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Le mardi 22 octobre 2013 | Volume 103 Numéro 06
Les moules québécoises sont toutes petites depuis 1977
Volume 103 Numéro 06
Éditorial
Le seul journal francophone de l’Université McGill
rec@delitfrancais.com
«Ostentatoire»? Connaît pas. Camille Gris Roy Le Délit
O
n n’aura jamais autant entendu le mot «ostentatoire». C’est LE mot de la rentrée au Québec. Le projet de Charte des Valeurs Québécoises du gouvernement péquiste suggère en effet «d’encadrer le port de signes religieux ostentatoires», c’est-à-dire les signes «facilement visibles et ayant un caractère démonstratif pour le personnel de l’État dans l’exercice de ses fonctions» selon le site Internet nosvaleurs.gouv.qc.ca. Depuis, on emploie le mot à toutes les sauces, dans nos soupers de famille, à l’épicerie («eh ben le prix de la tomate est ostentatoire cette semaine!»), sur les plateaux de télévision. À l’origine, le mot ostentatoire vient du latin ostendere, qui signifie «montrer». Le dictionnaire Larousse donne la définition suivante du mot «ostentation», dont est dérivé l’adjectif «ostentatoire»: «étalage indiscret d'un avantage ou d'une qualité, attitude de quelqu'un qui cherche à se faire remarquer». Selon la définition classique, le mot «ostentatoire» implique une certaine notion d’intentionnalité, dans le fait de (se) «montrer». L’idée générale qu’on en a retiré cette année au Québec, c’est la simple idée de visibilité. C’est dans ce sens-là, plus large, galvaudé, que Le Délit a décidé d’aborder ce thème d’«ostentatoire» dans le cahier spécial de cette semaine. C’est très tiré par les cheveux et c’est facile, oui. Mais c’est un clin d’œil à l’actualité, et aussi, finalement, juste un prétexte pour parler de plusieurs sujets intéressants. Beaucoup de constructions visibles sur le campus cette année: «ostentatoire». Les politiques de salaires imposées par McGill, apparemment (ostensiblement) antisyndicales: «ostentatoire». Gabriel Nadeau-Dubois: «ostentatoire», car aux devants de la scène au Printemps 2012. Etc. L’emploi du terme «ostentatoire» dans le Délit cette semaine peut être négatif ou positif, selon le contexte, ou selon le point de vue personnel. C’est une libre interprétation. Dimanche soir, les quatre principaux candidats à la mairie de Montréal, nos amis Richard Bergeron, Denis Coderre, Marcel Côté et Mélanie Joly, étaient invités sur le plateau de Tout le monde en parle, sur Radio-Canada.
Personne n’est vraiment sorti «gagnant» de cette discussion. Chacun a rappelé ses principales positions; tous ont répété leurs «phrases récurrentes». Après avoir écouté des dizaines de débats, de conférences, d’entrevues des candidats, on commence à se dire qu’on a fait le tour de la question. Alors c’est le temps de commencer à faire son choix. Il reste, certes, deux semaines avant le scrutin du 3 novembre. En deux semaines, beaucoup de choses peuvent se passer. On a vu Marcel Côté creuser sa tombe en quelques jours seulement avec la controverse des appels robotisés, et Mélanie Joly grimper dans les sondages après un débat et quelques apparitions de plus dans les médias. Mais là, on est presque rendu. Cette apparition des candidats sur le plateau de Guy A. Lepage dimanche soir n’est venue que confirmer la tendance qui s’était déjà installée ces dernières semaines. On avait un Marcel Côté plutôt résigné, qui reste dans la course, un peu, au fond, pour faire de la figuration. Un Denis Coderre sûr de lui, sûr de gagner, un peu arrogant. Une Mélanie Joly toujours active et qui ne manque jamais une occasion de parler de son «grand projet de génération», le Systèmes Rapide par Bus (SRB). Un Richard Bergeron qui y croit encore, toujours rêveur et ambitieux pour Montréal, malgré les quelques railleries de ses collègues. Le 3 novembre, on ira voter pour une de ces quatre personnes, ou quelqu’un d’autre: il y a 12 candidats. Mais on ira voter; n’est-ce pas? On l’a dit et redit: le taux de participation aux dernières élections municipales - 39% - est bien trop bas. Alors oui, il faut aller voter si c’est possible. C’est tellement cliché de dire ça. C’est tellement «bateau». Mais c’est vrai. Surtout que s’intéresser à la politique municipale, c’est facile. Se sentir interpellé par les transports collectifs quand on prend le métro pour aller à l’école tous les matins, c’est facile. Ou par les politiques de logements pour nous étudiants, pour nos futures familles, notre entourage. Les sujets sont concrets et nous concernent directement. Le 3 novembre, allez voter en grand nombre. Et ceux qui, selon les circonstances, ne peuvent pas voter: suivez la campagne et les résultats. Comme ça on ne manquera pas une occasion d’utiliser notre nouveau mot favori: on pourra dire qu’on a eu un taux de participation « ostentatoire ». x
rédaction 3480 rue McTavish, bureau B•24 Montréal (Québec) H3A 1X9 Téléphone : +1 514 398-6784 Télécopieur : +1 514 398-8318 Rédactrice en chef rec@delitfrancais.com Camille Gris Roy Actualités actualites@delitfrancais.com Alexandra Nadeau Sophie Blais Arts&Culture artsculture@delitfrancais.com Thomas Simonneau Joseph Boju Société societe@delitfrancais.com Côme de Grandmaison Coordonnateur de la production production@delitfrancais.com Théo Bourgery Coordonnateurs visuel visuel@delitfrancais.com Photographie Camille Chabrol Illustration Romain Hainaut Infographie infographie@delitfrancais.com Vacant Coordonnatrices de la correction correction@delitfrancais.com Claire Launay Anne Pouzargues Coordonnateur Web web@delitfrancais.com Mathieu Ménard Coordonnateur des réseaux sociaux réso@delitfrancais.com Mathilde Michaud Journalistes Stéphanie Laperrière, Charlotte Ruiz, Esther Perrin Tabarly, Léa Marcel, Michaël Lessard, Aliaume Leroy, Baptiste Rinner, Julia Denis, Alice Tabarin, Emilie Blanchard, Thomas Birzan, Gwenn Duval, Laurence Bich-Carrière, Virginie Daigle, Léa Bégis, Scarlett Remlinger, Camila Gordilo, Philippe Robichaud, Habib B. Hassoun, Léa Frydman, Claire McCusker, Lola de la Hosseraie, Laila Omar, Christine Deschênes, Nicolas Ruel, Hossein Taheri, Badr Jennaoui, John Hall, Jemma Israelson, Luce Hyver, Alexis de Chaunac, Sylvana Tishelman Couverture Image : Camille Chabrol Montage : Romain Hainaut bureau publicitaire 3480 rue McTavish, bureau B•26 Montréal (Québec) H3A 1X9 Téléphone : +1 514 398-6790 Télécopieur : +1 514 398-8318 ads@dailypublications.org Publicité et direction générale Boris Shedov Photocomposition Mathieu Ménard et Geneviève Robert The McGill Daily L’usage du masculin dans les pages du Délit vise à alléger le texte et ne se veut nullement discriminatoire.
Les opinions exprimées dans ces pages ne reflètent pas nécessairement celles de l’Université McGill.
2 Éditorial
Le Délit (ISSN 1192-4609) est publié la plupart des mardis par la Société des publications du Daily (SPD). Il encourage la reproduction de ses articles originaux à condition d’en mentionner la source (sauf dans le cas d’articles et d’illustrations dont les droits avant été auparavent réservés, incluant les articles de la CUP). L’équipe du Délit n’endosse pas nécessairement les produits dont la publicité paraît dans ce journal.Imprimé sur du papier recyclé format tabloïde par Imprimeries Transcontinental Transmag, Anjou (Québec). Le Délit est membre fondateur de la Canadian University Press (CUP) et du Carrefour international de la presse universitaire francophone (CIPUF).
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Actualités
Camille Gris Roy
actualites@delitfrancais.com
CAMPUS
Montréal sous la loupe de McGill
Lancement du Centre de recherche interdisciplinaire en études montréalaises. Stéphany Laperrière Le Délit
L
e nouveau Centre de recherche interdisciplinaire en études montréalaises (CRIEM) a organisé son premier colloque intitulé La créativité urbaine en question : le cas de Montréal, « ville créative ». L’événement s’est déroulé les 18 et 19 octobre au Musée McCord. Pour l’occasion, les participants ont eu droit à 15 conférences qui traitaient de la métropole sous différents angles, de son architecture aux choix politiques de ses résidents. Cette interdisciplinarité est à l’image du CRIEM, qui rassemble des chercheurs de douze disciplines. «Nous avons réalisé qu’à travers toutes les facultés de McGill, il y a beaucoup de spécialistes qui travaillent sur Montréal» raconte William Straw, professeur au Département d’histoire de l’art et d’études en communications à McGill et co-directeur du CRIEM.
Le statut officiel de centre de recherche devrait être octroyé au CRIEM sous peu, ce qui lui permettra d’obtenir des fonds de recherche et de recevoir des chercheurs invités. «C’est un bon moment pour lancer un centre en études montréalaises» affirme William Straw après avoir souligné l’implication grandissante de la communauté de McGill auprès de la métropole. Pour Raphaël Fischler, directeur de l’École d’urbanisme de McGill, de nombreuses questions méritent l’attention du CRIEM. «Il serait intéressant de savoir qui sont les poids lourds de la participation citoyenne à Montréal.» Monsieur Fischler propose aussi d’explorer le lien entre cette participation et la créativité dans les initiatives municipales. Steve Charters et Jill Merriman, deux gradués de l’École d’urbanisme de McGill présents au colloque aimeraient quant à eux que des recherches soient effectuées sur la façon dont les revenus des entreprises montréalaises sont réinvestis au sein de la communauté.
BRÈVE
Déménagement dentaire Sophie Blais Le Délit
U
n grand nombre d’activités de la Faculté de médecine dentaire de l’Université McGill seront transférées au cœur du centre-ville. L’édifice situé au coin des rues Sherbrooke et McGill Collège accueillera donc la clinique d’enseignement de premier cycle et son unité de recherche clinique et communautaire, de même que certains services administratifs, à partir de juin 2014. Cette nouvelle a été communiquée le vendredi 18 octobre lors d’une annonce qui s’est tenue à l’Hôtel Omni en présence de la principale de McGill, Suzanne Fortier, le doyen de la Faculté de médecine dentaire, Paul Allison, ainsi que d’anciens étudiants et des étudiants actuels de la Faculté de médecine dentaire. Selon l’administration de McGill, le déménagement des services se fait d’abord dans le but de rapprocher la clinique et la communauté montréalaise. En effet, Paul Allison explique que le nouvel emplacement sera plus facile d’accès pour le public, étant à proximité des transports en commun par exemple. La clinique d’enseignement de premier cycle propose des soins à des coûts inférieurs à ceux offerts par les cliniques pri-
vées. Par ailleurs, les nouvelles installations seront à la pointe de la technologie, optimisant l’expérience des étudiants en médecine dentaire. Le coût du projet? 18 millions de dollars, comprenant des rénovations et l’achat d’équipement. Seuls 6 millions de dollars ont été rassemblés jusqu’à présent par la Faculté, grâce à des dons de particuliers et des subventions gouvernementales. Lors de l’événement, la Faculté, en collaboration avec l’administration de McGill, a demandé aux anciens élèves présents de participer à la récolte des 12 millions de dollars manquant pour la concrétisation du projet.x
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«Il y a beaucoup de données économiques au niveau provincial qu’on ne retrouve pas au niveau local», affirme Steve Charters qui travaille maintenant pour Made in Montréal, un organisme de soutien aux producteurs et manufacturiers de la métropole. Étudier Montréal Pourquoi étudier Montréal? Aux yeux d’Andrew Sancton, conférencier invité lors de ce premier colloque, Montréal se distingue par son histoire et son insularité, mais surtout par son bilinguisme. «Il n’y a rien dans la littérature concernant l’effet du langage sur l’organisation des gouvernements municipaux en Amérique du Nord» affirme le professeur en gestion publique à l’Université de Western Ontario. Monsieur Sancton soutient que le bilinguisme est à l’origine de la réorganisation municipale de Montréal en 2006, qui a créée un système de gestion «fragmenté et complexe». Présentement, l’agglomération de Montréal
est constituée de la Ville de Montréal et de 15 autres municipalités situées principalement à l’ouest de l’île. La Ville de Montréal possède la majorité des voix au conseil d’agglomération, ces voix étant attribuées en proportion du poids démographique de chaque ville ou municipalité. «C’est ce qui rend les élections qui s’en viennent si importantes. Elles détermineront qui contrôle le conseil d’agglomération en charge du transport en commun, de la police et des infrastructures» souligne Andrew Sancton. Si les études montréalaises sont particulièrement pertinentes en période électorale, Josianne Poirier, participante au colloque, rappelle que ces discussions doivent se poursuivre après les élections. «En période d’élections on parle beaucoup de la ville et après pendant trois ou quatre ans les gens oublient», dit-elle. Le nouveau Centre de recherche interdisciplinaire en études montréalaises pourrait permettre de garantir la continuité dans les réflexions concernant notre «ville créative». x
BRÈVE
Accès à l’information Alexandra Nadeau Le Délit
L
a demande de McGill pour que soient refusées certaines demandes d’accès à l’information a été rejetée le 7 octobre dernier. Tel est le verdict de la commission d’accès à l’information du Québec. Celle-ci a décidé que McGill ne pouvait pas avoir le pouvoir de refuser de telles demandes soumises par certaines personnes ou sur certains sujets. Des étudiants ont effectivement voulu accéder à des documents concernant par exemple
les finances de McGill et ses investissements dans les énergies fossiles. Toutefois, l’Université ne s’arrêtera pas à cette décision de la commission. Une médiation est actuellement en cours, mais si McGill ne parvient pas à ses fins, elle portera la cause en appel. En décembre 2012, McGill a déposé une requête pour limiter les demandes d’accès à l’information à son égard, notamment après une quantité de demandes jugées abusives par l’Université. McGill avait évoqué comme raison que traiter ces demandes demandait trop de temps et d’argent. x
À lire sur Internet: - Assemblée de l’AÉUM - Conseil de l’AÉUM - Élections à l’AÉFA - Le Canada au Congo - Les murs virtuels Camille Chabrol
Actualités
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#MTL
ÉLECTIONS MUNICIPALES MONTRÉAL
M
cGill a accueilli le débat RadioCanada des principaux candidats à la mairie de Montréal le 9 octobre 2013. Richard Bergeron, Denis Coderre, Marcel Côté et Mélanie Joly sont venus débattre des principaux thèmes de la campagne municipale dans la salle Redpath de l’université. C’est McGill qui a eu l’idée de contacter Radio-Canada pour organiser ce débat, comme l’a confirmé au Délit la Principale Suzanne Fortier, présente à l’événement. La position centrale
Camille Gris Roy & Mathilde Michaud Le Délit
CHARTE DES VALEURS Au sujet du projet de Charte des Valeurs du gouvernement péquiste, il y a consensus parmi les candidats: tous s’y opposent. «La charte telle qu’elle a été proposée, ce n’est pas bon pour l’image de Montréal alors qu’on veut être une ville internationale», a dit Marcel Côté. Denis Coderre et Mélanie Joly ont tous les deux déclaré qu’ils iraient devant les tribunaux si la loi passait. «J’attire l’attention du gouvernement du Québec sur la scission qui est en train de se produire entre Montréal et le reste du Québec: c’est une boîte de pandore bien mal venue et c’est dangereux», a ajouté Richard Bergeron.
Marcel Côté a vu sa campagne faire un large bond en arrière le 10 octobre dernier lorsqu’a été révélée l’utilisation d’appels robotisés afin de miner la campagne de ses opposants. En effet, plus de 950 appels ont été passés avec pour principale question: «Qui pensez-vous appuyer à l’élection du 3 novembre?» Si la réponse était Richard Bergeron, l’appel enchaînait sur la seconde question : «Saviez-vous que les élus de Projet Montréal font l’objet d’une controverse pour le financement d’un organisme? Appuyez-vous cette façon de faire?» Si c’était Denis Coderre, on faisait supposément allusion au passé corrompu de certains membres de son équipe. Juridiquement parlant, il ne s’agit pas là d’une action illégale. Effectivement, il est permis de sonder les électeurs et Denis Coderre n’a pas caché d’avoir eu lui aussi recours à cette méthode. La différence avec l’utilisation faite par Marcel Côté est que celui-ci n’a pas mentionné dans ses appels qui en était le commanditaire. Erreur ou fraude intentionnelle? Il est difficile d’en avoir le cœur net. Mais la campagne de Marcel Coté a frappé un mur.
de l’université McGill et l’opportunité pour les étudiants de participer au débat étaient des atouts. Les questions pour le débat avaient été soumises par des citoyens, et pour chaque question posée, chaque candidat avait 50 secondes pour répondre. Selon Patrice Roy (du Téléjournal 18h-Grand Montréal) qui animait le débat, c’était sans doute la meilleure formule possible pour un débat à quatre voix. L’idée était que les candidats répondent directement aux préoccupations des citoyens.
FRANCOPHONIE Les candidats se sont entendus pour dire que Montréal est une métropole francophone, mais aussi multiculturelle, ce qui est une grande richesse. «Il faut travailler davantage au niveau de l’intégration, respecter le fait qu’on est une métropole internationale», a dit Denis Coderre. Pour Richard Bergeron, il faut conserver le fait français, mais «Montréal est la ville la plus bilingue au monde; la nouvelle génération est bilingue même trilingue […]: c’est une richesse».
POLITIQUES SOCIALES Tous les candidats ont dit vouloir mettre fin à l’exode des familles vers la banlieue: c’est un des grands thèmes de la campagne. Pour Denis Coderre, il faut bonifier l’accès à la propriété, à la fois «pour les nouvelles bâtisses et pour les propriétés existantes». Il faut penser «environnement et qualité de vie» et créer des quartiers avec des espaces verts, des services de proximité, des transports en commun et des écoles. Mélanie Joly prévoit un programme «accès familles» pour faciliter l’accès à la propriété. Elle a insisté sur le fait que son projet de Service Rapide par Bus (SRB) permettrait justement de mieux connecter des endroits à Montréal qui n’ont pas encore été développés, où on créerait des quartiers familiaux. Les familles bénéficieraient alors du SRB pour pouvoir mieux voyager. «La planification est un puissant
outil», a dit Richard Bergeron, qui souhaite aussi la création de nouveaux quartiers pour les familles. «Montréal ne doit pas être une ville de condos», a martelé Marcel Côté. Mais pour le candidat, la ville est déjà en train de s’améliorer à ce sujet. À propos du logement social, il y a un certain consensus autour de la «règle du 15-15» notamment, c’est-à-dire la politique d’inclusion de logements abordables et sociaux (15% pour chacun) applicable dans tous les arrondissements et obligatoire. Tous les candidats se sont également dits concernés par le problème de l’itinérance à Montréal. Pour Mélanie Joly, il faut s’inspirer du modèle torontois, et donc offrir du logement permanent aux sansabri, avec des fonds fédéraux pour aider Montréal dans cette voie.
