Le Délit

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delitfrancais.com Publié par la société des publications du Daily, une association étudiante de l’Université McGill

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Le mardi 29 octobre 2013 | Volume 103 Numéro 07

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Comme d’habitude depuis 1977


Volume 103 Numéro 07

Éditorial

Le seul journal francophone de l’Université McGill

rec@delitfrancais.com

Suivre la tendance? Camille Gris Roy Le Délit

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cGill annonçait la semaine dernière le lancement de son premier cours en ligne: le cours de «chimie alimentaire» CHEM 181x, intitulé «Food for Thought». C’est le premier de la série des MOOCs («Massively open online courses»), prévus par l’Université. L’Université rejoint ainsi des universités telles que Harvard, le Massachussetts Institute of Technology (MIT) ou l’Université de Toronto dans le club des institutions d’enseignement supérieur qui proposent des cours en ligne. Ces universités forment ensemble un consortium international nommé edX. La décision de créer à McGill des cours sur Internet avait été annoncée à la session d’hiver dernière, dans un climat de controverse. Il faut rappeler en effet que l’Université avait très peu consulté la communauté mcgilloise à ce sujet; et le projet n’était même pas passé par le Sénat. Avec les inscriptions au cours CHEM 181x qui viennent tout juste d’ouvrir, on arrive bien dans le concret, et c’est tout un débat sur l’effet des nouvelles technologies sur l’éducation qui va refaire surface. Un sujet qui ne fait pas l’unanimité. C’est aussi l’occasion de s’interroger plus précisément sur les choix que fait McGill, notamment au niveau des communications et des échanges à l’Université. C’est une nouvelle forme d’enseignement que McGill va tenter. Bien sûr, on sait qu’on est loin de remplacer totalement la façon dont l’Université donne ses cours. Ce n’est d’ailleurs en aucun cas l’objectif de McGill de remplacer les cours «traditionnels» par des cours offerts en ligne uniquement. Dans un récent article du McGill

Reporter qui traite du sujet, on tente de nous rassurer: «cela ne signifie pas que les étudiants qui prennent des cours en ligne pourront accumuler suffisamment d’heures devant leurs ordinateurs pour obtenir, à la fin, un diplôme universitaire». Les cours selon le modèle edX ne seront d’ailleurs pas crédités. La question des communications à travers ces nouvelles plateformes d’enseignements numériques est particulièrement intéressante. À McGill, il y a déjà un problème de communication et d’interactions. McGill est une bonne université, oui. C’est une université «d’excellence». Mais elle ne vantera pas ses amphithéâtres bondés (parfois remplis par plus de 600 personnes), ses conférences et ses cours de langue qui, avec plus de 30 étudiants, n’offrent pas des conditions de travail adéquates. D’autant plus que, dans un contexte de coupures budgétaires, la situation n’est pas en voie de s’améliorer. Pour remédier à ce problème, l’Université a, semblerait-il, plusieurs alternatives. Parmi ces possibilités, peut-être, justement, les cours en ligne. Ils offriront divers moyens d’interagir - d’entrer en interaction avec les autres étudiants du cours et les professeurs. En effet, ces cours incluront des activités interactives et des plateformes de discussion. On peut d’ailleurs penser que ces cours faciliteront l’échange et la participation de tous, puisque même les plus timides pourront s’exprimer plus librement, derrière leur écran. Il suffira d’un ordinateur et d’une connexion Internet. Mais il manquera toujours quelque chose: le facteur «humain». Une autre option serait de privilégier les contacts interpersonnels et de tirer profit des structures déjà existantes à McGill pour améliorer les conditions d’enseignement. C’est là le vieil

argument, classique, des «relations humaines» - inexistantes dans les plateformes d’enseignement en ligne. La question est: les cours en ligne au niveau universitaire sont-ils pertinents, si on considère que l’on va à l’université non seulement pour suivre des cours, mais aussi pour rencontrer d’autres personnes, écouter d’autres points de vue, s’engager? Avec les cours en ligne, c’est différent. Alors, est-ce que McGill préfère investir dans cette «solution d’avenir» que représentent les cours en ligne, plutôt que d’investir dans ces «relations humaines» et d’améliorer les structures déjà existantes? Est-ce que c’est vraiment le temps de franchir le pas? Est-ce que c’est ce que la majorité souhaite? À ce sujet, on n’a pas vraiment demandé l’avis de tous les étudiants, de tous les professeurs, de tous les Mcgillois. La justification économique pour les cours en ligne n’est même pas là. En fait, ils coûtent même assez cher et c’est tout un travail de les mettre en place. Donc si l’argent est là pour ces nouveaux cours «2.0», est-ce qu’on ne devrait pas plutôt penser à des solutions pour améliorer l’enseignement qui est déjà donné à McGill? On pourrait penser à innover. À créer des nouvelles classes, des petites classes. Des nouvelles dynamiques d’échange dans les cours et à l’Université en général. En rejoignant Harvard et le MIT, McGill suit la mode. Les nouvelles technologies, Internet, c’est la tendance actuelle. Mais parfois il n’est pas nécessaire d’aller chercher bien loin, pour réussir à se démarquer. Le projet est un projet pilote, intéressant. Un essai entrepris par McGill. Mais est-ce que c’est ce dont l’Université a besoin maintenant? Peut-être pas. La porte reste ouverte. On verra. x

Romain Hainaut

rédaction 3480 rue McTavish, bureau B•24 Montréal (Québec) H3A 1X9 Téléphone : +1 514 398-6784 Télécopieur : +1 514 398-8318 Rédactrice en chef rec@delitfrancais.com Camille Gris Roy Actualités actualites@delitfrancais.com Alexandra Nadeau Sophie Blais Arts&Culture artsculture@delitfrancais.com Thomas Simonneau Joseph Boju Société societe@delitfrancais.com Côme de Grandmaison Coordonnateur de la production production@delitfrancais.com Théo Bourgery Coordonnateurs visuel visuel@delitfrancais.com Camille Chabrol Romain Hainaut Infographie infographie@delitfrancais.com Vacant Coordonnatrices de la correction correction@delitfrancais.com Claire Launay Anne Pouzargues Coordonnateur Web web@delitfrancais.com Mathieu Ménard Coordonnatrice des réseaux sociaux réso@delitfrancais.com Mathilde Michaud Journalistes Aurélie Garnier, Chloé Roset, Léo Arcay, Charlotte Ruiz, Apolline Pierson, Esther Tabarly Perrin, Gwenn Duval, Aurélie Lanctôt, Virginie Daigle, Ruth Malka, Doriane Rendria, Alice Tabarin, Any-pier Dionne, Léa Frydman, Scarlett Remlinger, Philippe Robichaud, Luce Hyver, Luiz Takei, Natalia Lara Diazberrio, Sylvana Tishelman, Heidrun Lohr, Julie Artacho, Éléonore Nouel, Anaïs Faubert Couverture Image : Camille Chabrol Montage : Camille Chabrol bureau publicitaire 3480 rue McTavish, bureau B•26 Montréal (Québec) H3A 1X9 Téléphone : +1 514 398-6790 Télécopieur : +1 514 398-8318 ads@dailypublications.org Publicité et direction générale Boris Shedov Photocomposition Mathieu Ménard et Geneviève Robert The McGill Daily coordinating@mcgilldaily.com Anqi Zhang Conseil d’administration de la Société des publications du Daily (SPD) Lola Duffort, Benjamin Elgie, Jacqueline Brandon, Camille Gris Roy, Théo Bourgery, Samantha Shier, Anqi Zhang, Boris Shedov, Hera Chan, Amina Batyreva L’usage du masculin dans les pages du Délit vise à alléger le texte et ne se veut nullement discriminatoire.

Les opinions exprimées dans ces pages ne reflètent pas nécessairement celles de l’Université McGill.

2 Éditorial

Le Délit (ISSN 1192-4609) est publié la plupart des mardis par la Société des publications du Daily (SPD). Il encourage la reproduction de ses articles originaux à condition d’en mentionner la source (sauf dans le cas d’articles et d’illustrations dont les droits avant été auparavent réservés, incluant les articles de la CUP). L’équipe du Délit n’endosse pas nécessairement les produits dont la publicité paraît dans ce journal.Imprimé sur du papier recyclé format tabloïde par Imprimeries Transcontinental Transmag, Anjou (Québec). Le Délit est membre fondateur de la Canadian University Press (CUP) et du Carrefour international de la presse universitaire francophone (CIPUF).

x le délit · le mardi 29 octobre 2013· delitfrancais.com


Actualités

Natalia Lara Diazberrio

actualites@delitfrancais.com

BRÈVE/QUÉBEC

BRÈVE/CAMPUS

L’ ASSÉ au front

CBC - McGill Camille Gris Roy Le Délit

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cGill a accueilli un débat entre les quatre principaux candidats à la mairie de Montréal le mardi 22 octobre. Deux semaines après le grand débat Radio-Canada qui s’était tenu dans la salle Redpath de l’université, Richard Bergeron, Denis Coderre, Marcel Côté et Mélanie Joly étaient à nouveau réunis pour débattre des grands thèmes de la campagne, en anglais cette fois-ici, et sur les ondes de CBC. Le débat était animé par Andrew Chang, présentateur de nouvelles sur CBC-Montréal, et s’est déroulé dans le pavillon de musique Schulich. La formule choisie était un peu différente que lors du débat Radio-Canada: pour chaque question ou thème abordé, les candidats, après une réponse individuelle minutée, avaient une période

pour se répondre entre eux et débattre sans intervention du présentateur. Les candidats ont eu l’occasion de revenir sur les grands thèmes de cette campagne: la corruption, l’économie montréalaise, les transports, la Charte des valeurs proposée par le gouvernement provincial, etc. Un des thèmes abordés dans ce débat était la place de la langue anglaise à Montréal. Pour Denis Coderre, qui s’est posé en défenseur de la «diversité», «tout le monde doit être un citoyen de première classe». Mélanie Joly a dit être fière que Montréal soit «la ville la plus bilingue en Amérique du Nord», et a insisté sur l’importance de garder les étudiants internationaux qui viennent étudier à Montréal – notamment les étudiants anglophones qui ont tendance à repartir. Le débat, diffusé en direct à la télévision et à la radio de CBC, a duré une heure. x

Référendum 2013

Quatre motions pour le référendum de l’AÉUM. Alexandra Nadeau Le Délit

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a période de référendum s’entame à l’Association Étudiante de l’Université McGill (AÉUM). La période de nomination étant maintenant terminée, des comités peuvent à présent se former, pour se positionner pour ou contre les motions proposées. Quatre motions sont à l’ordre du jour du référendum. Midnight Kitchen L’organisation bénévole Midnight Kitchen (MK), qui sert des repas gratuits ou sur don tous les midis, a déposé deux motions pour le référendum. Une première motion porte sur l’existence de MK, à savoir si, oui ou non, les étudiants veulent que MK continue d’exister au sein de McGill. MK demande également que les frais chargés aux étudiants chaque session pour faire fonctionner l’organisation soient augmentés. Une première question référendaire suggère que les frais passent de 2,25$ à 3,25$ par session. Une seconde question propose que ces frais soient ajustés à l’inflation à partir de l’hiver 2014. MK dit que les frais chargés n’ont pas augmenté proportionnellement au nombre d’étudiants utilisant le service. Cette nouvelle entrée d’argent servirait à améliorer la qualité de la nourriture offerte (en achetant des aliments en gros plutôt que des aliments dont les supermarchés ne veulent plus par exemple) et à éventuellement offrir des petits-déjeuners gratuits aux étudiants. L’argent récolté dans les frais de scolarité étudiants permet au service de restauration communautaire de subsister car le financement de MK dépend à 99.3% de ces frais de cotisation des étudiants.

