Le Délit

Page 1

delitfrancais.com Publié par la société des publications du Daily, une association étudiante de l’Université McGill

Le mardi 28 janvier 2014 | Volume 103 Numéro 13

Irrésistiblement francophones depuis 1977


Éditorial

Volume 103 NumĂŠro 13

Le seul journal francophone de l’UniversitÊ McGill

rec@delitfrancais.com

Transparence et universitĂŠ intelligente? Margot Fortin & Camille Gris Roy Le DĂŠlit

L

’affaire des demandes d’accès Ă l’information (AI) Ă McGill semble enfin ĂŞtre arrivĂŠe Ă une conclusion: McGill devra rĂŠpondre aux requĂŞtes. C’est une bataille entre administration et ĂŠtudiants qui aura durĂŠ près d’un an. Pour reprendre rapidement l’histoire dans l’ordre, Ă nouveau: Ă la fin de l’annĂŠe 2012, quatorze ĂŠtudiants dĂŠposent une sĂŠrie de demandes d’AI. Les demandes sont vivement rejetĂŠes par McGill, qui exige de plus que des futures AI puissent ĂŞtre systĂŠmatiquement refusĂŠes par l’UniversitĂŠ. Cette requĂŞte est subsĂŠquemment refusĂŠe par la Commission d’accès Ă l’information du QuĂŠbec en octobre. McGill portera alors la cause en appel. Au final, une entente a ĂŠtĂŠ conclue entre les parties en ce mois de janvier. McGill est priĂŠe de rĂŠpondre aux demandes d’AI. En ĂŠchange, certaines de ces demandes seront abandonnĂŠes. Et l’UniversitĂŠ n’aura en aucun cas le droit de refuser de manière prĂŠemptive des futures demandes comme elle le voulait. Ă€ partir de la fin fĂŠvrier, McGill commencera donc Ă rĂŠvĂŠler des informations, notamment sur le lien entre l’UniversitĂŠ et l’industrie de l’armement, les investissements dans les ĂŠnergies fossiles et la recherche. Pour la libertĂŠ d’expression et d’information Ă McGill, c’est ĂŠvidemment une avancĂŠe dont on ne peut que se fĂŠliciter. C’est surtout la fin d’une longue histoire qui aura traĂŽnĂŠ, et qui n’aura servi qu’à renforcer les tensions entre administration et ĂŠtudiants. Le mot d’ordre de l’annĂŠe 2014 sera-t-il ÂŤtransparenceÂť, mĂŞme si c’est contre le grĂŠ de McGill? UniversitĂŠ intelligente On parle de plus en plus du concept de ÂŤville intelligenteÂť. Cette notion comprend le fait de faciliter l’accès des citoyens Ă l’information, grâce aux nouvelles technologies et formes de communication. Denis Coderre en avait fait l’un des principaux thèmes de sa campagne aux ĂŠlections municipales; il a rĂŠcemment annoncĂŠ qu’un bureau de projet de la ville intelligente serait crĂŠĂŠ Ă MontrĂŠal. C’Êtait ĂŠgalement le sujet de l’un des projets de règlements prĂŠsentĂŠs Ă la simulation du Conseil de ville de MontrĂŠal, cette fin de semaine. Une notion qui fait donc son chemin, et qui pourrait bien aussi s’appli-

2 Éditorial

quer Ă d’autres niveaux, y compris le niveau universitaire. Pourrait-on faire de McGill une ÂŤuniversitĂŠ intelligenteÂť? Les affaires comme celles des AI montrent que l’UniversitĂŠ a un devoir d’informer et de rĂŠpondre au dĂŠsir d’information de la communautĂŠ mcgilloise. De plus, la principale Suzanne Fortier a rĂŠpĂŠtĂŠ Ă maintes reprises qu’elle allait, au cours de son mandat, miser sur la transparence. Ainsi, s’il y a devoir et peutĂŞtre de plus en plus une rĂŠelle volontĂŠ de la part de McGill de faire des efforts Ă ce niveau, pourquoi ne pas investir dans ce concept ÂŤd’institution intelligenteÂť? McGill aurait tout Ă gagner (du temps, de l’argent, de la crĂŠdibilitĂŠ) en mettant en place des plateformes interactives qui faciliteraient l’accès de tous Ă l’information. L’histoire des AI semble montrer qu’on est Ă McGill dans un cercle vicieux. En s’obstinant Ă maintenir la communautĂŠ universitaire dans l’ombre quant Ă certains de ses choix budgĂŠtaires par exemple, l’administration perpĂŠtue elle-mĂŞme un sentiment de mĂŠfiance gĂŠnĂŠralisĂŠe chez les ĂŠtudiants qui, Ă son tour, engendre de nouvelles demandes d’accès. Alors que l’administration dĂŠnonce l’ampleur des frais qu’elle doit engager pour rĂŠpondre Ă des demandes d’accès Ă l’information, le fait d’intĂŠgrer plus de transparence Ă sa culture institutionnelle pourrait ĂŠviter bien des dĂŠpenses (et des maux de tĂŞte) Ă l’administration sur le long terme. En tirant profit des nouvelles technologies et en se modernisant, l’UniversitĂŠ pourrait ĂŠtablir une plateforme sur laquelle elle mettrait ses donnĂŠes Ă la portĂŠe de tous. Chacun pourrait alors y chercher l’information qu’il veut. MontrĂŠal et le gouvernement du QuĂŠbec commencent concrètement Ă en faire l’expĂŠrience, avec l’adoption rĂŠcente de la formule du ÂŤPortail de donnĂŠes ouvertesÂť, un outil interactif qui permet aux citoyens d’accĂŠder directement Ă une foule de statistiques diverses prĂŠsentĂŠes sous une forme qui favorise la recherche, le croisement de donnĂŠes et la crĂŠation d’applications interactives. Un portail de donnĂŠes ouvertes Ă McGill pourrait alors contribuer Ă augmenter la confiance des ĂŠtudiants envers l’administration. Le mouvement des donnĂŠes ouvertes fait de plus en plus d’adeptes et il deviendra de plus en plus inĂŠvitable pour les grandes institutions de s’en prĂŠvaloir. Il y a dĂŠjĂ quelquelques efforts faits par l'universitĂŠ, mais on attend la suite.[

RÉDACTION 3480 SVF .D5BWJTI CVSFBV #t MontrĂŠal (QuĂŠbec) H3A 1X9 TĂŠlĂŠphone : +1 514 398-6784 TĂŠlĂŠcopieur : +1 514 398-8318 RĂŠdactrice en chef rec@delitfrancais.com Camille Gris Roy ActualitĂŠs actualites@delitfrancais.com Alexandra Nadeau StĂŠphany Laperrière LĂŠo Arcay Arts&Culture artsculture@delitfrancais.com Thomas Simonneau Joseph Boju SociĂŠtĂŠ societe@delitfrancais.com CĂ´me de Grandmaison Coordonnateur de la production production@delitfrancais.com ThĂŠo Bourgery Coordonnateurs visuel visuel@delitfrancais.com Photo: CĂŠcile Amiot Illustration: Romain Hainaut Coordonnatrices de la correction correction@delitfrancais.com Claire Launay Anne Pouzargues Webmestre web@delitfrancais.com Mathieu MĂŠnard Coordonnatrice des rĂŠseaux sociaux rĂŠso@delitfrancais.com Margot Fortin Collaborateurs Nelu Barca, LĂŠa BĂŠgis, Antoine S. Christin, Gabriel Cholette, Sophie Chauvet, Maxime CĂ´tĂŠ, Noor Daldoul, Any-Pier Dionne, Gwenn Duval , AurĂŠlie Garnier, AurĂŠlie LanctĂ´t, Annick Lavogiez, Esther Perrin Tabarly, ValĂŠrie Remise , Yves Renaud, Baptiste Rinner, Philippe Robichaud, ChloĂŠ Roset. Couverture Image: Romain Hainaut Montage: Romain Hainaut BUREAU PUBLICITAIRE 3480 SVF .D5BWJTI CVSFBV #t MontrĂŠal (QuĂŠbec) H3A 1X9 TĂŠlĂŠphone : +1 514 398-6790 TĂŠlĂŠcopieur : +1 514 398-8318 ads@dailypublications.org PublicitĂŠ et direction gĂŠnĂŠrale Boris Shedov ReprĂŠsentante en ventes Letty Matteo Photocomposition Mathieu MĂŠnard, Lauriane Giroux, Geneviève Robert The McGill Daily coordinating@mcgilldaily.com Anqi Zhang

Conseil d’administration de la SociÊtÊ des publications du Daily (SPD) Queen Arsem-O’Malley, Amina Batryeva, ThÊo Bourgery, Jacqueline Brandon, Hera Chan, Benjamin Elgie, Camille Gris Roy, Boris Shedov, Samantha Shier, Juan Camilo Velzquez Buritica, Anqi Zhang L’usage du masculin dans les pages du DÊlit vise à allÊger le texte et ne se veut nullement discriminatoire.

Les opinions exprimĂŠes dans ces pages ne reflètent pas nĂŠcessairement celles de l’UniversitĂŠ McGill.

Le DÊlit *44/ FTU QVCMJ� MB QMVQBSU EFT NBSEJT QBS MB SociÊtÊ des publications du Daily (SPD). Il encourage la reproduction de ses articles originaux à condition d’en mentionner la source (sauf dans le cas d’articles et d’illustrations dont les droits avant ÊtÊ auparavent rÊservÊs, incluant les articles de la CUP). L’Êquipe du DÊlit n’endosse pas nÊcessairement les produits dont la publicitÊ paraÎt dans ce journal.ImprimÊ sur du papier recyclÊ format tabloïde par Imprimeries Transcontinental Transmag, Anjou (QuÊbec). Le DÊlit est membre fondateur de la Canadian University Press (CUP) et du Carrefour international de la presse universitaire francophone (CIPUF).

[ le dÊlit ¡ le mardi 28 janvier 2014¡ delitfrancais.com


CAMPUS

Sénat de McGill Étudiants autochtones et rapport d’inscription.

BALLET JAZZ MODERNE À quelques pas de danse de McGill

Ballet Divertimento École Centre chorégraphique

www.balletdivertimento.com

3505, rue Durocher (coin Milton) danse@balletdivertimento.com 514 285-2157

Aux étudiantes et étudiants de premier cycle en arts et sciences qui envisagent de poursuivre leurs études r Mettre en pratique vos connaissances en sciences humaines, sciences sociales ou sciences de la vie? r Aider individus et familles à gérer des crises touchant leur santé? r Assumer un rôle de leadership pour aider les communautés à améliorer la santé de leurs populations? r Mettre en œuvre de nouvelles orientations au sein du système de santé? McGill e cycle qui pourrait s’avérer être une excellente option pour vous! en arts et sciences.... aucune expérience requise dans le domaine de la santé. Il s’agit d’un programme unique en son genre au Canada.

Cécile Amiot & Romain Hainaut / Le Délit Cécile Amiot Le Délit

L

es sénatrices et sénateurs de McGill se sont rencontrés le mercredi 22 janvier, sous la présidence de la principale et vice-chancelière Suzanne Fortier. Les 107 membres du Sénat représentent les différents corps de l’université, tels que les professeurs, le personnel administratif, les étudiants et les membres du Conseil des gouverneurs. La séance a commencé par des questions à propos du soutien des autochtones et leur accès à McGill. Ensuite, deux motions concernant la révision des régulations en rapport avec le travail des groupes et du personnel de titularisation et le rapport du comité des politiques académiques ont été votées, suivies de cinq propositions qui ont été présentées et soumises à des questions. Étudiants d’origine autochtone Les questions de la sénatrice étudiante Claire Stewart-Kanigan portaient d’une part sur l’accueil et le soutien des étudiants autochtones sur le campus et, d’autre part, sur le fonctionnement et le développement du programme «Indigenous Access McGill» (IAM). Ce programme soutient les étudiants d’origine autochtone dans leur droit d’entrée à McGill et dans leur intégration dans tous les programmes de l’université, tels que l’assistance sociale, les soins infirmiers, ou encore l’ergothérapie. L’aide vient notamment sous forme de la création d’une équipe de conseillers et la mise en place d’autres positions administratives clés dans le développement et la promotion d’initiatives liées

à la communauté autochtone à McGill. Ceci étant dit, le projet doit toujours faire face à des problèmes liés au financement de ce programme et des personnes y prenant part, le financement étant largement dépendant des décisions prises par l’université par rapport à ses priorités budgétaires. Ainsi, la recherche d’un support financier plus important et complet est toujours d’actualité afin d’assurer le bon fonctionnement du programme, ainsi que pour accompagner l’augmentation souhaitée du nombre de demandes d’inscription des étudiants de cette communauté sous-représentée à McGill. Deux motions approuvées Quelques changements d’ordre mineur ont été proposés concernant en particulier les dates de remise des dossiers des candidats qui veulent faire partie du «Departmental Tenure Committee» (DTC) -responsable de choisir les professeurs éligibles à un contrat à durée indéterminée- et de la publication des membres du DTC dans le but de donner plus de temps aux membres pour accéder à et étudier ces dossiers. D’autres changements ont aussi été apportés concernant le fait que le candidat soit informé directement des raisons ayant mené à une décision négative sur sa titularisation au lieu d’avoir à les demander après avoir pris connaissance de cette décision. La professeure Lydia White, qui siège en tant que représentante élue de la Faculté des Arts, précise que ces changements «permettent simplement d’avancer, d’obtenir les choses dans le bon ordre», ainsi que de

