Le Délit

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L’INNONDATION à MCGILL

NON AU PROTOCOLE P.5

Le mercredi 30 janvier 2013 | Volume 102 Numéro 13

Les pieds dans l’eau depuis 1977


Volume 102 Numéro 13

Éditorial

Le seul journal francophone de l’Université McGill

rec@delitfrancais.com

McGill, UQAM, même combat Nicolas Quiazua Le Délit

«L

’accroîssement relatif de la criminalité et de la violence dans notre société n’épargne pas les campus universitaires»: le genre de phrase préembalée que nous sert l’administration de notre université afin de justifier les interventions policières sur le campus au cours de la dernière année. Le même genre de phrases qui créent une culture de la sécurité et transforment McGill en un endroit où les libertés d’expression et d’information (www.mcgilldaily. com/2013/01/keeping-information-under-wraps/) sont compromises. Sauf que, cette fois, la phrase date de 1994 et est tirée directement du préambule de la Politique de prévention et de sécurité et des mesures d’urgence (Politique 25) de l’Université du Québec à Montreal. À l’UQAM, depuis le début de la session, des agents de sécurité sont présents douze heures par jour, devant des murs délimitant une zone de chantier qui jusqu’à aujourd’hui empêchaient les étudiants en droit et en sciences politiques de se rendre dans leur locaux associatifs, fermant du même coup le Café étudiant Aquin. Des agents de sécurité en permanence, l’installation de dizaines de nouvelles caméras de surveillance et la refonte de la Politique 25 du Règlement de régie interne (Règlement 2) sont autant de symptômes d’une sécuratisation des universités à travers le Québec. Les projets de renouvellement des mesures de sécurité à l’UQAM semble être le reflet presque parfait de la situation de la sécurité à McGill. En décembre dernier, la direction de l’UQAM a affirmé que la politique 25 de 1994 ne «reflète plus adéquatement […] notre réalité et environnement universitaire» de façon qu’une refonte s’impose. Un document de révisions a été compilé sans préavis ni consultation d’aucune sorte de la communauté universitaire. Suite à des pressions exercées par le corps étudiant, le projet de refonte a été retiré indéfiniment de l’ordre du jour du dernier Conseil d’Administration le 11 décembre dernier. À McGill, le protocole provisoire de sécurité a été mis en place le 12 février 2012 suite à l’occupation du bâtiment d’administration James. Ayant reçu mauvaise presse au point de se faire critiquer par l’Association canadienne des libertés civiles, l’administration a cherché à se dissocier de l’image négative. “Le protocole reste en place” annoncait le Vice-principal (administration et finances) Michael Di Grappa lors de la réunion du sénat le 23 janvier 2013. McGill choisit tout de même de le conserver sous une autre forme en le remplaçant par un énoncé de valeurs et principes sur la liberté d’expression et la tenue d’assemblées pacifiques et par des procédures standards d’opérations. Le fond reste donc le même: «l’énoncé de valeurs et principes sera fondé sur le protocole provisoire» conclut Michael Di Grappa. Cette idée en rebute plus d’un car, comme l’a dit la présidente du SÉOUM (Syndicat des employé(e)s occasionnels de l’Université McGill), Jamie MacLean lors de la manifestation contre le protocole qui s’est tenue sur le campus le 22 janvier dernier, le syndicat continuera

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à s’opposer à toute mesure qui restreindrait les libertés d’expression, de manifestation et d’associations des membres de la communauté mcgilloise et c’est clairement ce que fera l’énoncé s’il s’inscrit dans une continuité avec le protocole. L’administration se réjouit de dire que les commentaires émis par la communauté semblent être en accord avec les fondements du document. Par contre, seulement 25 personnes ont répondu à la demande de recommandation et commentaires non-confidentiels de par leur nature via courriel - par l’administration qui ont eu lieu uniquement pendant la période d’examen finaux de la session d’automne et pendant les vacances d’hiver. Le processus n’est donc pas réellement représentatif de l’opinion de la communauté. L’erreur qu’ commise la direction l’UQAM dans la mise en application de ses décisions concernant la sécurisation du campus est de ne pas avoir fait de simulacre de consultation. McGill l’a compris et a instauré des enquêtes internes, forums ouverts, foires de consultations, rapports et autres institutions censées rendre légitimes les nouvelles mesures de sécurité. Le problème avec ce genre d’exercice est que les étudiants se retrouvent encore une fois dans cette dynamique de pouvoir où l’administration tient le gros bout du bâton. Debout sur un podium d’un théâtre à 500 places, avec une vingtaine de personnes présentes dont seulement deux ou trois sont du corps étudiant, ces derniers n’ont pas beaucoup de chances de parvenir à faire entendre leurs points de vue. Dans son projet de refonte de la politique 25, l’UQAM propose la création d’un Comité de discipline comportementale qui aurait pour mandat d’imposer des sanctions disciplinaires aux personnes condamnées pour avoir posé des «actes contraires à la Loi ou toutes infractions aux règlements ou aux politiques de l’université». Les étudiants se présentant devant ce comité n’ont pas le droit d’être représentés par un avocat, malgré l’étendue de sa juridiction et les conséquences pouvant aller jusqu’à l’expulsion de l’université. De plus, le comité débute avec une présomption de culpabilité: si l’étudiant ne se présente pas devant le comité, ce dernier est «réputé avoir admis les faits qui lui sont reprochés» (p. 32). La session dernière, à McGill, plusieurs étudiants se sont vus confrontés à des procédures disciplinaires par le comité sur la discipline étudiante. Les motifs de convocation étaient plutôt arbitraires et la plupart des personnes condamnées ont été rapidement acquittées. En revanche le fait même de passer devant ce comité constitue en soi un processus intimidant. Ces parallèles ne sont pas exclusifs à ces deux universités. Les dérapages des agents de sécurité à Concordia et l’entrée des policiers anti-émeute à l’Université de Montréal ne sont que d’autres exemples qui démontrent que cette culture de la sécurité est bel et bien en train de se développer dans les universités du Québec. Afin d’y remédier, il faudra que l’ensemble des communautés universitaires présentent un front commun pour faire contre-poids au pouvoir des administrations qui semblent s’être passé le mot au sein de la CREPUQ pour imposer unilatéralement des mesures censurant la liberté de sa communauté. x

rédaction 3480 rue McTavish, bureau B•24 Montréal (Québec) H3A 1X9 Téléphone : +1 514 398-6784 Télécopieur : +1 514 398-8318 Rédacteur en chef rec@delitfrancais.com Nicolas Quiazua Actualités actualites@delitfrancais.com Secrétaires de rédaction Théo Bourgery Stéphanie Fillion Mathilde Michaud Arts&Culture artsculture@delitfrancais.com Chef de section Anselme Le Texier Secrétaire de rédaction Anne Pouzargues Société societe@delitfrancais.com Fanny Devaux Coordonnateur de la production production@delitfrancais.com Samuel Sigere Coordonnatrice visuel visuel@delitfrancais.com Lindsay P. Cameron Infographie infographie@delitfrancais.com Vacant Coordonnatrice de la correction correction@delitfrancais.com Myriam Lahmidi Coordonnateur Web web@delitfrancais.com Mathieu Ménard Collaboration Simon Albert-Lebrun, Louis BaudoinLaarman, Sophie Blais, Camille Chabrol, Pierre Chauvin, Virginie Daigle, Raphaël Dallaire-Ferland, Charlotte Delon, Margot Fortin, Laurianne Giroux, Noémy Grenier, Nicolas Labelle, Maxence Lebrun, Mathhieu Santerre Couverture Lindsay P. Cameron

bureau publicitaire 3480 rue McTavish, bureau B•26 Montréal (Québec) H3A 1X9 Téléphone : +1 514 398-6790 Télécopieur : +1 514 398-8318 ads@dailypublications.org Publicité et direction générale Boris Shedov Photocomposition Mathieu Ménard et Geneviève Robert The McGill Daily coordinating@mcgilldaily.com Queen Arsem-O’Malley

Conseil d’administration de la Société des publications du Daily (SPD) Nicolas Quiazua, Sheehan Moore, Erin Hudson, Mike Lee-Murphy, Matthew Milne, Joan Moses, Farid Muttalib, Shannon Pauls, Boris Shedov, Queen Arsem-O’Malley, Rebecca Katzman, Anselme Le Texier L’usage du masculin dans les pages du Délit vise à alléger le texte et ne se veut nullement discriminatoire.

Les opinions exprimées dans ces pages ne reflètent pas nécessairement celles de l’Université McGill. Le Délit (ISSN 1192-4609) est publié la plupart des mardis par la Société des publications du Daily (SPD). Il encourage la reproduction de ses articles originaux à condition d’en mentionner la source (sauf dans le cas d’articles et d’illustrations dont les droits avant été auparavent réservés). L’équipe du Délit n’endosse pas nécessairement les produits dont la publicité paraît dans ce journal. Imprimé sur du papier recyclé format tabloïde par Imprimeries Transcontinental Transmag, Anjou (Québec). Le Délit est fondateur et ancien membre de la Canadian University Press (CUP) et membre fondateur du Carrefour international de la presse universitaire francophone (CIPUF).

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Crédit photo: Nicolas Quiazua | Le Texier

BRÈVE/CAMPUS

Inondation à l’Université McGill Théo Bourgery Le Délit

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cGill a été frappée par une inondation ce lundi 28 janvier, alors que le réservoir McTavish s’est ouvert en fin de journée, autour de 16h. Celui-ci, en place sous la pente sud de Mont Royal, soit en face du bâtiment de l’éducation, a cédé sur un site de construction. «Une conduite d’eau de 90 cm de diamètre s’est brisée à la suite d’un accident de chantier» selon Le Devoir.

Trente-sept millions de gallons d’au potable ont par conséquent commencé à découler sur McTavish, DrPenfield et University vers 16 heures 20, avant de revenir sous le contrôle des services des eaux de la Ville de Montréal à 19 heures 30. Ces derniers ont refusés de commenter au moment de l’inondation. Dès le début de la fuite, tous les services de sécurité de l’Université McGill se sont mis sur le qui-vive. À première vue, une coordonatrice de la sécurité explique au Délit que «le but premier est d’être sûr que personne

n’est blessé», assurant cependant que le bâtiment de l’AÉUM ne sera pas évacué. Vingt minutes plus tard, apprenant que le sous-sol et premier étage de plusieurs bâtiments de l’université sont recouverts d’eau, dont la librairie McGill ainsi que le Point de Service, la sécurité a toutefois demandé à tous les étudiants présents dans l’AÉUM, dont les rédacteurs du Délit, de quitter les lieux. Entre temps, les pompiers, joints au téléphone, ont affirmé que tout était mis en place «pour prendre le contrôle du problème et minimiser les dégâts».

Selon La Presse, le secteur entre la rue Sherbrooke et le boulevard RenéLevesque fut inondé, ainsi que la rue Peel et l’avenue Union et ça jusqu’à tard dans la soirée. Selon les dires du Devoir, deux personnes auraient «été légèrement blessées».Mardi le 29 janvier, plusieurs bâtiments, notamment dans le secteur de la rue University, étaient fermés et les cours annulés. Mardi, des fuites existent toujours; l’Université McGill tient néanmoins à préciser qu’elles «ne pose aucun problème pour les bâtiments de l’université». x

Conseil législatif de l’AÉUM Stephanie Fillion Le Délit

L

’Association étudiante de l’Université McGill (AÉUM) soutiendra le comité du «oui» lors du référendum d’existence de la Société des publications du Daily (SPD). C’est une des décisions prises lors de l’Assemblée Générale de l’association qui a eu lieu le 24 janvier dernier. Après une discussion pesant le pour et le contre par les membres du conseil, le vote s’est conclut par une majorité de 21 membres en faveur et six contre un appui au

vote du «oui». Selon le préambule de la motion «considérant, que la [SPD] est une organisation indépendante, à but non lucratif, étudiante qui publie le McGill Daily et Le Délit, […] que Le Délit est le seul journal étudiant francophone de McGill», alors l’AÉUM se doit de donner son soutien. L’AÉUM a également accepté la tenue d’un référendum cet hiver afin de déterminer si les frais pour les installations sportives et récréatives augmenteront de 7,25 dollars pour les étudiants à temps plein, pour une facture annuelle de 127,75 dollars.