Garderie de l’AÉUM Une motion a été déposée afin que les frais chargés aux étudiants de McGill pour la garderie d’enfants de l’AÉUM soient augmentés. Les frais passeraient ainsi de 1,50$ à 2,50$ par session. La motion stipule que les frais n’ont pas augmenté depuis l’ouverture de l’infirmerie de la garderie en 2009, ce qui a augmenté les dépenses de ce service. Aussi, une deuxième question dans la motion demande que les frais soient ajustés annuellement en relation avec l’indexation, et ce à partir de l’hiver 2014. Stefan Fong, vice-président clubs et services de l’AÉUM, explique au Délit l’importance de cette motion. «Si la motion sur la garderie de l’AÉUM ne passe pas, la garderie entrera dans un déficit au cours des trois prochaines années en raison de l’augmentation du loyer demandé par l’université et ne sera plus en mesure de maintenir son niveau actuel de service». Il dit que les places offertes à la garderie pour les enfants seraient réduites, ainsi que le nombre d’éducateurs qui y travaillent. En 2006, une telle augmentation avait été approuvée. Constitution de l’AÉUM La dernière motion proposée pour le référendum est l’adoption de la nouvelle constitution de l’AÉUM, qui remplacerait la constitution actuelle. La période de campagne aura lieu du 1er au 14 novembre, et la période de vote du 8 au 14 novembre. Du côté de l’Association des étudiants de la Faculté des arts (AÉFA), la date de tombée pour déposer des questions pour le référendum est le 30 octobre. x

Alexandra Nadeau Le Délit

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’Association pour une solidarité syndicale étudiante (ASSÉ) refuse formellement de participer à la Commission Ménard. C’est ce qu’on peut lire dans le communiqué de presse émis suite au congrès d’automne de l’association qui a eu lieu les 26 et 27 octobre derniers, à Québec. L’association en a décidé ainsi car, malgré le fait que la Commission ait comme objectif d’examiner les événements du Printemps érable 2012, elle ne va pas assez loin. L’ASSÉ juge plutôt qu’une enquête publique et indépendante sur le travail des policiers lors des manifestations étudiantes du printemps 2012 doit être menée. Université d’Ottawa

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Dans le même ordre d’idée, on lit dans le communiqué qu’«un an après l’abrogation de la loi 12, les associations étudiantes ont tenu à dénoncer toute législation qui continue à restreindre les droits fondamentaux de liberté d’expression et d’association». Justin Arcand, coporte-parole de l’ASSÉ, rappelle que le règlement municipal P-6 est toujours en vigueur, tout comme la loi C-309 au fédéral qui interdit le port de masque. Justin Arcand dit que ces mesures doivent être abrogées le plus rapidement possible. L’ASSÉ compte organiser divers événements de contestation au cours du mois de novembre, comme la mascarade d’Halloween qui aura lieu le 2 novembre prochain. x

University of Ottawa

PORTES

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CAMPUS

«Blurred Lines» au Conseil La motion pour bannir la chanson ne passe pas. Sophie Blais Le Délit

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’Association Étudiante de l’Université McGill (AÉUM) a tenu son quatrième conseil législatif le jeudi 24 Octobre. La rencontre a été marquée par un vif débat concernant la seule motion proposée, qui proposait que la chanson «Blurred Lines» de Robin Thicke soit bannie du bâtiment Shatner. «Cette chanson promeut la culture du viol, et va à l’encontre de notre politique d’équité», explique Sarah Southey, représentante de l’Association des Étudiants en Sciences (Science Undergraduate Society, SUS), et une des auteures de la motion. «C’est une chanson pouvant déclencher des émotions chez les survivants d’agressions sexuelles». Mojdeh Afshin, le représentant de la Faculté dentaire de McGill, s’est exprimé en faveur de la motion, pointant du doigt le panneau «espace sécuritaire» derrière lui. «Le but de l’espace sécuritaire est que tout le monde reçoive le respect auquel ils ont droit. Si une personne avait été victime d’agression sexuelle, recevrait-elle le respect auquel elle a droit?», a-t-il demandé. «Blurred Lines» a été le sujet de nombreuses polémiques cette année, notamment en raison de son clip vidéo et ses paroles, accusés d’être dégradants envers l’image de la femme, et promouvant

la culture du viol. Plusieurs universités en Europe l’ont bannie de leur campus, créant alors un précédent pour la motion présentée à l’AÉUM. Katie Larson, la présidente de l’AÉUM, et Brian Farnan, vice-président aux affaires internes, se sont clairement opposés à la motion. Ce dernier a déclaré «[La motion] est la chose la plus proche possible de la censure», ajoutant que «c’est la chose la plus effrayante que j’aie entendu». Katie Larson a elle aussi mis en garde le conseil des dangers de la censure: «Cela ouvrirait la boite de Pandore de la censure de musique. Est ce que c’est juste cette chanson? Jusqu’où voulons-nous aller avec ça?» Ils ont soulevé le fait qu’il y a, selon eux, un grand nombre de chansons à connotation misogyne, et qu’il serait difficile de fixer la limite entre celles que l’AÉUM devrait bannir.

Après plus d’une heure et demie de débat, la motion a finalement été rejetée, avec 7 votes en faveur, 8 en opposition et 11 abstentions. Par ailleurs, deux invités étaient présents lors du conseil: Lev Bukhman, fondateur de l’Alliance pour la santé étudiante au Québec (ASEQ) et David Gray-Donald, coordonnateur de la durabilité à l’AÉUM. L’ASEQ est le service qui fournit le régime d’assurance maladie aux étudiants membres de l’AÉUM. Lev Bukhman a présenté le lancement d’une nouvelle application qui permet aux étudiants de soumettre une demande d’indemnisation en prenant en photo leur reçu. David Donald-Gray a, quant à lui, présenté le rapport de durabilité de l’AÉUM de l’année 2012-2013, mettant l’accent sur le projet Vision 2020. x

BRÈVE/CAMPUS

Arrivée du café étudiant Sophie Blais Le Délit

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n café autogéré par des étudiants de McGill verra officiellement le jour le 6 janvier 2014. C’était jour de lancement, le vendredi 25 octobre dernier, suite à l’approbation officielle du projet, nommé SRC (Student-Run Cafe) pour l’instant. En 2010, l’administration de McGill a décidé unilatéralement de fermer le dernier café géré par des étudiants, l’Arch café. Le nouvel établissement sera situé où se trouvait l’ancien comptoir de Lola Rosa à la cafétéria du deuxième étage du bâtiment Shatner. Le café est en ce moment à la recherche d’un nom, et l’équipe invite les étudiants de McGill à proposer leurs idées. Aussi, le nouveau café est en période d’embauche, et cherche des étudiants désireux de venir y travailler. Josh Redel, étudiant en génie logiciel et ex-président de l’Association Étudiante de l’Université McGill, est le gérant du café, et Kathleen Bradley, étudiante en philosophie et économie, en est la cuisinière en chef. x

Luiz Takei Luiz Takei

Colloque sur le multilinguisme Comment notre cerveau arrive-t-il à «manier» plusieurs langues à la fois? Aurélie Garnier Le Délit

À

l’occasion de son 50ème anniversaire, l’École des sciences de la communication humaine de McGill a organisé de multiples conférences les jeudi et vendredi 24 et 25 octobre à l’université. Centrées autour du thème du multilinguisme, les différentes conférences traitaient de sujets tels que le bilinguisme, les mécanismes d’apprentissage de la langue et les effets transferts, afin d’illustrer les avancements de la recherche dans ce domaine. Au programme, une grande variété de conférences sur des thèmes divers tels que: «comment gérer deux langues dans le même cerveau?», «les rôles du statut socio-économique dans le bilinguisme», ou encore «apprendre et oublier». L’intérêt d’un tel événement Organisé à Montréal, ville bilingue et multiculturelle, le colloque sur le multilinguisme prend tout son sens. McGill, une des seules universités anglophones dans la province du Québec, accueille un grand nombre de francophones qui suivent leurs cours en anglais. Dès lors, il devient intéressant de se pencher sur la question du bilinguisme, puisqu’elle touche une grande partie de McGill et de

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le faire, mais votre cerveau va utiliser des mécanismes différents.»

Montréal. Le séminaire était destiné non seulement à informer le public, mais aussi à faciliter et encourager les échanges interdisciplinaires d’idées entre chercheurs et élèves de différentes branches. Il visait également à promouvoir des collaborations pour d’éventuels projets. Étaient invités de grands chercheurs de différentes disciplines, telles que la linguistique, la psycholinguistique, les sciences cognitives ou la neuroscience, à la renommée internationale. Les mythes du bilinguisme Manuel Carreiras, chercheur venu du Pays basque, décortique, dans sa conférence «How to handle two languages in one brain» («Comment manier deux langues quand on n’a qu’un cerveau»), les mythes et les mystères qui entourent le bilinguisme. Il explique tout d’abord qu’aujourd’hui dans le monde on compte plus de bilingues que de monolingues. Le bilinguisme est donc devenu une norme, contrairement à de nombreuses idées reçues. Il demande si le bilinguisme, très présent au Pays basque tout comme au Québec, doit être considéré comme un atout ou un point faible. En effet, le fait de parler deux langues est souvent connoté de préjugés négatifs. Il est communément dit que le fait d’apprendre deux langues peut perturber les enfants, qu’il existe une certaine période critique

Romain Hainaut

après laquelle il devient difficile d’apprendre une langue, ou encore que parler plus d’une langue réduit les capacités intellectuelles. Après avoir conduit une étude sur des enfants en bas âge, Manuel Carreiras est arrivé à la conclusion que parler deux langues n’embrouille pas les capacités linguistiques des enfants. Quant au fait qu’il y ait une période critique à l’apprentissage d’une langue, les études de Carreiras vont contre cette idée aussi. Il confirme: «Il est possible de

Les effets sur le cursus scolaire Marie, étudiante française mais ayant en partie grandi en Angleterre, présente à la conférence, témoigne au Délit: «bien que je parle aussi bien français qu’anglais, j’ai remarqué que j’ai forcément de meilleures notes dans le peu de cours que j’ai en français que dans mes cours en anglais». En effet, bien qu’il soit possible d’avoir une compréhension parfaite de deux langues, cela ne veut pas forcément dire que les étudiants vont réussir aussi bien dans l’une ou l’autre des langues. Il est par exemple plus dur et plus lent de mémoriser des choses apprises dans une langue autre que sa langue maternelle. Le bilinguisme présente cependant tout de même de nombreux avantages. Outre le fait de pouvoir communiquer dans deux langues différentes, les bilingues ont aussi une plus grande capacité à passer d’une langue à l’autre. Cela stimule le cerveau, qui devient plus performant aux exercices de coordination qui dépassent le langage, tel que réaliser deux tâches de façon simultanée. Sans parler d’intelligence, maîtriser plusieurs langues augmente la performance cérébrale de différentes façons, qui sont toutes bénéfiques, et qui peuvent profiter aux étudiants bilingues de McGill. x

x le délit · le mardi 29 octobre 2013 · delitfrancais.com


Camille Chabrol

POLITIQUE MONTRÉALAISE

Débat des candidats du Plateau Les élections municipales, ça se passe aussi au niveau des arrondissements. Camille Gris Roy Le Délit

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’Université Concordia accueillait, le jeudi 24 octobre, quatre candidats aux élections municipales dans l’arrondissement du Plateau-Mont-Royal, pour un débat autour des préoccupations étudiantes et de la qualité de vie sur le Plateau. Sont venus débattre, en anglais, dans l’amphithéâtre D.B Clarke de l’Université, un candidat au poste de conseiller d’arrondissement, David Côté (Groupe Mélanie Joly), deux candidates à des postes de conseillères de la ville, Eleni Fakotakis (Équipe Denis Coderre) et Piper Huggins (Coalition Marcel Côté), et l’actuel maire et candidat à sa propre succession Luc Ferrandez (Projet Montréal). Le débat était organisé par l’Union des Étudiants en premier cycle (Concordia Student Union, CSU) et l’Association des Étudiants en cycles supérieurs (Graduate Students Association, GSA) de Concordia, ainsi que par l’Association des Étudiants de l’Université McGill (AÉUM) et l’Association des étudiants de cycles supérieurs de l’Université McGill (AÉCSUM). Le présentateur de CBC-Montréal, Thomas Daigle, était le modérateur de ce débat. «Il faut que les gens [et surtout les jeunes] s’impliquent dans la politique municipale; c’est le niveau de gouvernement le

Droits sur le logement Le premier thème était celui du développement urbain et du logement sur le Plateau. Les candidats ont expliqué qu’ils souhaitaient créer de nouveaux espaces verts dans l’arrondissement. Piper Huggins et Eleni Fakotakis ont parlé des «toits verts» – qui devraient être établis sur toutes les nouvelles constructions selon David Côté. Luc Ferrandez a mentionné des projets de revitalisation de certains secteurs, notamment autour de l’Hôtel-Dieu. Une des questions importantes pour les étudiants, portait sur le logement, les problèmes de spéculation et d’abus de pouvoir des propriétaires. «C’est un problème propre à toutes les villes attractives», a noté Luc Ferrandez. Pour Piper Huggins: «il faut avoir les moyens d’agir au niveau du municipal, pas seulement du provincial et il faut informer les étudiants de leurs droits le plus possible». Eleni Fakotakis a recommandé qu’il y ait plus d’inspecteurs de la ville pour surveiller ces problèmes.

de 18 à 25 ans, tous les candidats ont dit que leurs partis souhaitaient maintenir le prix réduit (actuellement de 45$). David Côté et Piper Huggins ont ajouté que leurs partis voulaient étendre ce tarif à tous les étudiants, peu importe leur âge. Luc Ferrandez a dit pour sa part que Projet Montréal souhaitait créer un tarif réduit social pour toutes les personnes qui n’ont pas les moyens de payer le plein prix. Au sujet du Service Rapide par Bus (SRB) - le grand projet du groupe Mélanie Joly – et du tramway (proposé par Projet Montréal), Luc Ferrandez a dit: «Le SRB peut être utile, mais parfois le tramway est plus approprié, il est plus étroit». «La décision de construire un tramway est une décision technique», a-t-il ajouté, en réponse à David Côté qui jugeait ce moyen de transport «vieille école». La discussion a aussi tourné autour de la question des vélos, «un des moyens de transport les plus utilisés par les étudiants», comme l’a rappelé le modérateur Thomas Daigle. Piper Huggins a déclaré qu’il était primordial que les gens se sentent en sécurité lorsqu’il s’agit de prendre leur vélo: «les pistes cyclables sont surchargées et c’est pour ça qu’elles sont dangereuses».