[ le délit · le mardi 28 janvier 2014 · delitfrancais.com

clarifier d’autres points. Malgré une certaine réserve exprimée par certains sénateurs, notamment le sénateur et professeur en sciences Graham Bell pointant du doigt un conflit d’intérêt et d’action dans certaines démarches, les modifications ont été approuvées par la majorité, avec seulement deux votes contre. La deuxième proposition du comité de politique académique a été approuvée à l’unanimité. Rapport des inscriptions Le rapport annuel des inscriptions présenté par Kathleen Massey, registraire et directrice exécutive en charge de la gestion de l’effectif étudiant de McGill, met l’accent sur l’ajustement du nombre d’étudiants de premier cycle et de deuxième et troisième cycle, ainsi que sur le soutien financier de ces étudiants. Ce dernier point concerne autant le souci d’assurer le soutien financier nécessaire aux étudiants d’excellence que le désir de concurrencer l’Ontario dont le gouvernement provincial fournit un budget plus important à un plus grand nombre de familles pour l’accès aux études post-secondaires. Les séances du Sénat, également diffusées sur Internet, sont ouvertes à tous les membres de la communauté de McGill. La prochaine rencontre du Sénat aura lieu le 19 février et inclura des décisions à propos de mises à jour sur les «Massive Open Online Courses» (MOOCS) et les technologies d’informations et de communications, ainsi que la présentation d’une stratégie durable pour 2020. [

carrières dans tous les secteurs du vaste domaine de la santé. En fait, ce type d’études supérieures ouvrent tout un éventail de possibilités professionnelles dans un domaine en pleine expansion. Informez-vous! POUR PLUS DE RENSEIGNEMENT, y compris les conditions d’admission, visitez notre site Web au www.mcgill.ca/nursing/programs/msca-direct-entry admincoord.nursing@mcgill.ca. à même les choix de cours optionnels dans la plupart des programmes de premier cycle. Nous invitons particulièrement les étudiantes et les étudiants qui commencent leur B.A. ou leur B.Sc. à communiquer avec nous pour plus d’information sur la façon de procéder.

Pour de plus amples détails sur le programme, il y aura une Une collation sera servie.

Vous voulez afficher des publicites dans nos journaux? Le Délit et The Daily offrent aux clients de McGill et de l’AÉUM une réduction de 20% sur tous les nouveaux placements publicitaires dans les journaux ou sur le web!

Jusqu'au 28 fevrier 2014! Consultez nos sites web

delitfrancais.com mcgilldaily.com ou appelez nous au 514-398-6790 pour avoir plus d’informations.

Actualités

3


CAMPUS

Restructuration à la Faculté des Arts L’administration s’attarde sur les inquiétudes des étudiants et des employés. Margot Fortin Le Délit

É

tudiants et employés de la Faculté des Arts étaient conviés le mercredi 22 janvier à une soirée d’information de type «Town Hall» dans le but de répondre aux inquiétudes de la communauté concernant le projet People, Processes and Partnerships (PPP), soit la restructuration administrative des départements de la Faculté. Le doyen, Christopher Manfredi, et les vices-doyennes, Gillian LaneMercier et Lucyna Lach, se sont présentés devant les membres de la communauté universitaire à l’invitation de l’Association étudiante de la Faculté des Arts (AÉFA) et ont engagé un dialogue avec la trentaine de personnes présentes pour l’occasion. Bien que le projet de restructuration des départements de la Faculté des Arts soit dans l’air depuis novembre 2012, la distraction provoquée par le printemps étudiant ainsi qu’une sérieuse mobilisation des employés et des étudiants ont contribué à retarder le projet et à en altérer considérablement le contenu. Rappelons qu’en vertu des coupures budgétaires qui ont affecté l’Université au cours des derniers mois, l’administration s’est vue contrainte de ne réengager qu’un employé pour deux départs à la retraite. En conséquence, l’administration de la Faculté des Arts doit composer avec un effectif réduit. Ces départs à la retraite ont aussi causé des pénuries de personnel dont l’ampleur varie d’un département à l’autre, ce qui a pour effet d’augmenter indûment la charge de travail des employés de certains départements. Pour illustrer cette problématique, Christopher Manfredi a affirmé aux personnes présentes à la rencontre que depuis les derniers départs à la retraite, le ratio employé/étudiant est maintenant à un employé pour 250 étudiants au département d’économie, tandis que, à titre d’exemple, celui du département d’études juives est actuellement d’un employé pour

58 étudiants. Selon le doyen, c’est entre autres pour pallier à cette situation inéquitable que l’administration a entrepris cette restructuration départementale. Perte d’expertise Or, la mise en place de cette restructuration nécessite de certains employés qu’ils travaillent au sein de différents départements à la fois. Lors de la consultation, une employée du département de philosophie a tenu à exprimer ses inquiétudes face à cette situation, insistant sur le fait que les employés de chaque département de la Faculté des Arts ont acquis, au fil du temps, une expertise spécialisée par rapport à leur département, à sa culture institutionnelle et aux besoins particuliers de ses étudiants. Le doyen Manfredi a répondu à cette intervenante que les employés seront parfaitement en mesure de se transmettre cette expertise spécialisée entre eux. En novembre 2013, le Conseil de l’AÉFA s’était prononcé contre une motion visant à dénoncer le projet de PPP. Par la suite, il avait été décidé que l’AÉFA allait s’en tenir à informer ses membres des développements de la restructuration administrative. Son Président Justin Fletcher a d’ailleurs confirmé au Délit que la consultation de la semaine dernière s’inscrivait dans le cadre de cet engagement. Pour sa part, le secrétaire général de l’Association étudiante des cycles supérieurs de l’Université McGill (AECSUM), Jonathan Mooney, affirmait récemment au McGill Daily que les activités de consultations du public concernant le projet «PPP», telles que celle qui s’est tenue la semaine dernière, reflètent une attitude plus réactive que proactive de la part de l’administration, une accusation dont le doyen se défend bien. En entrevue avec Le Délit, Manfredi a réitéré son intention d’accorder une importance particulière à l’avis des membres de la communauté: «j’apprécie toujours l’opportunité d’échanger de manière constructive avec la communauté

Cécile Amiot / Le Délit pour expliquer les actions que nous entreprenons pour répondre à des défis auxquels nous faisons face collectivement.» Par ailleurs, le doyen a reconnu que c’est une activité de consultation du public du même type tenue en mars 2013 qui avait convaincu l’administration d’abandonner le projet initial de restructuration. Celui-ci prévoyait le déménagement de nombreux départements dans l’édifice Leacock. Depuis les tous premiers balbutiements du projet de restructuration en novembre 2012, celui-ci a suscité un profond mécontentement chez de nombreux étudiants et employés de la Faculté. La création du groupe Save Our Staff McGill (SOS McGill) par des étudiants qui se disent «contre la centralisation du personnel de soutien académique» a aussi favorisé une mobilisation soutenue de la communauté universitaire contre le projet PPP. En filigrane de cette opposition se cache d’abord la crainte de perdre le sentiment de proximité qu’ont les étudiants lorsqu’ils se présentent dans leur département. Lors de la rencontre de la semaine dernière, un intervenant mentionnait ainsi

qu’une personne de son entourage lui avait confié avoir apprécié son expérience à McGill en raison de ce service personnalisé, alors que cette même personne avait souffert de l’absence de cette proximité durant son passage dans une autre université canadienne. Au-delà de cette inquiétude, il convient de mentionner que la mobilisation s’articule également autour d’un inconfort général par rapport à la mesure néolibérale d’austérité qui sous-tend la reconfiguration administrative de la Faculté des Arts, comme en fait foi la lettre publiée dans le McGill Daily par SOS McGill intitulée Get informed, take action! (Informez-vous, agissez!, ndlr). Celle-ci rappelle que la première victime de l’austérité en milieu universitaire est l’éducation elle-même. Dans un commentaire publié dans le même journal en réponse à cette lettre, le doyen de la Faculté des Arts, Christopher Manfredi, s’est pour sa part montré étonné par cette mobilisation: «les employés de la Faculté des Arts ont le talent et la capacité de relever ce défi. Je suis surpris que qui que ce soit voit les choses différemment». [

Semaine de la souveraineté Pierre Duchesne s’exprime sur la souveraineté à l’UdeM. Antoine S. Christin

D

ans le cadre de la «Semaine de la souveraineté», organisée par le Mouvement des Étudiants Souverainistes de l’Université de Montréal (MÉSUM), Pierre Duchesne, ministre péquiste de l’Enseignement supérieur, de la Recherche, de la Science et de la Technologie, est venu le 23 janvier donner une conférence au pavillon Jean-Brillant de l’UdeM. Cette conférence, organisée en collaboration avec l’Association des jeunes péquistes de l’Université de Montréal, avait pour thème la souveraineté du Québec. Le ministre a amorcé son allocution en demandant aux gens d’allégeance souverainiste de lever la main. La grande majorité de la salle s’est manifestée, et seulement une dizaine de personnes ont par la suite levé la main lorsque Pierre Duchesne

4 Actualités

a demandé qui ne savait pas vraiment quoi penser de l’indépendance. C’est donc devant un auditoire convaincu d’avance que le Ministre a commencé son discours. «Dans la structure politique du Canada, on ne se reconnaît pas […], nous sommes des minoritaires dans ce Canada», a-t-il commencé par dire. Après un léger survol historique sur la conquête britannique et le passé colonial du Québec, il a rappelé que, depuis les années 2000, les partis gouvernementaux fédéraux n’ont plus besoin d’un appui électoral fort de la part des Québécois pour être élus majoritairement. L’exemple du Parti conservateur, élu majoritaire avec seulement cinq députés au Québec, a été donné. Le Ministre a exprimé son indignation par rapport au fait que le gouvernement fédéral soit notamment responsable des aéroports, des ports et des voies ferrées du Québec, alors qu’un gouvernement

québécois serait tout à fait capable de s’en occuper selon lui. L’ingérence du fédéral dans les champs de compétences provinciaux, comme le litige sur la destruction du registre des armes à feu, les désaccords quant à la reconstruction du pont Champlain et le doublement des dépenses militaires ont aussi été abordés. Souveraineté et éducation Pierre Duchesne a critiqué le programme d’éducation internationale mis sur pied par le ministre fédéral du Commerce international, Ed Fast, qui vise à multiplier par deux le nombre d’étudiants étrangers au Canada: 450 000 nouveaux étudiants étrangers seraient accueillis d’ici 2022. Il a rappelé que l’éducation est une compétence provinciale et que le Québec, par son statut linguistique unique en Amérique du Nord, doit avoir

son mot à dire et doit pouvoir choisir luimême ses étudiants à l’étranger. La conférence s’est terminée sur des questions de l’auditoire. À la question d’un étudiant en science politique qui désirait savoir ce qu’entendait faire concrètement le Parti québécois pour promouvoir l’indépendance, le Ministre est resté vague et a affirmé qu’il faut au Parti québécois une majorité à l’Assemblée nationale afin de pouvoir agir activement sur ce front. À une question sur le fait que la Charte des valeurs contreviendrait à la Charte des droits et libertés du Québec, le Ministre est resté tout aussi vague, et a dit qu’il faudrait attendre la fin des travaux sur la charte pour se prononcer. La Semaine de la souveraineté se poursuit dans les prochains jours. Gilles Duceppe viendra donner une conférence aujourd’hui mardi à 11h40 au local B-0245 du pavillon Jean-Brillant de l’UdeM. [

[ le délit · le mardi 28 janvier 2014 · delitfrancais.com


ÉDUCATION

Réapprendre l’éducation Le Délit rencontre Norman Cornett, ex-professeur atypique de McGill. Esther Perrin Tabarly Le Délit

N

orman Cornett, spécialiste en histoire des religions, a enseigné à McGill pendant quinze ans avec des méthodes un peu hors du commun. Ses cours étaient en fait des heures de dialogue d’égal à égal entre les étudiants et des artistes, des hommes politiques et d’autres acteurs sociaux importants. D’un jour à l’autre, McGill lui a retiré son poste, sans justification. C’était en 2007. Le jeudi 23 janvier, l’organisme Cinema Politica projetait le documentaire Professeur Norman Cornett, produit par Alanis Obomsawin. «Depuis quand ressent-on l’obligation de répondre correctement au lieu de répondre honnêtement?», demande Cornett. Le documentaire est un récit de ses cours, du souvenir optimiste qu’il a laissé à ses étudiants, et de son procès avec McGill. En entrevue avec Norman Cornett, Le Délit enquête sur ce qu’est l’éducation, et sur ce qu’elle devrait être. Le Délit: Vous avez enseigné à McGill pendant quinze ans. L’université connaissait vos méthodes pédagogiques depuis longtemps. Avez-vous des doutes sur les raisons de votre licenciement? Norman Cornett: Il y a des points importants à souligner. D’abord, l’admi-

mon avis, et je tiens à le dire, le début de toute solution c’est dans l’éducation. Et je dois garder le cap, on ne peut pas tout faire dans la vie: des poursuites judiciaires, bien d’autres choses... Alors, non.

nistration n’a jamais donné aucune raison. Il faut savoir que la loi au Québec exige pour quelqu’un qui a travaillé dans un endroit plus de deux ans, «une raison juste et suffisante» en cas de licenciement. Hors, comme on le voit dans le film, on n’a jamais reçu de justification. C’est la raison pour laquelle McGill a dû me verser une somme d’argent. Quant à la justification, comme en philosophie, on se doit de questionner les suppositions. Ce n’est qu’une supposition que mon enseignement dialogique était la cause. Si c’était en effet le motif, comment se fait-il que j’y aie enseigné pendant quinze ans? Aussi longtemps que McGill n’indique pas la raison, on ne saura pas. Aussi longtemps qu’on n’a pas une réponse, on peut se dire qu’il pourrait y avoir bien d’autres motifs.

