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Motul : production française de fluide au service de l’immersion

Christophe Lacroix
directeur de lʼinnovation et du développement durable Motul

Si la société familiale française Motul est plus connue pour ses huiles dans les courses automobiles, elle entretient également lʼesprit de curiosité et dʼinnovation dʼune entreprise de la mobilité. Jusquʼà travailler avec Hyperion afin dʼélaborer un fluide diélectrique monophasé qui répond aux attentes de la solution dʼimmersion en data center de ce dernier.

Nous nous sommes entretenus avec Christophe Lacroix, directeur de lʼinnovation et du développement durable de Motul.

Datacenter Magazine : Comment Motul en est venue à développer un fluide diélectrique pour le refroidissement par immersion dans le data center ?

Christophe Lacroix : Motul est fabricant de fluides spéciaux depuis plus de 170 ans et a toujours trouvé sa croissance via une grande curiosité et un désir de performance, tout cela soutenu par de lʼinnovation. Nous avons plusieurs verticales définies pour les mobilités de demain, notamment sur le véhicule électrique pour lequel nous travaillons sur le refroidissement des batteries avec des fluides diélectriques qui circulent autour des cellules, des batteries à immersion. Le fluide diélectrique dispose de la capacité dʼextraire de la chaleur et il est non conducteur. Dans cette configuration, toute la batterie et son électronique sont immergés. Dʼune carte pour une solution de BMS (Battery Management System) jusquʼaux serveurs, il y a ce pas que nous avons franchi.

Comment concevoir un fluide pour le data center ?

Notre produit est un fluide monophasé développé sur une base biosourcée et renouvelable. Le refroidissement par immersion permet dʼutiliser moins dʼélectricité et ne nécessite pas dʼeau froide. Il contribue donc à réduire lʼimpact environnemental du data center tout en assurant une performance optimale dʼextraction de calories. Pour son développement, nous avons travaillé avec un de nos partenaires, Nicolas Boulinguez et Hyperion (lire notre interview). Outre le fluide, de très nombreuses choses entrent en ligne de compte. Avec le risque de sortir un produit qui ne correspond pas au cahier des charges. Nous devons répondre à un besoin client, prendre en compte la typologie du bain, le type et la densité des serveurs, qui optimise la performance des pompes, etc...

Concernant les matériaux dans les serveurs, nous effectuons de nombreux de tests en fonction de la nature des câbles, des pattes, des joints, car le fluide peut interagir avec certains de ces matériaux. Cʼest pour cela que nous effectuons des tests sur tous les câbles, ainsi que sur tous les matériaux de type plastique et joints hors la carte mère.

Motul est suffisamment agile pour optimiser ses formules et répondre au mieux aux besoins clients, apporter support, solutions, et suivi dans le temps. Nous ne sommes pas intégrés verticalement avec notre propre raffinerie, mais nous avons par contre la capacité dʼoptimiser différents fluides ( huiles et autres), et dʼajouter des additifs pour remplir le cahier des charges. Notre approche artisanale nous permet de répondre à un besoin spécifique. Nous disposons également de services, dont de simulation numérique pour optimiser les flux hydrodynamiques et thermiques, et pas seulement le fluide. Et à la demande, nous effectuons la prise dʼéchantillons pour suivre lʼévolution.

Quelle est votre perception de lʼimmersion dans les data centers ?

Lʼimmersion change la donne pour le monde du data center. Il ne faut plus raisonner en salles IT, mais sʼadapter à la salle, à la compatibilité des équipements. Nous avons travaillé en interaction avec Hyperion. Il faut analyser les flux dʼécoulement, comme dans les batteries, se poser la question des débits, des bains, des différentes technologies de refroidissement. Nous avons par exemple développé un fluide de nettoyage pour retirer le fluide et accélérer le séchage. Nous avons fait le choix de travailler à impact carbone réduit, avec des produits majoritairement biosourcés car lʼimmersion dans le monde du data center participe aussi à réduire son impact environnemental.

Les premières expériences dʼimmersion des serveurs ont rencontré des difficultés de corrosion liées à la qualité des huiles et à celle des composants.

Nous avons minimisé un grand nombre de problèmes de compatibilité des matériaux, afin de ne pas affecter la qualité des cables et perturber les signaux. Notre produit assure une homogénéité de propriétés indispensables au bon fonctionnement de lʼimmersion et répond favorablement à des cahiers des charges précis. Nous supportons la compatibilité OCP (Open Compute Project) si besoin. En fait, OCP partage un guide mais il nʼexiste pas de réelles normes actuellement pour ces fluides. Leurs caractéristiques sont intimement liées aux configurations. On peut citer par exemple des demandes qui portent sur des produits différents, des viscosités très faibles proches de lʼeau pour certains types de refroidissement (fontaine, spray…), des produits dont la viscosité permet dʼoptimiser la puissance des pompes dʼune installation, … Cʼest dans ce sens là que nous faisons du sur mesure et quʼil est nécessaire dʼavoir une interaction forte avec le client.

Lʼinnovation semble porter sur le biphasique…

Le fluide biphasique est aujourdʼhui une base fluorée. Sa caractéristique, cʼest quʼil change dʼétat, se vaporise au contact dʼune surface chaude. Lʼextraction de la chaleur se produit lors du changement de phase (dans des systèmes ouverts on peut observer la formation de bulles qui recondensent après dans le fluide). Mais sa production nʼest pas facile au niveau chimie, son bilan carbone de fabrication est beaucoup moins favorable.

Et lʼimmersion face en DCL (Direct Liquid Cooling) ?

Le DLC est une chose qui marche très bien, avec de lʼeau glycolée. Cʼest un solution existante très efficace au regard de lʼimmersion mais qui peut présenter des inconvénients : dans le temps on peut constater la présence de champignons, de bactéries qui peuvent venir de lʼeau, et les fuites qui existent peuvent endommager très fortement les GPUs et CPUs. Ceci peut causer des problèmes de coût (au regard du prix des GPU par exemple), dʼinterruptions de service, de contrôle des températures, etc. Tout doit être maîtrisé dans le DLC, la maintenance, la qualité de lʼeau, la plomberie, les débits…

Lʼimmersion est une technologie robuste, soit en statique (avec une inertie du bain suffisante) et/ou dynamique (lʼécoulement entre les serveurs). Cʼest lié à la forme du bain, à la densité des serveurs, aux surfaces de contact. Et la durée de vie dʼun fluide est de plus de 10 ans. Les propriétés diélectriques ne changent pas dans le temps. Il faut juste vérifier la qualité du fluide en cas de changement et de renouvellement des serveurs, lors des manipulations, sinon il nʼy a pas de consommation. Lʼimmersion est durable dans le temps et sʼinscrit dès lors dans une démarche environnementale.

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