OPUS, abordable et plus accessible Le deuxième grand thème était celui des transports en commun. Au sujet de la carte OPUS mensuelle pour les étudiants

Contre P-6? Le dernier thème portait sur la vie sur le Plateau. Les candidats ont tout d’abord donné leur avis sur le règlement munici-

plus proche de vous en tant que citoyens», a déclaré Piper Huggins, s’adressant principalement aux étudiants dans la salle.

pal P-6. «C’est un règlement qui empire la situation. Personnellement – et parce qu’au sein de la Coalition Marcel Côté il n’y a pas de ligne de parti – je m’y oppose», a dit Piper Huggins, appuyée à ce propos par David Côté et Luc Ferrandez. Eleni Fakotakis n’a pas été aussi critique que ses opposants: l’Équipe Coderre y est plutôt favorable. Commerces locaux Les candidats ont également discuté de la situation des commerces locaux. Luc Ferrandez a récemment été critiqué pour les mesures de stationnement prises sur le Plateau (notamment l’installation de nouveaux parcomètres), mesures qui auraient des effets négatifs sur les commerces du quartier. Le maire a justifié ces politiques, qui permettent de diminuer le trafic automobile dans l’arrondissement, et qui ne sont pas, selon lui, néfastes aux commerces. Il a avoué que l’impact sur l’avenue Mont-Royal ne pouvait pas encore être bien déterminé, mais qu’il restait aux aguets face à cette possible problématique. La dernière période du débat était réservée aux questions du public dans la salle. Un étudiant a abordé le sujet de la qualité de vie des étudiants internationaux à Montréal. Tous les candidats ont alors souligné l’importance que Montréal soit et reste une ville attractive pour les étudiants d’autres pays. «On a besoin de vous», a souligné Piper Huggins. x

CAMPUS

L’acte émotionnel du vote Présentation à McGill d’une étude sur les attitudes liées au vote. Chloé Roset Le Délit

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uelles émotions sont présentes lorsqu’un citoyen va voter, et quels sentiments sont associés au geste du vote? C’est ce à quoi Michael Bruter et Sarah Harrison ont répondu le vendredi 25 octobre à McGill, en présentant leurs recherches sur «l’acte émotionnel du vote». La conférence s’est déroulée dans le bâtiment Thomson House dans le cadre d’un dîner organisé par l’université. Michael Bruter, très renommé dans sa filière, est professeur en sciences politiques à la London School of Economics and Political Science et dirige le centre ECREP, un centre de recherche sur la psychologie électorale. Sarah Harrison est chercheure en psychologie électorale à la London School of Economics and Political Science également, et co-collaboratrice principale au centre ECREP. Les deux intervenants sont venus exposer les premiers résultats de leur projet «Dans la tête d’un électeur», qui a pour but de comparer vingt pays à travers une panoplie de méthodes afin d’établir ce qui définit le choix d’un citoyen au moment de voter.

Cette étude s’intéresse à la mémoire électorale des citoyens: de quoi se souviennent les électeurs des élections précédentes, de quelles élections ils se souviennent et comment ces souvenirs peuvent affecter leur participation électorale future ainsi que leurs choix de vote. Psychologie du vote La présentation a également abordé l’impact des arrangements électoraux sur le vote. Les sondages montrent que 35% des citoyens changent leur choix de vote dans les deux semaines avant l’élection. La psychologie électorale se base sur quatre facteurs: les niveaux d’émotion, d’excitation, de fierté et d’inquiétude ressentis par les citoyens au moment de l’élection. Selon les conditions du vote, ces critères varient et modulent les choix des électeurs. L’étude de Michael Bruter et Sarah Harrison analyse aussi le concept «d’ergonomie électorale», et l’idée que la manière dont le vote est organisé a une incidence sur le résultat. L’exemple concret abordé est celui du vote en ligne. L’étude montre que ce procédé génère généralement moins de joie, d’excitation et de fierté que le vote en bureau. Le vote en ligne créerait aussi plus d’inquiétude chez

x le délit · le mardi 29 octobre 2013 · delitfrancais.com

Romain Hainaut

les électeurs. On s’aperçoit également que le vote en ligne résulte en moyenne à 30% de votes en plus pour les partis d’extrême droite. Un autre facteur à prendre en compte est le type de bureau de vote mis à la disposition des électeurs. Des cabines avec rideau «à la française» aux machines automatiques américaines, le temps de réflexion au moment du vote varie d’une minute pour le système français à vingt secondes pour le système américain. Michael Bruter explique que

cette variation peut avoir un impact fort sur le choix final de l’électeur. Lors de la présentation Sarah Harrison a cherché à mettre en avant l’importance de sensibiliser les gouvernements aux résultats de ces recherches. En effet, ils n’ont généralement pas conscience de tous les éléments, en apparence des détails insignifiants, mais qui influencent le vote des citoyens, et, donc, le processus démocratique sur lequel sont basées nos sociétés. x

Actualités

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QUÉBEC

Des milliers pour la Charte La marche des «janettes» réclame l’adoption de la Charte des Valeurs. Léo Arcay Le Délit

Natalia Lara Diazberrio

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rès de 40 000 personnes, selon les organisateurs, sont venues manifester le samedi 26 octobre. La marche a eu lieu entre la Place des Festivals et le Parc La Fontaine. La grande majorité des manifestants étaient des Québécois «de souche» de 40 à 70 ans. Cette manifestation a eu lieu après que l'auteure et personnalité féministe Janette Bertrand ait écrit une lettre ouverte en faveur de la Charte, le 15 octobre dernier. Dans cette lettre, elle affirme que «le principe de l'égalité entre les sexes [lui] semble compromis au nom de la liberté de religion», puisqu'elle considère le port du voile comme un signe de soumission. La Charte des Valeurs est donc, selon elle, la continuité du droit de vote pour les femmes et de la Révolution Tranquille. Les vingt femmes qui ont signé cette lettre et qui ont mis en place cette manifestation ont hérité du nom de «Janettes». L’événement a débuté par un discours des organisateurs suivi d'une lecture de la lettre de Janette Bertrand. L'auteure a d’ailleurs fait une brève apparition. Le temps pluvieux dans lequel s'est déroulé la manifestation est comparé par le comédien JiCi Lauzon au «nuage de l'intégrisme et du fanatisme». La foule a ensuite mis le cap vers son objectif en chantant joyeusement sous une multitude de drapeaux québécois. Les forces policiè-

res n'était pas nombreuses, et il n'y a pas eu d'altercation avec des opposants, si l'on ne compte pas la bannière «Les Janettes: féminisme raciste» placée à l'angle des rues Berri et Sherbrooke. La manifestation s'est close par un discours animé par les «Janettes» Djemila Benhabib, Chantal Renaud et Julie Snyder, la militante Martine Desjardins et l'Association québécoise des Nord-Africains pour la laïcité (AQNAL). L'accent a été mis sur la lutte mondiale pour la laïcité et l'égalité des sexes. La Charte des Valeurs serait selon eux un moyen de lutter contre la discrimination des femmes par les religions. «La liberté d'ex-

pression doit s'arrêter ou l'égalité homme/ femme commence», commente l'animatrice Julie Snyder lors d'une entrevue avec le Délit. Les partisans de la Charte, manifestants comme organisateurs, réclament que la religion se cantonne au domaine privé. «Je n'affiche pas mes orientations sexuelles, […] religieuses et […] politiques quand je travaille pour l'État. Je suis au service des individus, je suis au service de la société et on me paye pour ça», explique une fonctionnaire au Délit. «La religion, tout le monde a le droit de la vivre [...] dans sa communauté, dans sa sphère privée et dans son cœur, et non pas avec mes taxes!», dit-elle.

McGill et la Charte L’Association Étudiante de l’Université McGill (AÉUM) s'était déjà clairement positionnée contre la Charte des Valeurs Québécoises. Le 9 octobre 2013, lors de son Assemblée générale, l'AÉUM a voté à l'unanimité une motion stipulant l'envoi d'une lettre de contestation au gouvernement, aux médias et à Suzanne Fortier, la rectrice de l'Université McGill. Le Délit a obtenu une entrevue avec Samuel Harris, le vice-président aux affaires externes de l'Association. «[La Charte] est contraire à la liberté de religion, d'expression et d'opinion», explique-t-il. La Charte n'aurait toutefois pas de conséquences directes sur la vie universitaire à McGill, puisque l'administration a l'intention de réclamer l'exemption de 5 ans que propose le texte lui-même. L'AÉUM veut toutefois afficher son opposition. Elle va d'ailleurs bientôt entreprendre une campagne contre le projet gouvernemental, en contribuant à des manifestations, par exemple. «On ne veut pas donner de légitimité à cette Charte », affirme Samuel Harris. Il ajoute que «cette Madame Bertrand prétend parler pour toutes les femmes musulmanes, qui, très souvent, choisissent de porter le voile». Un argument également utilisé par l'opposition, dont les «inclusives», un groupe de femmes ayant publié une lettre ouverte qui contredit celle de Madame Bertrand. x

MONTRÉAL

Justice pour les victimes Rassemblement et vigile commémoratif annuel du 22 octobre. Charlotte Ruiz Le Délit

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ne centaine de personnes se sont réunies le mardi 22 octobre devant la Fraternité des policiers et policières de Montréal afin de commémorer les victimes des bavures policières. L’événement était organisé par la Coalition Justice pour les Victimes de Bavures Policières. Stella Jetté, intervenante sociale de profession, et membre de l’association Solidarité sans Frontières, dit lors de la manifestation: «nous sommes ici pour

Robert Smith/The McGill Daily

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commémorer et soutenir les victimes». Une personne voulant garder l’anonymat ajoute: «à chaque fois que la police tue quelqu’un, c’est un peu de nous tous et toutes [qu’elle tue]». Contrairement aux années précédentes, la présence policière était très discrète: seulement deux agents en uniforme surveillaient au loin la foule depuis la station de métro Laurier. Aucun débordement n’a été observé, et après, deux heures, la foule s’est calmement dispersée en se promettant de revenir l’année prochaine. Organisé pour la quatrième fois, l’événement consistait en un vigile d’environ deux heures, ponctué

de discours et entrecoupé par des pauses musicales. À la lumière des chandelles, des proches de Jean-François Nadreau, Gladys Tolley, Fredy Villanueva, Ben Matson, Anas Bennis, Claudio Castagnetta et Quilem Registre se sont relayés pour exprimer leur détresse et désarroi face à un système qui les a déçu et semble incapable de leur rendre justice. À l’écoute des personnes en détresse Avec l’intervention de Josiane, ancienne compagne de Jean-François Nadreau, la question des problèmes liés aux interventions auprès de personnes en situation de détresse sociale a été soulevée. À l’égard des policiers, Stella Jetté est ferme: «des personnes comme Jean-François Nadreau étaient en détresse et ont été assassinées par manque de compétence et de jugement». Il existe pourtant des solutions efficaces pour que la prise en charge des personnes sensibles se fasse le plus aisément possible, à l’exemple du service Urgence Psychosociale-Justice (UPS-J). Le système UPS-J a été crée en 1996, et c’est un service composé de spécialistes du milieu psychosocial accessible 24 heures sur 24, 7 jours sur 7. Stella Jetté insiste: «dans le cas de Mario Hamel, un journaliste a enquêté pour savoir pourquoi ce service [UPS-J] n’avait pas été utilisé et ils ont fait comme si cela n’existait pas». Elle mentionne à cet égard la possibilité de créer un protocole qui forcerait à contacter UPS-J dans le cas de personnes en situation de dé-

tresse. Cependant, aucune mesure ne semble être prise, et «quelques mois après le cas de Mario Hamel, Jean-François Nadreau se faisait tuer dans son salon» ajoute l’intervenante sociale. Selon elle, «c’est un gros problème de jugement de la part du Service de Police de la Ville de Montréal (SPVM)». Enquête sur la police Le rassemblement était marqué cette année par la présence de Didier Berry, victime de violence policière en octobre 2012. «J’ai été étranglé, frappé, insulté, jusqu’à en perdre connaissance» dit-il lors de l’événement. La violence subie par Didier Berry a eu lieu dans le contexte de la grève étudiante de 2012. Pour Didier Berry, l’explication est simple: «si les policiers agissent comme ça, c’est parce qu’ils savent qu’ils sont dans un contexte d’impunité». Pour Stella Jetté, le manque d’enquête concernant les violences ayant eu lieu durant le Printemps érable est révoltant: «une enquête serait nécessaire pour que les gens soient entendus et aient accès à la justice». Cependant, le manque d’indépendance des services devant mener ces enquêtes semblerait poser problème. «Les enquêtes sont faites par leurs collègues […] c’est une culture de force», ajoute-t-elle dans un soupir. Pour le comité, la solution pourrait en fait se situer ailleurs. Julie Matson, fille de Ben Matson souligne que «le problème, ce n’est pas le crime, ce n’est pas la violence. C’est la police qui blesse et assassine injustement des personnes». x

x le délit · le mardi 29 octobre 2013 · delitfrancais.com


MONTRÉAL

«Masse critique» à Montréal Manifester à vélo pour plus d’aménagements cyclistes. Apolline Pierson Le Délit

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ous les derniers vendredis de chaque mois, été comme hiver, se déroulent des «masses critiques» partout dans le monde, et pour tout le monde. Une «masse critique» est une auto-manifestation -c’est à dire sans organisateurs officiels, ni trajet prédéfini - où se réunissent des cyclistes pour protester de manière pacifique contre divers enjeux, souvent par rapport aux problèmes reliés à l’environnement. Ainsi, le vendredi 25 octobre à 17h30, une vingtaine de participants étaient réunis au Carré Phillips, prêts à partir, malgré le temps pluvieux et froid. La plupart des gens présents étaient des habitués, fans de vélo, se réunissant chaque mois depuis plusieurs années, peu importe la météo, dans le but de protester contre le manque d’aménagements pour cyclistes à Montréal. Paysage cycliste en transformation Le mouvement «Masse Critique» a commencé en 1992 à San Francisco. C’était un moyen de protester contre le manque d’aménagements pour les cyclistes, et, de manière générale, contre les voitures, jugées polluantes, dangereuses et peu pratiques en ville. Le mouvement a rapidement pris de l’ampleur et aujourd’hui, 20 ans plus tard, des «mas-

ses critiques» se déroulent dans près de 325 villes sur le globe. Dans un monde où on ne cesse de nous parler du réchauffement climatique, de pollution, et d’obésité, le vélo apparaît comme la solution idéale pour se déplacer. Et les Montréalais semblent l’avoir bien compris: le vélo est devenu un des moyens de transport privilégiés en ville. La Ville de Montréal, bien consciente de cet essor considérable du cyclisme, dispose de plus de 600 kilomètres de pistes cyclables (encore en expansion), a installé récemment le réseau Bixi (composé de plus de 400 stations à travers la ville) et ne cesse de mettre en place des dispositifs de stationnement pour vélos. Pourtant, Antoine, un des manifestants présent ce vendredi, nous dit qu’il trouve «le réseau assez mal organisé, il manque de pistes cyclables à certains endroits critiques de la ville». Par ailleurs, victime d’un accident en vélo au printemps dernier, il explique aussi que «les voitures roulent vite et portent peu d’attention aux cyclistes». Un des autres problèmes majeurs du cyclisme à Montréal, c’est le vol. Beaucoup se sont déjà fait voler leur vélo, ou connaissent quelqu’un à qui c’est déjà arrivé. Se faire voler son vélo est devenu on ne peut plus banal à Montréal: 2600 vols sont déclarés par an, et on estime que seulement une personne sur dix déclare un vol à la police. De quoi décourager plus d’un cycliste en herbe!

