delitfrancais.com Publié par la société des publications du Daily, une association étudiante de l’Université McGill
MARCHER POUR SE RAPPELER P6 P 16 CARLOS MARTIEL DELGADO
Le mardi 8 octobre 2013 | Volume 103 Numéro 05
Des arc-en-ciels la nuit depuis 1977
Volume 103 Numéro 05
Éditorial
Le seul journal francophone de l’Université McGill
rec@delitfrancais.com
NPL? Camille Gris Roy Le Délit
L
e Nouveau Parti Démocratique (NPD) ne proposera pas de hausse des impôts pour les plus fortunés. Le chef du NPD Thomas Mulcair est revenu dimanche dernier sur les propos de sa candidate Linda McQuaig, qui suggérait une imposition à 70% sur les plus grosses fortunes dans le but de réduire les écarts de richesse. Faut-il accorder ses violons au NPD? Linda McQuaig, récemment désignée candidate du NPD pour l’élection partielle dans Toronto-Centre, a fait sauter le parti sur sa chaise en s’avançant un peu trop avec cette proposition. Pourtant, l’augmentation des impôts pour les plus riches, ce n’est pas une mesure complètement folle, ni même vraiment osée. Surtout pour un parti social-démocrate. Mais le NPD reste-t-il un parti social-démocrate? Thomas Mulcair avait certes déjà indiqué qu’il était contre une telle mesure (plus précisément, il est en faveur d’augmenter les impôts sur les entreprises uniquement, pas sur les individus). Rien de vraiment nouveau de ce côté-là: l’intervention du chef de l’opposition officielle dimanche n’était que la réaffirmation d’une politique déjà définie. Et puis, ça ne concerne qu’une mesure parmi tant d’autres dans le futur programme du parti. Mais qu’une candidate «vedette» remette la question sur la table semble montrer que le parti pourrait aller plus loin dans ses positions. Pour l’instant, c’est comme s’il avait peur, peutêtre, de perdre des électeurs potentiels, et voulait plutôt séduire le plus de monde possible, même si cela signifie réaligner les positions du parti. Cela fait déjà plusieurs mois que ce réalignement est en cours. Le mot «socialiste» avait d’ailleurs été retiré en avril dernier de la plateforme du parti.
C’est vrai que la situation est délicate, compliquée. Parce qu’effectivement on a peur, vraiment peur que Harper repasse. Qu’on soit pogné avec un autre dix ans. Mais si le NPD élargit son électorat en se recentrant, il se rapproche en fait du parti libéral. Puis, au final, en 2015, on aura deux partis libéraux. Deux versions différentes, mais qui ne se démarquent pas tant que ça l’une de l’autre. Il n’y aura pas de meilleure façon de diviser le vote. Harper sera encore mort de rire. Le NPD représente tout de même, actuellement, l’opposition officielle. Ce n’est pas rien. Ses très bons résultats aux élections de 2011 ont montré que de plus en plus de Canadiens étaient prêts à suivre sa ligne politique. Si le NPD peut se permettre justement de bien se (re)définir comme parti social-démocrate, c’est maintenant. Il est temps que le parti renforce ses positions de gauche et s’affirme réellement en tant qu’alternative solide au gouvernement conservateur. En adoptant des positions un peu plus fortes, mais tout de même cohérentes avec la traditionnelle orientation politique du parti - de gauche - et en faisant parler de lui justement, le NPD aura peut-être sa chance. Il reste deux ans. ****************** Pendant ce temps-là, Montréal se prépare à accueillir son prochain maire. Après-demain, le 9 octobre, Radio-Canada organise à McGill un débat des principaux candidats. L’occasion pour les étudiants mcgillois de commencer à s’intéresser aux enjeux municipaux, et de se faire une première opinion. C’est une élection qui concerne tous les étudiants qui habitent à Montréal, qu’ils puissent voter ou non, qu’ils y soient de passage pour quelques années ou qu’ils y vivent depuis longtemps Le Délit suivra tous ces développements avec grande attention. x
