Le Délit

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Le mardi 4 février 2014 | Volume 103 Numéro 14

Est-ce que je peux toucher ? C’est pour ma thèse depuis 1977


Volume 103 NumĂŠro 14

Éditorial

Le seul journal francophone de l’UniversitÊ McGill

rec@delitfrancais.com

-3,1% Camille Gris Roy Le DĂŠlit

L

a SociĂŠtĂŠ des Transports de MontrĂŠal (STM) a dĂŠposĂŠ la semaine dernière son budget pour 2014, un budget ÂŤd’austĂŠritĂŠÂť. La sociĂŠtĂŠ annonce des coupures de près de 65 millions de dollars et anticipe malgrĂŠ tout un manque Ă gagner de 20 millions de dollars. Parmi les mesures prĂŠvues, il y a la rĂŠduction de 3,1% du service d’autobus en dehors des heures de pointe. Une dĂŠcision difficilement acceptable –du moins si on considère que les transports en commun sont la solution d’avenir, une solution durable. 3,1%, ça n’apparaĂŽt peut-ĂŞtre pas beaucoup. Il n’en reste pas moins que c’est un pas en arrière. Or dans le domaine du transport collectif, on ne devrait faire que des pas (des bonds!) en avant. En mĂŞme temps, les tarifs ne cessent d’augmenter. La carte Opus mensuelle ĂŠtudiante Ă 43,75 dollars en 2012, vous vous en rappelez? Le titre est passĂŠ Ă 45 dollars en 2013 et depuis le 1er janvier 2014 Ă 47,25 dollars (quand on pense qu’en 2004 les ĂŠtudiants payaient 31 dollars). Et ça encore, c’est si on a la ÂŤchanceÂť d’être ĂŠtudiant sur l’Ile de MontrĂŠal: le plein tarif s’Êlève Ă 79,50 dollars par mois, et pour ceux qui habitent sur les rives Nord ou Sud, les prix s’affolent. Une hausse constante. Attribuer cela seulement Ă l’inflation, c’est un peu facile. Ça empĂŞche peut-ĂŞtre aussi de chercher d’autres solutions. Les plans financiers de la STM devraient ĂŞtre chaque annĂŠe de plus en plus ambitieux. C’est un secteur dans lequel on ne devrait plus couper. On peut encore comprendre (sans cependant ĂŞtre forcĂŠment d’accord) la logique des coupures dans la distribution du courrier par exemple, comme rĂŠcemment annoncĂŠ par Postes Canada. La poste dans sa forme ÂŤtraditionnelleÂť est un service de moins en moins utilisĂŠ. Mais les transports: de moins en moins utilisĂŠs? Il faut reconnaĂŽtre bien sĂťr que la STM n’est pas la seule Ă avoir son mot Ă dire. L’argent doit bien

tomber de quelque part. Les subventions du municipal, du provincial, du fĂŠdĂŠral, on les attend toujours. Le fait qu’il y ait d’autres ÂŤurgencesÂť; notamment rĂŠparer les infrastructures routières en ruine au QuĂŠbec, ĂŠtait un des arguments utilisĂŠs pour justifier ce manque d’argent accordĂŠ Ă la STM. Mais le transport collectif, ça devrait ĂŞtre considĂŠrĂŠ comme une ÂŤurgenceÂť. Il faudra continuer alors d’en appeler aux gouvernements. Il y a des efforts Ă faire puisque l’idĂŠal des transports en commun n’est malheureusement pas ancrĂŠ dans la mentalitĂŠ de tous ceux qui nous gouvernent. ÂŤJe ne suis pas certain qu'on trouverait cent personnes qui rĂŞvent de prendre l'autobusÂť disait RĂŠgis Labeaume, le maire de QuĂŠbec. Il y en a bien qui s’y prennent Ă ÂŤrĂŞverÂť, et Ă imaginer des autobus qui passent plus frĂŠquemment qu’aux trente minutes. Des mĂŠtros qui ne tombent pas rĂŠgulièrement en panne, et qui continueraient de rouler après minuit quarante. Une ville bien connectĂŠe, tout simplement. Et mĂŞme peut-ĂŞtre un rĂŠseau mĂŠtropolitain harmonisĂŠ, entre MontrĂŠal et la banlieue (quand on sait que pour venir de Laval Ă MontrĂŠal par exemple, il faut payer son billet d’autobus de la STL, puis son billet de mĂŠtro ÂŤspĂŠcialÂť de la station lavaloise de la STM – ou bien payer un abonnement mensuel de l’AMT Ă près de 100 dollars...pour un ĂŠtudiant –etc.) Mais au fait ces idĂŠes-lĂ , ce sont des ÂŤrĂŞvesÂť, ou bien des revendications normales en 2014? MontrĂŠal est une grande ville. Et MontrĂŠal veut rester dans la cour des grands. Alors il faudra qu’à tous les niveaux on finisse par, rĂŠellement, placer le transport collectif sur un piĂŠdestal. C’est un sujet qui n’est pas nouveau, ĂŠvidemment. Les transports, on en parle bien souvent. C’Êtait un des grands thèmes de la campagne municipale de l’automne dernier (que certains avaient pris plus Ă cĹ“ur que d’autres, visiblement) Nomination partisane Ă la STM et aucun grand projet: Denis Coderre n’est certainement pas le plus ambitieux de ce cĂ´tĂŠ. Mais justement c’est ça qui est frustrant: de dĂŠcouvrir que derrière ce sujet dont on parle tout le temps, il n’y aura pas, pour l’instant du moins, de grands changements. En bref, ce 3,1%, c’est un peu la goutte d’eau qui fait dĂŠborder le vase. [

RÉDACTION 3480 SVF .D5BWJTI CVSFBV #t MontrĂŠal (QuĂŠbec) H3A 1X9 TĂŠlĂŠphone : +1 514 398-6784 TĂŠlĂŠcopieur : +1 514 398-8318 RĂŠdactrice en chef rec@delitfrancais.com Camille Gris Roy ActualitĂŠs actualites@delitfrancais.com Alexandra Nadeau LĂŠo Arcay Arts&Culture artsculture@delitfrancais.com Thomas Simonneau Joseph Boju SociĂŠtĂŠ societe@delitfrancais.com CĂ´me de Grandmaison Coordonnateur de la production production@delitfrancais.com ThĂŠo Bourgery Coordonnateurs visuel visuel@delitfrancais.com Photo: CĂŠcile Amiot Illustration: Romain Hainaut Infographie infographie@delitfrancais.com Vacant Coordonnatrices de la correction correction@delitfrancais.com Claire Launay Anne Pouzargues Webmestre web@delitfrancais.com Mathieu MĂŠnard Coordonnatrice des rĂŠseaux sociaux rĂŠso@delitfrancais.com Margot Fortin Collaborateurs Philippine Blanchot, SĂŠbastien Daigle, Virginie Daigle, Julia Denis, Lola de la Hosseraye, Luce Hyver, Luiz Kazuo Takei, LĂŠa Marcel, Charlotte Mercille, Scarlett Remlinger, Baptiste Rinner, Philippe Robichaud, ChloĂŠ Roset, Alice Tabarin, Margaux Tellier Couverture Image: CĂŠcile Amiot Montage: CĂŠcile Amiot et Romain Hainaut BUREAU PUBLICITAIRE 3480 SVF .D5BWJTI CVSFBV #t MontrĂŠal (QuĂŠbec) H3A 1X9 TĂŠlĂŠphone : +1 514 398-6790 TĂŠlĂŠcopieur : +1 514 398-8318 ads@dailypublications.org PublicitĂŠ et direction gĂŠnĂŠrale Boris Shedov ReprĂŠsentante en ventes Letty Matteo Photocomposition Mathieu MĂŠnard, Lauriane Giroux, Geneviève Robert The McGill Daily coordinating@mcgilldaily.com Anqi Zhang Conseil d’administration de la SociĂŠtĂŠ des publications du Daily (SPD) Queen Arsem-O’Malley, Amina Batyreva, ThĂŠo Bourgery, Jacqueline Brandon, Hera Chan, Benjamin Elgie, Camille Gris Roy, Boris Shedov, Samantha

Erratum - Deux malentendus se sont glissÊes dans l’article SantÊ mentale Êtudiante (volume 103 no 12, p5): à la place de L’enjeu de la santÊ mentale est peu rÊpandu (...) il fallait lire L’enjeu de la santÊ mentale n’est pas assez abordÊ, au point d’être le tabou de pratiquement toutes les familles. Il fallait Êgalement lire: un poste de coordonnateur en santÊ mentale à l’Association Étudiante de l’UniversitÊ McGill (AÉUM) serait en voie d’être crÊʝ (et non pas à l’AÉFA comme il Êtait indiquÊ dans l’article). Le DÊlit prÊsente ses excuses.

2 Éditorial

L’usage du masculin dans les pages du DÊlit vise à allÊger le texte et ne se veut nullement discriminatoire.

Les opinions exprimĂŠes dans ces pages ne reflètent pas nĂŠcessairement celles de l’UniversitĂŠ McGill.

Le DÊlit *44/ FTU QVCMJ� MB QMVQBSU EFT NBSEJT QBS MB SociÊtÊ des publications du Daily (SPD). Il encourage la reproduction de ses articles originaux à condition d’en mentionner la source (sauf dans le cas d’articles et d’illustrations dont les droits avant ÊtÊ auparavent rÊservÊs, incluant les articles de la CUP). L’Êquipe du DÊlit n’endosse pas nÊcessairement les produits dont la publicitÊ paraÎt dans ce journal.ImprimÊ sur du papier recyclÊ format tabloïde par Imprimeries Transcontinental Transmag, Anjou (QuÊbec). Le DÊlit est membre fondateur de la Canadian University Press (CUP) et du Carrefour international de la presse universitaire francophone (CIPUF).

[ le dÊlit ¡ le mardi 4 fÊvrier 2014¡ delitfrancais.com


Actualités

actualites@delitfrancais.com

Cécile Amiot / Le Délit

BRÈVE / CAMPUS

50 cours de moins L’AÉFA annonce des coupes budgétaires de plus de 360 000$ pour l’année 2014. Théo Bourgery Le Délit

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e nouvelles coupes budgétaires séviront en 2014 à la Faculté des arts. C’est ce qui a été annoncé lors du conseil législatif de l’Association Étudiante de la Faculté des Arts (AÉFA), le mercredi 29 janvier dernier, par Jacob Greenspon, vice-président aux affaires académiques de l’AÉFA. En entrevue avec Le Délit, Greenspon explique que les coupes se font à l’échelle de l’université, qui se doit de réduire ses dépenses de 19,2 millions de dollars pour l’année à venir,

afin de garder le déficit sous contrôle. Il indique que les dépenses seront réduites dans les budgets les plus «flexibles», soit les contrats du personnel académique (Contract Academic Staff, CAS) et les contrats des professeurs assistants (Teaching assistants, TA). Dans un courriel du doyen de la Faculté des arts Christopher Manfredi, que Greenspon a accepté de nous montrer, il est clairement indiqué que le budget des TA «ne sera pas touché». C’est donc 366 258 dollars de salaire de conférenciers qui disparaît – soit 50 cours en moins, d’après Justin Fletcher, président

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de l’AÉFA, dans un courriel adressé au Délit. Pour l’AÉFA, ce n’est pas une nouvelle; Manfredi avait rendu les coupes officielles en avril dernier, lors du Conseil de la Faculté. D’après Greenspon, c’est en revanche un véritable coup dur pour les étudiants. Selon le courriel de Fletcher, l’AÉFA se prépare à travailler «de manière proactive avec le Doyen et le Provost [Anthony Masi]». Greenspon invite aussi les étudiants à se manifester auprès de leurs départements afin de faire entendre leur voix, dans le but de prendre une décision réfléchie quant aux cours

qui devront être éliminés. Il explique aussi au Délit que certains conférenciers pourraient prendre plus de cours chaque année, pour réduire le nombre absolu d’employés; aujourd’hui, la limite est à six crédits par semestre, soit deux cours dans la Faculté des arts. Si Greenspon se dit «optimiste» quant aux possibilités de limiter les dégâts des coupes, Fletcher précise que ce problème est «une vraie source de préoccupation» qui affectera tous les étudiants de la faculté. L’administration n’a pas pu être contactée avant l’impression. [


CAMPUS

Réseau écolo Les «vendredis durables» repartent de plus belle en 2014. Léo Arcay Le Délit