C’est pour toutes ces raisons, mais aussi de manière générale pour un monde plus écologique, que se réunissent chaque mois ces fans de vélos, de tout âge et de tout profil. Malheureusement le nombre de participants semble plutôt baisser qu’augmenter. La «peur du ticket» Le froid et la pluie de ce dernier vendredi après-midi d’octobre n’ont certainement pas aidé à réunir foule à cette «masse critique». Pourtant, quand on parle aux courageux s’étant déplacés, la raison du peu de manifestants serait davantage la «peur du ticket». En effet, il n’est pas rare que la police intervienne au cours des «masses critiques», et ce pour divers motifs. Par exemple, les forces de l’ordre se déplacent

régulièrement pour arrêter tous les manifestants dont les vélos n’ont pas de réflecteurs, obligatoires pour se faire voir de nuit. Félix Antoine, un des participants, explique aussi au Délit qu’il a écopé d’une amende de 501 dollars au mois de juillet pour infraction routière. Une quinzaine d’autres manifestants présents ont dû payer l’amende prévue par la loi 500.1. Cette loi datant de 2000 introduit des mesures en matière d’entraves à la circulation, ce qui, d’après Félix Antoine, est «un bon moyen pour les flics d’arrêter les gens pour un rien. Les gens ont peur de la répression après le Printemps étudiant et sont réticents à participer à une manifestation dont le trajet n’a pas été donné au préalable à la police». x

Sylvana Tishelman

CANADA

Souveraineté compromise?

Stephen Harper remet en cause le droit à l’autodétermination du Québec. Esther Perrin Tabarly

L

e gouvernement fédéral a attisé depuis le 16 octobre le conflit constitutionnel avec le Québec en s’attaquant à la loi 99 de la Constitution canadienne. Votée au début des années 2000, la loi sur l’exercice des droits fondamentaux et des prérogatives du peuple québécois et de l’État du Québec donnait au Québec le droit de changer son statut de province canadienne par référendum sous réserve d’obtenir au moins 50% des voix valides, plus un vote. Le premier ministre canadien Stephen Harper tente désormais d’invalider cette loi. Stephen Harper, qui disait vouloir éviter les «chicanes» avec le Québec, s’attaque pourtant à une colonne fondamentale du conflit politique canadien. Chef du parti conservateur, il dit répondre aux requêtes de la communauté anglophone, et légitime les revendications du Comité spécial pour l’unité canadienne (CSUC). Dans une lettre datant de décembre 2012 parue dans un article du journal Le Devoir, le CSUC accuse la Loi 99 de menacer «l’unité nationale et la paix, l’ordre et le bon gouvernement», mais aussi de «vivifier le séparatisme» au Canada. Denis Lebel, ministre fédéral des affaires intergouvernementales, soutient la motion. «On ne peut surtout pas reprocher au gouvernement canadien de défendre les lois canadiennes», déclarait-il en Chambre la semaine passée. L’abolition de la loi 99 est donc une question de souveraineté

fédérale, et l’illustration de la crainte d’un monde anglophone en conflit avec l’identité québécoise. Du point de vue des partis d’opposition, le Canada nie le statut de peuple et le droit politique fondamental des Québécois; c’est une attaque antidémocratique. La loi 99 est la seule loi qui accorde à la province un statut politique particulier. Elle représente, elle compose et elle améliore cette identité: il n’appartient donc pas au monde canadien de s’y opposer. Daniel Paillé, chef du Bloc Québécois, qualifie dans La Presse canadienne cette motion «d’attaque vicieuse et totalement inacceptable». L’opposition, en effet, souligne le droit inaliénable de la «belle province» à s’autodéterminer.

x le délit · le mardi 29 octobre 2013 · delitfrancais.com

Au Québec, le Parti Québécois (PQ) a adopté une motion le 23 octobre pour s’opposer formellement au projet de Harper. Pauline Marois, première ministre québécoise, juge qu’il est inacceptable que le gouvernement canadien fasse une telle intrusion au sein de la politique québécoise et qu’il s’attaque aux droits du peuple québécois. Le chef du Parti libéral du Québec (PLQ), Philippe Couillard, affirme pour sa part que «l’avenir du Québec se décide au Québec par les Québécois». Selon un sondage publié en 2012 par l’agence Léger Marketing, pour l’Association internationale des études québécoises, 69% des Québécois jugent que le gouvernement fédéral devrait donner plus de pouvoir au gouvernement et à l’Assemblée Nationale du Luce Hyver

Québec. Cette idée de révision constitutionnelle est donc manifestement contre-indiquée par le Québec. Le même sondage de Léger Marketing montre que moins de la moitié des Québécois (44%) estiment que si la constitution canadienne devait être modifiée de manière à satisfaire la majorité de la population québécoise, le Québec devrait se retirer de la fédération canadienne pour devenir un pays indépendant. Cependant, ce qu’objectent aussi les politiciens québécois, c’est que cette attaque frontale à l’autodétermination risque plus de raviver la flamme souverainiste ou séparatiste que de lui couper les ailes. Accord de libre-échange Dans les relations intergouvernementales au sein du Canada, les politiciens se mettent aussi en accord par rapport au nouveau traité de libre-échange entre le Canada et l’Union Européenne. Selon ce que rapporte La Presse, le ministre des finances du PQ, Nicolas Marceau y voit un grand potentiel pour l’économie québécoise dans les cinq ans à venir: une augmentation de 2.3 milliards de dollars des exportations, une croissance du PIB de 2.2 milliards de dollars et la création de 16 000 emplois permanents peuvent être prédits pour le Québec. Toutefois, le parti politique Québec Solidaire voit d’un mauvais œil cet accord qui nuirait aux petites et moyennes entreprises, et qui serait défavorable aux producteurs alimentaires québécois. x

Actualités

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Socié té societe@delitfrancais.com

La nouvelle santé au s Sept publications d’experts de Gwenn Duval Le Délit

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Lefebvre présente ce livre comme «une fenêtre ouverte sur l’histoire et la réalité des naissance», propos tirés de la quatrième de couverture du dit livre. Le second ouvrage présenté, Le monde des jouets et des jeux de 0 à 12 ans, par Francine Ferland, ergothérapeute et professeure émérite de l’Université de Montréal, présente un travail de recherche sur les possibilités infinies qu’offrent les jeux et les jouets aux enfants, sur le rôle dans le développement et la découverte du monde, ainsi que leur place dans les interactions interpersonnelles. Ce n’est que la pointe de l’iceberg puisque sont aussi présentés des conseils, des mises en gardes et de nombreux autres aspects, notamment les risques liés aux jouets dits éducatifs. Bousculant quelques croyances et ouvrant les yeux sur les limites que constitue la création de jouets destinés au développement, limitant justement la création, cet ouvrage relate, décrit, questionne et propose avec rigueur.

Des dangers insoupçonnés Entre une dizaine et une quinzaine d’ouvrages sont publiés chaque année par cette maison d’édition. Sept d’entre eux sont à l’ordre du jour, à commencer par Les sages-femmes dans la Francophonie, témoins silencieuses de la vie...et de la mort sous la direction de Marie Hatem, professeure agrégée de la Faculté de médecine de l’Université de Montréal. Cet ouvrage, qui regroupe des textes d’infirmières et de sages-femmes issues de nombreux pays francophones (Bénin, Burkina-Faso, Cameroun, Côte d’Ivoire, République Démocratique du Congo, Sénégal, Togo, Liban, Maroc, Tunisie, Haïti, Belgique, France et Suisse) présente les réalités socioculturelles et politiques multiples des aides-soignants à la maternité et à la naissance, en plus de proposer de nombreuses recommandations pour améliorer l’accessibilité et la qualité des services offerts aux mères et aux enfants. En réponse au taux de mortalité maternelle et infantile alarmant dans certains pays en voie de développement, Marie-Ève

« [Le livre] remet en cause la

e 17 octobre dernier avait lieu le lancement de sept œuvres des éditions du CHU Sainte-Justine, le centre hospitalier universitaire mère-enfant de l’Université de Montréal. Quinze ans de recherche professionnelle multipliés par sept, une soirée pour quinze minutes de présentation. Le Délit était présent pour récolter les propos des éditrices et de quelques auteurs. Cette maison d’édition a cela de particulier que ses bureaux sont au sein même de l’hôpital. Marie-Ève Lefebvre, qui partage le poste d’éditrice avec la directrice Marise Labrecque, explique que leur maison d’édition est «un service de documentation aux parents; tous les livres sont orientés vers les thématiques touchant à l’enfant, la mère, la famille et la santé. Les auteurs sont des professionnels de la santé, ils sont là pour aider les parents, la famille ou les autres intervenants dans un partage de savoir et de connaissances».

conception de la réussite par l’école. La réussite est plus grande que les notes.»

L’autre regard sur le handicap S’ensuit l’annonce de la parution de L’enfant autiste, stratégies d’intervention psychoéducatives, une collaboration de Suzanne Mineau, Audrey Duquette, Katia Elkouby, Claudine Jacques, Anne Ménard, Pamela-Andrée Nérette, Sylvie Pelletier et Ghitza Thermidor, toutes psychoéducatrices. Cet ouvrage offre conseils et soutien aux parents qui reçoivent le diagnostic de leur enfant autiste, proposant des stratégies pour intégrer l’enfant à son milieu social au quotidien. Redonner aux familles en détresse l’espoir de la compréhension au détriment de l’impuissance, proposer des stratégies de communication, favoriser l’épanouissement des enfants atteints d’autisme, ce sont les buts visés par cet ouvrage destiné à être remis à des parents ayant besoin

d’aide de la maison à l’école en passant par la garderie. Le livre présenté ensuite, écrit par Richard Léonard, doctorant en éducation de l’Université de Montréal, orthopédagogue et conseiller en adaptation scolaire avec une collaboration de Germain Duclos, psycho-éducateur, orthopédagogue, auteur et conférencier, semble être celui dont la parution est empreinte de la plus grande polémique. Une école pour tous, l’intégration des enfants handicapés ou en difficulté propose de penser l’école autrement. Ne niant pas les progrès réalisés au cours des dernières années, Richard Léonard fait part au Délit de l’intention de son ouvrage: «Il remet en cause la conception de la réussite par l’école. La réussite est plus grande que les notes. On demande au système d’éducation de changer sa façon de voir les élèves en difficulté. En imposant des limites irréalistes aux enfants en difficulté et en leur demandant d’être comme les autres, on risque de rendre malheureux les enfants, les parents et les enseignants. On cherche à améliorer les résultats des enfants, mais il faudrait chercher à améliorer l’école ellemême.» Richard Léonard a été directeur d’école pendant quinze ans, observateur à cheval entre le milieu de l’éducation et celui de la santé, c’est aussi dans son histoire qu’il trouve des exemples, ayant été lui-même en difficulté dès la naissance en raison d’un manque d'oxygénation. L’intégration de tous les enfants, handicapés physiques ou mentaux, ayant des troubles comportementaux ou des difficultés d’apprentissage demande du travail et de l’énergie de la part des écoles et du personnel enseignant, et ce travail est trop souvent bâclé. Les difficultés rencontrées ne peuvent se dissoudre sous le silence et c’est de tous les côtés qu’il faut travailler à adoucir les peines.

de Montréal et psychologue à la Clinique socio-juridique du CHU Sainte-Justine vise à la prévention et à l’intervention dans les situations d’intimidation. Conçu pour comprendre, résister, dénoncer et remédier aux situations difficiles rencontrées par les enfants lors de leur intégration auprès de leurs pairs, l’ouvrage reprend les causes et les moyens des agressions sans passer sous silence les cyberintimidations. Les résultats servant à la recherche proviennent d’études récentes sur la question et des mesures originales (par exemple musique et chant) pour pallier à ce fléau sont proposées, rappelant par ailleurs le rôle important des témoins lors de telles situations.

Adoucir les relations L’ouvrage suivant, Intimidation, harcèlement, ce qu’il faut savoir pour agir par Frédérique Saint-Pierre, docteure en psychologie, chargée de cours à l’Université

«‘‘Le deuil de l’ancien et le réinv soi, la réadaptation et la réinsertio tivité semble être le mot d’ordre’’ berg.»

8 x le délit · le mardi 29 octobre 2013 · delitfrancais.com


service de la société la santé, zones d’ombres et lueurs.

