Le Délit - 31 août 2022

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Mercredi 31 août 2022 | Volume 112 Numéro 1 SOS (version ABBA) depuis 1977 Le Délit est situé en territoire Kanien’kehá:ka non-cédé. Publié par la Société des publications du Daily, une association étudiante de l’Université McGill disp on ibi lit é immé di at e ! Une résidence étudiante tout inclus direc tement en face de l’ Université McGill ! Veuillez aller sur campus1mtl.ca Ou visiter à 420 Sherbrooke Ouest, Montréal Visitez notre site web Ap pe le z le 51 4-27 3-76 26 SHOPPINGDISTRICT ENTERTAINMENTDISTRICT McGILL LETICS TOCHINAWN P.E.TRUDEAU AIRPORT BOULEVARDRENÉ-LÉVESQUE AVDESPINS RUESAINTE-CATHERINERUE SHERBROOKE VARDROBERT-BOURASSA RUEDEBLEURY RUEUNIVERSITY AVDUARC RUEPEEL RUECRESCENT BOULST-LAURENT MOUNT ROYAL DININGSHOPPING

Le seul journal francophone de l’Université McGill

Laura Tobon BUREAU PUBLICITAIRE 3480 rue McTavish, bureau B•26 Montréal (Québec) H3A 0E7 Téléphone : +1 514 398-6790 ads@dailypublications.org Publicité et direction générale Boris Shedov Représentante en ventes Letty Matteo Photocomposition Mathieu Ménard The McGill Daily coordinating@mcgilldaily.com Anna Zavelsky Conseil d’administration de la SPD Salylor Catlin , Gabrielle Genest, Natacha Ho Papieau, Asa Kohn, Antoine Milette-Gagnon, Boris Shedov Anna Zavelsky,.

Téléphone : +1 514 398-6790 Rédactrice en chef rec@delitfrancais.com Gabrielle Genest Actualités actualites@delitfrancais.com Alexia BéatriceLeclercVallières Vacant Culture artsculture@delitfrancais.com

A près deux ans en semi-dormance, le campus de l’Université McGill semble enfin revivre, envahi par des étudiant·e·s pressé·e·s, des froshies excité·e·s et des cama rades de classe qui peuvent enfin voir les souri res de leurs pairs. L’administration de McGill, qui s’époumone à nous répéter qu’il s’agira de la première rentrée « normale » depuis le début de la pandémie, semble pour l’instant avoir vu juste.

Couverture

L’usage du masculin dans les pages du Délit vise à alléger le texte et ne se veut nullement discriminatoire. Les opinions de nos contributeurs ne reflètent pas nécessairement celles de l’équipe de la rédaction. Le Délit (ISSN 1192-4609) est publié la plupart des mardis par la Société des publications du Daily (SPD). Il encourage la reproduction de ses ar ticles originaux à condition d’en mentionner la source (sauf dans le cas d’articles et d’illustrations dont les droits avant été auparavant réservés). L’équipe du Délit n’endosse pas nécessairement les produits dont la publi cité paraît dans le journal. Imprimé sur du papier recyclé format tabloïde par Imprimeries Transcontinental Transmag, Anjou le délit · mercredi 31 août 2022 · delitfrancais.com

Volume(Québec).112Numéro 1 Éditorial rec@delitfrancais.com 2 Éditorial

RÉDACTION 3480 rue McTavish, bureau 107 Montréal (Québec) H3A 1B5

vie... Le Délit aussi? Gabrielle Genest Rédactrice en chef

McGill revient

Sophie LéonardJiSmith Société societe@delitfrancais.com Opinion - Malo Salmon Enquête - Myriam Bourry-Shalabi

Une nouvelle section, « Vie nocturne », s’ajoute également à nos pages : elle accueillera des tex tes épicuriens et salaces, épeurants et festifs. Outre des changements à l’équipe ou au contenu, Le Délit demeure également d’actualité en restant con scient de la diversité de sa communauté. Notre mis sion est de desservir et d’accueillir francophones et francophiles d’ici et d’ailleurs, ceux·lles qui maîtris ent notre langue comme ceux·lles qui l’apprivoisent. Tous·tes sont les bienvenu·e·s dans l’appréciation et la valorisation du français que prône Le Délit Cette année, notre journal devra plus que jamais se montrer à la hauteur de sa communauté et de sa mission, car son existence sera entre vos mains. À l’automne 2022, les frais étudiants nécessaires à la conduite de nos activités seront soumis au vote populaire dans le cadre d’un référendum de l’Association étudiante de l’Université McGill. Dans les mois à venir, Le Délit déploiera tous les efforts pour vous démontrer qu’après 45 ans de présence francophone sur le campus, il est toujours aussi nécessaire, voire davantage, à la santé de notre communauté, alors que le poids du français est en déclin au Québec et au Canada. Le Délit est publié chaque semaine sur papier et en ligne. Nos soirées de production, qui ont lieu tous les lundis dans nos bureaux du Centre univer sitaire, sont ouvertes à tous·tes. Si vous souhaitez rencontrer l’équipe qui vous demande votre con fiance, venez nous voir : notre porte est ouverte! à la

Les opinions exprimées dans les pages du Délit sont celles de leurs auteur e·s et ne reflètent pas les politiques ou les positions officielles de l’Université McGill. Le Délit n’est pas affilié à l’Université McGill. Le Délit est situé en territoire Kanien’kehá:ka non-cédé.

Vie nocturne vienocturne@delitfrancais.com Alexandre Gontier Coordonnateur·rice de la production production@delitfrancais.com Vacant Visuel visuel@delitfrancais.com

Pour les clubs et journaux mcgillois, ce retour sur le campus arrive à point. Une première année entièrement en ligne et une seconde sans Activities Night digne de ce nom ont donné un coup dur à la visibilité et au recrutement. Cette année, les groupes qui constellent la vie étudiante pourront à nouveau étaler ce qu’ils ont à offrir tout en démontrant leur sensibilité aux réalités et aux besoins changeants de leur public cible. Au Délit , tribune d’information et d’expression de la francophonie mcgilloise, cette rentrée se déroule sous le signe de la réinvention et de l’ouver ture. En ajoutant un poste Multimédias à notre conseil éditorial, nous espérons rendre notre publication plus accessible en greffant la bala dodiffusion et la vidéographie à notre contenu.

Marie Prince Laura Tobon Multimédias multimedias@delitfrancais.com Dilara Bhuiyan Vacant Coordonnateur·rice·s de la correction correction@delitfrancais.com VacantVacant Webmestre web@delitfrancais.com Mathieu Ménard Coordonnateur·rice·s réseaux sociaux reso@delitfrancais.com Anna Henry Vacant Contributeur·rice·s Alex de Pani, Elissa Kayal, Yigu Zhou.

Gendarmerie royale du Canada (GRC), de Postes Canada et du Groupe des services de santé Royal Ottawa avant d’être nom mée juge à la Cour supérieure de justice de l’Ontario en 2017. Elle détient ainsi une exper tise en droit criminel, en droit du travail, en droit de la santé mentale et en droit autochtone. « Mon expérience [profession nelle] m’est unique, et elle me sera bénéfique à la Cour et sera bénéfique à la Cour elle-même  », a affirmé la juge O’Bonsawin. En effet, 55% des appels enten dus à la Cour suprême concer nent le droit criminel, et les liens entre la maladie mentale et la criminalité sont recon nus par la Cour elle-même. L’atmosphère même de la salle de comité semblait influencée par la présence rafraîchissante de la magistrate de 48 ans, qualifiée de « si normale, si exceptionnelle » par le sénateur Peter Harder. En effet, malgré son imposant curriculum vitae et la solennité de sa nouvelle fonction, plusieurs ont été séduits par la nature terre-àterre de la juge O’Bonsawin. Elle a fait rire et a attendri l’auditoire à plus d’une reprise, notamment en lui faisant part de la véritable ménagerie qu’elle tient chez elle : « trois chiens, huit poules et un gecko nommé Lizzie ».

