Le Délit

Page 1

Publié par la société des publications du Daily, une association étudiante de l’Université McGill

delitfrancais.com

Musique et société, des destins croisés p.8-9

Le mardi 1er octobre 2013 | Volume 103 Numéro 04

J’en parle à mon cheval depuis 1977


Volume 103 NumĂŠro 04

Éditorial

Le seul journal francophone de l’UniversitÊ McGill

rec@delitfrancais.com

Français 2

nde

Camille Gris Roy Le DĂŠlit ÂŤ[McGill est un bain de culture]. Ce qu’il faut encourager, c’est justement la joie qu’on a Ă connaĂŽtre une autre culture – et dans le cas de ceux qui ne parlent pas le français mais qui commencent Ă l’apprendre: qu’ils apprĂŠcient la richesse qu’on gagne Ă connaĂŽtre d’autres culturesÂť. En dĂŠbut d’annĂŠe, Suzanne Fortier recevait Le DĂŠlit sur ces mots optimistes quant Ă la place du français et du bilinguisme Ă McGill. Elle se disait d’ailleurs ÂŤagrĂŠablement surprise par la prĂŠsence du français sur le campusÂť. Rien Ă voir avec l’Êpoque Ă laquelle la Principale ĂŠtait ĂŠtudiante. Depuis le mouvement ÂŤMcGill françaisÂť puis la crĂŠation du DĂŠlit comme journal indĂŠpendant en 1977, la situation aurait ĂŠvidemment bien changĂŠ. Surtout, ce qui est une très bonne nouvelle, c’est que de plus en plus d’Êtudiants anglophones expriment le dĂŠsir d’apprendre le français. Cet engouement pour les cours au Centre d’Enseignement du Français (CEF) Ă McGill tĂŠmoigne d’une envie croissante des ĂŠtudiants non francophones de ne pas passer leurs annĂŠes Ă l’UniversitĂŠ cloisonnĂŠs dans la communautĂŠ anglophone du ÂŤghettoÂť Milton-Parc. Fini alors le temps oĂš on venait faire son bac Ă McGill, et on repartait après trois-quatre ans sans savoir mĂŞme ĂŠpeler ÂŤbonjour Âť? Pas si sĂťr. Car les conditions d’apprentissage ne sont pas idĂŠales. McGill ne prend pas toutes les mesures nĂŠcessaires pour rĂŠpondre aux attentes des ĂŠtudiants. Ainsi les classes de français sont surpeuplĂŠes. Certaines classes pour dĂŠbutants, dĂŠjĂ officiellement

prioritĂŠ

prĂŠvues pour 33 ĂŠlèves – ce qui est ĂŠnorme pour un cours de langue – sont en sureffectif avec 37-38 inscrits. Dans un article paru lundi dans Le Devoir, Suzanne Pellerin, professeure au CEF, explique qu’avant, quand les cours affichaient trop d’inscrits, on ouvrait des sections supplĂŠmentaires. Maintenant, on prĂŠfère laisser les classes se remplir au-delĂ de la limite. Ou bien on a recourt Ă d’autres stratagèmes (la fermeture de sections intermĂŠdiaires pour laisser plus de classes dĂŠbutantes, comme il est indiquĂŠ dans le mĂŞme article), mais toujours pour ne pas ajouter des cours. Ce phĂŠnomène n’est pas uniquement propre aux cours du CEF: il s’inscrit dans un plus large contexte de coupures budgĂŠtaires. Il y en a pas mal, des classes surpeuplĂŠes, Ă McGill. Sans parler des confĂŠrences: par exemple, un cours de science politique niveau de 300 qui offrait Ă l’hiver 2012 huit horaires diffĂŠrents de confĂŠrences a rĂŠduit ce nombre Ă 4 Ă l’automne 2013. Bien que le nombre de places dans le cours ait, certes, lĂŠgèrement diminuĂŠ, il n’en reste pas moins que les confĂŠrences pour ce cours comptent chacune trente ĂŠlèves! D’autant plus que le but d’une confĂŠrence ou d’un cours de langue est justement d’encourager l’Êchange et la discussion en petit groupe. De quoi en dĂŠcourager plus d’un dans son ĂŠlan. ÂŤL’excuseÂť des coupures budgĂŠtaires est toujours lĂ . Mais c’est comme si cette excuse nous fermait les yeux et brimait nos esprits crĂŠatifs. Alors pour en revenir aux cours de français, McGill pourrait s’amĂŠliorer. Sa consĹ“ur Concordia a bien trouvĂŠ des solutions et parvient Ă ajouter des cours, pour arriver au final Ă ce que ÂŤ64 % des ĂŠtudiants internationaux [soient] inscrits au cours d’introduction au français en 2012-2013Âť, selon Le Devoir. Contre 10% Ă McGill. Mouais‌[

RÉDACTION 3480 SVF .D5BWJTI CVSFBV #t MontrĂŠal (QuĂŠbec) H3A 1X9 TĂŠlĂŠphone : +1 514 398-6784 TĂŠlĂŠcopieur : +1 514 398-8318 RĂŠdactrice en chef rec@delitfrancais.com Camille Gris Roy ActualitĂŠs actualites@delitfrancais.com Coordonnatrices Alexandra Nadeau Sophie Blais Arts&Culture artsculture@delitfrancais.com Coordonnateurs Thomas Simonneau Joseph Boju SociĂŠtĂŠ societe@delitfrancais.com Coordonnateur CĂ´me de Grandmaison Directeur de la production production@delitfrancais.com ThĂŠo Bourgery Coordonnateurs visuel visuel@delitfrancais.com Camille Chabrol Romain Hainaut Infographie infographie@delitfrancais.com Vacant Coordonnatrices de la correction correction@delitfrancais.com Claire Launay Anne Pouzargues Coordonnateur Web web@delitfrancais.com Mathieu MĂŠnard Coordonnatrice des rĂŠseaux sociaux rĂŠso@delitfrancais.com Mathilde Michaud Journalistes Charlotte Ruiz, AurĂŠlier Garnier, LĂŠo Arcay, LĂŠa Frydman, ChloĂŠ Roset, StĂŠphany Laperrière, Julien Perthuis, MĂŠlanie Seibert, AurĂŠlie LanctĂ´t, LĂŠa Begis, Anabel Cossette Civitella, ClĂŠmentine Koenig, Daisy de Montjoye, Baptiste Rinner, Thomas Birzan, Alice Tabarin, Gwenn Duval, Sylvain SabatiĂŠ, Luce Hyver, Alexis de Chaunac, JeanPierre Maurin Couverture Image: Romain Hainaut Montage: Romain Hainaut BUREAU PUBLICITAIRE 3480 SVF .D5BWJTI CVSFBV #t MontrĂŠal (QuĂŠbec) H3A 1X9 TĂŠlĂŠphone : +1 514 398-6790 TĂŠlĂŠcopieur : +1 514 398-8318 ads@dailypublications.org PublicitĂŠ et direction gĂŠnĂŠrale Boris Shedov Photocomposition Mathieu MĂŠnard et Geneviève Robert The McGill Daily coordinating@mcgilldaily.com Anqi Zhang Conseil d’administration de la SociĂŠtĂŠ des publications du Daily (SPD) Lola Duffort, Benjamin Elgie, Jacqueline Brandon, Camille Gris Roy, ThĂŠo Bourgery, Samantha Shier, Anqi Zhang, Boris Shedov

L’usage du masculin dans les pages du DÊlit vise à allÊger le texte et ne se veut nullement discriminatoire.

Les opinions exprimĂŠes dans ces pages ne reflètent pas nĂŠcessairement celles de l’UniversitĂŠ McGill.

2 Éditorial

Le DÊlit *44/ FTU QVCMJ� MB QMVQBSU EFT NBSEJT QBS MB SociÊtÊ des publications du Daily (SPD). Il encourage la reproduction de ses articles originaux à condition d’en mentionner la source (sauf dans le cas d’articles et d’illustrations dont les droits avant ÊtÊ auparavent rÊservÊs, incluant les articles de la CUP). L’Êquipe du DÊlit n’endosse pas nÊcessairement les produits dont la publicitÊ paraÎt dans ce journal.ImprimÊ sur du papier recyclÊ format tabloïde par Imprimeries Transcontinental Transmag, Anjou (QuÊbec). Le DÊlit est membre fondateur de la Canadian University Press (CUP) et du Carrefour international de la presse universitaire francophone (CIPUF).

[ le dÊlit ¡ le mardi 1er octobre 2013¡ delitfrancais.com


Actualités

Camille Chabrol

actualites@delitfrancais.com

CAMPUS

Conseil de l’AÉUM

Une motion contre les barrières de l’entrée Milton est votée. Camille Gris Roy Le Délit

L

es conseillers et membres de l’exécutif de l’Association Étudiante de l’Université McGill (AÉUM) se sont réunis jeudi dernier pour le deuxième conseil législatif de la session. «ECOLE» Le Conseil a débuté avec la présentation du projet ECOLE, une initiative communautaire proposée par la conseillère Courtney Ayukawa (Arts et Science) et Lily Schwarzbaum (ancienne étudiante récemment diplômée de McGill). Le projet, articulé autour de deux motsclés, «apprentissage» et «mode de vie», a pour but la création d’une maison - habitée par 8 à 12 étudiants - pour la promotion d’un mode de vie durable dans la communauté Milton-Parc. L’idée, comme l’ont expliqué les deux présentatrices, est de «déconstruire les silos de l’Université et l’individualisme». Les travaux sur le projet ont débuté en mai dernier. «Le plan est que nous soyons prêts pour l’automne 2014, pour une annéepilote», a déclaré Courtney Ayukawa. Si le projet était présenté au conseil de l’AÉUM, c’était pour solliciter l’aide de l’Association. «On a besoin de vous. Il y aura un bénéfice pour l’AÉUM, puisque ce seront

principalement des étudiants de l’AÉUM qui bénéficieront du projet. De plus, cette maison communautaire représentera un lieu permanent pour des initiatives de l’Association. Et d’ailleurs, c’est un projet qui a été demandé par les Groupes Verts de l’AÉUM». L’initiative n’a été, jeudi, que présentée au Conseil, et l’implication de l’AÉUM dans le projet n’a pas encore été débattue. Motions et autres annonces Le Conseil a également annoncé une série de motions - non-débattues lors de cette séance, mais qui seront à l’ordre du jour cette session. Deux des motions, présentées respectivement par la sénatrice Claire StewartKanigan (Arts) et Stefan Fong, vice-président Clubs et Services, concernaient le référendum d’existence et l’augmentation des frais de cotisation des étudiants (de 2,25$ à 3,25$) du service de restauration bénévole Midnight Kitchen. Le vice-président interne Brian Farnan a pour sa part annoncé une motion pour l’adoption d’un guide de communication pour l’AÉUM. Puis le Conseil a débattu et adopté une motion - présentée par la sénatrice Claire Stewart-Kanigan et le conseiller Zachary Rosentzveig (Clubs et Services) - contre les

BRÈVE

barrières installées en début de session à l’entrée Milton. Le Conseil s’est entendu sur le fait que ces barrières «ne règlent en rien le problème qu’elles sont censées solutionner» (soit la circulation des cyclistes sur le campus), comme l’a souligné le président de l’Association étudiante de la Faculté des Arts (AÉFA) Justin Fletcher. Ce dernier a d’ailleurs rappelé que le conseil de l’AÉFA avait adopté une motion similaire la semaine précédente. «Surtout, l’Université n’a même pas consulté la population mcgilloise avant de

poser ces barrières», ont constaté plusieurs membres du conseil. Par cette motion, le conseil enjoint McGill à explorer d’autres moyens pour que les vélos puissent circuler sur le campus par exemple l’installation de pistes cyclables, comme l’a proposé le conseiller David Benrimoh (Médecine). Enfin, le Conseil a brièvement mentionné le débat sur la Charte des Valeurs Québécoises, qui sera abordé à la prochaine Assemblée Générale lors de laquelle l’AÉUM proposera une motion pour s’y opposer. [

Camille Chabrol

BRÈVE

Contrat dévoilé

Censure mcgilloise

Alexandra Nadeau Le Délit

Alexandra Nadeau Le Délit

La nouvelle principale recevra un salaire de base plus élevé, mais moins de frais supplémentaires.

L

’Université McGill a rendu public sur Internet le contrat de Suzanne Fortier, principale de l’Université McGill, le 26 septembre dernier. C’est la première fois que le contrat d’un(e) principal(e) est rendu aussi public, ce qui correspond au désir de transparence de Mme Fortier, comme l’explique Stuart Cobbett, président du Conseil des Gouverneurs de McGill en entrevue téléphonique avec Le Délit. Salaire de base plus élevé Le salaire de base de Suzanne Fortier est établi à 390 000$ par année, soit environ 20 000 $ de plus que la principale sortante, Heather Munroe-Blum (HMB). Dans un contexte où McGill applique des coupures budgétaires considérables pour pallier à son déficit, M. Cobbett explique que l’Université est consciente de cette réalité, mais que c’est ce salaire qui était raisonnable pour Suzanne Fortier. «Il ne faut pas oublier qu’elle ne touche quasiment rien d’autre que ça, pas de dépenses pour

l’auto, pour la maison, rien comme ça», dit M. Cobbett. Il dit aussi que c’est une légère augmentation quand on considère que le salaire de HMB a été établi il y a 10 ans. Comme HMB, Mme Fortier aura droit à un bonus discrétionnaire de performance par année pouvant présenter jusqu’à 20% de son salaire. Frais subjectifs Aucune dépense fixe n’est allouée au logement ou aux frais de véhicule de Mme Fortier. Il est toutefois mentionné dans le contrat que l’Université lui remboursera des frais raisonnables en lien avec ses fonctions à McGill et encourues pour le bénéfice de l’Université. M. Cobbett ajoute qu’il n’est pas possible de prévoir quel sera le montant alloué pour ces charges. L’Université remboursera également tout autre frais de Mme Fortier jugés raisonnables, dans le cadre de l’exercice de ses fonctions de Principale. Le contrat de HMB lui accordait des dépenses fixes de 16 000$ pour sa voiture par année, ainsi qu’un budget de 4 000$ pour son logement par mois. [

[le délit · le mardi 1er octobre 2013 · delitfrancais.com

L’Index sur la liberté d’expression sur les campus canadiens: McGill classée médiocre.