La parution de L’autorité au quotidien, un défi pour les parents par Brigitte Racine, infirmière spécialisée dans les relations d’autorité et d’encadrement des enfants et des adolescents est ensuite annoncée. Militant pour une meilleure communication entre les parents et leurs enfants, l’ouvrage recueille une quarantaine de situations quotidiennes types pour lesquelles différents moyens d’intervention et de prévention sont proposés. Pour Brigitte Racine, adoucir la vie de famille et améliorer l’épanouissement des enfants semble pouvoir débuter par quelques apprentissages, s’alliant au temps et à la persévérance du côté des parents.

Romain Hainaut

La mort, un choix? Le dernier ouvrage présenté, Mourir à l’ère biotechnologique, sous la direction de Sylvie Fortin et Marie-Jeanne Blain, anthropologues de métier, rassemble les textes de Fernando Alvarez, Gilles Bibeau, Philippe Blouin, Marie-José Clermont, Chille Dallaire, Jacques Dufresne, Michel Duval, Liliana Gomez Cardona, JeanSébastien Joyal, Jacques Lacroix, Guylaine Larose, Serge Maynard, Jean-Christophe Mino, Antoine Payot, Line St-Amour, Sanja Stojanovic et Patrick Vinay, tous liés

«La mort, sujet tabou parmi

les vivants qui s’y préparent pourtant, prend une perspective et une place nouvelle dans notre société contemporaine.»

aux soins palliatifs par leur métier, professionnels de la santé ou chercheurs en sciences sociales. Lorsque Le Délit demande à Sylvie Fortin: «Pourquoi ce livre?», elle lui répond «mourir aujourd’hui, c’est pas simple. On ne meurt plus, on choisit de mourir. Ça pose des questions morales de valeurs, ça interpelle. Les cliniciens doivent prendre des décisions pour lesquelles ils sont mal équipés. Le livre veut offrir des pistes pour réfléchir à comment la technologie change la médecine et le rapport à la mort». En effet, les avancées technologiques diminuent grandement le nombre de décès dits naturels et les professionnels de la santé se voient contraints à faire des choix, celui du début de la mort, de la fin de la vie. L’amélioration de la qualité de la vie dans nos sociétés contemporaines se mêle étroitement à celle de la qualité de la mort tout comme les soins portés aux humains se mêlent aux avancées technologiques spectaculaires. Les progrès ne sont pas uniquement techniques, ils cherchent à devenir – par le biais de rencontres pluridisciplinaires d’où émergent réflexions

et échanges entre médecins, infirmiers, anthropologues, psychologues, philosophes, historiens et étudiants – éthiques. De la néonatologie en passant par la pédiatrie, le thème prépondérant, et la médecine des adultes jusqu’au grand âge, l’ouvrage recèle de témoignages, de questionnements, de propositions et surtout de remise en cause de principes établis dans une ère différente de la nôtre sous de multiples aspects. Les défis actuels sont loin d’être aisés pour les cliniciens, formés d’abord pour soutenir la vie et se retrouvant aujourd’hui face à des situations d’acharnement thérapeutique où cette vie s’oppose parfois ellemême à sa qualité. Le choix, qui le fera? Le médecin, la famille, le patient, un comité? «Ces décisions doivent tenir compte de l’incidence sur le bien-être physique de la personne, mais aussi sur son bien-être psychologique et social. […] Les interventions qui sauvent des vies peuvent, dans certaines situations, prolonger la souffrance ou sauvegarder la vie dans des conditions inacceptables», écrit Guylaine Larose. On est encore loin d’un consensus universel, au cas par cas, les soignants tâtonnent, tentant tant bien que mal d’offrir à leurs patients une fin digne, d’apaiser leurs souffrances sans toutefois les abandonner à la mort. Ce sont les voix de l’histoire dans différentes cultures, de la philosophie, de la médecine, de l’anthropologie qui essayent de trouver une médecine humaniste au-delà de l’expertise technique. Ce sont celles de la clinique qui posent la question des décisions dans la trajectoire des soins (de curatif à palliatif) et celles de la recherche qui posent les questions de compétence et de modulation des pratiques des soignants au quotidien pour les patients atteints de maladies chroniques. Finalement, les voix de la poésie harmonisent l’écho des autres, sous les propos du philosophe Jacques Dufresne avec lequel est explorée l’expérience de la maladie, les mystères de la mort, le «système technicien» ainsi que le rapport à la souffrance, à la liberté de choix, à la connaissance et à

la palliation. La mort, sujet tabou parmi les vivants qui s’y préparent pourtant, prend une perspective et une place nouvelle dans notre société contemporaine. S’étant rejoint à la discussion avec Sylvie Fortin, Danielle Poitras-Martin, psychologue retraitée travaillant en neurotraumatologie, «auteure en devenir», s’adresse, en touche finale, au Délit. Elle dévoile son projet en cours de rédaction, Le cheminement émotif et l’adaptation psychologique du jeune neuro-traumatisé. On entend par « neuro-traumatisé » une victime d’AVC, de tumeurs cérébrales, de blessures à la moelle épinière, d’accident entraînant un traumatisme crânien ou encore d’une maladie ayant laissé des séquelles malgré la vie maintenue. La qualité de vie des patients, les résultats de l’acharnement thérapeutique ainsi que les délicats et ardus choix des cliniciens trouvent une répercussion dans le chaos des jeunes contraints de vivre avec ce qui leur est arrivé. «Le deuil de l’ancien et le réinvestissement dans un nouveau soi, la réadaptation et la réinsertion dans une société où productivité semble être le mot d’ordre» constituent la pointe de l’iceberg du tourbillon émotionnel que rencontrent les jeunes neuro-traumatisés. Questions, réflexions et intégration dans la société se rejoignent dans les thèmes des sept livres présentés lors du lancement. La recherche d’une unité multiculturelle s’accordant autour du contexte médical actuel par le biais d’échanges, de communications et de remise en questions des principes établis antérieurement, au temps où n’existaient pas encore les nouvelles contraintes liées au progrès des sociétés font de ces ouvrages (destinés principalement aux parents des patients et aux professionnels de la santé) des recueils recelant de pistes de réflexions pour quiconque est sensible à l’évolution d’un monde. La santé des hommes, mentale ou physique, c’est un peu le miroir, le reflet et l’ombre d’une société. x

vestissement dans un nouveau on dans une société où produc’ constituent la pointe de l’ice-

Romain Hainaut

Société

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OPINION

Litanie pour un Québec moribond Aurélie Lanctôt

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e dois avouer que le Québec que je vois ces derniers temps fait peine à voir. Le Québec, semble-t-il, n’appartient plus également à tous ses citoyens. Parce que les Québécois, les vrais, ils ont des «valeurs». De très grands principes. Un très grand souci d’autoconservation, surtout. Et attention: on ne badine pas avec l’autoconservation. Il faut préserver ses particularismes. Nos racines, notre héritage. Il faut être «fier de sa race», comme l’écrivait Claude Jasmin dans les pages du Devoir, en juin. Il faut cesser de s’excuser d’être qui nous sommes. Allez ouste, l’altérité! Dans les marges! Nous avons une Nation à construire, ici. C’est essentiellement ce que nous rappelaient les quelques milliers de manifestants qui ont marché pour la Charte des valeurs québécoises dans les rues de Montréal, ce samedi. En tête de la manifestation, évidemment, les «grosses pointures» du mouvement des Janettes. La marche, aura-t-on dit, se voulait dédiée à la «collectivité». Réaffirmer le sentiment québécois qui, apparemment, fait l’objet d’une insidieuse érosion qu’il nous faut maintenant contrer par voie législative. Et par un dévouement sans borne à nos valeurs. «Nos» sacro-saintes valeurs. Certains ont récemment souligné que la dernière fois que le Québec s’est polarisé comme il le fait présentement autour de la Charte des valeurs, c’était au printemps 2012. D’aucuns insinuent également que ceux qui défendent la charte aujourd’hui se réclament du même «bien commun» que ceux qui portaient le carré rouge en 2012. Alors que ceux qui s’opposent à la charte auraient l’esprit brouillé par leur égocentrisme et leurs petits privilèges individuels.

Il est vrai qu’au printemps 2012, l’objectif était radicalement humaniste: défendre l’accessibilité à l’éducation pour tous, peu importe leur horizon socio-économique. Réitérer que la connaissance n’est pas un bien de consommation comme un autre. Qu’au sein d’une société, les intellectuels ne sont pas que des mollassons sans dessein. Que le Québec n’est pas qu’une société de technocrates et de propriétaires de chalets dans les Laurentides. Bref. Ceux qui ont pris part à la grève se rappellent sans doute de cette période comme d’un moment de solidarité tout à fait singulier. On dira ce qu’on voudra des «carrés rouges», évidemment. Mais, chose certaine, il était offert à tout le monde, ce petit carré. Hijab ou topless. Complet ou soutane. «Blanc, jaune, noir, mauve, bleu avec des pitons jaune-oranges – j’m’en câlisse», comme disait Falardeau. Bloquer la hausse des frais de scolarité pour offrir à tous une plus grande égalité des chances. Quant à la Charte des valeurs, apparemment notre nouveau «projet social», on voudrait nous faire croire qu’il en est de même. Mais cette charte, elle est pour qui, au juste? En-dehors de la majorité blanche catho-laïque, je veux dire? Samedi, à la manifestation pro-charte, j’ai vu brandir des pancartes plutôt étonnantes, dans une perspective d’égalité entre tous. «Visiteurs, décoiffez-vous! Un pays est en train de naître ici» lisait-on sur l’une d’entre elles. Dans un Québec souverain, doit-on comprendre, les «visiteurs» devraient à tout prix renier les manifestations visibles de leur identité première? «Nous avons la persévérance, et nous vaincrons» était-il inscrit sur une autre. Vaincre quoi, au juste? À quelle bataille faiton référence, si ce n’est qu’à celle que nous menons présentement contre la diversité?

«Bienvenue chez vous NOUS» lisaiton ailleurs. Comme si seul le Québécois «de souche» avait réellement droit de cité dans la «Belle Province». Pour l’égalité, on repassera. Et pour tout vous dire, j’ai vu dans cette manifestation le reflet d’un peuple maladroit et craintif. Le pathétique syndrome d’une majorité blanche et francophone qui ne sait plus se définir autrement que par l’exclusion. J’en ai marre, tellement marre, qu’on pense le Québec uniquement en fonction de «ce qu’il ne doit pas devenir», en se basant sur une peur maladive de l’extinction. Les Québécois – tous les Québécois – valent plus qu’une poignée de «valeurs» qu’un gouvernement leur a mis dans la bouche. Et d’ailleurs, combien de fois faudrat-il répéter que la laïcité n’est pas une valeur, mais bien une attitude de l’appareil gouvernemental vis-à-vis de ses institutions. On pourrait parler de laïcité comme valeur gouvernementale, peut-être. Au même titre que la transparence, ou encore l’étanchéité de la séparation entre les pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire. Et, par ailleurs, notons que la laïcité est une posture gouvernementale fermement tenue au Québec, depuis des décennies. Et heureusement! De plus, je ne vois franchement aucun signe de relâchement à cet égard. À quand remonte le dernier projet de loi dont émanaient de désagréables relents cléricaux? J’aurais aimé que ceux qui sont descendus dans la rue ce week-end en «réclamant» un état laïc me renseignent à ce sujet; parce que vraiment, je ne vois pas. Mais on s’en fiche, au fond. Comme l’a si bien dit Céline Dion en entrevue au magazine MacLean’s: «Sometimes, you have to have an opinion» («Parfois il faut avoir une opinion.»).

Tout à fait, Céline. «Take an opinion, and go rescue the people!» (prenez position et aller sauver des gens ! » On semble vouloir jouer le jeu de la «nation», forte de ses particularismes et de ses convictions. Mais on ne fait au fond que brandir un bricolage de «valeurs» vétustes pour combler un vide immense. Un vide creusé à force d’apathie et d’abnégation, à force de télé-réalité stupide et d’émissions de variété, dont on se gave pour oublier l’échec de notre projet politique, plutôt que de le penser sur de nouvelles bases. Ça fait une sacré pente à remonter, quand vient le temps de défendre à nouveau notre identité distincte, en effet. Mais j’ose espérer que l’identité québécoise contemporaine est plus riche et féconde qu’une poignée d’inquiets qui défilent dans les rues de Montréal en brandissant des énormités discriminatoires. J’avais quatre ans le soir référendum de 1995, mais je me souviens très bien des regards vitreux de mes parents devant la télévision, pendant le discours de la défaite. Je ne comprenais pas, mais je savais que c’était triste. Une tristesse lancinante et discrète qui ne nous a jamais quittés tout à fait. Le Québec est devenu ce soir-là un peuple mélancolique. J’ai souvent réécouté les enregistrements vidéo du silence de mort entrecoupé d’applaudissements qui régnait lorsque Jacques Parizeau prononçait les fameuses paroles qui allaient stigmatiser sans remède le projet souverain. Je ne sais pas ce qui était le plus triste. Les visages froncés et déconfits de ceux qui ne comprenaient pas la gifle qu’on venait de leur asséner, ou le fait qu’il se soit trouvé des gens pour applaudir. Or, ce week-end, j’ai eu l’impression d’entendre dans les rues de Montréal l’écho amplifié de ces applaudissements. Est-ce de ça dont le Québec rêvait? x

Romain Hainaut

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x le délit · le mardi 29 octobre 2013· delitfrancais.com


Arts&Culture

Heidrun Lohr

artsculture@delitfrancais.com

DANSE

Le calme avant la tempête Le climat se meut à la Cinquième salle de la Place des Arts. Mathilde Michaud Le Délit

C

’est en un univers transcendant que se transforme la Cinquième salle de la Place des Arts pour la pièce Weather de Lucy Guerin. Décor minimaliste, costumes minimalistes, musique minimaliste, cela serait un spectacle bien épuré sans compter la puissance qui se dégage des danseurs. Plutôt que de nous impressionner par un enchaînement de piqués, jetés, fouettés, ils nous en mettent plein la vue par le contrôle qu’ils exercent sur leur corps et la cohésion dont ils font preuve. Si on peut penser à première vue que dix minutes de pas de jazz seraient trop longues, les danseurs ne tardent pas à nous démontrer le contraire. La pièce prend racine dans la simplicité du mouvement pur.