Des efforts continus vers la réconciliation

Bon nombre des questions posées par les parlementaires étaient liées aux enjeux de la récon ciliation entre l’État canadien et les peuples autochtones du territoire. La juge O’Bonsawin a limité ses

réponses à plusieurs moments en raison de son obligation de retenue judiciaire, qui exige de ne pas don ner son avis sur les matières qui pourraient être adjugées par son tribunal dans l’avenir. Toutefois, elle a su mettre en relief son propre vécu en ce qui concerne le che minement vers la réconciliation. Pour la magistrate autochtone, ce cheminement exige dialogue et éducation, notamment au sein de la fonction judiciaire. Elle a insisté sur l’importance pour tous·tes de lire des rapports tels que celui de la Commission de vérité et réconciliation (CRT) ou encore celui de la Commission Viens pour connaître l’histoire des peuples autochtones du Canada. Surtout, la réconciliation devrait être un sujet de conversation à toutes les tables, même celle des juges de la Cour suprême, croit-elle. La juge O’Bonsawin considère « essentiel » que les rapports Gladue fassent partie de la formation continue des juges. Ces rapports – sujets de la thèse de doctorat de la juge O’Bonsawin – obligent les juges à considérer les expériences uniques de l’accusé·e en tant qu’Autochtone au moment de déterminer sa sen tence. Selon elle, « cette compréhen sion est requise pour que les juges rendent des décisions complètes ». Des échos jusqu’à McGill La nomination de la juge O’Bonsawin est un événement marquant pour l’ensemble de la population canadienne, mais elle revêt une importance par ticulière pour les membres de la profession juridique et les étudi ant·e·s en droit. Ruo Lan Wang, étudiante à la Faculté de droit de l’Université McGill qui a assisté au témoignage de la magistrate autochtone à Ottawa, s’est dite « fière de voir une femme comme elle siéger à la Cour suprême ». L’étudiante a souligné l’exper tise en santé mentale de la juge O’Bonsawin qui « contribuera à déstigmatiser les troubles de maladie mentale dans la société ». Notant la « ténacité, la curiosité intellectuelle et l’op timisme » de la juge, Ruo Lan Wang estime qu’elle sera « un modèle » pour plusieurs. x 3actualitésle délit · mercredi 31 août 2022 · delitfrancais.com Michelle O’Bonsawin : « si normale, si exceptionnelle » actualités Gabrielle Genest Rédactrice Une première femme autochtone siègera à la Cour suprême du Canada. Laura Tobon | le délit avocat qui salle de cour

canada

en chef

« Un

plaidait dans sa

L ’honorable O’BonsawinMichellesiègera à la Cour suprême du Canada à partir du 1 er septembre prochain, remplaçant le juge ontarien Michael Moldaver. Abénaquise d’Odanak, elle est la première Autochtone à atteindre le banc du plus haut tribunal du pays. Le Délit s’est rendu à Ottawa le 24 août dernier pour assister au témoignage his torique de la juge O’Bonsawin devant député·e·s, sénateur·rice·s et étudiant·e·s en droit. « Une perspective unique » Les différentes facettes de l’identité de la juge O’Bonsawin se sont établies comme fil con ducteur de l’événement. Tant la magistrate que les parlem entaires qui l’interrogeaient ont évoqué le fait qu’elle est autochtone, franco-ontarienne et mère de deux garçons. La juge O’Bonsawin a admis que ces aspects d’elle-même ont parfois été source d’adversité. Alors qu’enfant, elle rêvait déjà d’être avocate, d’autres se moquaient de son nom ou encore doutaient que la profession juridique était pour « une p’tite franco-ontari enne » comme elle. Des années plus tard, un avocat qui plaidait dans sa salle de cour l’a traitée de « Pocahontas du nord ». Malgré ces épreuves, la juge O’Bonsawin considère que « tout est possible si on y travaille assez fort », y compris pour les jeunes femmes, en particulier d’origine autoch tone, qu’elle souhaite inspirer. La juge O’Bonsawin se démarque également de ses futur·e·s collègues à la Cour suprême par ses expériences profes sionnelles. Alors que les huit autres juges ont principalement œuvré en pratique privée, dans la fonction publique ou dans le milieu universitaire avant de se joindre à la magistrature, l’hon orable Michelle O’Bonsawin a majoritairement travaillé en contentieux, c’est-à-dire au sein du département juridique d’une organisation. Elle a nota mment travaillé au service de la

actualites@delitfrancais.com

l’a traitée de “ Pocahontas du nord ” »

Marie Prince | le délit

« Nous

4 actualités le délit · mercredi 31 août 2022 · delitfrancais.com CAMPUS

Une rentrée sous le signe du renouveau à McGill

Une première en deux ans, la rentrée de l’Université se fera entièrement en présentiel. C eux et celles qui se seront promené·e·s sur le cam pus de McGill au cours de la semaine dernière auront certainement eu le plaisir de constater que la vie étudiante y revient en force pour la rentrée de l’automne 2022. Pour la pre mière fois en deux ans, toutes les activités de la semaine d’accueil et d’orientation mcgilloise, qui se sont tenues du 21 au 30 août, ont eu lieu en personne. Après deux éditions virtuelles, la jour née Découvre McGill (Discover McGill), au cours de laquelle les nouveaux·lles étudiant·e·s mcgil lois·es ont l’opportunité d’explo rer le campus et de se familiariser avec l’Université, a pu avoir lieu en personne le 23 août dernier. De plus, l’Université a tenu le 30 août pour la toute première fois une journée Re-découvre McGill (Re-Discover McGill) à l’inten tion des étudiant·e·s n’ayant pas pu profiter des activités d’accueil de l’Université en présentiel au cours des rentrées des automnes 2020 et 2021. Bien que le retour de la plupart des cours à un mode d’ensei gnement en présentiel soit en vigueur depuis l’automne 2021, cette rentrée voit le retour en personne de l’intégralité des activités de l’Université, aussi bien parascolaires que scolaires. C’est un choix qui reflète le désir de l’administration mcgilloise de raviver l’implication étudiante sur le campus, alors que cette dernière a pâti énormément de la pandémie de COVID-19 depuis mars 2020. « Nous essayons de revenir à une vie étudiante sur le campus plutôt que de sim plement revenir dans nos salles de classe », souligne Pr Fabrice Labeau, vice-principal exécutif adjoint (études et vie étudiante). « La pandémie n’est pas terminée » Bien qu’il s’agisse de la ren trée la plus « nor male » que McGill ait vu depuis deux ans, il est encore trop tôt pour mettre la pandé mie terminée.rons« Prnuancederrièrecomplètementnous,toutefoisFabriceLabeau.Nousdemeuprudents.Lapandémien’estpasNousgardonslesmasquesàportéedemain[...]et,silebesoinsefait sentir, nous serons prêts à agir », avertit-il. Même si le port du masque n’est plus obligatoire sur le campus depuis le 24 mai dernier, il de meure fortement encouragé par l’Université. Les distributeurs de masques et de gel hydroalcoolique resteront disponibles jusqu’à nouvel ordre à l’entrée de tous les bâtiments sur le campus.

Changement de direction à l’horizon Quant à l’Universitél’administration,McGills’apprête à effectuer cette année un chan gement de direction. La prin cipale sortante, Pre Suzanne Fortier, avait annoncé en janvier dernier qu’elle quitterait son poste de principale et vice-chan celière de l’Université McGill le 31 août prochain, soit près d’un an avant la fin de son se cond mandat. Un comité de sélection s’affaire actuellement à la sélection du·e la prochain·e candidat·e, un processus qui pourrait s’étaler sur plusieurs mois, selon Pr Fabrice Labeau. En attendant l’élection du·e la nouvel·le principal·e, le rôle in térimaire sera assuré par le pro fesseur Christopher Manfredi, vice-principal exécutif et vice-principal aux études. x Béatrice Vallières Éditrice Actualités essayons de revenir à une vie étudiante sur le campus plutôt que de palsallesrevenirsimplementdansnosdeclasse »FabriceLabeau,vice-princiexécutifadjoint(étudesetvie étudiante)

Val Masny explique la nécessité de la mise en place de ce projet : « Les recommandations [sur la concilia tion travail-études, ndlr] disent de ne pas travailler plus qu’un certain nombre d’heures par semaine pour faire ses études. Mais la tâche de payer son loyer est rendue difficile en travaillant seulement quelques heures par semaine. » Malgré leur situation documentée de précarité, les étudiant·e·s ne sont pas admis sibles au logement social, ce qui les oblige à se tourner principale ment vers le marché locatif privé. À Montréal, c’est le cas de 80% des étudiant·e·s locataires. Ces don nées indiquent que les étudiant·e·s sont particulièrement à risque des impacts que la crise du logement peut avoir sur les locataires. À l’heure actuelle, un terrain a été acheté au coin des rues St-Laurent et Ontario, et des démarches avec les partenaires locaux sont en cours pour mettre en place des moyens d’atténuer les effets qu’auront la construc tion de ces logements sur la pop ulation locale. En particulier, ces échanges ont lieu avec le Centre d’Amitié Autochtone de Montréal Inc. (CAAM) dans le but de ne pas nuire à la population autoch tone sans logement du quartier. Du côté de l’administra tion de l’Université McGill, Mme Mazerolle informe que McGill a établi un partenariat Places4Students,avec le principal service d’annonces d’apparte ments pour étudiant·e·s pour ceux et celles qui cherchent un logement hors campus.