ÉTHIQUE ET GOUVERNANCE Dans le contexte actuel de corruption à Montréal, ce thème est au cœur de la campagne. Les candidats ont tous clamé l’importance de changer la culture des élus en place. Une des mesures-phares proposées par Denis Coderre, c’est la création d’un poste d’inspecteur général – une personne qui serait «totalement indépendante, avec un pouvoir d’enquête». Un projet critiqué par Marcel Côté: «un inspecteur général, c’est bureaucratique, et ça ralentit même le processus». À Montréal, il existe déjà un contrôleur et un vérificateur général.
Sondage CROP et QMI
«J’ai créé une coalition qui représente l’ensemble des Montréalais - depuis 12 ans on est gouvernés que par une partie de Montréal». - Marcel Côté
«La ville de Montréal n’est pas pauvre – il y a beaucoup d’argent: c’est l’utilisation qui en est faite qui est mauvaise». - Richard Bergeron
Camille Chabrol
4 Actualités
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2013 TRANSPORTS EN COMMUN Richard Bergeron a déclaré qu’il avait pour objectif qu’en 2017 (pour le 375e anniversaire de Montréal), on ait «haussé d’un niveau tout le transport collectif de la région métropolitaine». Il propose la construction d’un tramway, qui pour lui est réaliste: «on a un plan d’affaire très solide, et […] 1 milliard [de dollars], sachant que le tramway va durer 50-60 ans, ce n’est pas un très gros investissement à long terme». «Notre grand plan, c’est le Service Rapide par Bus (SRB)» a dit Mélanie Joly. La candidate veut le développement d’un réseau de 130km pour mieux connecter l’est et l’ouest de Montréal au centre-ville et diminuer les problèmes de congestion. «C’est huit fois moins cher que le tramway de Monsieur Bergeron», et plus rapide à mettre en place.
MONTRÉAL INTERNATIONALE Montréal doit devenir une ville étudiante, qui soit très accueillante pour cette population – et pour les cycles supérieurs également – selon Marcel Côté. «C’est là que Montréal doit s’assumer comme métropole, à caractère international», a dit Denis Coderre, qui souhaite plus d’investissement dans la recherche et le développement. Mélanie Joly juge primordial de faire en sorte que les étudiants qui sont à Montréal y restent après leurs études – surtout les étudiants de McGill et Concordia, qui souvent repartent, a-t-elle dit. Pour Richard Bergeron, il faut renforcer la collaboration entre les universités de la «2e ville universitaire d’Amérique du Nord», car celles-ci travaillent trop souvent isolément.
Marcel Côté préfère plutôt utiliser les infrastructures déjà en place et les améliorer. Il propose donc d’augmenter la fiabilité du métro ainsi que le nombre de voies réservées pour les autobus: «c’est rapide et fiable, ça ne coûte pas cher - contrairement aux SRB qui sont en fait plus longs à réaliser». Pour Denis Coderre, la solution pour régler la congestion, c’est d’avoir un bon leadership, de parler à la RiveNord et à la Rive-Sud pour trouver des solutions ensemble. La planification devra s’effectuer non pas au niveau de l’AMT (Agence Métropolitaine de Transport) mais au niveau de la CMM (Communauté Métropolitaine de Montréal). «On ne peut pas vivre en vase clos», dit-il.
«Aux élections de 2009, le taux de participation était de 39%»
«Je veux qu’on le dise partout sur la planète : ‘Montréal est une belle ville’. » -Richard Bergeron
Si aux élections provinciales et fédérales, le bas taux de participation est décrié qu’en est-il du municipal ? Avec une moyenne
«On ne s’improvise pas maire». Denis Coderre
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provinciale de participation de 50%, et une moyenne encore plus basse à Montréal, que faut-il pour encourager les citoyens, jeunes et moins jeunes, à aller voter ? C’est la question que se posent plusieurs organismes-jeunesse, mais aussi notamment les partis politiques. Chacun voudrait être celui qui réveillera les jeunes et rassemblera leurs votes le 3 novembre prochain. Tout comme sur les autres paliers gouvernementaux, ce sont souvent les jeunes qui font défaut les jours de scrutin. C’est dans l’optique de rejoindre les jeunes et de présenter les tactiques mises en place que des membres de partis politiques et des associations diverses se sont rassemblés le dimanche 20 octobre dernier, au lancement du Jeune conseil de Montréal, simulation du conseil municipal. Pour en savoir plus, vous pouvez aller voir le reportage vidéo du Délit sur le sujet.
«Je ne serai pas la ‘mairesse des banlieues’ comme Monsieur Coderre». -Mélanie Joly
Le débat du 9 octobre a été l’occasion pour Mélanie Joly, qui à l’origine ne devait pas être invitée, de faire sa place dans la course à la mairie. « Merci de m’avoir invitée – [cela montre] que tout le monde peut devenir maire » a-t-elle déclaré en conférence de presse après l’émission. Mélanie Joly n’en finit pas d’étonner. Celle qui, lors de son entrée dans la campagne il y a de cela quatre mois, n’était connue de personne, reçoit maintenant l’appui de près d’un montréalais sur quatre, se hissant en seconde place (selon un récent sondage Radio-Canada), quelques points au-dessus de Projet Montréal. Pour expliquer sa popularité croissante, certains analystes évoquent son jeune âge : son parti attire davantage la nouvelle génération d’électeurs. On parle aussi du fait qu’elle est une femme – la seule parmi les principaux candidats. Mais c’est aussi sa très bonne utilisation des réseaux sociaux et autres plateformes de discussion qui l’avantagent : c’est d’ailleurs sur cette dernière option que la plupart s’entendent. En effet, avec une présence quasi continue sur les réseaux sociaux et une grande vitesse de réponse aux commentaires et questions, Mélanie Joly a réussi à se faire connaître très rapidement. x
Actualités
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CAMPUS
«Race» à McGill Y’a-t-il une place pour la discussion? Charlotte Ruiz
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ans le cadre de la série annuelle d’événements «Culture Shock», fruit de la collaboration entre le Groupe de Recherche d’Intérêt Public du Québec (GRIPQ) de McGill et l’Association Étudiante de l’Université McGill (AÉUM), un atelier intitulé «Race à McGill» s’est tenu le mercredi 16 octobre à McGill sur la campus. L’événement, animé par Shaina Agbayani et Annie Chen, étudiantes à McGill, consistait en deux heures de discussions, entre un petit groupe d’étudiants actuels et anciens de l’Université. L’objectif était de rendre le sujet de la race, et ses débats sous-jacents, accessibles aux élèves. La majorité de la discussion était consacrée à différentes définitions conceptuelles: racisme, privilèges blancs, tokenisme et micro-agressions. Le débat s’est révélé parfois tendu, rappelant ainsi la difficulté qu’il peut y avoir à aborder un sujet aussi sensible, même dans un milieu universitaire prétendument ouvert. Dans le cadre de cette discussion sur la diversité culturelle, les problématiques liées à l’appropriation culturelle ont été abordées. L’appropriation culturelle consiste à reprendre les codes d’une culture en changeant leurs significations initiales. Avec l’arrivée imminente de l’Halloween, la thématique des déguisements irrespectueux envers certaines communautés et ethnies a
été abordée. «L’histoire du maquillage noir [«Blackface»] est l’histoire de la perpétuation de clichés» rappelle Shaina Agbayani. Pourtant, chaque année durant la fête organisée dans le bâtiment de l’AÉUM, sous prétexte d’humour, des déguisements caricaturaux sont observés. L’année dernière en particulier, certains déguisements avaient fait controverse. Pour une des participantes, le problème de tels accoutrements est qu’ils «essentialisent la culture». Une autre ajoute que «les gens devraient y penser à deux fois, quand on vole une culture, on ne peut pas la rendre intacte». Le problème de diversité rencontré à McGill a ainsi été défini au cours de cet échange comme étant systémique. Shaina Agbayani insiste: «nous voulons parler de diversité comme un moyen de rendre McGill plus cosmopolite, et non pas comme un projet de justice sociale.» Elle souligne à cet égard le fait que McGill recrute en masse dans des écoles fréquentées par une population majoritairement ou complètement blanche. Une étudiante de première année raconte à cette occasion comment une récente visite sur le campus de Concordia lui a donné l’impression d’être dans un autre monde, plus cosmopolite, plus ouvert. L’atelier a été marqué par l’intervention de France, une étudiante à McGill en 2003. France raconte son parcours qu’elle définit comme celui d’une «personne racialisée ».
Laïla Omar
«McGill m’a fait me sentir mal à l’aise dès le départ» dit-elle. Parmi les difficultés évoquées, elle souligne l’impossibilité qu’il peut y avoir à trouver des conseillers appartenant à une minorité visible. Comment justifier ce manque de diversité parmi des personnes qui sont en contact direct avec la population estudiantine? Après une année passée dans les murs mcgillois, la conclusion de France était sans appel. «McGill était pour moi un système de privilèges dans lequel des étudiants de couleurs n’avaient pas leur place». Elle a d’ailleurs choisi de quitter l’institution après une année pour finir ses études à Concordia.
Il peut sembler difficile d’imaginer que dans un milieu universitaire, des débats au sujet de la race soient encore considérés comme tabous et que leur simple existence soit sujette à controverse. Le fait qu’un individu puisse se sentir affecté par la mise en lumière de ses propres privilèges est probablement symptomatique d’une société dans laquelle l’autoréflexion peine à trouver sa place. La minimisation des problèmes rencontrés par certaines communautés est une réalité constante, intervenant même dans des contextes comme celui-ci, prétendus sûrs. D’où l’importance de continuer à créer des espaces d’échange à ce sujet, comme c’était le cas ce jour-là. x
MONTREAL
À travers nos frontières Colloque international sur les frontières à l’UQAM. Esther Perrin Tabarly
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n associe frontière et barrière. Les frontières ferment des espaces, certes, mais ne les ouvrent-elles pas aussi? Clôture ou portail? C’est la question que se sont posé plusieurs professeurs de différentes universités pendant le colloque international «Frontières, murs et sécurité» organisé par l’Observatoire de géopolitique et l’Association for Borderland Studies à l’Université du Québec à Montréal (UQAM) les 17 et 18 octobre derniers. Les frontières définissent le corps et sa mobilité, explique Ulrich Best, professeur à l’Université de York. La frontière est une notion à deux faces opposées. Il y a l’aspect «clôture culturelle», la légitimation de l’identité. Le professeur Best dit que le philosophe Foucault trouvait dans la mise en quarantaine des pestiférés la définition même de la frontière: une question d’hygiène, «une ségrégation physique des corps en bonne ou en mauvaise santé; le lien est donc clair entre la politique des frontières et celle des corps». Ulrich Best base son exposé sur l’exemple de la discrimination des Romanichels, plus communément appelés Roms. Accusés de pollution de l’espace, d’avoir un mode de vie peu hygiénique, de vivre «contre le système», ils sont rejetés par la plupart de la population. Le professeur de l’Université de York présente deux murs anti-Roms.
6 Actualités
Le premier en 1999, à Usti nad Labem en République Tchèque, abattu après quelques semaines; le second au cours de l’été 2013, à Kosice en Slovaquie, ville qui pourtant prône le multiculturalisme. Le professeur Said Saddiki de l’Université de Sciences et Technologies d’Al Ain a parlé des frontières d’Israël, qui ont permis la construction de l’État israélien par opposition aux pays Arabes: la bande de Gaza, la ligne Bar-Lev, le plateau du Golan sont tant d’exemples qui illustrent la lutte anti-palestinienne et anti-syrienne. Les professeurs Laurence A. French, de l’Université du New Hampshire et
Magdaleno Manzanarez de l’Université du Nouveau-Mexique ont mentionné la politique des États-Unis envers les Indiens d’Amérique et les populations métis, communautés ethniques ghettoïsées dans leur propre territoire. Ces murs-là sont l’expression du refus catégorique de se mêler à ceux qui ne vivent pas comme la culture dominante. Dans ce cas-ci, la clôture préserve l’identité. Et puis, il y a l’aspect «portail», où les frontières sont synonymes d’ouverture. Ici, elles ne différencient plus vraiment, mais sont les veines de la mondialisation. On peut mentionner le modèle européen Alexis de Chaunac
de l’espace Schengen, par exemple: la libre circulation des personnes, des marchandises et des capitaux entre 26 pays européens. Le conférencier Isidro Morales, de l’Institut technologique de Monterrey au Mexique a donné comme exemple l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA). La création de cette région de coopération économique entre le Canada, les États-Unis et le Mexique représente bien cette idée de frontière pour et par la mobilité. C’est «l’approfondissement du commerce trilatéral, l’intégration de valeurs communes pour renforcer la compétitivité», comme l’explique Morales. Une intégration solidaire à l’espace économique mondial et régional. Toutefois, Isidro Morales souligne l’ambivalence de la position américaine face à la frontière mexicaine: le Mexique est à la fois une réserve de main d’œuvre bon marché et un espace potentiellement dangereux. C’est un centre majeur de trafic de drogues et de criminalité. L’exode mexicain vers les États-Unis constitue un vrai problème pour la politique d’immigration: les budgets destinés à limiter les flux d’immigration illégale sont faramineux et n’empêchent pourtant pas ces flux d’augmenter. La ligne est mince entre ces deux fonctions de la frontière: échange et exclusivité s’y alternent constamment. Il appartient à chaque nation, parfois même à chaque minorité, de définir ce qu’elle entend par “frontière”. x
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MONTREAL
Une nuit dans la rue
La Nuit des sans-abri est de retour à Montréal pour une 24e édition. Léa Marcel
C
’est en guise de témoignage de soutien aux sans-abri de la province qu’a eu lieu, le vendredi 18 octobre, à travers 31 villes du Québec, la 24e édition de la nuit des sans-abri. Représentations musicales et spectacles de danse, marche à travers la ville, projections cinématographiques, et vigile de solidarité constituaient l’ensemble des activités prévues pour cette soirée. En fin d’après-midi s’est réunie une foule hétéroclite. Sans-abri et abrités discutent ensemble et l’ambiance est à la festivité. La manifestation de Montréal a débuté au square Philips, où Pierre Gaudreau, porteparole de l’événement, explique les raisons principales de cet événement. Il explique qu’aujourd’hui les problèmes quotidiens auxquels font face les personnes itinérantes ne font que s’accroître. En effet, il y a une montée du nombre de sans-abri, menant à une saturation des places disponibles dans les auberges de nuit. Ce phénomène oblige donc beaucoup d’individus à passer la nuit dehors, dans des conditions de précarité extrême. De plus, les sans-abri dénoncent une politique de répression à leur encontre de la part des policiers qui, afin de les chasser des lieux publics, leurs distribuent de lourdes contraventions pour «entrave» à la voie publique. Face à ces amendes non justifiées, les sans-abri se retrouvent dans l’incapacité de sortir de leur condition de dénuement. Nick, ex sans-abri récemment réinséré dans la société grâce à l’acquisition d’un logement social, explique au Délit que cette manifestation est essentielle car elle permet de sensibiliser les citoyens aux conditions de vie précaires des sans-abri, qui, en vieillissant font face à des difficultés croissantes pour parvenir à survivre et à se réinsérer. Ces individus, dit-il, sont aliénés de la société et trop souvent ignorés. Axel qui, lui, vit dans la rue depuis maintenant un an et demi, subvenant à ses besoins grâce aux fonds qu’il collecte en jouant de la guitare, affirme
qu’il n’a jamais été aussi heureux de sa vie depuis qu’il est itinérant. Pour lui, c’est une véritable philosophie, une «école de la vie», et il n’échangerait sa situation pour rien au monde. Pour bien des personnes toutefois, l’itinérance n’est pas un choix, mais un retranchement de dernier recours suite à de lourds problèmes personnels. Politiques gouvernementales D’ici Noël, une «politique en itinérance» devrait être adoptée par le gouvernement du Québec. Dans le contexte actuel où les droits des personnes itinérantes ne
semblent plus clairs, cette politique suscite beaucoup d’espoirs. Les manifestants espèrent qu’elle permettra de rappeler à l’ensemble de la population que l’itinérance relève d’une responsabilité collective. Pour sa part, la situation du financement fédéral en itinérance fait tache sur le tableau. En effet, la reconduction de la Stratégie des partenariats de lutte contre l’itinérance (SPLI) pour les cinq prochaines années a été annoncée, mais avec un financement réduit de 10%. Le porte-parole Pierre Gaudreau dit qu’il lui semble «qu’Ottawa et son ministre responsable, Jason Kenney, font toujours la sourde
oreille» face à l’utilité de la SPLI et au fait qu’il ne faille surtout pas réduire son budget. Individuellement, aider les sans-abri est simple et peut se faire à travers de petites actions comme une conversation, la distribution de nourriture, ou bien encore un don à une association. Que les sans-abri aient choisi de vivre dans la rue ou qu’ils y aient été contraints, leur façon de vivre et d’une précarité extrême et nécessite une aide plus accrue de la part du gouvernement et des citoyens afin de régler ce problème qui prend, année après année, plus d’ampleur. x Christine Deschênes
CHRONIQUE
Le meilleur véhicule souverainiste
Michaël Lassard | De fait
à l’approche de possibles élections provinciales, il convient d’aborder l’argument du «meilleur véhicule pour la souveraineté» mis de l’avant par le Parti
Québécois (PQ). Selon cet argument, tout souverainiste devrait voter pour le PQ puisqu’il s’agit du seul parti souverainiste pouvant être élu majoritairement, donc le seul pouvant adopter une loi prévoyant la tenue d’un nouveau référendum. Chiffre à l’appui, on démontre que, si les électeurs de Québec solidaire (QS) et d’Option nationale (ON) avaient voté pour le PQ, ce dernier serait élu majoritaire. L’existence de QS et d’ON semble alors absurde. Cependant, la théorie du meilleur véhicule souffre de deux problèmes: elle élude l’importance des questions sociales et elle se base sur une compréhension incomplète du comportement de l’électorat. D’abord, la théorie du meilleur véhicule élude tous les débats sociaux qui ne sont pas à saveur souverainiste. Elle prévoit que l’électeur souverainiste devrait avant tout voter pour le parti le plus à même de tenir un référendum, sans se soucier, par exemple, de son opinion sur la Charte des valeurs québécoises, sur le nouvel accord
x le délit · le mardi 22 octobre 2013 · delitfrancais.com
de libre-échange ou sur la hausse des frais de scolarité. Une telle réduction du débat électoral risque d’entacher l’expression démocratique en permettant l’élection d’un parti souverainiste avec une plateforme sociale éloignée des valeurs de son électorat. Or, plusieurs années s’écoulent entre l’élection d’un gouvernement et la tenue d’un référendum. Durant ce temps, le parti au pouvoir doit traiter de ces questions sociales. Il est même possible que le gouvernement souverainiste au pouvoir ne tienne pas de référendum –comme c’est le cas présentement. Il est donc nécessaire qu’on accepte que les questions sociales soient soumises au vote démocratique durant des élections formelles. Ensuite, il n’est pas garanti que l’électeur de QS ou d’ON voterait pour le Parti Québécois si ces partis n’existaient plus. Il est faux de penser que la majorité des électeurs hiérarchisent leurs opinions politiques au point d’orienter leur vote vers un parti politique avec lequel ils n’ont
en commun qu’une seule proposition. Dans son article «Le virage souverainiste des Québécois», Richard Nadeau révèle que même l’appui à la souveraineté est corrélatif de l’état des questions sociales. L’existence de Québec solidaire démontre que les souverainistes ne se satisfont pas d’un vote envers un parti souverainiste, mais qu’ils veulent également se faire entendre sur les questions sociales quand le principal parti souverainiste ne les représente pas. Il est fort à parier que les électeurs de Québec solidaire ne voteraient pas pour le Parti Québécois, même si la promesse d’un nouveau référendum offrait une réalisation imminente et concrète. Au final, l’argument du «meilleur véhicule» offre peu de résonance dans la réalité électorale du Québec. D’ailleurs, il semble que les têtes dirigeantes du Parti Québécois l’ont réalisé puisqu’elles tentent désormais visiblement de séduire l’électorat de la Coalition Avenir Québec plutôt que celui de QS ou d’ON. x
Actualités
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Société
Le livre, à
societe@delitfrancais.com
Petite enquête sur le milieu
Joseph Boju et Baptiste Rinner Le Délit
L
e livre, qu’on se le dise, est un marché dont les ventes annuelles s’élèvent à près de 800 millions de dollars au Québec, surpassant de cinq fois les ventes de CDs et DVDs, de quatre fois les ventes de billets de cinéma et de trois fois celle des ventes de billets de spectacles. C’est donc une industrie de taille, sinon majeure, dans le commerce des produits culturels, bien qu’elle ne représente qu’un petit 0.80 % dans l’ensemble du commerce de détail (c’est sans compter les livres d’occasion et autres produits dérivés de l’industrie du livre). Qu’est-ce que le prix unique du livre ? Le Document de consultation sur la réglementation du prix de vente au public des livres neufs imprimés et numériques, diffusé par la Commission de la culture et l’éducation, définit le prix unique avec le langage suivant: «mesure consistant à fixer, pendant une période déterminée, le prix de vente au public des nouveautés afin que le même livre soit obligatoirement vendu au prix établi par l’éditeur ou l’importateur par tous les détaillants, y compris ceux pratiquant la vente en ligne.» Cette définition, imposante mais nécessaire, est capitale dans le fonctionnement de la chaîne du livre. Sur elle repose le prix du livre neuf que l’on achète en librairie, au supermarché et partout ailleurs. Pourquoi un prix unique du livre? Réglementer le marché du livre revient à s’assurer que tous les acteurs de la chaîne de production et de commercialisation puissent bénéficier des mêmes espérances de vente dans un souci de concurrence et d’une variété d’offre pour le lecteur: c’est la notion de «bibliodiversité». Ces mesures sont évidemment prises dans le contexte particulier, de la vente à rabais de best-sellers par les grandes surfaces commerciales, notamment Costco et Walmart. À l’heure où nous écrivons, seulement treize pays dans le monde entier disposent d’un tel dispositif, parmi lesquels l’Allemagne, la France avec la loi Lang, la Grèce, l’Italie et l’Espagne. Au Québec, le marché du livre dispose depuis 1981 de la loi 51. Cette loi, mise en place sous le ministère de la Culture
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de Denis Vaugeois, est faite d’accords obligeants les acheteurs institutionnels (bibliothèques et autres institutions publiques) à s’approvisionner exclusivement dans des librairies agréées, au prix public, tel que fixé par l’éditeur.