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assembler. C’est le maître mot de cette réunion organisée par le Bureau du développement durable de l’Université McGill, une fois par mois au Cercle Universitaire. Le vendredi 31 janvier a eu lieu la première séance de l’année 2014, autour du McGill Spaces Project, qui vise à redonner vie aux espaces désuets du campus. Lors des «vendredis durables» pas de cadre formel, pas de relation hiérarchique entre spectateurs et conférenciers, juste des discussions entre personnes de provenances diverses: départements de l’université, associations, étudiants et autres. C’est même un des points que les organisateurs mettent en avant dans la promotion de l’événement. «Chaleur, camaraderie et grandes idées», annoncent-ils sur leur site Internet. Les «vendredis durables» ont été relancés au début de l’automne dernier, après une pause de deux ans. Le docteur Martin Krayer Von Krauss, directeur du Bureau du déve-

loppement durable, en dit plus sur le but de l’initiative, lors d’une entrevue avec Le Délit: « [il s’agit d’] encourager le réseautage parmi les passionnés du développement durable à McGill. Tous les passionnés. Qu’ils soient [représentants d’associations] ou individus.» Il explique que McGill est une institution très décentralisée, avec peu de communication entre les différents groupes administratifs et étudiants. «Cette communication horizontale est essentielle pour faire du pro-

Luce Hyver / Le Délit

grès», ajoute-t-il. «Il faut qu’on réussisse à brancher les académiciens aux [associations] et aux gens de l’administration pour créer ici, à McGill, un laboratoire vivant du développement durable.» Ce rassemblement semble également plaire aux associations présentes, dont les membres ont plus ou moins l’air de tous se connaître et de bien s’entendre. Étaient présents ce jour-là des membres de la Faculté de gestion, de l’asociation étudiante Divest McGill, du Bureau de développement durable ou encore d’Educational Community Living Environment (ECOLE), un projet de l’Association Étudiante de l’Université McGill . «Il est difficile de rassembler les groupes [écologiques de McGill], commente Amina Moustaqim-Barrette, de Divest McGill. C’est un événement important pour […] créer des liens avec d’autres associations qui font presque la même chose et qui peuvent travailler avec nous.» Bien qu’ils étaient minoritaires, certains étudiants n’appartenant à aucune association ou projet environnemental étaient au rendez-

vous, eux aussi d’affiliations diverses, certains venant de la Faculté des Arts, d’autres de Gestion, d’autres encore d’environnement. Justin, du programme de sciences cognitives, confie: «je ne connaissais presque rien de ce genre de choses. J’ai entendu parler de l’événement et je suis venu, mais sinon je n’en saurais pas plus à propos de ce sujet. [Ce type de réunion] est important! Même si tu ne touches ne serait-ce qu’un étudiant, en sortant de là il pensera à quelque chose auquel il n’aurait pas pensé autrement.» De son côté, Thoby, un autre étudiant présent, affirme que «se rassembler pour parler d’une telle chose est le premier pas pour faire quoi que ce soit». Le ton est clairement à l’optimisme. L’événement vise à agir comme un catalyseur qui permettrait d’inspirer les différents corps écologiques et de les coordonner vers leur objectif commun. Le docteur Krayer Von Krauss ajoute que, «McGill étant chef de file dans le milieu universitaire canadien, nous avons le devoir de montrer l’exemple et servir de modèle en matière de développement durable». [

CAMPUS

Sexe et préjugés Défaire les mythes liés au sexe et aux relations. Léa Marcel Le Délit

tion sexuelle épanouie est la communication. Les envies et les corps des êtres humains sont tous différents; afin d’atteindre le plaisir il faut avant tout se connaître et ne pas hésiter à partager ses attentes avec son/sa partenaire. De plus, les désirs sexuels évoluent avec l’âge et l’expérience et les jeunes ont trop souvent tendance à croire que les désirs hommes-femmes sont identiques. En réalité une différenciation s’établit, et c’est pourquoi il faut être à l’écoute de l’autre.

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a semaine annuelle «Academia» à McGill, coordonnée par des étudiants de la Faculté des sciences, a eu lieu du 27 au 31 janvier. Vivian Ng, une des organisatrices de cet événement explique au Délit que le but du projet «est d’organiser des conférences touchant des sujets très variés, où interviennent des invités renommés, mais dont le thème principal est commun». Cette année le thème est celui des «Mythes, Mystères et Fausses Conceptions». Au programme, du lundi au vendredi, des conférences sur la magie et le paranormal, le destin de la race humaine, l’exploration de l’espace, les mythes sur l’amour et le sexe, et sur les désillusions et les limites de la psychiatrie biologique. La docteure Laurie Benito, psychothérapeute depuis plus de 25 ans, se spécialisant dans la thérapie sexuelle, est venue animer, le jeudi 30 janvier une conférence intitulée «Mythes sur le sexe et l’amour». C’est dans une salle remplie qu’a eu lieu cet événement basé sur l’échange et la participation. Des mythes déconstruits La docteure Benito a présenté Plusieurs mythes collectionnés depuis qu’elle pratique son métier. On pourra citer, par exemple, le fait qu’un orgasme

4 Actualités

Cécile Amiot / Le Délit

est similaire à l’explosion d’un feu d’artifice, que la plupart des femmes ont un orgasme à chaque fois qu’elles ont un rapport sexuel, qu’un bon amant devrait pouvoir être capable de performer pendant des heures, que si une femme n’a pas d’orgasme c’est qu’elle n’est pas normale, que la pornographie est une bonne représentation de la vie sexuelle réelle, qu’uniquement les hommes âgés ont des problèmes d’érection, que toutes les ma-

ladies sexuellement transmissibles peuvent être guéries, que se retirer est une bonne méthode de prévention de grossesse, ou que se masturber de manière trop fréquente est physiquement dangereux, entre autres. Tout en touchant un sujet sérieux, préoccupant une bonne partie de la société, Laurie Benito s’est efforcée de détruire ces mythes liés au sexe un par un. Pour elle, un des facteurs majeurs d’une rela-

Problèmes liés à la sexualité Un des principaux messages véhiculés par Laurie Benito est que, bien trop souvent, le sexe entraîne des tensions entre partenaires, cela à cause de mauvaises conceptions liées à la pornographie et aux stéréotypes associés aux hommes et aux femmes. Il faut apprendre à se détacher des idées préconçues que nous nous faisons sur le sexe afin de mieux partager, se connaître et être ouverts à de nouvelles expériences. Pour elle, l’éducation sexuelle au sein des écoles est donc primordiale car elle permet aux jeunes de se faire une idée plus réelle des relations et de la sexualité. L’intervention du docteure Laurie Benito eut un tel succès que de nombreuses personnes sont venues la féliciter, en profitant pour lui faire part de quelques inquiétudes personnelles et de bénéficier de son expertise. [

[ le délit · le mardi 4 février 2014 · delitfrancais.com


BRÈVE / MONTRÉAL

Nouvelles de Montréal Camille Gris Roy Le Délit

gestion de l’eau et du réseau routier. Une partie du budget (280 millions) sera également dédiée au développement de projets pour l’année 2017 (qui marquera le 375e anniversaire de la ville de Montréal). «Transparence» et «intégrité» sont des mots qui reviennent à plusieurs reprises dans le document. C’est pour cela que le budget met l’accent sur le nouveau poste d’Inspecteur général, avec la création pour ce poste d’une unité dotée d’un budget initial de 5 millions.

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’administration Coderre a présenté le mercredi 29 janvier son premier budget pour l’année 2014. En conférence de presse, Denis Coderre a insisté sur les mots «responsable» et «pragmatique», autour desquels s’articule le document. Le budget global pour la ville de Montréal s’élève donc à près de 4,9 milliards de dollars; c’est une légère hausse (de 1,3%) par rapport à l’année 2013. La mesure qui attire le plus l’attention, c’est la hausse réelle moyenne des taxes foncières de 2,8% réparties entre la ville (1,9%) et les arrondissements (0,9%). Ce choix de l’administration Coderre a été vivement critiqué par l’opposition, et son budget a été qualifié de peu novateur. Une augmentation de 1,8% des taxes non résidentielles est également prévue. Le budget prévoit aussi des coupes dans la fonction publique, avec une réduction de masses salariales et un gel des embauches. Les secteurs qui reçoivent les plus grosses parts sont ceux de la sécurité publique (police et incendies), puis de la

Romain Hainaut / Le Délit

Transports La Société des Transports de Montréal (STM) a également déposé mercredi son budget 2014. Un budget «d’austérité», selon les mots employés par la société. La STM a annoncé des compressions budgétaires de 65 millions de dollars, et annonce une réduction de 3,1% du service d’autobus hors heures de pointe. Pour le métro, le budget est cependant maintenu. Dans son communiqué de presse, la STM déclare faire face à un «contexte budgétaire difficile» et avoir des problèmes de financement dans l’attente de la conclusion des ententes financières avec ses partenaires, elle anticipe un manque à gagner de 20 millions de dollars». [


ÉDUCATION

Status quo pour la grève étudiante? Juristes, professeurs et syndicats étudiants s’interrogent à Concordia sur le droit de grève. Joseph Boju Le Délit

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oit-on légiférer sur le droit de grève étudiant? Quelles seraient les différentes raisons de s’y rallier ou de s’y opposer? Telles étaient les questions posées par la conférence intitulée: «Est-ce que les étudiants devraient avoir le droit de faire la grève?» qui s’est déroulée le mardi 28 janvier dernier, au pavillon Bronfman de l’Université Concordia. Pour y répondre, quatre personnalités issues des milieux universitaires et juridiques étaient présentes. Dans l’ordre: Benjamin Gingras, co-porte-parole de l’Association pour une solidarité syndicale étudiante (ASSÉ); Jonathan Bouchard, vice-président des affaires sociopolitiques de la Fédération étudiante universitaire du Québec (FEUQ); Adrienne Gibson, membre du Barreau québécois et Pascale Dufour, professeure associée au Département de science politique de l’Université de Montréal. Devant un parterre d’une trentaine d’étudiants, les quatre invités ont successivement débattu autour de la question du droit de grève étudiant, guidés dans leur tâche par l’avocate Sibel Ataogul, de l’Association des juristes progressistes (AJP). Pour Benjamin Gingas, s’exprimant au nom de l’ASSÉ, «réguler le droit de grève est une chose risquée, le droit étudiant étant dans une zone floue concernant cette

question». En faisant notamment un rapprochement avec la définition de l’étudiant telle que proposée par l’Union Nationale des Étudiants de France (UNEF) en 1946, qui considère ce dernier comme «un jeune travailleur intellectuel», l’ASSÉ se défend de poser des balises sur le droit de grève étudiant au nom du caractère collectif et politique de la grève, dont l’existence est selon lui indéniable, «régulée ou non». Pascale Dufour rappelle le contexte du Québec, qui est «le seul endroit au monde où les associations étudiantes sont reconnues par la loi [la loi 32, ndlr]». Elle dit: «si, en plus de cela, un statut légal était accordé aux associations étudiantes, il pourrait créer un pont de solidarité avec le reste des tra-

vailleurs et permettre aux étudiants d’investir plus d’énergie dans la grève en tant que telle, au lieu de sans cesse travailler à une légitimation vis-à-vis des anti-grévistes.» Cette idée avancée, la professeure s’est permise de la réfuter en annonçant que l’organisation d’une grève dans ces nouvelles conditions se ferait dans l’enceinte d’un organe extérieur, au tribunal, ce qui ne laisserait pas de «marge de manœuvre». La question d’un schéma législatif autour du droit de grève semble donc trouver consensus. Jonathan Bouchard, de la FEUQ, ajoute qu’un «status quo serait la voie idéale, mais qu’elle est dangereuse». En effet, les nombreuses demandes d’injonctions reçues lors de la grève de 2012

Cécile Amiot / Le Délit

auraient pu pousser à accroître les volontés de régulation, mais il en est tout autrement. Elles ont servi d’apprentissage: les associations étudiantes en subissent désormais les conséquences et savent que ces injonctions échoueront tant que les étudiants feront de la grève une action politique, et non une question juridique. Mais enfin, «en cas de grève, que faiton d’un étudiant sorti de son association étudiante et demandant d’assister à ses cours?» À cette question posée par Gene Morrow, de la Concordia Student Union, les conférenciers ne peuvent que renvoyer au degré d’accréditation accordé par l’administration de chaque université à son association étudiante, les conséquences des décisions prises collectivement restant toutefois les mêmes. Le mot le plus à même de conclure une telle discussion est celui de la professeure Pascal Dufour: «l’incertitude est le maître-mot du mouvement social.» Cette incertitude serait à cultiver s’il fallait conserver des forces dans une lutte politique du même calibre que celle de 2012; une nomenclature juridique ne semble donc pas à l’ordre du jour. De manière informelle, l’ASSÉ annonçait par ailleurs une manifestation de grande ampleur le 30 avril prochain, contre le programme de rigueur actuellement mené par le gouvernement Marois. [

POLITIQUE PROVINCIALE/FÉDÉRALE

Mobilité étudiante: à qui la charge? Quand le fédéral empiète sur les compétences provinciales. Charlotte Mercille

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ans la foulée du dévoilement, le 15 janvier dernier, de la nouvelle stratégie fédérale en matière d’éducation internationale, Stephen Harper se heurte à l’opposition du gouvernement du Québec. Ce dernier accuse Ottawa de s’approprier la compétence de l’éducation, pourtant exclusive aux provinces. En effet, le gouvernement fédéral prévoit de doubler le nombre d’étudiants étrangers d’ici 2022, les faisant passer de 250 000 à 450 000, et allouer 5 millions de dollars par an pour promouvoir l’éducation canadienne sur la scène internationale. De plus, un montant de 13 millions est planifié sur deux ans pour le programme Mitacs Globalink, une Organisation non gouvernementale qui offre des bourses aux étudiants en recherche. Le ministre de l’Enseignement Supérieur, de la Recherche, de la Science et de la Technologie, Pierre Duchesne, demande une compensation financière totale au pouvoir fédéral d’environ 3,2 millions de dollars afin que le Québec puisse appliquer lui-même la stratégie selon ses besoins et ses priorités. Monsieur Duchesne qualifie également le programme de «dédoublement» de l’initiative déjà entamée par le gouvernement provincial pour attirer les étudiants étrangers et encourager la mobilité étudiante. Il dit que 17 millions en bourse ainsi qu’une quarantaine d’ententes internationales avec divers pays sont déjà en place au sein des universités québécoises.