« Le marché locatif ne doit pas suivre les lois du marché, mais doit répondre aux besoins de logement » renchérit-iel. Des initiatives pour venir en aide aux étudiant e s Cette réalité est connue depuis plusieurs années par des organisations étudiantes mcgilloises. En 2020, l’AÉUM s’est penchée sur le besoin grandissant d’accès à des infra structures de logement afin de répondre à la réalité précaire des étudiant·e·s. Ainsi, le Plan de logement abordable (Affordable Student Housing Plan), adopté par le conseil législatif en février 2020, comprend un projet de logements locatifs étudiants abordables. Avec plusieurs parte naires, incluant l’UTILE, ce projet répond à cette demande en ayant pour objectif de construire 200 unités de logement abordables spécifiquement destinés à la com munauté étudiante de McGill.

Montréal Comment la crise du logement affecte-t-elle les étudiant·e·s de McGill?

Commentant cette annonce, Val Masny met en garde face à l’em ploi du terme « logements abor dables » qui, rappelle-t-iel, n’est pas synonyme de « logements sociaux ». « Le logement abor dable, malgré que ce soit bien, suit la logique du marché, tandis que le logement social permet de prendre en compte les vérita bles besoins des gens en termes de ce qu’iels peuvent payer. » La CAQ a justifié ce chiffre en disant que les promesses fait es par d’autres partis étaient irréalistes, notamment à cause de la pénurie de main-d’œuvre et de la hausse des coûts de la construction. Face à cette annonce, le Front d’action popu laire en réaménagement urbain (FRAPRU), un regroupement national pour le droit du loge ment, a réagi en déplorant le fait que le gouvernement caquiste n’ait pas tenu ses promesses relatives au logement lors des quatre dernières années, puis qu’il n’a pas livré les 15 000 logements sociaux prévus dans le programme AccèsLogis. Entre son élection en 2018 et le 28 février 2022, seulement 4 328 logements sociaux sont sortis de terre. Et malgré des beso ins croissants, en quatre ans, l’équipe de François Legault n’aura lancé qu’une maigre pro grammation de 500 nouveaux logements sociaux pour tout le Québec, peut-on lire dans le document pré-électoral de l’or ganisme. Le FRAPRU demande alors aux partis de s’engager à compléter la construction de toutes les unités de loge ments sociaux programmées dans AccèsLogis et d’en con struire au nombre de 50 000. Les partis d’opposition ont également proposé des promess es électorales qui concernent la crise du logement. De son côté, Québec Solidaire a indiqué viser la construction de 50 000 logements sociaux au Québec et contrôler l’augmentation des loyers en instaurant un registre national des baux si le parti était élu. Le Parti libéral du Québec a promis 50 000 nouveaux logements sociaux sur 10 ans. Le Parti québécois, quant à lui, entend construire les 10 000 logements sociaux. programmés par AccèsLogis. x 5actualitésle délit · mercredi 31 août 2022 · delitfrancais.com

La crise du logement étudiant au lancement des élections Alexia Leclerc Éditrice Actualités Marie Prince | le délit 77% des étudiant·e·s universitaires sont locataires L’enquête PHARE

Les partis de Québec Solidaire (QS) et de la Coalition Avenir Québec (CAQ) ont énoncé des promesses électorales pour pallier la situation. Le premier ministre François Legault, soulignant la « pénurie de loge ments » sans toutefois référer à la crise du logement, comme l’ont critiqué les partis d’op position, a annoncé que la son parti souhaitait faire construire un peu moins de 12 000 loge ments abordables s’il était réélu pour un prochain mandat.

»

La crise du logement adressée par les partis politiques À l’aube des élections générales provinciales du 3 octobre 2022, les partis se posi tionnent face à cette crise. À l’heure actuelle, aucune mesure spécifique concernant le loge ment étudiant n’a été annoncée.

Les chiffres mentionnés dans l’article de La Presse provi ennent de l’enquête pancan adienne PHARE 2021 menée par l’organisme UTILE (Unité de travail pour l’implantation de logement étudiant). Cette dernière a révélé que 77% des étudiant·e·s universitaires sont locataires, dont 69% sur le marché privé, comparé à 8% en résidences universitaires. À Montréal en particulier, 86% des étudiant·e·s sont locataires. Selon le rapport de l’enquête, les étudiant·e·s sont une popu lation vulnérable sur le marché locatif, en raison des réalités qui sont particulières à leur statut, notamment le manque d’expérience de location et les déménagements fréquents. En outre, 62% des étudiant·e·s universitaires locataires ont un revenu de moins de 20 000$ par année, les plaçant sous le seuil de pauvreté ; et plus de 60% des étudiant·e·s consa crent plus de 30% de leurs rev enus à leur loyer, vivant ainsi de la précarité financière. Une situation stable aux résidences de McGill ? Selon le Pr Fabrice Labeau, premier vice-principal exécutif adjoint, la situation actuelle semble stable aux résidences de McGill. « On a à peu près le même niveau de demandes qu’avant la COVID, mais c’est aussi lié au fait que notre clientèle cible pour les résidences est composée des étudiants de première année qui viennent principalement de l’international ou du reste du Canada. Les étudiants du Québec ne sont typiquement pas intéressés par notre offre et vont généralement se trouver un appartement par eux-mêmes », affirme-il. En réponse aux questions du Délit , l’agente des relations avec les médias Frédérique Mazerolle nous informe que l’Université garan tit une place en résidence à tous·tes les étudiant·e·s de pre mier cycle, âgé·e·s de 22 ans ou moins en date du 1 er septembre et qui débuteront leur première année d’études. De plus, tous·tes les boursier·ère·s qui commen cent également leurs études en septembre pourront obtenir l’un de leurs deux premiers choix de résidence si leur demande a été faite avant la date limite. Par contre, pour Val Masny, vice-président·e aux affaires externes de l’Association étudi ante de l’Université McGill (AÉUM), ce n’est pas parce que la demande aux résidenc es étudiantes demeure stable que les étudiant·e·s de McGill ne souffrent pas de la crise actuelle. En effet, selon iel, le faible nombre de demandes de résidences de la part des étudiant·e·s québécois·es peut être dû au fait que les résidenc es demeurent dispendieuses. « Les résidences demeurent un actif qui permet de dégager du profit. Leur [l’administration mcgilloise, ndlr ] objectif n’est pas d’arriver à coûts nuls », ajoute-t-iel. Ce constat s’inscrit dans les positions officielles que l’AÉUM a voté en 2019 qui affirment que le logement est un droit (article 2 du cahier de positions), et que l’AÉUM s’engage à travailler pour la décommodification du marché.

«

L e 16 août dernier, La Presse publiait un arti cle exposant la crise du logement étudiant qui sévit actuellement partout au Québec. On y rapportait notamment l’insuffisance de l’offre des résidences étudiantes, dont les listes d’attente qui s’éter nisent, les faibles taux d’inoc cupation à travers le Québec, ainsi que la hausse des loyers qui forcent les étudiant·e·s à s’excentrer ou bien à dépasser significativement leur budget.

6 Société le délit · mercredi 31 août 2022 · delitfrancais.com

Société

Responsabilité fiscale : une idée socialiste?