Même son de cloche du côté du centre d’aide à l’écriture, qui souhaiterait voir une contribution de 1,50 dollar supplémentaire de la part des élèves. Il a aussi été question de la semaine du Québec lors de l’Assemblée. L’événement, qui a débuté le 21 janvier dernier, soulève quelques questions au sein de l’exécutif de l’AÉUM. En effet, la Commission des Affaires Francophones (CAF) de l’université devait, selon le site web de l’AÉUM, participer à une présentation. Hors, la commission n’avait pas été avisée et l’a elle-même appris sur

le dit site. Ainsi, Zachary Rosentzveig, représentant des clubs et services, a soulevé une question par rapport aux récents événements: «J’aimerais savoir pourquoi la CAF n’était pas au courant qu’elle donnait une présentation». La vice-présidente aux affaires externes de l’AÉUM, Robin ReidFraser, avait affirmé au Délit la semaine dernière que l’erreur provenait du vice-président aux affaires événementielles, Mike Spedzja. Ce dernier, admettant sa faute, a présenté ses excuses au conseil mercredi dernier. x

L’ASSÉ: Sommet ou pas Sommet ? Pierre Chauvin Le Délit

L

’Association pour une Solidarité Syndicale Étudiante (ASSÉ) tiendra un congrès ce vendredi 1er février au cégep St-Félicien pour déterminer si elle participera au sommet sur l’éducation supérieure. Le sommet, qui se tiendra les 25 et 26 février, est une promesse de campagne du Parti Québécois. L’ASSÉ a été très critique à l’endroit de Pierre Duchesne, ministre de l’Éducation supérieure, particulièrement sur le sujet de la gratuité scolaire. «Le gouvernement a écarté d’un revers de la main la gratuité scolaire et semble se diriger

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vers une indexation des frais de scolarité sur le coût de la vie, ou plutôt devraisje dire une indexation à la pauvreté étudiante», explique Jérémie Bédard-Wien, un des porte-paroles de l’ASSÉ. Il fait référence aux récentes déclarations de Pierre Duchesne le 27 janvier à l’Institut du Nouveau Monde. Cité dans La Presse, le ministre explique que «le coût de la gratuité dépasse vraisemblablement le milliard de dollars annuellement. On voit déjà, en tout respect, ce que signifie cette option pour notre système d’enseignement.» L’ASSÉ a participé aux rencontres préparatoires, mais pourrait bien décider de manifester lors du sommet

en signe de protestation. «[Le gouvernement] cherche à faire des consensus sur des questions purement financières, à écarter ce débat fondamental pour en arriver à des conclusions qui semblent déjà déterminées d’avance», dénonce le porteparole Jérémie Bédard-Wien. L’association entend mettre le sujet de la gratuité scolaire à l’avant de la scène, que ce soit au sommet ou non. «Nous le ferons par le biais d’une manifestation en parallèle du sommet», explique le porte-parole. En octobre denier, l’ASSÉ avait fait savoir qu’en cas de sa non participation au sommet, des manifestations seraient organisées. Le congrès déterminera aussi

une possible grève lors du sommet. Si les étudiants pensent que le plus dur est passé avec la défaite du gouvernement Libéral et l’annulation de la hausse, ils pourraient avoir des surprises, prévient l’ASSÉ. «Les acquis de la grève ne seront pas maintenus si nous ne continuons pas à les défendre et même à proposer un projet de société qui va plus loin», affirme Jérémie Bédard-Wien. «Il est clair que ce sommet est déjà orienté vers une indexation.» Dans ce contexte, le sommet s’annonce difficile, surtout après les coupures de 124,3 millions de dollars annoncées au mois de décembre par le ministre Duchesne. x

Le monde en vrac Théo Bourgery et Stéphanie Fillion Le Délit

L’Angleterre veut un référendum

L

e premier ministre britannique, David Cameron, a annoncé mercredi le 23 janvier qu’un référendum sur l’appartenance à l’Union Européenne serait mis sur pied à l’horizon 2015-2017. Cette décision survient après qu’une faction d’eurosceptiques a divisé le parti conservateur actuellement au pouvoir. Le référendum, présenté ainsi, tient la victoire des conservateurs aux élections nationales de 2015 pour acquise. Pour l’opposition, incarnée par le parti travailliste, David Cameron est «à la remorque de son parti et non pas guidé par l’intérêt économique national». Le débat continue. x

L’armée française à Tombouctou

C

e lundi 28 janvier, le ministre français de la Défense Jean-Yves Le Drian annonce que les forces françaises et maliennes se sont établies à Tombouctou, capitale intellectuelle du Mali qui était jusqu’alors contrôlée par des «terroristes islamistes». En représailles, ces derniers auraient exécuté un jeune homme fêtant l’arrivée des troupes, et brûlé des manuscrits d’époque, selon la BBC. Devant un accroissement des violences, le Canada ainsi que le Royaume-Uni se sont dit prêts à aider davantage la France au Mali, sans toutefois envoyer de troupes au sol. L’Italie, quant à elle, n’a pu envoyer que trois avions de logistique, faute de soutien du parlement. x

La France fait le ménage

L

e ministère français de l’Intérieur a annoncé une hausse de 11,9% du nombre de reconduites à la frontière par rapport à 2011 pour atteindre le nombre record de 36 822. À en croire le Ministère, la raison de la hausse est une anticipation d’une décision de la cour de cassation qui stipule que le séjour illégal d’un particulier ne justifie plus sa garde à vue. Judiciairement, les juges ont donc mieux fait de prononcer des renvois à la frontière. Depuis 2001, le nombre de renvois a augmenté de plus de 300%, avec 9 227 au début du millénaire. x

Immigration aux États-Unis

A

ux États-Unis, Barrack Obama s’attaque lui aussi aux sans papiers. Le président américain a, mardi dernier, pressé le congrès de réformer les lois sur l’immigration. Selon le site Internet de Radio-Canada, les nouvelles législatures permettraient à des immigrants clandestins d’avoir un permis de travail, puis d’obtenir leur candidature à la citoyenneté américaine ultérieurement. Un total de 11 millions de personnes seraient sans papiers aux États-Unis. x

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CAMPUS

Crier pour manifester

Le protocole crée un fort émoi au sein de la population syndicale de McGill

Mathilde Michaud Le Délit

M

ardi le 22 janvier, la quasi-totalité des syndicats présents sur le campus, ainsi que de nombreuses associations étudiantes, se sont rassemblés devant le bâtiment James de l’Université McGill afin de crier leur indignation face au protocole sur les assemblées pacifiques qui a été mis en place en février dernier. Malgré son retrait la semaine passée, il n’en reste pas moins que l’administration a décidé de conserver le cœur de son projet et d’en faire un énoncé des valeurs et des principes sur la liberté d’expression et la tenue d’assemblées pacifiques. Ce qui fait peur aux représentants étudiants et syndicaux, c’est qu’«on ne sait pas exactement ce que c’est, ni dans le format ni le contenu. On a juste peur que les mesures qui sont dans le protocole, les mesures contre lesquelles nous protestons, soient toujours présentes d’une manière ou d’une autre dans l’énoncé», explique Stefana Lamasanu, responsable des communications pour l’unité III de l’AÉÉDEM (Association des Étudiantes et Étudiants Diplômé(e)s Employé(e)s de McGill). À 12 heures 30, ils étaient un peu plus d’une centaine, avec bannières et slogans; pendant une dizaine de minutes, les discours se sont succédés avant que les organisateurs appellent les manifestants à marcher tous ensemble vers le hall d’entrée du pavillon des Arts où les discours allaient continuer. Beaucoup ont mis de l’avant le côté restrictif du protocole. C’est le cas de MUNACA, le syndicat des employés de soutien de l’Université McGill. Comme l’explique Kevin Whittaker, président du syndicat, les représentants du groupe avaient été invités à la première séance de consultation sur le protocole, mais «après l’avoir révisé [ils ont] vu que ce n’était rien de moins qu’une violation

de tous nos droits humains fondamentaux et de nos libertés au Québec et au Canada.» Stefana Lamasanu affirme pour sa part que «toute personne qui veut manifester sur le campus devrait avoir les mêmes droits que partout ailleurs au Québec, car ce sont des droits qui sont protégés par la Charte des droits et libertés de la personne.» Jérémie Bédard-Wien, porte-parole de l’ASSÉ (Association pour une Solidarité Syndicale Étudiante), appuie son discours sur un autre argument. En effet, il affirme qu’il s’agit d’une tentative d’instaurer une «culture de la sécurité» sur le campus. Celle-ci «transformerait nos universités en périmètres de sécurité où les droits inaliénables de liberté d’expression et de liberté de manifestation n’existent plus». Il ajoute que le retrait du protocole est d’autant plus important que le problème ne concerne pas uniquement McGill. En effet, récemment, l’administration de l’UQAM a fait construire des murs qui entourent les locaux de différentes associations étudiantes de même que le café étudiant. À l’Université de Montréal, à la fin de la grève au mois d’août, la police antiémeute entrait dans l’enceinte de l’université pour briser les lignes de piquetage. Il poursuit: «C’est pour ça qu’on doit absolument bloquer ce protocole, parce que s’il passe à McGill, il passera très certainement dans d’autres universités et cette culture de sécurité pourra se développer.» Les membres du Syndicat des employé(e)s occasionnels de l’Université McGill (SÉOUM) voulaient quant à eux s’assurer que, malgré un retrait du protocole, les mesures ne seraient pas conservées sous une autre forme. «Nous aimerions maintenir notre position d’opposition contre quoi que se soit qui limite le droit des étudiants, travailleurs et membres du personnel enseignant sur le campus et dans la communauté mcgilloise d’exprimer leurs opinions et de

Crédit photo: Camille Chabrol

s’opposer aux décisions qui y sont prises», commente Jamie MacLean, présidente du syndicat. D’un autre côté, MUNACA reconnaît la nécessité pour l’université de se munir d’un protocole. «Nous croyons, en rappelant les événements de la grève d’octobre et novembre dernier, qu’il y a clairement un besoin de créer un protocole qui définirait comment McGill doit réagir aux manifestations sur le campus. Nous comprenons donc qu’il y a un besoin, mais ce n’est pas à celui-ci que le protocole qu’ils ont créé répond», explique Kevin Whittaker.

Jamie MacLean pense qu’«il a été clairement démontré que certains membres de la communauté sont en profond désaccord avec le protocole» et elle espère que l’université aura compris le message sans avoir besoin d’entamer de futures procédures légales. Sylvain Marois, vice-président de la FNEEQ (Fédération nationale des enseignantes et enseignants du Québec), responsable du Regroupement université, a conclu la manifestation en scandant à tous les participants: «La liberté d’expression, ça ne s’encadre pas.» x

Quand Manfredi nous serre la ceinture Cent cours de la Faculté des Arts ne seront plus offerts à partir du semestre prochain Théo Bourgery Le Délit

«I

l y a beaucoup de monde!», s’exclame Christopher Manfredi, doyen de la Faculté des Arts de l’Université McGill, en entrant dans le Salon des Arts le 22 janvier dernier. Devant la colère de certains étudiants suite à l’annonce de «coupures» de cours, l’administration a décidé d’organiser une rencontre avec ces derniers, pour «tout mettre au clair», dit le Doyen. L’événement commence par une grande présentation du projet, l’annonce de la disparition d’une centaine de cours de moins de vingt élèves; source de l’inquiétude de nombreux étudiants. Selon Manfredi, le projet date du Livre Blanc de 2006, où il est indiqué que McGill cherche à «atteindre une taille de classe optimale». Pour arriver à ce but, il vise à réduire les cours à très faible demande (vingt étudiants ou moins, soit 443 cours – 37% – dans la Faculté des Arts) de 25%.

Le but, à ses yeux, est clair: il s’agit de créer des rapports plus proches entre les étudiants et les professeurs, ainsi que d’améliorer le sort des Auxiliaires à l’Enseignement, les Teaching Assistants. En effet, le budget leur étant octroyé est resté constant depuis plusieurs années, tandis que le nombre d’étudiants a augmenté. Résultat? À en croire la vicedoyenne, Gillian Lane-Mercier, le ratio est maintenant de un AE pour 80 élèves. Couper une centaine de cours, cela voudrait donc dire assez d’argent pour embaucher 120 autres assistants et ramener le ratio à un pour 60 élèves. Afin de ne pas faire d’incartades ou d’aller «trop vite», Mme Lane-Mercier a voulu rencontrer les représentants de chaque département pour comprendre leur mode de fonctionnement et savoir «quels cours de moins de vingt élèves sont vraiment nécessaires». À ce jour, il semble y avoir plusieurs raisons pour la petite taille de certains cours, l’une étant que le professeur refuse de faire cours à un large public.