M

cGill remporte le titre montréalais de pire institution universitaire en ce qui a trait à la liberté d’expression au sein des associations étudiantes et de l’Université en général. McGill serait même parmi les pires universités au Canada à ce sujet. C’est ce qu’indique l’Index de liberté des campus universitaires canadiens publié le 24 septembre par le Centre de justice pour les libertés constitutionnelles. L’Index évalue les campus canadiens et les note sur une échelle allant de A à F. McGill a récolté la lettre «D» pour ses politiques et pratiques institutionnelles. L’Association étudiante de l’Université McGill (AÉUM) a quant à elle obtenu un «D» pour ses politiques, et un «F», la plus basse note possible, pour ses pratiques. Comme menace à la liberté d’expression à McGill, l’Index cite notamment le protocole de 2012 qui restreint le droit de manifestations sur le campus, ainsi que la poursuite légale contre le

Daily suite à la distribution d’informations dites confidentielles mais rendues publiques par McGillLeaks. L’AÉUM est quant à elle critiquée pour le côté subjectif de sa politique d’équité qui donne le droit à l’association de retirer le financement à un club, ou d’annuler un événement si ce dernier ne respecte pas cette dite politique. On y critique aussi le droit exercé par l’AÉUM de changer le nom de certains événements organisés dans les locaux de McGill, comme ce fût le cas en 2012 lorsqu’un groupe pro-Israël avait utilisé un titre jugé offensif pour la communauté palestinienne. Pour établir les scores des universités, l’Index prend notamment en compte la divulgation claire de la liberté d’expression au sein de l’Université et des associations étudiantes, les politiques antidiscriminatoires, les mesures de censures employées explicitement ou implicitement, les politiques pour éviter les dérangements sur le campus, les règlements entourant les élections des membres ainsi que les politiques discriminatoires envers certains clubs. [

Actualités

3


CAMPUS

Gouvernance autochtone Comment dépasser l’«Indian Act»? Charlotte Ruiz

D

ans le cadre de la semaine des Premières Nations, une conférence au sujet de la gouvernance multiniveaux et du rapport entre les populations autochtones canadiennes et la Couronne s’est tenue le 24 septembre à McGill. C’est dans une ambiance intime, face à un public réduit, que Christopher Alcantara, professeur agrégé en sciences politiques, a pris la parole pour ouvrir la discussion sur la question des rapports conflictuels entretenus entre les populations autochtones et la Couronne dans le Canada actuel. Le conférencier définit luimême ceux-ci comme «un des problèmes sociaux et politiques les plus importants auquel le gouvernement doit aujourd’hui faire face». De l’enterrement de l’Accord de Kelowna par Stephen Harper en 2006, au mouvement «Idle no more» de l’année dernière, la question de l’évolution des rapports entre populations amérindiennes et le gouvernment reste ouverte.

Mettre la «Loi sur les Indiens» au rebut Comme le conférencier le souligne, toutes les tentatives de modification des relations entre populations autochtones et Couronne se sont toujours déroulées dans une perspective «top-down» (des plus hautes instances gouvernementales vers les communautés). Il ajoute qu’«aujourd’hui, tout le monde pense que la Loi sur les Indiens doit être mise au rebut». Là où l’approche de Christopher Alcantara est novatrice, c’est que, pour lui, ceci ne peut être fait que si le démantèlement se fait du bas vers le haut, et non plus du haut vers le bas. Il a tempêté d’ailleurs à plusieurs reprises: «j’en ai marre que l’on blâme uniquement la Couronne». Selon lui, on peut souligner deux raisons pour lesquelles la Loi sur les Indiens n’a pas encore disparu: personne n’arrive à savoir par quoi il faut la remplacer et certaines communautés ne peuvent pas dépasser la Loi sur les Indiens sans dommage. La solution réside alors dans le fait de «responsabiliser les communautés autochtones pour qu’elles puissent pro-

duire des mécanismes législatifs alternatifs aux différentes parties de la Loi sur les Indiens». Kelowna: la pauvreté d’abord Malgré son échec final, trois leçons peuvent être tirées des négociations de l’Accord de Kelowna. Premièrement, chaque parti (politiciens et représentants des populations autochtones) a été capable d’exprimer différentes compétences d’expertise. La diversité des compétences devient ainsi la clé d’avancées concrètes. Deuxièmement, une approche universelle ne peut pas marcher. Par la diversité des Premières Nations, il n’est pas possible de penser une solution unique pour tous. Troisièmement, et c’est là la leçon la plus importante, la renégociation de ces rapports de force est difficile si l’un des deux partis est très pauvre, comme c’est le cas pour les populations autochtones à l’heure actuelle. En effet, comment établir un rapport égalitaire si l’un des deux partis ne dispose que de très peu de moyens pour défendre sa position?

Un changement au niveau local Pour le professeur Alcantara, c’est au niveau local que l’on peut aujourd’hui observer les avancées les plus intéressantes dans le rapport entre gouvernement et populations autochones. Des négociations sur des sujets aussi triviaux que l’enlèvement et le traitement des déchets permettent aux gouvernements locaux et aux dirigeants des populations autochtones de réaliser qu’ils possèdent en effet des intérêts communs. L’établissement de rapports de confiance sur ces sujets permet ensuite de projeter cette bonne entente à des niveaux supérieurs, facilitant ainsi la communication entre le gouvernement et les populations amérindiennes sur des sujets plus épineux. Il est ainsi important de rappeler que, si le désir d’entretenir des rapports saints et égalitaires existe réellement, les dirigeants politiques doivent dépasser les actions symboliques pour se concentrer sur un travail concret et réellement progressiste. [

CAMPUS

Études autochtones à McGill Après plusieurs années d’attente, un programme pourrait voir le jour en 2014. Sophie Blais Le Délit

M

cGill mettra sur pied un nouveau programme d’ici la rentrée automnale de 2014 portant sur les études autochtones nord-américaines. Une session informative intitulée «McGill’s Vision: Indigenous Studies Program» s’est tenue le mercredi 25 septembre dans le cadre de la semaine des Premières Nations. Y ont été présentés les résultats d’un forum consultatif qui s’est penché sur la question de la création d’un programme d’études autochtones. Haley Dinel, sénatrice, et Joey Shea, vice-présidente aux affaires universitaires, ont co-présidé cette discussion, accompagnées du professeur Will Straw, directeur de l’Institut d’études canadiennes de McGill. À quoi ressemblerait ce programme? Lors du forum consultatif qui s’est déroulé fin novembre 2012, les participants, en majorité des étudiants mais aussi des membres de faculté et de l’administration, ont été rassemblés dans des groupes de réflexion. Ils ont discuté des différents enjeux et facettes que prendraient le programme une fois mis en place. Comment sera composé le corps enseignant? Quelle terminologie sera utilisée pour définir le programme? Quels défis institutionnels devront être affrontés? Ces questions ne sont pas restées sans réponse, puisque les participants ont proposé de nombreuses idées. Une grande majorité d’entre eux a par exemple soulevé l’importance d’offrir des cours de langue dans des langues des Premières Nations, des Inuits ou des Métis. L’accent a aussi été mis sur le fait que la terminologie choisie devrait refléter

4 Actualités

la diversité des peuples à travers le Canada, de même que sur l’importance d’avoir une diversité des méthodes d’enseignement, tel que de l’enseignement sur le terrain. Tous les participants se sont accordés sur l’importance de l’existence d’un tel programme. «On a des programmes d’études à McGill sur toutes sortes de cas, de régions, de cultures: études islamiques, études juives, études québécoises, études canadiennes, mais il n’y a rien sur les peuples ou les cultures autochtones nord-américaines», a rapporté

Nicolas Magnien, coordonateur du conseil exécutif de Kanata, un des groupes étudiants impliqués dans les questions autochtones à McGill, dans une entrevue téléphonique avec Le Délit. «D’autre part, ce serait intéressant pour la communauté, l’administration, et même pour la communauté à l’extérieur de McGill, parce que ça représenterait une certaine forme de reconnaissance de la part d’une institution aussi importante que McGill. On a le devoir d’être le plus expressif possible par rapport à ce genre de sujet, Alexis de Chaunac

d’offrir le plus d’opportunités possibles pour apprendre ce qui s’est passé dans l’histoire de ce pays et savoir quels sont les enjeux aujourd’hui». McGill, une exception Concordia, l’Université de Toronto (UofT) et l’Université de ColombieBritannique (UBC) sont quelques universités parmi tant d’autres au Canada qui offrent un programme axé sur les études autochtones. McGill fait donc figure d’anomalie parmi ces institutions réputées du Canada. Cela fait pourtant depuis début 2000 que l’idée de ce projet circule au sein de la communauté mcgilloise, mais ce n’est réellement que ces dernières années que des efforts conséquents ont été observés. De nombreux étudiants se sont impliqués activement dans le développement de ce programme d’études, notamment certains représentants de l’Association Étudiante de l’Université McGill (AÉUM), de même que des membres de divers groupes mcgillois, tel le «Social Equity and Diversity Education office» (SEDE). Quant aux délais pour la mise en place du programme, Nicolas Magnien soutient qu’ils ne sont pas dus à un manque de volonté, mais à l’aspect bureaucratique de l’Université: « Je ne peux pas dire que j’ai ressenti une opposition de la part de l’administration. Au contraire, il y a vraiment un engouement, un intérêt pour le sujet à travers toute la communauté.» Par ailleurs, Will Straw admet qu’il faut adapter le projet à cette complexité bureaucratique. «L’objectif final est de créer une majeure, mais pour l’instant on travaille pour créer une mineure: on va y aller à pas de fourmis». [

[ le délit · le mardi 1er octobre 2013 · delitfrancais.com


CAMPUS

Médecine traditionnelle autochtone Valoriser et réconcilier la médecine traditionnelle dans le système de santé canadien. Aurélie Garnier Le Délit

T

out au long de la semaine dernière s’est déroulée la Semaine des Premières Nations sur le campus de McGill. Le vendredi 27 septembre, Simon Brascoupé, professeur d’études autochtones à l’Université Carleton, a donné une conférence sur la santé des Premières Nations. Il a traité de sujets tels que la relation entre la santé traditionnelle et moderne des autochtones et a parlé de comment incorporer la guérison dite «naturelle» dans notre système de santé actuel canadien. Des chiffres alarmants Les problèmes de santé au sein des communautés autochtones sont une réalité bien connue au Canada. Si les médias continuent de transmettre une image négative du sujet, le professeur Brascoupé souligne le fait que les chiffres «racontent une histoire, mais ne racontent pas toute l›histoire». Par exemple, le taux de cancer du poumon au sein des communautés inuits est le plus élevé au monde. La mortalité infan-

tile des nourrissons inuits est 3,6 fois plus élevée que celle des autres enfants canadiens. Le diabète de type 2 touche 17,2 % des Premières Nations dans les réserves, comparativement à 5 % pour le reste de la population non-autochtone. À ces chiffres déjà élevés s’ajoutent des problèmes d’accès à l’eau potable, ou encore l’augmentation continue du taux de personnes atteintes du VIH, d’obésité ou de maladies cardiovasculaires. Plus encore, les taux élevés d’alcoolisme et l’usage de drogues sont à l’origine de désordres psychologiques et sociaux. Ces problèmes ne sont évidemment pas uniquement liés qu’à une question de santé, et renvoient à des problèmes socio-économiques tels que l’isolation, le peu d’accès aux services de santé, l’insécurité alimentaire, la pauvreté, et la surpopulation dans les réserves qui favorise la transmission de maladies. L’histoire unique des Premières Nations, marquée par la colonisation, la migration forcée, la perte de leur langue et de leur culture, ainsi que la déconnexion à leur terre explique aussi pourquoi cette minorité est si touchée par de tels problèmes.

Retourner à la médecine traditionnelle Le professeur Brascoupé souligne le rapport paradoxal à la santé: la médecine moderne est vue comme plus efficace malgré le fait qu’elle soit récente, alors que la médecine traditionnelle est moins prise au sérieux bien que perpétrée depuis des générations. Lors d’un sondage auprès des Premières Nations, 80 % ont répondu «oui» à la question suivante: «Pensez vous qu›un retour à la médecine traditionnelle est une bonne idée pour promouvoir le bien-être de la communauté?» Ceci illustre la volonté croissante de retourner aux méthodes ancestrales. La médecine traditionnelle présente par ailleurs de nombreux avantages. En plus de participer à la conservation de l’héritage culturel des Premières Nations, elle est considérablement moins chère, plus naturelle et donc moins toxique que la médecine moderne. Interrogé par Le Délit, le professeur Brascoupé témoigne du fait que le retour à la médecine traditionnelle permet aussi d’accroître la reconnaissance de l’identité autochtone en revalorisant leurs coutumes et savoirs traditionnels.