Ce n’est pas juste aux conservateur·rice·s de surveiller leur portefeuille.

nète Mars. Pour survivre, Béa, ancienne boulangère d’un char mant établissement de la rue StDenis, décide de produire du pain ; Benicio, ancien employé au clubbar Le Rouge, décide de mettre à bon usage ses talents de mixologue pour produire des cocktails sur la Planète Rouge. Les deux individus ont besoin des produits de l’un·e et de l’autre afin de garder leur bonne santé ainsi que leur bon moral ; ils s’entendent alors pour s’échanger les fruits de leurs efforts en usant de dollars canadiens. Béa ne peut cuisiner que 10 pains par jour, et Benicio ne peut concocter plus de 10 cocktails. On réalise que chacun ayant cent, deux cents, ou même trois cents dollars en poche im porte peu : Béa ne pourra pas de mander plus de mojitos à Benicio s’il n’est pas en mesure de lui en offrir plus, et Benicio ne pourra pas savourer plus de petites mi ches que Béa ne peut cuisiner. Donc, si le gouvernement cana dien décidait d’envoyer demain matin par fusée supersonique cent dollars de plus aux deux nouveaux martien·ne·s, nous ne verrions pas « Être voterprogressistesocialementneveutpasdirepourQuébecSolidaireetsuivreManonMassésurInstagram »

Malgré ma grande indifférence envers la gauche ou la droite, à moins qu’il soit question d’in dications routières de mon·ma copilote lors d’une balade en voi ture, je ne pouvais m’empêcher de mettre en question cette logique. La responsabilité fiscale ne de vrait-elle pas avoir une place plus importante, tant à la Chambre des communes qu’à un party d’uni versitaires ambitieux·ses, lors qu’on cherche des pistes vers un bien-être collectif équitable? Intervention gouvernementale et inflation Avant de se lancer dans notre réflexion, définissons tout d’abord les termes « socialement progressif ·ve» ainsi que « fis calement conservateur ·rice». Être socialement progressiste ne veut pas dire voter pour Québec Solidaire et suivre Manon Massé sur Instagram. À mes yeux, le progressisme social signifie bri ser les chaînes du passé, en ayant une vision ouverte aux nouvelles idées ainsi qu’à de nouvelles ré formes politiques afin d’atteindre un bien-être collectif optimal. Le conservatisme fiscal consiste tout simplement à porter une grande attention à nos dépenses afin de maintenir un budget équilibré, si l’on se base sur la vision d’Edmond Burke, homme politique et philo sophe irlandais. Cela étant dit, analysons main tenant le plus récent épisode où la « responsabilité fiscale » a été fortement politisée. Les derniers mois furent difficiles financière ment pour la famille québécoise moyenne, même si la COVID-19 semble passer d’une pandémie à une endémie. Et non, même s’il y a bien des raisons de ne pas aimer Vladimir Poutine en 2022, ce der nier n’est pas à blâmer pour nos malheurs actuels. Lors des deux dernières années, les dépenses faramineuses de nos gouverne ments, à tous les paliers, ont eu comme effet secondaire indési rable de contribuer à l’inflation, qui a atteint des niveaux jamais observés depuis le début des an nées 90. Pour financer ces déficits, les gouvernements de nombreux pays ont augmenté la quantité d’argent mise en circulation. En effet, le gouvernement canadien a augmenté cette somme d’argent d’environ 30% depuis 2020 ; ce total grimpe à environ 50% lors qu’on exclut toutes formes d’actifs, tels que l’argent sécurisé dans nos comptes d’épargne. Cela, combi né avec le fait que l’on s’attend à ce que le produit intérieur brut (mesurant la quantité de biens et services produits au Canada) soit approximativement au même niveau que celui de 2019, peut expliquer en partie pourquoi on semble payer plus cher pour tout ces jours-ci. Bien qu’il est certai nement vrai que plusieurs facteurs peuvent contribuer à l’inflation, on peut comprendre aisément com ment cette intervention gouverne mentale a contribué à l’augmenta tion du coût de la vie actuel.

ALEX DE PANI Contributeur

« La responsabilité fiscale ne devrait-elle pas avoir une place plus importante, tant à la Chambre des communes qu’à un party d’universitaires ambitieux, lorsqu’on cherche des pistes vers un bien-être collectif équitable? »

U n vendredi soir de fin de session, lors d’un « chil ling » chez une amie d’une amie dans le quartier du Plateau Mont-Royal, on pourrait dire que l’atmosphère était adéquate pour qu’un regroupement d’étu diant·e·s en sciences sociales puissent entamer des conversa tions sur la gestion de notre so ciété. Assis sur un tabouret, bière Sapporo à la main, j’écoutais une jeune femme exprimer sa frustra tion envers la « droite », ainsi que leur manque de volonté à fournir des services sociaux et de l’aide adéquate à ceux qui en ont poten tiellement besoin. En le temps d’une chanson (Bad Habits , de Ed Sheeran), elle arriva à la conclu sion noire et blanche qu’il est impossible d’être « socialement progressif » tout en étant « fisca lement conservateur·rice».

YIGU ZHOU | Le délit

Imaginons que deux individus, nommons-les Béa et Benicio, soient les deux premiers humains envoyés pour habiter sur la pla

societe@delitfrancais.com opinion

7société

Taux d’intérêts à la hausse Une dernière réflexion peut être entamée afin de pleinement comprendre l’effet pervers sur le citoyen moyen, et notamment sur les ménages à faible revenu, d’une augmentation des dépenses gouvernementales nourrie par une augmentation de l’argent « imprimé » en circulation. Ces derniers temps, on a souvent entendu aux nouvelles que la Banque Centrale du Canada a augmenté son « taux directeur » afin de contrer l’inflation. Mais quel est ce taux « directeur »?

« Qu’on se considère à gauche, à droite, au centre, la tête à l’envers ou je ne sais quoi, nous n’avons pas le choix de considérer la responsabilité fiscale lors des prises de décisions »

Certes, tout le monde compose avec l’augmentation des taux d’intérêts, mais tous ne sont pas en aussi bonne position pour se défaire de leurs dettes, donc des intérêts devant être remboursés à la banque. Une étude améri caine démontre que pendant que le ratio de la dette sur le revenu (une bonne mesure de la capacité à rembourser une dette) du 5% des Américain·e·s les plus riches est demeuré constant entre 1983 et 2007, le revenu n’a fait qu’aug menter pour le 95% restant, par ticulièrement après le tournant du millénaire. Donc, même si les plus riches ont souvent les plus grosses dettes, ces dernières ne représentaient que 60% de la va leur leurs actifs (maison(s), voi tures de sport, actions boursières, collection de vins français) ; le 95% restant voit ce ratio grimper à 140% de leurs actifs datant de la fin de la période d’étude. Il serait surprenant que cette inégalité soit corrigée en date d’aujourd’hui ; en effet, la tendance s’est fort proba blement maintenue. Donc, tout ça pour dire que le gouvernement n’aurait pas dû intervenir sur les marchés au début de la pandémie? Rangez les fourches, cela n’est pas l’in tention de cet article, ne vous inquiétez pas. Nous devons plutôt nous dire que les services qui semblent offerts « gratuitement », un financement pour un certain programme offert par « la bonne foi du gouvernement », ou même un beau chèque pour contrer l’in flation, ne le sont pas nécessaire ment. En effet, toutes les dépenses au-dessus de nos moyens finiront par nous revenir dans les dents de façon plus sournoise que l’on pense, particulièrement chez les moins nanti·e·s. Nous devrions songer à toujours tirer le plus de nos investissements, ainsi qu’à en faire le plus avec notre argent, en analysant l’ampleur des béné fices et conséquences pour notre société. La responsabilité fiscale ne signifie pas un « laissez-faire » complet des gouvernements. Qu’on se considère à gauche, à droite, au centre, la tête à l’envers ou je ne sais quoi, nous n’avons pas le choix de considérer la responsabilité fiscale lors des prises de décisions. C’est même le·a cas pour le·a « so cialement progressiste », s’il·elle se préoccupe réellement du bienêtre de la société. x