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D’autres expliquent que le cours est petit par nécessité, ou encore que la pédagogie employée ne peut fonctionner qu’en petits groupes. Après une présentation d’environ une demi-heure, pendant laquelle M. Manfredi et Mme Lane-Mercier se sont partagés le devant de la scène, la séance s’est ouverte aux questions. Là, les deux responsables se sont retrouvés devant des étudiants clamant que de telles coupes seraient «catastrophiques» pour la réputation de l’université et la qualité de l’enseignement. Un étudiant a décidé de parler de sa propre expérience, expliquant que «les cours de petite taille sont nécessaires pour entamer des discussions et des débats» et que les professeurs contournent le problème de la taille «en donnant des lectures en plus, quitte à ensevelir l’étudiant sous le travail». D’autres, plus modérés, se sont demandés pourquoi aucun professeur ne recevait d’introduction à la pédagogie, pour simplement «apprendre à

enseigner». Manfredi a reconnu que cela pouvait être un problème et qu’il le mentionnerait lorsque les membres de la faculté se rencontreraient de nouveau en mars. Rien n’est encore fait, même si tout commence à se concrétiser du côté de la Faculté. L’année prochaine risque donc d’être riche en débats… mais pauvre en choix de cours. x

Illustration: Matthieu Santerre

Actualités

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MONTRÉAL

Réouverture du Aquin à l’UQAM L’UQAM procédera à une «réouverture graduelle»du café étudiant Nicolas Quiazua Le Délit

L

es gérants du Café Aquin, dans le Pavillon Hubert-Aquin, à l’Université du Québec à Montréal (UQAM), ont pu accéder à nouveau à leurs locaux ce lundi 28 février, se conformant ainsi aux termes d’une mise en demeure. Suite à des «graffitis comportant des propos haineux et intimidants» apposés sur les murs des corridors entourant les locaux de plusieurs associations étudiantes, l’administration de l’UQAM a décidé de fermer l’espace associatif modulaire de la Faculté des sciences humaines et de la Faculté de science politique et de droit situé au deuxième étage du pavillon Hubert-Aquin, le 20 décembre 2012. Cette fermeture a également interdit l’accès au café Aquin, au Comité de soutien aux parents étudiants et à l’Association des étudiants handicapés. Les employés du café ont été avertis moins de 24 heures avant l’arrivée des ouvriers et la fermeture de leur lieu de travail. Le 24 janvier, le conseil d’administration du Café Aquin sommait l’UQAM de se «conformer au plus tard le 28 janvier 2013» à la réouverture du Café Aquin en procédant au «retrait du mur temporaire érigé à l’intérieur du café», à la réouverture des «espaces associatifs adjacents» et à l’indemnisation «pour les préjudices subis et occasionnés directement par l’UQAM» totalisant 12 255 dollars.

Lundi le 28 janvier, les murets délimitant la zone de chantier ont été ouverts pour donner accès aux aires de circulation. Deux motions remplissant toutes les conditions de la mise en demeure ont été adoptées à l’unanimité ce matin lors d’une réunion du Comité à la vie étudiante (CVE), sous-comité consultatif qui présente ses recommandations au CA de l’UQAM. Café étudiant Aquin La première motion adoptée ce matin par le CVE demande la «réouverture inconditionnelle du Café Aquin» et une «une indemnisation des employés et gestionnaires» par le Conseil d’administration. Le local du Café Aquin fait partie du protocole d’entente entre l’Association facultaire étudiante des sciences humaines de l’UQAM (AFESH) et l’Association facultaire étudiante de science politique et droit (AFESPED) et est gérée par un conseil d’administration indépendant, qui se définit comme une «organisation autogérée». Depuis la fermeture du café, le Conseil d’administration de l’organisation a déclaré subir des «pertes monétaires de 3 300 dollars par semaine, dont des pertes salariales de 2 450 dollars». En date du 28 janvier 2013, les dommages représenteraient un montant de 12 255 dollars. L’équipe de travail du café étudiant

est constituée de 15 personnes. Selon les administrateurs du café, ces emplois constituent pour la plupart «la première source de revenu de ses travailleurs». Les relations médias de l’UQAM affirment que le Café Aquin sera «rouvert intégralement au courant de la semaine» malgré la poursuite des travaux. Le CVE, remplissant un rôle exclusivement consultatif, la motion d’indemnisation doit toujours passer par le CA, en charge de gérer le budget universitaire, afin d’y être ratifiée. Gaspar Lépine, employé du café, en entrevue avec Le Délit, affirme que suite à une rencontre avec l’administration cette dernière semble «fermée à l’idée d’indemniser» les employés. La zone de chantier ouverte depuis lundi, Gaspar Lépine précise que le café devrait être en mesure d’offrir ses services à partir d’aujourd’hui, une fois que les commandes seront arrivées. Associations étudiantes La deuxième motion adoptée lors de la réunion du CVE demande «la réouverture au plus tard au 31 janvier 2013 des locaux étudiants et des aires de circulation» et que «toute planification de travaux impliquant la fermeture de locaux ou de sections de l’université fasse l’objet d’une consultation» et requière l’approbation des parties concernées. Les locaux des associations et groupes étudiants situés dans cette zone

sont accessibles depuis mardi avec les clés utilisées par les usagers réguliers. Le coût des travaux en cours sont inconnus mais devrait être entre 35 000 et 60 000 dollars. L’AFESH, tenue «responsable de ces actes de vandalisme», devait s’acquitter de «tous les coûts des travaux de remise en état des lieux» selon une lettre qui leur était adressée par la direction de l’UQAM. La responsable médias de l’UQAM, Jennifer Desrochers, affirme qu’aucun changement n’a été fait de ce côté-là pour le moment, bien que la situation puisse «évoluer».«[Cette décision] est maintenue» conclut-elle en entrevue avec Le Délit. Une lettre signée par plusieurs groupes et syndicats demande à la direction de l’UQAM de retirer la facture faite aux associations étudiantes pour des «travaux entrepris sans concertations par l’administration et pour lesquelles elles ne sont pas solliciteuses.» «L’AFESH ne peut être retenue responsable du vandalisme commis.» René Delvaux affirme qu’il ne pense pas que l’administration enverra de facture sachant que «l’AFESH ne paiera pas cette facture» et que les recours légaux qui risquent d’être entrepris leur coûteront plus cher que les travaux eux-mêmes. Tout devrait revenir à la normale le vendredi 1er février lorsque «les murets délimitant la zone de chantier seront démontés et retirés définitivement» conclut-elle. x

POLITIQUE CANADIENNE

La fin de la faim

Theresa Spence termine son jeûne, «Idle No More» continue Alexandra Nadeau Le Délit

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heresa Spence a officiellement mis fin à sa grève de la faim ce mercredi 23 janvier, après un jeûne commencé le 11 décembre dernier. Avec la pression exercée par ses proches pour qu’elle cesse sa grève, Spence a décrété qu’elle retournera à ses fonctions de chef de la communauté d’Attawapiskat avec un sentiment d’accomplissement d’avoir permis à la cause autochtone d’attirer l’attention des médias et du gouvernement Harper. Selon Paige Isaac, coordonnatrice par intérim de la maison des Premières Nations de l’Université McGill, la fin du jeûne de Spence ne fera pas diminuer l’ardeur du mouvement «Idle no more». «Les gens peuvent développer des stratégies différentes pour que [le mouvement] continue. Je crois que [cela] concerne davantage les gens, pas seulement la politique, alors l’éducation et la collaboration vont jouer un rôle important [pour la suite des choses]», écrit-elle dans un courriel envoyé au Délit. Au Québec, deux femmes autochtones de la communauté d’Uashat poursuivent quant à elle leur grève de la faim. Malgré moins d’attention médiatique à leur égard, Aniesh Vollant et Jeannette Pilot jeûnent depuis le 1er janvier afin de revendiquer l’autonomie de la nation Innu, selon ce qu’a annoncé Le Devoir la semaine

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dernière. Elles dénoncent aussi les bouleversements environnementaux sur leur territoire, près de Sept-Îles, causés par les projets d’Hydro-Québec, comme le projet hydroélectrique de la Romaine. L’avenir entre les mains de l’opposition Avec la fin du jeûne de Theresa Spence, ce sont les partis d’opposition, soit le Nouveau Parti Démocratique (NPD) ainsi que le Parti Libéral du Canada (PLC), qui ont à présent le mandat de défendre les revendications des autochtones. Treize demandes concrètes ont été formulées dans une déclaration signée par les partis concernés. Les requêtes concernent les lois existantes, l’économie, l’éducation, les traités et les problèmes sociaux. Les autochtones y revendiquent notamment une révision du modèle de partage des revenus tirés des ressources naturelles. Ils souhaitent aussi qu’une école soit présente dans chaque réserve. Pour Eden Alexander, membre de l’Aboriginal Law Assocation de McGill: «bien que les partis de l’opposition continuent de soutenir les enjeux qui ont été soulevés par Theresa Spence et «Idle no more» en général, ceci n’est pas un débat partisan. Les chefs autochtones doivent être ceux qui guident les changements». Lundi le 28 janvier était jour de rentrée parlementaire à Ottawa. Romeo Saganash, porte-parole aux affaires inter-

gouvernementales autochtones du NPD a annoncé la création d’un projet de loi incitant le respect des droits des autochtones du Canada, selon ce que rapporte RadioCanada. Cela fait maintenant un peu plus de deux semaines que le premier ministre Stephen Harper a rencontré les dirigeants autochtones. Quant à Shawn Atleo, chef de l’Assemblé des Premières Nations, il est guérit d’une gastroentérite qui l’a empêché d’exercer ses fonctions depuis plus d’une semaine. Les dirigeants autochtones sont donc prêts pour une autre rencontre avec Harper qui en avait fait la promesse lors de la rencontre du vendredi 11 janvier. McGill et la cause autochtone Un forum ayant pour but d’informer la communauté mcgilloise sur la condition des autochtones au Canada a eu lieu le 25 janvier dernier. L’événement, organisé par le groupe «Idle no more McGill», informait les intéressés sur le projet de loi C-45, les traités autochtones et la mauvaise conception véhiculée par les médias. Devant une centaine de personnes, trois conférenciers ont exposé leurs connaissances sur le sujet. Shaina Agbayani, étudiante en 3ème année en Equity studies, a assisté au «teach-in» car elle croit que «comprendre notre position en tant que colonisateurs dans le Canada est vital». «Je crois qu’il faut s’interroger davantage [quant] à [la relation] entre les droits des

autochtones et les droits environnementaux, ou plutôt comment une revendication faite par les [autochtones] peut avoir des répercussions disproportionnées sur [l’environnement], ce qui pourrait être appelé du racisme environnemental», explique-t-elle. D’autres événements portant sur la cause autochtone auront lieu cette semaine. Mercredi, une conférence portant le nom de «An evening for indigenous rights aura lieu à 19 heures dans le bâtiment Leacock. Deux invités seront de la partie: Ellen Gabriel, une activiste autochtone, et Warren Allmand, ex-ministre des affaires indiennes et du développement du Nord. La projection du film Two spirits, une fiction abordant la culture autochtone, aura lieu jeudi à 14 heures à la maison des Premières Nations de McGill. x

Crédit photo : Lily Schwarzbaum

x le délit · le mercredi 30 janvier 2013 · delitfrancais.com


INTERNATIONAL

Declaració de sobirania La déclaration de souveraineté chiffonée de la Catalogne Raphaël Dallaire-Ferland Le Délit