Articulée autour des changements climatiques, Guerin se garde bien d’en faire directement le procès, quoique les mouvements des danseurs se veulent une démonstration explicite de l’influence qu’a l’Homme sur son environnement et viceversa. Les milliers de sacs de plastique utilisés à titre de décor en sont aussi un rappel subtil. Effectivement, choisis pour leur réponse esthétique aux jeux de lumière et aux mouvements de l’air, ils n’en sont pas moins «un symbole fort du dégât environnemental», mentionne Lucy Guerin au Devoir. De fait, leur utilisation en tant qu’accessoire lors d’un duo se rapprochant du théâtre de marionnettes, dans lequel un sac est utilisé pour contrôler, voire asphyxier l’un des danseurs, rend encore plus frappante l’ampleur de notre impact sur l’environnement.

La chorégraphe tire son inspiration du mouvement du Judson Church qui, en coupant avec les styles traditionnels tels que le contemporain et le ballet, a développé le contact improvisation. Bien que moins perceptible que dans ses pièces précédentes qui mélangeaient visiblement théâtre, danse et jeux, cette influence se transpose dans la partie transitoire de son spectacle qui incorpore une beaucoup plus grande part d’acting. On retrouve aussi dans son travail une redéfinition des «préoccupations formelles de la danse» qui s’incarne autant par l’intégration de la voix de ses danseurs que par l’utilisation de matériaux inusités. Fascinée par la faculté du climat à déjouer notre logique et à nous emporter par sa puissance, Lucy Guerin s’en est inspirée pour chorégraphier sa pièce. «Le climat s’exprime tout naturellement par la danse

et le mouvement», explique-t-elle dans sa note chorégraphique. De fait, le corps des danseurs s’essouffle et reproduit la danse du vent aussi bien que la course des saisons. L’imprévisibilité des mouvements surprend les spectateurs. Leur synchronisation quasimécanique frappe lorsque s’y juxtapose un laisser-aller des mouvements, laissant une impression de confusion qui pourrait très bien représenter celle de la nature. Cette impression est renforcée par l’ambiance sonore créée par Oren Ambarchi. «Je voulais faire vivre au public une expérience qui l’aiderait à mieux se plonger dans la chorégraphie», explique-t-elle à La Presse. Mission accomplie. Lorsque les applaudissements éclatent, on entend encore le rythme envoûtant de la musique et l’unisson parfait des six corps qui se sont lentement éteints alors que la noirceur gagnait la scène. x

EXPOSITION

La sérénissime à Montréal

Le Musée des Beaux Arts aux senteurs de l’Italie. Virginie Daigle Le Délit

Camille Chabrol

L

’Italie existe en elle-même autant qu’à travers les innombrables voyages qui y sont effectués par des masses de touristes, et ce, depuis des siècles. Pays sensuel où tous les plaisirs sont exacerbés; la gastronomie, l’art, les paysages, l’Italie est un fantasme autant qu’une nation. Normal donc que Venise soit avant tout une destination de rêve, une ville qui n’est pas tant habitée que visitée. Avec l’exposition Splendore a Venezia, le Musée des Beaux-Arts de Montréal s’est mis au défi de permettre à ses visiteurs d’apprécier une portion de la ville mythique en se concentrant sur un angle particulier: les liens qui unissent l’histoire de la ville à celle de la musique. C’est donc une exposition fondamentalement plongée dans le multimédia qui nous est proposée. C’est étonnamment agréable de visiter une ville de cette façon, en toutes petites bouchées, loin de sa véritable localisation. On a droit à un dépaysement bref et abordable, incomparable certes à l’expérience véritable, mais qui parvient jusqu’à un certain point à illustrer la fascination qu’exerce Venise sur le monde. Sur les murs sont inscrites des informations en lien avec la thématique particulière

qui organise chaque salle. On apprend, entre autres, que c’est à Venise qu’a été inauguré le premier théâtre d’opéra ouvert au public, ou encore que vers l’an mille, le doge (chef élu de l’ancienne république) de la ville présidait au mariage officiel de la ville avec la mer en jetant un anneau d’or dans les flots au cours d’une grande célébration. Ou bien encore que Vivaldi était surnommé «le prêtre roux». Il s’agit là d’une révélation qui peut, ou non, transformer de façon radicale une appréciation personnelle des Quatre saisons. Sont aussi écrites diverses citations tirées des nombreux récits de voyage dont Venise a fait l’objet au fil des années et qui permettent de comprendre les effets que cette ville a eu sur ses visiteurs. Sur le plan visuel, de nombreux tableaux sont exposés et viennent illustrer les

xle délit · le mardi 29 octobre 2013 · delitfrancais.com

lieux importants de la ville, tels que la place Saint Marc, la fameuse tour de l’horloge ou la vue du grand canal. L’exposition propose aussi une grande variété d’artefacts, tous en lien avec Venise et la musique. Toutes sortes de partitions, missels, recueils de chansons et carnets d’opéra témoignent à la fois des grands changements qui ont été opérés dans l’histoire de la musique et de la place cruciale que celle-ci a occupée dans le rayonnement de Venise. On peut observer divers instruments d’époque dont les noms sont autant de mélodies à l’oreille: cornet à bouquin basse, mandoline milanaise, hautbois d’amour, viole d’amour, archiluth, etc. Chaque salle est aussi agrémentée d’une sélection sonore qui vient compléter l’expérience; Vivaldi en particulier, mais

aussi Gabrieli, Monteverdi et bien d’autres. Malheureusement, les nombreux artefacts viennent peut-être nuire à l’appréciation des extraits musicaux qui demandent somme toute une attention beaucoup plus délicate. Une seule salle parvient à accorder à la musique l’accent qui permet d’en saisir tout l’art et la valeur. Il s’agit de la toute dernière, dans laquelle un écran présente des extraits de l’opéra l’Incoro de Monteverdi, dont la sobriété et l’éclairage tamisé viennent accentuer la richesse et la magnificence de l’œuvre musicale. C’est une drôle d’impression, après avoir été saisi de plein fouet par la beauté de deux voix qui s’unissent et se déchirent dans un alliage parfait d’émotion et de virtuosité du chant, de passer directement à la boutique. Il suffit d’un pas pour quitter les hautes sphères de l’âme et de l’esprit pour aller s’acheter une preuve garante de notre culture raffinée: un aimant, un signet, ou encore un stylo. Il n’y a rien de mal là-dedans, rien de particulièrement sublime non plus. x

Splendore a Venizia Où: Musée des Beaux Arts Quand: Jusqu’au 19 janvier Combien: 10,44$

Arts & Culture

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CHRONIQUE

«Voltaire is in the house»

Joseph Boju | Chronique du temps qu’il fait le commerce des hommes est une étrange chose. Quelle entrée en matière sordide, pédante et disgracieuse. Mais c’est pourtant la formule qui m’est venue à l’esprit ce matin, alors que j’étais debout sur la croix du mont Royal face au soleil couchant, et que je lisais un article du site Internet de McGill intitulé «Voltaire is in the house». Ce Voltaire dont on va maintenant s’occuper est tout d’abord, rappelons-le, un cadavre faisant face à Rousseau dans le temple des morts dont les français s’honorent. Aujourd’hui, avec l’acquisition par la bibliothèque de McGill de la collection J. Patrick Lee (sujet de l’article cité plus haut), c’est tout un transfert symbolique qui est à l’œuvre. Mettons que la bibliothèque McLennan soit un club de football ou de soccer. Il s’agit pour nos bons rats (de bibliothèque) d’un coup aussi gros que celui de récupérer un Zlatan ou un Zidane dans

leur équipe. Et pour cause: 1994 objets de, et sur Voltaire! Autant de bouts d’immortalité qui pourront maintenant chuchoter «We are McGill», bien installés au frais dans les étagères du quatrième étage de McLennan. À celui-ci je préfère tout de même le destin que connaît Rabelais. Au lieu d’ombres et poussières, son fameux Pantagruel est devenu une marque de chocolat pâtissier dont vous me direz des nouvelles. Il est vrai que les fauteuils «voltaire» ont leur mot à dire dans ce débat mais si je me prends d’animer tous les objets légués par le monde des lettres, on n’est pas sorti de l’auberge des trois faisans. C’est pourquoi je serai bref et concis: tous les honneurs sont vains, surtout s’ils concernent le prochain. L’immortalité est la carotte de l’âme. C’est un combat sans fin, celui que nous menons pour l’estime de nos semblables (on le décrie sans cesse, toujours on y revient).

Enfin, parodiant Pyrame en un sanglot, je nous ferai deux propositions afin de clore rapidement cette discussion qui déborde inutilement de sens: S’il s’agit d’engloutir la mort, il nous faudrait retourner lire la Bible (Corinthiens 25-54). S’il s’agit de rester dans la mémoire des hommes, il faut nous faire hommes de lettres ou nous assurer d’en avoir à nos côtés, car il est écrit: «Les grands hommes ne sont immortalisés que par l’homme de lettres qui pouroit s’immortaliser sans eux. Au défaut d’actions célèbres, il chanteroit les transactions de la nature et le repos des dieux, et il seroit entendu dans l’avenir. Celui donc qui méprisera l’homme de lettres méprisera aussi le jugement de la postérité, et s’élèvera rarement à quelque chose qui mérite de lui être transmis. (L’Encylopédie, «Immortalité»). Sur ce je souhaite la bienvenue à François-Marie d’Arouet, dit Voltaire, dans notre communauté managériale. x

THÉÂTRE

Le bleu cendré daoustien Représentation théâtrale d’un poème de Jean-Paul Daoust.

Ruth Malka

L

es Cendres bleues, ce récit poétique de deux mille vers composé par JeanPaul Daoust, est un texte qui parle d’amour. D’un amour interdit, qui unit un garçon de six ans et demi à un jeune homme de vingt ans; d’un amour qui s’achève dans l’immolation du pédophile par l’enfant jaloux qui l’a surpris avec un autre. Rétrospectif, le récit est celui de l’homme de quarante ans qui a été un jour non seulement la victime consentante du désir sexuel de l’adulte, mais aussi l’enfant amoureux. Alors que le texte pourrait donner l’impression que l’auteur raconte ses souvenirs pour mieux s’en défaire, il apparaît que la narration fait naître de nouvelles émotions et renaître d’anciens désirs. Le poème qui, à certains moments, se rapproche de la chanson, est scandé par ces vers qui reviennent comme un refrain, et qui rappellent au spectateur porté par l’imaginaire amoureux qu’il y a de la douleur dans le désir: «J’oscille encore dans la lumière de son désir». La question posée par Les Cendres bleues est celle de la légitimité de l’amour vécu par le personnage. Comment est-ce possible que le viol d’un enfant soit paradoxalement le plus beau souvenir de celui-ci, la plus belle histoire d’amour qu’il ait vécue et qu’il revit encore? «À relire maintenant les grands livres / Les grandes histoires / Je l’aime encore plus». Ainsi que l’affirme le metteur en scène, Philippe Cyr, «devant une histoire semblable, notre réflexe normal est la dénonciation, mais le récit poétique nous amène au-delà du problème que la situation pose». Il en va de même de la mise en scène, qui évoque le récit poétique. La mise en scène de Philippe Cyr met en valeur un poème qui n’avait pas été initialement conçu pour une adaptation théâtrale. Le choix de placer trois acteurs sur scène transforme la vox poetica en une

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Arts & Culture

sorte de dialogue intérieur qui représente parfaitement le déchirement interne du personnage. La pluralité et l’éclatement des sensations, les différences entre le souvenir des ébats et la réactualisation du désir sont amplifiés par la présence des trois corps devant les spectateurs. Sébastien David, Jonathan Morier et Jean Turcotte, qui se répartissent le rôle du personnage principal, partagent un jeu d’acteur comme une chorégraphie. Leurs déplacements sur la scène ainsi que leur gestuelle permettent de symboliser l’expérience sexuelle exprimée par l’instance narrative. Parfois ils se regroupent, et l’enfant se recroqueville, parfois ils s’éloignent les uns des autres, et la tension qui anime le personnage, balancé entre son désir et sa culpabilité, est révelée. Le choix de trois acteurs d’âges différents donne au spectateur l’impression d’être en présence du personnage à trois stades de sa vie. Le partage du texte entre ces trois avatars renforce l’idée que les événements aient pu hanter le personnage de ses six ans et demi à ses quarante ans, et dévoile un personnage qui parle à ses doubles, à celui qu’il a été ou à celui qu’il sera, sachant que son mal d’amour a bouleversé et perturbera toute sa vie. Les trois voix du personnage, tout en relatant l’expérience de l’enfant, racontent toutes la même histoire. Des souvenirs qui sont actualisés sur la scène: certains vers sont dits simultanément par les trois acteurs, montrant la force du souvenir qui perdure; d’autres vers, différents les uns des autres cette fois-ci, sont prononcés au même moment, ce qui dévoile le chaos qui ébranle tant l’enfant que l’adulte. Le trouble mental auquel tentent de faire face ces trois formes du personnage fait écho au dualisme qui parcourt la pièce et qui est celui de l’eros et du thanatos, de l’amour et de la mort, de la vie et des cendres. Sont intrinsèquement liés le désir de l’enfant et la mort

du jeune amant, la métaphorique brûlure d’amour et le corps qui se consume. La couleur bleue est la seule vision qui reste inaltérée tout au long de la pièce et qui fait se rejoindre ce que le dualisme oppose: bleue est la peau de l’amant, bleus sont ses yeux, bleues sont ses cendres. Le bleu est à la fois couleur d’amour et de mort. Mais le bleu est également la couleur de l’eau; un élément qui a un statut particulier dans la mise en scène des Cendres bleues, dans laquelle les comédiens ont de l’eau jusqu’à la cheville. L’eau, qui représente l’unification du crime et de l’amour est à la fois la pureté, le désir de purification, mais aussi une eau stagnante, qui ne coule pas, celle du lac de Valleyfield qui a été témoin de l’amour et de la jouissance de l’enfant.