Des difficultés encore présentes Actuellement, de plus en plus d’efforts sont faits pour incorporer la médecine traditionnelle dans le système de santé canadien. L’Institut de recherche en santé du Canada a fondé une équipe de recherche qui travaille avec des guérisseurs autochtones pour étudier des remèdes au diabète. Malgré ces tentatives d’incorporation, la médecine traditionnelle doit faire face à de nombreuses difficultés. L’héritage se perd avec la disparition des guérisseurs, dont le nombre diminue avec les générations. Plus encore, cette médecine est menacée par la disparition des ressources naturelles et le changement climatique, qui réduit l’accès aux plantes et aux remèdes utilisés traditionnellement. D’après le professeur Brascoupé, la médecine aborigène souffre d’abord d’un manque de reconnaissance de la part du gouvernement, et ensuite d’un manque de sensibilisation auprès de la population. Il souligne cependant le travail positif de l’Université McGill, qu’il considère comme leader mondial de la recherche médicale inspirée de la médecine traditionnelle contre le diabète de type 2. [

CAMPUS

Écologie mcgilloise Un projet de sensibilisation aux bienfaits de l’écosystème. Léo Arcay Le Délit

L

’association Montréal à Votre Service Écologique (MVSE) a officiellement inauguré son nouveau site internet mercredi dernier lors d’un 5 à 7 dans la salle de bal de la maison Thomson. L’équipe est composée exclusivement d’élèves mcgillois de tous âges, sous la supervision d’Elena Bennett, professeure au département de Sciences des Ressources Naturelles de l’université, et de Matthew Mitchell, qui effectue actuellement un doctorat en écologie. Le site internet vise la sensibilisation des résidents de Montréal aux services écologiques - bénéfices que les êtres humains tirent de la nature au quotidien, comme la nourriture, l’air, ou encore les lieux de détente. Après une brève présentation du projet et du site, les membres de l’équipe se sont répartis dans la salle et de petits groupes de discussion se sont formés spontanément. Les invités ont ainsi eu l’occasion d’évoquer leur propre vision et de demander des détails sur le projet. Tous sont très optimistes. Et il y a de quoi! Avec 1500 visiteurs provenant de 27 pays différents en seulement trois mois, et une visibilité sur les réseaux sociaux tels que Twitter ou Facebook, le projet de MVSE est un pari réussi. Le site internet, disponible en français et en anglais, répertorie les services écologiques de la ville sur une carte et associe à chacun une «histoire» rédigée par un membre de l’équipe ou bien un visiteur. «[Nous voulons] créer un lien entre la communauté [montréalaise] et l’institut de recherche»,

affirme Geneviève Metson, membre de l’équipe de MVSE et étudiante au doctorat à McGill. L’association désire que le grand public prenne conscience de l’importance de ces services et de leurs

à amener leur public à une plus grande considération des enjeux écologiques en général. «Nous pensons que les gens ne se battront que pour des causes qui les tiennent à cœur, [qu’ils] ne tiennent à

Camille Chabrol

impacts sur notre activité quotidienne. Si elle adopte une optique scientifique et non militante, l’équipe aspire toutefois

[ le délit · le mardi 1er octobre 2013 · delitfrancais.com

cœur que ce qu’ils comprennent », affirme Carly Ziter, la coordonnatrice médias sociaux.

Le côté ludique et interactif du projet est largement mis de l’avant. Lors de l’événement, la petite foule était d’ailleurs invitée à proposer à l’association des endroits à étudier à Montréal. Des chercheurs présents apprécient l’idée d’allier recherche et mouvement citoyen. «Un projet de vulgarisation qui a l’air très efficace!», décrète Thomas Nesme, chercheur collaborant avec la professeure Bennett sur un autre projet. D’autres invités sont plus sceptiques quant à sa diffusion au sein de l’université. «[McGill] est une grande institution, assez compartimentée.[…] Je ne reçois jamais les infos du [département de management], les gens de [management] ne reçoivent jamais celles [du département d’environnement», souligne Claire, étudiante en 3e année en environnement. MVSE compte surtout sur le bouche-àoreille et sur ses deux «ambassadeurs» chargés de promouvoir le projet et ses objectifs à travers la communauté mcgilloise. Pour atteindre les montréalais en général, l’association mise sur les réseaux sociaux, «un bon moyen d’atteindre un public très large», selon Carly Ziter. Les membres de MVSE, très enthousiastes, confient leurs futurs objectifs au Délit. Tout d’abord, le site web aimerait diversifier son contenu en incluant des vidéos ou des entrevues audio. L’équipe prévoit par la suite de sortir du strict cadre d’Internet en créant une application pour téléphones intelligents et en organisant des concours photo ou des événements sur le campus. Sont même envisagés des sensibilisations dans les écoles primaires et secondaires, ainsi que des partenariats avec d’autres universités canadiennes. [

Actualités

5


OPINION

L’indépendance des indépendants Léa Frydman & Théo Bourgery Le Délit

«

La vraie information est celle qui n’est pas filtrée par de grosses sociétés », lance aux États Généraux du Journalisme Indépendant Dru Oja Jay, journaliste anglophone, auteur et co-fondateur de Média Co-op. Les États Généraux organisés par l’Association des journalistes indépendants du Québec (AJIQ) se sont déroulés le samedi 28 septembre et avaient pour but de rendre compte de la réalité des journalistes indépendants en 2013 au Québec. Beaucoup de lieux communs ont été ressassés lors de cette journée de discussions, et de réels enjeux ont aussi été débattus. Des tables rondes sur différents thèmes ont aussi eu lieu, animées par des journalistes ou des professeurs d’université. Impartialité vs réalité En premier lieu, comme l’introduit Oja Jay, il est question de l’indépendance des médias. Dans un Québec où le métier de journaliste est plongé dans la précarité, beaucoup se voient contraints d’écrire des articles promotionnels, dits de rédaction, pour subvenir à leurs besoins. Faut-il alors discerner le journaliste du rédacteur? En effet, au Québec aujourd’hui, les différences entre ces deux notions s’amenuisent inévitablement. D’après l’article 2.1.3 des «Droits et Responsabilités de la Presse», publié par le Conseil de Presse du Québec, tous les journalistes se doivent «d’éviter les conflits d’intérêts […] ou toute situation qui risque de les faire paraître en conflits d’intérêts». L’impartialité est donc, en principe, intrinsèque au métier. Mais malgré le désir d’indé-

pendance de beaucoup de journalistes à la pige, ceux-ci se retrouvent souvent déchirés entre survie financière et respect du code déontologique. «Est-il possible de signer de son nom de journaliste un cahier spécial du Devoir financé par des entreprises?» se demande une journaliste débutante sous couvert d’anonymat. Elle explique se faire souvent dicter le choix des intervenants, sans même se voir préciser la source de financement de l’article. Une autre journaliste scientifique raconte avoir été sollicitée à plusieurs reprises par des universités pour publier des articles sur leurs recherches, avant de se rendre compte qu’il s’agissait d’en louer les résultats. Telles sont les pratiques susceptibles de compromettre la confiance que le public accorde à la presse. Pourtant, «être rédacteur ne signifie pas vendre son âme», précise une autre journaliste. Celle-ci estime que son travail de rédactrice est «valorisant» et qu’il consiste, dans son cas, à prendre parti contre l’extraction des hydrocarbures dans le nord du Québec. Se positionner oui, mais à quelles fins? Un recours légal? Malgré le fait que le pigiste n’est pas voué à être l’esclave des entreprises de presse, son autorité légale n’est pas officielle. Nicolas Langelier, ancien président de l’AJIQ, propose de fournir un socle légal aux journalistes indépendants, en insistant sur la nécessité de «négocier collectivement». D’ailleurs, lors de l’atelier «Négocions ensemble», les participants se sont déclarés, à l’unanimité, en faveur d’une forme de syndicalisme. Une fois ceci mis en place, un porte-parole défendrait de meilleures conditions pratiques, rendues possibles par un soutien économique. La no-

Romain Hainaut

tion de salaire «plancher» a notamment été mentionnée lors de l’atelier, évoquant la possibilité de fixer une rémunération minimum par article. La presse serait ainsi libérée de toute pression financière et le lectorat aurait accès à une production de meilleure qualité, dont l’intégrité morale ne serait pas remise en question. De plus, elle rentrerait en compétition avec les travaux de rédaction, qui, quoi que volontairement biaisés, continuent à payer considérablement plus. Les journalistes pourraient ainsi mieux vivre de leur indépendance. Une autre des facettes de cette «négociation collective» vise à la sensibilisation, non seulement des journalistes, mais aussi du public et des institutions politiques. Si aucune mesure officielle n’a été prise jusque-là, tous portent leur regard sur l’imposition légale d’un code déontologique commun aux en-

treprises de presse et aux journalistes. Forçant la morale au niveau institutionnel, ceci éviterait les conflits d’intérêt d’un contrat à l’autre. Lors des États Généraux, les journalistes présents ont décrit la situation actuelle de leur métier comme alarmante. Toutefois, ensemble ils affirment être prêts à s’organiser, pour collectivement réécrire leur avenir. Pour rendre l’intégrité des journalistes visible au lectorat, Le Délit propose avant tout l’établissement d’une étiquette «d’indépendance», qui confirmerait par un signe l’impartialité d’un article. Cette étiquette serait accordée en fonction de la source des financements et selon l’autonomie dont jouit le journaliste au moment de l’écriture de son texte. Cette mesure, émise par une instance gouvernementale et mise en vigueur par une loi, inaugurerait une nouvelle aire du journalisme au Québec. [

QUÉBEC

Non aux tarifs en hausse

Les Québécois manifestent contre les hausses annoncées par le gouvernement. Chloé Roset Le Délit

U

ne manifestation contre la hausse des tarifs d’électricité, proposée par le gouvernement de Pauline Marois, s’est déroulée le 28 septembre. L’événement était organisé par la Coalition opposée à la tarification et la privatisation des services publics. Les participants se sont donnés rendez-vous à 13h00 au Square Phillips à Montréal afin de porter haut et fort leur message de résistance face à des réformes qu’ils jugent injustes et qui renforcent des inégalités déjà existantes au sein de la société québécoise. Le message était clair: «budget d’austérité. Ce sont toujours les même qui paient». Le groupe d’organisateurs avait mis en place des transports permettant à une grande partie de la population de la banlieue de Montréal et des villes environnantes de participer à l’événement. L’idée était de montrer au gouvernement un peuple québécois uni et solidaire près à se battre pour une province plus égalitaire. Cet événement symbolisait pour beaucoup la fin de l’espoir accordé au Parti Québécois (PQ) suite aux élections de septembre dernier. En entrevue avec le Délit, de nombreux manifestants se sont dits désillusionnés car ils pensaient que la fin du mandat de

6 Actualités

Jean Charest symboliserait un nouvel élan de reformes sociales au Québec. Cynthia, étudiante à l’UQAM, dénonce ce qu’elle juge être de l’hypocrisie de la part de Pauline Marois: «le Parti Québécois a été élu en disant qu’il allait écouter le peuple, Pauline Marois a porté le carré rouge et disait qu’elle était pour la gratuité scolaire, mais c’était juste une façon de se faire élire et non pas des valeurs qu’elle avait en elle». Carole Landrie, militante pour Québec Solidaire, appelle à l’union du peuple québécois dans le but de faire changer d’avis le gouvernement quant à l’augmentation des frais d’Hydro-Québec. Selon elle, ce type de décision ne correspond pas aux attentes d’une partie des québécois qui ont accordé leur confiance au PQ lors des dernières élections: «il y a beaucoup de gens qui ont voté pour le PQ avec un grand espoir de changement, ils ont fait beaucoup de promesses mais nous on considère que notre province n’avance pas; au contraire, elle recule.» Selon Carole Landrie, ce sont les programmes sociaux et les organismes communautaires qui pâtissent de l’objectif du «déficit zéro» annoncé par le gouvernement. Elle dénonce également le monopole d’Hydro-Québec dans le domaine de l’électricité. En effet, les usagers ne pouvant pas faire appel à une autre société privée, il est du devoir de la compagnie de proposer

Camille Chabrol

un service juste, en accord avec les droits des québécois, et ne favorisant pas les inégalités entre les riches et les pauvres. Cette manifestation s’inscrit dans un contexte de revendications du peuple québécois dans le but de créer une société plus égalitaire. Geneviève, étudiante au CEGEP de St Jérôme explique: «on va manifester souvent, autant pour la grève étudiante que pour les hausses de tarifs, pour plein

de choses qui font que les pauvres restent pauvres et que les riches deviennent de plus en plus riches. Hydro-Québec vient juste s’ajouter à tout ça et prouve une fois de plus que l’on ne taxe pas selon le revenu des gens, mais qu’on taxe de la même façon pour tout le monde.» La manifestation s’est déroulée dans le calme, mais la colère des manifestants ne semble pas prête à diminuer. [

[ le délit · le mardi 1er octobre 2013 · delitfrancais.com


MONTRÉAL

La police discriminatoire? Le SPVM accusé de profilage politique. Stéphany Laperrière Le Délit

L

a Ligue des droits et libertés a déposé une plainte à la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse au nom d’un groupe de 35 personnes arrêtées le 15 mars 2013 lors de la 16e manifestation contre la brutalité policière. Une conférence de presse a été organisée le 24 septembre dernier pour souligner le dépôt de la plainte. Par ces arrestations, le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) aurait fait preuve de discrimination fondée sur les convictions politiques, et aurait porté atteinte à plusieurs droits garantis par la Charte des droits et libertés de la personne, notamment la liberté d’expression et de réunion pacifique. «Tout indique que la décision d’intervenir pour faire casser cette manifestation avait été prise à l’avance et n’était pas fondée sur la tournure des événements ou le déroulement de la manifestation» affirme Lucie Lemonde, porte-parole de la Ligue, lors de la conférence de presse. «En présumant que la manifestation allait être celle de casseurs, en annonçant que le règlement P-6 serait appliqué de façon plus rigoureuse et en procédant à des arrestations massives sur la base de stéréotypes, le SPVM a agi de façon discriminatoire» poursuit-elle. Catherine Desjardins, l’une des personnes au nom de qui la Ligue porte plainte, a ensuite partagé ce qu’elle a vécu au cours de cette manifestation. «Après une dizaine de minutes [où les manifestants étaient] encerclés par les policiers, un homme bien mis avec une mallette s’est fait retirer du groupe, fouiller gentiment et on lui a permis de partir. J’ai donc demandé si je pouvais bénéficier du même traitement. Un policier m’a répondu que cet homme était un travailleur et que lui n’était pas là pour faire du trouble», racontet-elle. Une première pour la Commission Si le profilage racial et social est déjà bien ancré dans la jurisprudence de la Commission des droits de la personne et des droits de la

jeunesse, la notion de profilage politique n’a encore jamais été examinée par celle-ci. Lucie Lemonde affirme qu’il y a néanmoins «de bonnes chances» que la plainte soit reçue, la Commission ayant récemment accepté d’enquêter sur une plainte similaire déposée par la Section Québec de la Ligue. Cette plainte dénonçait l’arrestation de 81 personnes en vertu du Code de la sécurité routière lors d’une manifestation féministe organisée par la Coalition large de l’Association pour une solidarité syndicale étudiante (CLASSE) à Québec. Lorsqu’une plainte est déclarée recevable par la Commission, une enquête est ouverte à l’issue de laquelle des mesures de redressement peuvent être proposées si la preuve est jugée suffisante pour appuyer la plainte. Dans l’éventualité où ces mesures de redressement ne seraient pas respectées, la Commission peut saisir le Tribunal des droits de la personne au nom du plaignant. Émilie Lecavalier, arrêtée lors de la manifestation du 15 mars 2013, aimerait que ce processus auprès de la Commission permette d’obtenir des excuses publiques de la Ville de Montréal et du SPVM. «On demande aussi de revoir la formation chez les policiers, par exemple en y incorporant des cours sur l’intervention sociale et sur le profilage racial et politique pour que les policiers soient à l’affût de ces comportements», affirme-t-elle. La Commission n’a toutefois pas le pouvoir d’invalider le règlement P-6 en vertu duquel 240 personnes ont été arrêtées le 15 mars dernier avant même que la manifestation contre la brutalité policière ne commence. Selon l’article 71 de la Charte, la Commission ne peut que «relever les dispositions des lois du Québec qui seraient contraires à la Charte et faire au gouvernement les recommandations appropriées». Enquête indépendante Pour la Ligue des droits et libertés, le dépôt de cette plainte devant la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse représente surtout l’occasion d’obtenir une enquête indépendante sur les comportements policiers, ce que la commission spé-