«
Ce projet de loi propose de limiter les rabais à 10% du prix fixé par l’éditeur, sur une période de neuf mois suivant la sortie du titre.»
Depuis 2009, le débat sur un nouveau projet de loi est dans la bouche de beaucoup des professionnels du milieu de l’édition, notamment dans les plaidoyers des différentes associations du livre. En 2012, la campagne de relations publique Nos livres à juste prix a suscité de nombreux échanges d’opinions dans les médias. Il en a résulté une demande spécifique: l’intervention du gouvernement pour réglementer le prix du livre imprimé et numérique dans sa vente par les détaillants. Cette demande s’est concrétisée en août 2013, lorsque le gouvernement du Québec a ouvert des audiences afin de travailler à un nouveau projet de loi sur le prix unique. Ce dernier proposerait de limiter les rabais offerts par les détaillants à 10% du prix fixé par l’éditeur, sur une période de neuf mois suivant la sortie du titre. Sur un roman de 250 pages, comme on en trouve beaucoup, ce chiffre de 10% représente un rabais de 2 dollars. Il vient se placer entre le 5% de la loi Lang en France et le rabais de 20 à 25% généralement pratiqué par les grandes surfaces. L’enjeu de départ du prix unique du livre était d’aider les librairies indépendantes face à la concurrence déloyale des librairies succursales et des grandes surfaces. Ce débat est déjà présent dans Au bonheur des dames d’Émile Zola, où le grand magasin éponyme baisse ses marges sur certains produits pour étouffer les petits commerces. Il en est de même pour les géants Costco et Walmart face aux librairies indépendantes; Costco a même déclaré qu’une telle mesure ne compromettrait en aucun cas leur modèle d’affaires vue la faible part des livres dans le nombre total de produits vendus.
Un projet qui divise Sans surprise, les «pro» et les «anti» se répartissent selon l’opposition typique entre la sphère culturelle et la sphère commerciale. Au sein de la chaîne du livre, «le soutien à la loi est plutôt unanime» comme le souligne Thomas, libraire à Gallimard sur le boulevard Saint-Laurent. Même son de cloche chez Olga Duhamel, éditrice chez Héliotrope: «je suis tellement atterrée que cela ne se fasse peut-être pas». Les associations d’auteurs, éditeurs, distributeurs, libraires et bibliothécaires se sont rassemblées autour de la campagne Nos livres à juste prix, qui distribue des dépliants dans les librairies. Nombre d’auteurs soutiennent le mouvement, parmi lesquels Michel Tremblay, Dany Lafferière, Perrine Leblanc, R.J. Ellory ou encore Caroline Allard. Le cinéaste Denys Arcand est également derrière la campagne ainsi que l’éditeur français Antoine Gallimard. Pour les défenseurs de la loi, seul un réseau de librairies en bonne santé peut assurer une distribution digne de ce nom de la production éditoriale. Leur point de vue est relayé par l’Institut de recherche et d’informations socio-économiques (IRIS), le Conseil québécois du commerce de détail et le journal Le Devoir. En face, on trouve surtout des poids lourds se rattachant à la sphère commerciale, comme les éditeurs Québec Amérique et le Groupe Modus, la chaîne de librairies Renaud-Bray et les grandes surfaces Costco et Walmart, relayés par l’Institut économique de Montréal et le journal La Presse. Leur argument de base est la crainte que la loi sur le prix unique ne soit inefficace pour lutter contre la périclitation des librairies. L’interrogation centrale à ce niveau-là demeure dans la clientèle des grandes surfaces. Et plusieurs études viennent de démontrer que les clients de Costco par exemple achètent des livres dans un contexte particulier, en d’autres termes que l’achat d’un livre en grande surface n’a pas la même portée culturelle que l’achat d’un livre en librairie. Cela fait écho au discours de Rémi, libraire chez Gallimard, qui constate non sans peine que «les gens font leur plein pour le weekend en grande surface et achètent un livre comme ils achètent des croustilles». Face à ces pratiques, certains éditeurs se sont drapés de leur traditionnel discours sur la culture littéraire et l’importance du livre mais «ce sont les mêmes qui envoient des palettes entières de best-seller chez Costco
quel prix? du livre au Québec.
pour financer les livres qui ne font pas d’argent» comme ne manque pas de faire remarquer Pascal Genêt, professionnel de l’édition et chargé de cours à McGill. Il poursuit en expliquant que «ce qui est intéressant dans le débat, c’est le déplacement des enjeux qu’il y a eu. Au départ le débat était vraiment autour de la protection des libraires indépendants. Mais plus on a
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Un Québecois sur deux serait analphabète fonctionnel.»
avancé dans la commission, plus on s’est aperçu que les enjeux étaient importants». Des enjeux qui dépassent le cadre du livre Ces enjeux représentent de véritables débats de société, autour de la question de l’éducation notamment. Le mérite du débat sur le prix du livre est d’avoir au moins soulevé d’autres questions, en particulier sur l’alphabétisation. À l’occasion des débats, des chiffres affligeants sont sortis: un Québécois sur deux serait analphabète fonctionnel, c’est-à-dire qu’il peut écrire son nom, lire un menu de restaurant ou un article dans le Journal de Montréal, mais pas beaucoup plus. Parmi eux, on trouverait 800 000 analphabètes. D’autres problèmes préoccupants ont refait surface, comme la baisse des taux de fréquentation des écoles en province. C’est donc un sujet primordial que la commission fait ressortir, qui dépasse largement le prix unique. Un autre enjeu vers lequel le débat s’est déplacé est le modèle économique de la librairie comme moyen de distribution des livres. Au-delà des discours récurrents sur les fermetures de librairies, il faut en entrevoir les causes structurelles. Le premier obstacle est le problème de la relève; qui a envie d’aller travailler 60 heures par semaine à 9 dollars de l’heure? Les librairies, donc, ferment souvent faute de repreneur. Aussi, la structure des coûts dans le modèle économique est telle que les marges de manœuvres sont extrêmement faibles. Un libraire touche 30 à 40% du prix de vente du livre et doit utiliser cette marge pour payer son loyer, ses employés et ses frais de fonctionnement (les frais d’entrepôts par exemple). Il est devenu presque impossible pour une librairie indépendante de s’implanter dans le centre de Montréal. On est donc de-
vant une crise existentielle du modèle de la librairie comme modèle commercial. Pour Pascal Genêt, «être libraire aujourd’hui, c’est faire autre chose que tenir un commerce en attendant que les gens rentrent». Prenant l’exemple de la librairie Le Port de Tête sur l’avenue Mont-Royal, il faut s’investir dans sa communauté, faire des lancements, proposer des activités pour survivre. Les détracteurs du prix unique souligneront que l’industrie bénéficie déjà de nombreuses aides de la part du gouvernement et provincial et fédéral. En effet, le livre imprimé est exempté de la taxe de vente du Québec, une mesure qui coûte 55 millions de dollars par an. Les éditeurs bénéficient de crédits d’impôts et d’autres mesures sur le développement des entreprises. Enfin, la création littéraire bénéficie de 3,4 millions de dollars par l’entremise du Conseil des Arts et des Lettres du Québec. Pour analyser ces chiffres, il faut déjà distinguer les différents programmes d’aides, qui englobent chacun un acteur de la chaîne du livre, au niveau de la création, de la production et de la distribution. Aussi, ces aides ne sont pas une spécificité du secteur du livre. N’importe quel secteur d’affaire bénéficie de ces aides, mais celui du livre est peut-être pointé du doigt, ne générant pas beaucoup de bénéfices. En fait, il n’y aurait pas d’industrie culturelle sans les aides de l’État, car il n’y a pas une assez grande population pour justifier une telle offre culturelle. Cela se vérifie dans l’histoire du livre au Québec, qui a véritablement débuté avec les premiers soutiens publics. Quels effets aura la loi sur le prix unique? Considérons d’abord la loi sur le prix unique dans la perspective du numérique. Il faut distinguer ici l’édition numérique du commerce électronique. L’affaire la plus criante concerne le commerce électronique, représenté par la pieuvre Amazon. Ce commerce en ligne est un commerce extraterritorial, qui n’est donc pas soumis aux lois domestiques. Si la loi passe, de fait, Amazon ne sera pas touché dans la moindre mesure et pourra continuer sa politique de prix cassés. C’est aujourd’hui la plus grande menace pour le milieu du livre, qui ne peut lutter devant la portée commerciale et l’inventaire du géant américain, surtout avec l’avènement des presses numériques, qui permet-
tent d’imprimer un livre sur commande à un coût compétitif. L’édition numérique est aussi un débat central dans le milieu du livre, mais il est étranger au débat sur le prix unique puisque les éditeurs fixent, comme pour le livre imprimé, leurs prix. L’enjeu autour de cette question pour la législation québécoise est d’appliquer l’éventuelle loi sur le prix unique aux deux formats. Toutes les conditions semblent présentes pour un tel projet de loi. Lors du dernier débat sur la question, sous le gouvernement Bouchard, l’État ne voulait pas intervenir sur le marché. Aujourd’hui, pour des raisons strictement politique, le Parti Québécois (PQ) montre une vraie volonté de légiférer sur la question, notamment pour tenir une promesse faite au milieu de la culture pendant la campagne électorale. Le parti de Pauline Marois ne se risquerait pas à froisser une de ses bases électorales.
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L’affaire la plus criante concerne le commerce électronique représenté par la pieuvre Amazon.»
Au-delà du politique et du symbolique, qu’est-ce que la loi va changer? «Rien du tout, estime Pascal Genêt, ça ne va rien changer, parce que les prix sont fixés par les éditeurs, il n’y aura pas de dumping mais la loi ne s’appliquera que pour les titres publiés au Québec». Or, la moitié des titres vendus dans la province sont des titres d’importation, que ce soit la littérature française, la production américaine ou canadienne hors-Québec. Pour cette raison, les impacts de la loi vont être extrêmement limités. Elle est hautement symbolique, elle revient à «mettre un pansement sur une amputation», toujours selon Genêt. Il y aura au moins le réconfort pour les libraires de savoir qu’ils se battent sur un pied d’égalité avec des acteurs économiquement plus puissants qu’eux. Mais cela ne masquera ni la crise du modèle économique des librairies, qui devra se confronter à son propre fonctionnement pour s’en sortir, ni les problèmes particuliers au Québec concernant l’analphabétisme et la scolarisation, qui restent à ce jour un véritable débat de société à déballer.x
Romain Hainaut
Société
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CHRONIQUE
«Frosh(ch)eese Julia Denis | Une chronique qui ne mâche pas ses mots Une chronique culinaire par une étrangère n’ayant que deux poutines au compteur, appréciant les cantines de McGill et achetant son pain chez Dollarama: impensable? Inadmissible? Immangeable? Indigeste? Non. L’étranger et plus particulièrement la jeune Française ne recule devant rien face à une pulsion du palais. Et c’est ainsi que le miracle se déguste. Proust avait sa madeleine, j’eus mon fromage. Atwater et son marché, un dimanche matin, marchant sous la pluie et tentant d’oublier les frasques de la veille, je suis rentrée dans «La Fromagerie Atwater». Un nom simple que je n’oublierai pas. Tout comme je me rappellerai de la gentillesse et du professionnalisme des fromagers. Tout comme je garderai en mémoire l’image des quelques 800 fromages différents de tous horizons qui y sont proposés. Tout comme je me souviendrai du goût simple mais fin du «semi-ferme», fabriqué grâce au lait des quelques 500
têtes restantes de «vaches canadiennes» Tout comme je me remémorerai la douceur de leur «Pont-l’évêque» fait au point de me tirer des larmes. Personne mieux que ce cher Marcel ne décrirait l’émotion de cette dégustation. Quand ce petit bout de Normandie «toucha mon palais, je tressaillis, attenti[ve] à ce qui se passait d’extraordinaire en moi. Un plaisir délicieux m’avait envahi, isolé, sans la notion de sa cause. II m’avait aussitôt rendu les vicissitudes de la vie indifférentes, ses désastres inoffensifs, sa brièveté illusoire, de la même façon qu’opère l’amour, en me remplissant d’une essence précieuse». La morale de cette histoire n’est pas de promouvoir cette oasis ou de faire l’apologie des produits laitiers, mais plutôt de justifier mes prochaines apparitions au sein du Délit. La nourriture, la gastronomie, la cuisine et même la bouffe ne sont pas qu’un amas de glucose voué à finir au plus bas de notre tube digestif. Non, c’est bel et bien de l’art. Comme tout art, cela dégage de l’émotion et des sensations multiples. Et bien qu’il y soit
question de subjectivité et de goût, la gastronomie reste avant tout signe de culture. Ainsi la cuisine est d’un savoir-faire et d’une qualité qui se perpétuent mais qui évoluent aussi avec les modes. Mais surtout il est bon de se rappeler que le goût est un sens qui forme notre histoire personnelle et pose les bornes de notre jardin secret. Une bouchée peut nous transporter et nous ramener à une atmosphère familière même à 5512 km de chez soi. Car «l’odeur et la saveur restent encore longtemps, comme des âmes, à se rappeler, à attendre, à espérer, sur la ruine de tout le reste, à porter sans fléchir, sur leur gouttelette presque impalpable, l’édifice immense du souvenir». Nous nous devons donc de valoriser cette œuvre humaine, de faire connaitre ses plus belles traditions, de partager ses réussites et de parfois même les critiquer. x
Marché Atwater, station Lionel-Groulx. Tous les jours de 7h à 17h.