Le taux directeur, déterminé par la Banque Centrale, va dicter le taux d’intérêt que chaque banque canadienne décide d’implanter, soit le montant d’argent qu’on doit « compenser » à la banque lors qu’on rembourse un prêt, au-delà de la somme exacte empruntée. En d’autres mots, si Benicio, notre charismatique martien, décide d’acheter trois miches de pain à Béa aujourd’hui et de la rembour ser demain, il lui devra peut-être sept dollars, soit deux dollars par pain et un dollar en guise de compensation pour son paiement décalé. Si Béa augmente son taux d’intérêt, elle va peut-être exiger deux dollars de compensation au lieu d’un seul ; Benicio devra donc à Béa huit dollars au lieu de sept. Nous voyons donc qu’augmenter les taux d’intérêt décourage les emprunts! En nous découra geant d’emprunter, la Banque Centrale nous décourage de dépenser, ce qui ralentit nos achats et donc ralentit l’infla tion. Cependant, cette politique monétaire est loin d’être idéale afin d’alléger les souffrances de la classe moyenne. En effet, tous ceux·lles qui n’ont pas eu le choix de faire un em prunt à long terme, que ce soit pour payer une hypothèque ou des études universitaires, se font prendre de court. Une jeune famille immigrante à faible re venu a beau faire attention à ses dépenses, elle n’a guère d’autre choix que d’emprunter de l’argent à la banque si elle veut s’acheter une modeste demeure dans l’arrondissement SaintLéonard. Les parents signent le contrat avec la banque, rem boursant le prêt à celle-ci sur 30 ans avec un taux variable, lequel fluctue selon le taux d’intérêt en vigueur. Lorsque le taux d’in térêt grimpe quelques années plus tard, cette famille vivant de chèque en chèque n’a aucune marge de manœuvre lorsque la banque lui demande d’augmen ter ses paiements mensuels. N’ayant aucune action à la bourse, aucune fortune héritée de riches parents décédés, ces derniers se retrouvent, malgré eux, dos au mur. Ne pouvant plus se permettre leur maison, les parents doivent laisser les clés à la banque et changer d’adresse ; leur fille va devoir changer d’équipe de soccer, leur garçon ne pourra plus suivre ses cours de piano.

opinion

Le problème – au Québec, au Canada, ainsi que dans bien d’autres endroits dans le monde depuis les deux dernières an nées –, c’est que face à cette augmentation d’argent mis en circulation et cette production stagnante, le citoyen moyen ne semble pas avoir reçu son 30% d’argent de poche supplémentaire (ou 50%, selon la mesure utili sée). Contrairement au monde de Benicio et Béa, notre économie est extrêmement complexe et semble mener à beaucoup d’inef ficacité et d’argent perdu lorsque le gouvernement dépense sans imputabilité. En effet, moins le gouvernement est imputable, moins l’argent imprimé risque d’aboutir dans la poche du·de la consommateur·rice, que ce soit dû à de mauvais investissements ou à des scandales de corruption. Salaires qui ne suivent pas En effet, lorsqu’on compare la distribution d’argent liquide « imprimé » en 2020 et l’argent supplémentaire qui finissait dans notre poche cette année-là, quelques chiffres semblent res sortir. Malgré l’immense aug mentation d’argent mis en cir culation, le revenu annuel du·de la Canadien·ne moyen·ne n’a augmenté que de 4,3% en 2020. Certes, il est compréhensible que le·la Canadien·ne moyen ressorte plus pauvre, en termes de revenus, après avoir passé à travers une crise sanitaire, mais cette disparité demeure très inquiétante. Cette augmenta tion d’argent mis en circulation devrait avoir un effet temporaire sur l’inflation ; il est à espérer que cette période temporaire ne soit pas de trop longue durée. Si l’on regarde ce que l’avenir nous réserve, d’autres inquié tudes peuvent survenir. La hausse de l’inflation, notamment enclenchée par nos dépenses gouvernementales, sera-t-elle suivie par une augmentation de nos salaires? En tenant compte d’une étude effectuée par la professeure en économie Jean Baldwin Grossman, il est raison nable de s’attendre à une aug mentation parallèle du salaire de divers métiers et du salaire mi nimum dû au désir à court terme de tout·e professionnel·le de maintenir un « avantage relatif » vis-à-vis de ceux·lles qui gagnent moins qu’eux·lles. Le salaire minimum québécois, ayant aug menté de manière significative entre 2021 et 2022 (passant d’un taux horaire de 13,50$ à 14,25$, une augmentation de 5,6%) laisse toujours à désirer en ce qui concerne l’augmen tation du coût de la vie du·de la Montréalais·e moyen·ne (7,3%) ainsi que du·de la Québécois·e moyen·ne (7,3%). Considérant que le·a Québécois·e moyen·ne obtient 95% de son revenu de son salaire d’employé, il y a rai son de craindre pour son pouvoir d’achat dans les années à venir.

le délit · mercredi 31 août 2022 · delitfrancais.com deux citoyen·ne·s avec un plus grand pouvoir d’achat, mais plutôt des cocktails et des pains plus dispendieux. En effet, si l’autre à plus d’argent dans sa poche, il sera en mesure de payer plus cher! Nos deux martiens doivent donc payer plus de billets verts pour avoir un pain ou bien un cocktail. En d’autres mots, pour une somme fixe, un individu peut obtenir moins de biens et de services qu’auparavant.

est« ContrairementaumondedeBenicioetBéa,notreéconomieextrêmementcomplexeetsemblemeneràbeaucoupd’inefficacitéetd’argentperdulorsquelegouvernementdépensesansimputabilité »

JASON BRISCOE | UNSPLASH

Tu devais juste expliquer au lectorat comment contribuer pour écrire dans ta section ». J’ai réalisé qu’iel avait raison et depuis l’écriture avance bien mieux. Une définition de la nuit n’existe pas, la nuit est une

La troisième « Attention : Danger » Celle-ci serait composée de vos expériences noc turnes dangereuses, effray antes ou mystérieuses.

anonymisés et publiés avec des réponses de la rédaction, mêlant vos con fessions et les réponses de l’éditeur·rice de la section… Faites confi ance à l’anonymat offert par cette branche, elle a vu pire… bien pire.

n’est pas réductible au contraste nox/lux ni à une succession

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On va y passer la nuit de la section inédite « Vie nocturne ». alexandre gontier | Le Délit nocturne vienocturne@delitfrancais.com

nocturne

sectioncommentutesrestemétaphysique.expérienceIlnemequequelquesminpourvousexpliquerécriredansma«VieNocturne».«Lanuitestundéfi,ellerelèvedelatransgressiondescodesdel’expériencediurne»

LarubriquestionspartagerVousposeNocturne »Latransfigurerseil,QuandunellenuitjourduableL’alternancemanichéenne.estindispensaufonctionnementcyclenycthéméral,leabesoindelanuit.Lacomplètelejour,cardonneàl’imprévisiblerôleplusimportant.lanuitporteconelleoffrel’occasiondelaviediurne.section« Viesedécomensixrubriques.êtesinvité·e·sàvosproducsurlanuitselonlessuivantes:première

L’enjeu de la section peut se résumer sans défini tion mais en deux ques tions : Comment la nuit vous impacte-t-elle? Que vous évoque la nuit? « entreobsessions.quidepire.punaiselepellentautomatiquestionnentnuit,vérité.plusquenepellecontemporainCependantpasdestionlaproductivité.spondplusoùné,diurne.desrelèvepas.tousdeauxtèrel’idéelequiouaventureetLaétrangersauxenfin,que(aussipeutsommeil,Ellefinis“Alexandre,vite!Onnevapasypasserlanuit”.Agacéparsaprésencelégitime,j’airépondu:“Maisqu’est-cequec’estlanuit?”»peutêtreletemps,lelesrêves.Ellerenvoyeràl’intimitébienpourlesecretpourlasexualité).Etonlarattacheaussifêtes,auxautres,auxetauxdangers.nuitpeutêtretoutçaplusencore,c’estuneexistentielleplusmoinsrassurante.Ceestintéressantavecthèmedelanuit,c’estdel’inconnu,dumysnocturnequis’installecouchersdusoleiletcertains,quel’onsentmaisquines’expliqueLanuitestundéfi,elledelatransgressioncodesdel’expérienceLejourestordonilestlasurfacevisiblelescachettessefontrares.LejourcorreàlarationalitédelaEnnégatif,nuitrenvoieàladilatadutemps,àlalégèretérendez-vous:onn’estenretardlanuit.lecapitalismenousrapsouventquelejournouséchapperapas,etlaliberténocturneestunfantasmequ’uneMêmequandilfaitlesascenseursfoncetleslumièresnousrapquinoussommes:hiboucouche-tard,unedelitouunvamLanuitestponctuéecesmomentsaseptisésnoussortentdenosL’oppositionlejouretdelanuit

présentation

La deuxième « Soifaim » Cette partie regrouper ait vos critiques gas tronomiques, recomman dations de restaurants, bars, dépanneurs ouverts 24h… dans la région de Montréal. En somme, tout ce qui se réduit au goût.