A

lors que le gouvernement de la Catalogne vient de franchir le point de non-retour vers l’indépendance nationale, l’affaire file sous le nez de la presse québécoise. Tous les grands médias ont repris, sans exception et dans une version plus ou moins sabrée ou étoffée, le maigre article de l’Associated Press (une grande agence de presse étatsunienne) qui annonce que le Parlement catalan a approuvé la «Déclaration de souveraineté et du droit de décision du peuple de Catalogne» le 23 janvier par 85 voix contre 41. Par excès de zèle ou par syndrome du premier café avalé de travers, Radio-Canada a même titré: «Espagne: la Catalogne se dote d’une déclaration d’indépendance». Imaginez: la Generalitat de Catalunya, l‘organisation politique de la communauté autonome de Catalogne, aurait proclamé la séparation de l’Espagne sans référendum… bonjour le chiard! Même les médias plus posés n’ont pas relevé la joute politique brutale à laquelle se sont livrés les huit partis de la Generalitat, entre la proposition initiale du parti au pouvoir Convergència i Unió (CiU) le 10 janvier et l’adoption de la Declaració définitive. Les fédéralistes y sont allés d’une vicieuse volée de flèches: l’affaire a été qualifiée de «gros travail ‘botché’» par le Parti des socialistes de Catalogne, de «délire» par le Parti de la citoyenneté, et d’«insulte au peuple catalan» par le Parti populaire (l’excroissance catalane du parti au pouvoir en Espagne). Alors que l’allié indépendantiste Gauche républicaine de Catalogne promettait de «réviser le langage» de la déclaration, la trombe médiatique ne tarissait pas, et les Catalans attendaient

dans l’angoisse de voir échouer le premier acte officiel de la Generalitat vers la création d’un nouvel état européen. Ce rêve péquiste Comment les fédéralistes ont-ils pu recourir à un langage aussi rude, sans crainte d’aliéner un électorat qui se déclare à 50% pour l’indépendance? Simplement parce que CiU y est allé un peu fort. Sa première proposition laissait lourdement tomber que «Le Parlement de Catalogne [s’engageait] à déclarer la souveraineté démocratique du peuple de Catalogne», ce qui n’implique pas de demander son avis au peuple en question.

fiquement assiégé Barcelone. Avant le grand jour, le président de Catalogne et chef de CiU Artur Mas avait tenté en vain de demander plutôt une manifestation pour l’autodétermination. Il s’est rapidement aperçu qu’on ne dévie pas si facilement une déferlante de millions de citoyens, et l’inverse s’est produit: CiU est (re)devenu résolument indépendantiste suite à la grande manif. L’événement est devenu un véritable référendum d’initiative populaire – ce rêve péquiste! – d’autant plus grandiose qu’il n’a pas été convoqué par l’autorité au pouvoir et qu’il s’est incarné par une marée inéluctable de drapeaux catalans flanqués de l’étoile révolutionnaire. Crédit photo: Xavi Tarafa

La bourde est d’autant plus énorme que CiU avait jusque là été poussé par l’élan populaire qui avait mené aux 117 référendums informels dans les villages catalans, où les votes pour une Catalogne libre avaient parfois atteint les 96%, et qui s’était poursuivi par la manif monstre du 11 septembre 2012, où plus de 1,5 millions de manifestants (sur 7,5 millions de citoyens catalans!) avaient paci-

Et les catalans dans tout ça? S’il avait suivi la vague au lieu de tenter de la devancer, le parti au pouvoir aurait plutôt proposé une déclaration d’autodétermination. Lorsque j’étais de passage à Barcelone durant cette semaine où un peuple entier retenait son souffle, j’y ai rencontré Xavi Tarafa, l’un de ces Catalans qui évoque volontiers la lutte des siens avec une attitude

Le «mariage pour tous»

complètement décomplexée. «Ils auraient dû proposer une déclaration d’autodétermination, ça aurait permis de demander ensuite au peuple ce qu’il veut vraiment.» C’est à peu près la première chose qu’il m’a dite, un peu après «Entre!» et «Je te sers un thé?». Même son de cloche du côté de Pere, travailleur social et militant local de Solidarité catalane pour l’indépendance, qui craignait qu’une déclaration de souveraineté unilatérale n’alimente davantage l’intransigeance de Madrid. Cette intransigeance, Pere y a goûté lorsqu’il a été détenu chez lui durant une semaine par la police espagnole pour avoir dessiné un graffiti indépendantiste. La Declaració de sobirania qui a prévalu au final projette plus prudemment d’«initier le processus pour rendre effectif l’exercice du droit de décider afin que tous les citoyens et citoyennes de Catalogne puissent décider de leur futur politique et collectif». Une déclaration d’autodétermination au final. CiU aura commis le premier faux pas d’un parcours autrement exceptionnel et sans tache de ce plus récent effort de la Catalogne pour son émancipation de l’Espagne, mais la manière dont le coup a été rattrappé par la Generalitat est un témoignage de la diversité politique de l’indépendantisme catalan, énergisée par une puissante mobilisation citoyenne. De la Catalogne au Québec Or ces deux grandes forces – diversité et mobilisation – sont présentes au Québec; il ne leur reste qu’à s’accorder. Pour suivre l’impulsion catalane, le parti Option nationale, le Nouveau mouvement pour le Québec, le plus récent Génération nationale et les autres associations réellement souverainistes ont maintenant à se demander comment catalyser l’énergie populaire qui s’est éveillée durant le Printemps québécois. x

Une centaine de manifestants se retrouvent pour soutenir la loi Taubira Sophie Blais Le Délit

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ne centaine de personnes brandissant drapeaux aux couleurs arc-enciel et panneaux à slogans pro-mariage homosexuel se sont réunis devant le Consulat Français à Montréal ce dimanche 27 janvier. Le motif de ce rassemblement était de montrer le soutien de la ville aux manifestations se déroulant en France, mais aussi aux quatre coins du globe le même jour. Les foules ont bravé un temps grisâtre pour défiler dans les rues de grandes villes françaises afin d’exprimer leur appui pour le projet de loi «Mariage pour tous» du gouvernement Hollande. Celui-ci concèderait aux couples de même sexe résidant en France le droit de se marier et par conséquent, d’adopter un enfant. Julien Finlay, l’organisateur de la manifestation de soutien à Montréal, a tenu à souligner un autre enjeu de ce rassemblement. En effet, il a déclaré qu’il était «hors de question que l’espace médiatique soit occupé par les opposants au mariage gai», faisant référence au mouvement «Manif pour tous», qui commence à prendre de l’importance en France. La manifestation de ce 27 janvier se veut donc une réponse à l’énorme protestation contre le mariage homosexuel tenue à Paris il y a deux semaines, réunissant un

nombre record de manifestants. Les estimations officielles et celles des organisateurs de la «Manif pour tous» ont divergé considérablement: alors que la police comptabilisait environ 340 000 personnes, les manifestants en ont revendiqué 800 000. Quoiqu’il en soit, les rues de la capitale ce jour-là ont vu déferlé une mobilisation massive des «Antis», qui appellent le gouvernement à suspendre son projet de loi. Montréal, quand à elle, n’a pas été témoin de la même affluence, à juste titre, si l’on prend en compte le fait qu’une loi permettant le mariage homosexuel existe au Canada depuis 2005. Néanmoins, ils étaient une centaine à faire l’effort de se déplacer jusqu’au Consulat français pour montrer leur soutien. Le rassemblement s’est fait dans le calme et la bonne humeur, ralliant en majorité des citoyens français, mais aussi une proportion considérable de Québécois. De nombreux panneaux affichant des slogans tels que «Marié(e)s au Québec, célibataires en France» et «Liberté, Égalité, Fraternité: mêmes devoirs, mêmes droits» sont brandis par la foule. Maxime de Blois, un manifestant québécois, explique au Délit que c’est pour lui «une question de droits humains» et qu’il se doit de faire en sorte que «ses cousins français» bénéficient des mêmes droits que lui. De plus, des associations et groupes tels

x le délit · le mercredi 30 novembre 2013 · delitfrancais.com

la «Coalition des familles monoparentales» et le «Comité pour la diversité sexuelle» ont entres autres répondu présents à l’appel des organisateurs. Leurs présidents respectifs ont fait de brefs discours, mettant l’accent sur le fait que le débat en France a tendance à dériver vers des propos irrespectueux à l’encontre des homosexuels. Une comparaison a été faite entre la France et le Québec concernant ce tournant dans la législation: le débat a été moins controversé dans la «belle province». Daniel Breton, le député de la circonscription Sainte-Marie-Saint-Jacques a

affirmé que «le Québec peut servir de modèle dans ce dossier là». Steve Foster, le président du Conseil Québécois LGBT, a justifié son implication dans le débat en affirmant: «On ne peut pas laisser une idéologie quelle qu’elle soit, primer sur les droits humains». La France est en route pour être le 15ie pays à reconnaître le mariage homosexuel. L’Espagne, pays qui baigne dans une grande tradition catholique, a reconnu le mariage aux couples de même sexe depuis 2005, comme le Canada. x

Crédit photo: Cecile Amiot

Actualités

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Société

societe@delitfrancais.com

Les dessous d'u

Confessions d

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haque année, quelques milliers d'étudiants au Canada prennent la route du grand Nord pour travailler dans un secteur de l'industrie forestière canadienne: le plantage d'arbres. Ce secteur est peu connu du grand public canadien, et d’autant plus international, alors que la législation canadienne stipule que chaque arbre coupé au Canada doit ensuite être replanté, afin d'accélérer le processus de régénération des forêts exploitées. Pour ce faire, les compagnies forestières ont recours à des compagnies de plantage d'arbres, qui replantent là où sont passés les bûcherons. Les travailleurs de ces compagnies sont pour la grande majorité des étudiants souhaitant payer leurs études. Il faut dire que ce travail saisonnier peut générer en une saison assez d'argent pour subvenir aux frais d'un étudiant. Reste cependant qu’entre les aspirants planteurs d'arbres et la fin de leurs problèmes financiers existe un obstacle non négligeable: la difficulté du travail et des conditions dans lesquelles il faut l'effectuer. C'est d'ailleurs en raison de ces conditions très rudes que nombreux sont ceux qui démissionnent avant la fin de leur contrat et repartent chez eux en ayant potentiellement perdu de l'argent, en équipement et en transport, plutôt que d’en avoir gagné. Ces détails sont d'autant plus gênants que le système n'est pas sans faille. Les planteurs d'arbres, dû à l'isolement et la distance entre chaque camp, ne peuvent pas s'organiser correctement et ne sont donc pas représentés au niveau provincial ni national. Ce manque de représentation institutionnelle fait du plantage d'arbres un secteur inconnu qui permet à quelques compagnies de se passer de certaines normes de protection des travailleurs, notamment en matière de sécurité et de salaires.

«Le planteur n’a d’autre choix que d’obtempérer, car ici l’expression «le temps c’est de l’argent» prend tout son sens.» La journée type La journée type d'un planteur commence à 6 heures, heure à laquelle il émerge de sa tente, prend son déjeuner préparé par les cuistots du camp et prépare son dîner. Le dîner est généralement très frugal, et dans la compagnie pour laquelle je travaillais, deux pots formats industriels de beurre d'arachide

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x le délit · le mercredi 30 janvier 2013 · delitfrancais.com

et de confiture étaient mis à notre disposition, d'où l'inéluctable sandwich confiture et beurre d’arachide tous les midis. Le planteur prend ensuite son équipement de travail qui consiste en une pelle, des «sacs à arbres», casque, bottes et veste luminescente, puis monte à bord du bus du travail. Le bus, vieux comme le monde, absorbe tant bien que mal les cahots des routes de forêt et conduit les planteurs sur le site du jour, une clairière créé par le travail des bûcherons et qui doit être remplie d'arbres. Puis commence la journée: chaque planteur remplit d'arbres les sacs attachés à ses hanches et commence à les planter tout de suite afin d'alléger son fardeau, fardeau considérablement augmenté par le poids de l'eau les jours de pluie. Après une journée de travail ponctuée de courtes pauses, le bus ramène les planteurs au camp, où le souper les attend. Le temps libre après le souper est généralement plutôt réduit considérant le réveil du lendemain à 6 heures et à la suite de quelques bières autour d'un feu de camp, tout le monde est couché vers 23 heures. Les planteurs ont tendance à vivre dans l'attente du jour de congé et plus précisément la soirée qui le précède, connu des anglophones sous le nom de booze night. Comme son nom l'indique, la booze night est une nuit de fête et de détente pour tous les planteurs, arrosée de bières vendues par la compagnie et déduites du salaire des planteurs. L'ironie est que les planteurs ne dormiront pas pour autant plus longtemps le jour de congé, car au petit matin le bus emmène les planteurs à la ville la plus proche afin d'y acheter les premières nécessités. De retour en ville après une semaine dans la forêt, on se sent un peu comme ont dû se sentir les Allemands de l'Est retrouvant les étagères bondées des supermarchés de l'Ouest après la chute du mur de Berlin. Dans certains cas, les planteurs passent la nuit de congé à la ville, dont les habitants ne sont pas, dans la plupart des cas, enchantés à l'idée de recevoir, ne serait-ce que pour 24 heures, une horde d'étudiants sales et avides de civilisation. Les conditions Lorsque l’on considère la nature du plantage d’arbres et le fait que peu de personnes peuvent s’imaginer les conditions dans lesquelles les planteurs d’arbres travaillent et vivent, il n’est pas étonnant que tant de planteurs démissionnent. Selon Charlie Scarlett-Smith, un planteur en Ontario: «il n’y a aucune

manière de savoir comment est la vie de planteur d’arbres avant d’y aller». En effet, au travail physique intense s’ajoute les rudes conditions de vie dans lesquelles les planteurs doivent vivre plusieurs mois durant. Pour commencer, il faut savoir que les arbres sont plantés là où d’autres ont précédemment été coupés, ces sites se trouvant généralement à plusieurs heures de route du premier signe de civilisation. Des camps sont donc érigés pour les planteurs, qui sont priés d’apporter leurs propres tentes dans lesquelles ils dormiront pendant les deux prochains mois - sauf au Québec où la législation oblige les employeurs à fournir des huttes à leurs employés. Mis à part quelques marabouts qui font office de cuisine ou de salles de stockage, ces tentes sont les seuls édifices au milieu de la forêt immense. Les températures atteignant parfois les -15 degrés en début de saison, les nuits s’avèrent parfois froides et les réveils à 6 heures plutôt durs. En fin de saison, le phénomène inverse se produit: les tentes deviennent de véritables fourneaux. À ces températures extrêmes s’ajoutent les divers insectes, allant des blacks f lies au début de l’été aux guêpes et abeilles, en passant par les taons en milieu de saison. Chacun a évidemment ses charmantes caractéristiques, et tandis que les guêpes et abeilles injectent leurs venins, les brûlots se contentent de vous voler un modeste morceau de chair. Il ne faut évidemment pas oublier le danger que représentent les ours, les caribous ou les vents qui transportent des arbres entiers d’un côté de la forêt à l’autre. Enfin, les planteurs ne sont pas à l’abri de feux de forêt quelconques. L’été dernier en Ontario du nord, des camps de plusieurs compagnies ont dû être évacués précipitamment.