6 Actualités

La situation «unique» du Québec Le Ministre des Affaires intergouvernementales canadiennes, à la Francophonie canadienne et à la Gouvernance souverainiste, Alexandre Cloutier, dénonce l’illégalité de la démarche, puisqu’elle empiète sur les compétences provinciales déjà établies par la Constitution. D’ailleurs, la ministre de l’Immigration et des Communautés culturelles Diane de Courcy souligne l’enjeu linguistique particulier que poserait la présence grandissante d’étudiants étrangers au Québec. À la fois un défi et un potentiel pour un accueil permanent, il devrait, selon elle, relever uniquement de la fonction provinciale. En entrevue avec Le Délit le professeur Desmond Morton, historien du Canada et professeur émérite à l’Université McGill s’est prononcé sur la querelle: «on entre dans un domaine de conflit où les gens qui paient ont le pouvoir. Si les provinces acceptent les fonds fédéraux, ceux-ci viennent avec des conditions.» À cet argent est aussi cramponnée l’idéologie d’Ottawa: «on a un gouvernement dogmatique qui veut exercer du pouvoir sur ses dépenses puisqu’il a promis un budget sans déficit, une promesse plus difficile à remplir vu le mauvais état de l’économie.» Selon lui, cette question n’est qu’un autre chapitre d’une longue histoire de rivalité politique qui date de la crise économique des années 1930. McGill au cœur de l’enjeu Le sujet de la discorde est particulièrement pertinent à l’Université McGill, où 25% de la population étudiante est étran-

gère. Si la stratégie de Stephen Harper était mise en place, un nombre important de ces nouveaux étudiants choisiraient probablement McGill pour son campus cosmopolite et sa réputation mondiale. L’intégration de ceux-ci à la culture québécoise ainsi qu’au marché du travail canadien fait l’objet de nombreux débats. Aux yeux de Monsieur Morton, l’affluence d’étudiants étrangers est sans conteste profitable pour un campus plus ouvert sur le monde. Par contre, il soutient que ce flot de nouveaux arrivants doit être accompagné d’un intérêt sincère pour la culture d’accueil et d’un désir de redonner à la communauté après la graduation en demeurant au pays quelques temps pour travailler par exemple. Malheureusement, pour le fédéral, l’attrait de la stratégie semble plus résider dans le renouvèlement pressant de la main-d’œuvre que dans le but de faire rayonner la culture canadienne et encore moins québécoise. «Doubler le nombre d’étudiants sans doubler en même temps le budget crée des problèmes que je rencontre tous les jours à l’université», déplore Monsieur Morton. «Les coupures du personnel sont telles qu’on ignore de plus en plus les services spécifiques à certaines facultés.» La bibliothèque des sciences de l’éducation est notamment sur le point de fermer. Cette annonce a une triste ressemblance avec celle moins récente de la fermeture de la bibliothèque d’histoire où il y avait auparavant un personnel spécialisé pour aider les étudiants du département. «Chaque fois qu’on coupe quelque chose comme ça

pour injecter plus de fonds dans la mobilité étudiante, je me demande si l’Université McGill est encore une université de première ligne», conclut-il. Des échanges ont été amorcés avec Ed Fast, ministre fédéral du Commerce international et responsable de la stratégie. Québec se dit déterminé à avoir gain de cause, vue la nature constitutionnelle du litige. [

Romain Hainaut / Le Délit

[ le délit · le mardi 4 février 2014 · delitfrancais.com


MONTRÉAL

À la porte Manifestation pour le droit au logement à Saint-Henri. Chloé Roset Le Délit

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xprimer son désaccord concernant les choix de Montréal sur l’accessibilité aux logements sociaux. Voici le mot d’ordre de la centaine de personnes présentes pour manifester le samedi 1er février, station Place-Saint-Henri. Ce rassemblement s’inscrit dans une série d’actions locales du Front d’action populaire en réaménagement urbain (FRAPRU). Alors que les annonces de condominiums à vendre ou à louer continuent de se multiplier dans l’arrondissement du Sud-Ouest, le nombre de logements sociaux varie peu. Dans un premier temps, les manifestants revendiquent la construction immédiate de 2800 unités de logement sociaux à Côte Saint-Paul, Ville-Émard, PetiteBourgogne et Saint-Henri. Le but est de venir en aide aux 2800 ménages consacrant plus de 50 % de leurs revenus mensuels au loyer. Dans un second temps, le FRAPRU aimerait qu’au lieu d’accorder 3 000 unités de logements sociaux par année, le gouvernement construise au moins 50 000 logements sociaux neufs dans les cinq prochaines années pour répondre aux besoins minimums des locataires de ces quartiers. De plus, les organisateurs cherchent à dénoncer le phénomène de gentrification, qui pousse les familles aux revenus modestes à s’installer en banlieue de Montréal, compte tenu des nouveaux loyers. Patricia Viannay, employée du Projet Organisation Populaire Information et Regroupement (POPIR)-Comité logement et organisatrice de l’événement, dénonce la transformation de ces quartiers histori-

quement populaires. En entrevue avec Le Délit, elle dit que «les gens qui habitent ici ont toute leur histoire dans ces quartiers. Ils sont expulsés après 30 ans de leur appartement car Montréal a décidé [de l’utiliser] pour en faire un condo. Ils sont ensuite relogés dans des logements sociaux à Lachine ou Laval, et c’est un déchirement parce que ces quartiers, c’est leur identité. De plus, beaucoup n’ont pas d’auto et le fait de les excentrer à un impact important sur leur quotidien». Les organisateurs de la manifestation souhaitent redonner la parole à cette partie de la population, trop souvent oubliée par le système. Malheureusement, il est souvent difficile de se faire entendre par le gouvernement et c’est pour cette raison que le FRAPRU et POPIR-Comité logement multiplient les actions. Patricia explique ainsi: «l’année dernière, on a squatté un terrain pendant une semaine pour avoir 2000 logements sociaux en réserve, donc on est entendu à condition de faire beaucoup de bruit et de se mobiliser beaucoup.»

Un débat socio-politique de fond Richard, un manifestant, explique en entrevue avec Le Délit qu’il est très difficile pour bon nombre de gens de s’adapter à l’augmentation du coût du logement. «Pour quelqu’un qui a un budget limité et un travail pas trop payant, c’est pas facile. Ça pose la question de la responsabilité de l’État. Ils sont à l’écoute, mais ce qu’il manque, c’est les actions. Notre objectif, c’est celui de réserver des terrains pour les gens qui n’ont pas les moyens de pouvoir s’acheter quelque chose dans le privé.» D’un point de vue plus analytique, Richard souligne une valeur en filigrane du débat: la place que notre société souhaite accorder à l’État. En effet, face à ces familles démunies, il est de la responsabilité de cha-

Des priorités mal placées Le message que souhaitait faire passer le FRAPRU est que l’argent nécessaire existe, mais qu’il est mal utilisé. «Il y a un problème au niveau du Québec et encore plus au niveau fédéral. Au fédéral, ils ont annoncé 3,5 milliards de surplus [dans leur budget], puis ils continuent de refuser de financer du logement social. Au niveau du gouvernement du Québec, on nous parle d’austérité, mais on voit bien avec tout l’argent investi dans le quartier que l’argent est là. Après, la question, c’est où on le dépense et à quelle fin», constate Patricia Viannay.

cun de décider, à travers le processus démocratique, des valeurs sur lesquelles nous souhaitons bâtir notre société. Patricia dit que «notre problème, ce n’est pas les gens qui achètent les condos, eux aussi ils sont endettés. Notre problème, c’est ce système qui favorise le logement comme marchandise plutôt que le logement comme droit». La mobilisation continue: une nouvelle action aura lieu le 25 février, dans le quartier de Saint-Henri, (afin d’interpeler le gouvernement fédéral qui, depuis 1994, réduit progressivement ses subventions allouées aux logements sociaux). Autre fait important à noter, de 2011 à 2020, c’est 31% des conventions avec le fédéral qui vont arriver à terme, et leur renouvellement est plus qu’incertain. [

Luiz Tazuo Takei / Le Délit

BRÈVE / QUÉBEC

Énergie au Québec: nécessité ou mascarade? Léo Arcay Le Délit

L

’organisme Alliance Romaine s’insurge contre un projet jugé anti-écologique et «économiquement perdant». C’est ce qu’on lit sur leur page Facebook, où ils ont annoncé la manifestation qu’ils ont organisée avec pour nom «Opération éléphant blanc». L’expression, qui désigne une entreprise d’envergure, mais plus coûteuse que bénéfique, est utilisée pour dénoncer l’ambition d’Hydro-Québec de construire un complexe hydroélectrique sur la Romaine, rivière située sur la CôteNord du Québec. Les protestataires se sont rendus tous les jours de la semaine dernière déguisés en éléphants blancs devant les bureaux de la compagnie sur le boulevard René-Lévesque. La pertinence du projet est par ailleurs largement remise en question depuis ses débuts. La centrale, composée de quatre barrages, permettrait de produire une puissance totale de 1550 mégawatts et coûterait environ huit milliards de dollars. Cependant, Hydro-Québec produirait déjà un surplus

d’électricité. Cette énergie supplémentaire ne trouverait sûrement pas d’acheteur, et finirait par être vendue à perte à des alumineries canadiennes ou bien aux ÉtatsUnis. Si la société d’État emploie une telle stratégie, selon les partisans du projet, c’est parce qu’elle prévoit une future hausse de la demande et du prix de l’électricité. «L'économie reprendra, […] un marché se créera à moyen et long terme pour l'hydroélectricité produite par des projets comme la Romaine», estime Pierre-Olivier Pineau, professeur spécialisé en politiques énergétiques à HEC Montréal, dans un article de La Presse. Les opposants au complexe, dont Alliance Romaine, voient plutôt une manipulation des lobbys industriels qui bénéficieraient de tarifs préférentiels. «Ça fait l’affaire des compagnies de la construction, connues partout au Québec pour leur honnêteté», confie avec ironie Christopher Scott, porteparole d’Alliance Romaine, lors d’une entrevue avec Le Délit. D’après les militants, une telle entreprise n’est pas économiquement viable et sera injustement financée par les abonnés québécois. Ils suspectent la déci-

[ le délit · le mardi 4 février 2014 · delitfrancais.com

sion d’Hydro-Québec d’augmenter le prix de l’électricité de 5,8% à partir du 1er avril comme un moyen de financer le projet de la Romaine. De plus, cela ne peut que nuire à l’environnement et aux communautés autochtones de la région, dit-il. Alliance Romaine prévoit par ailleurs,

jeudi 6 février à 11h30, d’organiser une manifestation plus large que d’habitude, durant laquelle ils prétendront quêter de l’argent pour financer la construction du complexe hydroélectrique. Ce «genre de guignolée» visera à tourner en dérision l’absurdité du projet et son coût exorbitant. [

Cécile Amiot / Le Délit

Actualités

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Société societe@delitfrancais.com

FÉMINISME

Mahomet disait «Apréhend

Julia Denis Le Délit

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ette semaine McGill sera placée sous le signe du féminisme, avec l’événement «Who needs feminism?», du 3 au 9 février.. Plutôt que la question «Qui a besoin du féminisme?» il aurait été intéressant de se demander «Qu’entendez-vous par ‘‘féminisme’’?» En effet aujourd’hui l’image de la féministe est bien trop occidentale. On se représente une blanche, un peu révolutionnaire, un peu masculine, qui scande des slogans en faveur de la contraception et du mariage lesbien par exemple. À l’inverse, on se fait rarement l’image d’une féministe portant le voile et qui se bat à coup de tweets pour que l’égalité promue par le Coran soit respectée. Pourtant, ces féministes existent et font de plus en plus parler d’elles sur les réseaux sociaux, dans les médias, et au travers des publications universitaires. Féministes islamiques? Un autre genre? Un mouvement progressif Le mouvement que nous appelons aujourd’hui «féminisme islamique» débute au 19e siècle avec le Réformisme islamique, et prend réellement ses racines au cours de la colonisation. À cette époque émerge «l’orientalisme», comme nous l’explique le professeur Rex Brynen, spécialiste à McGill du Moyen-Orient. Ce concept, c’est le fait d’appliquer aux populations orientales le stéréotype d’une culture «exotique», différente et «sauvage», pour mieux les dominer. Parallèlement, le temps de la colonisation est aussi celui de la mission civilisatrice de «l’Homme blanc». Ainsi une vision particulière de la femme orientale naît: elle la montre comme étant extrêmement différente de la femme occidentale, et est régressive (même si au même moment en Grande-Bretagne la place de la femme dans l’ère victorienne était parfois d’autant plus inférieure). Ces perspectives ont contribué à infantiliser la femme musulmane. Une raison pour laisser croire aujourd’hui que ces femmes ont besoin d’une émancipation «à l’occidentale» et pour qu’on ait du mal à comprendre le mouvement de ces femmes qui ne cherchent pas à se «libérer» de l’islam et du voile. Et ce fut une raison qui poussa ces femmes à défendre leurs valeurs culturelles comme une réaction politique.