OPINION
#quiestletueur ? Côme de Grandmaison Le Délit
Luce Hyver
L
e 23 septembre dernier, à San Francisco, un étudiant a été tué dans un train alors qu’il s’apprêtait à descendre à une station. Le tueur, un homme de 30 ans nommé Nikhom Thephakaysone, aurait utilisé son arme sans aucun motif. Jusque-là cette histoire semble tristement banale: les sociopathes ne courent pas les rues, mais ils existent, et chaque jour des gens meurent sous leurs balles. Heureusement pourrait-on se dire, il y a les autres, les gens bien. Ceux qui s’insurgent contre la violence, s’indignent face à toutes les discriminations et méprisent l’inaction. Ces gens là sont prompts à s’alarmer, et face à une telle tragédie nul ne saurait rester insensible. Les statuts Facebook de soutien et les tweets révoltés ont dû fleurir sur la toile, des messages émus ou outrés ont probablement été échangés… Mais c’est bien là le problème: les téléphones intelligents et autres tablettes sont de formidables outils pour se mobiliser, s’indigner, partager ses points de vues, mais ce sont aussi des tueurs. À force de créer un monde parallèle où l’on peut déverser sa révolte et écrire chaque jour des plaidoyers pour un monde meilleur, on oublie que l’engagement doit d’abord être réel. Dans le train, cet étudiant a été tué parce que sur la douzaine de personnes assises à ses côtés, pas une n’a levé la tête de son téléphone pour remarquer que le tueur brandissait un pistolet, se grattait le nez avec, bref l’exhibait aux yeux de tous. Ces gens, dont nous aurions pu être, étaient si concentrés sur leur musique et leur vie virtuelle qu’ils n’ont pas su voir qu’une vie, réelle celle-là, était menacée. Cela rappelle l’effet du témoin (bystander effect), selon lequel les gens sont moins aptes
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à s’entraider lorsqu’ils sont en groupe. Sauf qu’ici ce n’est plus le groupe mais la technologie qui nous paralyse. Originellement la technologie devait aider les humains à transcender l’impossible, les servir. Elle leurs a permis de conquérir la Lune, les océans, de rendre la vie plus simple. Mais aujourd’hui ses effets pervers se développent. Elle les isole, les rend égocentrés «La technologie a dépassé notre humanité», disait Einstein. Les réseaux sociaux polarisent ce phénomène, puisqu’ils sont censés nous rassembler mais contribuent en fait à accroître chez certains un sentiment de solitude ou de jalousie, en se comparant aux autres, et à leur
vie telle qu’elle est présentée en ligne. Mais cette vie est fausse, virtuelle, et souvent idéalisée et modelée par l’internaute. Pour illustrer ce paradoxe, le 2 avril 2012, dans le magazine américain The Atlantic, un article de Stephen March analysant ces effets disait que «nous vivons dans un isolement qui n’aurait jamais été imaginable pour nos ancêtres, et pourtant nous n’avons jamais été aussi accessibles». Ainsi, alors que la distance entre notre vie réelle et celle que nous nous inventons - pour tromper les autres et notre mal-être - grandit, l’empathie et l’entraide se marginalisent. Partager de belles histoires et «aimer» les pages des ONG ne suffisent pas à faire de
nous quelqu’un de bien. Seulement à se faire passer pour tel. Être ce que l’on montre est un défi que peu relèvent. Revenir à la doctrine existentialiste pourrait être une solution: «l’Homme n’est rien d’autre que ce qu’il fait» disait JeanPaul Sartre dans L’existentialisme est un humanisme. La réalité virtuelle, notre «Second Life», ne laisse donc pas de place pour l’être puisqu’elle n’est pas faite d’action. N’oublions pas que nous ne sommes pas définis par ce que nous montrons, ce que nous dénonçons sur la toile, mais par nos actes, notre humanité. Alors peut-être les Nikhom Thephakaysone seront moins nombreux. x
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Arts&Culture artsculture@delitfrancais.com
Camille Chabrol
EXPOSITION
Filmer le temps qui passe 365 days project, l’œuvre du cinéaste Jonas Mekas, exposée au Centre Phi. Alice Tabarin Le Délit
L
e Centre Phi, situé sur la rue SaintPierre, au cœur du Vieux-Montréal, accueille jusqu’au 26 octobre l’exposition de Jonas Mekas: «Éloge de l’ordinaire». Il y présente son projet élaboré en 2007, année au cours de laquelle il a réalisé un courtmétrage par jour. Il n’est pas ici question de fiction. Ses courts-métrages, longs d’une à vingt minutes, retracent des moments de vie quotidienne saisis caméra au poing par l’artiste. Ces enregistrements sont dévoilés dans leur ordre chronologique sur douze écrans matérialisant chacun un mois de l’année. Il suffit qu’on s’attarde un peu dans la pièce rectangulaire où sont disposés canapés, télévisions et casques audio pour que s’installe doucement l’émotion chez le spectateur. En filmant un port et ses allées et venues, son chat, un repas entre amis ou
même un bout de tapisserie à fleur, Jonas Mekas parvient à déployer et transmettre toute la poésie de l’existence. Le visiteur, s’il accepte de prendre le temps de s’imprégner des images et des sons diffusés, peut se rendre compte de la beauté, invisible au jour le jour, des détails de la vie. Quand bien même l’auteur filme son propre quotidien, le caractère ordinaire des scènes déclenche chez chacun une prise de conscience. La véritable splendeur de notre existence sommeille dans ces tableaux souvent à peine remarqués: le vin rouge qui coule lentement dans notre verre, servi par la main affectueuse d’un ami, un groupe de danseurs croisés au hasard d’une rue lors d’une performance en plein-air;,la paire de pieds gonflés d’une grand-mère assise au bord de son lit. En somme, des fragments du quotidien auxquels on ne prête plus attention depuis longtemps, parce que les situations se sont trop souvent produites, qu’elles se sont déroulées trop vite, se sont effacées trop rapidement.
Heureusement, ces moments ont été compilés et mis sous nos yeux par un vieil homme et sa caméra, désireux d’en souligner l’importance et la magie. La formule fonctionne. Ses vidéos ne sont pas de simples courts métrages dont on admire la valeur esthétique. Ce sont de réels poèmes animés qui révèlent les charmes de la vie dans ses instants les plus quelconques. Cette sensibilité aux belles choses qui nous entourent est innée chez Jonas Mekas. Il explique au Délit, lors du vernissage de l’exposition, qu’il se considère comme un fermier qui se contente de cultiver instinctivement son potager avant d’en partager les récoltes. Cette méthode n’a pas échappé à la composition d’Éloge de l’ordinaire. Le créateur explique: «Un jour j’ai été suffisamment fou pour me lancer le défi de tenir un journal, en filmant tous les jours sans exception, et aujourd’hui mon œuvre est là». Toutefois, lorsqu’en cette année 2007 Jonas Mekas s’empare quotidiennement de sa caméra, il
ne pense pas à ce projet de 365 jours qu’il a initié. Il ne pense ni aux internautes qui pourront visionner ses clips presque instantanément sur son site, ni aux curieux qui iront voir ses films dans différents musées du monde. Il n’est réellement guidé que par son amour inconditionnel de la vie, des gens et des situations que ceux-ci produisent. Lorsqu’il est interrogé sur la source de ce goût inébranlable pour la vie, il répond qu’il n’a pas fait d’autre choix que celui de l’aimer dans son intégralité. Ceux pour qui ce n’est pas le cas ne l’intéressent d’ailleurs pas; il estime que ce sont des idiots. Cette passion pour l’existence nous est rappelée lors de son bref discours d’inauguration au cours duquel il n’oublie pas de remercier la commissaire, mais qu’il clôt néanmoins par un remerciement étonnamment plus sincère au MontRoyal. Jonas Mekas, à travers cette année de courts-métrage, nous présente un quotidien nous rappelant que l’infime peut être la source d’un art et d’une vision du monde. x
CONCERT
Un après-midi bohème Dans la série «Les dimanches en musique», l’OSM présente un concert tchèque. Emilie Blanchard Le Délit Le concert du dimanche 12 octobre a débuté avec une introduction en hommage à l’homme d’affaires Paul Desmarais, décédé le 8 octobre à l’âge de 86 ans. Paul Desmarais était un grand amateur de musique classique et s’est énormément impliqué dans les arts et dans l’Orchestre Symphonique de Montréal (OSM). Le concerto pour violon n°1 de Max Bruch, présenté plus tard dans le programme, était un de ses concertos préférés. Le programme débute avec Vltava de Bedrich Smetana, aussi connue sous le nom de La Moldau. Tirée du cycle de six pièces symphoniques Má Vlast («ma patrie»), Smetana a composé ces pièces
en 1874 en hommage à son pays natal, la Bohème, évoquant son histoire et ses paysages. Vltava est en fait le nom de la plus grande rivière du pays, qui traverse la ville de Prague et la région de la Bohème. Jakub Hruša, qui a auparavant enregistré une version de Má Vlast largement encensée par la critique, dirige bien ses musiciens. Quoique l’introduction par les flûtes soit légèrement faible alors qu’elle devrait être plus imposante, tous les autres instruments, et plus particulièrement les cordes, dont l’unisson détonne, réussissent à transporter les spectateurs dans une ambiance magique qui donne l’impression de prendre part à un voyage sur cette rivière. Juste avant l’entracte, la soliste norvégienne Vilde Frang vient interpréter le superbe concerto n° 1 pour violon
xle délit · le mardi 22 octobre 2013 · delitfrancais.com
du compositeur allemand Max Bruch. Certainement un des concertos pour violon les plus populaires. Lors de sa prestation, Vilde Fang joue sur un Stradivarius «Engleman». Le prélude (allegro moderato) et la finale (allegro energico) sont les parties les plus réussies. Elle joue avec énormément d’intensité et de passion, ce qui fait oublier aux spectateurs les quelques erreurs techniques mineures. La qualité du son du stradivarius et l’accoustique de la maison symphonique rendent l’expérience particulièrement agréable. Finalement, l’OSM termine son concert avec la Symphonie n°8 en sol majeur d’Antonín Dvorák. Le compositeur tchèque, qui était par ailleurs un ami de Bedrich Smetana, a écrit cette symphonie
dans sa maison de campagne en Bohème, région à laquelle il rend également hommage dans cette pièce, qui est beaucoup plus joyeuse que ses autres symphonies. L’allegro con brio débute avec un solo très chaleureux et en unisson des violoncelles, pour ensuite déborder d’énergie grâce à l’entrée en scène des timbales. L’adagio se démarque par la maîtrise des intonations des cordes, qui rappelle les paysages tranquilles de la campagne, ensuite interrompus par un orage. L’allegretto grazioso est certainement la plus belle partition pour les cordes et donne l’irrésistible envie d’aller danser la valse. Finalement l’allegro ma non troppo clôt le concert dans une tempête de violoncelles et de vents, synonyme de danse et de célébration, apportant un effet des plus forts. x
Arts & Culture
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DANSE
«Je pensais être vivant» Danse-cité célèbre singulièrement le centenaire du Sacre du Printemps. Thomas Birzan Le Délit
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e public qui a vu Je ne tomberai pas, de Vaslav Nijinski sort du Théâtre des Quat' Sous triplement renseigné: sur Nijinski, sur l'art, et sur lui-même. Il y a cent ans, celui que ses pairs surnommaient le «dieu de la danse» resplendissait scandaleusement à Paris en créant le Sacre du Printemps. Cet anniversaire a donné lieu à une pléthore d'hommages lumineux et stupéfiants: notamment en Angleterre avec Akram Khan, en Allemagne avec Sasha Waltz et au Québec avec Marie Chouinard. Au théâtre des Quat'Sous, le propos est différent. À l'origine de Je ne tomberai pas il y a, certes, une oeuvre de Nijinski. Elle n'est cependant pas d'ordre chorégraphique mais littéraire: il s'agit de son journal, que le chorégraphe tiendra de manière furieuse et fulgurante pendant un hiver (journal que la librairie Gallimard met en vitrine à l'occasion de ce spectacle). On ne célèbre donc pas le Sacre, mais son chorégraphe originel. On ne s'intéresse pas au printemps mais plutôt à l'«automne de la raison de Nijinski», comme l'écrit Bernard Meney, le metteur en scène et interprète principal de la pièce. Cet «automne», c'est la démence dans laquelle sombre Nijinski quelque part entre 1916 et 1919, c'est la chute d’une figure mythique dans la folie. «Le faune, c'est moi!» Le spectacle s'ouvre sur un homme, de dos, le cheveu grisonnant et vêtu d'un costume-cravate. C'est un Nijinski schizophrénique et agoraphobe que va incarner Bernard Meney -avec la puissance dramatique vers laquelle tout acteur désire tendre- pour les prochaines quarante minutes. Nijinski-Meney crache, transpire, implose. Il s'essaye pathétiquement à ce qu'il lui reste de ses ronds-de-jambes, de ses ballonnés et de sa quatrième position. Il crie, il chuchote, il exulte d'orgueil et pleure d'humilité. Ce monologue, c'est le résultat d'un travail consciencieux d'élagage
Nicolas Ruel
et de montage des Cahiers du chorégraphe russe, juxtaposés avec quelques extraits de Mallarmé et de Nieztsche. Bernard-Marie Koltès nous dirait que c'est l'histoire d'«un homme qui tente de retenir par tous les mots qu'il peut trouver, un inconnu un soir où il est seul». Les lois de l'intensité scénique sont redéfinies sous nos yeux: on assiste à une succession de climax projetés comme des lames de rasoirs sur les planches: «Le faune, c'est moi!»; «Ils m'ont dit que j'étais fou, je pensais être vivant.» Chorégraphier l'indicible L'aboutissement de la parole, c'est l'acte. Le monologue prend donc fin quand quatre interprètes (il est plus que nécessaire de tous les nommer: il s'agit de Thomas Casey, Simon-Xavier Lefebvre, Brice Noeser et Daniel Soulières) envahissent l'espace du plateau. Cinq interprètes pour autant de facettes du chorégraphe russe. Il serait facile mais possible d'imaginer là le jeune danseur encore épris de Diaghilev, le charismatique maestro du mouvement, le génie viril de la scène et encore bien d'autres: «Je suis un ouvrier d'usine. Je suis un domestique. Je suis un seigneur. Je suis un aristocrate. Je suis Dieu. Je suis Dieu. Je suis Dieu. Je suis tout.» écrit l'artiste dans ses Cahiers. Solos, duos, trios, quatuors, ensembles, adages, portés... C'est l'entièreté du dispositif chorégraphique dans ce qu'il peut avoir de rugissant, d'intense et d'instable qui est déployé avec brio par Estelle Claron. Les danseurs vont et viennent: il s'écrasent contre les trois murs du plateau et tentent de s'évader mais reviennent inlassablement au devant de la scène, le bout des orteils presque au-dessus de la fosse, droits, déterminés, accomplis: ils ne tomberont pas; ils ne tomberont jamais. Ils veulent diviser l'insécable, extraire la chute du saut, monter sans descendre. Catharsis À la fin du spectacle, c'est donc un noir singulier qui happe la salle: il ne tombe pas mais semble au contraire s'élever. Si tous
Nicolas Ruel
les interprètes sont évidemment épuisés, on n'entend plus qu'une seule respiration: celle de Meney. Si l'on n'entend qu'un seul Nijinski, c'est parce que son unité et intégrité psychique lui a été rendue: les cinq êtres se fondent en un seul. Je ne tomberai pas est une tentative de thérapie, plus efficace que les cent-quatre-vingts comas insuliniques que subit le chorégraphe russe en l'espace de six mois. Plus que la réunification d'un être, c'est celle de l'art tout entier qui s'opère sous nos yeux: le théâtre, la danse et l'écriture respirent eux aussi à l'unisson.
«Qui a vu danser Nijinski reste à jamais appauvri de son absence» écrit Anna de Noailles. Qui a vu Je ne tomberai pas demeurera mille fois grandi de sa rencontre. x
manqué équivaut à manqué et vous ne démentirez pas qu’un départ est un acte. Jusque là, vous me suivez. Vous hochez même machinalement la tête, il est vrai qu’on n’arrive pas en retard lorsqu’on a véritablement la volonté d’arriver à l’heure. Vous vous dites certainement que ces évidences ne remettent pas en cause le dicton et c’est là que vous faîtes erreur. Pas de sueurs froides, cela se règle! Suivez plutôt la suite de mes propos. «Rien ne sert de courir». Allez dire ça à Usain Bolt ou questionnez vos amis marathoniens et vous verrez ce qu’il vous diront. Sans parler de tous les bus que vous n’auriez pas ratés grâce à quelques foulées. Loin de moi l’idée de vous laisser en plan après un contreexemple frappant sur l’importance de la vélocité dans la course contre la montre,
je finirai mon explication de la façon la plus honnête qu’il soit. Le dicton se base, comme nous l’avons vu, sur une prémisse totalement erronée. Ne vous en faîtes pas, je ne me permettrais pas de remettre en cause telle parole et de vous désarçonner complètement sans proposer quelques alternatives afin de vous laisser le réconfort du choix: celui de la monture. Nous avons vu plus tôt qu’ «il faut partir à temps» pouvait se traduire par «il faut de la volonté dans l’action». Si, si, relisez bien, vous ferez les liens sur lesquels je ne m’étendrai pas. Je vous propose donc de courir volontairement dans vos actions et on vous attendra. Ou encore d’agir volontairement à temps. Pour finir, courrez, courrez, le temps vous l’avez, mais agissez, Parbleu ! x
Je ne tomberai pas Où: Théâtre des Quat’Sous Quand: Jusqu’au 25 octobre Combien: $23
CHRONIQUE
Dire ou contredire ?
