une fois de la fiabiliser, et puis d'y ajouter des réseaux de récupération de chaleur. Enfin, côté terminal, côté salle informatique, on vient remplacer les armoires de climatisation situées en salle. Donc vraiment travailler de la production jusqu'à la distribution en salle.
Nous parcourons une période où explose un domaine, celui de l'IA et de la puissance des serveurs. Avezvous intégré cette dimension?
Oui, on a intégré cette dimension puisque dans le cadre du projet, il y a également deux autres axes : le premier, c'est que l'on vient également ajouter une nouvelle voie électrique, notamment pour la partie utilities. Et au terme de ce projet coding, nous aurons également la création d'une nouvelle salle informatique pour 600 kW IT. Donc, on pourra intégrer ces nouveaux besoins. Et le DLC (Direct Liquid Cooling) est envisagé.
Qu'attendez-vous en termes de résultats avec ces nouvelles approches du refroidissement ?
Nous allons avoir différents types de bénéfices. Également sur la partie clients puisque l'on va avoir un gain en efficacité énergétique. Ce gain là, nous l'aurons à la fois côté clients mais également côté exploitation. On va pouvoir garantir une exploitation plus pérenne et l'amélioration de la fiabilité de nos infrastructures. C'est important pour nous et pour nos clients. Soit on vient renouveler chacun de nos systèmes, soit on vient y apporter de la redondance. Ce sont des éléments qui sont importants pour nous, en exploitation, mais également pour nos clients.
Qu'est ce qui a été fait au niveau électrique ?
Tout dʼabord, nous avons la puissance électrique disponible sur site. Et nous sommes sur de la redondance assez classique sur la nouvelle salle informatique. L'ajout de la voie électrique est principalement liée à nos installations existantes. Après, la partie alimentation électrique de la nouvelle salle informatique aura la redondance globale du site. Ce sera un design de site classique.
Quelles compétences et métiers avez-vous réunis sur ce chantier ?
Aujourd'hui, sur la partie compétences pour cette typologie de projet, nous avons fait confiance à des partenaires européens et français, et aux élus locaux dont l'expertise a déjà été prouvée auparavant.
Concernant les métiers, nous avons trois gros domaines, que lʼon va dire principaux. Le premier, c'est la partie gros œuvre, forcément puisque lʼon vient fiabiliser, mettre de nouveaux équipements, créer une nouvelle salle. Il y a de la structure qui va avec. Il faut renforcer au niveau des planchers, etc. C'est un aspect important. On a souvent tendance à penser à toutes les infrastructures techniques, CVC, climatisation, mais la partie gros œuvre arrive souvent en amont et elle est très importante. Ensuite, les deux domaines où on a besoin de compétences fortes, c'est la partie électricité et la partie climatisation, puisqu'on vient intervenir sur des infrastructures existantes et en exploitation.
Comment s'assurer de la sécurité des infrastructures critiques pendant ces travaux ?
Il y a différents axes, différents volets également. Dans un premier temps, on va s'assurer que la partie qualité des études d'exécution est aboutie et de qualité, et on s'appuie sur une synthèse 3D. Ça nous permet en fait d'anticiper le plus en amont possible et de résoudre les problématiques avant d'aller réellement sur site réaliser ces travaux. Ensuite, sur la partie vraiment opérationnelle, il y a des modes opératoires qui sont élaborés entre les entreprises et les équipes internes de Telehouse. Nous mettons également en place une organisation humaine qui a adopté et qui est adaptée à la criticité des interventions. Enfin, le dernier axe sur lequel nous travaillons, c'est le phasage des travaux. Le fait de séquencer nos différents travaux. Cela va nous permettre de conserver la fiabilité du site au fur et à mesure des travaux. On ne peut pas aujourd'hui remplacer l'intégralité des réseaux de la production simultanément. Sinon, on perdrait la fiabilité du site. Donc ce séquençage, ce phasage nous permet également de diminuer les risques sur les travaux.
Vous venez dʼévoquer la synthèse 3D. Cela veut-il dire que vous avez créé un jumeau numérique du futur datacenter ?
Le jumeau numérique concerne plutôt la partie efficacité énergétique. Aujourd'hui, tous les relevés ont été réalisés et on travaille avec lors des études d'exécution, avec un logiciel 3D, qui nous permet en fait quasiment au centimètre près de valider le positionnement des futurs réseaux, des supportages de chaque organe. En fait, ce qui va être positionné demain sur site. Cela nous permet vraiment d'anticiper au maximum les problèmes, s'il y a des problèmes de passage, de les résoudre dans un premier temps sur une synthèse 3D plutôt que sur chantier.
Ce qui amène à dire que le phasage des travaux a nécessité une très forte anticipation, de manière à ce que vous maîtrisiez parfaitement les interventions des différentes équipes.
Oui, tout à fait. Il y a un ordonnancement qui est réalisé depuis le début des projets. L'ordonnancement évolue quasiment tous les jours, parce qu'on a vraiment besoin de sécuriser chacune des interventions. Et donc on s'adapte tous les jours à ce qu'on peut rencontrer comme problématiques, que ce soit à la fois au niveau des études d'exécution, mais également à la fois des travaux, des interventions qu'on peut réaliser sur site.