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Naît alors un type de féminisme que l’on appelle «fondamentaliste». C’est Halleh Afshar, professeure en études des femmes, genres et sexualité, qui créa en Angleterre le concept, se rapportant aux femmes qui s’étaient mobilisées au sein de la révolution islamiste iranienne ou se battaient par exemple au côté du Hezbollah. Bien qu’elles ne défendaient pas les droits spécifiques de la femme et s’opposaient au féminisme occidental, Halleh Afshar les considère comme féministes car elles jouaient un rôle politique en société et clamaient leurs idées. Une autre conséquence de la décolonisation a été la mise en place de politiques postcoloniales traditionnelles qui n’ont en aucun cas amélioré le sort des femmes. En reprenant leurs cultures et leurs valeurs, les dirigeants des nouveaux États arabes ont alors rejeté tout ce qui semblait être «occidental», comme des notions d’égalité des sexes ou de libération de la femme. Une déception pour ces femmes arabes qui s’étaient engagées et qui avaient cru en un renouveau de l’islam par son affirmation en politique. C’est à partir de là qu’un véritable féminisme islamiste arabe commence à se développer. Le discours des femmes pour l’islam se transforme alors en un discours des femmes dans l’islam. Et se différencie de l’Occident. On remarque d’un côté un féminisme à l’occidentale qui recherche parfois l’émancipation de la femme par une grande dose de sécularisation. De l’autre des femmes qui se reconcentrent sur le Coran et en plébiscitent les messages égalitaires: c’est une forme de féminisme islamique. Avec l’amélioration de l’éducation des femmes et la renaissance d’un discours réformateur de l’islam, les deux bourgeons différents commencent leur croissance. Ce sont deux branches qui vont grandir avec le rythme lent de la nature qui tente de réaffirmer sa grandeur jusqu’à l’apogée du printemps. Qu’en sera-t-il de cette plante grimpante du féminisme arabe? Va-t-elle porter ses fruits en été ou pourrir sous le soleil chaud? À l’automne quand les feuilles tomberont de ses branches, viendront-elles remplir les urnes et recouvrir la femme d’une nouvelle dignité; ou s’inclineront-elles face au

[ le délit · le mardi 4 février 2014 · delitfrancais.com

conservatisme salafiste qui pousse comme du chiendent? S’émanciper dans l’Islam L’idée de féminisme islamique a été clarifiée par le livre du même nom écrit par la sociologue française Zahra Ali, qui décrit le phénomène comme un «mouvement transnational qui s’inscrit dans la continuité de la pensée réformiste musulmane». Ces femmes qui redécouvrent le message de l’islam le réinterprètent à l’encontre d’une quelconque vision patriarcale et appellent à un retour aux sources de la religion et de la justice. Elles fondent donc leur idéologie féministe sur les textes sacrés, de façon réformiste. Ce réformisme peut être -traditionnel (en promouvant une égalité spirituelle mais des droits différents même si «équivalents»), radicale (en défendant une égalité fondamentale) ou libérale. Ce dernier type d’idéologie est le plus fréquent. C’est un féminisme critique vis-à-vis du féminisme occidental qui laisse croire qu’on peut utiliser dans le monde musulman les mêmes modalités d’émancipations de la femme qu’en Europe. Le féminisme islamique s’attache plutôt à la vision philosophique et éthique des textes de l’islam. Plutôt que de suivre l’interprétation sexiste des textes sacrés utilisée dans un grand nombre de pays musulmans, ces femmes y trouvent un message d’égalité et de respect pour la femme. Car comme l’explique Zahra Ali «l’égalité est au fondement de la religion musulmane». Cet argument émane de l’idée de Tawhid (monothéisme musulman) qui démontre la gravité de la domination de l’homme sur la femme, qui est semblable à l’appropriation d’une autorité qui n’appartient qu’à Dieu. Et il est vrai que si on cherche quelque peu à comprendre les messages de la religion musulmane, la revendication féministe y a toute sa place. Comme l’explique Sara L. Parks (Directrice du Chaplaincy McGill et étudiante au doctorat en Études religieuses): bien que comme pour les autres grandes religions monothéistes, les textes sacrés musulmans soient en un certain sens «patriarcaux», car ils représentent les aspects de leur époque d’origine (soit le 7e siècle pour le Coran), on peut tout de même les


ISLAMIQUE

der l’épreuve des femmes!».

Romain Hainaut / Le Délit

interpréter d’une façon assez féministe. Déjà à travers le Tawhib, mais aussi par l’histoire de la Révélation Coranique. Par exemple Um Salama, une des épouses du prophète demandait déjà pendant l’époque de la Révélation que l’islam s’adresse aux femmes. C’était donc en quelque sorte un premier pas pour le féminisme islamique. Les actions des féministes islamiques consistent en la révision de la jurisprudence et des textes musulmans pour en extraire le sexisme, en la relecture de l’Histoire islamique avec une perspective féminine, et en l’élaboration d’une pensée féministe pour l’égalité des sexes et la justice. Ces revendications passent par la promotion et la réforme de l’égalité et des droits dans les sociétés musulmanes, et par la création d’une élite intellectuelle (maîtrisant les études islamiques pour être des véritables actrices du changement). Présentes pendant le Printemps arabe par exemple, ces femmes continuent aujourd’hui de s’activer sur les réseaux sociaux, comme Twitter et son fameux «#lifeofamuslimfeminist» (#vieduneféministemusulmane), et aux travers d’associations comme Women living under Muslim law (Femmes sous lois musulmanes), un réseau de solidarité international. Elles sont surtout très impliquées dans le monde universitaire car le principe du féminisme islamique est d’appliquer les sciences sociales aux études islamiques. Tout cet engagement prend place aussi en-dehors du Moyen-Orient. Montréal en est le parfait exemple: on peut trouver dans chacune des universités de la ville des cours liés à ce sujet. À McGill, il y a par exemple le cours «Women in contemporary Middle East» («Les femmes dans le Moyen-Orient contemporain»). Des colloques sont organisés. Et quelques figures populaires fleurissent, comme Dalila Awada, surtout en ce temps de débat à propos de la Charte des valeurs. Cette dernière est une étudiante de Montréal qui nous a expliqué lors d’une entrevue son engagement féministe pour que toute femme puisse «disposer de son corps comme bon lui semble» et qu’elle ne soit pas «réduite à son habit, qu’il soit religieux ou pas». Mais ce mouvement émane surtout des intellectuels de la classe moyenne, et échoue à représenter pleinement les

problèmes quotidiens de la femme musulmane. Il peine donc actuellement à trouver un soutien populaire pour donner assez d’envergure à ses messages. Un clivage idéologique L’idéologie des féministes musulmanes est complètement différente de celle des féministes Européennes ou NordAméricaines de par son rapport à la religion. Les féministes du Nord se battent contre l’influence de la religion sur leurs droits. C’est le cas des Femens (cette association internationale originellement formée en Ukraine dont le mode de fonctionnement est basé sur l’utilisation de leur corps comme outils de combat) qui manifestent les seins nus avec des slogans en peinture de guerre. C’est aussi le cas des féministes espagnoles qui se battent actuellement pour la survie de leur droit à l’avortement menacé par le conservatisme religieux du président du gouvernement Mariano Rajoy. Cela correspond à une vision qui suit les valeurs occidentales de libération par la sécularisation. À l’inverse, pour les féministes islamiques, il s’agit de «défendre l’islam et l’islamité de leur engament pour les droits des femmes», comme l’explique Zahra Ali. Ce point est sûrement celui qui inspire le plus d’incompréhension et de rejet dans nos sociétés. Ainsi une activiste du mouvement Femen, Neda Topaloski, nous a expliqué qu’il était selon elle impossible que des femmes se prononcent féministes tout en défendant la religion. Les deux sont pour elle incompatibles car les religions sont misogynes par les textes et par les institutions. L’islam, mais aussi la plupart des autres religions, représenteraient l’asservissement historique de la femme. Ce mouvement de femmes musulmanes serait donc vertueux dans son objectif d’améliorer le cas des femmes; mais ne correspondrait pas à un véritable féminisme car il ne chercherait pas à se libérer des dogmes inégalitaires de la religion. Une Femen portant le voile ne serait alors pas envisageable car selon ces dernières le port du voile est un symbole de soumission de la femme (ne s’appliquant de façon arbitraire qu’au sexe féminin). Cela jurerait avec leur fameuse couronne de fleur et leurs seins nus: «l’habit de l’insoumission».

Les féministes islamiques comme Dalila Awada affirment justement cette différence et souhaitent aussi à travers leur combat marquer leur indépendance vis-àvis des féministes occidentales. En effet, le but de ces femmes n’est pas seulement de se libérer de la subordination masculine, mais aussi de la vision raciste et supérieure des occidentaux. Leur combat pour le port du voile comme un choix ou la promotion de l’islam familial témoignent de cette nécessité d’affirmer leur distinction et de «vivre leur féminité à leur façon». Cette coupure avec les formes de féminisme plus habituelles suscite alors des critiques par les médias occidentaux. Ceux-ci y voient souvent une façon d’isoler le mouvement du féminisme islamique pour les affaiblir; ou même une promotion cachée de l’idéologie politique islamiste. L’assimilation des féministes islamiques à des «marionnettes» des islamistes est une véritable question pour certains. Un véritable moyen de leur faire perdre toute légitimité aussi. Ainsi par exemple Dalila Awada a été accusée d’être influencée par un Imam Khomeyniste au sein de l’association Bridges (une association musulmane d’idéologie Khomeyniste). Elle a répondu au Délit que contrairement aux accusations faîtes à un soit disant lien entre féminisme islamique et islamisme politique, ces deux mouvements sont à contre-courant: les féminismes se mobilisant pour les conditions de la femme musulmane, chose qui ne semble pas «être à l’ordre du jour» chez les islamistes. À entendre ces critiques et ces incompréhensions, on en conclut que les occidentaux ont un problème de généralisation. En effet le contexte dans les pays musulmans, les politiques vis-à-vis de l’islam, la place des femmes dans la société, l’intensité de leur combat, la présence d’une répression, l’idéologie du féminisme, le vison de l’occident, les actions et les mouvements varient largement entre les différentes régions du «monde musulman». Une région qu’on ferait mieux de ne pas appeler comme tel. Car à force de ne pas en comprendre les nuances en cache la lumière. Et dès lors nous ne pouvons en aucun cas saisir la force de cette lueur, celle du chemin vers une nouvelle dignité. [

Société

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OPINION

Chat fait mal Théo Bourgery & Côme de Grandmaison

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ric Woerth, ça vous dit quelque chose? Rapide remise en contexte. Cet ancien ministre français est impliqué dans le «scandale Bettencourt» depuis plusieurs années, et la justice française se demande s’il n’aurait pas extorqué de l’argent à la plus riche famille de France afin de financer la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy en 2007. Cependant, même si des charges sont contre lui, la Cour de la Justice de la République (CJR) le laisse libre de disposer. Quelques centaines de kilomètres au sud de ce scandale, il y a Farid Ghilas. Il s’est fait connaître il y a quelques jours sur tous les réseaux sociaux pour avoir lancé un chat contre un mur. Le chat n’était pas consentant. Futé le Farid. Toute la population du Net devient folle: une page Facebook «Tous avec Oscar le chat martyr de Marseille» recueille plus de 20 000 «j’aime»; les activistes demandent une condamnation rapide, à coups de «nous attendons une peine à la hauteur de sa cruauté». Résultat: un an de prison ferme pour M. Ghilas.