Gwenn Duval | Construction descendante
«rien ne sert de courir, il faut partir à point.» Il arrive, en effet, que ce dicton tombe sous le sens: pensons aux pauvres
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Arts & Culture
retardataires ayant raté le réveil, puis le métro, puis l’examen de fin de session malgré une course effrénée dans les dédales de l’université. Partir à point aurait bien pu changer la mise. Il me semble cependant que souvent tout arrive à temps. Quelle affirmation tranchée vous me direz, mais laissez moi plutôt vous expliquer le cours de mes pensées. Ne perdons pas le fil et retournons à la source, c’est-à-dire le matin du réveil. Il est bien évident que l’omission dite «involontaire» de s’éveiller n’en est pas une! Vos amis psychologues, neurologues et autres analogues vous le diront. Ce phénomène a pour nom «acte manqué». D’où découle indéniablement l’équation suivante: départ manqué est égal à acte manqué. Elle-même vérifiable par les équations sous-jacentes suivantes:
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MUSIQUE
Rock around the clock
Le TNC présente une comédie sur le thème de l’heure des choix. Laurence Bich-Carrière Le Délit
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égende: rien à voir avec la chanson des Hives, Tick, tick… boom! est une comédie-rock à propos d’un aspirant auteur de comédie-rock qui s’interroge sur le temps qui passe. Vraiment, rock around the clock. La trotteuse cliquète avec insistance dans une pièce noire. «Ce bruit que vous entendez n’est pas un problème technique. Ce n’est pas une indication musicale. C’est le bruit de l’anxiété grandissant d’un homme. Cet homme, c’est moi.» Ainsi se présente Jon, le personnage principal de la pièce Tick tick… boom! présentée par le Tuesday Night Café Theater en ouverture de sa saison 2013. À l’aube de la trentaine, Jon est déchiré. Déchiré entre ses aspirations à produire une comédie musicale rock qui révolutionnerait le genre («Je suis un “talent prometteur” depuis si longtemps que je crains d’avoir manqué à ma putain de promesse») et d’autres voies. Par exemple, celles qu’ont choisies Mark, son meilleur ami, un acteur naguère lui aussi prometteur, qui a échangé l’estomac grondant d’une vie de bohème contre une carrière lucrative en marketing (et une BMW «qui te permet d’ajuster la température de ton cul») ou sa copine Susan, une danseuse de ballet «qui n’en serait pas moins danseuse si elle vivait en NouvelleAngleterre mais qui aurait un lave-vaisselle». Il y a assurément de l’autobiographie dans Tick, tick… boom! écrit par Jonathan Larson vers 1990 alors qu’il avait lui-même trente ans et avant qu’il ne produise l’opérarock Rent! qui lui valut le succès, un Pulitzer
et trois Tony. Conçue à l’origine comme un monologue rock, la pièce a depuis été réécrite pour trois chanteurs par le dramaturge David Auburn. On y trace le portrait tendre et cynique de cet âge de la trentaine qui est une croisée des chemins et qui oscille entre le confort et la fidélité à ses idéaux, qui redoute les choix et toujours en doute («Thirthy/Ninety», «Johnny can’t decide»). La réflexion est légère, comédie musicale oblige. L’histoire finit généralement bien et prend le parti de l’optimiste et d’une certaine gaieté à vivre. C’est d’ailleurs dans les morceaux comiques que les chanteurs offrent leurs performances les plus adroites, tant sur le plan du chant que du jeu. Ainsi en est-il de «Sugar», saisissante réflexion sur le rôle des friandises Twinkies comme fortifiant anxiolytique à quelque âge que ce soit: Brendan Macdonald, qui campe Jon et sur les épaules duquel repose le spectacle, y est excellent, comme dans le reste du spectacle. Attachant et crédible, sa voix sait se tordre de sentiments malaisés: la chicane amoureuse déclenchée par le malentendu et le désir de plaire, le mélange de surexcitation et d’épouvante à la veille d’une représentation autant que, thème principal du spectacle, l’appréhension à vieillir, la fatigue de se chercher ou la crainte de ne pas «y» parvenir (ou l’angoisse de ne pas vraiment savoir ce que représente ce «y» maudit). Teodora Mechetiuc, l’interprète de tous les rôles féminins, offre une performance correcte. À sa voix, généralement juste, manque la chaleur que pourrait conférer un jeu plus dynamique. On la préfère dans le personnage de composition de Rosa, l’agente de Jon, que dans celui de sa copine, alors
Hossein Taheri
qu’elle ne parvient pas à se départir d’une certaine staticité. Paradoxalement peut-être, c’est le sourire figé dans le parfait contentement d’un publicitaire jet-set qui permet à Nathaniel Hanula-James de s’accomplir dans le rôle de Mark. La réalisation de Jon Corkal et la direction de scène de Marina Miller et Cameron Oram sont à point: trois caissons et deux chaises suffisent à rendre un New York bigarré, où se mêlent les hommes en noir de Soho et les énergumènes bariolés de l’East Side, où l’on peut aisément passer d’appartements si exigus qu’on «arrose les céréales de son coloc avec l’eau de sa douche» aux luxueux bureaux d’une boîte de recherche exécutive. La présence de quatre musiciens (John Castillo, à la guitare électrique, Josh Loke, à la basse, Ben Mayer-Goodman à la batterie et Mina Bahrami au clavier) sur
scène n’est jamais un obstacle scénique (encore que la musique couvre parfois les chanteurs au début des morceaux) et l’espace est particulièrement bien exploité dans l’électrique duo «No More» alors que Jon et Mark s’adonnent à un frénétique show d’air guitar ou dans le romantique «Green Dress» où Susan et Jon virevoltent sur les toits d’un bloc-appartement miteux. Finalement, dans toute la légèreté d’une comédie musicale sur le thème du temps qui passe, la soirée est agréable et l’on attend impatiemment le reste de la saison. x
Tick, Tick... boom! Où: Edifice Morrice – McGill Quand: Du 23 au 26 octobre Combien: $6
«Tiens, v’là un marin» Bastien Vaultier ammare au Quai des Brumes. Virginie Daigle Le Délit
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e 10 octobre dernier, sur la scène du Quai des brumes, deux artistes émergents ont, à tour de rôle, livré des performances musicales remarquables. C’est une ambiance décontractée et familière comme celle d’un regroupement entre amis qui règne dans la salle. En première partie, Vanwho («Van qui?» N’a t-elle cessé de demander au public en blaguant) étrenne la scène du bar-spectacle avec une vive émotion; «Quand je chante, dit-elle, je crache mon univers intérieur dans la réalité». C’est une illustration assez frappante du courage et de la passion qui motivent les compositeursinterprètes qui tentent de percer sur la scène musicale québécoise. L’exaltation de Vanwho a malheureusement eut un effet négatif, celui de s’étendre un peu trop dans le temps, ce qui a forcé le chanteur Bastien Vaultier à présenter une version un peu plus condensée de son spectacle. Dommage, car il aurait été agréable d’entendre ce dernier présenter plus longuement ses chansons afin d’en apprécier davantage la teneur et la portée. Vaultier travaille sur sa musique depuis un moment déjà. Il commence à écrire des textes aux alentours de 16-17 ans, moment de son arrivée au Canada. En 2009 il rem-
porte le concours Ontario POP et en 2011 il rafle aussi le prix «Ma première place des arts» dans la catégorie auteur-compositeurinterprète. À Montréal depuis deux ans, le chanteur d’origine française avoue apprécier par-dessus tout l’influence francophone de la métropole, beaucoup plus abordable et effervescente que celle d’Ottawa. On peut observer le résultat de ses efforts d’écriture via des chansons remarquablement bien construites, d’inspiration tant folk que blues et parfois même funk. Le musicien guitariste guide le public à travers une gamme variée d’émotions, avec un accent particulier sur le thème galvaudé mais toujours efficace de la peine amoureuse. Il interprète aussi plusieurs chansons poignantes sur ces instants de la vie qui donnent envie, comme Vaultier le décrit, «de se déchirer les veines». Au travers de son écriture on ressent de profondes attaches à la ville portuaire de la Rochelle, où le chanteur a grandi. Il n’est donc pas surprenant que la mer soit une source d’inspiration cruciale et centrale dans l’œuvre du chanteur. Il y a d’abord «les princesses de La Rochelle», sorte de chant maritime contemporain qui prévient les marins que les dangers des flots ne sont rien comparés à ceux de l’amour et des femmes. Dans le même thème, lors d’un séjour
x le délit · le mardi 22 octobre 2013 · delitfrancais.com
Bahr Jennaoui
en Gaspésie pour le festival de Petite Vallée, c’est en regardant la mer qu’il a été inspiré pour écrire sa chanson «Toute ma vie» que le chanteur avoue préférer pour son caractère honnête et direct. En contraste avec une bonne partie de son répertoire, dans lequel il se plait à exhiber une sorte de personnage sur la corde raide, «Toute ma vie» est une chanson plus réaliste et introspective; car il est certain que la chanson peut servir tant à révéler qu’à
dissimuler sous le masque exagéré du spectacle. Baudelaire disait justement au sujet de l’homme face à la mer: «Vous êtes tous les deux ténébreux et discrets: Homme, nul n'a sondé le fond de tes abîmes», et c’est cette ambivalence entre l’exhibitionnisme et la présence de pensées plus discrètes qui plaît chez Bastien Vaultier. On espère que c’est une ligne directrice sur laquelle il continuera d’évoluer pour offrir au public son univers particulier. x
Arts & Culture
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ARCHITECTURE
Disque dur et architecture «Archéologie du numérique» donne voix au digital. Thomas Simonneau Le Délit
P
our s’immerger dans l’exposition «Archéologie du numérique» du Centre Canadien d’Architecture (CCA), il faut faire un bond de vingt-cinq ans en arrière et atterrir au début de l’ère digitale. Effectivement, les squelettes de la Lewis Residence de Frank Gehry (19851995), le Biocentrum de Peter Eisenman (1987), la Sphère Expansible de Chuck Hoberman (1992) et les toitures de Shoei Yoh pour les gymnases Odawara (1991) et Galaxy Toyama (1992) ont un point en commun: l’importance d’un numérique embryonnaire dans leur développement. Dans la vidéo d’introduction, Greg Lynn, commissaire de l’exposition, soutient s’être: «toujours senti frustré lorsque les critiques, les théoriciens, les journalistes, ou même les historiens affirment qu’un jour futur, la technologie numérique nous permettra de le faire». Un sentiment d’espérance improbable et peu encourageant semble accompagner une telle généralité. Quel est ce «le» indéfini qui semble pourtant bien trop familier dans le discours actuel? Plutôt que de se projeter dans les possibilités inhérentes à l’espace digital, Lynn nous invite à nous concentrer sur son passé (forcément récent) et sur ce que nous pouvons faire au jour d’aujourd’hui. La première salle regroupe brièvement les travaux des quatre architectes renommés qui contribuèrent à la réalisation de l’exposition. L’on y découvre les
maquettes de la Lewis Residence de Frank Gehry, lauréat du Prix Pritzker en 1989, qui paraissent étrangement petites lorsque l’on apprend que l’édifice aurait fait plus de 2000 mètres carrés s’il avait été construit. L’influence de la technologie numérique se fait grandement ressentir dans ce projet, ce qui n’empêche pas l’architecte de signaler que «nous avons besoin du cerveau qui transforme cela en art pour aller au-delà du langage connu du programme informatique». Gehry insiste ainsi sur l’aspect utilitaire du digital qui ne remplacera jamais la complexité physiologique et psychique humaine. Les quatre salles suivantes sont respectivement attribuées à chaque architecte. Les toitures de Shoei Yoh sont marquées par le pragmatisme de ce dernier, qui ne manque pas de rappeler que l’architecture a un but pratique, qu’elle doit faire face à des contraintes économiques et environnementales. Dans ses projets, sa sensibilité guide l’usage de la technologie numérique et pousse ainsi à chercher des modèles à la fois optimaux et complexes, à l’image de ceux qui se trouvent dans la nature. Mis à part le théorique, l’exposition possède également un aspect interactif, notamment grâce aux sphères expansibles développées par Hoberman. Ces dômes d’une mécanique sophistiquée peuvent servir d’abri, de toit rétractable pour stades, etc. Ingénieur aguerri, Hoberman dévoile ici tout son savoir-faire et explique comment AutoCAD et d’autres logiciels informatiques l’ont aidé dans son œuvre. De quoi intriguer les esprits logiques présents dans la pièce.
Peter Eisenman, Eisenman/Robertson Architects. Biozentrum, Centre de biologie de l’université J.W. Goethe, Francfort-sur-le-Main, Allemagne : Maquette d’étude, 1987. Peter Eisenman fonds, Centre Canadien d’Architecture
Une partie de l’exposition retrace également le parcours du numérique depuis le superordinateur Cray (1972) jusqu’à l’iPhone 5, en rappelant les progrès titanesques faits dans ce secteur dans un laps de temps très court. D’où la nécessité de «théoriser cet espace digital», selon les termes de Greg Lynn. Difficile, cependant, pour des professionnels qui n’ont pas grandi avec le digital, qui n’ont pas le recul nécessaire pour accomplir une telle tâche. Comme à son habitude, le CCA présente une exposition sobre et efficace qui mise sur la qualité de l’information et du message artistique. Le superflu n’a pas sa place et l’exposition s’organise aussi pré-
cisément qu’un système informatique. Se mettre dans la peau d’un archéologue le temps d’une visite pour décortiquer les mécanismes qui régissent la création architecturale assistée par ordinateur depuis la fin des années 1980, tel est l’expédition que nous propose d’entreprendre le CCA jusqu’au 27 octobre. x
Archélogie du numérique Où: Centre Canadien d’Architecture Quand: Jusqu’au 27 octobre Combien: Gratuit pour les étudiants
ARCHITECTURE
Savoir construire l’instant
Quand Witold Rybczynski analyse les liens entre architecture et histoire. Thomas Simonneau Le Délit
C
’est dans le contexte convivial du «Homecoming Weekend» de McGill qu’avait lieu le Beatty Talk 2013. Anciens élèves, étudiants et membres du corps académique de l’Université étaient réunis dans la salle Pollack de l’École de musique Schulich pour suivre la conférence de l’architecte Witold Rybczynski samedi dernier. Ancien bachelier, diplômé d’une Maîtrise en architecture de McGill et, plus récemment, d’un doctorat honoraire, Rybczynski est un professeur reconnu et apprécié. Écrivain et critique à ses heures, sa contribution intellectuelle à la profession se focalise principalement sur les liens entre passé, présent et futur dans le domaine de l’architecture. Intitulée «Architecture et le Passage de l’Histoire», la conférence commence en fin de matinée, après un discours préliminaire de la nouvelle principale Suzanne Fortier. En guise d’introduction, Rybczynski nous emmène en 1839, lorsque John Ostell fut désigné architecte en chef de la construction du bâtiment des Arts de l’Université McGill. Pour réaliser l’édifice emblématique de l’Université, ce dernier imita la structure du Horse Guards Building à Londres (William Kent, 1753)
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Arts & Culture
en s’inspirant également de la façade de la Villa Cornaro à Piombino Dese (Andrea Palladio, 1554). Trônant sur le toit, la coupole fait également référence aux merveilles architecturales de la Renaissance,
Ce cours d’histoire rafraîchissant permet à Rybczynski d’établir un constat simple mais pas tout à fait évident: les architectes sont constamment entourés par les réalisations de leurs prédécesseurs. Au-delà de
Camille Chabrol
comme la basilique Santa Maria del Fiore à Florence. À l’image d’un phare, cet octogone symbolise un halo lumineux qui se doit de guider les étudiants vers la quête du savoir.
rappeler une des singularités de cette discipline, ce constat définit partiellement la relation qu’entretiennent histoire et architecture. Plus précisément, Rybczynski souligne le fait qu’en plus de s’inspirer de travaux
anciens, certains architectes opèrent même une véritable renaissance en réinterprétant ces mêmes travaux. Par exemple, le Divinity Hall (Birks Building) de McGill rappelle sans équivoque l’architecture gothique. Robert A.M. Stern, architecte et doyen de la Faculté d’Architecture de Yale, note, à propos de ce procédé: «Ce n’est pas reproduire, c’est parler.» C’est interpréter à sa manière le ressenti du passé pour s’exprimer au présent. S’inspirer du passé n’est donc pas synonyme de plagiat. Au contraire, Rybczynski nous fait comprendre qu’il est même nécessaire en architecture de retrouver une certaine sagesse, un certain goût, voire même une certaine vitalité en réinterprétant les œuvres du passé. La conférence se termine par une citation de James Stirling, affirmant que «les architectes ont toujours regardé en arrière pour aller de l’avant». Effectivement, Witold Rybczynski insiste sur le fait que «l’architecture visionnaire» n’a généralement pas sa place lorsqu’on atteint ce fameux futur. Décalée et grotesque, elle rappelle à l’Homme que nous n’avons pas la capacité de deviner l’avenir, de prédire la subtilité du lendemain, et qu’il ne faut donc pas s’y adonner. Et pour cause, en architecture, comme dans n’importe quelle discipline, il faut donner du temps au temps, un vrai visionnaire sait lire dans le passé pour rénover l’instant. x
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DANSE
La Belle au bois tripant Les Grands Ballets Canadiens présentent La Belle au bois dormant. Léa Bégis Le Délit
E
t si le sommeil artificiel de la princesse Aurore était en fait un trip d’héroïne? Dans cette relecture des contes de Perrault et de Grimm, le chorégraphe suédois Mats Ek (Le Lac des cygnes, Carmen) transforme le royaume enchanté en un centre urbain où Aurore, une adolescente rebelle, fait la rencontre de Carabosse, mystérieux héroïnomane, qui l’entraîne dans son paradis artificiel, remplaçant ici le fameux sommeil de cent ans. «Relire les mythes, les légendes et les contes de fées, en découvrir les aspects évidents, les saboter et les recréer – bref, les prendre au sérieux – me semble un acte de la plus haute importance», explique Mats Ek. La scénographie, qui peut paraître au premier abord très minimaliste (trois grands panneaux gris et une table rouge) est vite rehaussée par des costumes riches et parfaitement réalisés. De l’univers monotone et austère de ses parents, Aurore pénètre dans un univers coloré et lumineux, avec notamment les quatre fées personnalisant chacune une couleur flamboyante. Les tons des costumes sont, comme il se doit, d’une importance capitale dans la symbolique de l’histoire: le chemisier blanc d’Aurore représente sa pureté et sa naïveté qui la pousse à suivre Carabosse sans réfléchir aux conséquences, et sa jupe grise plissée rappelle l’austérité et l’ennui de sa vie familiale. Carabosse, quant à lui, est associé à la couleur violette que l’on retrouve dans ses
deux costumes, et qui, traditionnellement, évoque le rêve et la spiritualité, mais aussi la mélancolie et la solitude. Carabosse «rêve» sous l’effet de la drogue, mais il est aussi très seul, comme l’est Aurore qui finit par être abandonnée par ce prince peu charmant. La chorégraphie délicate et maladroite de Valentine Legat (Aurore) est touchante et entre en opposition avec celle d’Hervé Courtain (Carabosse), son amant toxique. Chaque air du ballet apporte une atmosphère unique aux différentes scènes, et la chorégraphie d’Ek, dont chaque mouvement épouse le rythme de la musique, répond tout à fait à ces différentes atmosphères. Le jeu des danseurs est rempli d’intensité et les émotions sont transmises au spectateur de façon claire et expressive. Seul Hervé Courtain paraît avoir moins de présence du point de vue du jeu. Il est plus effacé et ne semble «vivant» que durant ses trips d’héroïne. Le changement d’émotion d’Aurore lorsque le Prince Désiré (Robert Deskins) vient la délivrer de sa spirale infernale, est très bien réalisé. Au départ méfiante et dégoûtée, Aurore finit par tomber amoureuse, rassurée. Certains aspects de la mise en scène restent cependant inexpliqués. L’entrée en scène du Prince est plutôt inopinée et le spectateur ne se doute pas du tout qu’il s’agit de celui qui sortira Aurore de son paradis artificiel. Habillé en complet-cravate, ce dernier vient rompre le quatrième mur en s’adressant aux personnages et aux spectateurs, blâmant la folie et le désordre de cet univers féérique. Il peut aussi représenter les autorités lorsque, armé d’un pis-
John Hall
tolet, il commence à tirer frénétiquement en l’air et sur Carabosse, en le traitant successivement de «junkie», d’«immigrant» et de «terroriste». Ce n’est seulement qu’au dénouement que le public comprend qu’il s’agit du Prince Désiré, apportant la stabilité et le calme dont Aurore a besoin après cet enfer toxique. La scène finale porte aussi à confusion: l’œuf dont Aurore accouche est de couleur violette. Alors que l’orchestre achève l’œuvre dans un crescendo, on voit Aurore secouée de spasmes violents et tentant de se saisir de l’œuf de manière désespérée, tandis que le Prince prend ce dernier dans ses bras et le cajole dans un coin de la scène. Rien n’explique si l’enfant d’Aurore et du
Prince est destiné à répéter le destin de sa mère, ou s’il s’agit de l’enfant de Carabosse et d’Aurore. Mais, comme le dit si bien Mats Ek: «Tous les contes de fées ont des points en commun (…) mais chacun est également unique puisque des événements inexplicables s’y produisent.» Après tout, le mystère n’est-il pas ce qui définit un conte? x
La Belle au bois dormant Où: Théâtre Maisonneuve Quand: Jusqu’au 26 octobre
THÉÂTRE
Overdose d’œstrogènes à McGill Crêpage de chignon pour un million de coupons au Players’ Theatre. Scarlett Remlinger
A
près la comédie musicale Les BellesSœurs au Théâtre d’Aujourd’hui, le Players Theatre de McGill prend le relais avec la version anglaise adaptée du français par John Van Burek et Bill Glassco. Au troisième étage de l’édifice Shatner, dans la petite salle de théâtre au fond du couloir, l’univers de Michel Tremblay s’installe. Retour en 1956 dans la cuisine d’une maison d’un quartier ouvrier québécois. S’y rassemble un groupe de femmes aux personnalités débordantes qui souffrent, rient et vivent dans une même misère, la précarité. Le contexte de la pièce est rude, les thèmes sérieux, et l’ambiance oscille entre angoisses et crises de fous rires. Il faut suivre le rythme de ces femmes venues aider Mme Germaine Lauzon, leur sœur, voisine et amie à coller dans des livrets le million de timbres qu’elle a gagné à la loterie pour qu’elle puisse recevoir du catalogue les objets divers et variés dont elle compte remplir sa maison. La chance incroyable de Germaine invite bien entendu à une jalousie débordante et à des réglements de comptes ravageurs. L’amitié souvent hypocrite et les insultes amères refont surface lorsqu’il s’agit de saisir l’opportunité qui se présente. Mais, avant de se rabaisser à voler une amie, on papote.