rédaction 3480 rue McTavish, bureau B•24 Montréal (Québec) H3A 1X9 Téléphone : +1 514 398-6784 Télécopieur : +1 514 398-8318 Rédactrice en chef rec@delitfrancais.com Camille Gris Roy Actualités actualites@delitfrancais.com Coordonnatrices Alexandra Nadeau Sophie Blais Arts&Culture artsculture@delitfrancais.com Coordonnateurs Thomas Simonneau Joseph Boju Société societe@delitfrancais.com Coordonnateur Côme de Grandmaison Coordonnateur de la production production@delitfrancais.com Théo Bourgery Coordonnateurs visuel visuel@delitfrancais.com Camille Chabrol Romain Hainaut Infographie infographie@delitfrancais.com Vacant Coordonnatrices de la correction correction@delitfrancais.com Claire Launay Anne Pouzargues Coordonnateur Web web@delitfrancais.com Mathieu Ménard Coordonnatrice des réseaux sociaux réso@delitfrancais.com Mathilde Michaud Journalistes: Camila Gordillo, Apolline Pierson, Chloé Roset, Aurélie Garnier, Claire McCusker, Michaël Lessard, Édouard Paul, Alexandre Piche, Simon Albert-Lebrun, Laurence Bich-Carrière, Any-Pier Dionne, Scarlett Remlinger, Baptiste Rinner, Gwenn Duval, Philippe Robichaud, Alice Tabarin, Philomène Dévé, Sharif Mirshak, Robert Smith, Laila Omar, Suzane O’Neil, Youri Semenjuk, Hossein Taheri, Trevor Paglen, Luce Hyver, Jules Delage Couverture Image: Camille Chabrol Montage: Camille Chabrol bureau publicitaire 3480 rue McTavish, bureau B•26 Montréal (Québec) H3A 1X9 Téléphone : +1 514 398-6790 Télécopieur : +1 514 398-8318 ads@dailypublications.org Publicité et direction générale Boris Shedov Photocomposition Mathieu Ménard et Geneviève Robert The McGill Daily coordinating@mcgilldaily.com Anqi Zhang L’usage du masculin dans les pages du Délit vise à alléger le texte et ne se veut nullement discriminatoire.
Les opinions exprimées dans ces pages ne reflètent pas nécessairement celles de l’Université McGill.
2 Éditorial
Le Délit (ISSN 1192-4609) est publié la plupart des mardis par la Société des publications du Daily (SPD). Il encourage la reproduction de ses articles originaux à condition d’en mentionner la source (sauf dans le cas d’articles et d’illustrations dont les droits avant été auparavent réservés, incluant les articles de la CUP). L’équipe du Délit n’endosse pas nécessairement les produits dont la publicité paraît dans ce journal.Imprimé sur du papier recyclé format tabloïde par Imprimeries Transcontinental Transmag, Anjou (Québec). Le Délit est membre fondateur de la Canadian University Press (CUP) et du Carrefour international de la presse universitaire francophone (CIPUF).
x le délit · le mardi 8 octobre 2013· delitfrancais.com
CAMPUS
Amiante controversée McGill manque d’éthique.
Alexandra Nadeau Le Délit
L
es démêlés de McGill avec l’industrie de l’amiante ne sont pas encore pardonnés. L’université est toujours critiquée pour le rôle qu’elle a joué dans la propagation erronée du caractère inoffensif de l’amiante. C’est ce qu’ont soulevé les conférenciers Kathleen Ruff, coordonnatrice fondatrice de l’Alliance pour la Convention de Rotterdam (ROCA), et David Egilman, professeur clinicien de médecine de famille, lors de la discussion sur l’avenir de l’amiante organisée par McGill. Les conférenciers ont Philomène Dévé
salué l’initiative de McGill d’organiser un tel événement, quoi que cela ne règle pas la problématique selon eux. Même si l’amiante n’est plus exploitée depuis peu au Québec, on en retrouve toujours dans bon nombre d’infrastructures. Des pays en développement l’exploitent toujours, son interdiction n’étant pas établie internationalement, et l’industrie de l’amiante exerçant toujours un pouvoir sur les décisions politiques et économiques de ces pays. L’amiante, dangereuse ou pas? La dangerosité de l’amiante a été souvent remise en question. Comme le professeur Egilman l’explique, les compagnies qui exploitent l’amiante ont exercé une pression pour que ce minéral ne soit pas reconnu comme pouvant mener au développement de maladies pulmonaires. C’est qu’une telle annonce aurait représenté une menace pour la survie de l’industrie. Par exemple, l’étude Pedley menée en 1930 démontre que 24 mineurs sur 54 examinés travaillant dans des mines d’amiante de Thetford Mines avaient été diagnostiqués comme souffrant de l’asbestose. Toutefois, cette étude n’a jamais été publiée. Le même scénario se répète en 1958, alors que l’Association des mines d’amiante du Québec (AMAQ) fait une étude sur les mines, où elle découvre qu’un mineur souffrant d’asbestose a plus de chance de développer un cancer des poumons que quelqu’un qui n’est