Ce qu’il faut comprendre dans tout cela, c’est que la condamnation semble complètement disproportionnée. Il n’est pas question de savoir si la cruauté envers les animaux doit être acceptée: elle ne doit pas l’être. En revanche, il s’agit de relativiser. Comment expliquer qu’un vrai mouvement de foule prenne vie pour un chat, alors que l’affaire Woerth, qui remet en questions les bases fondamentales de la démocratie –l’honnêteté politique, et le respect des citoyens–, mobilise uniquement une partie tout à fait mineure de la population? On remarque que le pouvoir des réseaux sociaux semble fonctionner uniquement pour certaines situations: aucune page Facebook s’opposant à Eric Woerth n’existe; ou, pour prendre un autre exemple, il y a eu seulement 20 000 adhérents en trois ans d’existence pour la page «500 000 voters for a Rob Ford free Toronto» («500 000 électeurs pour un Toronto sans Rob Ford»). Ainsi, les enjeux politiques et sociaux semblent bien moins attirants pour les internautes que les affaires «croustillantes». Ce n’est pas l’un ou l’autre. Ce n’est pas un Woerth ou un Ghilas, tous deux doivent être punis. Mais les barèmes doivent être revus. En effet, aujourd’hui, le Code pénal

français punit toute personne agressant un animal en toute connaissance de cause d’un maximum de deux ans de prison et 30 000 euros d’amende, tandis qu’une personne conduisant en état d’ébriété avancée (plus de 0,8 grammes par litre de sang) risque une peine allant jusqu’à deux ans d’emprisonnement, 4 500 euros d’amende, la suspension du permis et le retrait du véhicule. Qu’en déduire? Qu’un tueur potentiel (d’êtres humains) ne risque pas plus qu’un agresseur de chat? Qu’un être ne respectant ni sa vie ni celles des autres risque moins qu’un être ayant décidé que le prédateur naturel des rats était plus amusant qu’un ballon? De même le forum juridique-et-droit.com indique que toute personne «risque une amende de 45 000 euros et un emprisonnement de trois ans de prison si les coups et blessures volontaires ont occasionné une incapacité totale de travail de plus de huit jours». Ce qu’il faut comprendre avec cette comparaison, c’est que les sanctions pour une personne humaine et une entité animale sont fort similaires. Par ailleurs, frauder le FISC (ne pas payer ses impôts) est visé de sanctions encore floues, mais les faits sont là: les fraudeurs semblent intouchables. 600 milliards d’euros manquent à la France (d’après le livre Ces 600 mil-

liards qui manquent à la France. Enquête au cœur de l’évasion fiscale d’Antoine Peillon), mais les gens sont plus prompts à se rebeller pour un chaton. Il est donc temps de revoir les priorités, en tant que citoyens dans une démocratie. Il s’agit de voir plus loin que ce simple animal: ceux qui ont donné leur soutien à Oscar sont-il tous des activistes pour les droits des animaux? Ou nous apitoyons-nous sur le sort du pauvre chat parce qu’après tout, c’est encore un bébé et qu’il est vraiment «mignon»? Ceux qui se battent pour les droits animaliers sont-ils aussi les garants de la liberté au sein de la République, même celle des humains? On pourrait donc qualifier cette action d’«égoïste». On protège Oscar parce qu’Oscar est simple à protéger. Il est ce qu’on appellerait ici un «bébé phoque», si simple à défendre, ne suscitant aucune controverse. Dans un même temps, des gens meurent sous les balles en Syrie et la démocratie n’est pas aussi stable qu’on aime à le penser dans les pays occidentaux. Mais ces sujets sont trop éloignés de notre quotidien, trop compliqués, et contiennent trop de facettes. Ils ne nous contraignent pas moralement, ne nous affectent pas personnellement. Alors on sauve Oscar. «Chat-le histoire».[

OPINION

Dieudonné et les nouveaux réactionnaires Baptiste Rinner Le Délit

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n n’entend parler que de ça dans les médias français, depuis quelques mois déjà. L’Affaire Dieudonné avec un grand A passionne les foules démocratiques. Si ce n’était pour les frasques nocturnes du président François Hollande, «Dieudo» aurait encore sa tronche sur toutes les «Unes» de la République. La question qui m’intéresse aujourd’hui n’est pas l’éternel complot sioniste ou la signification de la fameuse quenelle, qui a fait l’objet des interprétations les plus fantaisistes là où il ne faut y voir qu’un signe de contestation; plutôt, il faudrait comprendre, s’expliquer comment Dieudonné a pu renaître de ses cendres et s’affirmer comme le comique le plus célèbre de France. Il faut remonter à l’année 2003. Dieudonné est reconnu dans le paysage médiatico-culturel, a fait une apparition remarquée dans le carton de l’année précédente, Astérix et Obélix: Mission Cléopâtre de son ami Alain Chabat, il monte sur scène avec l’humoriste Élie Sémoun, bref, il fait parti du «showbiz». C’est un sketch sur la colonisation de la Palestine qui va mettre fin à sa carrière dans le milieu. Ni particulièrement drôle, ni très provocateur, il est à l’image de la ligne humoristique de Dieudonné pour les années à venir, dépassant la simple satire du pouvoir et se politisant davantage, allant jusqu’au complotisme, ce qui ne plaît pas à la Sphère. Mis au ban de la société du spectacle, il s’affiche sur les nouveaux moyens de communications, dont les sites d’hébergement de vidéos, YouTube en tête, créé en 2005. Voilà Dieudonné passé en mode underground, à faire ses petites vidéos YouTube,

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Romain Hainaut / Le Délit filmées dans son bureau. S’il a une base de fans inconditionnels, ses vidéos restent confidentielles. Bien sûr, il monte encore sur scène, à la fois dans son théâtre et sur des grandes scènes parisiennes, le Zénith en particulier, mais la couverture médiatique ne suit pas. Il n’est évoqué dans les médias que pour être dénoncé, accusé d’antisémitisme et tout le tralala. Peu à peu, à travers les invectives de grandes personnalités publiques comme le philosophe Bernard-Henry Levy, Dieudonné se constitue (sciemment ou non, là n’est pas la question) une image de «martyr», selon le mot de l’animateur de la chaîne de télévision Canal+ Michel Denisot. Là est la clé, semblet-il, du buzz Dieudonné. En octobre dernier, c’est une photo de deux soldats faisant la quenelle, geste inventé par l’humoriste, devant une synagogue qui refait parler de Dieudonné. Alors que ce n’est au départ qu’une plaisanterie sur Twitter, le phénomène va toucher les hautes sphères

lorsque le ministre de la Défense Jean-Yves Le Drian réagit et condamne le geste des deux soldats en question. À partir de là, les acteurs du gouvernement ne feront qu’alimenter le buzz et faire de la publicité à Dieudonné; Manuel Valls ira même jusqu’à citer son nom dans le discours de l’université d’été du Parti Socialiste! Tout cela semble excessif alors qu’il ne s’agit que d’un humoriste de second rang en termes de visibilité. Reste que Dieudonné va exploiter au maximum la posture du gouvernement, postant des vidéos «en réponse» à Manuel Valls, Pierre Moscovici et ses autres détracteurs. Son combat aujourd’hui, contre les décisions de justice et autres interdictions de spectacle, est résolument antigouvernemental. C’est là que ça devient intéressant. Il semble qu’une mode se soit établie en France depuis maintenant deux ans, dont l’objet est le dénigrement systématique de la présidence et du gouvernement socialiste. La

droite ne se remet pas de la défaite de l’ «hyperprésident» Nicolas Sarkozy, qui a mis fin à 17 ans de présidence RPR-UMP (soit les deux principaux partis de la droite française ces dernières années), et se déchaîne sur la politique du pouvoir socialiste. Il n’y a qu’à voir la force de rassemblement du collectif «Manif pour tous» ou l’improbable mouvement des bonnets rouges, parti de Bretagne mais duquel la force contestataire s’est élargie et déconnectée des enjeux d’origine pour se transformer en force réactionnaire visant le gouvernement en général. Ces forces réactionnaires ont saisi l’affaire Dieudonné comme celles citées ci-dessus, comme un prétexte pour servir la rhétorique antisocialiste. Comment expliquer, du reste, l’extraordinaire côte de popularité de Dieudonné, dont les vidéos sont passées de 50 000 à trois millions de vues sur YouTube? C’est du pain béni pour ces contestataires, qui se drapent de la fameuse liberté d’expression chère à la France en réponse aux interdictions de spectacle. D’autres persistent dans un vocabulaire certainement excessif qui est maintenant la marque de fabrique des manifestations de droite, qualifiant le gouvernement de «dictature», «état totalitaire» et autres douceurs. De son côté, Dieudonné joue la carte de la victime, du Résistant échappant à la Gestapo, éternel David contre Goliath. C’est bien connu, la doxa aime bien les opprimés. Nous voilà entrés dans une belle spirale médiatique, un maelstrom, une affaire qui tourne en rond, où les forces en action s’échangent quelques pitoyables coups, se les rendent par voix interposée sans forcément faire avancer les choses. Le manichéisme de la situation ne fait que révéler la pauvreté et l’impasse du débat républicain, d’un côté comme de l’autre. Nous ne sommes pas sortis de l’affaire Dieudonné.[

[ le délit · le mardi 4 février 2014 · delitfrancais.com


Arts&Culture artsculture@delitfrancais.com

Fiona Ross

COMÉDIE MUSICALE

Ciel, mon mari! AUTS et The Drowsy Chaperone triomphent du pathétique à Moyse Hall. Joseph Boju Le Délit

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n entre, on sort, on chante, on danse, on cherche quelque chose et on ne trouve rien, tout est en rumeur. Un mariage est sur le point de se conclure et ne se conclut pas, un Don Juan bouffon du nom d’Adolfo courtise le chaperon au lieu de la fiancée, tandis que le fiancé fait du patin à roulettes les yeux bandés et embrasse une Française à l’accent douteux. On entre, on sort, on chante, on danse, on cherche de plus belle. Cette intrigue n’a pas de sens. Peu importe! Elle fait la joie d’une femme dans son fauteuil, celle qui écoute la pièce dans son salon et nous la fait partager depuis son étrange solitude. Pour réfléchir sur l’essence même du genre de la comédie musicale, Fiona Ross a touché juste en montant The Drowsy Chaperone avec la Arts Undergratduate Theatre Society (AUTS). L’intrigue en est simple: une femme (Jami Price), décide, un soir où elle se sent mélancolique, d’écouter son vinyle de The Drowsy Chaperone et d’expliquer au spectateur pourquoi il s’agit de sa comédie musicale préférée, avec le nombre d’arrêts sur image et d’explications qu’une telle argumentation peut impliquer. L’intrigue imbriquée -par une volontairement grossière mise en abîmeest tout ce qu’il y a de plus vaudevillesque, cocasse, farfelue, et pathétique, au point où tout cela est risible mais irrésistiblement drôle. Il s’agit tout bonnement d’une histoire d’amour, comme seuls les Broadway

des années 1920 pouvaient en créer: un resplendissant Robert Martin (Natalie Aspinall) doit se marier dans l’heure avec Janet Van de Graaf (Colby Koacher), une ultra-modeste star d’Hollywood. Parmi les invités à la noce se trouvent le très sérieux témoin du fiancé, Georges, et l’extravagante et voluptueuse chaperon de la fiancée (Vanessa Hunitec). Ajoutons à cela des starlettes jalouses, des producteurs véreux, des pâtissiers-gangsters, une maîtresse de maison, son boy et un aviateur. Résultat des courses: quatre mariages, nul enterrement, et une lune de miel groupée à Rio de Janeiro (prononcez «Janeir’»)! Ne nous demandez pas comment un tel compte s’obtient, nous n’avons fait qu’assister au spectacle. La palme revient-elle à Jami Price, dans le personnage de la femme au fauteuil? Son jeu est intrigant, vous fait sourire mais ne parvient pas à vous donner l’extase, elle nous est trop semblable, c’est peut-être là sa force. Elle domine la distribution de par sa position en avant-scène, s’efface devant elle avec discrétion, pour ensuite revenir commenter l’intrigue avec humour et passion. Enfin, cette question de la palme ne se poserait pas s’il n’y avait deux autres actrices. Figurez-vous plutôt n’importe quelle égérie des années folles, c’est Colby Koacher qui apparaît. Une voix juste et légère, l’allure d’un oiseau et la polyvalence d’un commercial. Ajoutez à cette égérie ce je-ne-sais-quoi qui fait de Johnny Depp un pirate charmant (une certaine capacité à lever le coude?), vous avez Vanessa Hutinec. Elle rassemble à elle seule un