Alexis de Chaunac

ciale d’examen des événements du printemps 2012, la Commission Ménard, ne permet pas, selon la Ligue. La Ligue, qui a décidé de ne pas participer aux travaux de la commission Ménard, dénonce l’autorisation des témoignages à huis clos et le fait que les interventions policières et les décisions politiques qui ont été prises au cours de la grève ne soient pas remises en question par cette commission. «Ce qu’on voulait entre autres quand on a réclamé une commission d’enquête publique, c’est qu’elle porte non seulement sur les agissements policiers, mais aussi sur les

politiques, qui, en traitant les carrés rouges de violents, légitiment la répression à leur égard» rapporte Lucie Lemonde dans une entrevue avec Le Délit. Le comportement des policiers du SPVM sera aussi examiné dans le cadre d’un recours collectif devant la Cour supérieure du Québec contre la Ville de Montréal. Ce recours, autorisé la semaine dernière, vise à obtenir des dommages et intérêts pour les manifestants arrêtés et détenus le 23 mai 2012. Tôt ou tard, la réelle portée de la devise du SPVM «Ensemble pour la sécurité!» sera mise au grand jour. [

OPINION

Haut les seins! Mathilde Michaud Le Délit

J

e n’ai jamais été le type de petite fille qui jouait avec des barbies. J’avais plutôt tendance à leur raser la tête, à leur attacher une longue corde à une jambe et à les lancer de la fenêtre du deuxième étage pour voir si elles survivraient à mon bungee «improvisé». Mes parents ont très rapidement compris qu’ils feraient mieux de me trouver un autre jouet. Mais s’ils m’avaient acheté la Barbie de la Gendarmerie Royale du Canada (GRC), aurais-je été aussi cruelle? Elle est si charmante avec ses longs cheveux détachés, ses trois tonnes de maquillage et le joli manteau rouge qui sied si bien sa taille de guêpe. Évidemment, ma première question a été: pourquoi? Qu’est-ce qui a bien pu motiver la GRC à produire 1200 exemplaires d’une poupée aux proportions su-

rhumaines à leur effigie? Pourquoi Barbie plutôt que Ken? Peut-être pour valoriser la femme au sein de cette organisation. Mais quelle idée ridicule! Pourquoi créerait-on un jouet qui représente tous les stéréotypes féminins et le schéma des sexes tant décrié depuis les 10 dernières années? Pourquoi mettre ainsi de l’avant l’apport de la femme dans la sécurité de notre ô combien magnifique pays? Un jouet comportant plus de cerveau que de seins n’aurait-il pas été plus approprié? Tout ça fait beaucoup de questions et peu de réponses, et pourrait en amener plus d’un à se demander: Mais qu’est-ce que cela peut bien changer? C’est une question valable. Ce n’est après tout qu’une barbie de plus parmi tant d’autres. Mais l’est-ce vraiment? Estce que le fait qu’un gouvernement finance une barbie est si anodin? N’avons-nous pas autre chose de mieux à faire avec notre argent – celui du précieux contribuable –

[ le délit · le mardi 1er octobre 2013 · delitfrancais.com

que de le dépenser pour faire des barbies? On nous répète constamment qu’on doit couper ici (financement de la recherche) et là (financement des médias nationaux) ou encore là (financement des parcs nationaux), mais de l’argent pour nos agents (miniatures), ça on en a en masse. Donc si vous voulez mon avis, ça change quelque chose. Outre le fait que nous voyons disparaître cet argent qui semble se faire si rare dans les coffres de l’État, il est, en plus de cela, utilisé de manière à renforcer la déformation de l’image de la femme contre laquelle on s’efforce autant que possible de mettre un frein. Alors je m’indigne. Juste un petit peu, juste un tout petit peu. Mais que voulezvous, quand mes yeux se sont arrêtés sur la section insolite du journal et y ont découvert une barbie coiffée du fameux chapeau Stetson, je n’ai pas pu m’empêcher de me demander si Miss GRC aurait survécu à une chute du deuxième étage. [

Romain Hainaut

Actualités

7


Société societe@delitfrancais.com

Musique et Société,

La musique, autrefois élitiste, hier contestatrice, est aujourd’hui e

Côme de Grandmaison Le Délit

8

L

e 18 août 1969, l’espace d’un instant, Jimi Hendrix électrisa le temps. En quelques notes, il fit de l’hymne américain celui d’une jeunesse révoltée. Sous la pluie de Woodstock, sa guitare devint le glaive de la contestation pour toute une génération qui n’acceptait plus les institutions et la société dans laquelle elle vivait. Michael Wadleigh, le réalisateur américain du documentaire sur le festival Woodstock, a déclaré, comme le rapporte le site internet today.com, qu’en entendant cela «des gens s’arrachaient littéralement les cheveux. […] [Ils] se prenaient la tête, si extatiques, si stupéfiés, si émus, et beaucoup […] retenaient leur souffle». Ces réactions si fortes, entraînant l’adhésion ou le rejet, ne laissent personne indifférent. Et c’est là le propre de la musique: c’est aujourd’hui une des formes d’art les plus universelles, une «pompe à gonfler l’âme» selon les mots de l’écrivain Milan Kundera, à laquelle nul n’échappe. Chacun y réagit, de manière plus ou moins volontaire et marquée. Mais il ne faut pas réduire ce rapport à une relation unilatérale. Si la société est en partie modelée par la musique, l’inverse est au moins aussi vrai. La musique est ainsi l’un des vecteurs d’expression les plus efficaces pour insuffler des changements à la société, mais aussi pour la raconter tout simplement, voire pour la divertir, selon l’époque. Des salons aux champs de batailles Jusqu’au siècle dernier, en Occident, la musique était un divertissement, réservé à une certaine élite servie par des compositeurs hors du commun. Ainsi Mozart était-il plébiscité par la cour de Vienne, non pas pour sa vision de la société, mais simplement pour son talent, sa capacité hors du commun à façonner des œuvres musicales. De même les opéras, bien qu’incluant un texte, n’avaient pas pour vocation de changer la société: il s’agissait avant tout de divertir les élites, puis la société toute entière avec la démocratisation de l’accès à la culture. Malgré cette neutralité, il est arrivé que de grands morceaux classiques soient récupérés pour servir des vues de la société particulièrement radicales: Wagner, pour qui «la musique commence là où s’arrête le pouvoir des mots», a contribué, à son insu, à accroître les effets de la propagande nazie et l’orchestration des discours du troisième Reich. Néanmoins, même avant l’arrivée du rock, certaines formes de musique furent conçues avec de réelles visées idéologiques, pour le peuple et par le peuple Ainsi, quand Rouget de l’Isle a composé l’hymne national français La Marseillaise en 1792, il a insufflé les valeurs de la révolution et une connotation nationaliste à ce chant. «Qu’un sang impur abreuve nos sillons» est une phrase extrêmement violente, mais qui, par le rythme et la musicalité qu’elle prend, a justifié les guerres antiallemandes en France. Un hymne va ainsi au-delà d’un discours,

[ le délit · le mardi 1er octobre 2013 · delitfrancais.com

car la musique dépasse les mots, parlant non pas à la raison mais au cœur. Pourquoi sinon y aurait-il des tambours sur les champs de batailles?

«Mes textes sont des toiles/ Qui dévoilent le mal-être des destins sans étoile.» L’engagement structure la musique Si la musique peut être sciemment utilisée par les dirigeants pour orienter la société dans une certaine direction, pour les rassembler, elle peut être également une arme révolutionnaire efficace: cela commence par une description de l’enfer que l’on vit, et continue par la proposition d’une alternative, ou bien par la simple volonté de détruire notre environnement et ses normes («Anarchy in the UK» des Sex Pistols, par exemple). Les différences se ressentent dans la mélodie et les instruments employés par les artistes. Alors que le folk privilégie voix et guitare acoustique, le punk mettra en avant des riffs (lignes mélodiques) gras et saturés, appuyés par une batterie énergique et un chant pour le moins déchaîné. De même le rap (rythme et poésie au sens originel du terme) fait la part belle à la révolte, notamment le rap dit «conscient» dont le chef de file francophone est le rappeur français Kery James: «Mes textes sont des toiles/ Qui dévoilent le mal être des destins sans étoile» («À l’ombre du show business»). Ici, la volonté affichée est de mettre en avant les petits, les sans-voix, et de réformer une société injuste et inégale. Il y a donc une certaine ligne de conduite, un «plan». Dans le folk, genre hérité de la musique traditionnelle américaine et symbolique du mouvement hippie, les artistes livrent également leur vision des travers de la société: dans «Master of War», tirée de The freewheelin’ Bob Dylan, Bob Dylan (qui réfutera plus tard son étiquette de chanteur engagé) s’insurge contre les vendeurs d’armes, qui profitent de l’atmosphère belliqueuse créée par la guerre froide pour faire des bénéfices: «Vous n’avez jamais rien fait d’autre/Que construire pour détruire». Le pacifisme est au centre de ce mouvement dans les années 1960, mais d’autres thèmes comme l’amitié, l’amour, la quête d’une identité individuelle et collective transparaissent également dans les textes de Dylan, Leonard Cohen, Neil Young et d’autres. Ce n’est pas forcément le cas dans la mouvance punk, portée par les Sex Pistols ou les Ramones, héritière des contestataires du rock. Ces derniers sont en opposition flagrante avec la société, mais ne cherchent pas à la réformer, simplement à l’abolir. Cela se ressent dans les paroles: dans Poison Heart, les Ramones expriment leur «Envie de quitter ce monde/Car tout le monde a le cœur empoisonné».

Vivre ce que l’on chante De ces styles musicaux ayant émergé et culminé au siècle dernier, il faut retenir que leur engagement, leurs protestations et leur attitude allaient plus loin que la musique. Il ne s’agissait pas pour les artistes d’exprimer leurs idées dans un disque puis de retourner à l’anonymat du studio. À l’image des esclaves américains chantant leur gospel, il s’agissait de chanter pour vivre ses idées. Cela a permis de créer un véritable cou-

rant au sein de la société: c’est la musique qui a mené et soutenu les contestations pacifiques dans les années 1960, Dylan et Joan Baez en tête. Dylan, pour l’exemple encore, a chanté «Blowin’ in the wind», une de ses chansons les plus emblématiques et intemporelles, le jour de la «Marche sur Washington» de Martin Luther King. Le mouvement des droits civils et le folk ne faisaient alors qu’un. Joan Baez (qui fut un temps la compagne de Dylan) a même écrit l’hymne officieux de ce mouvement, «We shall overcome», dans lequel la solidarité et l’envie de vaincre qui


des destins croisés

en passe de devenir un divertissement sans prétention idéologique

habitaient les contestataires sont mises en musique. Les musiciens engagés de cette époque sont encore aujourd’hui les plus respectés et ceux dont l’influence rayonne. Ainsi, en 2009, Joan Baez a chanté «We shall overcome» devant Vaclav Havel, l’ancien président tchèque connu pour son engagement en faveur de la démocratie et des droits humains. Ces artistes ont donc fait résonner l’écho de leurs inquiétudes et de leurs doutes dans le

Romain Hainaut

cœur de toute une génération, et continuent aujourd’hui de nous influencer tant par leur musique que par leur vie.

«La musique exprime ce qui ne peut être dit et ce sur quoi il est impossible de rester silencieux.» L’engagement se marginalise Aujourd’hui, le folk est un genre moins populaire. Les courants dominants, «mains-

tream», sont actuellement la pop, la musique électronique et le hip-hop. Ils obéissent à une logique plus consensuelle, bien que les bornes soient parfois franchies, notamment dans le hip-hop qui se veut, quand il ne fait pas l’éloge de l’argent facile («Bling bling»), le moyen pour les minorités et les opprimés d’exprimer leurs aspirations: «Tu sais très bien qui tu es/Ne les laisse pas te retenir, vise les étoiles» clame Notorious BIG dans «Juicy». Le hip-hop est aujourd’hui le principal courant cherchant à faire passer un message au sein de ses textes: Eminem, les rappeurs «conscients» en France - comme Kery James ou Youssoupha - cherchent à attirer l’attention sur les exclus de la société… Ils cherchent, à l’image des chanteurs contestataires, à montrer que le monde va dans une impasse, et s’oublie. À leurs côtés, on peut ranger un certain nombre de chanteurs engagés, certes moins populaires aujourd’hui, mais tout de même respectés et écoutés par un large public: Noir Désir, critiquant «L’homme pressé» à la recherche de «profits immédiats», les Cow Boys Fringants, groupe engagé contre «Ces nouveaux dieux ne reculant devant rien/ […] Et prêts à tout pour arriver à leurs fins» («Plus Rien»). Ainsi la chanson qui dénonce et raconte la société n’est pas morte, seulement souffrante, et toujours fidèle à la phrase de Victor Hugo: «La musique exprime ce qui ne peut être dit et ce sur quoi il est impossible de rester silencieux». Du drapeau noir au roi dollar D’un autre côté la pop, héritière des Beatles, n’opte pas pour une posture «anti-establishment». Elle préfère se placer dans des canons acceptés et plébiscités par le public, pour mieux lui plaire. La musique est dans ce cas de figure un divertissement pur, sans aucune prétention idéologique. Elle ressemble de plus en plus à un produit culturel et de moins en moins à un outil vecteur d’idéaux et de changements. Aujourd’hui, la pop va beaucoup plus loin que ses prédécesseurs puisqu’elle dépasse le cadre de la musique et est un véritable marché se répandant dans le monde entier. La musique pop et la «culture pop» sont intrinsèquement liées. Les artistes deviennent des hommes d’affaire, pour toucher un public toujours plus large. Le français David Guetta, figure emblématique de la «culture pop», n’est pas seulement DJ et producteur: il gère une société, Guetta events, dont le chiffre d’affaire en 2011 était de 5,584 millions d’euros d’après le site societe.com. La musique est donc de plus en plus professionnelle, et n’a plus le même impact sur la société. Elle cherche d’abord à rassembler. Comme le chante Cindy Lauper: «Girls they just wanna have fun». Pourquoi tenter de faire passer un message contestataire, clivant? Cela ne plairait pas, et donc ne se vendrait pas.