pas exposé à l’amiante. Toutefois, c’est tout le contraire que l’AMAQ publie: l’exposition à l’amiante ne peut mener au développement de cancer pulmonaire. L’AMAQ a cherché à légitimer ses affirmations par un support universitaire, ce que l’Université McGill a fourni. Les recherches du Dr John Corbett McDonald de McGill ont en effet démontré que l’exposition à l’amiante chrysotile était essentiellement inoffensive quand le contact avec le minéral était moins de 300 mppcf/année. Avec cette recherche, les industries ont ainsi pu continuer à exploiter les mines d’amiante. Il a été révélé par la suite que la recherche du professeur McDonald avait été subventionnée par l’AMAQ dans le but d’«assurer la survie de l’industrie», comme l’explique Kathleen Ruff. Le rôle de McGill Le professeur Egilman a porté plainte contre McGill en 2002 pour critiquer la recherche du professeur McDonald, laquelle présentait des données qui n’étaient pas suffisamment précises et correctes selon lui. McGill a ignoré sa plainte. En 2012, un grand nombre de scientifiques à travers le monde ont renchéri en demandant à McGill de mener une enquête indépendante sur les
recherches de McDonald. McGill procéda à une cette demande, mais l’enquête menée comportait de «sérieux défauts» en raison du manque de transparence, d’indépendance et d’utilisation de données justes, comme le dit Kathleen Ruff. Cette dernière avance que l’université aurait d’ailleurs reçu de l’argent de l’AMAQ. Kathleen Ruff qualifie l’action de McGill comme un manquement aux attentes «intellectuelles» et «éthiques» qu’on attend d’une université. L’intégrité et la transparence des recherches universitaires sont ainsi questionnées. Elle critique d’ailleurs l’emprise grandissante des corporations sur l’autonomie et la transparence des universités en matière de recherche. Ruff dit que McGill devrait pour de bon mener une enquête réellement indépendante et transparente sur la recherche de McDonald. Kathleen Ruff explique que les recherches du professeur McDonald sont encore utilisées pour soutenir la survie de l’industrie de l’amiante dans le monde, industrie qui ne s’essouffle pas avec ses ventes stables de 2 millions de tonnes depuis 20 ans. Toutefois, l’exploitation de l’amiante doit cesser, car comme le dit Ruff, «la corruption des politiques publiques de santé cause des maladies et des décès non nécessaires». x
PALME D’OR FESTIVAL DE CANNES 2013
Défis et leçons pour l’avenir. Camille Gordillo
L
’amiante serait responsable d’au moins 2 000 nouveaux cas de cancer par an au Canada, la plupart menant à la mort. C’est ce qu’affirme le docteur Paul Demers, directeur du Centre de recherche sur le cancer professionnel à Toronto, lors de la conférence «Amiante: dialogue sur l’avenir», qui s’est tenue le 1er octobre à McGill. Plusieurs conférenciers ont exposé la réalité de l’amiante sous des angles variés lors de cette journée organisée par l’Université. Héritage mcgillois L’amiante continue de hanter McGill. Avec des édifices datant de plus de cent ans, l’utilisation de l’amiante dans les infrastructures a été fréquente, comme l’explique Jim Nicell, doyen et professeur de la Faculté d’ingénierie à McGill. Par exemple, suite à un incendie, l’édifice MacDonald d’ingénierie fut reconstruit en 1908 avec des matériaux contenant de l’amiante, choisie pour ses propriétés non-inflammables. Vu d’un œil positif par le passé, il n’en est plus de même aujourd’hui. En effet, Jim Nicell dit qu’au Québec, tout matériel contenant plus de 0,1% d’amiante et exposé aux voies respiratoires est considéré comme un risque pour la santé publique. Un coût élevé pour tous Avec des millions de dollars dépensés pour éradiquer l’amiante du campus, des ressources normalement dédiées aux objectifs de l’Université en tant que centre de recherche sont détournées, selon Jim Nicell. Par exemple, lors de rénovations au Pavillon Strathcona, la facture pour enlever l’amiante s’est élevée à 8 millions de dollars, soit 1 500% de plus que le budget annuel pour l’ensemble du campus. De plus, jusqu’à présent, deux employés sur le campus ont été diagnostiqués comme souffrant de maladies liées à l’amiante. Au niveau national, le docteur Paul Demers a discuté des répercussions de l’amiante sur la santé de milliers de miniers. Il
a en plus dénoncé des méthodes de compensation inadéquates aux victimes de l’industrie de l’amiante. Les répercussions à long terme de l’amiante sont autant économiques que sociales et environnementales. Changer de cap pour le futur Ce que le passé démontre à notre société est l’importance de trouver l’équilibre entre avantages économiques, sociaux et environnementaux, selon Jim Nicell. «Il y a souvent un effet méconnu à long terme car nous prenons des décisions à court terme» dit-il. La solution? Informer le public et, en tant qu’institution universitaire, guider les gens vers des considérations à long terme. De plus, Jim Nicell souligne que le gouvernement est «le mieux placé