LD: Diriez vous que le débat sur l’éducation aujourd’hui est trop axé sur l’argent? NC: Si on aborde la question de l’éducation sous un jour réducteur, tout est question d’argent. On est loin d’avoir résolu le problème. Ce qui apporte le plus à l’étudiant, c’est le dialogue avec lui ou elle en tant que personne. On peut parler tant que l’on veut des chiffres, des statistiques, des subventions, des bourses, mais on a tendance à oublier toute la dimension affective. L’argent dans le débat sur l’éducation, c’est la partie émergée de l’iceberg. Il faut faire une réforme de fond en comble pour humaniser, individualiser l’éducation qui est devenue une affaire d’usine. [...] Il s’agit de favoriser le dialogue dans l’espace public. Se demander: comment est-ce que le citoyen peut prendre part activement à des débats de société?

LD: Êtes-vous encore en procédure judiciaire avec McGill? NC: Je vise l’éducation. Mon but est d’enseigner. Je veux vraiment, dans le peu de temps qu’il me reste, me vouer à 300% à l’éducation. Je dirais même que ma raison d’être maintenant c’est d’enseigner l’enseignement aux enseignants, pour tous les niveaux du système éducatif. Quand je lis les journaux, et qu’on constate de multiples problèmes dans la société actuelle, partout, je me demande où se situe la source des solutions à ces problèmes-là. À

LD: Mais alors comment réforme-t-on le système d’enseignement? Par où commencer? NC: Il nous faut retourner aux sources de l’éducation dans l’histoire de l’Occident: à l’époque médiévale, c’est Bologne la toute première université, puis viennent

La Sorbonne et Oxford. [...] À l’époque, l’université reposait sur trois fondements. Le premier, le sens de communauté: ils étaient franciscains, dominicains, et j’en passe. Dans un sens non religieux, on doit reconstruire des communautés intellectuelles. Le deuxième point saillant était le dialogue intra et intercommunautaire. Comment favoriser cette communication éducative aujourd’hui? Oublions le «grand professeur sur son estrade», ce qu’il faut c’est une table rase: on est tous sur un même pied, pour apprendre les uns des autres. Enfin, les universités reposaient sur la spiritualité, elles étaient toutes affiliées à des ordres religieux. Dans un sens large, c’était une quête spirituelle des plus hautes aspirations de la condition humaine. L’enseignement a pour rôle de donner aux étudiants une idée de ce qu’ils peuvent toucher, faire, devenir. Communautaire, dialogique et spirituelle: ad fontes. Aussi, je me refuse à faire cette discrimination hermétique entre les Arts et les Sciences. Au début, jamais on n’aurait séparé les deux: Da Vinci en est la preuve! Tout se passe en même temps. Il faut retourner à cette vue d’ensemble au lieu de dépecer la condition humaine en vases clos. [...] [ L’entrevue continue! Pour la suite de l’article, consultez le site internet du Délit: www.delitfrancais.com

ATTENTION ÉTUDIANTS!

Nouveaux hébergements de marque en location disponibles dans le coeur du centre-ville de Montréal ! Nous sommes très bien situés à une distance de marche de l'Université McGill et à quelques minutes de l'Université Concordia et de l'UQAM. Pour se déplacer en ville: pas de stress! L’autobus de la STM qui s'arrête à quelques mètres de l'immeuble et la station de métro Place des Arts est à seulement 5 minutes à pied !

Nos impressionnantes commodités sur place comprennent: Trois salons étudiants thématiques distincts - ouverts jour et nuit ! Service de buanderie sur place, avec un salon de détente Salle de jeux 24 heures Toutes les suites sont complètement meublées - tout ce que vous devez apporter sont vos livres ! Prix débutent à 1599 $ par chambre – occupation double débutent à 799 $** Ne ratez pas votre chance de vivre dans la plus belle résidence étudiante - Appelez dès

1 (888) 333-3714 OU VISITEZ-NOUS AU: WWW.PARCCITE.COM

**En location maintenant pour occupation en Mai**


CAMPUS

Droits humains au secours de l’environnement Quel lien y a-t-il entre ces deux enjeux? Léo Arcay Le Délit

L

es groupes Amnistie Internationale McGill, David Suzuki McGill et Divest McGill ont rassemblé quatre experts, le jeudi 23 janvier dans le pavillon Leacock, pour discuter de changements climatiques et de droits humains. Étaient invités Peter Stoett, professeur au département de science politique de l’Université Concordia, Floris Ensink, président de Sierra Club Québec, un organisme environnemental à but non lucratif, Joanna Petrasek-Macdonald, du groupe de recherche d’adaptation aux changements climatiques de l’Université McGill et Katherine Lofts, chercheuse associée du Centre de droit international du développement durable. Ensemble, ils ont essayé d’apporter à leur auditoire des réponses à cette large question: en quoi y a-t-il interaction entre changements climatiques et droits humains? Les aspects politiques, économiques et sociaux de la destruction de l’environnement ont été examinés. Le professeur Stoett évoque la tragédie des biens communs, principe économique selon lequel le conflit des intérêts individuels pour une ressource limitée mène nécessairement à sa surexploitation. Dans le cas de l’utilisation des énergies fossiles, un usage démesuré engendre une importante pollution de l’environnement. Il apparaît selon lui essentiel de légiférer dans ce domaine. Reste à savoir où situer la frontière entre

une limitation raisonnable et des lois coercitives, néfastes aux libertés individuelles. Il ajoute que, par exemple, les problèmes de santé liés à la pollution posent un vrai problème de droit, puisque des individus subissent les conséquences des actes des firmes polluantes. Joanna Petrasek-Macdonald s’intéresse, quant à elle, aux droits des minorités, de plus en plus importants dans le droit international. Elle évoque le cas des Inuits qui sont directement affectés par le changement climatique, car, pour eux, la glace et la neige ont une valeur culturelle. La défense de leurs territoires ancestraux peut être aussi

bien liée à la cause environnementale qu’à celle de la protection des communautés autochtones. Tous sont d’accord pour dire que la volonté politique de s’engager dans ces deux voies n’est rien sans le déploiement de moyens suffisants. Il existe en effet très peu de clauses concernant l’environnement dans le droit international. D’autre part, Katherine Lofts remarque qu’en pratique, les droits sociaux, contrairement aux droits politiques, sont rarement respectés puisqu’il n’existe pas vraiment de dispositifs légaux appropriés. La création de nouvelles lois et de nouveaux mécanismes,

Romain Hainaut / Le Délit

adaptés à chaque situation, est absolument nécessaire pour avoir un impact concret sur la vie des gens. Selon les experts présents lors du panel, il est primordial que le peuple, et notamment les jeunes, exerce une pression politique sur les gouvernements pour encourager ce changement. Enfin, Floris Ensink met l’accent sur les pays du Sud, dont certains, en pleine industrialisation, ne veulent pas qu’on leur ferme la porte du développement polluant à l’occidentale. Il explique la nécessité de programmes écologiques incluant ces pays, sans pour autant endiguer leur essor. À l’échelle universitaire Si Divest McGill a voulu contribuer à la mise en place de cette conférence, c’est pour «montrer l’évidence d’un tort social lié aux changements climatiques», comme l’explique David Summerhays, un des membres de l’organisation. L’implication des droits de l’homme serait donc une arme supplémentaire dans leur lutte pour faire désinvestir l’Université McGill des compagnies productrices d’énergies fossiles. Bien que l’Association Étudiante de l’Université McGill (AÉUM) ait adopté une motion l’engageant à mettre fin à ses propres investissements en février 2013, l’Université elle-même fait toujours barrage. Divest McGill considère que les arguments de l’association ne sont pas assez solides pour envisager une telle décision. Divest McGill espère, grâce à ce panel, établir un lien avec les autres associations avec qui Divest partage les mêmes objectifs, et ainsi augmenter leur influence sur le campus. [

CANADA

Panique en Arctique

Organisation d’un colloque à McGill sur les enjeux juridiques en région Arctique. Chloé Roset & Aurélie Garnier Le Délit

Q

ui a droit aux ressources maritimes en Arctique? Quels sont les régimes juridiques qui règlementent ou devraient règlementer leur extraction? Quels défis le développement des ressources maritimes présente-t-il pour l'environnement des régions arctiques? De quelle manière la loi aborde-t-elle ou non ces défis? C’est ce à quoi de nombreux spécialistes ont tenté de répondre le samedi 25 janvier lors d’un colloque sur la législation en Arctique organisé par la Revue internationale de droit et de politique du développement durable de l’Université McGill. Le sujet est très discuté à l'heure actuelle. Avec la fonte des calottes glaciaires, les ressources naturelles et la route maritime de l'Arctique deviennent de plus en plus accessibles et soulèvent de nouvelles questions juridiques. Les frontières de

6 Actualités

l’Arctique deviennent donc plus légales que géographiques, et de ce fait apparaissent de nouvelles questions touchant à la gouvernance et au contrôle des ressources. L'objectif du colloque était de créer un dialogue entre avocats praticiens, représentants gouvernementaux et étudiants participants. Jessica Magonet, étudiante en droit à McGill, a participé à l’organisation de ce colloque. Son intérêt pour la question s’est développé lors de son voyage en Arctique avec le programme «Students on Ice» regroupant sur un bateau des étudiants et des experts de la région. Elle explique au Délit: «j’aimerais beaucoup travailler dans le domaine du droit environnemental en Arctique. Je trouve que les enjeux en Arctique sont vraiment importants, très complexes, ça touche au droit international, au droit des peuples autochtones, à la géopolitique [et] aux changements climatiques.» D’après elle, le colloque joue un

rôle clé dans la diffusion de l’information. En effet, bien que le thème de l’Arctique soit couvert dans les médias, Jessica explique qu’il n’est pas forcément couvert correctement, qu’il y a beaucoup de mythes qui circulent à ce sujet. Chris Debicki, un des conférenciers, avocat et responsable de campagnes pour Oceans North Canada, explique que la notion de «ressources offshore en Arctique» est vraiment vague, compte tenu du fait qu’il n’y a pas de définition exacte de ces termes. Les ressources sont variées (pêche, pétrole, commerce), et la région n’est pas composée d’un seul écosystème. Ainsi, les enjeux juridiques n’en sont que plus vastes, complexes et importants à déterminer. Michael Byers, professeur à l’Université de Colombie-Britannique, insiste sur le fait que c’est une question complexe, qui ne doit pas être simplifiée. Les défis principaux quant à la juridiction en Arctique sont le fait que le trafic maritime

y est important, mais très dangereux. Il génère en effet des risques environnementaux en raison du transport de charbon et d’hydrocarbures. Ainsi, il est nécessaire d’instaurer des régulations, des quotas, et une coopération entre les pays frontaliers à l’Arctique; l’Islande, la Norvège, la Russie, la Finlande, les États-Unis, le Danemark et le Canada. L’Arctique possède l’équivalent d’un trillion de dollars de ressources en gaz, mais les conditions sont actuellement trop mauvaises pour que ces ressources puissent être extraites facilement. Ainsi, Michael Byers insiste sur le fait qu’il faille arrêter de construire le Canada comme un État pétrolier. Pour conclure, Peter Pamel, spécialiste de la loi maritime, exprime ce qu’il souhaite voir dans le futur: une organisation réactive pour résoudre la question du pétrole et de la circulation maritime, ainsi qu’une régulation des déchets et de la pollution de l’air causée par le trafic des bateaux. [

[ le délit · le mardi 28 janvier 2014 · delitfrancais.com


POLITIQUE MUNICIPALE

Simulation politique jeunesse Quelle place pour les jeunes dans l’administration Coderre? Camille Gris Roy & Alexandra Nadeau Le Délit

également qu’il y a d’autres organismes jeunesses à Montréal qui sont à l’origine «d’initiatives importantes, tout au long de l’année». «Les jeunes ont leur place», affirme-t-il.