Louis Baudoin-Laarman Le Délit

'une industrie

d'un planteur Photos: Louis Baudoin-Laarman

Exploitation consentie? Le travail de planteur d'arbres n'est donc pas de tout repos. Qu'en est-il de la réglementation de ce recoin obscur de l'industrie canadienne en matière de sécurité? Après un court séjour parmi les planteurs d'arbres, on ne peut s'empêcher de constater certains malaises. La législation provinciale sur les droits du travail est appliquée, mais, souvent, cette dernière ne semble pas très adaptée aux conditions plutôt uniques du plantage d'arbres. «Elles [les compagnies de plantage d'arbres] se contentent du minimum demandé», selon Charlie Scarlett-Smith. Par exemple, bien que chaque camp se trouve au milieu de la forêt et à quelques heures de la ville la plus proche, on note la présence d'une trousse de premiers soins à moitié remplie, mais l'absence de personnes qualifiées pouvant appliquer les premiers soins, où même de médicaments en cas de maladies. Jonathan Scooter, chef de camp en Colombie-Britannique, estime pour sa part qu'«environ 85% des compagnies respectent toutes les réglementations, les 15% restants sont de nouvelles compagnies qui essayent de réduire leur frais». Cette absence de personnes médicalement compétentes est d'autant plus embêtante que les planteurs ne sont pas à l'abri d'accidents de travail et loin de l’être. Selon Ramon Harpur, cadre de la sécurité à WorkSafe BC, l'agence de la protection au travail en Colombie Britannique: «la première cause d'accidents est les accidents de véhicules sur les routes forestières». En effet, il n’est pas rare que les bus calent en milieu de forêt. Dans mon expérience il y a eu des cas où un bus s'est retrouvé dans un fossé. M. Harpur ajoute que «la plupart des problèmes de santé chez les plan-

Crédit photo: TontonJon from Flickr Creative Commons

teurs eux-mêmes sont des blessures musculo-squelettiques». Ces dernières sont causées par les mouvements répétitifs liés au plantage d'arbres. L'exemple le plus commun de ce phénomène est connu des planteurs sous le nom de «la pince». «La pince» est en quelque sorte le cadeau de départ que la plupart des planteurs ramèneront chez eux pendant quelques jours après la saison. Le planteur ne peut plus complètement fermer la main avec laquelle il tient normalement la pelle, lui donnant ainsi l'apparence d'une pince. Ce genre de blessure musculo-squelettique est dû à des crampes causées par la répétition systématique des mêmes gestes. L'autre problème réside dans le paiement des planteurs, qui sont rémunérés pour chaque arbre planté. Selon Jonathan Scooter, chef de camp en ColombieBritannique: «le prix des arbres est relatif à la qualité demandée. À l'est, au Nouveau Brunswick et en NouvelleÉcosse, les arbres sont à 6 où 7 sous, mais il n'y a pas de qualité demandée. En Ontario ils oscillent entre 8 et 9 sous et la qualité est moyenne, tandis qu'en Alberta et en Colombie-Britannique, le prix dépasse les 10 sous, mais la qualité est supérieure.» La qualité dont parle M. Scooter réfère à la qualité des arbres plantés. Certaines compagnies demandent à ce que leurs arbres soient plantés de manière parfaite, à savoir droits, à la bonne profondeur, dans un certain type de terre et bien espacés. Ainsi, le planteur qui se laisse emporter et plante très vite sans se concentrer assez, peut se voir demander de replanter ses arbres, pour lesquels il ne sera pas rémunéré. Cette méthode de paiement à l'arbre, en particulier si le prix de ce dernier est bas, pousse les planteurs à travailler de toutes leurs forces et souvent sans s'arrêter sous peine de ne pas bien gagner leur journée. En clair, si un planteur estime n'être pas payé en proportion à son effort physique, la réponse qu’on lui donnera est «de planter plus et de parler moins». Le planteur n'a d'autre choix que d'obtempérer, car ici l'expression «le temps c'est de l'argent» prend tout son sens. Ceux pour qui le travail est trop dur ou exigeant et qui tentent de démissionner se retrouvent dans une position plutôt gênante: les compagnies, habituées aux démissions, font signer un contrat à tous les aspirants planteurs qui leur permet de payer moins les planteurs en cas de démission prématurée. Dans certains cas, certains planteurs se sont

vus retirés la moitié de leur salaire et se retrouvent avec moins d'argent qu'au départ. En effet, il faut payer l’équipement, les déplacements et les frais de camps. Les frais de camp sont d’environ 25 dollars par jour, sensés payer la nourriture et l'essence des bus de travail. L'employé paye donc l'employeur afin de pouvoir se rendre au travail.

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Crédit photo: pmonaghan from Flickr Creative Commons

(Sous)-représentation Toutes ces failles du système sont en partie dues au manque de représentation institutionnelle des planteurs d'arbres. Contrairement à la majorité des professions canadiennes, les planteurs d'arbres ne sont pas organisés et il n'existe aucun syndicat pour les représenter adéquatement en cas de problème. En termes de normes sécuritaires, la plupart des provinces se basent sur celles dressées par WorkSafe BC, car la Colombie-Britannique est la province la plus avancée au niveau de la protection des planteurs. En effet, la seule tentative sérieuse de syndicalisation des planteurs d'arbres eu lieu dans les années 1990 en Colombie-Britannique. Mené par Michael Mloszewski, ce syndicat, nommé CREWS, puis FAWBAC, n'avait cependant jamais pu prendre de l'ampleur et avait finalement été dissout. M. Mloszewski n'a pas pu être contacté pour un entretien. Selon M. Scooter, une des raisons pour lesquelles cette tentative de syndicalisation avait échoué est que « la plupart des planteurs sont des saisonniers et n'y voient pas leur futur, et donc ne veulent pas faire d'effort pour mettre un syndicat sur pied». L'autre raison est que les compagnies de planteurs d'arbres sont extrêmement distancées les unes des autres, isolées dans la forêt, ce qui rend la communication entre les planteurs d'arbres difficile, surtout d'une province à l'autre. En bref, être planteur d'arbres n'est pas facile ni sans dangers. Cependant, le plantage d'arbres n'en est pas moins une expérience de vie unique. Autant que physique, le travail est mentalement difficile, les meilleurs sont d'ailleurs rarement les plus musclés, mais plutôt des gens endurants et mentalement forts. Les rencontres qu'on y fait sont hors du commun et les liens qu'on y tisse avec les autres planteurs sont forts: vivre dans la forêt pendant plusieurs mois ne peut que rapprocher. Une expérience qui forge la jeunesse. Si vous décidez vous aussi de vous lancer dans l’aventure, vous me croiserez peut-être une pelle à la main au beau milieu des plaines. x

Société

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CHRONIQUE

Robert Fisk: Le Moyen-Orient pour les nuls Margot Fortin | Chronique accidentelle

L’Université McGill a été l’hôte, mercredi soir dernier, d’une conférence fort achalandée du correspondant de guerre britannique de renommée internationale Robert Fisk. L’événement, intitulé «Printemps arabe: nous diton toute la vérité?», se tenait dans le cadre d’une tournée pancanadienne chapeautée par l’organisation Canadiens pour la paix et la justice au MoyenOrient (CJPMO) et a attiré plusieurs centaines d’étudiants, de professeurs et de curieux, mais surtout bon nombre de Montréalais originaires des diverses régions du MoyenOrient qui sont actuellement en proie à de grands bouleversements. Les raisons d’assister à cette conférence ne manquaient

pas. Le journaliste vedette du quotidien britannique The Independent compte entre autres à son actif la couverture de la révolution iranienne de 1979, le massacre de Sabra et Chatila ainsi que celui d’Hama en 1982, l’invasion de l’Afghanistan et de l’Iraq et finalement l’actuelle guerre en Syrie. Or, ceux qui attendaient un récit grandiloquent des épopées qui ont marqué la carrière de Robert Fisk ont été déçus, puisque l’assistance a plutôt eu droit à un cours de sémantique doublée d’une critique virulente de l’appareil médiatique occidental. Si le propos de Robert Fisk verse parfois dans la théorie du complot, force est de reconnaître que son expérience lui confère un statut de «témoin important» d’une histoire dont nous n’accédons bien souvent qu’à la version officielle. Comme le conférencier l’a démontré, l’histoire du MoyenOrient à laquelle l’Occident est habitué est peuplée de lieux communs, de raccourcis et de déficiences sémantiques en plus d’être enveloppée d’une imagerie qui est bien loin de correspondre à la réalité sur le terrain. Cette situation déplorable, Robert Fisk l’attribue à l’obsession de neutralité qui réduit les

journalistes occidentaux à se nourrir équitablement de sources gouvernementales, d’une part, et de représentants des victimes, de l’autre. Dans les faits, cette «neutralité» se transforme souvent en unilatéralisme pour une raison bien simple: tandis que les canaux gouvernementaux traditionnels constituent une source intarissable d’information, le récit des victimes est généralement infiniment plus difficile à obtenir. Au chapitre des déficiences de la couverture des événements au Moyen-Orient par la presse occidentale, le conférencier a également insisté sur la fausse imagerie que les journalistes contribuent à entretenir en employant des expressions infantilisantes pour s’ajuster au niveau de leur audience. Les individus qui se nourrissent du travail de ces journalistes sont donc, pour ainsi dire, plongés dans un univers sémantique parallèle qui fausse dramatiquement leur image de la situation. Le conférencier a ainsi évoqué, à titre d’exemple, l’utilisation à outrance de l’expression «processus de paix» pour désigner l’interaction conflictuelle entre Israël, l’Autorité palestinienne et l’Occident de manière générale. Entre

autres exemples fournis par le journaliste, soulignons l’emploi de l’expression «clôture de sécurité» pour désigner le mur qui isole physiquement la Cisjordanie. Autrement dit, les journalistes tendent trop souvent à intégrer eux-mêmes des expressions qui émanent des centres du pouvoir et qui sont spécifiquement conçues pour manipuler l’opinion publique. Pour compléter sa critique de la sphère médiatique occidentale, M. Fisk a évoqué - sans toutefois la nommer - l’islamophobie latente qui habite l’occidental moyen et que les médias ne cherchent pas véritablement à enrayer. Un exemple de cette tendance est la stupéfaction générale qui a suivi l’arrivée au pouvoir, en Égypte, du candidat des Frères musulmans Mohamed Morsi. Pour beaucoup d’occidentaux, l’expression «Frères musulmans» est immédiatement devenue synonyme d’intégrisme religieux. Le discours médiatique était on-ne-peut plus clair: «Nous ne savons presque rien de cet homme, mais nous savons qu’il fait partie des Frères musulmans, ce qui, en soit, devrait suffire à vous donner froid dans le dos». Évidemment, tout ce qui allait se produire par la suite devait confirmer cette affir-

mation. Ainsi, le fait que le Président se soit arrogé de nouveaux pouvoirs exécutifs en novembre dernier était pour lui nécessairement un pas de plus vers l’islamisation de l’État égyptien. Rares sont les journalistes qui ont fait l’effort de mentionner le fait que le Président devait alors composer avec un appareil juridique et militaire fidèle à Moubarak et viscéralement hostile à son régime. L’alternative que propose M. Fisk aux failles de l’appareil médiatique occidental est une «neutralité du côté des gens qui souffrent»; un exercice constant de pensée critique et de méthodologie de la part des journalistes. Mais pour lui, rien ne vaut une bonne immersion dans la région pour mettre à mal sa propre ignorance. Passer 30 ans à observer directement les déchirements de la région au rythme des interventions étrangères, le ballottement de pays entiers d’une puissance à une autre, le maintien au pouvoir de grands dictateurs grâce au soutien stratégique de l’Occident et la détérioration continuelle des conditions de vie de milliers de réfugiés, voilà peut-être ce qui rapproche le plus un «occidental moyen» d’une vision globale de la situation au Moyen-Orient. x