pour s’assurer que nous sommes alignés dans une direction positive en règlementant et en prenant la responsabilité [de l’action]». Amiante 101 L’exposition à l’amiante cause une multitude de maladies: cancer du poumon, mésothéliome -un cancer des tissus des poumons-, l’amiantose et la maladie de la plèvre, organe situé entre les poumons et la cage thoracique. Il existe deux types d’amiantose, les chrysotiles et les amphiboles, chacun étant éliminé par le corps humain dans un laps de temps différent, selon le docteur Anthony Williams-Jones, professeur d’économie géologique et géochimie à McGill. La structure de l’un étant plus stable et solide que l’autre, il est selon lui important de regarder la relation entre le type d’amiante et ses répercussions sur la santé. Bien que les mines d’amiante aient été fermées au Québec depuis quelques années, leurs répercussions se font sentir aujourd’hui. En effet, les premiers symptômes de la mésothéliome apparaissent 15 à 40 ans après la première exposition à l’amiante, selon le docteur Neil Colman, professeur associé de médecine et médecin chef au Centre universitaire de santé Mcgill (CUSM). x
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CAMPUS
Pour un campus mentalement sain La première conférence sur la santé mentale étudiante à McGill. Apolline Pierson
S
aviez-vous qu’un étudiant sur cinq a recours au Service de santé mentale de McGill au cours de ses études? Il semblerait que ce chiffre alarmant soit l’un des motifs pour l’association Students in Mind d’avoir créé la toute première conférence sur l’importance de la santé mentale à l’Université. La conférence s’est déroulée toute la journée, le samedi 5 octobre, au bâtiment de l’Association étudiante de l’Université McGill (AÉUM). Quelques 120 personnes ont assisté à l’événement, parmi lesquelles on comptait des étudiants, des professeurs de McGill, des associations d’élèves, des chercheurs et des travailleurs au sein du Service de santé mentale de McGill. La journée se divisait en plusieurs temps, avec deux ateliers, un sur l’autothérapie et un sur le soutien des pairs, ainsi que trois conférences aux choix, plus spécifiques au cas de McGill. Beaucoup de services, souvent méconnus La conférence «Construire les ressources sur le campus» présentait les diverses ressources dont McGill dispose pour répondre au nombre croissant d’élèves touchés par des problèmes mentaux. Un nombre considérable de services est proposé: psychothérapies, tests personnalisés d’orientation professionnelle, un service spécialisé pour les troubles alimentaires, en plus de beaucoup d’associations étudiantes,
telles que Unleash the Noise, Peer Support Network et Inclusive Mental Health Collective. Toutefois, ces services sont complètement inconnus de la majeure partie des étudiants. Comment est-ce possible? Une des raisons avancées par le docteur Franck, paneliste à la conférence et directeur du Service de santé mentale de McGill, est la mauvaise communication entre tous ces différents services, qui peut amener une confusion à l’expérience déjà souvent éprouvante d’aller chercher de l’aide. Un étudiant qui ne se sent pas bien dans sa peau, et trouve le courage d’aller demander de l’aide à McGill, prend le risque d’être envoyé de service en service avant de trouver celui qui lui convient. Bon nombre d’élèves abandonnent en chemin. Par ailleurs, la santé mentale est un sujet extrêmement stigmatisé et souvent associé à de la faiblesse, et le docteur Franck explique l’importance de la sensibilisation à travers le campus. Plusieurs solutions sont disponibles; Tout d’abord accroître davantage le rôle des médias sociaux (envoyer plus de courriels informatifs, créer une page Facebook, mettre en avant le site Internet, etc.). Katrina Bartellas, ancienne élève de McGill et paneliste à la conférence, propose aussi une Journée portes ouvertes en début d’année pour que les étudiants puissent voir par euxmêmes les divers services proposés, ainsi que leur emplacement. Par ailleurs Sarah Hanafi, vice-présidente aux affaires externes de Students in Mind, fait part au Délit de l’importance pri-