L

a fin de semaine du 25 janvier, une trentaine de jeunes âgés de 18 à 30 ans se sont réunis à l’Hôtel de ville de Montréal, à l’occasion de la 27e édition du Jeune Conseil de Montréal (JCM). Le JCM est un organisme jeunesse qui met en place chaque année une simulation du conseil de ville de Montréal, un exercice qui permet aux jeunes de s’impliquer davantage dans la politique municipale. La simulation est non-partisane: les participants discutent de projets de règlements, sans ligne de partie. Cette année, ces projets portaient sur les comités de citoyens jury, le développement des toits verts et l’agriculture urbaine, et l’utilisation des technologies dans une perspective de «ville intelligente». Ce dernier projet a été présenté par Marianne Côté, responsable de la ville intelligente et des technologies de l’information. En entrevue avec Le Délit, elle explique que le but de ce texte est de revoir l’organisation de la ville: «on veut mettre en place une organisation en réseau en faisant plus participer le citoyen, et en se servant des technologies de l’information et de la communication.» Le projet, adopté lors de la simulation, prévoit par exemple la mise en place d’un Bureau des Renseignements Intelligents qui aurait comme mandat la «gestion des données intelligentes recueillies auprès des organismes de la Ville». Montréal devrait également organiser chaque année des hackatons, au cours desquels les citoyens pourraient créer et soumettre des

Romain Hainaut / Le Délit projets d’applications. Enfin, le règlement annonce le lancement de plusieurs portails participatifs pour les citoyens, comme le portail «Un Projet près de Chez Vous». Quel impact au municipal? Ces propositions pourraient bien être examinées par l’administration Coderre. Le concept de ville intelligente était d’ailleurs au cœur du programme de Denis Coderre, lors de la campagne municipale de 2013. «J’espère que les conseillers vont tenir compte [de ce projet]», dit Marianne Côté. Le fait que le responsable de la ville intelligente, Harout Chitilian, soit aussi le responsable des dossiers jeunesse à la ville de Montréal est un bon point. «Il connaissait déjà le projet, et il est proche de nous», dit Marianne Côté. Il a d’ailleurs déjà participé à la simulation du JCM par le passé.

«Il y a eu beaucoup de recherches de faites pour ce projet; je ne dis pas que l’administration va adopter le projet tel quel, mais dans tous les cas, ce serait une bonne chose pour eux qu’il l’examinent» dit Eugénie Lépine-Blondeau, chef de l’opposition au JCM. Il est déjà arrivé que le JCM influence le conseil de ville. Jérémy BoulangerBonnelly, chef de l’opposition et étudiant à McGill, cite ainsi un projet sur la collecte des déchets. Un règlement très similaire sur le tri sélectif avait été adopté par la Ville: «Même si ce n’est pas à chaque année évidemment [que le maire s’inspire des décisions prises lors du JCM], il y a un impact». Le JCM est donc une porte ouverte pour les jeunes en politique municipale. Jerémy Boulanger-Bonnelly rappelle

Coderre et les jeunes Les jeunes seront-ils plus entendus sous le maire Coderre? De ce côté, le mandat de l’actuel maire avait plutôt mal commencé: Denis Coderre avait en effet présenté en novembre un comité exécutif de la ville...sans responsable à la jeunesse. Une décision qui avait été rapidement dénoncée, dans la journée, par les différents organismes-jeunesses de Montréal. Finalement, malgré tout, les participants au JCM interrogés par Le Délit se disent plutôt satisfaits. «Ce qui nous a impressionnés, c’est que la journée même où nous avons envoyé un communiqué de presse pour dénoncer la décision du maire, il a avoué être dans le tort et a nommé Harout Chitilian», dit Eugénie Lépine-Blondeau. L’affaire avait été couverte par Le Délit [voir «les jeunes haussent le ton», vol. 103, num. 10]. Le maire a d’ailleurs rendu une visite surprise aux jeunes du JCM le vendredi soir. Pour Marianne Côté, la nomination d’Harout Chitilian est une bonne chose: «c’est une personne très ouverte, après sa nomination il a tout de suite organisé une rencontre avec tous les organismes qui avaient signé le communiqué de presse, une table ronde autour des enjeux jeunesse». Jérémy Boulanger Bonnelly parle quant à lui d’une relation «harmonieuse» avec le responsable jeunesse de Montréal. De bonnes nouvelles, jusqu’à maintenant, pour la jeunesse montréalaise. [

CHRONIQUE

Le végétarisme par conviction politique Michaël Lessard | De fait

LE RÉCHAUFFEMENT CLIMATIque était à l’ordre du jour du Forum économique mondial tenu la semaine dernière à Davos, en Suisse. Le Secrétaire général des Nations Unies, Ban Ki-Moon, était sur place afin d’inciter les acteurs internationaux à passer à l’action. Il a rappelé que

«nous sommes maintenant à un stade critique dans le débat global sur le changement climatique». Or, la communauté internationale semble lente à agir. Devant la paralysie des grandes entreprises et des États, une part de responsabilité nous revient en tant que citoyens. Nous devons nous prendre en main. Nous devons agir. À ce point, il est difficile de voir ce que nous pouvons faire de plus, surtout en tant qu’étudiants, que de recycler, utiliser les transports en commun et faire un peu de compost, si possible. Il nous faut maintenant devenir plus imaginatifs. Si l’on ne peut pas améliorer le comportement des pollueurs par des mesures législatives, il y a moyen de le faire en modifiant le type de produit que nous consommons. Comme l’écrivait Laure Waridel, cofondatrice de l’organisation écologique québécoise Équiterre «Acheter, c’est voter». Notre changement de comportement économique influence celui des entreprises avec lesquelles nous commerçons. En ce sens, le végétarisme crée une pression écologique.

[ le délit · le mardi 28 janvier 2014 · delitfrancais.com

Il existe un lien direct entre végétarisme et réduction des gaz à effet de serre (GES). La production de viande est responsable de 18% des émissions de GES, contre 13 % pour tous les modes de transport confondus. Au-delà des flatulences de vache dont on parle à la blague, il faut compter les tracteurs cultivant la nourriture des bêtes, le transport de cette nourriture, la gestion du fumier, l’énergie dépensée à entretenir les étables et les abattoirs, etc. Diminuer notre consommation de viande se résume donc à diminuer notre pollution personnelle. Ainsi, si tous les Québécois cessent de consommer de la viande ne serait-ce qu’un jour par semaine, il s’agit de l’émission annuelle de 194 tonnes de CO2 qui sera évitée, soit l’équivalent de 2,1 millions de kilomètres parcourus en voiture. La même logique s’applique à notre consommation de poisson. Si le végétarisme est bénéfique d’un point de vue écologique, il participe aussi à la solidarité sociale envers les populations affamées. Il s’agit de libérer des terres agricoles afin d’assurer la production

de nourriture pour tous. Pour un hectare de terre, on produira de 400 à 500 kg de viande blanche ou si peu que 33 kg de viande rouge, alors qu’on aurait pu produire 18 tonnes de légumes, 15 tonnes de pommes de terre ou 12 tonnes de fruits. Sans même débourser quoi que ce soit, nous pouvons améliorer le sort de notre collectivité en changeant notre comportement. Si j’arrive à éviter de consommer 33 kg de viande rouge cette année, j’aurai eu un impact. Ce que l’on met dans son assiette est une conviction politique. Le végétarisme et l’omnivorisme sont des choix. Il est candide de croire qu’un certain régime alimentaire existe par défaut. Évidemment, devenir végétarien du jour au lendemain semble improbable. Il est plutôt réaliste de commencer avec une ou deux journées par semaine, une fréquence durable sur le long terme. Cette année, j’en ferai l’essai, trois jours par semaine de végétarisme par conviction. À vous de faire le choix politique qui s’impose. [

Actualités

7


Société

Nelu Barca

societe@delitfrancais.com

Gwenn Duval Le Délit

D

ites gitans, Roms ou Tziganes et tendez l’oreille. Les stéréotypes fusent, l’immigration est un terrain de conflits. En Europe, la stigmatisation se rapproche de la norme, les Roms sont exclus, certains élus français les accusent de «défigurer Paris», comme l’a dit Pierre Lellouche sur la radio RTL le 17 décembre 2013. Le gouvernement français procède à des expulsions massives, comme cela a été le cas lors de l’«affaire Léonarda», et le processus de démantèlement des camps de caravanes est en cours. Le gouvernement canadien, quoique restrictif au sujet de l’immigration, n’a pas pris de telles mesures draconiennes envers la population tzigane, qui compte quelques 80 000 immigrés sur l’ensemble du Canada. Leur situation semble, ici, un peu moins problématique, bien que les stéréotypes subsistent. Mais à tendre l’oreille, sans préjugés, leur langue musicale est universelle et, lorsque vibrent les cordes d’un violon tzigane, il est difficile de ne pas être transporté par l’énergie ancestrale qui nous parvient. Une énergie qui s’est transmise dans certaines familles où la musique règne depuis des générations. Carmen Piculeata, violoniste virtuose dirigeant l’Orchestre Tzigane de Montréal, est reconnu comme une icône de cette culture. La semaine dernière, c’est avec Rona Hartner, alors de passage à Montréal, que l’Orchestre a partagé sa mélodieuse fougue. L’actrice-compositrice-chanteuse d’origine roumaine et allemande, qui a joué dans vingt-et-un films et participé à plus de onze albums, débordante d’énergie, est venue se joindre à L’Orchestre Tzigane de Montréal. Composé de Romane Manolache à la contrebasse, Sergiu Popa à l’accordéon, Nenad Petrovic au piano et Mohamed Raky à la derbouka (instrument à percussion en céramique ayant la forme d’un calice), le groupe ainsi formé a fait vibrer plus d’un parquet. «Le vent passe dans les arbres, ça prouve que la fête commence! D’accord, il passe tous les jours», dit la chanteuse. Rona Hartner, dont la musique est parfois qualifiée d’«Esperanto musical», commence ses concerts comme une invitation à faire la fête. Sur une base tzigane sensible, c’est un mélange harmonieux de styles qui s’offre au public et l’entraîne dans la danse. La salle se réchauffe rapidement et les mains claquent dès les premières chansons. Véhiculant la culture tzigane par le chant depuis 22 ans, elle entend bien discerner «Roumain» de «Rom» et regrette la stigmatisation qu’engendre la presse vis-à-vis d’un peuple mal protégé et peu accepté. Malgré le fait qu’elle n’ait pas les origines tziganes qui ont pu lui être attribuées après le rôle qu’elle a tenu dans le film de Tony Gatlif, Gadjo Dilo, elle porte, par sa voix, la culture des Roms. Certains stéréotypes associés aux gitans se veulent peu flatteurs; pourtant, leur influence artistique est indéniable, pensons par exemple au Flamenco espagnol. Le Délit a eu la chance de s’entretenir avec Rona Hartner, avec l’intention d’entendre parler de l’espoir qui réside

8

dans l’art et dans la musique en particulier. La musique, c’est peut-être un moyen d’harmoniser légèrement une société où les différences auraient plus intérêt à se rallier dans le partage qu’à se heurter aux incompatibilités. Sans y chercher l’unique chemin vers l’adoucissement des mœurs, la proximité entre les membres d’un public enivré par une même musique semble porteuse d’espoir. Le Délit: Vous venez de faire six concerts avec l’Orchestre Tzigane de Montréal; qu’avez-vous ressenti? Rona Hartner: C’était une très bonne expérience de voir que la musique tzigane est très bien accueillie à Montréal. Il s’agit aussi d’une musique roumaine, on a ici un peu de voyage dans tout l’espace balkanique. L’interprétation était très tzi-

[ le délit · le mardi 28 janvier 2014 · delitfrancais.com

Paroles de mu

En concert à Montréal, Rona Har gane mais on chantait aussi des chansons traditionnelles roumaines et yougoslaves. La rencontre avec l’Orchestre Tzigane de Montréal était un réel plaisir. J’en avais entendu parler depuis longtemps, je connais Carmen depuis des années et j’avais entendu parler en bien de son orchestre; et là j’ai eu la chance de les rencontrer et de partager cette expérience sur scène et c’était super, vraiment!