La cinquième « Horaires à l’envers » Pour celle-ci, le point focal est tourné vers les métiers nocturnes. L’idée est d’éclairer le lec torat quant au travail de l’ombre qui, souvent, reste inconnu. Par exemple, une entrevue avec des concierges de nuit, des opérateur·rice·s d’usine, des surveillant·e·s de sta tionnement, les oiseaux de nuit de la bibliothèque… mise au point sur dif férents milieux de la nuit. La sixième « Aller danser » Enfin, pour cette rubrique, vos recommandations de boîtes de nuits, de DJ, de soirées alternatives et clandestines seront appréciées. Mylène Farmer, Madonna et Lady Gaga doivent nous lire. Vos albums préférés, reportages photo sur les artistes drag ou les club kids sont très attendus. Bonne nuit. x « Même quand il fait nuit, nousetfonctionnentascenseurslesleslumièresautomatiquesrappellentquinoussommes:lehiboucouche-tard,unepunaisedelitouunvampire»

Soyez sans crainte, tous vos témoignages sont les bienvenus, même si vous parlez de fantômes, de vampires ou de votre peur de l’obscurité. Les menaces peuvent aussi bien être concrètes qu’abstraites, et nous prendrons au sérieux toutes vos propositions. La quatrième « À voix basse… » Cette branche accueille ra les délits, ques tions aveuxbrûlantes,etconfessions que vous enverrez à Lesture@delitfrancais.com.vienoctémoingnagesseront

Alexandre Gontier Éditeur Vie Nocturne vie le délit · mercredi 31 août 2022 · delitfrancais.com

Présentation

vie

« Délit au lit » Cette rubrique regrou perait les travaux et créa tions (textes, entrevues, illustrations, BD…) qui se rattachent à tout ce qui se passe au lit : sexualité, sommeil, somnambulisme et punaises de lit… la seule limite est le matelas (sauf si vous dormez sur une surface plus originale).

Il faisait encore jour dans mon apparte ment, j’accumulais les nuits blanches. Je m’apprêtais à m’asseoir pour commencer à écrire ce texte quand une femme est rentrée chez moi. Je crois que je la connais sais, elle s’est assise, elle a parlé avec ses vêtements et des silences. Je ne l’ai pas regardée, j’ai soupiré. Elle m’a répondu en frottant sur sa robe. J’ai expliqué que j’étais l’éditeur d’une nouvelle section du Délit et qu’elle allait s’appeler « Vie Nocturne ». Elle comprenait tout ce que je disais comme si nous nous connaissions. Elle n’a rien dit au début, puis dans un langage de serpent, je l’ai entendue sourire. Elle s’est rapprochée pour me poser une question. J’ai écouté sa question et j’ai réfléchi. Elle n’était déjà plus là. Je n’ai pas arrêté de réfléchir. J’y ai passé la nuit. À cause d’elle, je suis en retard. Encore troublé par mes réflexions, je me suis rendu à McGill, et j’y suis en ce moment. J’écrivais dans les bureaux du Délit. Mon texte peinait à avancer, l’équipe s’impatientait. Un·e membre de l’équipe est venue me voir et m’a dit : « Alexandre, finis vite! On ne va pas y passer la nuit ». Agacé par sa présence légitime, j’ai répondu : « Mais qu’estce que c’est la nuit? » Iel m’a regardé, puis iel a dit : « Je ne comprends pas, tu n’écris pas en Philosophie?

CULTURE

La souplesse administrative et le dialogue semblent plus difficiles – ou plus longs – à Montréal. « Je le dis, mais je ne le dis pas trop fort. Ce n’est pas une question d’argent. À Beirut, on discutait, on se disputait, mais on arrivait à quelque chose. En Argentine, il y a des théâtres partout. Les directeurs de l’Université de Gaza font plein de choses. C’est révol tant d’avoir tout sous la main ici, mais de ne pas pouvoir en profiter. Il faut utiliser les lieux désaffectés, les églises vides, les salles de théâtre. Proposons des soirées de la relève. Ouvrons les théâtres douze heures par jour au lieu de deux. Ou du moins, commençons à en parler. » En mai 2022, Hugo Fréjabise et d’autres protestataires ont man ifesté à l’intérieur du Théâtre du Nouveau Monde. Chaque semaine, il aborde des questions de théâtre dans l’émission radiophonique Le Quatrième Mur. L’activité pub lique du Rassemblement Diomède est annoncée sur leurs réseaux. x 9culturele délit · mercredi 31 août 2022 · delitfrancais.com Et si l’on faisait du théâtre dans un centre commercial?

Un théâtre qui rassemble artsculture@delitfrancais.com

Jouer ou ne pas jouer : telle est la question Déranger, le Rassemblement Diomède n’a pas peur de le faire. En février 2022, en pleine vague pandémique, la troupe avait réussi à jouer sa pièce Hôtel Promontoire quelques fois au Complexe Desjardins avant de se mériter un avis d’éviction. À l’entrée du centre, un baladeur était fourni à chaque specta teur : c’est dans nos oreilles que s’échangeaient les répliques, incarnées par les acteurs silen cieux qui jouaient discrète ment autour de la fontaine. « On a choisi le centre commer cial parce qu’un marché, his toriquement, est un lieu où on peut discuter. Et à ce moment, c’était le seul endroit encore ouvert. On voulait jouer sur les flous juridiques. On ne cherchait pas à poser problème, on jouait aux heures de la fermeture des commerces. Reste qu’en quatre fois, on a perturbé ce gros sys tème qu’est Desjardins. » En effet, lors de la dernière représenta tion, alors que la troupe jouait en bas, Hugo négociait seul avec les policiers. Je lui avoue que la scène m’avait amusée et avait ajouté au spectacle parce qu’elle faisait écho au propos de la pièce qui se déroulait dans mes oreilles ; une pièce sur le besoin de résister, incarné par le motif de la guerre qu’on attend, qu’on espère presque. « Ce n’est jamais le bon moment pour se battre », acquiesce Hugo. « Le centre commercial emblématise ce besoin de paix : administrativement, on fait tout pour que les choses soient pais ibles, confortables et dans ce sens-là, on interdit le dialogue. Le dialogue, la politique, c’est un petit peu la guerre. Les agents de sécurité ne veulent pas discuter. Ils veulent aplatir le discours, ont peur du désordre. La police n’arrêtait pas de répéter qu’en fait, ils étaient d’accord avec moi. Et ça m’enrageait. Je leur disais : arrêtez, ne dites pas ça. Vous avez le droit de nous mettre dehors, au moins ne faites pas semblant ! »

« Il faut utiliser les lieux désaffectés, les églises vides, les salles de théâtre. Proposons des soirées de la re lève » Hugo Fréjabise hugo fréjabise

La démocratie du théâtre in situ s’étend aussi dans le jeu avec le public qui se demande : qui ici regarde avec moi ? »

Hugo Fréjabise

Au-delà du rideau

J e m’installe à une table pli ante et je pense : « c’est la première fois que je mène une entrevue dans une église ». Devant moi, Hugo Fréjabise m’offre un café filtre. C’est ce que sa troupe de théâtre et lui ont pu négocier avec une église à Beaubien : un sous-sol pour leurs répétitions et une machine à café. Le théâtre, au Québec, n’a jamais été simple. Pour exister, la relève doit penser le théâtre à côté des institutions et des voies tra ditionnelles. Outre la salle de spectacle, elle a recours à la rue, aux églises, aux parcs et même – quand il le faut – au centre commercial. Le Rassemblement Diomède, collectif d’artistes dans lequel Hugo Fréjabise est auteur et metteur en scène, fait rayonner le théâtre in situ à Montréal depuis 2018. Du théâtre à la rue Le mot « théâtre », du grec theatron, signifie « lieu où l’on regarde ». Mais Hugo rappelle qu’on se trompe toujours avec l’étymologie. Le theatron, en Grèce Antique, c’est avant tout la place publique, là où se passe l’action. On a trop cantonné le théâtre à un lieu fermé, à des institutions. Dans le théâtre, on trouve de la musique, de la danse, de la littérature. « J’utilise le mot théâtre pour tout », avoue-t-il en souriant. Pour lui, le théâtre est synonyme de communi cation, de jeu, de politique. L’important, pour la relève, est de mettre le théâtre au centre de la ville pour y inviter les gens démocratiquement. « Le théâtre, tel que nous le pensons, devrait rejoindre plein de personnes, mais dans les faits, il n’y a que 10% de la population qui va au théâtre », se désole Hugo. « Et si c’est plutôt la bourgeoisie ou majoritairement des personnes blanches qui y vont, ce n’est pas un hasard. Si telle personne voit du théâtre, c’est qu’elle a été amenée à le faire, que cette culture lui a été proposée. » Mais au-delà de la publicité et des tactiques de commu nication, comment proposer le théâtre comme culture ? « Notre idée est de sortir le théâtre de ses salles, de jouer dans des endroits publics. C’est dans ces moments-là qu’il y a des frictions. Et tant mieux. Au théâtre, on dit souvent “le théâtre est fait pour déranger” mais est-ce qu’il le fait vraiment? Aujourd’hui, le poids de l’admin istratif est violent. Du moment où on demande une autorisa tion pour jouer quelque part, n’est-on pas dans une forme de torsion de l’art ? » En posant la question, la relève cherche avant tout à ouvrir un dialogue. « Tout le monde est dérangé par tout le monde, c’est ça la société ! Il faut encore savoir converser et être en désaccord. Il faut jouer sur ce lien avec l’humain. »