mordiale des associations étudiantes pour complémenter les services offerts par des professionnels. De plus, «il est souvent plus facile de parler d’abord à un autre étudiant», dit-elle. Un campus à l’environnement stressant «Vous êtes l’élite». C’est la première phrase qu’on nous a tous dit la première fois qu’on s’est assis dans la salle Leacock 132. McGill est réputée pour être une des meilleures universités du Canada et du monde, mais à quel prix ses élèves maintiennentils ce niveau admirable? Kimberley Tosset, vice-présidente du financement de Students in Mind, dit au Délit que l’«environnement du campus n’est pas toujours facile, très ambitieux et compétitif. Les étudiants qui rentrent à McGill étaient habitués à être dans le top 10 de leur classe, et tout d’un coup ils ne sont plus qu’un bon élève parmi tant d’autres». Ce stress peut se manifester sous diverses formes selon les élèves et le soutien dont ils bénéficient. Le docteur Chamodraka, psychologue au Service de santé mentale de McGill, explique que les cas les plus communs sont l’isolement social (des étudiants étrangers qui viennent d’arriver à Montréal par exemple) et l’incapacité de réussir sur le plan scolaire qui peut parfois entraîner de la pression familiale, créant alors un cercle vicieux. Des problèmes qui ne sont pas liés directement à la vie universitaire peuvent aussi survenir: des traumatismes, des deuils difficiles, des problèmes d’identité sexuelle, etc.
La première année, particulièrement, est une période de transition pas toujours évidente pour bon nombre d’étudiants qui n’ont encore jamais vécu seuls, et qui vivent parfois à des milliers de kilomètres de leur ville natale. Phénomène alarmant: le nombre de cas répertoriés par le Service de santé mentale de McGill a augmenté de 25% ces deux dernières années. 4500 étudiants ont eu recours à ce service en 2012, chiffre encore sous-estimé quand on sait que cela exclut tous les élèves avec des problèmes, mais qui ne savent pas que de tels services existent. Quelle pourrait être la raison de cette augmentation? Pour le docteur Franck, l’environnement hautement compétitif de McGill n’est même pas compensé par la garantie de trouver un emploi après ses études, dans un monde où le taux de chômage pour les jeunes est inquiétant. D’après le docteur Dunkley, un autre paneliste spécialisé dans les problèmes de perfectionnisme, la dernière décennie a vu l’émergence rapide et parfois mal contrôlée des nouvelles technologies qui sont devenues parfois un outil cruel d’humiliation (via Facebook, Youtube...). Par ailleurs, on peut aussi se demander si les restrictions budgétaires imposées à McGill n’ont pas contribué à rendre notre campus plus stressant: des classes chargées, moins d’assistants aux professeurs, moins de choix de cours, tout cela ne contribue pas à apaiser des étudiants déjà soumis à une pression considérable à cause de leurs études. x
MONTRÉAL
Ça JAM! Convergence pour la création d’un système alimentaire juste, sain et durable. Sophie Blais Le Délit
C
omment regagner le pouvoir sur notre alimentation? C’est la question que s’est posée la centaine de participants présents au rassemblement Convergence, organisé par Justice Alimentaire Montréal (JAM), le 4 octobre dernier. Cette journée de réseautage s’est tenue à l’Agora des Sciences de l’Université du Québec à Montréal (UQAM), et a accueilli des citoyens de tous horizons: étudiants, professeurs, entrepreneurs, agriculteurs et chercheurs. Lors de la première partie de la journée, consacrée à des présentations, des locuteurs ont abordé différentes problématiques portant sur les enjeux et les acteurs de notre système alimentaire, pour ensuite laisser la place à des discussions de groupe. Le concept de justice alimentaire est large et sujet à interprétation. Les enjeux soulevés abondent et touchent chacun de façon plus ou moins personnellement. C’est pourtant ce qui fait l’intérêt de JAM, tel que le répètent les facilitateurs durant les discussions: «on est là pour que chacun d’entre nous partage ce qui lui tient à cœur.» L’initiative JAM, lancée par Hugo Martorell et Aaron Vansintjan en janvier 2013, alors étudiants à McGill, avait
4 Actualités