LD: Lorsque vous véhiculez cette musique tzigane, qu’est ce que cela a de particulier pour vous, par rapport à un autre genre de musique ? R.H.: J’aime beaucoup cette identité tzigane parce qu’il y a une espèce de folie, une fugue, un désir de vivre des émotions fortes comme par exemple beaucoup de joie, de second degré et de comique parfois mais aussi beaucoup de tragédie. On va à


LD: Pour qui chantez-vous? R.H.: Moi je chante pour Dieu (rires). En fait, si on chantait pour les gens, peutêtre que ça ne leur plairait pas, on ferait des choses en croyant que ça leur plait, on se dirait «qu’est-ce que je peux bien leur faire». Moi je chante pour Dieu qui est dans les gens. Ça veut dire que je veux bien rejoindre cette part de sensibilité qui est commune à tous les gens, qui nous unit, qui est dans la joie, le deuil, la vie. J’essaye un peu d’amener de la vie aux gens, c’est ce qui m’intéresse le plus et j’essaye de faire vibrer leur âme. Du coup, que je chante tzigane, du heavy metal ou du jazz, c’est la même chose! La rencontre la plus importante c’est entre nous, sur scène. Déjà là, il se passe quelque chose, il y a une grande complicité et c’est ce qui est beau et que les gens reçoivent, en fait. C’est un partage, la vie circule. LD: Pensez-vous que la musique peut permettre d’adoucir les stéréotypes? R.H. : Oui, adoucir, oui. Les enlever, malheureusement, non. D’ailleurs, on ne veut pas non plus enlever tous les stéréotypes. On croit beaucoup que les bohémiens sont des gens un peu fous et joyeux. Dans ces stéréotypes, on y va à fond. Adoucir les stigmatisations, les idées préconçues, surtout cette peur qu’ils viennent pour «chopper» un truc. En fait, pourquoi a-t-on peur des étrangers? On pense qu’ils viennent pour profiter du système social, mais ils viennent apporter quelque chose, une nouvelle énergie! Ils viennent pour faire, pour s’engager, pour connaître, pour apprendre une nouvelle langue. Donc voilà, je pense qu’il faut sortir de cette stigmatisation et bien se rendre compte qu’ils ne viennent pas uniquement prendre mais bien donner. Voilà le message qui m’intéresse.

usique tzigane

rtner déconstruit les stéréotypes. fond dans la souffrance. D’ailleurs, je commence toujours le spectacle d’une façon qui semble très sombre, avec des titres comme des malédictions d’amour ou des chansons d’ivresse parce qu’il faut parfois passer par la mort pour ressusciter ensuite. J’aime bien commencer de très bas, de l’antre de la Terre pour aller amener les gens vers des choses beaucoup plus légères, folles jusqu’à une folie paroxystique. C’est ce qui se passe sur

scène et les gens sont très surpris. Ça commence triste et ça finit fou avec beaucoup de décalage, des textes très alertes. Les gens sont contents de ce balancement. LD: Tout comme Carmen, vous êtes considérée comme «passeuse» de la musique tzigane. Qu’est ce qui stimule votre choix de la musique plutôt qu’une autre forme d’art? R.H.: J’ai un peu répondu à la question

précédente, mais ce sont les contrastes qui amènent la vie. La lumière, les ténèbres, enfin tout ce qui existe dans cette musique. J’aime beaucoup, aussi parce que dans les Balkans, on retrouve des particules de la musique tzigane et de ses influences. Le swing, le flamenco, la musique yougoslave, tous se sont enrichis de cette musique-là. Ça veut dire que quelque part c’est un passeport aussi pour les tziganes en disant qu’ils sont véhiculeurs d’une culture que les gens attendent et veulent. Peut-être que c’est un moyen de leur faire une place dans nos cœurs en se disant que voilà, quand ils rencontrent notre culture, ils viennent donner quelque chose et non pas prendre. Ils sont venus apporter. Peut-être que comme ça c’est intéressant de revisiter leur influence en Europe en se disant qu’ils sont passés et qu’ils ont laissé quelque chose derrière eux.

LD: Par quels gestes pensez-vous qu’il est possible d’atténuer la stigmatisation? R.H. : Peut-être par une meilleure connaissance, une plus grande proximité. Je trouve que, particulièrement aux ÉtatsUnis et au Canada, il existe des communautés et des groupes mais il semble y avoir une réelle tentative d’intégration. Si la communauté tzigane vient un jour en grand nombre au Canada, j’espère qu’elle ne deviendra pas juste une petite communauté au milieu d’autres communautés. J’espère qu’elle s’intègrera. Si c’est possible par la musique, par des concerts, des stages de danse, des conférences sur la vie des femmes tziganes ou d’autres choses que je connais, si je pouvais apporter quelque chose, entre autres via tous ces concerts que je propose avec l’Orchestre Tzigane de Montréal, par tous ces vecteurs de culture, je pouvais un peu en parler et ouvrir des frontières, cela permettrait peut-être d’éviter qu’ils soient complètement cloîtrés dans leur petit monde parce que ça ne sert à rien de créer des petits ghettos partout. Moi, je pense: «mélangeons-nous, ça donnera de beaux fruits, de beaux talents.» LD: Vous retournez à Paris demain, quels sont vos prochains projets? R.H. : Là, je suis en tournée avec mon disque Gypsy Therapy qui peut être trouvé sur iTunes et qui est, je pense, déjà distribué à Montréal. Ensuite, j’ai un lancement de film pour février et on espère être en sélection à Cannes. Je suis aussi en train de produire un album de gospel des Balkans avec une fanfare de Roumanie. Et j’espère venir pour des festivals en juillet. Je connais l’effervescence qu’il y a à Montréal et au Québec en juillet et j’espère avoir des projets avec l’Orchestre Tzigane de Montréal pour les festivals de juillet. En ce moment, une petite tournée mondiale se met en place.» [

Société

9


CHRONIQUE

Le féminisme nuit-il aux hommes? Aurélie Lanctôt | Les genres en question

RÉCEMMENT, J’AI ÉTÉ CONFRONtée à plusieurs reprises à des commentaires d’hommes se disant particulièrement irrités par le discours féministe. Sommairement, leur frustration semblait causée par un sentiment d’exclusion des réflexions sur le genre; les poussant à déduire que le féminisme serait une idéologie surannée, mue par un ressentiment injustifié à l’égard des hommes. Les hommes, avançaient-ils, auraient eux aussi besoin qu’on se penche sur la tyrannie genrée qu’ils subissent. Je leur concède ce point. La masculinité, dans le contexte contemporain, est définitivement en mal d’être «pensée». Les hommes, au même titre que les femmes, sont prisonniers d’un bon nombre de stéréotypes. Et lorsque vient le temps de causer masculinité, les braquages sont souvent

instantanés: halte au backlash. Pourtant, explorer la (ou plutôt les) masculinité(s) n’est en rien synonyme de «masculinisme». En cela, on peut tout à fait se pencher sur les enjeux qui touchent aux genre et qui concernent les hommes, tout en prônant des valeurs résolument féministes. Mais pour le reste? Lorsque ce constat ne suffit pas à calmer les esprits échaudés de ces messieurs. Lorsque c’est le bienfondé même des luttes féministes qu’on met à mal. Lorsqu’on critique la pertinence des luttes menées à bras-le-corps par et pour les femmes, allégeant sa désuétude, voire son effet néfaste sur l’autre sexe. Que peut-on répondre à ces «non mais clairement, on est rendu ailleurs», sinon une poignée de statistiques inégalitaires et un regard exaspéré? Je dois dire qu’il m’arrive, face aux plus ardents mansplaineurs (paternalistes), d’être tellement ahurie par «le chemin à faire» que je me retrouve muette et vulnérable. «Ayoye, par où commencer». J’en suis venue à la conclusion que ce discours, tenu par des hommes prétendument «affaiblis» par l’omniprésence (tousse, tousse) de la pensée féministe, et qui consiste à relativiser l’oppression des femmes en insistant sur les défis que rencontrent aussi les hommes, est en soi une forme de violence patriarcale. La négation des inégalités dont les femmes font les frais m’apparait indéniablement comme l’une des principales raisons pour lesquelles le féminisme est tout sauf désuet. Il est complètement fallacieux d’affirmer que nous avons atteint un point d’égalité critique, passé lequel ce serait les hommes qui se retrouvent dans une posture d’assujet-

tissement. «Si vraiment les féministes veulent l’égalité, vous ne voudriez pas laisser cela arriver, n’est-ce pas?» a-t-on le culot de demander. Or, si les schèmes d’oppression sont plus subtils, moins patents que par le passé –alors que les femmes ne bénéficiaient même pas des droits civils au même titre que les hommes, par exemple –cela ne signifie pas qu’il faille pour autant crier victoire et «passer à autre chose», bien au contraire. À mon avis, cela signifie même qu’il faut redoubler d’ardeur. De perspicacité, aussi. Et ce «négationnisme» masculin, arguant tantôt que les filles sont «en plus grande proportion sur les bancs d’université», ou que «les hommes sont tout aussi réifiés par la publicité que les femmes», fait partie des écueils rhétoriques que les féministes doivent apprendre à surmonter. Quant à l’inclusion des hommes dans les débats féministes, j’ai l’impression qu’il y a une réticence acceptable à laisser libre cours à la parole masculine. Certaines ne seront sans doute pas d’accord, mais il m’apparaît important que soient préservés des espaces où les femmes puissent échanger en dehors des «matrices» patriarcales; des terrains non mixtes où les femmes sont appelées à se définir de manière pleinement autonome. Des «espaces sécuritaires», comme on les appelle souvent, non seulement pour l’expression mais pour la pensée elle-même. Et attention, je ne parle pas ici de prôner le repli sur un féminisme de ressentiment, qui vise le renversement des forces plus que l’égalité. Circonscrire, ce n’est

ni exclure, ni condamner, ni haïr. Quant à l’inclusion des hommes proféministes, dans le discours comme dans l’action, elle peut s’avérer enrichissante afin d’éviter une rupture, un antagonisme entre les conceptions féministes du monde et ses conceptions dites «normales» (lire: patriarcales). Malheureusement, il semblerait que certains hommes ne conçoivent pas que les femmes aient besoin de se penser sans eux; sans la «tutelle» patriarcale qu’ils représentent, consciemment ou non. Ils ne conçoivent pas non plus que si les féministes avancent, les stéréotypes genrés reculent. Et à ce chapitre, les deux sexes gagnent. L’émancipation de la femme, il ne faudrait pas l’oublier, brise des carcans qui contraignent aussi les hommes dans des rôles qui ne leur conviennent pas toujours. Il faut arrêter de penser que ce que les femmes acquièrent, elles le confisquent aux hommes. Les féministes ne détestent pas les hommes. Elles veulent simplement que les individus, hommes ou femmes, soient à même de se définir plus librement, et que leur genre ne détermine pas leurs chances, dans la vie en général. Et si cela implique de penser en termes «féministes» et non simplement «égalitaires», c’est que l’affranchissement passe en grande partie par l’émancipation des femmes. Cette démarche ne «nuit» pas aux hommes. Mais oui, elle appelle à ce que les femmes agissent et pensent seules. La prochaine fois qu’on tentera de m’expliquer avec grand sérieux pourquoi le féminisme est une relique obsolète, j’essaierai d’avoir la patience de réciter tout ça. [

OPINION

Quand Socrate twittait Théo Bourgery & Côme de Grandmaison Le Délit

Q

uel comble! Le monde fait aujourd’hui état d’un pessimisme grandissant envers une mondialisation de plus en plus importante. L’individu n’est plus; étouffé par des forces ultra connectées, il n’est qu’un atome dans une masse d’humains pour qui se distinguer devient un but presque inatteignable. L’uniformisation est en marche, main dans la main avec le progrès: internet, et plus particulièrement les réseaux sociaux, contribuent à éroder notre unicité, en nous dématérialisant. Le message est clair: en 2014, le monde dépasse l’être humain. Et pourtant il n’aura jamais été aussi facile de donner le pouvoir à tous, et ce par les médias sociaux. Nul besoin de maîtriser trois langages informatiques: cent quarante signes sur un message Twitter peuvent suffire à déclencher un incident diplomatique; McMUN, la simulation des Nations Unies organisée par McGill cette année entre le jeudi 23 et le dimanche 26 janvier, en a donné un parfait exemple. Un comité, le «Triple Joint: People Power Revolution», a en effet écrit un tweet à propos du génocide du Rwanda, en indiquant que des hutus avaient été massacrés. Tout cela était bien entendu

10 Société

factice, mais l’information a été retweetée par un média rwandais, puis par une multitude d’internautes; plusieurs milliers, d’après des participants de la simulation. La toile, tout en étant gigantesque et étouffante, semble permettre à chacun de se faire remarquer, de faire parler de lui, ou même de se créer une personnalité. En d’autres termes, tout individu se retrouve avec un pouvoir, pas forcément légitime, mais inévitable. Cet état des choses, aussi paradoxal soitil, représente aussi un véritable problème au niveau de l’information. On a affaire à un bouche-à-oreille planétaire, où les concepts de source et de crédibilité sont mis à rude épreuve. Dans l’optique de l’instantané, les organes de presse reconnus ne prennent plus le temps de vérifier leurs informations; si ça choque, ça se vend. Socrate nous expliquait il y a 2500 ans qu’un vrai sujet d’actualité devait passer trois tests. Le premier, celui de la vérité –les sources sont-elles là?– ne semble aujourd’hui plus de mise; un trop important afflux d’information empêche de choisir les bons faits, dans leur contexte. L’adaptation à une telle surcharge se fait au détriment de la qualité des propos. Les deuxième et troisième filtres se ressemblent. Ce sont ceux de la bonté et de l’utilité, soit ceux qui permettent de se

demander si la nouvelle est bonne, et nécessaire. L’événement qui a eu lieu à McMUN est le parfait exemple qu’une telle règle est aujourd’hui trop souvent bafouée. Il ne suffit pas de se demander ce qu’apporte la nouvelle; il s’agit aussi d’éviter la désinformation. Qui, avec les réseaux sociaux, est aujourd’hui à sa plus grande forme. Micro intervention, macro conséquence: quelles leçons doit-on tirer? Il n’est pas nécessaire de «cracher» sur les réseaux sociaux; beaucoup s’accordent pour dire que

ces plateformes ouvrent la voie à une sorte d’information jamais connue auparavant, et qui sert de complément aux sources officielles. Les réseaux sociaux ne doivent donc pas se substituer aux journaux, qui sont censés être les garants de la crédibilité, et non pas, dans le but de couvrir le plus dans les plus brefs délais, se soumettre aux lois de la demande. Quand McMUN risque de changer la donne diplomatique entre deux pays, on se demande si ces variables sont toujours de mise. [