Au-delà du paradoxe de la légitimation d’un amour interdit, au-delà du double crime que cet amour a été, à la fois viol de l’enfant, vol de l’enfance par le jeune homme et immolation de l’amant par sa victime sur le bûcher de l’amour, le fil d’Ariane qui permet de sortir du labyrinthe du Minotaure est la couleur bleue, qui surmonte les contradictions et les unifie par la voix et dans l’histoire du personnage. x

Les Cendres Bleues Où: Théâtre d’Aujourd’hui Quand: jusqu’au 9 novembre Combien: 23,75$

Julie Artacho

x le délit · le mardi 29 octobre 2013 · delitfrancais.com


MUSIQUE

Concerto pour piano L’Orchestre 21 interprète une musique classique résolument contemporaine. Doriane Randria Le Délit

E

n un froid dimanche après-midi d’automne, rien de tel qu’un peu de musique classique jouée par un orchestre symphonique pour réchauffer les cœurs. L’Orchestre 21, aussi connu sous le nom de l’Orchestre du 21e siècle, nous a offert le 27 octobre dernier une majestueuse démonstration de ses talents. Comme son nom l’indique, cet orchestre se veut moderne, interprétant sous la direction de Paolo Bellomia un étonnant mélange de musique classique et contemporaine. Au total, huit compositions, dont deux de l’artiste polonais Witold Lutoslawski jouées en hommage au centième anniversaire de sa naissance, ont été présentées dans la salle Pollack de l’École de musique de McGill. Deux solistes invités, le premier violon Ewas Sas et la pianiste Justyna Gabzdyl, ont fait une apparition dans les compositions de Lutoslawski Partita pour Violon Orchestre et Piano et Concerto pour Piano et Orchestre, respectivement. Le concert commence avec la Polonaise de Frédéric Chopin, Opus 40, no1. L’interprétation, énergique et parfaite-

Camille Chabrol

ment maîtrisée, semble captiver l’auditoire. Les cuivres, accompagnant les violons, jouent en chœur, et les discrètes percussions apportent une ambiance solennelle au tout. L’ensemble, parfaitement harmonieux, presque festif, ne laisse aucunement présager ce qui suit. En effet, ce n’est qu’à

partir du deuxième morceau qu’on se rend compte de la réelle teneur du concert. Il s’agit de la création originale Symphony: vingt-quatre longues minutes d’une musique un peu sinistre, plutôt surprenante, et définitivement captivante. Dès le début, les violons sont très aigus et créent une angois-

sante atmosphère qui se prolonge tout au long de l’interprétation. D’autres cordes plus graves s’ajoutent et rendent la tension plus palpable encore. Clarinettes et cuivres font de courtes et parcimonieuses apparitions, avant de laisser à nouveau la place au son strident des violons. Le moment le plus intense se situe vers le milieu du morceau, durant lequel trois violentes répercussions – exécutées avec ce qui ressemble à un marteau géant – retentissent tout d’un coup, cadencées, à intervalles régulières. Le plus étonnant reste la manière dont l’orchestre passe de compositions très conceptuelles à des compositions tout à fait classiques comme celle de Chopin. Paolo Bellomia semble aimer jouer avec cela, et ne cesse de surprendre son public. Le chef d’orchestre alterne les genres pour offrir une palette d’émotions diverses à son auditoire. Il est possible qu’un non-initié à la musique classique contemporaine ne soit pas séduit par cette musique déroutante. Néanmoins, il sera certainement intrigué par la singularité qui semble à chaque instant laisser le public en suspens, haletant et sous tension. x

THÉÂTRE

Fragments de vie Le théâtre d’Évelyne de la Chenelière à l’Espace GO. Alice Tabarin Le Délit

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i vous êtes amateurs de levers de rideaux rouges formels; si vous aimez que les corps soient parés de costumes riches en formes, en coupe et en matières; si vous vous délectez du jeu de la pluralité des décors et des accessoires, il est temps de goûter à autre chose. Ici, rien ne subsiste que la rugueuse réalité. Celle qui vous fera rire aux larmes avant de changer ces larmes en pleurs. Un théâtre intime vient déchaîner, dans la toute aussi intime salle de l’Espace GO, un véritable tourbillon d’émotion. Une Vie Pour Deux, d’Évelyne de la Chenelière, est une pièce adaptée du roman de Marie

Cardinal, qui révèle sans fards les dédales amoureux d’un couple à la dérive. À partir d’un incident simple, la découverte d’un cadavre sur une plage irlandaise, Simone et Jean procèdent à l’autopsie de leur relation amoureuse qui dure depuis vingt ans. Cette situation provoque une heure et quart d’échanges brûlants de justesse. Le dialogue, axé autour de la reconstitution de l’histoire hypothétique de la morte, se désaxe rapidement vers un dialogue autour du passé, du présent et du futur des deux amants. Ensemble, ils abordent le thème du sentiment amoureux, bien sûr, mais aussi celui de la peur que suscite la vieillesse, la maladie et la mort. De la condition de la femme face à l’homme

et à sa famille, de la démesure de l’amour passionnel et des pics émotionnels qui l’accompagnent. Et bien d’autres thèmes encore, toujours avec le propos vrai, qui vient vous frapper en plein cœur pour s’y casser comme du bois sec. Les répliques qui développent ces sujets fondamentaux parviennent à toucher la sensibilité du spectateur grâce à un langage qui n’est ni châtié ni trivial, mais dépouillé d’artifice. Les mots sont nus et les formulations poétiques: «En revanche, ses doigts étaient comme des génies autonomes, délicieux et pervers, que j’ai vite encouragé par de petits soupirs.» La dimension littéraire de la pièce s’impose autant que la dimension théâtrale. Ceci est permis par un parti Romain Hainaut

x le délit · le mardi 29 octobre 2013 · delitfrancais.com

pris esthétique réaliste qui se manifeste par une épuration visible de la scénographie. Sur les planches: huit chaises, une table massive en béton et trois comédiens. Alice Ronfard, metteure en scène, mais aussi fille de Marie Cardinal, fait un choix minimaliste qui contribue à la mise en valeur du texte. En choisissant un décor sobre, elle laisse également aux comédiens l’opportunité d’incarner pleinement leurs personnages. Ils s’en emparent héroïquement. Violette Chauveau, aperçue dans Laurence Anyways de Xavier Dolan mais qui s’est avant tout démarquée au théâtre, est saisissante dans le rôle de Simone. Capable de déployer trois sentiments différents sur une seule et même réplique, sa performance est bouleversante. Elle est secondée par Jean-François Casabonne, qui interprète un mari tendrement ironique, un peu las et détaché des excès passionnels de sa femme qu’il décrit comme «éloquente, persuasive, pittoresque, poignante, incontestable». Enfin, le trio se complète avec Évelyne de la Chenelière en cadavre décharné, dont la présence corporelle ainsi que la voix retouchée offrent un troublant goût d’au-delà. Les critiques de presse avaient déjà encensé la pièce de théâtre à sa première sortie l’année passée. Du côté du public, l’enthousiasme semble être le même. Les comédiens quittent la scène sous les applaudissements bruyants d’une foule en standing ovation. Ils ont raison, les artistes ont accompli la prouesse de capturer, ne serait-ce que le temps d’une représentation, cette chimère qu’est la réalité. x

Arts & Culture

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MUSIQUE

Le taureau et lui Toro y moi s’invite à la SAT pour un concert plutôt commun. Thomas Simonneau Le Délit

Éléonore Nouel

L

e taureau, c’est sa musique. Lui, c’est Toro y moi. Né en 1986, ce jeune musicien originaire de Caroline du Sud était de passage à la Société des Arts Technologiques (SAT) samedi. Aux dires des spectateurs, une étape à Montréal semblait la bienvenue dans le cadre de la tournée nord-américaine de l’artiste qui prendra fin le 10 novembre à Vancouver. Emma, étudiante à l’UQAM, raconte au Délit avant l’entrée en scène de l’artiste: «J’écoute sa musique depuis qu’il a commencé et j’aime beaucoup son style. Quand j’ai su qu’il passait ici, il n’a pas fallu me forcer pour acheter mon billet.» Dans la petite salle remplie d’une centaine de personnes, on s’attendait donc à un rassemblement jovial entre un musicien et ses fans, entre un toréador et son audience. La première partie du spectacle est assurée par le groupe indie rock The Sea and Cake, composé de trois quadragénaires ainsi qu’un quinquagénaire américains. Leur musique est étudiée, sans faille et semble plaire à la salle, pourtant nettement plus jeune que le quatuor. Leur expérience se fait ressentir et le public apprécie les talents d’un batteur enjoué et d’un chanteur tranquille. Vers vingt-deux heures, Toro y moi et ses quatre musiciens prennent le relais. Ce

dernier entame sa prestation par «So Many Details», chanson harmonieuse issue de son album Anything in Return sorti en janvier. Le rythme est soutenu, le son est puissant et la mélodie ferme. Cependant, leur manque d’expérience contraste avec

celle du groupe qui les a précédés et Toro y moi nous livre quelque chose de plus flou, moins détaillé. À l’image de la coiffure afro impressionnante du chanteur, les chansons sont explosives et légèrement désordonnées.

Cela dit, la délicatesse de sa voix et la technicité d’un «Rose Quartz» ou d’un «Still Sound» font forte impression. Le taureau est lancé, l’arène applaudit. On note également une parfaite synchronisation entre la musique et les jeux de lumières. La qualité du son est excellente et le service irréprochable. La Société des Arts Technologiques remplit donc admirablement son contrat d’hôte et peut porter son nom haut et fort. L’ambiance, néanmoins, est loin de celle que l’on peut trouver dans une corrida madrilène un joli jour de juillet. Le public est attentif et complaisant. Certains spectateurs s’adonnent à quelque pas de danse endiablés lorsqu’une de leur chanson préférée retentit, mais le tout reste frileux. L’ouïe est satisfaite mais le cœur n’y est pas. D’ailleurs, pas de rappel lorsque les ultimes notes du dernier morceau retentissent dans la pièce. Toro y moi nous dit: «Goodbye Montréal» à travers son microphone et nous lui rendons la pareille. Chaleureuse mais sans extravagance, la représentation donnée par l’artiste émergeant et plein de potentiel ne dégageait cependant pas la puissance d’une corrida bien rôdée. Le manque de soleil en cette fin d’octobre est une explication possible, une musique encore naissante en est une autre, un public paisible une dernière. Malgré tout, le taureau vit encore, et on suivra de près son chemin vers le déclin, ou la gloire. x

LITTÉRATURE

Une histoire de famille L’enfant qui savait parler la langue des chiens, premier roman de Joanna Gruda. Any-Pier Dionne Le Délit

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l y a des vies qui sont si étonnantes qu’on n’aurait pu les inventer.» Voici résumé en quelques mots L’enfant qui savait parler la langue des chiens, premier roman de la Québécoise d’origine polonaise Joanna Gruda. C’est en fait le récit rocambolesque de l’enfance et de l’adolescence de son père (Julian) que l’auteure couche sur papier avec brio. Le crash boursier de 1929, les balbutiements du communisme en Europe de l’Est, la guerre civile espagnole, la Seconde Guerre mondiale, le nazisme et la Résistance… Julian se retrouve aux premières loges de bien des événements historiques du siècle dernier. Le récit débute à Moscou, alors qu’on profite d’un congrès communiste pour passer au vote l’existence de Julian qui n’est pas encore né. En effet, on craint que la grossesse n’empêche sa mère, Lena, fervente militante communiste, de maintenir son engagement pour la révolution prolétarienne. On lui accorde finalement le droit à la vie, et c’est à Varsovie que Julian grandit. À six ans, sa mère décide d’émigrer à Paris

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Arts & Culture

afin de fuir le climat d’insécurité qui règne à l’époque en Pologne. Quelques semaines à peine après leur arrivée dans la Ville Lumière, Lena - à qui l’instinct maternel semble parfois faire défaut - envoie son fils dans un orphelinat. Entouré d’enfants français, Julian en vient très vite à maîtriser la langue de son pays d’accueil. Comme il a très peu de contact avec sa mère (qui devient d’ailleurs presque une étrangère à ses yeux),

il en vient bientôt à oublier le polonais, au grand dam de ses parents. Lorsque la guerre éclate, Julian, devenu Jules (la variante francisée de son prénom), est retiré de l’orphelinat et balloté d’une famille puis d’un village à l’autre jusqu’à la Libération. Sa mère va même jusqu’à lui imposer une nouvelle identité pour mieux le protéger. Sans rechigner, Julian apprend à se faire appeler Roger pour une bonne partie de son enfance et