pour visée initiale de créer un groupe de recherche socialement impliqué, qu’ils qualifient de type «recherche-action». Ils veulent que JAM «ne soit pas simplement académique, mais que [l’initiative] fasse le pont entre les universitaires et les communautés». S’en suit un travail de réseautage qui a pour but de connecter les producteurs avec les chercheurs, impliquant une cinquantaine de différents groupes autour de Montréal. Tyler, étudiant mcgillois présent à la Convergence, explique au Délit que c’est justement cet aspect-là qui le séduit: «on cherche à institutionnaliser les connections entre les différentes organisations agricoles et le monde de la recherche.» Pour Holly Dressel, professeure adjointe à la Faculté de l’Environnement de McGill et participante, il y a un manque de contact entre les populations rurales et urbaines, «entre ceux qui produisent la nourriture et ceux qui la mangent». Selon elle, les agriculteurs au Québec sont trop peu nombreux pour rassembler suffisamment de soutien politique en leur faveur, et «c’est pour cela qu’il faut plus de militants urbains». C’est ainsi que JAM représente pour elle un pas dans la bonne direction. D’un autre coté, la Convergence a permis à Josianne, représentante de la soupe populaire MutineRiz de l’Université de Montréal, d’apprendre sur les initiatives montréalaises liées à la souveraineté
Sharif Mirshak
alimentaire, tout en partageant ses préoccupations et idées avec d’autres personnes tout aussi intéressées qu’elle. En effet, Hugo Martorell explique au Délit que JAM est avant tout «une plateforme pour connecter des gens, ayant pour objectif de rassembler nos voix collectives, et co-créer de nouveaux projets, projets qui vont au-delà des barrières linguistiques, urbain-rurales, mais aussi des barrières entre universitaires, étudiants, agriculteurs et entrepreneurs». Les activités de l’après-midi évoluent dans cette même atmosphère avec le déroulement d’un forum ouvert, où les participants sont invités à se regrouper en
petits groupes pour discuter de différentes thématiques qu’ils ont choisies eux-mêmes tout au long de la journée. On partage des idées sur la gestion des déchets, la politique municipale, la solidarité et le racisme structurel dans les systèmes alimentaires, l’accès à la terre… Les propositions de projets et solutions trouvées sont ensuite présentées à l’ensemble des gens présents. La Convergence de JAM ne s’arrête pas là: Hugo partage au Délit qu’il espère «que des projets sortiront de ces groupes de travail, qu’on aura les ressources pour créer une plateforme de collaboration et de communication, ce qui permettrait de démocratiser l’accès à l’information». x
x le délit · le mardi 8 octobre 2013 · delitfrancais.com
Camille Chabrol
CAMPUS
Journée de l’engagement Quartier de l’innovation et gentrification. Chloé Roset Le Délit
Camille Chabrol
L
a deuxième édition de la journée de l’engagement communautaire a eu lieu vendredi 4 octobre sur le campus de McGill. Le «Community Engagement Day»(CED) avait pour but de sensibiliser les jeunes étudiants de l’Université aux possibilités d’engagement hors campus au sein de la communauté montréalaise. Le bureau Social Equity and Diversity Education (SEDE) de McGill, à l’origine du projet, a axé cette journée sur l’échange culturel afin de permettre aux étudiants et au personnel de l’Université de sortir de la sphère McGill pour prendre conscience des enjeux sociaux de la ville. Le CED a mis à la disposition de chacun une vingtaine d’activités afin de faire découvrir les différents projets de l’Université McGill avec des organismes locaux. Les sujets abordés étaient variés et concernaient aussi bien le jardinage urbain que l’accompagnement à la jeunesse, toujours dans le but de sensibiliser les participants à l’importance d’une communauté montréalaise unie et solidaire. Les activités étaient basées sur quatre valeurs piliers: l’équité, la diversité, l’inclusion et la justice sociale. Quartier de l’Innovation Six de ces activités concernaient le Quartier de l’Innovation (QI), portant ainsi l’attention sur le développement des quartiers suivants: Griffintown, PetiteBourgogne, Saint-Henri et Pointe-SaintCharles. Le Quartier de l’Innovation est un organisme à but non lucratif se définissant comme «un écosystème d’innovation au cœur de la ville en réponse aux nouvelles réalités du défi de l’innovation à l’échelle mondiale». Le QI regroupe plusieurs projets d’urbanisme visant à développer la ville en incorporant les quatre
volets essentiels à une société créative: le volet industriel, formation et recherche, urbain et le volet social et culturel. L’organisme cherche à créer une complicité entre les acteurs économiques et les résidents du quartier, tout en proposant des solutions aux problèmes posés par la gentrification de cette zone, historiquement industrielle. L’idée est de se nourrir de la richesse culturelle, artistique, technologique et économique de la ville pour créer une plateforme d’innovation adaptée au développement socio-économique de demain.