Romain Hainaut/ Le Délit [ le délit · le mardi 28 janvier 2014 · delitfrancais.com


Arts&Culture artsculture@delitfrancais.com

THÉÂTRE

Immatérielle Le «corps inconnu» de Jocelyne Montpetit au Quat’Sous. Maxime Côté Philippe Robichaud Le Délit

«C

e qui me semble beau, ce que je voudrais faire, c’est un livre sur rien, un livre sans attache extérieure, qui se tiendrait lui-même par la force de son style, comme la terre sans être soutenue tient en l’air […]. Les œuvres les plus belles sont celles où il y a le moins de matière; plus l’expression se rapproche de la pensée, plus le mot colle dessus et disparaît, plus c’est beau. Je crois que l’avenir de l’Art est dans ces voies. […] La forme, en devenant habile, s’atténue.» C’est ce qu’écrit Flaubert à Louise Colet, le 16 janvier 1852. Développé dans les années 1960 au Japon, le butoo est une danse qui s’inscrit en rupture avec les arts vivants classiques du nô et du kabuki, dont les limites expressives paraissent impuissantes à dire les nouveaux traumatismes de l’aprèsguerre. Dès sa gestation on le désigne, d’après les thèmes macabres qu’il aborde, de l’expression ankoku-buyoo: «danse de la noirceur» ou «danse du corps obscur». Formellement parlant, le butoo est fondé par Tatsumi Hijikata, avec lequel collabore Kazuo Oono; dans les années 1980, au sein de la compagnie Maijuku de Min Tanaka.

C’est chez ces deux maîtres que Jocelyne Montpetit développe son art. Unknown Body, le dernier spectacle de Montpetit, est d’une efficacité et d’une nécessité brutales. Son dépouillement systématique des moyens pour ne conserver que l’essentiel confère une rare pureté à l’expérience. Elle se prive même d’exégèse; au Délit, elle confie: «Je ne commente jamais mes pièces.» À nous de trouver.

«Tout ceux qui se délectent

des univers lumineux que recèle une tache d’huile qui macule une flaque d’eau, tous ceux qui savent lire une odysée dans les dédales d’une feuille chiffonnée sauront s’abreuver du grand art de Jocelyne Montpetit.» Seule sur scène, elle déploie une force centripète bouleversante: la fragilité mise en scène par son corps tire, à la manière d’un vacuum, tout vers elle. C’est le grand ressac qui vient après un cataclysme… le spectacle lui a d’ailleurs été inspiré par une expérience lors de laquelle le photographe Paolo Porto lui proposait de danser

à Aquila, en Italie, dans les décombres d’un séisme qui avait ravagé la région peu de temps auparavant. «Les murs menaçaient de nous ensevelir à tout moment, relaie Montpetit dans une entrevue pour la revue JEU, c’était un lieu dangereux où il y a eu des morts. On ne pouvait se déplacer qu’escortés. J’ai dansé sous le regard de quelques personnes seulement, je ressentais une grande fragilité au niveau du corps.» En revanche, ce serait piètre réductionnisme de dire qu’Unknown Body est un spectacle qui ne fait que dire la précarité et l’obscurité du corps humain. Plutôt, c’est l’accumulation des recherches de Montpetit qui livre cet ensorcelant florilège, enfanté d’influences puisées chez les plus grands. Elle y réunit entre autres des éléments de sa mise en scène des Aveugles de Maeterlinck; des riches textures sonores provenant tant de musique liturgique russe, et Bach que d’Avro Pärt; des motifs d’Anselm Kiefer et du grand maître de «l’outre-noir» Pierre Soulages. Rappelant ce dernier, Francesco Capitano, conseiller artistique et Daniel Séguin, chargé de décor, installent une massive plaque métallique, un monolithe oxydé suspendu à mi-scène sur lequel Marc Parent, éclairagiste, fait rebondir différents faisceaux de lumière afin de dévoiler une profonde cosmographie

dans ce qui, de prime abord, apparaît comme du noir. Soulages aurait dit: «Le noir avait tout envahi, à tel point que c’était comme s’il n’existait plus.» Caractéristique du butoo, Montpetit se meut avec une lenteur à mi-chemin entre la mobilité et le statuesque; lorsque les applaudissements à la fin du spectacle font sortir le public de la transe dans laquelle elle l’avait plongé, c’est une série de tableaux qu’il aura traversée. Clairement séparés, chaque «tableau» fonctionne selon une logique inhérente, à la fois évidente et insaisissable. Tous ceux qui se délectent des univers lumineux que recèle une tache d’huile qui macule une flaque d’eau, tous ceux qui savent lire une odyssée dans les dédales d’une feuille chiffonnée sauront s’abreuver du grand art de Jocelyne Montpetit. Avec Unknown Body, elle réalise ce que tant d’artistes –dont l’auteur canonique cité en exergue– ont idéalisé: un affranchissement de la matérialité, de telle sorte que son corps, sa chorégraphie, le décor, la musique se «collent à la pensée et disparaissent». [ Unknown Body Où: Théâtre de Quat’Sous 10 Avenue des Pins Est Quand: Jusqu’au 31 janvier 2014 Combien: 48$

CHRONIQUE

Pour en finir avec la 5G Joseph Boju | Chronique du temps qu’il fait

«CE SERA IMMÉDIAT, PLUS D’ATtente, plus rien. La guillotine du téléchargement de données. Une solution indolore et rapide: une seconde à peine pour obtenir un film. Une seconde, à tout prendre,

qu’est-ce? Le temps d’esquisser un sourire étonné, de tomber dans les escaliers en marbre du pavillon des Arts, de vivre un peu quoi. Cette seconde là, McGill, c’est ce qui nous reste». La 5G est prévue pour 2020, crotte en bois! Pourquoi ne pas jouer les Kassandra au lieu des éternelles Cassandre? Pourquoi ne pas préférer l’eau de rose d’une telenovela vénézuélienne d’il y a 20 ans à la situation tragique de notre quotidien? En 1986, Le Délit publiait déjà des phrases telles que «dans notre monde contemporain roulant à un rythme hystérique, les gens lisent de moins en moins». Aujourd’hui je m’interroge donc sur la circularité d’un tel discours: celui qui clame l’immédiateté vers laquelle nous tendons,

[le délit · le mardi 28 janvier 2014 · delitfrancais.com

toutes ces choses qui vont de plus en plus vite et que nous n’avons jamais comprises et que nous ne comprendrons (jamais) plus. Césaire se répète une certaine phrase dans son manifeste poétique –Cahier d’un retour au pays natal-, il s’adresse à son corps et à son âme, et leur dit: «Gardez-vous de vous croiser les bras en l’attitude stérile du spectateur, car la vie n’est pas un spectacle.» Cette phrase, c’est une leçon. Nous nous devons de faire apparaître les choses qui n’étaient pas là avant, de les révéler. Construire des ponts, creuser des routes, parler métaphoriquement du sens du contemporain dans une chronique du Délit. Nous défaire de cette auto-référentialité pour mieux qu’elle nous colle à la peau. Bref, avoir un peu de lettres et d’es-

prit, c’est à dire ne pas dire «je suis vécu», mais plutôt vivre.

Nourrir son âme est une chose, vivre par procuration en est un autre. En cela nous avons désormais des maximes claires: «la littérature n’arrive pas à la cheville de la vie» (Alain Farah dans Pourquoi Bologne). Il faut pourtant satisfaire notre société du spectacle, alimenter nos flux RSS, thy show must go on. Dire adieu au mimodrame perpétuel dans lequel nous vivons, ce serait nous détourner de la bonne ligne de conduite, celle qui fait de nous des assis d’un genre nouveau, sans humilité aucune. Respiciens post te, hominem memento, voilà ce que les Romains répétaient à l’orateur pendant son triomphe pour lui éviter de prendre le melon: «Regarde derrière toi et souviens-toi que tu es un homme.» [

Arts & Culture

11


CHRONIQUE

Proust perdu Baptiste Rinner | Les oubliés de la littérature française

JE VOUS VOIS DÉJÀ VENIR. QUOI! Proust, un oublié de la littérature? Mais on ne fait que parler de lui... Surtout l’année dernière, lors du centenaire de la publication du premier tome d’À la recherche

du temps perdu, Du côté de chez Swann. On a frôlé l’overdose proustienne à la rentrée littéraire, entre Le dictionnaire amoureux de Marcel Proust d’Enthoven, père et fils, Proust est une fiction de François Bon ou encore le Proust à Sainte-Foy de l’écrivaine québécoise Hélène de Billy, le tout cotoyé par d’innombrables magazines hors-série, édition spéciale Proust, et tutti cuanti. En plus de tout ce remue-ménage, d’autres commémorations étaient savamment organisées par l’éditeur de La Recherche, les éditions Gallimard (alors que ce sont les éditions Grasset qui ont publié Swann en 1913, mais chut, il ne faut pas le dire trop fort, le fantôme d’André Gide nous en voudrait). Rééditions en cascade, Un amour de Swann «orné», s’il vous plaît, par Pierre Alechinsky, en «maxi format», des lettres inédites de Marcel Proust à sa voisine au 102, boulevard Haussmann (Lettres à sa voisine), la continuation de l’adaptation de la grande œuvre en BD, etc. Ils commencent à nous casser les oreilles avec leur Proust, non? Toute cette activité autour de La Recherche est bien belle mais elle cache

l’essentiel. Mes lecteurs seront d’accord pour dire qu’un auteur oublié est un auteur qu’on ne lit plus. Or, qui, je dis bien qui, levez la main bien haut, qui a lu La Recherche en entier, de l’incipit de Du côté de chez Swann aux dernières lignes du Temps retrouvé? Je ne vois que peu de mains levées. Dois-je répéter ma question? D’accord, vous avez sûrement lu Un amour de Swann, fragment exceptionnel du chefd’œuvre proustien au point de vue de la narration. Vous vous souvenez vaguement d’Odette de Crécy et du personnage éponyme, mais dès que l’on évoque la princesse de Sagan, le baron de Charlus et la duchesse de Guermantes, il n’y a plus grand monde. Sans parler d’Elstir, de Madame de Villeparisis ou de Norpois. Gallimard a sorti des statistiques édifiantes sur les ventes de chaque volume de La Recherche en collection Blanche. Prenant comme a priori que les livres achetés sont lus (ce qui n’est pas acquis), la maison a déduit que la moitié des lecteurs du premier tome poursuivait au deuxième; la moitié des lecteurs restants abandonnait entre le deuxième et le troisième tome,

et la moitié encore entre le troisième et le quatrième. Concrètement, seulement 10% des lecteurs de Du côté de chez Swann ont achetés Sodome et Gomorrhe. Après ce cap fatidique, les chiffres se stabilisent: une fois que vous avez lu l’assommant Côté de Guermantes, autant poursuivre jusqu’au bout. Résumons: tout le monde parle de Proust mais personne ne le lit. Outre que cela corresponde à la définition des chefs-d’œuvre donnée par Hemingway, cette situation laisse présager des jugements les plus hâtifs et les plus erronés sur l’œuvre elle-même. Il s’agit pourtant de démystifier Proust et son écriture notamment. Ennuyeux, Proust? Ne rigolez pas, La Recherche est un des livres les plus drôles que j’ai lu. Snob? C’est un des plus grands critiques des convenances sociales; en cela, La Recherche est une formidable satire. Ses phrases, interminables? J’ai envie de vous dire: menteur. Elles sont longues, peut-être, mais leur rythme est une prouesse du style. Longue, La Recherche? Assurément, mais la vie n’est pas trop courte pour elle. [

BANDE DESSINÉE

Les douceurs de la rupture

La Collectionneuse, album délicat avec pour thème la rupture amoureuse. Annick Lavogiez Le Délit

P

ascal, bédéiste désabusé dans la trentaine, vient de se faire larguer et squatte chez un couple d’amis le temps de se reprendre en main. Pascal a l’air assez gentil, mais pas très chanceux: lorsqu’il va courir, il se fait une entorse lombaire; lorsqu’il essaye d’oublier son ex, elle lui envoie des caisses de livres toutes plus envahissantes les unes que les autres; lorsqu’il tente de changer de carrière, c’est un fiasco, etc. C’est donc l’heure des bilans pour ce personnage sympathique et maladroit, qui se remet d’une relation amoureuse vieille de neuf ans dans laquelle

on l’imagine facilement un peu dépendant et passif. Depuis son irrépressible envie de courir jusqu’à sa remise en question professionnelle, tout est prétexte à oublier le chagrin et force est d’admettre qu’à la fin du récit, on partage son envie maladroite d’aller de l’avant, même si l’avant s’avère parfois être un chemin tortueux. Oui, tortueux! Car Pascal rencontre un jour enfin une jolie fille… qui n’est autre que la cleptomane de sa librairie de quartier. Notre héros paumé se lance alors dans une enquête surprenante et finit par tomber en amour avec cette charmante demoiselle qui a eu la délicatesse de voler son propre livre, Jimmy et le Bigfoot. L’histoire qui s’en suit dans les jolies rues du Mile-End sortira forcément du commun, puisque Pascal n’a pas l’air plus doué comme détective que comme amoureux. La rupture, un sujet triste? Pathétique et sombre, la prémisse de ce récit? Certes. Mais c’est avec beaucoup de sensibilité et d’humour que Pascal Girard raconte cette histoire absolument universelle. Son regard amusé et respectueux lui permet de rester toujours léger, sans toutefois s’éloigner de la réalité. Le bédéiste qui s’était fait discret depuis le triste et drôle Conventum n’a rien perdu ni de sa verve ni de son trait. Sobre et simple, cet album en noir et blanc charme par sa sincérité. Les traits sont fins et concis, la trame narrative efficace. Un bel album qui fera sourire amoureux et cœurs brisés.