Bien qu’il manque les nuances du français de Michel Tremblay, la mise en scène est remarquable. Un chœur grec récite les temps forts de la pièce et accompagne les Belles Soeurs dans leur excitation et leur amour démesuré pour le bingo. Lorsqu’elles
temps, on ne peut pas s’empêcher de rire face à l’absurdité que représentent ces neuf femmes pleurant de joie, simplement à l’idée de pouvoir participer. Enfermées dans une vie régie par des habitudes strictes, ces femmes tournent Camille Chabrol
se lèvent et se placent à quelques centimètres des spectateurs du premier rang, on angoisse et on rit en même temps. On comprend combien c’est tragique d’avoir pour seul confort un jeu comme le bingo, avec un cendrier pour gros-lot. En même
x le délit · le mardi 22 octobre 2013 · delitfrancais.com
en rond. La pitié guette le répertoire sentimental des spectateurs. La vieille femme de 93 ans qui ne peut s’empêcher de mordre ceux qui la touchent est la cerise sur le gâteau. Dès son arrivée sur scène, on est mal à l’aise. Toute recroquevillée, les che-
veux poudrés et le maquillage effrayant, elle marmonne des paroles incompréhensibles. De ses mains frêles, elle attrape les coupons et tombe de sa chaise. Sa belle-fille la gifle pour la faire arrêter, ce qui ne l’empêche pas de bouger tant bien que mal. On s’attend à ce qu’elle tombe raide morte, mais non. Elle délire, inconsciente, et c’est là qu’elle dévoile à Mme Lauzon ce que les dames sont vraiment venues faire chez elle. La pièce se termine sur un crêpage de chignon général. Les coupons volent dans tous les sens. Les dames se tirent les cheveux pour les attraper, se sautent dessus, s’insultent et partent en courant. Au premier rang, on relève les genoux pour laisser ces dames se courir après tout en essayant de retenir les fous rires que déclenchent en nous ces femmes transformées en véritables bêtes sauvages. À la fois tragique et comique, l’adaptation du Players’ Theatre gagne son pari. On sort de la salle en entendant résonner au fond de sa tête le cri de guerre de Mme Brouillette qui, s’adressant à Mme Lauzon s’exclame: «YOU DO NOT DESERVE ALL THESE STAMPS!» x Les Belles-Sœurs Où: Players Theatre Quand: Jusqu’au 26 octobre Combien: 6$
Arts & Culture
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Romain Hainaut
ACTUALITÉS CAMPUS
Ostensiblement en chantier Enquête sur les constructions et la planification sur le campus de McGill. Alexandra Nadeau et Sophie Blais Le Délit
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es constructions sont très visibles sur le campus du centre-ville de McGill depuis la rentrée universitaire. 63%des étudiants de McGill trouvent qu’il y a trop de constructions, selon un sondage* mené par le Délit.
Effritement financier Selon Robert Stanley, le piètre état des infrastructures du campus est le reflet d’un manque d’investissements de la part du gouvernement du Québec. Ce dernier fournit la principale source de financement pour les projets de construction, de rénovation et d’infrastructure IT, sous la forme de subventions. Ce montant représente une somme d’environ 47 millions de dollars par an.
Romain Hainaut
Travaux en cours En entrevue avec le Délit, Robert Stanley, le directeur de l’unité Gestion de projets de McGill, dit que «le nombre de projets de construction n’est pas inhabituel». Il explique qu’entre 150 et 200 projets de constructions et de rénovations différents sont entrepris chaque année. Le coût de l’ensemble de ces projets pour l’université oscille entre 60 et 100 millions de dollars par an. À l’heure actuelle, sept projets majeurs sont en cours sur le campus. Parmi ceux-ci, celui qui est le plus apparent est la reconstruction des toits terrasses des passages piétonniers des bibliothèques McLennan et Redpath, un projet de trois ans entrepris en trois étapes distinctes. Son coût est de 8.8 millions de dollars, et la dernière étape du projet sera achevée en novembre, selon Robert Stanley. Un autre projet, moins visible mais tout aussi important, est le remplacement des fenêtres et la restauration de la maçonnerie du Pavillon Strathcona (anatomie et médecine dentaire). Des travaux préparatoires ont déjà été commencés, mais l’exécution finale du projet est suspendue en attendant le financement suffisant. Environ 35 millions de dollars sont nécessaires pour mener à terme le projet. Ce délai est selon Stanley «un bon exemple des conséquences du sous financement» dont souffre l’université. Les constructions majeures en cours à McGill McIntyre: Rénovation de la ventilation ($10.8 m, terminé en Décembre 2014.) Bronfman: Rénovation du 5ème étage ($4.7m, Décembre 2013.) Douglas Hall: Rénovation ($13.6m, juillet 2014.) Redpath/McLennan: Rénovation de la terrasse toit ($8.8m, novembre 2013.) Pavillon MacDonald: Réfection des toitures ($6.9m, avril 2014.) Pavillon Strathcona: Remplacement des fenêtres, restauration de la maçonnerie ($35m, mis en pause.)
L’université reçoit aussi de l’argent provenant d’autres sources, telle que la Fondation Canadienne pour l’Innovation, et des dons privés pour des projets spécifiques. Toutefois, Stanley ajoute que «malgré cet investissement significatif, nous ne disposons que d’un tiers [du montant] qui est réellement nécessaire pour moderniser le campus et résoudre les problèmes d’entretien reportés à chaque année. Les bâtiments et l’infrastructure sur le campus s’effritent plus rapidement que ce que nous pouvons réparer». Et qu’en est-il des délais? Certains étudiants se demandent pourquoi la reconstruction du toit terrasse des bibliothèques Redpath et McLennan n’a pas été achevée avant le début de la rentrée. Julia, étudiante en quatrième année à McGill, dit en entrevue au Délit: «le passage piétonnier devant McLennan et Redpath est un des endroits les plus passants du campus, je croyais donc que les travaux devaient être faits cet été, lorsqu’il y avait moins d’étudiants sur le campus». Robert Stanley explique au Délit qu’il n’a jamais été question d’exécuter tous les travaux avant la rentrée: «nous avons beaucoup à faire et nombre de nos projets sont trop complexes pour être complétés dans une période d’été de quatre ou cinq mois». Il ajoute qu’il faut parfois gérer des délais inattendus, citant comme exemple la grève de deux semaines dans l’industrie de la construction qui a mis en pause les projets de construction. «Nous faisons toujours de notre mieux pour ne pas perturber inutilement les activités normales de l’Université», conclut Robert Stanley.
Jemma Isrealson
La planification sur les campus de McGill relève du Bureau de planification des campus et des espaces («Campus and space planning» en anglais, CSP). 84% des étudiants qui ont répondu au sondage du Délit aimeraient avoir un meilleur accès entre la bibliothèque McLennan et le lower field. Toutefois, Brian Karasick, planificateur principal du campus, explique au Délit que la construction d’un tel accès n’est pas dans les plans du CSP. «La création d’un escalier connectant directement [“lower field”] à la terrasse [de la bibliothèque] a été explorée lorsque le projet de réhabilitation de la terrasse a été développé», dit-il. Toutefois, le projet ne sera pas réalisé, car les planificateurs du campus craignent que la fonction «jeu» du terrain soit compromise par un nouvel accès, et que de nouveaux «chemins informels» se créent, ce qui détériorerait le terrain. Un amphithéâtre extérieur Le Three Bares park, l’espace vert où est organisé le traditionnel Open air pub à chaque rentrée, est beaucoup utilisé en début d’année scolaire, mais semble sous-utilisé le reste de l’année. Il est peu fréquent de voir des gens flâner au Three Bares Park par exemple, et rien ne s’y trouve pour attirer davantage les étudiants. Brian Karasick reconnaît que «l’espace serait davantage utilisé s’il était amélioré». Il précise toutefois que ce parc possède divers problèmes qui compliquent son utilisation: le mauvais drainage du parc qui rend la pelouse en mauvais état, ainsi que le piètre état de la fontaine du parc, qui laisse s’écouler l’eau. Brian Karasick explique que les fonds manquent pour revitaliser le Three Bares Park, mais que cet espace est sur la liste des priorités du Comité des jardins et du terrain. Radu Juster, architecte au CSP de McGill, explique au Délit qu’un projet est actuellement envisagé pour exploiter davantage l’espace: la construction d’un amphithéâtre extérieur, c’est-à-dire une scène qui serait dans le parc de façon permanente. La réalisation de ce projet devrait avoir lieu à l’été 2014. Radu Juster, dit que pour organiser des événements à l’extérieur, il faut toujours demander une autorisation au CSP pour anticiper «les impacts sur le service de nettoyage, d’entretien ou de sécurité, pour voir s’il y a des mesures à prendre». Par exemple, pour organiser l’annuel Open air pub, il faut procéder à des mesures spéciales, comme l’installation de barrières autour du site comme il y a présence d’alcool. Les deux grands projets réalisés par le CSP sont pour le moment la piétonisation de la rue McTavish et la réduction de la circulation automobile sur le campus. Toutefois, Brian Karasick explique que ces projets ne sont toujours pas complétés en raison du manque de budget. Le CSP tente tout de même d’agir «à échelle locale». Quelques initiatives ont ainsi été prises dans l’optique d’améliorer la qualité de vie sur le campus: plus de potagers sur le campus, installation de potagers portables, plus d’endroits où s’asseoir, un meilleur éclairage sur le campus et une meilleure sécurité pour les piétons sur le campus. Ces projets sont élaborés avec la collaboration de divers comités de McGill, et certaines associations étudiantes sont également consultées, comme l’Association étudiante de l’Université McGill (AÉUM). x Romain Hainaut
«Les bâtiments et l’infrastructure sur le campus s’effritent plus rapidement que ce que nous pouvons réparer. » Planifier le campus Outre la construction sur le campus, la planification des espaces est aussi un enjeu important pour les étudiants de McGill, car cela affecte aussi la qualité de vie de chacun sur le campus.
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*Le sondage a été fait suivant la méthode de l’échantillonnage volontaire auprès de 200 étudiants de McGill.
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ACTUALITÉS
CAMPUS
Manifestement irresponsable La fièvre de l’or: à quel prix? Camila Gordillo Le Délit
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’est dans les communautés de San Miguel Ixtahuacan et de Sipacapa au Guatemala que la compagnie minière canadienne Goldcorp, le gouvernement guatémaltèque ainsi que le gouvernement canadien sont soupçonnés d’avoir manqué à leurs devoirs et responsabilités. C’est ce que dévoile le documentaire «Gold Fever» qui a été présenté à McGill le 17 octobre lors de sa journée mondiale de diffusion, en collaboration avec le McGill Research Group Investigating Canadian Mining in Latin America (MICLA), KANATA (association de sensibilisation à la culture des Premières Nations), Journalistes pour les Droits Humains et Amnistie Internationale McGill. Exploitation controversée «Dans notre cosmovision, c’est totalement incongru de faire de l’argent en détruisant la nature. Si [la nature] est détruite, […] s’ensuit la destruction de la vie même. Nous sommes un ensemble; nous avons besoin de nos terres pour vivre», commente un résident de San Miguel Ixtahuacan dans le documentaire. La ruée vers l’or à San Miguel Ixtahuacan a débuté en 1998, initiant l’exploitation minière par la compagnie Glamis Gold en 2003, qui a été ensuite achetée par Goldcorp en 2006, toujours en collaborant avec la même compagnie locale Montana. Malgré les quelques 607 millions de dollars de profits faits par Goldcorp, les réper-
cussions de cette exploitation sont hors chiffres, ce que le documentaire «Gold Fever» dénonce. L’augmentation de la pollution environnementale, les perquisitions de terres ainsi que le manque de bénéfices socioéconomiques pour la communauté guatémaltèque a fait monter la résistance contre l’exploitation de l’or. Certains ont payé cher pour leur opposition à cette exploitation, à en perdre la vie. Par exemple, lors des premières manifestations contre les opérations minières en 2005, les forces de l’ordre ont fusillé certains manifestants. D’autres contestataires ont un handicap physique à vie. Comme une opposante aux exploitations minières a été atteinte par une balle qui a transpercé son oeil droit. Un ancien employé ainsi qu’un employé actuel de la compagnie ont été identifiés par la communauté comme étant les coupables de ces actes. La compagnie a toutefois nié toute implication. Affaires, jurisprudence et prudence La majorité des Canadiens ont des investissements dans la compagnie Goldcorp, et ce, sans toujours en être au courant, ce qu’explique Graham Russell, impliqué dans «Gold Fever» et co-directeur de l’ONG «Rights Action». Par exemple, plus d’un million de dollars sont investis dans Goldcorp par des fonds d’investissement mcgillois, d’après les données du bureau d’investissement de McGill, dans le document intitulé «Canadian Equities Above $500,000 Publicly Traded and Held in Segregated Accounts».