Une place pour chacun Dans le cadre du CED, un panel de professionnels est venu présenter les enjeux principaux liés à la gentrification dans les quartiers de Griffintown, Pointe-SaintCharles et Saint-Henri/Petite-Bourgogne. La discussion était centrée sur le rôle primordial des universités au sein de la communauté et leur responsabilité en tant qu’institution publique. Lors de sa présentation, Will Straw, directeur de l’Institut d’études canadiennes de McGill et professeur de communication à l’Université McGill a insisté sur l’importance devant être accordée à l’art et la Camille Chabrol
culture dans le processus de développement. Il pense également qu’une façon équilibrée d’accompagner la gentrification de la zone consisterait à encourager la vie communautaire et l’implantation de locaux d’institutions publiques. Cela permettrait de lutter contre le pouvoir du marché de l’immobilier et d’éviter que cette zone ne devienne exclusivement résidentielle et réservée à une élite financière et économique. Nik Luka, professeur en urbanisme et architecture à l’Université McGill a tenu à rappeler la nécessité de l’embourgeoisement de ces zones. En effet, la loi québécoise stipule que seules les taxes sur la propriété peuvent être utilisées afin de financer les services. En d’autres termes, une classe sociale élevée, qui paye proportionnellement plus de taxes, permet de financer les dépenses nécessaires au développement socio-culturel du quartier. Des quartiers égalitaires Vincente Perez, coordinateur de la coalition de la Petite-Bourgogne explique que, dans la région du Sud-Ouest, 40% de habitants utilisent plus de 40% de leurs revenus pour payer leur loyer. Dans la région de la Petite-Bourgogne, 30% des habitants vivent dans des Habitations à Loyer Modique (HLM) et 10% dans des logements coopératifs. Pour ces raisons, il faut accompagner le développement de ces quartiers afin que ces populations ne se retrouvent pas en difficultés financières dans le cas où le prix de l’immobilier augmenterait fortement. Pour les mêmes raisons, il est également important de s’assurer qu’une partie des commerces restent abordables, ce qui n’est pas toujours évident. L’idée est alors de garder une mixité sociale au sein de ces communautés et d’éviter la ghettoïsation de Montréal. x
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Actualités
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MONTRÉAL
En route vers les élections Les montréalais auront à choisir entre douze candidats à la mairie de Montréal. Camille Gris Roy Le Délit
L
a période de dépôt de candidatures pour les élections municipales à Montréal a pris fin vendredi dernier, le 4 octobre, deux semaines après le lancement officiel de la campagne électorale. Au final, douze candidats seront dans la course à la mairie.
Projet Montréal / Équipe Bergeron 103 candidats - Projet Montréal est le seul parti qui présente un candidat pour tous les postes à pourvoir. C’est la troisième participation de Richard Bergeron aux municipales montréalaises. Le parti Projet Montréal était arrivé en troisième place aux élections de 2005 et 2009. Urbaniste de formation, Richard Bergeron propose un projet axé sur le développement durable. Les transports sont au centre de son programme. Projet Montréal souhaite notamment une grande diminution du trafic automobile sur l’Île. Le parti prévoit également la construction d’un tramway pour 2017 - pour le 375e anniversaire de la ville de Montréal – malgré le grand scepticisme général sur la faisabilité d’un tel projet. Projet Montréal souhaite aussi mettre fin à l’exode des familles vers les banlieues, en les attirant sur l’île avec des mesures de logements sociaux, et la création de «quartiers urbains» entourés d’espaces verts, qui favorisent la mixité sociale.