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chant puissant et subtil, une démarche titubante mais décidée et surtout un timing impressionnant qui font d’elle une chaperone des plus divertissante. Clous du spectacle, ces vedettes de soirées sont suivies de très près par un Adolfo hilarant en la charmante personne de Chelsea Wellman et un Robert campé par une Natalie Aspinall énergique. Le fameux théâtre dans le théâtre, voilà un procédé bien rôdé par une équipe au jeu de groupe solide, et Dieu sait s’il faut de la coordination pour faire danser et chanter dix-neuf comédiens ensemble sur une scène! Si le premier acte prend son temps à démarrer, le reste du spectacle est un délice. Les chorégraphies de Debbie Friedman sont réussies, car à la fois humoristiques et techniques. Elles rythment le spectacle et lui donnent son allure enjouée, débordante et rieuse. Une mention toute spéciale revient à Natalie Aspinall et Kaitlin Carmanico, dont le numéro de claquettes sur «Cold Feet» en a retourné plus d’un dans la salle. Wilber Tellez, dont les costumes vous laissent pantois, a une fois de plus réussi son affaire puisqu’il collabore avec AUTS pour la deuxième année consécutive. Où diable voulez-vous trouver des robes dignes d’un Broadway de 1928? Il faut bien les faire! Monsieur Tellez s’en charge, et particulièrement bien pour ce qui est de l’attirail de Janet Van De Graaf. En ce qui concerne les décors, l’affaire est sobre: un fond inchangé d’un jaune un peu douteux mais réservant quelques surprises acrobatiques, qui permet aux actrices (un seul homme dans toute la distribution, qui ne

l’emportera pas) d’aller et venir comme dans une maison où l’on prépare une noce. Alice Escande, une honnête étudiante interrogée à la fin du spectacle avoue que la mise en abîme a le pouvoir de «nous réveiller un peu parfois, par un regard ironique, cynique, nous permettant de nous rendre compte du ridicule de l’action principale». Les commentaires parfois cinglants de la femme au fauteuil sur l’intrigue, avaient en effet le don comique dont nous fait part cette jeune femme. Pour les amateurs du Moyse Hall, d’aucuns savent la difficulté de faire fonctionner sa machine sonore de façon adéquate. Après une ouverture un peu forte, les micros se sont ajustés à l’orchestre et nous ont régalé d’un spectacle «équilibré», à deux détails près. Mais ce n’est pas tout, car parler de son de façon ingénieuse et omettre la partition ne serait rendre justice à Carolyn Barr et Rae Glasman qui mènent avec brio un ensemble jazz harmonieux, au groove des plus aiguisé. Une comédie musicale qui avait bien fait ses 500 représentations à Broadway nous a fait l’insigne honneur de passer à McGill. Parodie du genre, éloge du musical, rieuse, cynique, taquine, The Drowsy Chaperone fut tout cela à la fois, merci à AUTS de l’avoir partagée! [ L’appel à projets d’AUTS débute en avril. Les auditions se tiennent en septembre. Si intéréssé(e), contacter auts.production@gmail.com

Arts & Culture

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ARCHITECTURE

Photographier la vi(ll)e À l’affiche au CCA: Photographier la ville arabe au 19e siècle. Thomas Simonneau Le Délit

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e l’exotisme des contes des Mille et Une Nuits aux révolutions populaires d’aujourd’hui, la ville arabe a toujours fasciné les observateurs étrangers. À la fois effervescente et mystérieuse, ses singularités ont poussé de nombreux photographes, amateurs comme professionnels, à tenter d’en capturer la magie. C’est précisément cette détermination à la comprendre et à l’explorer que nous propose d’entreprendre le Centre Canadien d’Architecture (CCA) avec son exposition «Photographier la ville arabe au 19e siècle», présentée jusqu’au 25 mai prochain. Sous le commissariat de Jorge Correia, professeur associé à l’école d’architecture de l’Université de Minho au Portugal, cette exposition interprète la manière dont la ville islamique traditionnelle a été représentée par différents photographes européens (dont Francis Frith, Emile Béchard, Félix Bonfils et Maxime du Camp, ami de longue date de Flaubert). En guise d’introduction à la visite, Fabrizio Gallanti, directeur associé des programmes au CCA, signale la volonté de «déstructurer le discours occidental par rapport à la ville arabe». Un discours généralement condescendant, visant à diffuser une perception du monde oriental comme celle d’un monde immature, insalubre et chaotique, qui se doit de changer. Effectivement, les phénomènes liés à la colonisation européenne du Maghreb ont trop souvent construit une certaine idée de ces espaces de vie, tout en négligeant les règles, les lois, ainsi que la structure qui les définissent. En ce sens, Jorge Correia nous rappelle que les villes du Maghreb et du Moyen-Orient possèdent un cœur (la cour), un sens géoréférentiel (la Mecque) et des systèmes sociaux élaborés caractérisés, notamment, par l’usage de moucharabiehs visant à protéger l’intimité du foyer tout en portant un regard sur le monde extérieur. La distinction entre le «halal» (le permis, le licite) et le

«haram» (l’illicite, le sacré) prend également une place prépondérante lorsqu’il s’agit de concevoir la dynamique de ces lieux, participant certainement à façonner leur unicité et leur intrigue. De surcroit, les recherches du professeur Correia et sa connaissance du monde arabe font référence aux événements contemporains de ces villes et à l’importance de leur organisation, autant physique qu’inconsciente. Par exemple, on comprend que la place publique n’existe pas comme on l’entend en Occident, que Jemaa el-Fnaa au Maroc était un marché avant de devenir un place touristique, que Tahrir en Egypte est une reproduction des places européennes. La vie en communauté s’organise bien plus autour des mosquées et des cours intérieures (privées ou publiques), et la lecture de certaines photographies montre que chaque minaret correspond à un quartier différent de la ville, un monde annexe mais subtilement distinct. «Photographier la ville arabe au 19e siècle» se base donc sur une approche morphologique pour décoder les messages de ces lieux, avec pour but final une interprétation objective de ces mêmes lieux. Intitulée «Lever le voile», la salle octogo-

nale du CCA cherche, selon Jorge Correia, à «reconnaître dans l’autre une certaine organisation de la société, de la vie» le temps de cette exposition. La cinquantaine de photographies tirée de la collection du CCA et mise en lumière lors de cette exposition révèle bel et bien une démarche profondément pédagogique de la part de l’institut canadien, permettant à tout intéressé de penser une image juste d’un univers parfois ignoré, ou, pire encore,

révisé, au sens historique du terme. L’usage de la photographie comme médium illustre parfaitement cette volonté de retranscrire une réalité urbaine telle qu’elle, avec honnêPhotographier la ville arabe au 19e siècle Où: Centre Canadien d’Architecture Quand: Jusqu’au 25 mai 2014 Combien: Gratuit

Gracieuseté du Centre Canadien d’Architecture

THÉÂTRE

Ne forcez pas trop le trait Le poids d’un portrait de famille pesé au Rideau Vert. Scarlett Remlinger Le Délit

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’était la première attendue de La Grande Sortie de Jonathan Racine et Mélanie Maynard au théâtre du Rideau vert, jeudi dernier. Les flashs des photographes illuminaient les visages enthousiastes des personnalités venues pour l’occasion en attendant les trois coups de bâton. Puis, c’est au lever de ce fameux rideau vert que Marthe Brouillette apparaît dans l’intimité de sa cuisine, occupée à peler des pommes de terre. Cette mère de famille maintenant âgée, atteinte d’un cancer et sur le point de mourir, retrouve, avec le retour de ses

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Arts & Culture

enfants, la dynamique familiale de son jeune âge, un rêve complètement inespéré. Le fils «Tanguy», (joué par Sébastien Gauthier), et la fille rendue obèse, (jouée par Sonia Vachon), se voient obligés de s’occuper de leur vieille mère jusqu’à ce que l’arrivée inattendue de Charlène (jouée par Mélanie St-Laurent) après douze ans d’absence vienne tout bouleverser. Partie du village après l’accident de son père à la recherche d’une autre et meilleure vie, le rejeton de la famille rentre au nid en dernier recourt après une embrouille sévère avec son compagnon. Son mal correspond à celui de sa mère, qui elle, pense que sa fille est enfin revenue pour l’entourer.

C’est la gaieté et le caractère nonchalant de cette famille qui rend supportable la douleur de ces phases terminales de cancer. Ces trois adultes rient, se taquinent et se chamaillent comme les enfants que leur mère a vu grandir. Mais cette fois-ci, les choses sont rendues plus tendues qu’avant. Les blessures du passé, à-demi cicatrisées, refont surface et sous les sourires complices se glissent des insultes profondes. Jusqu’ici la pièce s’inscrit dans une tradition québécoise que nous connaissons déjà très bien. Un village au fin fond du Québec, une famille col-bleu simple d’esprit et modeste, un père absent, une mère traditionnel pieuse et maniérée.

Voilà une bonne base pour une bonne pièce appréciée par d’honnêtes gens. Face à un bon public, le texte fait effet. Pensé de manière à combler ses spectateurs en maniant l’humour, il use et abuse de calembours, de jeux de mots et de références populaires. Certes, les comédiens sont remarquables, mais encore faut-il se prêter au jeu et se laisser absorber dans l’éternel univers du Québec profond pour pouvoir les apprécier réellement. [ La Grande Sortie Où: Théâtre du Rideau Vert Quand: Jusqu’au 22 février 2014 Combien: Environ 30$

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ARTS VISUELS

L’oxymore revisitée Le 15e «Beaux Dégâts» continue de donner une nouvelle dimension à l’art collectif. Lola de la Hosseraye & Margaux Tellier

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e 29 janvier dernier, artistes, DJs, amateurs de convivialité et de Beaux Dégâts se sont rassemblés de nouveau aux Foufounes Électriques. Beaux Dégâts, c’est tout d’abord la continuité du projet de Fresh Paint Gallery: offrir un espace pour que les artistes de rue s’expriment et ainsi démocratisent cette forme d’art. Le principe de l’événement reste le même en cette 15e édition: chaque équipe d’artistes choisit un thème mais s’en voit imposer un second. Ce soir-là, Géronimo, Buffalo Bill, David Crocket et autre Billy the Kid font office de source d’inspiration. Ils ont alors uniquement deux heures pour créer une œuvre devant les yeux émerveillés d’un public très divers qui, pour voter, lance négligemment sa bière terminée dans la poubelle du groupe de son choix. La salle se remplit peu à peu, les artistes se mettent à peindre et soudain l’ambiance change. Chacun se lève, et part déambuler dans cet anti-musée où les œuvres éphémères rappellent les façades colorées des murs montréalais. L’éphémère en effet, caractéristique de l’art de rue, se voit transposé dans un lieu clos où la nature de la performance change radicalement, pour devenir spectacle. Certains participants n’hésitent pas à se cacher derrière des masques vénitiens, protecteurs d’anonymat mais aussi accessoires de jeu. Les artistes ici vivent leur art d’une manière particulière, comme l’explique l’un des membres du collectif 203, vainqueurs

Cécile Amiot / Le Délit de cette édition. «Dans la rue on recherche quelque chose de différent, c’est de savoir qu’on va investir un endroit où on ne nous attend pas. D’habitude les gens qui apprécient mon art, je ne les vois jamais. Ici ça fait du bien d’avoir directement le regard du public, d’être présent lors de leur découverte de l’œuvre. Ça fait du bien à l’égo.» Beaux Dégats, une histoire d’égo? Plutôt une histoire de partage et de reconnaissance: les artistes, tous en équipe, doivent s’accorder sur une esquisse que leur inspire leurs thèmes, puis évoluer ensemble sur leur pan-

neau. Sans se heurter ils se complètent, dans un mouvement fluide, comme une danse sur la toile. L’échange ne s’arrête pas là. Si les peintres sont au centre de l’attention, les DJs qui se succèdent introduisent une résonance entre art visuel et musique, qui se répondent l’un l’autre. C’est aussi une rencontre, entre les artistes eux-mêmes, qu’on voit discuter de leurs différents projets lorsqu’ils lavent leurs pinceaux une fois le verdict rendu. Plus qu’un accès privilégié et original à l’art, c’est une véritable expérience sen-

sorielle, sociale et humaine qu’offre Beaux Dégâts. Comme nous l’indique Adrien Fumex, organisateur, «la valeur de l’événement tient dans le moment que tout le monde partage. Les œuvres comptent, évidemment, mais c’est une célébration de chacun: artistes, DJs, bénévoles, public. C’est une manière de connecter les gens entre eux». Connecter, échanger, partager: triptyque d’une ambiance qui bouillonne. Entre artistes initiés et étudiants venus profiter «de la bonne musique et des bières pas chères», le dialogue s’engage. «Tu préfères lequel?» ; «T’as déjà voté?», le public se découvre commentateur du processus créatif, devenant pour une soirée juge dans une galerie d’art pas comme les autres. La clé de cet événement est donc le partage du moment vécu et non pas l’œuvre en ellemême. Si de nombreuses personnes ont déjà essayé d’en acquérir une, toutes ont fait face au même refus, car ici les œuvres ne sont pas à vendre. Pire, elles seront recouvertes de blanc pour laisser place au spectacle et aux talents de l’édition suivante. Les Beaux Dégâts s’offrent à tout le monde, mais n’appartiennent à personne. Si Adrien Fumex s’avoue ravi du succès du projet, il rappelle que sa force tient dans son aspect communautaire et que si l’événement s’étend à un trop grand public, plus intéressé par le nom que par son propos, cela signera sa fin. Alors que le nom de Beaux Dégâts se propage dans les discussions mcgilloises, on peut s’interroger sur son avenir. Beaux Dégâts sera-t-il victime de son succès? [