Ce mûrissement qui nous attend inévitablement est inquiétant, car je n’ai pas le temps de vivre ma jeunesse. Et tous ces problèmes d’occupation constante m’arrivent à cause de ce petit rectangle qui ne pèse pas plus qu’un paquet de cartes et qui vibre sur des vulgarisations de Beethoven quand quelqu’un veut de vous. On est sans cesse emmêlé dans la toile infinie du téléphone, d’Internet, de Facebook ou de Twitter, se faisant tirer de tous les côtés pendant que la toile s’étire. Pourquoi ne pas tout simplement éteindre ce monde de communications? Cela m’a pris longtemps, mais je tiens enfin une résolution de nouvel an. Les années précédentes, ma résolution du nouvel an était de trouver une résolution pour le prochain

nouvel an. Mais cette année, je vous jure de passer deux heures par jour avec ce diabolique téléphone éteint. De passer deux heures à faire quelque chose, n’importe quoi mais de prendre un petit moment à perdre mon temps. Regarder par la fenêtre, lire un bouquin, écouter de la musique, aller me promener, m’asseoir sous un pommier — histoire de retourner sur terre pendant deux heures. Je vais manifester pour le calme. Tous dans la rue pour un peu de silence! À mort le portable! J’en ai marre de Bell, de Rogers, de leur fichu monopole sur les téléphones qui ruinent notre vie, qui volent notre temps de tous les côtés. Je vais appuyer sur le petit œil rouge de mon téléphone. Je vais éteindre Internet et sa toile, pour pouvoir enfin regarder les étoiles. x

CHRONIQUE

L’étoile des internautes Simon Albert-Lebrun | Jeux de maux

Avez-vous déjà vécu un de ces moments, où la vie monotone que vous menez conduit soudainement votre esprit loin du travail que vous faisiez, de la musique que vous écoutiez — un moment qui n’en finit pas, où tout vous semble

être à portée de main. Peutêtre est-ce un peu de Debussy, un Clair de lune, où les notes surprennent en longueur et en souplesse; et soudainement, le téléphone sonne. D’un coup, votre esprit est entrainé sur une autre onde, dans une autre histoire, souvent peu importante. C’est votre mère qui vous demande de passer prendre le thé et la madeleine. «Je n’ai pas le temps», vous lui répondez gentiment. «Pas le temps…» Mais où sont donc passés ces moments d’enfance, où nous n’avions rien à faire et ne faisions rien et pourtant ce n’était pas du temps perdu? Aujourd’hui on nous presse constamment de servir à quelque chose, de grandir, de mûrir, et en même temps on nous assure que l’on vit au meilleur âge de notre vie.

«Je me tue à bosser aujourd’hui à mes 20 ans, pour être riche et en forme à mes 50 ans et dire à mes enfants à quel point ils ont de la chance d’avoir 20 ans», m’étais-je exclamé à la réunion de famille ce Noël. «Oh, phrase de jeunesse», m’avait-on répondu. Apparemment, j’avais tout simplement attrapé un genre de déficit mental, comme une maladie qu’il nous arrive d’attraper quand on est jeune, et qui nous quitte quand on mûrit. Parce que j’étais «jeune», j’avais posé une question sotte. Serais-ce une folie de vouloir vivre sa vie coûte que coûte au meilleur âge pour le faire? Avais-je tort? Non, bien sûr que non, je n’ai jamais eu tort de ma vie. Sauf une fois où j’ai cru avoir tort, mais j’avais en fait raison.

Le journalisme vous tente? On a une place pour vous. rec@delitfrancais.com

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MONTREAL

Des jeunes apathiques ? Participation citoyenne de la jeunesse montréalaise au Jeune Conseil de Montréal Louis Baudoin-Laarman Le Délit

sur le vote d’un amendement quelconque, Mlle. Theam, présidente du comité exécutif, rappelle à l’audience qu’elle est «là pour débattre, [pour mettre son] grain de sel».

Crédit photo: Simon Jolicoeur

Q

ui a dit que notre génération était trop apathique et pas assez engagée? La deuxième partie du 26 e Jeune Conseil de Montréal (JCM), une simulation parlementaire pour les jeunes de 18 à 30 ans qui a lieu chaque année à l’hôtel de ville de Montréal, s’est déroulée du 25 au 27 janvier. Pendant trois jours, 80 jeunes se sont réunis afin de débattre et de voter sur trois projets de règlement, fruits d’un an de travail pour les présentateurs. Patrice César, président du JCM «préfère parler d’un débat non partisan au sein du conseil de ville». L’aspect non partisan semble, pour lui, être un pilier du JCM. En effet, bien que les participants soient divisés en un parti au pouvoir et une opposition, ni l’un ni l’autre n’a de ligne politique, ce qui permet à chacun de débattre et d’agir selon ses valeurs et convictions personnelles. Ainsi, toute hypocrisie dans laquelle les partis contraignent parfois leurs représentants à se terrer est évitée. Selon Julie d’Auteuil, conseillère municipale au JCM et étudiante à McGill: «Au Jeune Conseil de Montréal, on peut échanger ses idées selon sa pro-

«Au

Jeune Conseil de Montréal, on peut échanger ses idéees selon sa propre vision et sa propre pensée, ce qui n’est pas le cas dans la vraie politique.»

pre vision et sa propre pensée, ce qui n’est pas le cas dans la vraie politique». Les trois projets de règlement présentés cette année portaient sur l’établissement de centres d’accueil aux aînés et aux personnes en perte d’autonomie, la création d’une agence d’aide à l’intégration des immigrants à Montréal, la mixité sociale ainsi que l’habitation coopérative. Ce dernier visait à ce que

chaque bâtiment de plus de 20 unités – «un condo, un logement ou une maison unifamiliale» selon le Projet de Règlement - à Montréal devrait disposer de 30% d’unités à loyer modéré, afin de promouvoir la mixité sociale. La création de ces projets de règlement demande beaucoup d’investissement personnel, mais selon Eddie Perez, chef de l’opposition au JCM, «au final ce sont [nos] idées qui vont faire

du chemin à l’hôtel de ville de Montréal et c’est ça la vrai joie», ajoutant qu’«on sort [du Jeune Conseil] avec la volonté de critiquer Montréal pour la rendre meilleure». Les trois projets de règlement ont été adoptés, après avoir été débattus longuement. Lors de ces débats, tous les jeunes ont été encouragés à participer, car c’est après tout l’idée centrale du JCM. Ainsi, alors que peu de personnes se prononcent

Côté participation, on pouvait voir en grande majorité des étudiants du cégep où de l’université, et un peu plus de 10% de ses membres étaient étudiants à McGill. D’autres avaient terminé leurs études depuis un certain temps. M. César précise que tout le monde est le bienvenu, puisque le mandat du conseil est «d’assurer une plus grande visibilité et représentativité pour l’ensemble des Montréalais; on a [donc] pas de quotas mais on essaye d’aller chercher plus de jeunes travailleurs, des jeunes entrepreneurs». En attendant l’année prochaine, les membres du JCM se pencheront sur trois nouveaux projets de règlements, qui seront peut-être adoptés lors du Jeune Conseil de Montréal 2014. x

SPORT

Le dopage, maladie contagieuse Après les aveux de Armstrong, à quand ceux de Nadal? Maxence Leblond

A

près avoir suivi avec attention les aveux de dopage de Lance Armstrong, et alors que l’Open d’Australie se termine ce dimanche, il semblerait intéressant de faire un parallèle entre le cyclisme et le tennis. Les efforts intenses et réguliers de la part des joueurs de tennis nous forcent à nous poser certaines questions quant à la nature de leur puissance physique. Le passeport biologique Beaucoup considèrent qu’il est impossible de remporter le Tour de France sans recourir à l’aide de produits dopants; c’est en tout cas l’avis émis par Lance Armstrong lors de son entrevue donnée à Oprah Winfrey le 14 janvier dernier. Les chiffres semblent le confirmer, puisque depuis 2000, seuls trois vainqueurs de la Grande Boucle n’ont pas été accusés de dopage. En 2008, l’Union Cycliste Internationale (UCI) décide de mettre en place le passeport biologique. Il s’agit d’un document

électronique qui offre un suivi des résultats obtenus par un athlète lors de différents contrôles anti-dopage. Le profil établi est à la fois hématologique (sanguin) et endocrinologique, c’est-à-dire hormonal. En 2011, pas moins de 5 650 contrôles anti-dopage, dont plus de la moitié étaient de type hématologique, furent effectués par l’UCI. Quant au tennis… La situation dans le tennis est nettement différente. Il est vrai que le dopage ne semble pas être un sujet de débat dans ce sport. Les langues commencent cependant à se délier. Ainsi, le Suisse Roger Federer, vainqueur de dix-sept tournois du Grand Chelem et actuel numéro 2 mondial, s’est exprimé à ce sujet à la fin de l’année 2012: «J’ai l’impression de subir moins de contrôles [sanguins] qu’il y a six ou sept ans […]». En effet, on constate un certain laxisme de la part de la Fédération Internationale de Tennis. Ainsi, lors de l’année

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2011, 216 contrôles furent effectués, dont seulement 21 furent sanguins. L’Agence Mondiale Antidopage a pourtant demandé aux fédérations de renforcer les contrôles hors compétition ainsi que les contrôles sanguins à plusieurs reprises. Rien n’y fait: en 2012, il y a 26 fois moins de contrôles antidopages dans le tennis que dans le cyclisme.

Remise en question Le dopage semble épargner le tennis, mais les autorités compétentes cherchent-elles vraiment à déceler des cas positifs? Il semble urgent de se pencher sur la question de manière à éviter un cas similaire à celui de Lance Armstrong.

Déchu de ses sept Tour de France, la culpabilité de l’Américain a entrainé un désintérêt massif de la part des amateurs de cyclisme. Cette situation est à éviter à tout prix dans le tennis afin que la maladie «Lance Armstrong» ne devienne pas une épidémie. x

Crédit photo: ebbandflowphotography

Agir plutôt que réagir L’objectif n’est pas d’éveiller le soupçon mais de faire en sorte que le sport ne perde pas de sa crédibilité. Le tennis est un sport dont les enjeux financiers sont importants, et dans lequel les capacités physiques sont soumises à de rudes épreuves. Ainsi, en 2012, le serbe Novak Djokovic, actuel numéro un mondial, a joué 89 matchs à l’occasion de 18 tournois, et ce sur quatre continents différents. Il a par ailleurs participé à la plus longue finale d’un tournoi du Grand Chelem l’année dernière à Melbourne. Face à l’espagnol Rafael Nadal, il lui a fallu 5 heures 53 minutes pour remporter le trophée.