Cependant, il arrive que des artistes fassent dans le sensationnel, voire dans l’indécent, faisant ainsi mentir l’étiquette «consensuelle» que l’on aurait a priori apposée sur leur musique: Lady Gaga ou, tout récemment, Miley Cyrus, en sont de parfaits exemples. Mais cet anticonformisme est en fait partie prenante de la «pop culture», et participe à l’augmentation des ventes: avec des outils tels qu’Internet et la capacité démesurée à réagir dont font preuve les fans, ces coups d’éclats sont rentables, et ne choquent pas vraiment en profondeur. Bien loin des émois, bien réels cette fois-ci, suscités par Elvis Presley à ses débuts.

«Qui pourrait parler des valeurs défendues par Daft Punk? Ou scander les paroles de Steve Aoki dans un rassemblement pacifiste?» L’électro, symbole d’égoïsme Plus récemment encore, la musique électronique a explosé sur Internet et dans le cœur des jeunes: Skrillex, Bakermat, et d’autres artistes flirtant à la fois avec l’«underground» et le «mainstream» sont les nouvelles idoles de la génération Y. Ce style n’a aucune volonté de transformer ce qui est, ni de le raconter. Les DJs et producteurs sont seulement les orchestrateurs de soirées dans lesquelles la jeunesse s’oublie, et, selon elle, se vit. Qui pourrait parler des valeurs défendues par Daft Punk? Ou scander les paroles de Steve Aoki dans un rassemblement pacifiste? Personne, car ce n’est pas le but de cette musique, qui se partage et se télécharge. Elle préfère défendre un mode de vie basé sur la fête, un certain style vestimentaire et certains comportements. Aujourd’hui la société est plus que jamais influencée par la musique, constamment exposée à celle-ci via Internet, la télévision ou la radio, mais elle ne l’analyse plus à travers un prisme critique (en tout cas pour ce qui est de la musique populaire). Une large majorité des gens adhèrent à la «culture pop» non pas pour ses idées mais pour son accessibilité et sa capacité à rassembler. En témoignent la lutte pour obtenir une place au festival de musique électronique «Tomorrowland», organisé en Belgique. La musique évolue donc dans le sens de la société, en ne se donnant plus un rôle politique ou idéologique dans la grande majorité des cas, mais en cherchant toujours plus à faire oublier les tracas de l’existence. Si, comme le disait Baudelaire, «la musique crève le ciel», alors celui-ci est aujourd’hui plus étroit. [

Société

9


OPINION

Apple, à bout de souffle Mélanie Seibert

L

e 11 septembre dernier, l'animateur de télévision américain Jimmy Kimmel, créateur et animateur du Jimmy Kimmel Live! sur la chaine ABC, diffusait une vidéo dans laquelle il proposait à des passants de tester le nouvel iPhone 5S, puis de donner leur opinion par rapport à l'ancienne version du produit. Mais l'appareil qu’on mettait entre leurs mains était en fait l'iPad mini, sorti en novembre 2012. Outre le caractère résolument comique de la farce (une jeune femme étant allée jusqu'à lécher l'appareil quand la journaliste lui a affirmé qu'il avait le goût de vanille et de chocolat), cette vidéo nous amène a nous demander si la réussite commerciale du dernier-né de la gamme iPhone sera a la hauteur de ses prédécesseurs. Un manque de renouveau En 2007 sortait l’iPhone. Impressionnés par ses fonctionnalités inédites, sa fluidité, et la facilité d’utilisation de l’appareil, des millions d'utilisateurs ont été conquis par le téléphone intelligent d'Apple. Si le premier iPhone était un appareil extraordinaire, voire révolutionnaire, on ne peut pas en dire autant de l'iPhone 5S. Chaque fois qu'un nouvel iPhone a été mis sur le

marché, Apple lui apportait un minimum d'innovations: changement d'interface, possibilité de faire des vidéos, accès a l'Apple Store, contrôle vocal, caméra frontale, écran Retina... Mais, désormais, à part un écran plus grand, une meilleure optique, un moteur de vibration amélioré et un design plus fin, le dernier iPhone n'a plus rien de novateur. La marque créée par Steve Jobs semble maintenant se concentrer sur l'amélioration de l’aspect esthétique de l'iPhone plutôt que sur ses fonctionnalités. Apple commence à perdre sa réputation de fabricant révolutionnaire: les possibilités d’amélioration de son produit phare semblent épuisées. Des prix prohibitifs Apple est aussi victime de son image. Malgré une identité visuelle qui se veut casual et simple, l’image d’Apple n'est pas celle d'une marque «bon marché». Apple a toujours été plus cher que ses concurrents. En effet, tandis que les autres constructeurs sortent une grande variété de modèles différents, Apple fait figure d'exception: peu d’appareils, mais tous de qualité. Et cette qualité a un coût qui deviendrait presque prohibitif. Les prix ne cessent de grimper. À chaque modèle, la somme à débourser augmente. Le prix de l'iPhone 5S

s'élève à 719 dollars pour un modèle 16Go. Même les anciens modèles iPhone d’occasion restent plus chers que certains téléphones intelligents neufs des marques concurrentes. Cependant, la volonté de toucher d’autres marchés se fait de plus en plus ressentir et l’iPhone 5C, version low cost du 5S coûtant 100 dollars de moins, devrait permettre aux mécontents de profiter tout de même du nouvel iPhone mais à un moindre coup. Néanmoins, perdre l’aura «luxueuse» propre à ce produit ne plaira pas aux consommateurs de la première heure, qui désirent conserver une sorte d’élitisme. Un système restrictif En plus de devoir mettre la main au porte-monnaie pour pouvoir s'offrir les services de l'iPhone, il est indéniable que les utilisateurs des produits Apple sont cloisonnés par la marque. Là où le principal concurrent de la marque à la pomme, Android, propose un système que l'on peut qualifier «d'ouvert», iOS et les conditions d'accès à l'AppStore sont très restrictives. Comme le souligne Pascal Grandmaison du Figaro: «Apple ne vend pas seulement un produit mais un mode de vie». Une véritable «communauté» s'est constituée autour des produits Apple: ses

membres se procurent téléphones, ordinateurs et baladeurs MP3 dans les Apple Store (ou les appareils sont vendus en exclusivité), ils achètent applications et logiciels pour Macbook et iPhone sur l'AppStore, acquièrent leur musique sur l'iTunes Store, et l'écoutent avec iTunes. Grâce à toutes ces contraintes, Apple s'offre la possibilité de maîtriser plusieurs dimensions de l'économie des nouvelles technologies, et d'empocher les revenus qui vont avec. Un déclin prochain? Pas besoin d'être féru des produits Apple pour constater que l'écart entre les sorties des nouveaux iPhones s'amenuise depuis quelques temps. Inutile de rappeler que l'iPhone 5 est sorti en septembre 2012, soit il y a seulement un an. Serait-ce un moyen d'accaparer l’attention d'un consommateur désireux de toujours posséder le dernier iPhone en date, oubliant ainsi la fonction première du téléphone (communiquer, être connecté), l’absence de réelles nouveautés, les prix qui grimpent et le monde restrictif d'Apple? À l'heure où les premières rumeurs sur l'iPhone 6 commencent à enfler, et malgré le fait que le succès soit toujours au rendezvous, les perspectives futures de la gamme iPhone commencent à devenir floues. [

CHRONIQUE

Au-delà de l’hypersexualisation

Aurélie Lanctôt | Les genres en question

LA SEMAINE DERNIÈRE, L’ÉCONOMISTE IANNICK Marcil, le médecin Alain Vadeboncoeur et la militante féministe Léa Clermont-Dion ont lancé une pétition pour inciter le gouvernement Marois à interdire la venue au Québec des concours de beauté style «mini-Miss». Plus tôt au mois de septembre, un journaliste de L’Écho de Laval nous apprenait en effet que l’organisme britanno-colombien National Canadian Girl (NCG) avait annoncé la tenue en novembre d’un gala mini-Miss, à Laval. En moins de quarante-huit heures, la pétition anti mini-Miss a récolté plus de 35 000 signatures. Sur les réseaux sociaux, elle s’est répandue comme une traînée de poudre, suscitant des réactions quasi-unanimes: des concours de beauté encourageant le culte de la superficialité chez les jeunes filles, pas chez nous!

10 Société

Questionnées sur la nature de leur événement, les porte-paroles de NCG affirment cependant que la compétition, qui s’adresse aux jeunes filles de 0 à 19 ans, n’a rien d’un «concours de beauté» au sens strict. Il s’agirait plutôt d’un concours de «personnalité» et de «talent». La preuve, le maquillage y est proscrit, et toutes les participantes âgées de plus de 4 ans doivent prononcer un discours sur scène, à partir duquel on évalue leur éloquence, leur élégance et leur capacité à faire «bonne impression». Rien à voir avec l’hyper-sexualisation, l’objectification précoce des jeunes filles et tous les autres stéréotypes qu’on attribue généralement aux concours de beauté. Je réprime difficilement un roulement d’yeux ici. D’abord, soyons clairs: peu importe la vertu dont les concours de Miss se bardent, ils demeurent des promoteurs d’une image aliénée et débilitante de la «féminité idéale». Je dirais même que le pire avec les concours de Miss, c’est qu’ils ont l’imposture de prétendre rechercher des femmes dont la «personnalité» égale, voire surpasse, la beauté. «Avant tout», une tête forte, dirat-on. Accessoirement vissée sur un corps bien entretenu. Mais quel genre de «personnalité» entend-t-on, au juste? Comme l’explique NCG sur son site web, les compétitions sont avant tout axées sur la prestance, l’élégance et l’aptitude à parler en public, ainsi que sur la promotion de certaines valeurs [évidemment] nobles comme la confiance, l’estime de soi, la charité ou l’esprit sportif. Des «belles valeurs» que toute femme «bien ordonnée» doit chérir et promouvoir. Disons-le, c’est en fait concevoir «la femme idéale» comme potiche inoffensive et divertissante. Ces concours alimentent une notion de la féminité idéale qui semble figée dans les années 1950. La femme premium

se devra donc d’être belle, bien mise, dédiée, consciencieuse, élégante, performante, pro-active, charmeuse, consensuelle… et on pourrait aussi ajouter, en note de bas de page, cisgenre, hétérosexuelle, «d’apparence saine» et habile sur des talons de 8 pouces. La seule différence avec le modèle de la ménagère idéale de la première moitié du siècle dernier, c’est qu’on valorise ici son ambition professionnelle. Après tout, la femme contemporaine bien en ordre doit savoir se conformer aussi aux contingences du marché de l’emploi! N’est-ce pas? Or, ce profil ne correspond au fond à rien d’autre qu’à celui de la femme telle que le marché de consommation la conçoit. Lisse et sans altérités. Surtout, ne pas faire de vagues. Et pour toutes celles dont la beauté puise sa source dans les marges, eh bien tant pis. Comme si la féminité, la vraie, devait s’inscrire à l’intérieur du cadre qu’on veut bien lui allouer. Et puis il y a aussi ce fichu double standard. Celui avec lequel les femmes doivent encore conjuguer à ce jour, à peu près partout où elles passent, et qui constitue la pierre angulaire de tous les concours de beauté. Ce double standard qui prescrit qu’il ne suffit pas d’être compétente, intéressante et «engagée». Il faut aussi être jolie; jolie comme la culture de masse nous le dicte, bien sûr. La beauté n’est donc peut-être pas le critère ultime du concours, ni la clé pour accéder au titre convoité, mais elle demeure néanmoins une contingence implicite; une barrière à l’entrée non négociable. Il faut d’abord que la femme ou la fillette soit conforme à certains critères esthétiques pour qu’on daigne ensuite considérer son caractère.