« J’ai travaillé majoritairement à Ouzaï, avec des jeunes des bidon villes qui n’avaient jamais fait de théâtre. Il y avait mille prob lèmes, mais en attendant, dans ces quartiers démunis, des jeunes dialoguaient, s’amusaient, deve naient vulnérables, se mettaient à nu. Est-ce qu’on est plus vrai sur scène ou dans la vie ? Derrière l’artifice du personnage, il y a de la vérité. Je me sens sincère à travers ces artifices-là. C’était très exotique pour eux, mais je me sentais pleinement dans ce que je devais faire au théâtre. Au Liban, tous les problèmes d’administration n’existaient plus. Les théâtres nous ouvraient leurs portes la semaine même.

Le problème de tout art dans une société capitaliste est la récupération, puis l’administra tion de ces questions artistiques par le système. J’interroge Hugo sur Joussour, une compagnie de théâtre qu’il avait cofondée trois ans auparavant au Liban, avec la scénographe Nadine Jaafar. Il confirme mes pensées : parfois, c’est plus difficile d’intégrer le théâtre dans une société occi dentale aisée que dans un pays accablé de crises comme le Liban.

« Aujourd’hui, le poids de l’administratif est violent. Du moment où on demande une autorisation pour jouer quelque part, n’est-on pas dans une forme de torsion de l’art ? » Hugo Fréjabise elissa kayal Contributrice

« Le centre commer cial emblématise ce besoin de paix : chosesonministrativement,adfaittoutpourlessoientpaisibles,confortablesetdanscesens-là,oninterditledialogue»

»

Au printemps 2022, le Rassemblement Diomède avait lancé une invitation littérale. Après la présentation de leur pièce Le Banquet dans un parc, la troupe a festoyé autour d’un barbecue avec les spectateurs. « J’aime le côté sacré du théâtre, mais tout ça, ce n’est qu’une coquetterie. Ce qui est fort, c’est d’avoir du théâtre quoti dien », dit Hugo. « Des pièces qui se jouent au parc, là où les gens tombent dessus par hasard. Mais pour imprégner la société de théâtre, il faut un énorme travail de pédagogie.»

· mercredi 31 août 2022 · delitfrancais.com arts visuels

mortsqu’amateur·rice·stantd’artsqu’entantqueconsommateur·rice·speuaufaitdesanglesdecertainesindustries»

x CULTURE le

L’obsolescence du genre humain

plutôtenchaînementundepéripéties,maisàunesommedegestesinsignifiantsposéspardesfigurant·e·ssanshistoire» TOBON | le délit

Léonard Smith Éditeur Culture 10 «

Exploration de l’automatisation du travail dans l’exposition Mika Rottenberg. Le parcours de l’exposition semble moins envisager le public en

Que veut dire être humain au sein d’un monde ultra-pro ductiviste, où chaque individu se voit réduit à sa valeur sur le marché? L’humain peut-il s’affranchir du système capitaliste, de cet univers de sens étroit qu’il a créé et dont il s’est lui-même fait prisonnier? L’exposition visuelle de l’artiste israélo-argentine Mika Rottenberg au Musée d’art contem porain de Montréal (MAC) ne four nit pas directement de réponses à ces questions, mais laisse plutôt le public avec l’impression que quelque chose lui manque, qu’un malaise existentiel s’est généralisé dans la société moderne, caracté risée par le flot incessant d’infor mations et la production indéfinie de biens manufacturés. Dans sa course aveugle à l’opulence et sa vo lonté compulsive de satisfaire ses moindres envies consuméristes, l’humain semble, dans l’exposition de Rottenberg, être confiné à un univers de limitations matérielles. La consommation, moteur de la création C’est d’ailleurs peut-être ce mot, « compulsion », qui caracté rise le mieux la vision des humains dans l’exposition de Rottenberg : les figurant·e·s mis·es en scène ap paraissent plus prompt·e·s à réagir qu’à agir, à la manière d’automates qui n’auraient d’autre vocation que l’accomplissement de gestes qui leur sont prescrits. L’entrée en matière de l’exposition, Sneeze (2012), est une projection vidéo où des hommes en veston-cravate sont secoués par des éternuements incontrôlables et expulsent des objets loufoques comme des lapins, des pièces de viande et des am poules, sorte de vision caricaturale du processus anthropocentrique par lequel l’humain devient une machine à transformer son envi ronnement. Rottenberg écrit à ce titre que « plusieurs couches de nos existences ne peuvent être contrô lées par nos esprits pensants », et qu’« un rire ou un éternuement se rapportent à ces autres parties du corps qui n’ont pas besoin de l’es prit pour leur dire comment agir ». Le relâchement naturel du corps qu’est l’éternuement, d’apparence inconvenante au sein d’une exposi tion artistique, peut être vu comme un véritable élément déclencheur de la création chez Rottenberg. Cette réaction physiologique prend en effet la forme d’un leitmotiv au cours de l’exposition, peut-être parce que symbolique d’une mé connaissance des mécanismes régissant certaines habitudes consuméristes. Ne pas questionner sa façon de consommer, c’est faire fi de la manière avec laquelle les ob jets sont produits, et ainsi oublier que certains achats se font au prix de l’asservissement de vies hu maines à des travaux aliénants.

« Le fil conducteur de l’exposition ne tient pas à une intrigue ou à

Le parcours de l’exposition semble moins envisager le public en tant qu’amateur·rice·s d’arts qu’en tant que consommateur·rice·s peu au fait des angles morts de certaines industries. Lorsque l’auditoire tra verse des étalages de sacs remplis de milliers de perles, il peut être amené à prendre conscience de leur processus de fabrication au cours de la projection subséquente, NoNoseKnows (2015), au sein de laquelle une travailleuse ouvre inlassablement des huîtres per lières. Ce passage du monde ma tériel à des images documentaires filmées en Chine permet alors de créer une connexion entre l’ici et l’ailleurs, mais surtout de mieux envisager le phénomène de la mondialisation à l’échelle de petits accessoires manufacturés. L’aliénation par le travail Chez Rottenberg, certaines images sont esthétisantes à sou hait, voire hypnotisantes, comme lorsque le public assiste aux activi tés d’une usine antimatière où des objets en tout genre sont détruits plutôt que produits ; certaines autres images perturbent. Cet inconfort est dû à une utilisation hybride du médium cinématogra phique, qualifiée de « surréalisme social » par sa créatrice, dans la mesure où la composition onirique de certaines scènes se confond avec une pratique documentaire qui tire sa source de la réalité brute du travail. En ce sens, les images tirées d’une usine de perles dans le sud de Shanghai montrent l’instrumen talisation du corps de dizaines de travailleuses et dénoncent l’absur dité d’un tel mode de production, qui place en son centre des corps usinés par le travail à la chaîne. Alors que les femmes travaillent en silence, le son de leurs gestes mé caniques triant les perles semble se confondre avec celui des machines, donnant à voir un emploi exclusif de leurs facultés humaines à des fins productives. La caméra de Rottenberg se déplace ainsi d’une travailleuse à une autre comme s’il s’agissait de dispositifs rem plaçables aussitôt désuets, ce que donne à penser la vue d’une jeune fille endormie devant un travail dont elle ne peut pas voir le terme. Le fil conducteur de l’exposition ne tient pas à une intrigue ou à un enchaînement de péripéties, mais plutôt à une somme de gestes insi gnifiants posés par des figurant·e·s sans histoire. Les acteur·rice·s de cet univers terrifiant et anonyme –qu’on pourrait plutôt qualifier d’actants, tant ils·elle·s paraissent subir des actions machinales qui les dépossèdent de leur agentivi té, semblent entraîné·e·s dans l’en grenage d’une machine capitaliste qui les empêche d’agir à leur ma nière sur le monde. Une vendeuse ambulante doit pousser son chariot à travers un no man’s land pour effectuer sa journée de travail à la ville, faute de moyen de transport plus efficace, alors que d’autres sont ensevelies sous des montagnes de jouets et d’objets décoratifs destinés à la commercialisation. Le lien entre ces vies ne se révèle pas spontanément, puisque chacune d’elles n’entretiennent pas des re lations réciproques. C’est plutôt la condition partagée par ces femmes qui devient prégnante – condition qui les oblige à se conformer aux exigences d’un travail n’offrant pas C’estd’échappatoire.enquelquesorte l’improduc tivité des tâches productives que questionne l’exposition de Mika Rottenberg, si l’on considère que le travail à la chaîne nie l’indivi dualité de ses participant·e·s à des activités aliénantes. Quel prix humain peut-on encore payer pour assurer l’accélération toujours plus forte des moyens de production et la consommation de masse qui en découle? Il semble que la conscien tisation individuelle et la responsa bilisation collective du public sont des préoccupations essentielles chez la créatrice israélo-argentine, qui s’intéresse en détail à la pro duction des biens matériels, géné ralement invisibilisée par leur mise en marché. L’exposition de Mika Rottenberg au Musée d’art contemporain de Montréal prend fin le 10 octobre prochain. délit