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Arts&Culture

Crédit photo: Charlotte Delon

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COMÉDIE MUSICALE

West Side Story joue à McGill Maria et Tony s’invitent sur les planches du Moyse Hall

Fanny Devaux Le Délit

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a Société de Théâtre de Premier Cycle (AUTS) nous propose cette année une adaptation d’un classique: la très célèbre comédie musicale West Side Story. Une réalisation qui a tout d’une représentation universitaire: de la qualité proche du pro et de la bonne humeur. La Grosse Pomme West Side Story est un Roméo et Juliette adapté aux rues new-yorkaises de la fin des années 50. Une comédie à l’apparence légère qui traite néanmoins du malaise social américain. Entre les danses et les histoires d’amour, on oublierait presque qu’on nous parle de racisme, des problèmes d’intégration de la communauté Crédit photo: Charlotte Delon

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portoricaine dans la Grosse Pomme et d’intolérance. Sur les planches du Moyse Hall tout y est: le linge étendu, les graffitis, les combats, les pleurs et les sourires. L’adaptation est de fait très proche de la version cinématographique: vous ne serez pas déçus si la pièce vous a plu sur grand écran. La symbolique des costumes est un peu facile mais permet de comprendre facilement. En effet, les gangs sont reconnaissables au premier coup d’œil: codes couleur et unité grâce aux Converses. Au-delà de la simple symbolique, les costumes permettent aussi de traduire la position entre-temps de Tony. En effet, alors que les Jets ont des rayures horizontales et les Sharks des verticales; Tony en a des diagonales. Facile, mais clair!

Maria et Tony: emblème d’une génération

Les premiers rôles sont réalisés à merveille. Piper Ainsworth interprète le rôle difficile de Maria d’une façon très touchante. Elle entre dans les robes de la jeune portoricaine de façon naturelle et sa voix de soprano atteint des hauteurs impressionnantes. Les deux chefs de bande Bernardo et Riff, respectivement interprétés par Doran Satanove et Ryan Kligman, ont une présence sur scène qui a tout des grands. Et si Christopher Stevens-Brown (Tony) parait un peu fade sur scène, il a une voix incroyable qui dissipe tout doute qu’il pourrait y avoir sur le casting. L’émotion qu’il arrive à transmettre grâce à ses «Maria» est palpable quand la lumière se tamise. Mais s’il fallait choisir une star en dehors du couple des têtes d’affiches, ca serait Anita, c’est sûr. Vanessa Drusnitzer a tout du personnage: l’audace, la présence sur scène et la force de caractère. Des quatre groupes de seconds rôles (les Sharks, les Jets et les deux groupes de compagnes respectives), seuls les Jets sont vraiment époustouflants. On les croirait sortis directement de la ville: l’accent, le dynamisme, tout y est! Le quatuor danse, chante sans relâche et joue la comédie à merveille. Et pour cause, ils ont suivi des cours de diction pour maîtriser l’art de l’accent new-yorkais! Les Sharks ont été aidés aussi. Ils chantent dans un accent qui n’est pas le leur avec une aisance qui illustre de nombreuses heures de répétitions. Un membre de la direction nous précise que c’était l’un des aspects les plus durs des répétitions. Si les seconds rôles laissent un peu à désirer, les premiers rôles dansent, chantent et jouent de façon incroyable. Des jeunes qui ne s’arrêteront sûrement pas là.

Un projet de longue haleine La société de théâtre de premier cycle ne se limite pas à McGill. Comme la compagnie est reconnue, selon les termes de la productrice, des élèves de Concordia ainsi que des élèves en cycle secondaire viennent postuler pour des rôles. Le projet a commencé il a presque un an. Fin avril, l’équipe de production était constituée. Pendant l’été, les chorégraphies et les scripts sont adaptés ou créés. Le casting a eu lieu en septembre et depuis les répétitions s’enchainent. Hannah Wood, la productrice, précise: «Ça représente énormément de temps et de travail. Il faut s’attendre à répéter sans cesse. C’est pour ça que c’est fait pour les passionnés!» Hannah Wood confie au Délit que le plus dur de la réalisation du spectacle a été le financement. «Depuis la crise de MUNACA nous ne sommes plus affiliés à l’université.» La production a été financée grâce aux démarches de l’exécutif qui ont permis d’accéder à divers fonds et bourses comme le Fonds de la vie de campus de l’AÉUM et du Conseil des Arts. Wood précise que la production représente un budget de 40 000 dollars et donc que le groupe essaie de revenir sous le giron de McGill afin que le financement soit plus simple dans les années à venir. x West Side Story Où: Moyse Hall Pavillon des Arts Quand: du 31 janvier au 2 février Combien: 15 dollars

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THÉÂTRE

Une pièce aux couleurs de l’hiver The Glass Menagerie, ou la douleur du souvenir Anselme Le Texier Le Délit

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alle comble vendredi soir au Player’s theatre. Le club de l’AÉUM met en scène une pièce qui rappelle le froid de l’hiver et la chaleur du souvenir. En préparation depuis près d’un an et en répétition depuis octobre, The Glass Menagerie rassemble une petite troupe de jeunes acteurs autour de Rowan Spencer, qui enfile le costume de metteur en scène pour la première fois. Les quatre comédiens offrent une performance aux tons sépia et à la saveur du Sud. Le Sud, ce n’est pas les Antilles, ni le midi de la France, c’est le Sud des États-Unis. La pièce commence avec Tom (Andrew Cameron), à la fois narrateur et personnage, qui conte quelques uns des souvenirs de sa jeunesse. Tom vit avec sa mère Amanda, qui a élevé seule ses deux enfants et sa sœur Laura (Arlen Aguayo Stewart) dont le handicap reste tabou. L’histoire tourne autour des inqiétudes d’une mère hystérique, de l’usine dans laquelle travaille le fils et des petits objets de verre que collectonne sa sœur. La performance d’Ingrid Rudié, qui joue Amanda Wingfield, la mère de Tom et Laura, reste la plus impressionnante. La jeune comédienne rend un personna-

ge aux multiples facettes, profond, dont la colère et le désespoir façonnent les autres personnages. Rowan Spencer, qui signe la mise en scène, précise qu’ il a déjà travaillé avec certains des comédiens, qui ont conquis le reste de l’équipe au premier coup d’œil lors des auditions. Au reste les comédiens font bonne figure, en montrant une grande implication envers le texte de Tenessee Williams, avec un bémol pour Arlen Aguayo Stewart qui peine à rendre la douleur de se savoir différente. Le metteur en scène a choisi luimême la pièce qui l’avait touché dans sa jeunesse. Pour lui, «le travail sur le texte a été la partie la plus diffcile». Un texte fort, émouvant, envahissant, qui fait parfois sourire. L’équipe a choisi de le mettre en valeur. «On a décidé de travailler sur le texte avant tout; les personnages sont venus naturellement ensuite. En utilisant l’édition littéraire, il propose une pièce qui fait autant plaisir à lire qu’à entendre.» Le décor fait aussi son effet. On entre dans une salle très sombre avec des fauteuils rouges; rien de spécial. Quelques minutes plus tard, les projecteurs dévoilent des meubles, un grammophone, un mur de brique rouge, une échelle de secours. L’équipe abeaucoup travaillé sur ce qui se révèle être un appartement des

Crédit photo: Camille Cabrol

années 50 auquel on croit sans difficulté. Avec un tout petit budget, à peine 800 dollars, largement financés par les ventes de samoussas, le Player’s Theatre nous accueille encore devant une scène et des décors dignes des plus grands théâtres. Une grande partie des accessoires et des costumes sont empreintés. La compagnie bénéficie en outre de l’aide de différents organismes de théâtre sur le campus. La petite ménagerie de verre qu’on voit sur scène appartiendrait même à la

grand-mère d’un membre de l’équipe. En bref, The Glass Menagerie est une pièce audacieuse qui rend honorablement un texte difficile. Et le public est au rendez-vous. x The Glass Menagerie Où: Player’s Theatre Quand: 30 et 31 janvier 1er et 2 février Combien: 6 dollars

Crédit photo: Camille Cabrol

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Arts & Culture

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CINÉMA

Sur la route du succès

Le chef-d’œuvre de Jack Kerouac arrive sur nos écrans Laurianne Giroux Le Délit

Crédit photo: Gregory Smith

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ur la route, c’est l’histoire de Sal Paradise (Sam Riley), jeune auteur New Yorkais qui rencontre Dean Moriarty (Garrett Edlund), un personnage sans domicile vivant au jour le jour au gré de ses envies. Sal découvre alors qu’il existe plusieurs façon de vivre et voit en Dean un mentor, un ami et également une grande source de problèmes. Les deux hommes traversent à plusieurs reprises les États-Unis comme un voyage initiatique à travers la vie. Ce roman est depuis longtemps considéré comme l’œuvre phare de la «beat generation». Il s’agit d’une œuvre particulière puisqu’elle raconte l’histoire de Jack Kerouac luimême et ne met en scène que des personnages ayant véritablement existé. Kerouac a d’ailleurs écrit son roman d’un trait au retour de son voyage, sur un seul rouleau de papier de 36 mètres qui est maintenant exposé au Musée des Lettres et des Manuscrits à Paris. Sur la route est le neuvième long métrage du réalisateur brésilien Walter Salles, qui est principalement connu pour son film Motorcycle diaries. À l’origine, plusieurs autres réalisateurs avaient été engagés pour travailler sur le film, et Francis Ford Coppola en détenait les droits depuis 1979, mais personne ne semblait arriver à capturer l’essence

même du roman. C’est d’ailleurs une prouesse qu’a réalisé Walter Salles après plusieurs années de recherches et de préparation. Tout ce travail a donc porté fruit puisqu’en mai dernier, nous avons eu la chance de voir le film en compétition officielle au Festival de Cannes parmi plusieurs autres grandes œuvres. Il faut d’abord remarquer la direction photographique hors pair de ce film. Il possède une esthétique bien particulière et très travaillée qui le rend agréable à regarder. Lors de la pré-production,

l’équipe a refait tout le trajet des personnages afin de trouver les meilleurs endroits de tournage aux États-Unis. Une grande partie du film a été également tournée ici même à Montréal. Cependant, le film comporte certaines longueurs, notamment dans les premières 45 minutes durant lesquelles on attend avec impatience le début de l’aventure qui semble ne jamais arriver. Salles se rattrape par la suite en donnant à son film un rythme à l’image des phrases de Kerouac: mouvementé et sans un

moment de répit. Une partie importante des plans sont tournés caméra à l’épaule et plusieurs des répliques ont été improvisées par les acteurs au moment du tournage, ce qui crée une ambiance spontanée très proche du texte littéraire et qui arrive à toucher le public. La distribution du film a été souvent critiquée, notamment pour le rôle de Marylou, la première femme de Dean Moriarty, incarnée par Kristen Stewart. J’ai cependant été fort impressionnée par sa performance intense qui contraste heureusement avec celle des films de la série Twilight. Tous les acteurs campaient leurs rôles à merveille. Kirsten Dunst, qui interprète la deuxième femme de Dean, mérite également une mention car elle livre une performance poignante dans les quelques scènes dont elle fait partie. Comme dans toute adaptation cinématographique d’un texte littéraire, il a fallu couper et remanier de grandes sections du célèbre roman résultant en un récit légèrement différent de l’original et dans lequel certains personnages ont plus ou moins d’importance qu’à l’origine. Toutefois, les longues années de recherches et de préparation qui ont précédé la production de ce film ont permis au réalisateur d’arriver à conserver l’essentiel de cette histoire – cet essentiel qui fait de Sur la route un succès intemporel. x

CINÉMA

Spaghetti sauce hémoglobine Quentin Tarentino revisite le Western Noémy Grenier Le Délit

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’est toute fébrile que je me suis faufilée dans la foule excitée du cinéma Quartier Latin, un billet de Django Déchaîné à la main. Amateurs de Quentin Tarantino, soyez heureux! Son tout nouveau joyau, suite à l’excellent Commando des Bâtards, est d’un résultat saisissant. Ce western spaghetti, qui a lieu avant la guerre de Sécession, met en scène Django ( Jamie Foxx), un esclave libéré par un ancien dentiste allemand (Christopher Waltz) reconverti en chasseur de primes. Comme Django n’a jamais vu le visage des trois frères Brittle, criminels que le docteur Shultz a pris en chasse, celui-ci a besoin de l’esclave qui a subi le joug de ces hommes. Le marché: lui indiquer qui ils sont en échange de sa liberté. Django accepte, car regagner sa liberté lui permettra de retrouver sa femme Broomhilda (Kerry Washington), séparée de lui par le marché d’esclaves. Mais l’union temporaire des deux hommes devient une relation d’affaire et d’amitié. Le docteur Shultz, personnage déroutant croyant aux valeurs de l’égalité, s’éprend de la cause de Django et l’aide dans sa recherche, les menant tout droit dans l’antre de Calvin Candie (Leonardo DiCaprio), cinglant propriétaire de la jeune femme.