Romain Hainaut

continue à voguer à travers la France, s’inventant un passé différent chaque fois qu’il se retrouve dans une nouvelle famille. Mais malgré toutes ces péripéties, Julian vit une enfance à peu près normale, rythmée par les amitiés, les amourettes, l’école buissonnière, les mauvais coups et les retrouvailles. Avec ce roman-récit, Joanna Gruda fait une entrée remarquée dans le monde littéraire québécois. Elle a pris la décision de raconter elle-même l’histoire incroyable mais véridique de son père après qu’il lui eut avoué ne pas avoir l’intention d’écrire son autobiographie. C’est ainsi que l’auteure s’est retrouvée à enregistrer le récit de l’homme maintenant âgé de 83 ans pendant plusieurs mois avant d’en commencer l’écriture. Derrière la plume de sa fille, c’est la voix de Julian alors qu’il était enfant qui assure la narration. Il est âgé de six ans lorsqu’il entreprend de nous raconter son histoire, et de quatorze ans lorsqu’on le quitte à la fin de la Seconde Guerre mondiale, à son retour à Varsovie. Avec une écriture simple et sans grands artifices, l’auteure rend un texte fluide et naturel. Au lecteur d’y ajouter les émotions que le récit suggère sans énoncer. x

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Camille Chabrol

ÉVÉNEMENT

L’art de la rue interné

Beaux Dégâts célèbre sa 13e édition aux Foufounes Électriques. Camille Chabrol

Léa Frydman & Théo Bourgery Le Délit

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Oubliez les vernissages embourgeoisés, les attitudes, l’élitisme et les égos!» annonce la page Facebook de Beaux Dégâts. Le ton est donné. Pour cette 13e édition de l’événement, dixhuit graffeurs se sont réunis au premier étage des Foufounes Électriques mercredi 23 octobre. Les règles sont simples. Six groupes de trois peintres se voient assigner un sujet, sur le thème commun d’Halloween. Après une demi-heure de brainstorming, les coups de pinceaux volent, portés par l’imagination des peintres et un fond de musique électro. Deux heures pour réaliser une œuvre d’art, sous le regard attentif d’un public hétéroclite, mélange de hipsters et de ceux que le mouvement hipster dépasse. Dans cette foule agitée, les tâches sont bien réparties. Tandis qu’une minorité re-décore le bar avec leurs fresques, les autres se contentent de vider leurs canettes de bière, avant de les jeter dans une des poubelles placées à côté de chacune des œuvres. Un ballot de vote dont l’originalité risque de faire tourner la tête. Et l’excentrique n’est pas que dans la bière. Beaux Dégâts aspire à modifier notre conception de l’art au 21e siècle, en lui redonnant les couleurs de la communauté et du partage. Il semble aux organisateurs que l’art, devenu purement commercial, est aujourd’hui dénaturé. Victime de la tendance massive à l’hyperconsommation, une peinture est aujourd’hui évaluée par sa valeur mercantile avant d’être approchée pour son esthétique. La beauté s’oublie en faveur du prix. Fini l’art comme une fin en soi, même l’artiste devient une commodité, comme le redoutait Marx, prisonnier d’un monde capitaliste fort peu sensible à la peinture. Les organisateurs répudient cet art commercial, pour revenir aux authentiques valeurs de celui de la rue: celles d’un art à portée de tous. Présenter alors le graffiti, dans les confins d’un bar Montréalais, où l’entrée est payante et la bière à 4 dollars ne créerait-t-il pas un paradoxe à la lumière de leur désir d’accessibilité? L’art

abordable a un prix, qui est aussi celui de notre précieux bulletin de vote. Enfin, Beaux Dégâts fait tomber les conventions et les mondanités. Oublié, l‘aspect figé des galeries et des musées. Ici, la place est laissée à une joyeuse effervescence, dans laquelle se mélangent les rôles et les participants. Les artistes s’activent, offrant aux spectateurs l’opportunité d’assister au processus de création artistique. Simultanément le public, par sa présence et par ses votes, stimule incontestablement l’artiste, alors «spectateur de son œuvre en train de naître», selon les mots du philosophe Alain. Dans ce rapport de réciprocité, il y a un gain humain. «On crée une communauté en défaisant les barrières entre différents individus, qui, autrement, n’auraient pas interagi.» confie Monsieur Downey, fondateur de la Fresh Paint Gallery qui a donné naissance à ce joyeux bordel. Beaux Dégâts «ce n’est pas une galerie d’art, ou alors c’en est une sans prétention», explique Ella Grave, la coordinatrice de l’événement. L’art de la rue arraché à la rue, est-ce une absurdité? Une nécessité, plutôt, puisqu’hors de ces cloisons entre lesquelles une poignée d’intéressés se retrouvaient mercredi dernier, la plupart des gens prennent rarement le temps de contempler les murs de leurs villes, considérant le graffiti comme une nuisance. Puisque peu s’attardent pour reconnaître le travail des artistes, Beaux Dégâts amène l’art aux gens, nous force à nous arrêter sur ce que nous apercevons furtivement. Lorsque les dernières minutes s’écoulent et que les équipes abaissent leurs armes, les regards brillent. Nez-ànez avec l’expression artistique qu’est l’art de rue, il devient difficile de ne pas admirer l’existence de ce mouvement digne de son appellation. L’œuvre réalisée par les gagnants, Collectif 203, illustre d’ailleurs une parcelle de rue tagguée dans ses moindres recoins. Cet art, grâce à Beaux Dégâts, revit, triomphe, et devrait nous porter vers une appréciation de ce qui s’offre tous les jours à nous. Sur les murs des écoles et sur les lampadaires. Encore faut-il lever les yeux vers ces dégâts harmonieux que font les graffeurs dans nos rues. x Camille Chabrol

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Arts & Culture

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PROSE D’IDÉES

Postures politiques Corps et mairie. Philippe Robichaud

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e 22 octobre, les quatre principaux candidats à la mairie de Montréal se sont réunis dans le batiment Tanna Schulich de l’Université McGill. En guise de contrepartie au débat francophone tenu le 9 octobre, Richard Bergeron, Denis Coderre, Marcel Côté et Mélanie Joly ont accepté l’invitation à présenter leurs points de vue en anglais. Faisant allusion au débat du 9 octobre, Radio-Canada parle d’un débat «sans surprise». Les candidats se bornent surtout à utiliser le temps alloué afin de répéter un discours révisé par cœur – ou même, dans certains cas, à carrément lire un texte qui semble bêtement tiré de leur programme électoral. Quoi qu’il soit primordial de connaître les plans et positions des candidats avant de voter, il s’agit d’informations qui sont facilement retrouvables à moindre effort. Si c’était d’idées dont on avait soif, un déplacement physique n’était pas justifié. Comment, donc, légitimer un débat en chair en en os lorsque Internet procure à l’électorat montréalais une plateforme d’information multi-médiatisée et la possibilité d’un contact en temps réel avec les équipes des candidats municipaux? Les débats sont la garantie d’attirer la lumière des projecteurs lorsqu’on déplace l’attention de ce qui est dit à ce qui est joué, au sens théâtral. Du moins, le spectacle qu’offraient les candidats le 22 octobre était d’une rare clarté quant aux messages kinesthésiques exprimés – sans rien dire de la qualité du divertissement.

Romain Hainaut

Richard Bergeron rappelle une corde de violon trop tendue; sa charpente tremble, frétille presque. Souvent sur la pointe des pieds, il s’agrippe au piédestal à sa disposition. Il a le sourire facile, néanmoins. Sa voix nasillarde mobilise toute l’assurance qu’elle peut; après tout, c’est le candidat avec la plus profonde expérience de la ville qu’il aspire à diriger. Toutefois, il ne peut s’empêcher de décocher une quantité généreuse d’indexes accusateurs et même de tapoter d’une paume abaissée la tête d’une petite fille imagi-

naire lorsqu’il veut faire taire une candidate. Envisage-t-il déjà une défaite amère malgré sa compétence? Le corpulent Denis Coderre, quant à lui, fait preuve d’une étonnante économie de mouvement. Qu’il ait consciemment envie de démontrer un calme olympien face à la victoire qu’il anticipe ou bien qu’il soit effrayé par la considérable dépense calorique associée au déplacement de son corps, on ne le saura sans doute jamais. Confortablement planté sur ses talons, il navigue le débat

sans qu’il n’y ait autre organe que ses mains qui s’agite, souvent d’un geste à la Western. Mélanie Joly, droite comme une épingle, est la seule à ne pas ponctuer l’air d’incessants indexes accusateurs. Comme le confirme un membre de son équipe, Joly pratique le yoga. Au cours du débat, le maintien exemplaire d’un tonus abdominal se transforme en une crispation inconfortable. Si son serein «salut au soleil» exprime une assurance concertée au début du débat, le flot d’arguments démagogiques des autres candidats qui s’y envolent comme tant d’Icares servent à en souligner la nature impitoyable. Aigrie et quelque peu déconfite, perdant pied, par un moment elle se résout même à employer un genre de bas populisme, ce qui lui est reproché par Bergeron. Marcel Côté, pour qui la campagne est vraisemblablement déjà jouée, sermonne d’une voix vaporeuse et sans conviction. Sa gestuelle diffamatrice n’a plus aucun mordant; Coderre sait exploiter ce fait à plus d’une reprise en cédant la parole à «Marcel» d’un geste ample de la main qui peut vouloir dire «vas-y toujours, Papy». Côté oscille tranquillement de l’avant à l’arrière, rappelant le mouvement de la chaise à bascule de laquelle il semble se complaire à faire le cabotin. La valse des corps des candidats en dit long sur les rapports qu’ils entretiennent au monde, élément qui n’est pas à négliger dans le choix d’une représentation symbolique de notre ville. L’esthétique – au sens large du terme – de la figure de proue du navire montréalais n’est certainement pas le paramètre le plus important à considérer aux urnes, mais il reste néanmoins assez influent pour faire voguer la balance de Montaigne vers une plus jolie berge. x

THÉÂTRE

Dix femmes en colère Dedans Dehors, du passé au présent au théâtre de la Risée. Scarlett Remlinger Le Délit

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eneviève Tessier-De L’Etoile imagine pour sa pièce, qui s’est jouée au théâtre de la Risée du 23 au 26 octobre, les vies de plusieurs femmes sur trois générations. Au total, trois actrices prêtent leur visage à dix femmes en changeant de costume à même la scène derrière un voile noir. Entre deux répliques, nous sommes transportés d’époque en époque: on voit une enfant qui pleure parce que sa mère lui reproche d’être trop grande et de parler trop fort, on voit cette même fille plus tard se faire renvoyer de son travail pour avoir frappé sa patronne, acte qui ne convient pas à la nature féminine selon l’entremetteur de l’agence, puis on voit une dame qui, face à Dieu et à son curé, refuse d’arrêter de prendre la pilule pour le bien de sa famille. Le but étant de comprendre la progression des conditions de vie des femmes enfants et adultes en passant par celle d‘une femme âgée d’un temps passé. Se croisent et se mêlent des femmes qui n’ont eu que le malheur de naître femmes. Elles sont intelligentes, modestes, mais gare à ceux qui voudraient leur marcher

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Anaïs Faubert

sur les pieds. L’auteur, en créant cette pièce, a voulu «écrire avec cœur sans cynisme ni morale», et c’est ce que l’on ressent. Aucune de ces femmes ne se déclare victime d’une société machiste, ou ne revendique une certaine méthode féministe pour fuir sa condition. Ici, nous restons ancrés dans le réel et faisons face à des situations on ne peut plus contemporaines. N’y a-t-il pas des moments où les femmes de 2013 font ce que leurs hommes veulent juste pour leurs beaux

yeux? Et pourquoi? Parce que «les hommes sont comme des goldens retrievers qui savent quels yeux faire pour pouvoir sortir faire un tour par -20 degrés» constate Amélie Bélanger, l’une des actrices. Aujourd’hui, on espère pouvoir rire de celui qui, en voulant alléger notre travail, nous offrirait un lavevaisselle. Hier, nos grand-mères souriaient en rêvant de pouvoir retourner au travail et quitter les couches sales et l’aspirateur. Face à un mari, victime du qu’en-dira-t-on,

Sylvie, jouée par Laurence Perrault, tente de faire valoir son point de vue. Avoir une femme belle et épanouie est plus souhaitable, non? Mais «qui est-ce qui doit rester belle les mains dans la merde?»; elle. La mise en scène est intime, quelques chaises sont disposées devant l’estrade. Cette intimité invite à découvrir les sentiments de ce qui se passe au fond des cœurs de chacune de ces femmes. Il faut pouvoir identifier les moments importants de leur vie pour comprendre ce qui les blesse. Une femme raconte la difficulté de vivre en étant lesbienne après le départ de son amante. Une autre explique son choix d’avorter même si elle doit affronter les larmes de sa mère. Une autre doit vivre avec le désespoir d’avoir perdu son fils par accident, en subissant les accusations d’être une mère indigne. Comme le titre de la pièce le sousentend, on fait passer ce qui se passe vraiment en dedans, en dehors. On rend visible l’invisible sans en changer ses composantes. Derrière le voile de la scène, on aperçoit enfin ce qui est sensible, comme si on regardait à travers le voile que nous portons tous pour en faire ressortir nos propres peines. On passe, simplement et honnêtement, du dedans au dehors. x

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