LAURA

» Marie prince | le délit « Le relationsplexitésoulignedocumentairelacomdeseffetsdesdepouvoirsentrelespaysdits“développés”etceuxperçuscommeétant“envoiededéveloppement ” »

Une histoire à soi présente le récit touchant de cinq personnes issues de l’adoption dans un for mat qui entremêle des récits de vie individuelle à des luttes col lectives de la communauté issue de l’adoption internationale afin de créer un documentaire bien argumenté qui rejoint et sensi bilise habilement les gens hors de cette communauté. Le plaidoyer pour rendre plus accessible l’in formation portant sur les origines des personnes adoptées est con vaincant et résonnera certaine ment hors de la salle de cinéma. Une histoire à soi est présenté jusqu’au 1er septembre 2021 à la Cinémathèque québécoise.

. Quand

Ce travail de recherche appro fondi soutient efficacement le plaidoyer pour des informations plus transparentes concernant les origines des personnes adoptées. Se construire en tant que sauvé·e Le documentaire de Gay abor de le mythe de l’adoptant·e occidental·e qui « sauve » un·e enfant à l’international d’une vie misérable. Ce mythe est exploré avec des personnes issues de l’adoption internationale. Cette approche permet d’offrir un regard sur les conséquences iden titaires individuelles de ce mythe tout en explorant les mécanismes de l’imaginaire colonial impli qués dans le système d’adoption internationale. Céline raconte par exemple qu’elle s’était ellemême construit une identité de personne « sauvée » par sa famille adoptive, même si elle affirme que cette dernière n’a jamais tenté de lui faire accept er ce mythe. Cela a cependant changé le jour où elle a fait un voyage au Sri Lanka, qui lui a fait réaliser à quel point cet endroit ne représentait pas du tout la misère qu’elle s’était imaginée. En témoignant de la nature insidieuse avec laquelle le trope du·e la sauveur·se occidental·e a été normalisé par Céline durant son enfance et l’image subséque mment négative qu’elle s’était faite de son pays d’origine, le documentaire souligne la com plexité des effets des relations de pouvoirs entre les pays dits « développés » et ceux perçus comme étant en « voie de dével oppement » au sein du système d’adoption internationale. Les conséquences de ces dernières s’inscrivent même au niveau identitaire individuel des per sonnes issues de l’adoption internationale, lorsque cellesci tentent de donner un sens à leur identité transnationale. Pour Niyongira, le mythe de la famille occidentale « sauveuse » a été vécu autrement ; mainte nant adulte lors de la narration qu’il effectue dans Une histoire à soi, il affirme que, plus jeune, il avait accepté d’être adopté par une famille française, car son but secret était que sa famille adop tive fasse aussi venir en France les autres membres de sa famille biologique. Malgré cet espoir initial, il mentionne aussi la peur véhiculée par ce mythe, notam ment au moment du génocide des Tutsi au Rwanda - dont il prend connaissance à travers les médias français -, lui qui a longtemps cru que si sa famille adoptive avait eu le pouvoir de l’amener en France, elle avait aussi le pou voir de le renvoyer au Rwanda.

Une histoire à soi amplifie le sentiment d’in timité des récits présentés en mettant en valeur des nuances

Une voix à travers cinq Les 100 minutes d’Une histoire à soi sont entière ment narrées par les voix de Joohee, AnneCharlotte, Niyongira, Mathieu et Céline, cinq personnes montréesreprésentéesmenttaireprésentésnatureEnchampavoirverss’exprimerternational,auxsilencessouligneunainsiCedesd’avoircommeLanka,Rwanda,duoriginairesrespectivementdelaCoréeSud,del’Australie,duduBrésiletduSriquiontnotammentpointcommunétéadopté·e·sparfamillesfrançaises.choixnarratifpermetàGaydevéhiculermessagepolitiquequilesconséquencesdesidentitairesimposéspersonnesadoptéesàl’insanselle-mêmeverbalementàtrasondocumentaireetsansrecoursàunevoixhorsplusdétachéedesrécits.assumantpleinementlasubjectivedesrécitsdansledocumenetenjuxtaposantdirectelesvoixdespersonnesdanslesarchivesàl’écran,

x 11culturele délit · mercredi 31 août 2022 · delitfrancais.com cRITIQUE

Sophie ji Éditrice Culture «

L’adoption internationale vue par Une histoire à soi se construire est politique Ainsi, en refusant de tenter de créer un sentiment d’objectivité, le documen taire arrive habilement à sou ligner la nature hétéroclite des expériences d’adoption tout en mettant en valeur les défis communs auxquels sont confrontées les personnes issues de l’adoption internationale

perceptibles seulement à travers les intonations et inflexions de voix des participant·e·s. Ainsi, en refusant de tenter de créer un sentiment d’objectivité, le documentaire arrive habilement à souligner la nature hétéroclite des expériences d’adoption tout en mettant en valeur les défis communs auxquels sont con frontées les personnes issues de l’adoption internationale. Ce choix narratif permet de souligner la puissance que peu vent avoir les œuvres basées sur des travaux de recherche approfondis qui sont ouverte ment situés et politiques. En effet, selon l’anthropologue Stuart Kirsch, plutôt que d’être compromis·es par leurs efforts politiques, les réalisateurs et réalisatrices d’œuvres et de travaux basés sur la recherche qui défendent activement une cause, comme Une histoire à soi, sont d’autant plus encouragé·e·s à produire un travail d’archives de qualité, car ils et elles sont davantage tenu·e·s responsables pour les conclusions présentées par le résultat final de leur recherche que ceux et celles qui choisissent de réaliser une œuvre au ton dit plus « impartial ». Dans ce contexte, le documen taire de Gay est un excellent exemple de l’argument avancé par Kirsch : les récits présentés par l’œuvre sont soutenus par de nombreuses vidéos et photos provenant des archives person nelles des cinq participant·e·s, mais aussi d’anciennes unes de journaux et de vidéos issues de différents médias internationaux.

Une histoire à soi, documen taire d’archives réalisé par la réalisatrice et sociologue afroféministe Amandine Gay, offre un regard sur le récit de cinq personnes adultes âgées de 25 à 52 ans issues de leursconcentrerauxCeaujamaisarchivesstrictementprésented’origine.adoptivedissentdeconséquencesetche« filmlong-métragevoixnarrationreçuesnellesmentuninternationale.l’adoptionÀtraversmontagemêlantnotamdesarchivespersondescinqpersonnesenentrevueetuneassuréeparlesdecesdernières,leseveutunpolitique»quicheràmettreenlumièreexplorerlesdéfisetidentitairescellesetceuxquigrandansunefamillehorsdeleurpaysLedocumentairesesprotagonistesàtraversleurspersonnelles,sansdévoilerleurvisagemomentdelanarration.choixpeutpermettrespectateur·rice·sdesedavantagesurrécitsd’adoption.

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