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La durée de ce film peut laisser présager quelques longueurs. Malgré certains plans dont il aurait pu se passer, le réalisateur parvient pourtant à nous tenir en haleine durant tout le long-métrage. Le budget, qui s’élève à environ 100 millions de dollars, s’explique par la quantité effarante d’explosions, de sang et sa brochette impressionnante d’excellents acteurs. Le jeu de ces derniers, impeccable, contribue grandement à la réussite du film. Christopher Waltz a d’ailleurs obtenu le Golden Globe du meilleur acteur dans un second rôle pour la deuxième fois, sous la direction de Tarantino (obtenu la première fois pour Le Commando des Bâtards, pour lequel il avait aussi été récompensé par un Oscar). Ce film a aussi obtenu les prix de meilleur scénario (Golden Globes 2013) et meilleur acteur second rôle pour Leonardo DiCaprio (National Board of Review 2012). Le western spaghetti, sous-genre du western, qui émerge dans les années 60, vise à se moquer des Américains. Les personnages ne sont plus que noirs ou blancs. Le héros blanc n’est plus que le «juste américain» sauvant sa patrie du «méchant indien». La gâchette facile retentit dans des déserts présentés sous des plans larges, souvent accompagnés d’immenses sous-titres qui nous situent dans l’Ouest américain. Sergio Leone vient donner un second souffle au wes-

tern avec des films tels que Il était une fois dans l’Ouest et sa trilogie de L’Homme sans nom. Influence que respecte Tarantino avec des plans subjectifs, des cadrages serrés, une multitude de plans présentant les ravages de l’esclavagisme et un cynisme omniprésent. Sanglant, violent et maître d’un découpage technique impeccable,

Tarantino retourne aux sources. Moi qui craignais de le voir tomber dans la dentelle, ses derniers films étant moins acerbes que ses tout premiers, je suis ravie. Django déchaîné, c’est les répliques cinglantes de Fiction Pulpeuse et les geysers de sang de Tuer Bill en un seul film. Il nous revient en force, plus déjanté et cynique que jamais. x

Gracieuseté d’Alliance Films | Andrew Cooper

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CHRONIQUE

CHRONIQUE

Vive…

Le futur version street art

Anselme Le Texier | Les mots de saison

Thomas Simonneau | Petites histoires de grands vandales

Je profite de l’actualité catalane pour partager mes pensées de la semaine. Si vous ne le savez pas, la communauté autonome a récemment revendiqué sa souveraineté. Cette déclaration d’indépendance, outre les considérations politiques, me rappelle avant tout la façon dont nous nous définissons. Les Catalans sont-ils espagnols? La langue espagnole existe-t-elle en soi? Autant de questions qui n’ont pas de réponse claire. Quand on vit à Barcelone, comme à Montréal, la question de la langue est omniprésente. Ici et là, on prend conscience d’un bilinguisme à géométrie variable, un monde dans lequel les mots ne veulent pas dire la même chose d’une maison à l’autre. La langue que parlent les Catalans, c’est le catalan, tout le monde est d’accord. Mais les autres? Ma mère m’avait appris que la plupart des Espagnols parlent castillan, langue officielle du royaume. Parlez-en aux Madrilènes, ils ne comprendront pas. Pour eux, ils parlent espagnol. C’est un peu comme de dire à des Montréalais qu’ils parlent québécois plutôt que français. Non seulement ça passe mal, mais ça crée une distance entre les différents dialectes d’une langue. Pour poursuivre la comparaison, quand le général de Gaulle, alors président de la République française, prononçait son fameux «Vive le Québec libre» devant un million de Montréalais en 1967, il faisait alors appel à l’amitié entre les Français d’Europe et les Français d’Amérique. Le discours du général, assez colonialiste pour le reste, fait l’éloge du Canada français. On n’y pense même plus aujourd’hui. Les deux pays ne sont plus liés que par la langue et l’histoire. L’Amérique, qui, pour les Européens va du Canada au Chili, ne saurait ici désigner que les

Le 21 juillet 1971,le New York Times publie un article nommé «Taki 183 Spawns pen pals» qui va révolutionner l’histoire du graffiti. En effet, 18 000 ans après les graffitis de la grotte de Lascaux, Demetrius, ou Taki pour les intimes, un jeune grec qui vit sur la 183 rue à Manhattan, commence à poser son blaze un peu partout autour de chez lui. Le street art vient de naître. Le 21 février 2007, Sotheby’s vend l’œuvre de Banksy Bomb Middle England pour un total de 102 000 livres. Pour sa part, Taki 183 touche en moyenne quatre mille euros par toile. Que s’est-il donc passé entre le moment où les passants new yorkais ne prêtaient peu ou pas attention aux premiers graffitis et l’apparition du street art dans les plus grandes galeries du monde? Un phénomène inédit que j’appelle la «Gentrification du Street Art».

États-Unis, pays qui s’accapare le nom. On est tiraillé entre l’envie de ne pas abandonner ce nom aux seuls ÉtatsUniens et la peur de leur être associé. Alors pourquoi les Castillans, mais aussi ceux à qui ils ont imposé leur langue avec succès, devraient-ils appeler leur langue du nom d’un pays multilingue, multinational? De l’Argentine au Mexique, où la question de la langue a beaucoup moins d’envergure, on parle bien d’espagnol. Cette terminologie a plusieurs fonctions. Pour certains, il s’agit de rapprocher deux groupes de locuteurs. Au-delà des définitions linguistiques, le fait de parler français au Québec plutôt que québécois a l’avantage de rappeler que nous sommes frères; comme l’espagnol rappelle aux Américains leurs liens avec l’Espagne. En Espagne justement, ou plutôt dans la péninsule ibérique, histoire de ne froisser personne, on ne parle jamais de la langue castillane. Les uns brandissent l’espagnol comme un étendard de l’unité nationale, la langue du roi et la langue que les Basques et les Catalans utilisent pour communiquer. Les autres en font l’icône d’une nation étrangère et impérialiste, rappelant par la même occasion que, non, ils ne sont pas espagnols et qu’ils ne devraient pas faire partie de l’Espagne. Les mots que nous utilisons en disent long sur qui nous sommes, la façon dont nous voyons le monde, mais pas seulement en révélant nos origines socioculturelles. La terminologie a bien souvent une portée politique. Quand on sait faire la différence entre un mél et un courriel, et qu’on fait consciemment le choix d’utiliser l’un ou l’autre, on en fait un acte politique. L’usage et l’habitude nous imposent pour beaucoup la langue que nous parlons; mais parfois, il nous appartient d’en imposer à la langue. x

«Le

profit a remplacé le but purement non lucratif du mouvement et la spontanéité qui en fait toute la richesse.»

La culture du graffiti new yorkais des années 80, où la plupart des adeptes appartiennent à un gang, où le hip-hop fait figure de religion, où prostitués, revolvers et drogues sont monnaie courante est révolue. Une nouvelle classe de graffeurs venus de tout horizons, de tous les groupes sociaux et défendant des valeurs plus variées les unes que les autres a fait son apparition. Dire que cela est dommage relève de l’opinion de chacun, mais je pense que comme dans n’importe quel mouvement, il ne faut pas renier ses origines et ses principes fondateurs. Il

est clair que le monde du graffiti est bien moins violent, mais le profit a dans une certaine mesure remplacé le but purement non-lucratif du mouvement et la spontanéité qui en fait toute son originalité et sa richesse. Le quartier de Williamsburg à Brooklyn reflète parfaitement cette évolution du street art. Patrie du street basketball, du break dance et du tag, Brooklyn se transforme petit à petit en banlieue chic, intellectuelle et artistique accueillant hipsters tatoués du monde entier. Dire que les call-girl ont succédé aux prostitués, les comptes en banque bien remplis aux revolvers et les drogues à d’autres drogues serait probablement une marque de cynisme, mais c’est en m’y baladant l’année dernière que j’ai éprouvé un peu de nostalgie pour les jours où l’on volait les bombes de peinture au lieu de sortir sa Gold Mastercard. Cela dit, j’admets tout à fait que les graphes de nos jours sont de plus en plus développés sur le plan technique et esthétique. Pour mon plus grand plaisir et, je l’espère, le vôtre, nos métropoles sont farcies de grandes fresques colorés et les petites signatures aux marqueurs sur les fenêtres des métros se font rares. Il n’y a donc pas forcément de jugement à porter sur cette «Gentrification du Street Art», mais simplement un constat à faire, tout en profitant de cette source d’inspiration et de réflexion inépuisable qu’est l’art de rue, que l’on soit aux côtés de Taki 183 en 1971 ou de Shepard Fairey en 2013. Inutile de préciser que certains effets de mode font bien des heureux et que si vous m’aviez dit en 1971 qu’un coup de marqueur dans les rues de New York vaudrait trois SMICs une trentaine d’années plus tard, je vous aurais ri au nez. Non mais sans blague. x

Crédit photo: Xavi Tarafa

x le délit · le mercredi 30 janvier 2013 · delitfrancais.com

Arts & Culture

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DANSE

Une valse multicolore Marie Béland signe une chorégraphie déroutante

Virginie Daigle

L

e public ne s’attend pas à un tel spectacle; Bleu-Rouge-Vert est une expérience incongrue et déroutante où un humour absurde se mêle à une modernité agressive. On a l’impression d’assister à un jeu intime où trois joueurs, à la fois niais et féroces, se dominent, s’affrontent, s’attirent et se

Crédit photo: Nicolas Labelle

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repoussent comme des électrons trop libres. Toutes les possibilités de relations qu’il peut y avoir entre eux sont filmées pour être examinées sur un écran installé sur la scène. Tour à tour amis, amants, amoureux, parents, les personnages envahissent les espaces personnels les uns des autres pour ensuite battre en retraite, le visage stoïque, loin de toute proximité émotionnelle. La chorégraphe souhaite

désarticuler le quotidien; ainsi, de nombreuses conversations banales sont rejouées dans le désordre. Notre vision du normal est morcelée, à la façon du titre: Bleu-Rouge-Vert.

«On a l’impression d’assister

à un jeu intime où trois joueurs, à la fois niais et féroces, se dominent, s’affrontent, s’attirent et se repoussent.»

Danse et numérique Le spectacle représente un monde social où tout est enregistré numériquement, des actions du quotidien jusqu’aux photos et aux conversations intimes. L’exagération grotesque de ces moments de la vie de tous les jours vient souligner le vide que la surabondance d’informations, d’écrans, d’idées, tente de dissimuler. Au sein de cette cacophonie humaine et numérique, les messages se confondent à force de se répéter, les identités se brouillent à trop s’affirmer et les opinions deviennent floues lorsqu’elles sont criées à tout bout de champ. Tout en étant moderne et presque excessivement anticonformiste, le spectacle reste malgré tout divertissant. Le spectateur est souvent entre le rire et l’inconfort. Les acteurs agissent tels des clowns exposés sous tous les angles des nombreuses caméras présentes sur scène. Dans un monde où le silence signifie la mort, ils cherchent frénétiquement à combler la scène de bruits, d’images et de mouvements. Ils utilisent ainsi toutes les possibilités des micros, des caméras,

Crédit photo: Nicolas Labelle

et des divers accessoires qui sont à leur portée. Une création en plusieurs langues. Outre le français et l’anglais dans lesquels se déroulent les nombreux dialogues insolites, des bribes d’allemand, de russe et d’italien viennent alimenter une tapisserie sonore déjà surchargée. Dans une époque de grande diffusion, représentée par les nombreux écrans posés sur la scène, le sens devient pourtant diffus. L’omniprésence du multimédia se fait l’expression d’une réalité kaléidoscope où les nombreux mélanges ne parviennent jamais à s’unir. Le groupe des trois danseurs présents sur scène est toxique; tous sont contaminés par la présence des autres, leurs émotions, leurs passés entrecroisés. Tous ceux présents sur scène trainent avec eux les symptômes des troubles des autres.

«Une

expérience incongrue et déroutante où un humour absurde se mèle à une modernité agressive.»

Bleu-Rouge-Vert, c’est une œuvre de laquelle on ressort avec la sensation définitive d’être perdus comme lorsqu’on se trouve devant une émission de télévision en langue étrangère et au genre indéfinissable. Que se passe-t-il? Pourquoi cela se passe-t-il? Puisque l’on ne peut s’identifier à rien sur scène, on se trouve plus que jamais face à soi-même. Il n’y a pas de narration dans le spectacle: comme dans un dessin duquel on aurait effacé les lignes et brouillé les formes pour laisser le spectateur face au laconisme des couleurs. x

x le délit · le mercredi 30 janvier 2013 · delitfrancais.com


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