À preuve, voit-on défiler sur les podiums de ces concours beaucoup de femmes dont la personnalité est remarquable, mais qui sont plutôt rondes, queer ou encore qui souffrent d’un handicap physique quelconque, par exemple? Non. Bien sûr que non. Au registre de la diversité corporelle, on pourrait difficilement imaginer des échantillons plus homogènes. Quant à l’éloquence, disons qu’on se contente de très, très peu. Niveau «ras-lespâquerettes» en terme d’intellection, et je doute qu’on puisse trouver une exception à la règle. Juste le fait de prendre sciemment part à un beauty pageant révèle à mon avis un discernement assez moyen. Parce qu’il faut être franchement inconscient pour participer à une mascarade aussi rétrograde. Pour en revenir à la version «mini» des concours de Miss, il est donc à se demander si, au-delà de la tyrannie de l’apparence et de l’hyper-sexualisation, c’est la conception de la féminité qu’on veut transmettre aux jeunes filles. Car bien que ces concours prétendent promouvoir la force de caractère, l’engagement et la compétence, ils se collent en fait à une définition terriblement exclusive et antiféministe de «ce que devrait être une femme». Or, à mon sens, ce qu’on devait enseigner aux fillettes, c’est plutôt que la féminité «idéale», moyennant qu’elle existe, n’est pas faite pour être contemplée ou applaudie. Elle ne s’évalue pas sur une scène, pas plus qu’elle ne «s’émule». Elle n’est pas complaisante, lustrée ou strictement élégante. Elle ne rentre pas toujours dans une robe à paillette. Elle est mouvante, éclatée et complexe. Parfois rageuse, toujours forte et courageuse. Et surtout, elle n’a pas besoin de diadème pour s’affirmer. Elle peut légitimement se contenter d’être vécue. Un point, c’est tout. [

[ le délit · le mardi 1er octobre 2013· delitfrancais.com


Sylvain Sabatié

Arts&Culture artsculture@delitfrancais.com

THÉÂTRE

Zone intemporelle Marcel Dubé présente Zone au Théâtre Denise-Pelletier. Léa Bégis

«

Plus ça change, plus c’est pareil». Ce dicton galvaudé illustre parfaitement la mise en scène de Zone par Jean Stéphane Roy. Le Théâtre DenisePelletier, qui fête cette année ses cinquante ans, inaugure sa nouvelle saison avec cette pièce de Marcel Dubé, déjà montée cinq fois au Denise-Pelletier depuis sa création; le tout sans qu’on puisse y percevoir la moindre ride. L’histoire de cette bande de cinq horsla-loi de 16 à 21 ans, travailleurs de jour et contrebandiers de cigarettes le soir, est revue de façon tout à fait actuelle par Jean Stéphane Roy. La mise en scène place le texte du grand dramaturge montréalais dans un contexte éminemment contemporain, notamment en ce qui concerne le décor. En effet, le vieux hangar traditionnel est transformé en pont métallique, pensé sur le modèle du pont de Brooklyn. «J’ai eu l’idée de placer mes personnages sous un pont, là où l’on retrouve des gangs de

rue et des sans-abri», raconte le metteur en scène. Ainsi, la scénographie place Zone dans un décor urbain auquel le spectateur contemporain peut facilement s’identifier. Il en est de même pour les costumes; tous dans des tons plutôt sombres, ils pourraient être facilement revêtus par des adolescents d’aujourd’hui. Cet aspect chargé peut faire référence à la période de grande noirceur politique et économique traversée par le Québec au moment de la création de la pièce dans les années cinquante. En effet, le peu d’éclairage et les couleurs lugubres du décor et des costumes viennent symboliser «les espoirs déchus» des personnages, selon les dires de Louise Bourbonnais, collaboratrice spéciale au Journal de Montréal. La musique, quant à elle, est peu présente, utilisée seulement pour marquer la transition entre deux actes. Si cette musique s’insère dans le caractère contemporain de la mise en scène, elle casse toutefois l’atmosphère de la pièce et détonne avec sa sonorité héroïque et retentissante.

Un élément de la mise en scène frappe d’emblée le spectateur attaché au «traditionalisme» de la pièce: le manque de dynamisme. Les personnages sont presque tout le temps assis sur des chaises au milieu de la scène ou sur la structure métallique. Ils auraient pu jouer debout pour dynamiser davantage l’action. Le détective, sur une chaise en arrière-scène côté jardin, aurait pu également faire preuve de plus de mobilité. Car bien que caché dans l’ombre, donc n’attirant pas l’attention, il peut à la longue détourner de l’action principale le regard du spectateur. Les personnages sont incarnés de façon très juste, conformément aux descriptions faites par Maximilien Laroche dans les notes préliminaires de l’édition de 1968 de Zone (Éditions Leméac, collection «Théâtre Canadien»). Le détective tranche néanmoins avec le reste des comédiens, par son attitude qui rappelle celle d’un personnage de film hollywoodien qui frôle parfois la caricature. Le personnage de Moineau, joué comme un handicapé

intellectuel dans la mise en scène de Roy, est aussi en décalage avec les autres, mais vient ajouter un côté mélodramatique à la pièce avec ses mimiques et son harmonica dont il joue dans les situations les plus tragiques, notamment lors de la mort de Tarzan. Les duos d’amour entre Tarzan et Ciboulette sont forts en intensité émotive, ce qui prouve très bien les dires du metteur en scène: «C’est principalement la force émotive que l’on retrouve dans cette pièce qui séduira le spectateur». Et on ne peut s’empêcher d’être séduit par ces jeunes qui nous font penser, par leur ténacité et leur naïveté, à notre propre adolescence. Soixante ans plus tard, c’est la même zone. [ Zone Qui: jean Stéphane Roy Quand: Jusqu’au 18 octobre Où: Théâtre Denise-Pelletier

THÉÂTRE

Une douce éviscération Quand l’infidélité s’immisce dans le couple parfait. Anabel Cossette Civitella Le Délit

Anabel Cossette Civitella

L

e titre peut être trompeur pour ceux qui recherchent l’horreur et le carnage. La pièce Éviscérer, écrite par Jocelyn Roy, n’est pas aussi sanglante et dure que l’image qu’évoque son titre. «On ne voulait pas faire du Dave Saint-Pierre, avec des «tous-nus» et du sang», signale d’ailleurs Monsieur Roy, qui se dévoue au théâtre depuis 2001. Dans cette pièce à la trame dramatique, on explore la dérive d’un couple «parfait» (appellation certifiée par les amis des deux protagonistes) qui s’entre-déchirent tandisque l’homme eut non seulement trompé la femme, mais le lui eut avoué. Bête idée qu’il a eu de craquer face aux avances d’une stagiaire du bureau où il travaille, une petite coquine qui lui tournait autour depuis quelques temps déjà. Après une soirée bien arrosée, ce qui devait arriver arriva. Zack (Karl Farah) ne sait pas vraiment pourquoi, mais il fait «comme tous les gars qui trompent leur blonde» et décide de suivre la jeune stagiaire affriolante dans son appartement. Une niaiserie qui va tout foutre en l’air dans la vie de Zack, qui n’en dort plus. Comme si c’était une scène de crime, il se souvient précisément de l’heure à laquelle il est entré et celle à laquelle il est sorti de chez

la fille pour qui il n’a, d’ailleurs, aucun sentiment. «Ma vie décâlissée pour 24 minutes», confie-t-il à son ami Franck. Une semaine à se morfondre, à ruminer, suffit pour le décider: il avoue finalement sa faute à Ariane (Isabelle Giroux). De toute façon, ce n’est qu’une niaiserie, une baise d’un soir sans importance. Mais Ariane ne le digère pas. «Ce n’est pas que tu as couché avec une autre fille, le problème. C’est le fait que tu es trop lâche pour me l’avoir caché», lui lance-t-elle, brisée. Zack aussi est brisé. Et, avec eux, le couple est brisé. L’auteur Jocelyn Roy avait tout d’abord construit sa pièce sur une longue ligne continue, avec des décors et tous les éléments théâtraux habituels. Après des mois d’écriture et de relectures, il en est arrivé à une

[le délit · le mardi 1er octobre 2013 · delitfrancais.com

version épurée côté décors et plus complexe au niveau de la trame narrative. Du très bon travail, surtout grâce à la scénographie minimaliste qui donne à une baignoire (campée au centre de la petite scène de la salle La Balustrade, dont la capacité maximale n’excède pas 50 personnes) le rôle de table de cuisine, table de billard et de divan. Au chapitre des bonnes idées, il y a aussi les personnages des deux amis, qui conseillent et commentent le gâchis du couple. L’ami de Zack s’appelle Franck (Joseph Martin) et incarne le gros-macho-drôle-mais-paspropre-qui-traite-les-femmes-comme-desobjets. L’amie d’Ariane, Geneviève (Isabelle Bossé), joue l’excentrique qui roule les yeux et qui admet avoir consommé pas moins de 200 mâles. Tous deux ne sont évidemment

pas les meilleurs conseillers, mais font office de confidents fidèles et leurs commentaires détendent une atmosphère empoisonnée par le thème de l’infidélité. Assurément, traiter d’un sujet millénaire comme la tromperie n’est pas une mince affaire car les clichés y font surface à tout moment. Jocelyn Roy n’excelle pas plus qu’un autre en la matière, certains passages et dialogues sont empreints de lieux communs. Mais peut-être est-ce cela que l’amour et la trahison: chaque couple pense qu’il refait l’histoire alors que c’est chaque fois la même chose. L’auteur réussit, en tous cas, à faire monter la tension dans la salle de manière à piéger l’auditoire. Adressée à la foule, une phrase comme «Qui ici n’a jamais trompé son chum ou sa blonde?» plonge même les plus irréprochables dans une litanie de questionnements sur ce que signifient les malströms du sexe, de l’infidélité et de l’amour. Doit-on en conclure que la fidélité est impossible? Peut-être. La fin ouverte d’Éviscérer nous laisse ici le bénéfice du doute; l’essentiel réside dans le fait de poser la question. [ Éviscérer Qui: Jocelyn Roy Quand: Jusqu’au 2 octobre Où: Monument national

Arts & Culture

11


MUSIQUE

De l’ouest à l’est américain Les Local Natives en concert au Métropolis pour le festival POP Montréal.

Susan Moss

Thomas Simonneau Le Délit

G

énéralement reconnu comme un groupe qui sait faire bouger les foules, les Local Natives se sont produits en spectacle vendredi dernier dans la majestueuse salle du Métropolis située sur la rue Sainte-Catherine. Leurs mélodies rock’n’roll séduisent depuis déjà cinq ans la jeunesse nord-américaine et un passage dans la métropole québécoise semblait incontournable. Comme l’a souligné Taylor Rice, chanteur et guitariste rythmique, au début du concert: «Ça fait maintenant quatre ans qu’on rêve de faire un concert ici et POP Montréal nous en a donné la possibilité. Je suis vraiment très content d’être parmi vous, je vous aime!» Une entrée en matière placée sous le signe de l’émotion et de l’amour entre un

groupe californien et ses fans qui en ravirent plus d’un, mais surtout d’une, dans la pièce. Suite à une première partie réussie des Wild Nothings, le public, impatient, trépigne en attendant l’arrivée des Natives pour les intimes - sur scène. Cette dernière, agrémentée par un joli jeu de lumière, ne présage que du bon, tout comme les clameurs de la foule venue accueillir les artistes. Une ambiance bon enfant couplée à un décor authentique tout droit sorti des années folles accompagnent bien le style de musique du groupe qui vacille entre rock indie, afropop et folk. Le public est rapidement conquis, les basses grésillent et les bières se vident. Sur le plan musical, une grande technicité se dégage, notamment grâce au talent du batteur Matt Frazier et sa rythmique impeccable. Du côté artistique, les musiciens

semblent inspirés, motivés et confiants. Au niveau de la fosse, quelques pas de danse se matérialisent et les paroles du chanteur se lisent aisément sur les lèvres des spectateurs. La performance évolue en un mélange mélodique et romantique, parfois légèrement enfantin, qui paraît cependant être la marque de fabrique du groupe. Un joli panorama se dessine tout de même en ce début de spectacle, malheureusement gâché de temps à autre par les innombrables téléphones intlligents venus retranscrire l’événement en direct sur Instagram et Cie. Après deux heures consécutives parsemées par leurs morceaux les plus populaires tels que «Breaker», «Who knows who care» ou encore «Ceiling», les Natives quittent la scène sous un tonnerre d’applaudissements. En sortant du bâtiment, on distingue quelques bâillements mais beaucoup de sourires. Les uns refont le concert,

d’autres fument paisiblement et l’on en surprend une poignée qui se plaint d’avoir mal aux oreilles. C’est vrai que c’était fort. Malgré le volume sonore, on retient principalement la belle performance artistique et technique du quintette. Un des membres du comité organisateur de POP Montréal décrit même son expérience comme «un festival de sensations auditives. C’était vraiment du bon travail, on est vraiment content». «La musique met l’âme en harmonie avec tout ce qui existe», disait Oscar Wilde. C’est probablement dans cette optique que le groupe est venu à Montréal. Harmonieux sur le plan musical et en harmonie avec son public, les Local Natives ont répondu à l’appel; et aux rappels d’une foule enthousiaste. Il semblerait que les californiens reviendront, et ce, rapidement. Enfin, on l’espère. [

CINÉMA

Emad et nous: la rentrée de Cinema Politica Cinéma et politique, le mariage du siècle? Clémentine Kœnig

M

ercredi dernier, Cinema Politica faisait sa rentrée à McGill devant une salle pleine à craquer. Pour l’occasion, les organisateurs avaient choisi le documentaire israélo-palestinien Cinq Caméras Brisées. Le documentaire, prisé aux derniers Oscars, se forge autour des images qu’a filmées Emad Burnat sur ses caméscopes entre 2005 et 2008. Le pop-corn sillonne entre les rangs, mais les regards sont captivés par le récit d’Emad. Cela pourrait être les images banales d’un père de famille tentant de capturer sur pellicule les premiers pas de son fils, le regard de sa femme, la vie quotidienne de son village. Mais c’est bien plus: en 2005, le gouvernement israélien décide d’ériger une barrière en plein milieu du village palestinien d’Emad. Les habitants se retrouvent séparés de leurs champs d’oliviers, une des principales ressources économiques du village. La vie d’Emad et de ses amis est chamboulée: manifestations, arrestations, altercations violentes avec l’armée. Emad et ses amis, armés de pancartes, font face aux soldats israéliens, qui n’hésitent pas une seconde avant de lancer des grenades de gaz lacrymogène dans la foule.