Les Canadiens ont donc une part de responsabilité quant aux opérations des compagnies canadiennes à l’étranger, selon Monsieur Russell. «Ce n’est pas une problématique lointaine à laquelle nous ne pouvons rien faire; lorsque nous votons, choisissons nos fonds de pensions, ou encore les investissements de McGill, tout est relié aux compagnies minières. Par exemple, des collègues et moi avons poussé nos députés à adopter le projet de loi C-300 [sur la responsabilité des compagnies minières dans les pays en développement]. La législation canadienne doit changer. Autrement, les compagnies [minières] canadiennes sont libres lorsqu’elles vont outre-mer. Beaucoup de pays ont un système judiciaire faible, et dans le cas du Guatemala, celui-ci vient de sortir d’une guerre civile et d’un génocide», explique Becky Smith, membre de MICLA et étudiante en sciences politiques à McGill. Comment changer la situation Suite à la présentation de «Gold Fever», une entrevue via Skype s’est déroulée avec un des résidents de San Miguel Ixtahuacan, Aniseto Lopez. Cet entretien a permis au public d’obtenir des réponses à leurs questions. «Que peut-on faire, comment aider?», a demandé un des membres du public. M. Lopez a suggéré le besoin pressant d’investigation scientifique et technique, ainsi que la nécessité de documenter les impacts environnementaux, sociaux et ceux sur la santé des résidents, mettant l’accent sur la contribution que peuvent apporter des étudiants universitaires. De plus, M. Lopez a souligné
l’importance de la médiatisation du conflit, qui cause toujours des ravages. En effet, le documentaire a démontré l’ambiguïté de l’efficacité de la politique de Goldcorp relative à la responsabilité sociale. Bien que jusqu’à présent, aucun verdict n’a été rendu sur les épisodes de violence, d’autres problématiques sont dénoncées par l’Organisation des Nations Unies (ONU): «la mine ne satisfait pas les standards internationaux de droits humains, incluant ceux qui protègent les droits des populations autochtones. Ceci est problématique lorsque les populations autochtones ne sont pas adéquatement consultées concernant un mine comme celle-ci», selon James Naya, le rapporteur spécial des Nations Unies quant à la situation des Droits Humain et Libertés Fondamentales des Peuples Autochtones. De plus, des études d’impacts environnementaux ainsi que sur la santé ont poussé la Commission Inter-Américaine des Droits Humains à ordonner au gouvernement guatémaltèque de suspendre les opérations de Goldcorp en 2010, chose qui n’a pas été faite. Au-delà des améliorations à faire au sein des gouvernements canadien et guatémaltèque, «Gold Fever» dénonce la frénésie que les humains ont envers ce métal doré, qui augmente son extraction, surtout en considérant qu’environ cinq tonnes doivent être extraites afin d’obtenir une once du précieux métal. Bien que le documentaire ait élucidé beaucoup de questions, l’autre côté de la médaille a été omis: aucun des représentants de GoldCorp n’a voulu être interviewé lors du tournage de «Gold Fever». x
Apparement antisyndical? Les employés de MUNACA portent plainte contre McGill. Alexandra Nadeau Le Délit
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’Université McGill veut changer le mode de paiement actuel des employés représentés par le syndicat des employés non-académiques de Mcgill, (MUNACA, McGill University Non-Academic Certified Association) et de l’Association des Employés en Recherche de l’Université McGill (AERUM), ce à quoi les deux associations s’opposent formellement. Habituellement, les employés reçoivent leur salaire à chaque 15e et 31e du mois et sont payés sans délai. Par exemple, la «prochaine paie est le 31 octobre, et sera pour la période de travail du 15 au 31 octobre» explique au Délit Sean Corry, président de l’AERUM. À compter du 1er janvier 2014, ces mesures changeront: il y aura un délai de deux semaines entre le dernier jour de travail et la paie associée à cette période. Les employés recevront aussi désormais leur salaire à chaque deux semaines. Kevin Whittaker, président de MUNACA, explique au Délit en entrevue téléphonique qu’il ne voit pas de problème avec la paie aux deux semaines, mais bien avec le délai imposé par l’université. Whittaker explique qu’après les vacances de Noël - ce qui est la pire période selon lui pour appliquer les nouvelles mesures - les employés de MUNACA recevraient un paiement de salaire pour
trois jours, au lieu de l’habituel 15 jours. Il dit que l’université «est prête à faire un prêt aux employés pour compenser pour cet écart, mais que ce prêt devrait être remboursé en avril». Cette nouvelle mesure fait aussi en sorte qu’au lieu de recevoir 24 chèques de paie, les employés en recevront 26, mais de plus petits montants. Whittaker explique que ces mesures sont désavantageuses pour les employés, surtout que le syndicat compte beaucoup «de mères monoparentales parmi [les membres de MUNACA] et de personnes qui dépendent de chacun de ces chèques de paie» pour survivre financièrement. Les employés ne sont pas prêts pour un tel changement renchérit Sean Corry. L’Université dit procéder à de tels changements pour avoir plus de temps pour gérer les changements d’horaire et les heures supplémentaires des employés. Toutefois, Sean Corry explique qu’«il n’y a pas de problème avec les heures supplémentaires» pour le moment, et que «les employés [de l’AERUM] ne font pas d’heures supplémentaires». Pour sa part, le président de MUNACA dit que «l’administration a créé un problème qui n’existe pas, et tente d’appliquer une solution à un problème qui n’existe pas». Kevin Whittaker dit que cette mesure prise par l’université est faite pour «épargner de l’argent». Le Président de MUNACA a demandé à McGill de lui
Le mardi 22 octobre 2013
montrer les documents qui témoignent de l’utilité de cette mesure, mais l’université lui a répondu «qu’il n’y a aucune raison de montrer [ces documents]». Les groupes syndicaux MUNACA et l’AERUM sont visés, selon Whittaker. Il croit que c’est l’augmentation du salaire-horaire, gagnée suite à la grève syndicale de MUNACA de 2011, qui pousse McGill à changer ses procédures. Whittaker considère que McGill veut «punir» les employés de MUNACA par ce délai de paiement. Il ne trouve pas d’explication à cette nouvelle mesure, surtout que d’autres employés (administration, professeurs et professionnels) de McGill qui reçoivent aussi un salaire pour leurs heures supplémentaires, ne seront pas touchés. L’administration de McGill explique que ces employés sont des travailleurs à salaire fixe, et que les employés syndiqués sont payés à l’heure, ce qui n’est pas une bonne raison selon Kevin Whittaker. «En fait, nous nous faisons réprimander parce que nous sommes un syndicat», dit-il au Délit. Lynne B. Gervais, vice-principale associée aux ressources humaines de McGill explique toutefois dans un courriel envoyé au Délit que «tous les employés payés sur une base horaire, syndiqués et non-syndiqués, auront un délai de deux semaines, en Janvier 2014, à l’exception des employés de [l’union des employées et employés de service]». Les membres de MUNACA ont déposé une plainte auprès de la Commission des
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relations du travail, en vertu de l’article 15 du code du travail au Québec, pour dénoncer les nouvelles mesures salariales prises par McGill et pour dénoncer ce qu’ils perçoivent comme une attaque faite aux employés syndiqués de McGill. Le 9 décembre 2013, la plainte sera entendue au tribunal. Kevin Whittaker espère que l’administration se montrera plus ouverte aux demandes des employés syndiqués. L’AERUM soutient cette plainte, et évalue ses propres options d’action pour le moment. Lynne B. Gervais dit toutefois que «la décision de l’université de procéder à ce changement est en conformité avec le Code du travail». McGill a organisé des séances d’information pour les employés qui seront touchés par cette mesure. Kevin Whittaker a qualifié ces séances de «blagues». L’administration dit qu’elle est à l’écoute de ses employés, mais il croit que ces séances étaient seulement faite pour les relations publiques. Sur un autre ordre d’idée, le salaire des tous les employés de McGill sera diminué de 2.2% à compter de l’année prochaine en vertu de l’amendement 24 du plan de pension. Cette mesure sert à compenser les déficits du plan de pension, ce qui peut représenter entre 120 et 200$ de salaire en moins par mois. Les employés syndiqués auront ainsi un double fardeau financier, comme l’explique le président de MUNACA.x
SOCIÉTÉ
Une minorité à Claire Launay Le Délit
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imanche dernier a eu lieu une autre manifestation contre le projet de Charte des Valeurs Québécoises, qui remue la province depuis le 10 septembre dernier; l’occasion de se questionner sur un de ces signes considérés comme «ostentatoires» par le Parti Québécois (PQ): le turban, porté par les sikhs. Et bien au-delà du turban, il suffit d’interroger quelques étudiants sur différents campus pour se rendre compte que la religion sikhe, au sens large, est loin d’être connue du grand public. Répandus, mais minoritaires Les Sikhs ne sont pas ce qu’on pourrait appeler un groupe ostentatoire, que ce soit dans les chiffres ou dans leur façon de se montrer. À McGill, selon la présidente de l’Association des Étudiants Sikhs (Sikh Students Association, SSA), Gurnikki Kaura Bindra, la communauté sikhe est peu importante, comptant un peu plus d’une cinquantaine de personnes, certainement moins d’une centaine: grain de sel dans une mer de plus de 30 000 étudiants, donc. D’ailleurs, l’association n’existe que depuis l’année dernière, preuve que les Sikhs, en tous cas à McGill, ne peuvent pas vraiment être qualifiés de «minorité bruyante». Et ceci se vérifie tout autant à l’échelle de la province, où les Sikhs ne représentent que 0,1% de la population totale, d’après le recensement de 2001, avec 9 275 sikhs habitant au Québec. En réalité, la religion sikhe n’est une majorité dans aucun pays, souligne Ishan Singh, le président de la Voix Québécoise des sikhs (VQ des sikhs), association à but non-lucratif qui représente les intérêts des Sikhs au Québec, créée il y a quelques mois. Et c’est un des points sur lesquels il insiste, en entrevue avec Le Délit: «nous savons ce que c’est, d’être une minorité. Nous ne représentons que 2% de la population indienne, et c’est de là que le sikhisme vient! Nous sommes [donc] conscients de l’importance de protéger ses valeurs et son identité». Il dénonce seulement la manière de faire, et ajoute que si les valeurs sikhes étaient mieux connues de tous, peut-être que certaines idées conçues, notamment liées au port du turban, s’estomperaient et laisseraient place à une société plus inclusive pour les sikhs. Car, il faut l’avouer, en dehors des sikhs euxmêmes, peu sont familiers avec les principes de cette religion. Une religion relativement moderne Le sikhisme est né en Inde, plus précisément dans la région du Pendjab, qui comprend les régions actuelles de l’Est du Pakistan et du Nord-Ouest de l’Inde (au-
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delà de l’état administratif du Pendjab). Son maître fondateur, Guru Nanak, est né pendant notre ère, et même plutôt récemment, en 1469. Ceci est particulièrement fascinant car seulement un peu plus de 500 ans plus tard, le sikhisme s’inscrit déjà dans les «Grandes Religions» dans les classifications de niveau mondial. En effet, le classement du World factbook de la CIA plaçait en 2010 le sikhisme à la cinquième place des grandes religions en termes d’adhérents, avec environ 27 millions de pratiquants, soit environ 0.38% de la population mondiale (devant le judaïsme avec 0.22%). D’après Manjit Singh, l’aumônier sikh de l’Université McGill, les principaux piliers du sikhisme sont les suivants: la croyance en un dieu unique, l’égalité entre tous, le partage (via l’institution du langar par exemple) et l’entraide au sein de la communauté (via seva). Ces principes se sont élevés en partie en réponse au système de castes hindoues toujours prévalent en Inde aujourd’hui, selon lequel quelqu’un d’une certaine caste n’est pas censé partager un repas ou entreprendre une relation de confiance avec quelqu’un d’une caste inférieure. À la racine de cette idée se trouve le principe de statut inné: le statut d’un hindou dépend de la famille dans laquelle il est né. La religion sikhe, en revanche, est une religion où le statut de quelqu’un est acquis, pas inné: elle place l’emphase sur les gestes, les actions menés par la personne, plutôt que le foyer dans lequel elle est née. Les principes de partage et d’égalité se retrouvent de façon évidente dans l’institution du langar, c’est-à-dire la cuisine communautaire gratuite, dans laquelle tous sont les bienvenus, indépendamment de leur religion, ethnie ou classe sociale. Le langar permet aux milieux les moins aisés d’avoir accès à une alimentation saine et gratuite, dans un lieu où ils peuvent rencontrer des gens de différents milieux, favorisant donc la mixité sociale. Si cela paraît presque normal, ici à Montréal ou au Canada de façon générale, il faut encore une fois se souvenir du contexte de hiérarchie omniprésente duquel le langar a émergé pour bien comprendre le caractère innovant du sikhisme. Tout aussi innovant, voire davantage, et partant du même principe d’égalité, est l’égalité entre les sexes, prônée dès les débuts du sikhisme par Guru Nanak. En effet, dérivant de l’idée que chacun naît égal à l’autre, vient l’idée d’égalité entre les hommes et les femmes. Le fait d’être né en tant que l’un ou l’autre est aussi peu pertinent que la classe sociale, d’après les enseignements sikhs. C’est, d’après Ishan Singh, l’une des raisons
pour lesquelles la mise en application de la Charte des Valeurs est complètement incohérente: «Le PQ, par cette charte, dit qu’il veut renforcer l’égalité entre les hommes et les femmes. Mais en réalité, quand on se fait
servir par un agent de la fonction publique qui porte un turban – et qui est donc sikh – on a, d’une certaine manière, une sorte de garantie que cette personne a des valeurs égalitaires en ce qui concerne les hommes et les femmes!» Un peu ironique, en effet. De la même façon, l’un des autres piliers du sikhisme, et qui englobe les deux précédents, est le principe de seva, ou de service désintéressé. D’ailleurs, c’est autour de ce thème que Gurnikki Kaura Bindra, de la SSA, souhaite faire tourner la plupart des activités de l’association. Pour elle, c’est une des idées les plus importantes associées au sikhisme. «Nous sommes en phase de prise de contact avec des associations, dans le cadre de l’accomplissement de seva, des
SOCIÉTÉ
l’ostentation discrète. associations de différents genres. Tout ce qui nous importe, c’est d’aider la communauté. Une des membres de l’association est aussi très motivée pour aider les familles victimes des émeutes anti-sikhs de 1984 en Inde».
Romain Hainaut
Moment grave mais significatif pour la communauté sikhe, l’année 1984 représente l’année où des séries de violence à l’égard des sikhs ont éclaté suite à l’assassinat de la première ministre Indira Gandhi, par son garde du corps sikh. Mais seva s’applique à la société au sens large, elle ne se limite pas aux sikhs, puisque, comme l’a expliqué Ishan Singh, «La VQ des Sikhs a pour projet de visiter différents foyers pour sans-abri fin novembre et d’y mettre en place des langar, à l’occasion de l’anniversaire du premier guru, Guru Nanak». Discrimination et turban Si les sikhs sont aussi discrets et motivés par de bonnes intentions, ils sont pour-
tant la cible de discrimination. Au Québec, de par leur nombre aussi faible, les cas sont rares, mais aux États-Unis ou dans plusieurs pays d’Asie ont été répertoriés des cas de harcèlement. Dans la religion sikhe, il est de coutume de ne pas couper ses cheveux, ou même de ne pas raser de poils, en signe de respect pour le corps que dieu a donné à chacun. Dans plusieurs pays dont les États-Unis, des cas de retrait forcé du turban et de coupe des cheveux des sikhs ont eu lieu. Il y a seulement un an, en août 2012, une fusillade s’est même produite à Oak Creek, dans l’état du Wisconsin, dans une Gurdwara, lieu de culte sikh; elle a fait 6 morts et 4 blessés. Commentant l’information, Gurnikki explique que «la fusillade a eu lieu car le tireur pensait qu’il entrait dans un lieu de culte musulman. Mais ça ne change rien à l’horreur de la chose. Au moment des événements, tout le monde s’est concentré sur le fait qu’il s’était “trompé, mais tout ce que cela veut dire, c’est qu’il y a toujours trop de discrimination basée simplement sur l’apparence, quelle que soit la communauté visée». Mais d’après elle, la situation est moins alarmante au Canada, en tous cas pour l’instant. La discrimination pourrait prendre une autre forme, en revanche. Il y a seulement quelques mois, en juin 2013, la Fédération de soccer du Québec (FSQ) avait interdit le port du turban sur les terrains de soccer québécois. Après quelques discussions avec la Fédération Internationale de Football Association (FIFA), l’interdiction a fini par être levée. Mais c’est tout de même suite à cela que l’association la VQ des Sikhs, dont Ishan Singh est le président, a vu le jour. En entrevue Skype avec Le Délit, il explique: «jusquelà, il n’existait aucun organisme pour protéger les intérêts des sikhs et pour expliquer aux non-sikhs ce qu’est le sikhisme. […] Si les gens en savent aussi peu sur notre religion, c’est surtout de notre faute, à nous les sikhs, nous ne les informons pas autant que nous le devrions. Je suis persuadé que s’ils en savaient plus, il y aurait moins d’appréhension dans le regard des gens lorsqu’ils voient un turban». Parce que le problème est là. Quand on voit un turban, ce «signe ostentatoire», on voit l’inconnu. On voit quelque chose qu’on ne connaît pas, qu’on ne comprend pas. Et c’est bien connu, on a peur de l’inconnu. Alors on a peur du turban. Alors on a peur des sikhs. Alors, soudain, on ne veut plus de sikhs dans le service public. Escalade trop pentue et conclusions très rapides, pourrait-on dire. Peut-être qu’il est temps de leur poser la question, à eux,
du coup. Le Délit a demandé à l’aumônier Manjit Singh pourquoi les sikhs portaient un turban, et voici la réponse qu’il a donnée: «dans notre religion, nous ne coupons pas nos cheveux. Alors même nous les hommes avons les cheveux très longs. Le turban est une meilleure manière de les protéger que de les laisser, détachés, comme des hippies! De plus, dans la tradition orientale, de la Turquie à l’Inde, il était de coutume qu’un homme porte un turban, de la même façon qu’il était usuel pour un Européen de porter un chapeau. Cela fait donc partie de notre tradition. C’est tout.» Gurnikki ajoute que certaines femmes aussi choisissent de porter le turban, si elles considèrent cela plus pratique ou plus esthétique. Si l’explication est on-ne-peut-plus rationnelle et presque étonnante par sa simplicité, Ishan Singh, de la VQ des sikhs, rappelle tout de même l’importance du turban pour les pratiquants: «le turban n’est pas seulement un symbole, c’est une partie intégrante de qui on est. Le turban contribue à notre identité, comme notre travail. [C’est pourquoi] nous forcer à l’enlever, c’est une exclusion absolue et totale, pour les sikhs [hommes comme femmes, ndlr], d’un grand nombre de postes.» Une part du mystère vient d’être dévoilée. Mais il reste encore beaucoup à faire, afin de faire connaître le sikhisme à suffisamment de monde, et aux bonnes personnes, pour faire cesser toute sorte de discrimination. C’est le mandat de la VQ des sikhs, mais aussi de la SSA, qui organisera fin novembre une journée de nouage de turban (turban-tying day) sur le campus, afin de sensibiliser les étudiants à la religion sikhe. Peut-être que cela participera également à «casser le mythe», comme on dit. Heureusement le tableau n’est pas tout noir pour les Sikhs du Québec. La Charte des Valeurs Québécoises reçoit un accueil plus que mitigé, surtout dans la communauté montréalaise, ce qui montre un soutien important des Québécois à la cause de personnes qui ne sont pas forcément de leur confession. Le même phénomène a lieu au sein de l’université, comme l’explique Gurdeepak Singh, un élève de quatrième année en ingénierie: «être sikh à McGill est certainement intéressant. Puisque nous sommes aussi peu, et car nous sommes confrontés à des étudiants de tellement de milieux différents, ça me fait réfléchir à pourquoi est-ce que je suis sikh, et ce que ça m’apporte.» Les brochures de McGill ne mentent pas toujours, alors: la diversité a du bon, pour le développement personnel. Tant que celle-ci n’est pas entravée par des lois qui l’écrasent.x Romain Hainaut
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Thomas Simonneau
PROSE D’IDEES
Schizophrénie identitaire Disney on Ice au Centre Bell.