12

Les 15 ans de la Pastèque Pour en savoir plus sur le travail des éditions La Pastèque, profitez de l’exposition du Musée des Beaux-Arts de Montréal «La

Arts & Culture

Images: Gracieuseté de La Pastèque BD s'expose au Musée. 15 artistes de La Pastèque inspirés par la collection». L’expo qui fête les 15 ans d’existence de la maison d’édition montréalaise créée des liens fascinants entre des arts qui, le temps d’une visite, se rejoignent et se bouleversent avec succès. Les œuvres de grands artistes tels que Joan Miro ou Serge Lemoyne, ainsi que de multiples objets d’art décoratif et contemporain côtoient avec perfection les planches des dessinateurs aux styles variés. Le tout est accompagné de vidéos, photos et entrevues donnant un bel aperçu du travail des bédéistes. Le livre souvenir offre un très beau témoignage de l’incroyable travail de La Pastèque ces quinze dernières années à travers des documents d’archives et des textes de spécialistes variés. On y retrouve

notamment les œuvres exposées au musée et une multitude d’extraits. Le petit plus: le livre est très bien présenté, coloré à souhait et agréable à feuilleter. Un indispensable pour tous ceux qui aiment la bande dessinée. Après tout, comme le dit Martin Brault dans l’avant-propos: «Quinze ans, ça peut paraître anodin, mais dans le monde de l’édition au Québec, surtout en bande dessinée, il s’agit ni plus ni moins d’un exploit.» [ «La BD s’expose au Musée. 15 artistes de La Pastèque inspirés par la collection» Où: Musée des Beaux-Arts 1380 Rue Sherbrooke Ouest Quand: jusqu’au 30 Mars Combien: Gratuit

[ le délit · le mardi 14 janvier 2014 · delitfrancais.com


THÉÂTRE

Le pianiste et l’océan Novecento jette l’ancre au Théâtre Denise-Pelletier. Léa Begis Le Délit

D

u 22 janvier au 8 février 2014, le Virginian fait une escale au Théâtre Denise-Pelletier. À l’image de ses thèmes principaux, l’océan et le voyage, Novecento: pianiste, spectacle pluridimensionnel du Théâtre de la trotteuse, créé en 2011 à Premier’Acte à Québec, a voyagé en France en 2012, plus précisément à Strasbourg et à Avignon, avant de revenir au port à Montréal. En effet, le célèbre monologue d’Alessandro Baricco avait d’abord été mis en scène par François Girard au Théâtre de Quat’Sous en 1999. «Tu n’es pas véritablement foutu tant que tu as une bonne histoire, et quelqu’un à qui la raconter», dit Novecento au narrateur. Et l’histoire de Novecento, c’en est toute une. Pianiste virtuose abandonné bébé par des immigrants sur le Virginian, Dany Boodman T.D. Lemon Novecento de son nom complet passe sa vie entre la proue et la poupe du navire, protégé par l’immense océan qui gronde sous ses pieds. Il se lie d’amitié avec Tim Tooney, le narrateur, trompettiste de l’Atlantic Jazz Band dans lequel joue aussi Novecento. Une histoire qui peut avoir l’air simple en surface, à l’exception d’un détail: Novecento n’a jamais mis et ne mettra jamais pied sur la terre ferme. Cette dimension «aérienne» de la vie de Novecento est représentée par les chorégraphies de Karine Chiasson dans lesquelles les mouvements lents et fluides des deux danseuses-comédiennes illustrent bien le mouvement des vagues. L'intégration de danse aérienne et au sol ajoute du dynamisme à un spectacle qui peut très vite devenir statique de par l'aspect narratif du monologue. Le choix de la metteure en scène d’avoir attribué le rôle de Novecento à un deuxième

David Michel Muller comédien, ajoute une dimension plus personnelle au personnage tout en contribuant au dynamisme global du spectacle. Les épisodes de l'histoire se succèdent de manière fluide et ininterrompue, comme la houle, sur les mélodies au piano composées par Olivier Leclerc, ou sur celles jouées par Simon Dépot sur le piano placé sur scène. Car, après tout, quand Novecento caresse les touches de son instrument, c'est sa vie qui résonne. Les airs souvent mélancoliques permettent aux spectateurs de plonger dans l'atmosphère poétique et onirique du texte de Baricco. La simplicité du décor (un piano placé en fond de scène et des caisses en bois disposées symétriquement de chaque côté de la scène), retient l'attention du spectateur sur le texte et le jeu des comédiens, laissant ainsi

la chance au narrateur de raconter l'histoire de Novecento dans ses moindres détails. Les costumes, à la fois simples et polyvalents (gilet et pantalon gris pour le narrateur, noirs pour Novecento/Chef du jazz band, et robes grises pour les danseuses) permettent également au spectateur de se concentrer sur le monologue. Mais l'histoire de Novecento, c'est d'abord et avant tout l'histoire d'une profonde amitié. Des gens, il en vient par milliers sur le Virginian, mais aucun ne reste. Novecento, être plutôt solitaire mais qui a tant de choses à raconter, trouve en la personne de Tim Tooney un confident qui le laisse être ce qu'il est sans jamais le juger. Malgré un départ peu convaincant, le jeu à la fois timide et sincère de Martin Lebrun (le narrateur) correspond

parfaitement au caractère de Tim, jeune trompettiste naïf et admiratif de Novecento, «le plus grand». Simon Dépot, quant à lui, campe un Novecento énigmatique et quelque peu excentrique, mais extrêmement attachant et d'une grande sensibilité. Les derniers mots du texte prononcés, les éclairages sont graduellement tamisés. Dans la salle maintenant plongée dans le noir, un grand silence se fait entendre. [ Novecento: Pianiste Où: Théâtre Denise-Pelletier 4353 Rue Ste-Catherine Est Quand: jusqu’au 8 février Combien: 27$

CAMPUS

La promesse d’un voyage intersidéral La nouvelle installation numérique du duo Maotik & Fraction à la SAT. Sophie Chauvet

Q

ui n’est jamais allé s’égarer dans la «satosphère» passe à coté d’un autre univers, d’une autre dimension. Au 1201 Saint-Laurent, des marches illuminées conduisent à ce dôme de 18 mètres de diamètre, qui forme un écran de projections sphériques. Les spectateurs sont invités à s’allonger sur des coussins, et on plonge dans une expérience multisensorielle. C’est dans cet espace que le duo Maotik & Fraction frappe à nouveau avec ObE, fort de son succès au très respectable festival Mutek. On peut qualifier cette création d’installation audiovisuelle interactive. Au centre de l’espace, un demi-diamant incrusté dans le sol clignote déjà. Tout autour se trouvent des chevalets d’acier, que les spectateurs sont invités à manipuler pendant les trente-cinq minutes de la représentation. Les portes se ferment, le voyage peut commencer. Les graphismes 3D déboulent dans tout le champ de vision et évoluent au rythme

de sons industriels. Le ballet des lignes parallèles aux couleurs froides mime un mouvement d’ascension, direction la stratosphère. Mais pas question de nuages, ici on s’engouffre dans la matière. Les figures fractales au comportement erratique dessinent pourtant les traits d’une entité. On baigne dans une vision organique du processus artistique. Des atomes s’entrechoquent pour faire et défaire cette créature. Des code-barres aux accents cosmiques monopolisent l’espace. Ils semblent répondre aux pulsations du son, et participent à l’hypnotisation du spectateur. Soudain, les lasers semblent se calmer. On peut alors accoster les chevalets aux allures futuristes. Dotés de capteurs infra-rouges, ils réagissent à l’approche de la main et coordonnent des notes industrielles à des apparitions sur la sphère. Le spectateur est rendu démiurge pour l’occasion. Un simple mouvement et des figures 3D d’influence glacière surgissent de tous les côtés. Les palettes s’illuminent et chacune produit un son différent. Des ampoules au sol viennent compléter cette

[ le délit · le mardi 14 janvier 2014 · delitfrancais.com

Sébastien Roy

réinterprétation de la matrice. Morpheus, sort de ce corps. Les fractales reprennent ensuite leur danse effrénée et englobent l’audience, médusée. On pourrait penser à une métaphore, mais ce n’est plus de mots dont il s’agit. À ce stade de la métaphysique, le spectateur en est remis à ses sensations, et peut interagir avec un concept abstrait. Les couleurs chantent en canon avec les tons syncopés, on sent l’adrénaline monter. On se laisse forcément porter par cette pause vis-à-vis du monde extérieur. La projection se termine, et on s’éveille doucement de ce rêve. Quelques instants se passent avant que le public ne se décide d’applaudir de façon parsemée. Le temps de ne pas comprendre ce qui vient de se passer. Par un séduisant minimalisme, Maotik & Fraction auront convaincu tout le monde. Respectivement artiste multimédia et plasticien sonore, le duo Maotik & Fraction réussit avec ObE le pari d’une expérience unique. Déconseillé aux épileptiques. [

Arts & Culture

13


THÉÂTRE

Dans la peau d’un comédien Moi, Feuerbach invite à réfléchir au théâtre Prospero. Camille Gris Roy Le Délit

D

ix-huit ans après sa première mise en scène en Amérique du Nord, la pièce Moi, Feuerbach du dramaturge allemand Tankred Dorst est à nouveau présentée au théâtre Prospéro. Feuerbach (Gabriel Arcand) est un comédien d’un certain âge, qui n’a pas foulé les planches depuis sept ans. Il se présente chez un metteur en scène pour passer une audition, mais il n’est toutefois reçu que par le jeune assistant de ce dernier (Alex Bisping). La pièce est construite autour du dialogue entre ces deux hommes qui attendent. On l’a compris: le metteur en scène, tel Godot, ne viendra pas. En fait ce n’est qu’à la toute fin qu’il fait son apparition (mais toujours invisible, en régie) et qu’il daigne écouter Feuerbach. Le comédien récite alors un texte incompréhensible. Il bafouille, se perd et rate complètement son audition. Mais pour Feuerbach la véritable audition a eu lieu bien avant. C’est pendant l’attente, interminable, que l’homme fait réellement preuve de son talent. Dès lors qu’il met les pieds sur scène, il reprend son habit de comédien et retrouve toutes les émotions liées à son ancien métier. Alors en attendant, il tente d’impressionner l’assistant, de le convaincre. Il raconte des anecdotes, récite des vers de Goethe ou des incantations en italien. Devant lui l’assistant du metteur en scène reste de marbre. La confrontation entre les deux personnages, si différents l’un de l’autre, est un choc. L’assistant est un homme arrogant, d’une toute autre génération. Il ne connaît rien du «théâtre d’hier», une case dans laquelle il range Feuerbach et qui ne mérite pas d’être considérée.

Feuerbach aussi est arrogant, à sa manière: il est convaincu de son talent et de savoir ce qu’est le théâtre. Son égo est mis à l’épreuve puisqu’il doit affronter une nouvelle réalité, celle d’un «nouveau théâtre» auquel il n’appartient pas. Les références et les attentes ne sont plus les mêmes. Désormais les acteurs qui ont de l’avenir, ce sont les chiens. L’assistant semble en effet porter plus d’attention aux allers et venues sur scène d’un chien, qui doit, lui aussi, passer une «audition» pour un rôle. Feuerbach a-t-il encore sa place au théâtre, lui?

comédien, mais qui sait aussi au fond de lui que c’est ce métier qui l’a mené à bout. Malgré tout, il manque quelque chose à la pièce pour qu’on en ressorte totalement comblé. Le texte est parfois dur à suivre, et la mise en scène n’est pas totalement convaincante. À l’image du décor (une scène de théâtre en construction), la pièce peut sembler un peu «désordonnée», et comme les personnages on a parfois l’impression de se perdre dans les discours. Mais Gabriel Arcand est formidable dans son interpréta-

tion de Feuerbach, un rôle qu’il reprend ici après dix-huit ans. C’est lui qui est au centre de la pièce, et qui porte ce texte. Alors pour lui, et pour réfléchir sur le théâtre, il faudra voir la pièce. [ Moi, Feuerbach Où: Théâtre Prospero Quand: Jusqu’au 8 février 2014 Combien: 24$

«C’est le théâtre qui a donné son heure de gloiree à Feuerbach, mais qui l’aura également brisé.»