12

Arts & Culture

C’est au cours de telles manifestations que les caméras d’Emad, visées par l’armée, se brisent une à une. On lui fait rapidement comprendre qu’une caméra, ici et maintenant, c’est dangereux. Alors les images brouillées, le son grésillant, deviennent le reflet du dialogue impossible entre Israël et la Palestine. À qui la faute? Emad ne revendique à aucun moment une quelconque haine contre Israël. En mettant les films des cinq

caméras bout à bout, on recolle les morceaux. C’est un documentaire plein d’espoir que nous offre le réalisateur: le regard bourré de tendresse qu’Emad pose sur ses fils; ses conversations à mi-voix avec sa femme, qui tente de le dissuader de filmer les manifestations; l’admiration qu’il a pour ses amis. Il y a de l’humain dans les images d’Emad. En septembre 2013, l’association fête ses 10 années d’existence. Cinema Politica a Clémentine Kœnig

été inauguré à Montréal en 2003. Au fil des années, le succès du concept s’est propagé dans beaucoup de villes d’Amérique du Nord, en Europe, en Indonésie, en Australie et en Nouvelle-Zélande; la plupart des antennes sont basées dans des universités. Le mot d’ordre de l’association: réflexion. Le but premier est d’offrir une alternative aux messages pré-mâchés des médias; inciter à la discussion; encourager des débats sur des thèmes nouveaux. C’est donc un regard jeune, curieux et volontaire que Cinema Politica pose sur le monde… et ça marche: Cinq Caméras Brisées a suscité une longue discussion, animée par l’équipe de l’association. On y a parlé de l’avenir des enfants d’Emad. On s’est demandé ce que nous, ici, on pouvait faire pour eux, là-bas. Un élève palestinien a expliqué sa vision des choses, et souligné l’importance d’avoir une multitude de points de vue avant de se faire une opinion. D’une certaine manière, c’est rassurant de voir que les étudiants de McGill ont quelque chose à dire. La semaine prochaine, Cinema Politica se tourne vers l’art contemporain: on aura l’occasion de voir Faites le mur!, réalisé par le mystérieux artiste Banksy. Rendez-vous mercredi à 18 heures devant la salle ARTS 145. [

[ le délit · le mardi 1er octobre 2013 · delitfrancais.com


EXPOSITION

Le Québec d’«Yesterday»

Retour sur le passage des Beatles à Montréal présenté au Musée d’archéologie et d’histoire. Daisy de Montjoye

L

es Beatles, probablement un des groupes les plus mythiques de tous les temps, ne se sont produits qu’une seule fois à Montréal: le 8 septembre 1964. Aujourd’hui, presque 50 ans plus tard, le Musée d’archéologie et d’histoire de Montréal à Pointe-à-Callières commémore ces brèves 12 heures qui ont marqué l’histoire du rock’n’roll au Québec. Sur les pas des Beatles L’exposition s’étend sur deux étages. Pas à pas, on suit le parcours des Beatles depuis la création du groupe à la fin des années 1950. Dans un environnement immersif et sombre, on distingue des clips et vidéos du groupe, accompagnés de chronologies qui expliquent leurs débuts difficiles et leurs premiers succès en 1963, notamment grâce à leur album «Please Please Me». Tout autour de la salle, on trouve une collection impressionnante de guitares ayant appartenu à John, Paul et George. Une se démarque particulièrement: la Rosewood Fender Telecaster, faite de palissandre en 1968, spécialement pour Georges Harrison, qui l’utilisa pour l’enregistrement de leur dernier album «Let It Be», ainsi que pour leur dernière performance sur le toit du studio Apple à Londres. Au fond de la salle se trouve la spectaculaire Rolls Royce de John Lennon, importée spécialement pour l’exposition du Royal BC Museum à Victoria, qui at-

tire l’attention des visiteurs. Achetée en 1965 par le chanteur et guitariste, il avait fait repeindre la carrosserie dans un style inspiré d’une «Gypsy Caravan». L’effet est vraiment splendide et unique; on comprend bien pourquoi elle fut vendue

«Ils arriiiiivent» Pour la deuxième partie de l’expo, il faut monter à l’étage. Là, on découvre une reconstitution, élaboré à la minute près, de leur bref passage à Montréal pendant leur première tournée nord-américaine. En

Daisy de Montjoye

pour près de 2 200 000$ aux enchères de Sotheby’s. Pour ceux qui ont toujours rêvé de jouer avec les Beatles, leurs rêves se réalisent (presque) grâce à un karaoké permettant de chanter les premiers tubes des Beatles.

même temps, on nous informe du contexte historique québécois de l’époque. En plein dans la Révolution Tranquille, le Québec rattrape le monde moderne à pas de géants, tandis que les jeunes font de la musique leur moyen d’affirmation et d’expression

favori. Cependant, malgré leur succès au Québec, les fans présents sont majoritairement des filles anglophones, venues de toutes les provinces canadiennes. Les Beatles se sont produits deux fois, à 16h et à 20h30, le soir du 8 septembre au Forum de Montréal sur la rue Sainte Catherine. Leurs shows ne durent que 30 minutes chacun, et, évidemment, on n’entend absolument rien au-dessus des cris stridents féminins. On découvre également les statistiques concernant les conséquences du «phénomène Beatles». On comprend rapidement pourquoi ils ont arrêté leur performance live, avec «12 jeunes filles traitées pour hystéries, coupures ou ecchymoses, un policier pour morsure au pouce». Une salle cylindrique projette plusieurs angles de la performance. On n’entend pas vraiment la musique, mais le petit «Bonsoir» tenté par Paul McCartney au micro à la fin du show fait néanmoins effet sur l’audience. De toute façon, elles l’ont toutes dit clairement, elles sont là pour les voir, pas pour les écouter. Enfin, pour finir, on découvre l’impact des Beatles sur la scène musicale québécoise. On entend la version française de «Penny Lane» par Les Sinners, aves des paroles françaises qui remplacent la voix de McCartney. Une exposition sympathique, qui montre bien le contexte du Québec des années 1960 en lien avec la génération baby-boomers. On se remémore à chaque pas comment les Beatles ont tant marqué l’histoire du rock’n’roll et de la musique. [

CAMPUS

Prokofiev familial La série de concerts «Sons & Brioches» revisite Pierre et le loup. Baptiste Rinner Le Délit

«

Écoutez bien. Voici l’histoire de Pierre et le loup, une histoire pas comme les autres. Une histoire qui vous sera contée en musique et par les instruments de l’orchestre.» L’incipit du conte de Prokofiev résonne encore dans nos oreilles d’enfants, lu par Gérard Philippe, dans la première version de Pierre et le loup en lecture enregistrée. Première d’une longue série où du beau monde se côtoie: de Fernandel à Jacques Brel, en passant par David Bowie, Charles Aznavour ou encore le grand Michel Galabru. Sans oublier le formidable duo des Deschiens, François Morel et Olivier Saladin, qui revisite avec humour ce conte populaire; dommage que cette dernière version ne soit pas disponible sur Internet. La production des Jeunesses Musicales du Canada (JMC) dans le cadre de la série Sons et brioche s’inscrit elle aussi dans l’humour. Cette série composée de huit concerts durant l’année, un dimanche par mois, vise avant tout à faire découvrir la musique classique à un jeune public, ce qui était aussi le but premier du conte de Prokofiev. En associant chaque personnage à un instrument de l’orchestre et à un thème, le compositeur russe voulait éveiller les sens des plus petits.

Exit donc les robes de soirée et les costumes de rigueur à la salle WilfriedPelletier de la Place des Arts, où se produit notamment l’Opéra de Montréal et place aux baskets lumineuses taille 34 et demi. Au lieu de l’habituel sérieux bourgeois de ces lieux, on trouve une ambiance familiale et bon enfant, où petits et grands finissent leur brunch du dimanche matin avec les brioches et les jus d’orange servis par les organisateurs. Pour des raisons de logistique évidentes, l’instrumentation originale du conte musical, impliquant plus d’une vingtaine de musiciens, n’est pas respectée. Au lieu de cela, il y a autant de musiciens que de personnages, chacun coiffé d’un chapeau ad hoc. L’intelligence de la production des JMC réside dans l’adaptation de la pièce au public. Au lieu de réciter d’un bout à l’autre le conte et les pièces musicales, comme dans la première version nécessaire de Gérard Philippe, les interprètes jouent avec le texte, l’actualisent parfois et se permettent des intermèdes clownesques qui font bien rire les petits. S’il ne peut éviter la hantise et la peur provoquées chez certains à l’écoute des cors, thème du loup, le conteur épargne son public sensible en escamotant la mort du canard par un tour de passe-passe vétérinaire, s’évitant ainsi les pleurs horrifiés des enfants.

[ le délit · le mardi 1er octobre 2013 · delitfrancais.com

On accueille avec bonne humeur la production de ces cinq musiciens des JMC, qui livrent la partition naïve de Prokofiev dans toute sa beauté. Entre les braillements et les rires, c’est une belle façon de passer son dimanche avant-midi. Les enfants repartent tout heureux, le ventre plein, n’attendant qu’une chose, le retour à la maison pour regarder la version de Walt Disney de 1946. Quitte à faire des

cauchemars devant la gueule grande ouverte du loup, spectacle terrifiant dont Le Délit n’est pas prêt de se remettre. [ Pierre et le loup Où: Théâtre Outremont Quand: 27 novembre 2013 Combien: $7,50 Luce Hyver

Arts & Culture

13


DANSE

Salves à blanc

Maguy Marin a ouvert ce samedi la saison 2013-14 de «Danse danse». Thomas Birzan

I

l n'y avait pas de grand rideau rouge sur le plateau du Théâtre Maisonneuve pour accueillir Salves, la pièce majeure de la chorégraphe française Maguy Marin. Dès l'entrée dans la salle, le décor de la pièce est éclairé par la lumière démystifiante de l'avant-spectacle. C'est sous cette même lumière que débute la pièce, lorsque l'un des interprètes émerge d'un siège du public pour se hisser sur scène. Lentement, il tire un fil imaginaire qu'il déploie de cour à jardin. Puis il invite une danseuse, auparavant dissimulée parmi les spectateurs, à entreprendre le même travail. C'est seulement quand ils sont sept à soupeser ce câble fictif que le noir reprend sa place de droit dans la salle. À partir de ce moment et pendant 1h10, Salves est une succession stroboscopique de mini-tableaux: une femme accroupie tente de recoller une assiette, on met la table, on casse l'assiette, on se jette dessus des objets en tous genres, un Jésus miniature accroché à un hélicoptère télécommandé débarque sur scène. Des silhouettes courent dans la pénombre en tenant des lampes de poches, une femme gifle un homme. Une statue de la liberté s'écrase avec fracas sur le plancher. On remet la table. On accroche Guernica au mur, mais il tombe. Alors on accroche La liberté guidant le peuple, mais elle tombe aussi. Pendant ce temps, dans ce décor - peut-

être cave, peut-être hangar - trois magnétophones ne cessent de tourner. «Il faut organiser le pessimisme» disait Walter Benjamin. «Travailler donc à faire surgir ces forces diagonales résistantes, sources de moments inestimables qui survivent à l'oubli» écrit Maguy Marin. Il faut en effet reconnaître à Salves l'audace d'un pari: celui de transformer l'épuisement évident de la danse contemporaine en une redéfinition de l'art du spectacle. Le pari qui veut, somme toute, prendre une triste courbe téléologique et en faire une fonction exponentielle: celui de la complexité, de la transpiration intellectuelle (la librairie Gallimard va jusqu'à proposer une vitrine Salves composée des ouvrages ayant inspiré la pièce). Maguy Marin tente courageusement de reconsidérer le rapport corpsconscience-représentation et choisit donc le rang d'avant-garde, un travail difficile mais nécessaire. Salves est donc une pièce de l'engagement. Pendant le spectacle, un des interprètes écrit sur un tableau la phrase suivante: «Quand on est dans la merde jusqu'au cou, il ne reste plus qu'à chanter». On y reconnaît la marque de l'engagement camusien, d'un Sisyphe qui remonterait inlassablement sa pierre en haut de la montagne, mais qu'il faudrait quand même «imaginer (...) heureux» puisqu'il continue à se mouvoir, et donc à vivre. Le problème de Salves, c'est qu'en voulant reconsidérer les barrières entre les arts et leur représentation,

Jean-Pierre Maurin

Maguy Marin extrait la danse du spectacle; voire même le spectacle du spectacle. Le résultat est simple: Sisyphe ne bouge plus, il perd tout élan vital, il est malheureux. À l'instar de ces trois magnétophones factices, le spectacle s'enroule sur lui-même inlassablement, en n'emportant avec lui rien d'autre qu'une vieille bande magnétique. Dans la notice au spectateur, la chorégraphe parle de «catastrophes collectives du XXe siècle», de «champ de ruines dé-

pourvus d'inscription dans l'histoire, c'està-dire sans mémoire ni devenir». Salves est en effet également une pièce de la mémoire, une pièce politique. Et c'est peut-être là que réside l'incohérence majeure du propos. On ne joue pas un tel spectacle en intérieur. Le théâtre a une mémoire esthétique et émotionnelle. La mémoire politique, elle, ne se danse pas à l'abri sur les planches, mais à découvert et dans la rue, exposée aux seules et vraies «Salves». [

THÉÂTRE

Quand Tchekhov ronronne La Cerisaie débute la saison théâtrale du Rideau-Vert. Joseph Boju Le Délit

«

Vous vivez mal messieurs», voilà le mot de Tchekhov que Gorki rapporte dans le livre qu’il écrit sur le dramaturge russe en 1905. Cette phrase est capitale pour comprendre l’intention d’une pièce telle que La Cerisaie. Le spectacle raconte l’histoire d’une société finissante et décadente qu’est l’aristocratie russe quelques années avant la Révolution d’Octobre. Avec Tchekhov, le Rideau-Vert inaugure sa 65e saison. L’auteur est un habitué de la maison, puisque c’est la troisième fois que cette pièce est montée depuis la création du Rideau-Vert en 1948. L’intrigue est la suivante. Lioubov Andreevna revient en Russie après cinq années d’absence en France et la cerisaie familiale est sur le point d’être vendue aux enchères. Le fils des anciens domestiques, devenu un riche propriétaire foncier, propose alors d’utiliser le terrain pour en faire des lotissements. Rien n’y fait, la vieille aristocrate, bien que ruinée, ne peut se résoudre à se défaire de l’opulence et des repères de son passé. C’est alors un fourmillement d’histoires entremêlées, entre les domestiques et la famille de Lioubov. Les thèmes s’enchevêtrent: l’affranchissement des esclaves, l’arrivée de l’homme industriel, les éternelles passions et la fin de l’Histoire. Ce fouillis forme un tout original, un regard d’une acuité surprenante sur son époque.