Philippe Robichaud
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’équipe était fin prête, tout de blanc vêtue; une trentaine de proto-domestiques prêts à servir, à l’aube du déploiement, comme autant de soldats dans une guerre sans arme ni ennemi. Il ne s’agit pas de la troupe de champions olympiques manqués convertis en patineurs de foire attendant de reproduire pour la énième fois en tournée mondiale la «magie» d’une salle de bal dans La Belle et la Bête. Les braves fantassins carnavalesques dont il est question ici sont les traducteurs, requis par l’Office Québécois de la Langue Française (OQLF), ayant pour devoir d’accompagner la myriade de vendeurs de Disney memorabilia, de popcorn et de cotton candy – employés américains de Disney qui voyagent avec le spectacle – afin de s’assurer qu’ils offrent plutôt des souvenirs Disney, du maïs soufflé et de la barbe à papa. Et par «traducteur», il est entendu qu’on ne parle pas de membres de l’Ordre des traducteurs, terminologues et interprètes agréés du Québec (OTTIAQ). C’est plutôt une belle trentaine d’étudiants en tout et n’importe quoi, dont plusieurs ne sont qu’à peine bilingues, tous légitimement avides du sou facile à faire. Ce petit régiment de sous-officiers cagnards trouve sa raison d’être dans une de ces jolies chartes identitaires que le Parti Québécois se complait à bien confectionner au lieu de parler des choses «vraies» comme le cash. En effet, si Walt Disney doit à Camille Laurin le privilège de devoir payer une kyrielle d’employés supplémentaires lors de ses tournées au Québec, c’est grâce à la Charte de la langue française de 1977 qui stipule, chapitre 2, article 5, que: «Les consommateurs de biens ou de services ont le droit d’être informés et servis en français.» De là à s’étendre sur les nuances légales qui existent entre «ont le droit de» et «doivent inévitablement se faire offrir l’option de sous peine de sanction par des officiers de l’OQLF», c’est un autre débat. Imaginez-vous le scénario suivant. Jamal est un vendeur de barbe à papa vif et loquace, un libanais émigré au States dans
les années 1970 et résident en Floride depuis, travaillant pour Disney par tournées de neuf mois, récoltant en moyenne 70 000 dollars à chaque tournée par l’entremise d’un boulot majoritairement sur commission. Mi-tournée, il débarque à Montréal, QC, ville francophone - à ce qu’il en a entendu dire - pleine de frogs et de (prononcez à l’américaine) ces-belles-femmes-françaises-haha ! Son milieu de travail, c’est un méga-stade à peu près comme tous les autres qu’il côtoie. C’est un bâtiment serti à la fois de téléviseurs plasma faisant jouer toutes les filiales du réseau TSN («Ah, çay droll, they call it RDS here!»), de vendeurs de Coors Light, de bretzels et de hot-dogs. On lui apprend que ce soir, il devra se faire suivre lors de son arpentage habituel des rangées par un étudiant de secondaire afin de traduire en français, dans le besoin, tout ce qu’il dit. «Cause that’s just how they do it here in Québec». Haussant les épaules, il s’affaire tout de même à son métier avec autant de bonhommie qu’il peut mobiliser, suivi de sa nouvelle ombre boutonneuse. Jamal est on ne peut plus habile à son métier. La compétitivité néolibérale l’a finement acéré. Il balaie d’un coup d’œil la foule et repère avec un œil de lynx les clients désireux pour ensuite s’élancer vers eux tel un pygargue à tête blanche de la liberté («bald headed eagle of Freedom») afin d’échanger une confiserie au sirop de maïs à haute teneur en fructose et gonflée à l’air contre douze beaux huards. Évidemment, son allié pré-CEGEPien est moins expérimenté. En essayant de ne pas se fouler la cheville dans les marches abruptes du stade, il n’arrive pas à suivre le vendeur. Ce qui le rend incommode pour le véritable félin qu’est Jamal. L’employé de Disney finit par l’avoir dans les jambes, ce petit. D’ailleurs, Jamal a bien mémorisé le mot «douze». Même lorsqu’il s’approche de Québécois avec un tee-shirt U.S.A. – et oui, ils ne sont pas rares à ce genre d’événement – il leur tend le bonbon ouateux en débitant un «doz» incitatif. Il arrive au traducteur de préciser, d’enrober le laconisme de Jamal, mais le message est toujours compris. Qui plus est, tout le monde dans l’assistance
Le mardi 22 octobre 2013
comprend l’anglais. Ou du moins, assez d’anglais pour bien se retourner, excités, lorsqu’un Mickey en patins les interpelle. Sautant d’un coq figuratif à un âne pertinent, je me permets de citer ici l’écrivain Pierre Nepveu: «Si logiques et rationnels soient-ils, les principes […] qui permettent de justifier la Charte ne sont pas absolus, ils se mesurent aussi à des individus concrets. Et si, au bout du compte, on invoque la nécessaire exemplarité de l’État, on peut alors se demander si l’exemple d’une uniformité de principe est supérieur ou préférable à celui d’une diversité concrète, qui dirait […] au bout du compte, une certaine force tranquille, une certaine confiance en ce que nous sommes et en notre devenir.» La citation en question provient d’une lettre concise adressée au Devoir au sujet de ce qui, lors de l’écriture, s’appelait la Charte de la laïcité. Se rappeler ces mots lors de Disney on Ice m’a fait comme un drôle de vide dans l’estomac. Oui, j’étais l’un de ces traducteurs, et, en suivant mon Jamal tant bien que mal, j’ai ressenti le genre d’angoisse identitaire de quelqu’un qui se sent pogné entre marteau et enclume. Pris entre un «freedom monétaire gras et douillet à-laDisney-Péladeau-Murdoch-EccelstoneGrant et cie.», et un «quasi-proto-fascisme culturel coincé et mal assumé», je me rongeais les ongles en essayant de répondre à la question «J’suis qui là-dedans?». Elle est où, dans ces moments-là, la «certaine force tranquille» et la «certaine confiance en ce que nous sommes»? Forcément, il y a autre chose. Ce serait réducteur de dire que le débat identitaire québécois se joue entre un «mal» et un «moins mal». Quand même, il s’agit peut-être de manger ses croutes de temps en temps en assumant tout bonnement, tout pleinement notre américanité. Qu’on se détache le corset et qu’on s’fasse aller la bédaine un peu. Dans le programme à douze étapes des Alcooliques Anonymes, la première étape c’est «d’admettre notre impuissance face à l’alcool et notre perte de contrôle». Admettons-le qu’on en raffole, des States! Disney on Ice parvient à vendre à quasi-guichet fermé six soirs consécutifs de
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performances au Centre Bell en plein mois d’octobre! Dans Le silence des intellectuels québécois, Marc-Henri Soulet affirme que c’est le journaliste et écrivain Jacques Languirand qui, en 1971, a véritablement lancé le questionnement sur l’américanité avec son texte Le Québec et l’américanité, publié à la fin de sa pièce de théâtre Klondike. Languirand traite de la question «dans la perspective de l’expérience continentale des Canadiens français», de leurs successives migrations, et lève le voile sur «le refoulement que l’Amérique a subi au Canada français». Cachée par les discours, «négligée par une mentalité hermétique, dit-il, l’américanité n’en aurait pas moins constitué une dimension essentielle de la culture canadienne-française et québécoise». D’un autre côté, peut-être est-ce noble d’essayer de résister, en irréductibles gaulois, à une dynamique de melting pot panaméricain avec nos chartes en forme de boucliers. Jean-François Lisée, le ministre des relations internationales et de la francophonie, à la dernière émission de Tout Le Monde en Parle sur Radio-Canada, avançait l’idée qu’un état québécois solidement laïque (et francophone) n’aurait aucun problème à attirer une population «modérée» et progressiste. C’était beau de l’entendre parler; on aurait cru lire Goethe parlant de sa province pédagogique, sauf en mode province identitaire, dans laquelle chacun jouirait des instances idéales pour exprimer son identité propre sans nuire à celle des autres, tout cela au sein d’un Québec indépendant. Ce n’est évidemment pas sans valeur, les belles pensées du genre. J’ai toutefois trouvé la meilleure métaphore pour ce genre de bovarysme politique à Disney on Ice lorsque Jamal offrait une barbe à papa à une jolie petite fille noire déguisée en Blanche Neige. Quoiqu’on en fasse, le champ de bataille de cette querelle identitaire sera toujours celui des «individus concrets», chose qu’on ne peut pas perdre de vue sans créer des situations qui sont, c’est le moins qu’on en puisse dire, d’un ridicule burlesque. x
ARTS&CULTURE
CINÉMA
Oui chef!
Jacques Tati, le monstre de la vie moderne. Baptiste Rinner Le Délit
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our, semble t-il, aucune raison particulière, le Cinéma du Parc organise depuis la fin septembre une rétrospective sur Jacques Tati. Cela peu paraître surprenant vu que Tati, au contraire de Woody Allen –qui a fait l’objet de la dernière rétrospective au Cinéma du Parc- nous a laissé une filmographie faible sur le plan quantitatif: six longs-métrages en tout et pour tout. Toujours est-il qu’il passe deux films de Tati au Cinéma du Parc tous les jours pendant un mois, ce qui veut dire que l’on peut voir Les Vacances de Monsieur Hulot quinze fois, si l’envie nous prend. Les Vacances ne sont pas l’objet de cet article, mais on y consacre un autre film culte de Jacques Tati, Mon Oncle, Prix spécial du Jury à Cannes et Oscar du Meilleur Film Étranger en 1958-59. Jacques Tati y incarne le personnage éponyme, et son personnage fétiche, M. Hulot. Flâneur à ses heures, toutes perdues puisqu’il est sans-emploi, il s’occupe souvent de son neveu, le petit Gérard. Il l’incite à toutes les déviances de la jeunesse, au plus grand désespoir de ses parents, des bourgeois nouveaux riches habitant une somptueuse maison truffées de gagdets et d’électronique en tout genre. À travers l’œil candide d’Hulot, Tati donne à voir le mode de vie bourgeois des Trente Glorieuses, le monde du paraître dont Rousseau faisait déjà la critique, où la consommation ostentatoire fait loi. L’univers
Luce Hyver
de Mon Oncle est édifiant, montre ce que le quotidien rend indicible. Happé par nos occupations, nous laissons passer l’essentiel, la trajectoire de la civilisation. À travers le seul regard de Monsieur Hulot, sans jugement, Tati nous met devant les yeux certaines réali-
tés. Il pose la question des relations humaines à l’heure des relations d’affaires, l’impact du commerce et des réalités économiques et financières sur la communication. La critique de la bourgeoisie est centrée autour du personnage de Monsieur Arpel, le
père de Gérard et le patron de l’entreprise locale. Métaphore des nouvelles techniques de travail développées au cours du XXe siècle, son entreprise symbolise l’individualisme des hommes, notamment dans l’univers du travail, où seule la moquerie de l’ordre - ou du désordre - crée du lien social. Ce personnage capitaliste est très ancré dans les nécessités économiques et dans la société hiérarchisée. Il ne peut tout de même pas recommander son beau-frère Monsieur Hulot au président-directeur général. La réponse de Tati à cette mentalité est simple. Elle ne se situe pas dans la critique directe mais dans l’observation subtile et le désintéressement envers ces impératifs. Son personnage traîne dans le village de SaintMaur-des-Fossés, sur la place du marché, pleine de vie, où les liens commerçants sont encore vecteurs de lien social. Il y est respecté pour ce qu’il est, et n’est pas le produit d’une société industrielle où tout se négocie et se marchande. Cela étant dit, nous pouvons, nous, jouir de notre société matérialiste en allant voir, pour huit dollars et des poussières (tarif étudiant) les deux films les plus connus de Jacques Tati, Les Vacances de Monsieur Hulot et Mon Oncle, et ce jusqu’à jeudi! x Rétrospective Jacques Tati Où: Cinéma du Parc Quand: Jusqu’au 24 octobre Combien: $8,50
CONCERT
Comme à la maison Woodkid comble la foule du Métropolis. Félix-Antoine Marcoux
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oodkid était de retour au Métropolis jeudi dernier dans le cadre de la série de concerts «Jazz à l’année», extension du Festival de Jazz de Montréal. Les attentes étaient élevées après un passage remarqué au mois de juillet dernier. Les spectateurs n’ont pas été déçu. En ouverture, Black Atlass offre une performance honnête, mais leur musique au rythme lourd et langoureux parvient mal à s’imposer à la foule n’attendant que la musique entraînante de Woodkid. Le duo chanteur/DJ arrive d’ailleurs difficilement à occuper la scène encombrée des nombreux instruments qui laissent présager un spectacle autrement plus énergique et envoûtant. L’attente en aura valu le coup. L’écran géant au fond de la scène projette des images de synthèse en tons de gris de l’avancée dans la nef d’une cathédrale gigantesque et les deux percussionnistes battent leurs grosses caisses sur l’arrière-scène surélevée lorsque Woodkid paraît. La fête est lancée. Le chanteur français, qui s’est d’abord fait connaître mondialement
comme réalisateur de vidéoclips, accorde manifestement une attention toute particulière à la scénographie. Aux images projetées sur l’écran et au jeu des faisceaux de lumière blanche s’ajoute la présence imposante des 13 musiciens (trois cuivres, six cordes, deux percussionnistes, un claviériste et un opérateur de console) accompagnant Woodkid. Tant au niveau musical que visuel, ce mini-orchestre permet d’offrir une expérience spectaculaire, la force de l’image complétant celle de la musique. Voir les deux batteurs jouer symétriquement devant les images de paysages rocheux («Golden Age») ou extraterrestres («Conquest of Space») donne une nouvelle dimension quasi-hypnotique à la musique déjà puissante sur album. La foule répond avec exaltation et, en retour, Woodkid semble comblé par l’affection du public. «On se sent toujours à la maison ici», lance-t-il. Ajoutant même: «Vous êtes vraiment plus sympas que les Français!», s’attirant du coup quelques clameurs de spectateurs apparemment français et les vivats des spectateurs montréalais, beaucoup plus sympas (ce n’est pas moi qui le dis, c’est Woodkid!)
Le mardi 22 octobre 2013
Sylvana Tishelman
Les musiciens offrent aussi des intermèdes instrumentaux impressionnants où, encore une fois, les percussionnistes dominent. La foule, animée par un Woodkid énergique, est alors plus que survoltée, sautant et hurlant sans retenue. La meilleure illustration de l’affection mutuelle entre l’artiste et le public survient durant le rappel. Le groupe joue alors «Run Boy Run», dont Woodkid fait entonner avec succès la mélodie de la dernière partie par le public. Puis, le chanteur prenant une courte pause à la fin de
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la chanson pour absorber avec un plaisir perceptible les applaudissements de la foule, celle-ci, refusant de voir le spectacle se terminer là, reprend d’elle-même son chant choral, sous l’incrédulité de l’artiste qui demande alors à ses musiciens de reprendre le morceau pour accompagner la foule déjantée. Le spectacle se clôt par «Iron» en version sextet, comme une façon de se dire «à bientôt» en douceur. Comme quoi, les Français font aussi de bien belles choses sans friser avec l’ostentatoire. x
ARTS&CULTURE LITTÉRATURE
La rue, le livre
Gabriel Nadeau-Dubois publie Tenir tête chez Lux Éditeurs. Gabriel Nadeau-Dubois a été le porte-parole de la Coalition large pour une solidarité syndicale étudiante (CLASSE) jusqu’au 9 août 2012. Association militante regroupant le plus grand nombre d’étudiants pendant la plus longue grève étudiante au Québec, sa structure démocratique complexe a fait de son porte-parole la tête d’attaque et de mépris de certains chroniqueurs et médias; de la même façon qu’elle en a fait un sujet d’admiration. Fort de ses positions politiques, l’auteur a médité son ouvrage, Tenir tête, pendant un an. En entrevue exclusive avec Le Délit, Gabriel Nadeau-Dubois avoue qu’il fallait prendre «le temps de dire», un peu comme si l’écriture, ici nécessaire, était la chute, mieux «le point de rupture» entre le personnel et le politique.
Habib B. Hassoun Le Délit
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aconter est une prise de position sur le réel, sur l’histoire, une prise de contrôle sur soi; et si l’écriture est une fin en elle-même, elle est aussi une recherche, une quête de sens. Tenir tête, publié chez Lux Éditeur par l’ancien porteparole de la Coalition large pour une solidarité sociale étudiante (CLASSE) Gabriel Nadeau-Dubois, incarne ce désir de dire la vérité sur la grève étudiante de 2012. Livre de la mémoire collective, livre de confession personnelle, il est à la fois «essai et récit», selon son auteur. Il pose un regard critique sur la grève, où l’histoire est disséquée page après page, ponctuée d’anecdotes heureuses et malheureuses. Ainsi s’élabore l’écriture de NadeauDubois: «Ma démarche: passer du particulier au général; et c’est comme ça qu’est construit chacun de mes chapitres.» Tenir tête est un livre de démonstrations, d’argumentaires rigoureux dûment validés, ponctué par l’aveu de l’imprévisible, de la vulnérabilité humaine, et de la mémoire. À la page 164, l’auteur s’interrompt et réfléchit à son processus: «Ce travail d’écriture remue des souvenirs douloureux.» Cette douleur de l’écriture, «inévitable» dit-il, est chez lui celle de la prise de distance en tant que porte-parole; douleur qui ne crée pas la paralysie mélancolique ou l’effondrement, mais, au contraire, fait avancer le discours historique en scandant, par leur agencement et leur oscillation, le fait et l’affect. Nadeau-Dubois insiste sur le fait que l’écriture est toujours un moyen de faire passer les positions politiques, de raconter le Québec tel qu’il l’a vu et vécu au printemps 2012.
Cette douleur est aussi celle que se sont partagés bon nombre de militants, quant à certaines injustices encore fortes dans la mémoire collective à la question de la «brutalité policière», l’ambiguïté idéologique du parti dirigeant. À ce propos, Nadeau-Dubois dit qu’encore aujourd’hui «nous sommes dans le refoulement»; les plaies de la résistance guérissent lentement, parce qu’elles jaillissent de questions fondamentales. L’Histoire traverse le texte, de l’attaque à la fermeture. C’est une obsession encore nourrie par une recherche et une quête de sens. «L’Histoire est une bataille, dit-il en se référant au philosophe Walter Benjamin, et la culture est un butin.» Tenir tête est son récit à lui, comme figure marquante du mouvement étudiant, à travers lequel il retourne aux intentions fondamentales de son engagement. «Un retour aux sources», renchéritil, qui s’est effectué au long de la dernière année, quotidiennement, porté, épaulé par l’éditeur. Questionné sur le titre, Gabriel NadeauDubois évoque son ambiguïté: «tenir tête» était ce qui poussait certains à s’engager et d’autres à s’opposer. «C’est une des raisons pour laquelle les gens se sont identifiés à la grève et c’est aussi une des raisons pour laquelle les gens nous ont détestés». À peine une respiration et l’auteur enchaîne sur sa génération qui a fait «sa part de l’Histoire», génération post-mur-de-berlin, post-guerre-froide née et élevée dans le néolibéralisme, essentiellement sans alternative idéologique. Certes, elle n’est pas la génération lyrique de l’essayiste François Ricard, celle des Grands projets et de l’espoir. «En même temps, ce n’est pas de la nostalgie», insistet-il, la Révolution tranquille a ses splendeurs et ses impasses et l’idée n’est pas de «reproduire l’État providence mais de renouveler et de réadapter ses valeurs».
Camille Chabrol
Citant l’ancien ministre du budget Raymond Bachand en introduction, notamment son budget déposé en mars 2010, voulant provoquer une «véritable révolution culturelle» (p.12), l’ex porte-parole confie avec l’ironie qu’on lui connaît que son livre est «une opposition claire au projet révolutionnaire des libéraux». D’ailleurs, il consacre un chapitre pour établir les faits sur deux idées qui ont marqué le discours opposé: la juste part et l’excellence. Avec lyrisme il personnifie la faiblesse morale de ses opposants et écrit: «N’en déplaise aux crapauds qui aiment les eaux mortes des marais et qui craignent les débordements des rivières au printemps, les débats et les conflits politiques, la rue, ne sont pas l’ennemi de la liberté politique, ils en sont l’oxygène.» Écrire le récit d’une lutte, c’est éviter de manière forte l’aliénation, corriger les injustices qui ont été commises, dit-il. D’ailleurs, en ce qui concerne les multiples publications traitant de la grève, et qui peuvent par-
fois trahir l’objectivité, l’auteur loue la multiplicité des points de vue et la diversité de leur forme. L’émancipation culturelle et politique retrouvée dans la grève et transposée dans ce texte lui insuffle quelques envolées lyriques. Ainsi, le dernier chapitre «Tout ça pour ça» s’ouvre sur un exergue de Gaston Miron dans laquelle Nadeau-Dubois se reconnaît et retrouve une vision de la collectivité semblable à la sienne. Or, en plus de Miron, une dizaine d’autres penseurs en référence, en évocation ou en esprit sont présents dans le texte. «C’est un jeu», s’amuse-t-il à dire, où se crée un dialogue entre le texte et l’Histoire et lui confère sa richesse. Échangeant, digressant sur le livre, l’écriture et la politique, l’auteur insiste sur son honnêteté et sa volonté de sincérité totale. Et le livre lui-même est acte politique «parce qu’il continue à construire le récit et la mémoire de la grève». x
Romain Hainaut
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