Dans un message écrit pour la Journée internationale du théâtre en 2013, Tankred Dorst écrit: «Nous ne cessons de nous poser cette question: le théâtre estil encore en phase avec son époque?». La pièce Moi, Feuerbach nous offre une réflexion sur cet art, à la fois sur son avenir et sur l’effet qu’il a sur ceux qui le pratiquent. Lors de la présentation de la pièce au théâtre Prospéro, Gabriel Arcand dit: «je pense que dans ce texte, il y a tout ce que j’ai déjà entendu, tout ce que j’ai déjà vu dire sur le théâtre. Tout est là; le théâtre comme on le haït, comme on l’aime, comment on voudrait qu’il (ne) soit (pas) pratiqué par les autres.» C’est le théâtre qui a donné son heure de gloire à Feuerbach, mais qui l’aura également brisé. Au fur et à mesure de la pièce le comédien se dévoile; derrière le grand acteur d’antan, en apparence sûr de lui, il y a évidemment un homme fragile, qui n’envisage d’autre métier que celui de

Matthew Fournier

THÉÂTRE

Étourdissement poétique Sylvie Drapeau, grand-mère, mère et fille dans Le Carrousel de Jennifer Tremblay. Gabriel Cholette Le Délit

A

u cœur de l’Expo 67, il y avait un carrousel chantant. On imagine bien les enfants emplis de joie sur les grands chevaux, les éléphants tournants. C’est cette image forte de l’imaginaire collectif québécois que Jennifer Tremblay emprunte, lorsque Florence (Sylvie Drapeau), mère de famille, permet à ses enfants de monter et de remonter sur le carrousel. L’actrice, seule sur scène pendant une heure et cinq a le sourire aux lèvres lorsqu’elle récite ses souvenirs. Elle joue tous les rôles Sylvie Drapeau, c’est la grand-mère, la mère, la fille. Tout repose sur ses épaules pour nous faire comprendre le changement de personnage. Elle se retourne: c’est la grand-mère. Elle crie, baisse les épaules: c’est les enfants. Elle

14

Arts & Culture

change de ton: c’est la mère. La scène reflète la diversité des personnages. Une structure arrondie rappelant la forme d’un carrousel permet d’être en même temps la foire, le pensionnat, les champs québécois. Une grande toile en dentelle flotte sur la scène rappelant la légèreté de l’enfance. Ainsi, une femme doit rejoindre sa mère mourante en passant par la route 138, pour se rendre à la Côte-Nord. Par son voyage sur les grandes routes du Québec, nous voyageons avec elle dans ses pensées. La quête de sa généalogie, la tentative de comprendre d’où proviennent ses frustrations. Le Carrousel, c’est le passage de la mémoire à un monologue: un tourbillon d’images et d’idées qui s’entremêlent dans un même fil narratif. On regrette de ne pas toujours tout pouvoir comprendre, mais c’est surtout la poésie qui reste à nos yeux. Les images sont fortes et l’on se recon-

nait aisément dans l’univers de Jennifer Tremblay. Un univers pas si éloigné: le Québec rural de maintenant, des années 1980, des années 1960. On entend bien l’univers d’Anne Hébert en résonnance. Son poème Le Carrousel a été mis en exergue de la pièce. Comme chez Hébert, le monde de Tremblay est dur et violent. Si dur que dans la pièce, une petite fille est placée dans un pensionnat pour éviter l’abus de son père, mais finit attouchée par l’une des sœurs qui devait la protéger. Le sentiment de lourdeur n’est toutefois pas ce qui reste en tête après la pièce. C’est plutôt l’amour, le sentiment de fraternité, les sourires des enfants qui restent. Et au cœur de tout: la relation mère fille. La pièce saisit de façon brillante ces relations qui nous poussent à crier: «Maman, part pas». [

Valérie Remise

[ le délit · le mardi 28 janvier 2014 · delitfrancais.com


OPÉRA

Enfin là!

Porgy and Bess en Terre promise. Philippe Robichaud Le Délit

U

ne partition de Summertime est posée sur mon piano depuis que j’ai sept ans; y figure une lithographie des amants éponymes. C’est sans doute la chanson la plus reprise de l’histoire. Sur sa page d’accueil, le site The Summertime Connection affirme qu’en date du 11 mai 2011, il existe au moins 41 915 performances publiques de l’aria, desquelles 33 345 ont été enregistrées. Et la chanson est loin d’être le seul hit de l’opéra. À Summertime s’ajoutent, parmi d’autres, les incontournables I Loves You Porgy, It Ain’t Necessarily So, Bess et I Got Plenty O’ Nuttin’, standards bien rodés. Ce qui fait, en quelque sorte, de cet opéra un Thriller du répertoire classique américain, si l’analogie avec un album pop colle. Cela étant dit, je ne l’avais jamais vu. Pas en live. Et ce n’est pas étonnant. Depuis sa création au Alvin Theatre de New York en 1935, le chef-d’œuvre de Gershwin jouit d’une aura mystique dont la verve est inversement proportionnelle à sa réelle présence dans les salles de concert. Adapté de Porgy, pièce ellemême adaptée du roman à succès d’Edwin Dubose Heyward, l’opéra connaîtra un XXe mouvementé. D’une part, Ira Gershwin dicte à même le livret que la troupe se doit d’être composée d’artistes noirs, ce qui, dans une Amérique fortement ségréguée, reste un

geste aussi subversif que complexe à exécuter. D’autant plus que, comme le remarque la soprano Marie-Josée Lord (rôle de Serena), plusieurs Afro-Américains accusent l’œuvre de racisme, offusqués par une mise en scène jugée peu digne. Exemple notoire: dans les années 1950, Harry Belafonte refuse publiquement le rôle de Porgy dans la version cinématographique. Des versions édulcorées de Cheryl Crawford pour Broadway aux premières européennes par des troupes de Blancs lors de l’occupation nazie, sans oublier les récentes versions fortement critiquées de Nunn et Paulus, les difficultés auxquelles se buttent cette œuvre –qui ne lésine pas dans son traitement des motifs d’amour, de drogue et de violence– sont multiples, de sorte que les productions un tant soit peu fidèles à l’intention originale se comptent sur les doigts d’une main. Présentée pour la première fois par l’Opéra de Montréal en collaboration avec l’OSM, la Montreal Jubliation Gospel Choir et neuf autres compagnies nord-américaines dans le cadre du Mois de l’histoire des Noirs, Porgy and Bess se joue sous poids d’une immense anticipation. C’est l’opéra que tout le monde connaît de fragments ou de légende, mais que peu ont véritablement eu la chance d’entendre. Même pour l’année 2012-2013, qui suit la popularité de la version de Diane Paulus, la base de données Operabase le classe en 117e place en termes de nombres de

Yves Renaud représentations à l’international, tout juste derrière l’Orlando d’Haendel. Facile de comprendre alors que les cinq représentations sont à guichet fermé, et ce, avant même la première. Les voix de Kenneth Overton –remplacement fortuit à deux semaines de la première– et de la même Measha Brueggergosman qui interprète l’hymne olympique à Vancouver en 2010 –respectivement Porgy et Bess– brillent. Jermaine Smith, également recruté à la dernière minute en remplacement, se démarque par son incarnation impeccable du personnage Sportin’ Life: il ajoute à sa voix explosive un jeu théâtral et une chorégraphie d’une maîtrise époustouflante, glanée à travers des années d’expérience dans la peau du personnage. Son It Ain’t Necessarily So, donné dans un style qui rappelle mais transcende la simple comédie musicale, est le numéro le plus ovationné de la soirée. De son côté, Wayne Marshall, chef d’orchestre chevronné, reconnu entre autres pour ses interprétations

de Gershwin, Ellington et Bernstein, mène l’OSM à la fois avec bravade et subtilité. À l’image de l’œuvre dont la genèse témoigne d’autant de niveaux qu’un millefeuille, l’exécution parvient simultanément à exprimer avec intelligence les motifs historico-sociaux, avec candeur l’intrigue accessible à tous et avec finesse la polyphonie référentielle de Gershwin qui mêle, par la pratique des leitmotive allemands, jazz, folklore américain, gospel, blues en Gullah et musique liturgique juive. Comme le chante somptueusement Michael Preacely dans le rôle de Jake, «it took a long pull to get there», mais voici finalement que l’œuvre de Gershwin est honorée d’une représentation à sa hauteur à Montréal. [ Porgy and Bess Où: Salle Wilfrid-Pelletier Place des Arts Quand: Jusqu’au 3 février

EXPOSITION

Perspectives montréalaises Exploration spatiale et temporelle de la ville de Montréal au Musée McCord. Noor Daldoul

L

e musée McCord accueille de façon permanente l’exposition «Montréal – Points de vue», une exposition qui célèbre la ville de Montréal, sa vie d’hier et d’aujourd’hui, en retraçant l’histoire de ses premiers occupants autochtones jusqu’à la nôtre. C’est d’abord une exposition unique sur les coins et recoins que nous voyons et traversons tous les jours, sans pourtant soupçonner l’imposante histoire qui y est enfouie: les Boulevard St-Laurent, Canal Lachine, Mont Royal et autres lieux incontournables de la métropole sont autant d’endroits qui ont vu la ville de Montréal se métamorphoser. Au début du 19e siècle, les plaines et vallées laissent place aux manufactures et industries, avant que l’urbanisation ne gagne du terrain et que les banlieues, les quartiers, les édifices publics et les grands boulevards ne redessinent le paysage à la fin du siècle. Plus tard, l’apparition de magasins, centres commerciaux, infrastructures nouvelles et lieux de loisirs lancent Montréal sur la voie de la modernité, atteignant son paroxysme lors de la décennie accueillant l’Exposition Universelle (1967) qui voit les premiers gratte-ciels pousser des sols de la ville. Et Montréal de se transformer au fur et à mesure des siècles passés, de la présence des autochtones, de l’exploration de Jacques Cartier, des activités des colons français puis

Cécile Amiot / Le Délit anglais. De ces occupations anciennes en passant par les périodes d’industrialisation et d’urbanisation, l’exposition «Montréal – Points de vue» nous fraye un chemin à travers les différentes étapes du développement économique et culturel de Montréal. Nous partons donc à la conquête à la fois spatiale et temporelle de la ville. La particularité de cette exposition est qu’elle combine photographies, courts-métrages, dessins, et vestiges d’un autre temps: nous pouvons ainsi admirer des perles du 15e siècle, des outils agricoles, des armes datant des guerres franco-iroquoises du 17e siècle, d’anciennes pièces de monnaie, de somptueux vêtements appartenant à

[ le délit · le mardi 28 janvier 2014 · delitfrancais.com

l’élite économique anglaise et écossaise du 19e siècle, ou encore d’anciennes affiches industrielles et publicitaires. Tous ces fragments d’une vie passée renaissent le temps de quelques minutes, voire de quelques heures pour les plus convaincus, et font de l’exposition une façon nouvelle et unique de découvrir cette ville que certains de nous ne connaissent pas, ou du moins pas assez pour en apprécier l’exception. En marchant le long des allées, nous passons d’une époque à l’autre, comme en tournant les pages d’un livre d’histoire. Le Délit conseille cette exposition pour son approche interactive avec des vidéos et des textes explicatifs, ainsi que des films historiques qui donneront du sens

à la multitude d’information proposée. Mais n’ayez crainte, jeunes étudiants à la pointe de la modernité, cette exposition jette aussi son dévolu sur le Montréal d’aujourd’hui; Montréal la contemporaine, la multiculturelle, la cosmopolite. L’exposition décide aujourd’hui d’aborder ce thème à travers le prisme du photographe Guillaume Simoneau, dont l’incroyable photographie quasi grandeur nature justifie sa vision de Montréal selon laquelle «l’essence de la ville ne peut se capturer qu’à travers ses citoyens». Car, sans aucun doute, ce sont aussi les vagues successives d’immigrants qui ont façonnées Montréal et ont fait sa plus grande beauté, sa mosaïque ethnoculturelle. Enfin, en tant que Mcgillois invétérés, on trouvera notre bonheur avec cette petite anecdote: la pierre tombale à la gauche des portes Roddick est une stalle commémorative qui rappelle que le quadrilatère où se trouve l’université contient l’empreinte archéologique de la présence du village iroquois d’Hochelaga. Elle rappelle aussi le travail de l’ancien recteur Williams Dawson, qui avait à cœur la sauvegarde archéologique des vestiges trouvés sur le site. [ Montréal - Points de vue Où: Musée McCord 690 Rue Sherbrooke ouest Quand: Exposition permanente Combien: 9$ gratuit les mercredis dès 17h

Arts & Culture

15


ASSEMBLÉE GÉNÉRALE D’HIVER

5 février à 17 h

salle de bal de l’AÉUM ssmu.ca/ga


Turn static files into dynamic content formats.

Create a flipbook
Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.