14

Arts & Culture

Les motifs costumiers sont harmonieux; ils rehaussent le grotesque de certains tableaux, notamment celui où «l’éternel étudiant» Trofimov (Hubert Proulx) se retrouve à déclamer un discours contre l’intelligentsia russe dans une position pornographique. Le décor est efficace et sert le cadre historique de la pièce; trois immenses panneaux coulissent en arrière-plan. Deux sont blancs, le dernier représente le Paris de l’Exposition Universelle. Le fond de la scène est une photographie de la cerisaie, illuminée au moment où on s’intéresse à elle. La symbolique est omniprésente, envahit le

texte et semble le détourner de ses ambitions personnelles. Des danses et des chants viennent hoqueter tour à tour, tandis que la délicate frontière entre le tragique et le comique propre au genre du drame est joyeusement lapidée. Les moments d’intensité des scènes de Lioubov (campée par Sylvie Drapeau) sont défaits à la seconde suivante par un rire burlesque, si bien que l’intrigue balbutie, effleure tout pour ne finalement rien toucher. On est tout de même loin de cette histoire de la chanson de Léo Ferré «C’est extra», devenu la musique d’un spot publiGracieuseté du théâtre du Rideau-Vert

citaire pour des sardines en boîte. Les comédiens délivrent une performance remarquable, parce qu’ils sont de bons comédiens. Igor Ovadis fait à la fois peur et sourire dans son rôle de majordome au bord de la tombe, Marc Paquet délivre un Yacha cynique et drôle. Karyne Lemieux nous ravit de sa douce folie dans le rôle de la gouvernante Charlotta. Marc Béland est un Lopakhine proche du sublime, terriblement humain, il est presque le seul à émerger de l’étouffante mise en scène d’Alexandre Marine. Il est aujourd’hui convenu de jouer de fragmentation lorsqu’on met en scène un texte classique. Tchekhov n’échappe point à la règle. Le théâtre s’illimite. On danse, on chante et on joue de la musique. Alexandre Marine nous confirme ici l’évolution des pratiques théâtrales et la mode du rapiéçage. Mais le texte gagne-til vraiment à être enrobé de tout cet achalandage d’effets de scènes, de comique de répétition et de situation? Jean Vilar disait de Tchekhov qu’il était, un peu à la manière de Molière, «un farceur». Pourquoi ne pas lui laisser la parole? Surcharger la mise en scène jusqu’à la limite du clownesque, c’est ignorer la rugueuse réalité que propose un texte tel que La Cerisaie, au profit d’une entrée sous la glorieuse coupole des postmodernes. Quel besoin de demander «s’il y a un médecin dans la salle»? Tchekhov se serait-il levé? Les spectateurs avaient l’air satisfait, «c’était pas mal», en effet. [

[ le délit · le mardi 1er octobre 2013 · delitfrancais.com


CINÉMA

Don Jon sur les écrans Une comédie romantique de Joseph Gordon-Levitt sortie le 27 septembre. Alice Tabarin Le Délit

«

L’amour à la Don Juan est un sentiment dans le genre du goût pour la chasse» écrivait Stendhal. Deux siècles plus tard, cette espèce n’est pas en voie de disparition. Don Jon, personnage éponyme du premier film de Joseph Gordon-Levitt, en est la preuve. Il traque sans relâche de nouvelles proies, fin de semaine après fin de semaine, et ce avec un certain succès. Le procédé est simple. Jon et ses deux acolytes arrivent en boîte. Ils notent sur une échelle de 1 à 10 les femelles présentes. Lorsque l’une d’elle obtient un score suffisamment élevé, Don Jon lui lance un regard chargé de tension sexuelle. S’en suit une danse à corps rapprochés, un retour en taxi dans la précipitation et une nuit torride. Très rapidement après le rapport, Don Jon rallume son ordinateur et va traîner sur pornhub.com, la seule véritable façon qu’il a de «s’abandonner». Cette mécanique bien rôdée fonctionne jusqu’à ce qu’il rencontre Barbara, interprétée par Scarlett Johansson. Cette bombe, d’une certaine vulgarité, se refuse un temps à lui, juste assez longtemps pour qu’il en tombe amoureux. Avec ce scénario simple, Joseph Gordon-Levitt a un but, et il l’a martelé sur tous les plateaux télévisés et radios qui l’ont invité: faire un film sur le sentiment éprouvé quand quelqu’un te traite plus comme un objet que comme une personne. L’idée est intéressante, mais pour notre génération, «les gens ne sont pas des objets» est un discours morali-

Romain Hainaut

sateur que l’on connaît trop bien. En revanche, ce que le réalisateur propose avec beaucoup d’exactitude, c’est un portrait du Don Juan moderne. Ce dernier, contrairement à celui dont Stendhal dépeignait le mode de vie, a accès au porno rapide, gratuit et anonyme (comme pour le dépistage). Il parle de blowjob, de tits ou encore de money shot et affirme que les ac-

trices porno don’t pretend. Le libertin plein d’assurance va également au gym, porte des débardeurs blancs, aime conduire de belles voitures et sévit en boîte de nuit. Un portrait donc très familier. Le premier long métrage de Joseph Gordon-Levitt explore le cas intéressant de ces jeunes hommes qui ont grandi avec le porno à disposition et qui peinent à s’en passer. Il

présente ce symptôme comme un véritable handicap dès qu’il s’agit d’aimer et de faire l’amour. Malgré l’interdiction formelle de regarder des films X qu’il reçoit de sa copine, Jon continue secrètement à le faire. C’est une femme plus âgée qui finira par le défaire de cette addiction et lui permettra de découvrir réellement l’acte amoureux. Le message sur la différence entre la réalité pratique et celle qu’offrent les films est asséné de manière plutôt didactique au spectateur, ce qui peut être gênant dans la mesure où cela lui ôte l’opportunité de tirer des leçons par luimême. Cette morale simple est amenée par des dialogues tout aussi simples qui auraient pu présenter un peu plus de relief. D’autre part, le montage de l’œuvre, fondé sur une répétition de séquences courtes telles que celle de la messe, des insultes en voiture ou encore des repas de famille, peut finir par agacer. Au quatrième passage au confessionnal du personnage principal, on se demande si l’on doit rire ou pleurer. Il n’en demeure pas moins que le rythme «zapping» du film permet d’échapper à l’ennui. Quelques répliques bien senties et quelques gags sont aussi là pour divertir les spectateurs. Cette comédie romantique, en dépit de son manque de profondeur, remplit sa fonction efficacement. D’autant plus qu’elle est servie par un casting de qualité parmi lequel figurent donc Joseph Gordon-Levitt lui-même, Scarlett Johansson, Julianne Moore et Tony Danza. Ces belles gueules sont certainement l’argument le plus convaincant du film. Pas forcément anodin, quand on y pense. [

Don Jon Où: Dans tous les grands cinémas de Montréal Combien: Environ $12

[ le délit · le mardi 1er octobre 2013 · delitfrancais.com

Arts & Culture

15


LITTÉRATURE

Bibliothèque en plein air Fin des déambules du Délit au coeur du Festival International de littérature. Anne Pouzargues Le Délit

D

es étagères pleines de livres, de feuilles de papier, des stylos, des jeux pour enfants et des coins sympas où s’asseoir pendant quelques minutes pour lire, discuter ou simplement profiter des derniers beaux jours de septembre. Nous sommes en plein cœur de Montréal, à l’angle de la rue Clark et du boulevard Maisonneuve, où s’est installée le temps du Festival International de Littérature (FIL), l’incroyable projet d’une bibliothèque extérieure, libre et entièrement gratuite. Ici, on peut venir chercher des livres, pour les lire sur place ou les emmener et les garder définitivement. On peut aussi apporter des ouvrages, remplir à nouveaux les étagères, faire partager ses lectures à des inconnus en laissant des messages qui viendront décorer les panneaux mis en place à cet effet. La bibliothèque extérieure du FIL met en valeur un aspect essentiel de la littérature: l’importance de la circulation des textes, de leur passage de main en main, des échanges que les livres permettent entre des gens qui ne se connaissent pas. Dans cette bibliothèque peu commune, on ressent la présence des ouvrages littéraires, un peu comme si on se retrouvait dans la réserve secrète d’un pays sous régime dictatorial, où tous les livres interdits et censurés étaient réunis et protégés. Frédérique Bouchard, une des responsables du lieu, se réjouit du succès de l’installation: «Ici, les gens sont heureux!, explique-t-elle dans une entrevue au Délit. Et ils sont nombreux: en une heure, on vient de compter près de 123 passages. Quand la bibliothèque fermera (elle

a fermé dimanche 29 septembre, à la fin du FIL, ndlr), tous les ouvrages seront donnés à une association qui œuvre pour l’alphabétisation». Un lien se crée alors entre les lecteurs aguerris, les jeunes lecteurs et les futurs lecteurs; comme une expérience intergénérationnelle. Dans un coin consacré aux plus jeunes, Sophie Préfontaine, avocate, profite de l’endroit avec son mari et ses deux jeunes enfants. Aucun ne sait lire, l’un ne marche même pas encore, mais ils commencent déjà à apprivoiser peu à peu les lettres et les mots tracés dans de grands livres colorés. «Cet endroit est merveilleux, confie la jeune mère au Délit. Le parc et les livres, ce n’est que du bonheur. C’est un cadre qui devrait servir plus souvent à des événements de ce

genre. Et c’est génial pour les enfants: ça les ouvre, ça les éveille. En les mettant très tôt face aux livres, j’espère pouvoir faire d’eux de meilleurs citoyens». En se promenant entre les rayons et les tables, on comprend en effet très vite que cette bibliothèque veut également montrer l’importance de l’éducation et de la lecture dans la vie sociale. Des photographies grandeur nature montrent des adultes tenant des pancartes écrites d’une main émouvante mais mal assurée et ponctuées de jolies fautes d’orthographe. Ce sont les portraits des personnes analphabètes dont s’occupe l’association évoquée par Frédérique Bouchard. Par la lecture, par l’écriture, ce sont en fait l’ensemble des processus de communication qui deviennent accessibles; l’occasion pour le FIL de rap-

Camille Chabrol

peler que, même au Québec, tout le monde n’a pas encore la chance d’avoir accès aux bases les plus fondamentales de l’éducation. Cette bibliothèque extérieure, petit coin de paradis perdu entre les tours du quartier des spectacles, a permis à la littérature de s’emparer, pour quelques jours au moins, de la ville toute entière. L’édition 2013 du Festival International de Littérature a, cette année encore, présenté de belles surprises et des trouvailles originales. Pour Michelle Corbeil, la directrice artistique du Festival, qui s’est entretenue au téléphone avec Le Délit, c’est un succès. En associant la littérature avec d’autres arts, comme le chant ou la danse et en organisant des événements très éclectiques, le FIL est parvenu à réunir un public varié, composé d’initiés et de néophytes, de jeunes et de moins jeunes, de riches et de moins riches, autour d’un seul objet: le littéraire. L’année prochaine, le Festival fêtera ses vingt ans. Interrogée sur l’avenir de l’événement, Michelle Corbeil se veut positive: «On ira toujours de l’avant, en se renouvelant sans cesse. Notre but, c’est d’amener les gens à lire toujours plus. Moi, je suis une littéraire, une lectrice avant tout, j’en suis fière, il faut en être fière. Mais, comme tout le monde, nous sommes victimes des coupures budgétaires. Il faut redoubler d’efforts pour trouver des financements et avoir les moyens de monter le Festival chaque année». La littérature et les arts sont les premières victimes d’une économie libérale et capitaliste en crise; gratuite et fondée sur l’échange entre les individus, la bibliothèque extérieure du FIL est un pied de nez réussi à la société à l’occidentale; une expérience qui devrait être renouvelée. [

EXPOSITION

Studio maison

Expérience: exposition de peinture dans une maison d’Outremont. Gwenn Duval

P

ourquoi cette exposition? «Parce que nous avions le temps et l’espace». Voilà ce que répond Ariel Méthot, qui s’est joint à Alicia Mersy, Ariane Leblanc, Bahia Haddam et Emmanuel Mauriès-Rinfret dans le cadre de l’«EXPOSITION DE PEINTURE». Le projet, qui rassemble plusieurs artistes devenus amis au cours d’un voyage à Londres, aboutissait sur une exposition ouverte au public du 25 au 28 septembre dans une maison d’Outremont. L’espace de création, c’est justement cette maison qui appartient à Sarah Altmejd, fraîchement revenue d’un long séjour à l’étranger. Tout est parti d’une proposition qu’elle a faite à ses amis peintres: monter une exposition en deux semaines avant le début de travaux de rénovation. Comme le souligne Bahia «on a tout de suite accepté l’offre! Ce n’est pas facile de trouver un studio et là, c’était gratuit». Cette gratuité, c’est aussi un moteur pour les jeunes artistes qui refusent de freiner le passage des idées par manque de moyens financiers. De la peinture sur toile en gélatine à la projection sonore, en passant par des instal-

16 Arts & Culture

lations bricolées avec des matériaux de récupération, l’ensemble de l’exposition révèle le mélange et les échanges qui sont intervenus entre les cinq amis tout au long du processus de création. Par exemple, il y a du scotch vert d’architecte un peu partout. Le matériel de rénovation côtoie les œuvres et même, il les complète. En regardant attentivement on remarque quelques traces de chaussures sur certains tableaux, on pourrait presque jouer à reconnaître qui est passé par là. Ne vous attendez pas à deviner qui a peint quoi... cela on ne le sait pas, aucune signature! En ajoutant au mélange quelques œuvres des enfants de Sarah âgés de deux, quatre et six ans, comment savoir sans indice que ce sont bien eux les auteurs des petits Pollack dans l’escalier? Ariel explique que les enfants sont au cœur de la relation puisqu’Ariane et Bahia s’en sont occupés à Londres et qu’ils font donc partie intégrante du projet. Il ajoute, rieur; «Les gens croyaient que c’était moi… mais non… on a juste le même style!». Quoi qu’il en soit, le soir du vernissage, la maison est pleine. L’ambiance est à son comble, musique, nez en l’air, les visiteurs se promènent dans l’étonnant espace d’exposi-

Gwenn Duval

tion. Isabelle et Antoine connaissent les artistes mais affirment tout de même être venus principalement par curiosité, «le titre qui en dit long ne dit rien alors il faut bien venir voir!». «L’EXPOSITION DE PEINTURE» est une sorte de ragoût, de patchwork et l’espace dans lequel elle est présentée fait partie intégrante du processus artistique. Le

caractère éphémère du lieu, à cause des rénovations prochaines, rajoute un intérêt supplémentaire. On n’aurait pas pu rêver mieux pour une exposition in situ. Mais malheureusement le temps passe et Bahia Haddam part dans deux semaines pour le Japon dans une résidence d’artistes où elle a l’intention d’enseigner l’anglais à des enfants. [

[ le délit · le mardi 1er octobre 2013 · delitfrancais.com


Turn static files into dynamic content formats.

Create a flipbook
Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.