THÉÂTRE

Humour noir Martin Crimp mis en scène par Denis Marleau. Alice Tabarin Le Délit

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a Ville, pièce du dramaturge britannique Martin Crimp, est en représentation à l’Espace Go jusqu’au 22 février. Mise en scène avec habilité par Denis Marleau et Stéphanie Jasmin, l’œuvre entraîne le spectateur dans le quotidien en apparence banal d’un couple de citadins. Au rythme des saisons et en cinq volets, il voit se dérouler la vie de Clair (Sophie Cadieux), de son mari Christopher (Alexis Martin) et de Jenny (Evelyne Rompré), une voisine intrusive qui vient leur livrer ses angoisses. Clair exerce son métier de traductrice avec lassitude, frustrée de ne pouvoir qu’effleurer le monde des écrivains. Christopher vient de perdre son emploi et par la même occasion son dynamisme de père de famille. Enfin Jenny, infirmière insomniaque, est poursuivie par son obsession pour la guerre, cette guerre secrète d’où son mari, parti en tant que médecin, lui donne des nouvelles. Dès les premières minutes, le public comprend qu’il n’assistera pas à un théâtre de l’espace où le mouvement, dans sa fréquence et son extravagance, constitue une part entière de l’action. Il se trouve, à l’inverse, face à un théâtre où les déplacements

sont restreints et les personnages souvent figés. La sobriété du jeu des acteurs ainsi que de leurs gestes laisse se développer pleinement un théâtre de langage où le texte tient une place prépondérante. Les trois protagonistes, tour à tour, s’expriment par tirades pour rapporter des histoires au caractère anecdotique. Le dramaturge vient de cette façon soulever la question de la fonction de l’interlocuteur. Celui qui écoute peut-il véritablement être perméable au discours de celui qui parle? Celui qui parle accorde-t-il une valeur à celui qui l’écoute ou n’est-il qu’un pantin qui vient alimenter un procédé introspectif? À travers ce triangle relationnel et les échanges verbaux qui s’y déroulent, se dessine une frontière hermétique entre l’être et la réalité qui l’entoure. Au-delà d’une réflexion sur la primauté de notre intériorité par rapport à l’existence de l’autre, la pièce soulève également des interrogations sur une variété de thèmes tout aussi ambitieux. Le personnage de Jenny aborde, pour sa part, le thème de la guerre; cette guerre à laquelle participe son mari et dont on ignore l’origine autant que le lieu. Ce que l’on sait en revanche, c’est que comme toutes les guerres, il faut tuer, tuer «ceux qui s’accrochent à la vie [car ils sont] les plus

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Caroline Laberge dangereux de tous». Christopher, quant à lui, soulève plus particulièrement la question de l’importance du travail dans notre société. Sans emploi, il se retrouve être homme sans dignité ni virilité, méprisé par sa femme. Cette dernière vient introduire le thème des relations de couple où l’homme comme la femme ont des rôles bien définis dont il n’est pas bienvenu de se détourner. Si la gravité des sujets évoqués laisse planer un malaise par lequel le spectateur est happé, l’humour noir cinglant de l’auteur vient rompre avec la tension dès qu›elle de-

vient insoutenable. Dans la salle, des rires sonores témoignent du soulagement. Cette pièce de théâtre, marquée par le cynisme cru pour lequel Martin Crimp est réputé, invite le public à des réflexions sociétales concrètes tout en lui offrant un spectacle où s’entremêlent réel et imaginaire. [ La ville Où: L’Espace Go Quand: Jusqu’au 22 février 2014 Combien: 24,50$

Arts & Culture

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OPÉRA

Songe hindou Une adaptation moderne du classique shakespearien présentée à McGill. Claire Launay Le Délit

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xactement 400 ans après la naissance de son auteur et 101 ans après celle de son compositeur, un double anniversaire qui n’était pas le fruit du hasard, Le Songe d’une nuit d’été s’est invité à McGill pour quatre représentations du mercredi 29 janvier au samedi 2 février. Et c’est en Inde, à l’aube de la Première Guerre mondiale, que Patrick Hansen, metteur en scène et directeur des études d’opéra à McGill, avait choisi d’installer l’une des œuvres les plus célèbres de Shakespeare. Pari réussi. Si on ne peut s’empêcher d’être légèrement sceptique à la découverte du décor et de l’atmosphère aux accents indiens, le résultat est à la hauteur du risque entrepris. D’après Hansen, «cet opéra est joué toutes les semaines quelque part dans le monde, il était donc question de lui donner une tangente particulière». Et c’est des vers de Shakespeare lui-même qu’il a trouvé l’idée de situer Le Songe en Inde. En effet, il ajoute que «dans le texte original, lorsque Titania raconte à Obéron où elle se trouvait, elle lui explique «je viens du royaume des hindous», toutes les idées se sont enchaînées après». Quiconque a lu l’œuvre originale s’est trouvé, au moins la première fois, un peu confus par le nombre de personnages et leur rôle dans la trame de l’histoire. Cette adaptation a cela de fort qu’elle facilite grandement la compréhension du texte: Titania et Obéron deviennent reine et roi des fées, tirés de la mythologie hindoue, les quatre amants- Lysandre, Demetrius,

Adam Scotti Hermia et Hélèna- sont des membres de la société britannique tandis que les artisans représentent la classe moyenne indienne. Les costumes, empruntés à la tradition indienne des saris et des couleurs vives, ainsi que les différents timbres de voix et accents des chanteurs d’Opéra McGill, loin de détourner l’attention du spectateur de la performance elle-même, permettent d’effacer tous doutes sur l’identité des personnages. Et ça aurait été dommage. La mise en scène met en valeur de façon remarquable la performance de la troupe, possible quatre jours de suite grâce à un doublecasting des rôles principaux. C’est le cas

pour les spectateurs, mais aussi pour les artistes eux-mêmes. Kimberly Lynch, qui jouait l’une des fées pour les quatre soirs, confie au Délit que si «le décor et les costumes étaient plus élaborés que dans toutes les autres productions auxquelles j’ai participé auparavant, cela nous a vraiment aidé à donner vie aux personnages, lorsque nous avons commencé à répéter en costumes une semaine avant les représentations. Même si nous devions arriver trois heures avant le début du spectacle pour commencer le maquillage et la coiffure!» L’interprétation de la reine Titania, par Vanessa Oude-Reimerink à la représenta-

tion du 30 janvier, était particulièrement remarquable de justesse et d’émotion: la fameuse scène où, sous l’effet de la potion ordonnée par Obéron, elle se réveille amoureuse de Bottom, artisan dont la tête a été changée en celle d’un âne, est à la fois comique et touchante. Brent Calis, qui le jouait ce soir-là, est probablement celui dont on se souviendra le plus, d’ailleurs. Il éclipse tous ses autres compagnons artisans, et porte presque tout le comique de la pièce sur ses épaules, avec succès. Enfin, la performance de l’Orchestre symphonique de McGill, sur l’adaptation de Benjamin Britten, est également à souligner. Cette adaptation -dont la partie chantée avait gardé les vers originaux de Shakespeare, une marque d’honnêteté d’après Hansen- est relativement récente, puisqu’elle a été composée en 1960. En ce sens, elle s’inscrit dans un répertoire moderne qui contraste avec l’idée classique qu’on a trop souvent de l’opéra. Britten, d’après Andrew Bisantz, a été «l’un de ces compositeurs du vingtième siècle qui a posé les fondations d’un nouveau genre d’opéra où l’orchestre, autant que la voix, est mis en valeur». En effet, les enchaînements des scènes sont fluides, et c’est sûrement grâce à cet orchestre, caché dans l’ombre du grand arbre au milieu de la scène, qui n’est pas sans rappeler l’arbre de la Bodhi, pourtant issu de la tradition bouddhiste. Une belle collaboration, donc, d’ailleurs soulignée par le metteur en scène, entre Opéra McGill, l’Orchestre symphonique, et les équipes de décors et de costumes, sollicités comme jamais par cette grande production. [

FRANÇAIS FACILE

Résolutions culturelles Parce que trop de confiture n’a jamais tué personne. Philippine Blanchot

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a culture c’est comme la confiture, moins on en a, plus on l’étale» a un jour écrit l’écrivaine Françoise Sagan. Impossible de la contredire sur ce point et trop souvent, nous étudiants, nous remettons à demain -voire à jamais- notre exploration culturelle qui devrait pourtant être insatiable. Alors en ce début 2014 j’ai pensé bon de remotiver les troupes et de suggérer humblement à certains de faire le plein de confiture à étaler. Ainsi nourrir votre culture pourrait être l’une de vos (nombreuses j’en suis sûre) résolutions 2014. Et quelle tâche facile et passionnante dans une ville aussi culturelle et cosmopolite que notre chère Montréal. En effet, les ressources ne manquent pas et, des astuces les plus simples, comme le fameux tarif réduit du mardi pour les cinémas jusqu’aux événements plus sub-

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Arts & Culture

tilement annoncés comme le concert secret des Arcade Fire à la Salsathèque en septembre dernier, la palette des possibles est infinie, si si. Opéra, théâtre, cinéma, musées, concerts, sans oublier festivals, expositions, salons et spectacles, chaque domaine fait déborder l’agenda culturel de Montréal, jouant de ses plus beaux attributs pour vous séduire, ne seraitce qu’un soir. Plus d’excuses permises. Les pages de votre agenda, justement, ne demandent qu’à se remplir de lignes plus poétiques que nos inlassables «Paper due» et «Meeting at the library» que nous nous efforçons d’écrire alors que tickets de concerts et plans de musée attendent sagement de se retrouver coincés entre deux pages. Alors ne perdez pas une occasion d’agrandir vos horizons, d’apprendre une nouvelle langue, de lire un nouvel auteur, de découvrir un nouveau quartier, de

vous perdre dans le labyrinthe culturel qu’est cette ville. Qui plus est la culture est un investissement à long terme, pour ceux qui cherchent encore une raison de s’y mettre; et ce dans bien des domaines. Imaginez donc la qualité de vos rendez-vous, entrevues professionnelles et autres débats mondains une fois votre bagage culturel renfloué. Finis ces moments de «blanc» où votre ignorance vous poussait à vous éclipser discrètement pour vous resservir un verre, finies les réponses dérisoires et les quiproquos gênants, devenez ce gars ou cette fille dont les sujets de conversation ne s’épuisent jamais. Lancez-vous des petits défis simples, un film par mois, un livre toujours dans le sac, la page du Délit «Culture» en favori et vous verrez que cette nouvelle résolution sera la moins pénible de la liste. N’oubliez pas aussi que la culture d’un peuple fait sa richesse et que de la

partager efface les incompréhensions du monde. Et Malraux de conclure: «la culture… Ce qui a fait de l’Homme autre chose qu’un accident de la nature!» [

VOCABULAIRE: Contredire: to contradict Remettre à demain: to put off until tomorrow Suggérer: to suggest Déborder: to overflow Inlassables: tireless Mondains: social Renfloué: refilled Éclipser: to slip away Dérisoires: derisory Quiproquos: misunderstandings S’épuisent: to run out Pénible: tiresome

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PROSE D’IDÉES

Tinder Surprise Délicieuse drague 2.0. Philippe Robichaud Le Délit

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elon Eric McLuhan, le titre original du livre le plus connu de son célèbre père Marshall était The Medium is the Message, mais une erreur d’imprimerie transforme le «e» en «a», donnant The Medium is the Massage. Le père trouve que cela sied à ses propos et le titre supposément erroné colle. Déterministe technologique, McLuhan est le meneur de file des penseurs qui établissent une corrélation directe entre formes médiatiques et idéologies dominantes. Vulgarisé à l’extrême, il avance que les médias courants à la fois dictent et massent, par un usage assidu et régulier, la perception de leurs utilisateurs. Parlant de massage, qu’en est-il donc d’une praxis de la drague lorsqu’elle inclut des médias comme Tinder, l’ultra-téléchargée application à la mode de drague par géolocalisation? Il est sans doute possible d’affirmer que chaque médium qui ait existé –des carcasses rapportées à la caverne aux odes à Éros; des échanges épistolaires sulfureux aux télégrammes outre-Atlantique– a déjà été utilisé pour communiquer une intention amoureuse. Avec le développement des médias de masse –soit, vers le 17e siècle, les journaux tels qu’on les connaît– le paradigme change: c’est l’inconnu, c’est l’individu de la foule qui est maintenant inclus à la sphère amoureuse. Dans Classifieds: The Secret History of the Personal Column, H. G. Cocks (on croit presque au nom de plume, d’après ses écrits) lie les premières annonces personnelles à l’essor des publications à grande échelle vers 1690. À l’époque, une rencontre par cette méthode est considérée comme honteuse, réservée aux aventuriers, aux artistes, et, surtout, aux homosexuels, dont l’illégalité de l’orientation rendait l’anonymat de mise. Illusoire ou non, l’hégémonie de l’idéal courtois en prend un coup lorsqu’advient cette possibilité d’envoyer des sémaphores du cœur en mode incognito. En pays dit «de premier monde» comme le Québec, où valeurs d’économie de marché se confrontent à des relents de piété chrétienne et d’Amour avec un grand «A» –merci Hollywood et ces mauvais poètes idéalistes que l’on doit tous lire à la petite école– peu de

pratiques se butent à autant de contradictions morales et suscitent un plus grand malaise que celle de faire des rencontres galantes. S’il semble aller de soi qu’un individu, homme ou femme, puisse fréquenter qui lui plaît en sujet sexuel autonome, les termes «pute» ou «player» ne sont toujours pas devenus des insultes vétustes à l’image de «paltoquet» ou «bachi-bouzouk» (beaux affranchissements moraux pour les paysans français et les fantassins turcs). D’ailleurs, c’est une incertitude définitionnelle à laquelle fait écho Sean

de «Like» ou «Nope» –vive la Novlangue– des photos d’autres utilisateurs, choisis dans un rayon déterminable entre 2 et 160 kilomètres. L’appli est synchronisée à Facebook, de sorte que les photos que l’utilisateur choisit d’afficher sont tirées à même son compte. En ce qui concerne l’interface et le temps nécessaire avant l’utilisation, Tinder est un chef-d’œuvre de simplification: comme l’appli est parasitaire aux données de Facebook, les informations comme les photos, les amis en commun et les intérêts partagés sont automatiquement