La contrainte du zéro incident, que nous avons évoquée avec Sami Slim, doit être forte pour vos équipes ?
Oui, tout à fait. Nous avons les équipes qui sont mobilisées, l'organisation qui est mise en place avec des rôles bien définis par personne. Donc, il y a cette partie ordonnancement pilotage qu'on doit gérer puisqu'on a énormément d'interlocuteurs également en face de nous, à la fois côté travaux, prestataires, multitechniques. On a une diversité d'intervenants, donc on doit piloter toutes ces interfaces.
Nous avons lʼimpression que sur ce chantier on atteint un sacré niveau de complexité…
Quelles expériences pouvezvous partager avec nous ?
La complexité vient des interventions que l'on peut avoir en site occupé. La co-activité que l'on a avec nos clients, ça fait vraiment beaucoup de personnes alors que nous continuons une exploitation classique du site, dans chacune des zones, que ça soit les data centers, les bureaux, lʼaccueil. Nous avons des permis feu complémentaires à donner, des surveillances supplémentaires sur des zones, et cela vient vraiment modifier le quotidien de tout le monde. C'est vraiment ça je pense qui en ressort. On vient vraiment modifier le quotidien de tout le monde, et on fait tout pour autant pour limiter les impacts, avoir une communication adaptée, prévenir à la fois les clients, mais également en interne nos prestataires, tous ceux qui vont être touchés et qui sont dans notre environnement proche.
Et vous même, à titre personnel, qu'avez-vous appris sur ce chantier ?
J'ai principalement travaillé sur des projets. Dernièrement sur un projet effectivement sur terrain vierge sur le site de Magny. Nous avons fait la réhabilitation de Léon Frot. Cela m'a permis d'appréhender énormément de notions de risques. Si on reprend Léon Frot, c'était une réhabilitation dʼanciens bâtiments de bureaux. Structurellement, on a eu des grosses problématiques d'un point de vue conception, réalisation. Il y avait l'environnement urbain qu'on retrouve aujourd'hui sur cette typologie de projet. Et également, c'est un projet qu'on a fait en quatre phases. Ça implique que sur la première phase, on a pu travailler, on va dire de manière assez libre, puisqu'on n'avait pas de client en salle, mais les trois phases d'après, on avait exactement les mêmes contraintes. On a dû anticiper au maximum pour prévoir en 3D, prévoir les attentes nécessaires pour venir rajouter des groupes supplémentaires. Il y a toute cette partie un peu en amont des études d'exécution et de synthèse. Et puis il y a cette même notion de risque qu'on a sur le projet avec des clients qui sont présents, envers lesquels on doit communiquer et qu'on doit sécuriser d'unpointdevuefiabilitéd'installation. Enfin, il y a une forte analogie, en tout cas entre ces deux projets, le fait de venir ajouter un système, le tester et une fois que Telehouse valide ce test, là c'est important. On peut venir décommissionner les équipements existants. Donc c'est ça, les plus grosses parties du projet, et les plus grosses difficultés.
Nous avons évoqué avec Sami SLIM la relation avec les clients. Comment se passe-t-elle avec vous qui dirigez le chantier ?
Ça se passe très bien. Nous avons en parallèle des services qui échangent directement avec les différents clients. Dans notre pilotage de projet, nous communiquons tous les éléments nécessaires sur les interventions à venir à huit semaines, le planning général jusqu'à la fin du projet, les interventions à risques qui sont logées toutes les huit semaines. Il n'y a pas de problématique, je dirais que cela fait partie de notre communication.
Vous venez dʼévoquer la notion de risques...
Nous avons établi une analyse de risques. Mais nous avons mis en face les moyens qui permettent de répondre à ce niveau de risques. Une fois que toutes ces choses sont mises en place, l'analyse de risques, la matrice de risques par rapport à chacune des procédures, des interventions, avec qui on touche, qui on doit prévenir, etc., une fois que toute cette matrice, ce processus est mis en place, cette méthodologie déroule dès qu'on a une nouvelle intervention à venir. On prévient les personnes qu'on doit prévenir, on transmet les plannings, les modes opératoires qu'on fait valider. Là dessus, en termes de pilotage, c'est vraiment beaucoup de communication.
Est-ce que vous intégrez dans ce rétrofit des capacités à appréhender un futur dont on ne sait pas jusqu'où on va aller en termes de puissance, d'équipement, etc. ? Par exemple lʼIA.
C'est tout l'objet aussi du rétrofit. On gagne en fiabilité, on remplace certains équipements, mais on a également une vision long terme. On se projette, et pas uniquement à la fin du projet. Est-ce qu'on sera en mesure de répondre aux besoins du client ? Nous avons une vision long terme et de ce qu'on met en place qui nous permettra de répondre aux besoins dans le futur. Ce qui peut être fait selon différents axes : ce peut être de mettre en attente certains réseaux en vue du DLC, de la récupération de chaleur, ou autre. Mais en tout cas, nous avons cette vision effectivement à long terme.