Romain Hainaut / Le Délit Rad, président et fondateur de Tinder, en entrevue avec Bloomberg Business Week, lançant avec un dédain puéril mais calculé: «le mot dating ne veux foutrement rien dire pour nous. Qu’est-ce que cela veut même dire?» (traduction de la rédaction) Leur slogan est d’une bravade similaire: «C’est comme la vraie vie, mais en mieux.» («It’s like real life, but better.») Le fonctionnement de l’appli évite à la fois la douleur du rejet et l’embarras d’une rencontre non désirée, du moins si l’expérience ne dépasse pas le cadre du logiciel. Suivant l’idée de sites comme Hot or Not, les utilisateurs ont le choix

[ le délit · le mardi 4 février 2014 · delitfrancais.com

transférés à l’inscription. Après une ou deux minutes tout au plus, on est lancé. L’utilisateur ne sait jamais qui l’a refusé ni qui a apprécié sa photo, à moins qu’il y ait appréciation de l’autre part, en quel cas un «match» est déclaré. Cela est suivi d’une animation étoilée qui déclenche la décharge d’une jolie dose de dopamine par le mésencéphale des utilisateurs: la communication écrite entre partis concernés peut débuter. Différence notable avec d’autres applis de drague comme les défuntes Bang With Friends et Bang With Professionals, l’appli exclut les contacts Facebook des potentiels choix. Sans compter que le nom de l’appli ne

commence pas par «Bang With…». Si Tinder se veut officiellement une appli de drague, nombre de ses utilisateurs ont su se la réapproprier à d’autres fins, comme celle de déconner en soirée en se marrant des photos d’autres utilisateurs. «Non, mais t’as vu sa tronche de merde? Ha, le gros beauf. Le GROS beauf,» confie O. au Délit. Le plaisir s’étend évidemment à la conversation lorsqu’un «match» est déclaré. Il va sans dire que Tinder fait figure de Saint Graal en ce qui concerne un potentiel de dérision de représentations photographiques, ultime exutoire de stress accumulé dans une sphère médiatisée où le modus operandi, c’est surtout de se mettre en scène. Sans s’embourber dans une analyse des mécanismes de projection freudienne à l’œuvre, ça suscite toujours un plaisir bien palpable lorsqu’on trouve de lamentables échecs esthétiques. C’est d’ailleurs ce que répertorie, entre autres, l’excellent blog Tinder Délice, qui se veut «la crème de la crème des rencontres». Qu’on s’en moque ou pas, le nombre d’utilisateurs actifs à l’international –qui se chiffre dans les millions, selon la compagnie– témoigne néanmoins du fait que l’appli a présenté une formule adaptée à son marché cible. Sa popularité reflète un goût prononcé pour une expérience de drague «sans détour» («a let’s cut to the chase dating app», selon le magazine Vice) basée sur une lecture immédiate d’une rhétorique visuelle construite pour happer: de la publicité amoureuse. C’est un jeu de «j’achète» ou «je n’achète pas» tel produit dont le faux reflet d’objectif rajouté par Instagram connote un goût artsy, tel autre produit dont la duckface connote une lubricité supérieure à la moyenne, tel autre produit encore dont les photos prises à côté du Taj Mahal signifient ouverture et mondanité. C’est surtout diablement amusant… Et ça créé une dépendance. Plutôt que d’y lire une déchéance des valeurs courtoises, ne serait-il pas plus juste de constater une fragmentation de l’expérience de séduction, progression en étapes d’image à conversation écrite et plus loin? Tristan n’est-il pas séduit par une image d’Iseult avant de déclarer «je sais où la trouver et j’irai moi-même la chercher»? Après le déclin de l’empire américain, un retour à l’amour médiéval? Trêve de suppositions capillotractées: d’ailleurs, tiens, un nouveau message Tinder! [

Arts & Culture

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CONCERT

À vos mouchoirs! Rozzini, Danzi et Reicha à la Salle Redpath. Sébastien Daigle Le Délit

J

eudi dernier, le collectif périodique de vents Notturna jouait des œuvres de Rossini, de Danzi et de Reicha à la salle Redpath de McGill. Nombreux étaient venus pour l’occasion, et c’est avec plaisir qu’on a pu voir, parmi le flot de têtes blanches, quelques visages jeunes admirant la pompe de la salle. Un très bel orgue de style français classique y a été installé en 1981 –et depuis, l’orgue fait l’orgueil de cette salle. On connaît Gioacchino Rossini pour ses opéras, dont le plus fameux est sans doute Le Barbier de Séville, mais ce compositeur prolifique a mis son talent au service de plusieurs genres. De ses contributions au répertoire de musique de chambre, on retient l’Andante, e Tema con Variazoni (flûte, clarinette, basson et cor naturel), que nous a livré jeudi l’ensemble Notturna. Cette pièce, pleine d’humour et d’un style léger propre à Rossini, consiste en un thème, que chaque instrument reprend et développe à sa manière. On félicite Simon Aldrich à la clarinette qui, malgré son extinction de voix, est parvenu à rendre la gaieté du morceau. Les instruments utilisés par les musiciens du Notturna, comme nous l’a spécifié Aldrich au cours d’une brève présentation,

ont été fabriqués à l’ancienne à partir du buis (le bois). La raison en est que ce matériau produit un son plus intime, plus doux, que celui usité de nos jours, l’ébène, qui convient mieux à l’instrumentiste d’orchestre. En écoutant le quintette à vents op. 56 no 1 en si bémol majeur de Franz Danzi, au caractère plus classique que l’Andante de Rossini, on comprend l’importance que revêt un tel choix d’instruments. L’auditeur s’est vite senti plongé dans une autre époque, celle de la fin du siècle des Lumières. Dans cette pièce raffinée, les instruments conversent gaiement et se lancent tour à tour de petites pointes. Quel dommage que le hautboïste ait été enrhumé –le pauvre luttait bruyamment, entre chacune de ses phrases, contre l’inexorable écoulement de son nez! Mais on ne saurait lui en tenir trop rigueur, tant son jeu, malgré tout, était senti et agile. Franz Danzi (1763-1826) est un musicien allemand d’ascendance italienne. Son apport au répertoire de musique de chambre est considérable, particulièrement en ce qui a trait aux pièces pour ensembles à vents. Il a en outre été le professeur du célèbre compositeur Carl Maria von Weber. La troisième et dernière pièce jouée lors de cette soirée était le quintette à vents op. 91 no 2 en la mineur d’Antoine Reicha, compositeur tchèque, contemporain et ami

Romain Hainaut / Le Délit de Beethoven. Un style plus romantique caractérise cette pièce, ainsi que les quelques fugues qui la traversent, dont Reicha était particulièrement friand. Dans une écriture verticale, aux nombreux passages contrapuntiques, Reicha exploite la personnalité de chacun des instruments. Ainsi fait-il entendre les notes les plus graves du basson, les plus aiguës de la flûte, conférant à son morceau des couleurs riches et variées. On a apprécié les beaux effets du bassoniste, dont les mélodies rendaient tout le velouté et la chaleur douce dont son instrument est capable. Pour ce qui est de l’histoire, Antoine Reicha (17701836) se rend en 1808 au Conservatoire de

Paris. Grand pédagogue, il y prodiguera son enseignement à de jeunes élèves prometteurs dont les Berlioz, Liszt et Franck. Le groupe Musique de chambre Allegra, dont est issu Notturna, donnera son prochain concert le jeudi 27 février 2014 (avec piano, clarinette, violons, alto, violoncelle et contrebasse) à la salle Redpath à 20h. Des œuvres de Finzi, de Wagner et de Dvorák seront au programme. Il s’agit d’une soirée gratuite, idéale pour qui veut se délasser des occupations habituelles et se laisser émouvoir le temps de quelques morceaux. Mais apportez vos mouchoirs: sinon pour vous, pour les musiciens! [

THÉÂTRE

Que justice soit faite «L’urgence de la jeunesse» met le feu aux planches du Cabaret du Mile-End. Virginie Daigle Le Délit

«L

a jeunesse est une maladie bourgeoise» affirmait JeanPaul Sartre dans sa pièce Les mains sales. La pièce de théâtre Les Justes d’Albert Camus, présentée au Cabaret du Mile-End mardi dernier, est une sorte de réponse à cette œuvre du grand existentialiste. Ces deux pièces questionnent les difficultés de conserver les idéaux de l’honneur et de l’intégrité au travers d’une entreprise révolutionnaire qui ressent le besoin de violence pour parvenir à faire changer les choses. Dans la pièce de Camus, située dans la Russie du début du 20e siècle, les personnages entreprennent d’assassiner un Grand-Duc, afin d’entamer une révolution destinée à mettre fin aux misères du peuple asservi. L’œuvre s’interroge sur la valeur de la vie humaine et du prix à payer pour obtenir une justice trop souvent équivoque. La mise en scène est sobre et efficace; le décor se contente de chaises et d’une table, au fond de la scène, sur un rideau noir, sont accroché des cadres vides. Les costumes évoquent assez bien l’époque, sans engoncer les acteurs ou détourner l’attention de leur jeu. Ce dernier est convaincant, malgré l’absence d’expérience professionnelle des acteurs; les débats politiques sont enflammés, les plaidoyers larmoyants et

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les comédiens savent conserver leur énergie tout au long d’une pièce qui comporte très peu de moments légers. Au piano, une musicienne accompagne le début ainsi que la fin des actes avec des sélections classiques au caractère grave et solennel, allant de pair avec les sentiments de la pièce. Le 21 janvier dernier, la fébrilité et l’enthousiasme de la jeunesse transpirent avant même le début du spectacle dans l’atmosphère d’un Cabret du Mile-End plein à craquer. «On ne s’attendait pas à autant de monde», a révélé Romy Léger-Daigle, la pianiste du spectacle, au Délit, à la fin de

la performance, encore toute étonnée du succès retentissant de l’entreprise. «Avant le début du spectacle on courrait dans les coulisses pour trouver plus de chaises pour asseoir les gens.» Un simple coup d’œil sur le programme suffit pour saisir le caractère tout à fait inédit et spontané de l’entreprise. Dans son mot adressé au spectateur, le metteur en scène Alexandre Petitclerc fait part de sa profonde admiration pour Camus et la «vertigineuse magnificence» de sa prose. La passion révolutionnaire qui anime les personnages de la pièce semble s’être déplacée des pages du livre pour ve-

Claire Launay / Le Délit

nir habiter la troupe encore toute fraîche de sa création. Rien d’autre n’est venu motiver cette mise en scène, hormis le profond désir de faire du théâtre. Désir partagé par ce groupe d’amis à qui cette activité manquait depuis l’entrée au cégep de certains. Les répétitions initiales avaient lieu dans les parcs et les salons. Les rencontres se déroulaient dans ce lieu typique et propice à l’art: le café, où les notes étaient griffonnées, bien évidemment, à l’encre sur les serviettes en papier disponibles. C’est donc une production de peu de moyens qui, à force de travail et de persuasion, a réussi, sans aucune expérience préalable, à se hisser sur les planches d’une scène importante de Montréal. En ouverture du spectacle, le metteur en scène rappelle aux spectateurs les événements qui se déroulent présentement en Ukraine afin de rappeler l’actualité encore poignante des enjeux que Camus présente dans sa pièce. Son allure, jeunesse ardente, cheveux longs et chemise rouge, s’allie déjà aux propos exalté de la pièce. Puis la troupe commence, hésitante au départ, puis de plus en plus assurée, pour finir par donner une performance criante d’honnêteté et de ferveur trop souvent absentes dans bien des théâtres professionnels. Au final, cette mise en scène, étonnamment bien réussie pour son peu de moyens, prouve que le théâtre est un art vivant, et plus encore, un art éternellement jeune. [

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