Équipe Denis Coderre pour Montréal 101 candidats - Denis Coderre, ancien ministre de la citoyenneté et de l’immigration du Canada et député fédéral libéral, a annoncé officiellement en mai dernier sa candidature à la mairie de Montréal. Denis Coderre dit vouloir changer la gestion de la ville. Il souhaite créer un poste d’inspecteur général - en plus du vérificateur et du contrôleur général – pour les comptes et affaires de la ville, qui aurait réellement un pouvoir de contrainte. Le programme social de l’Équipe Coderre prévoit d’étendre la stratégie d’inclusion de logements abordables - qui dit que les nouveaux projets résidentiels de 200 logements doivent offrir au moins 30% de logements abordables - à tous les projets. Le parti demande également que de meilleures statistiques soient établies en ce qui concerne les sans-abris à Montréal, pour pouvoir mieux répondre à leurs demandes. Denis Coderre défend aussi le concept de «ville intelligente»: Montréal devra se démarquer dans des domaines comme la connectivité à haut débit, l’innovation et l’inclusion numérique notamment. Coalition Montréal / Marcel Côté 97 candidats - Pour Marcel Côté, allié à Louise Harel (de Vision Montréal), une coalition est la forme la plus efficace pour gouverner Montréal: pour «redonner confiance aux citoyens» dans un contexte municipal tendu, et pour représenter la
diversité de Montréal. La coalition est définie dans le programme de Marcel Côté par les principes suivants: elle doit «refléter la diversité», ses membres doivent promouvoir le programme de Côté, mais après l’élection, aucun membre ne sera soumis à une ligne de parti. Marcel Côté souhaite une meilleure gestion pour Montréal, et veut combattre la corruption. Il propose l’idée de créer un commissaire à l’éthique, qui sera chargé de faire appliquer un code d’éthique pour les élus et les fonctionnaires de la ville. Les familles sont également au cœur des priorités de la Coalition Marcel Côté. Le candidat souhaite limiter l’exode vers les banlieues. La coalition prévoit aussi de limiter la hausse des taxes municipales. L’actuel maire par intérim de Montréal, Laurent Blanchard, a déclaré son soutien au candidat Côté. Vrai changement pour Montréal / Groupe Mélanie Joly 56 candidats - L’avocate Mélanie Joly a dévoilé une plateforme électorale organisée autour de «10 actions». Le Groupe Mélanie Joly a déclaré notamment la mise en place de 130km de voies rapides pour les autobus. Aussi, le parti mise sur l’intégrité et la transparence: Mélanie Joly prévoit le «libre accès aux données de la Ville afin de lutter contre la corruption et la collusion», comme il est indiqué dans son program-
me, ainsi qu’une politique plus claire pour l’octroi des contrats municipaux. Le groupe «Vrai changement pour Montréal» suggère aussi la mise en ligne d’un site Internet participatif, WikiMontréal, qui permettrait aux Montréalais d’indiquer sur une carte interactive des initiatives et projets locaux. Claude Blais (indépendant), Michel Brûlé (Intégrité Montréal – 26 candidats), Louai Hamida (indépendant), Paunel Paterne Matondot (indépendant) Clément Sauriol (indépendant), Kofi Sonokpon (indépendant), Patricia Tulasne (indépendante) et Joseph Young (indépendant) se présentent également à la mairie de Montréal. Débat à McGill Cette semaine, le mercredi 9 octobre, Radio-Canada organise à McGill un débat qui réunira les quatre principaux candidats aux élections municipales: Richard Bergeron, Denis Coderre, Mélanie Joly et Marcel Côté. Le débat aura lieu dans la salle Redpath. Les montréalais seront appelés aux urnes le 3 novembre prochain, pour élire le maire de la ville (également maire de l’arrondissement Ville-Marie) et les 18 autres maires d’arrondissements, ainsi que les 46 conseillers de la ville et les 38 conseillers d’arrondissements. Les électeurs des quelques 1100 autres municipalités québécoises iront voter ce même jour. x
MONTRÉAL
Briser le silence
Un 8ème marche commémorative en mémoire des femmes autochtones assassinées et disparues. Aurélie Garnier Le Délit
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lusieurs centaines de personnes se sont réunies au square Cabot dans la soirée du vendredi 4 octobre pour la marche commémorative nommée «Sisters in Spirit» (SIS). Cette marche est organisée depuis 8 ans en mémoire des femmes autochtones assassinées et disparues. Elle fait office de rappel quant à l’inaction du gouvernement fédéral sur le sujet. Déroulement de l’événement Manifestants, invités et associations telles que Idle No More, Quebec Native Women ou Missing Justice participent à la commémoration. La marche comporte plusieurs objectifs: honorer la mémoire de ces femmes, sensibiliser la population sur cette problématique, exiger que les gouvernements soutiennent les démarches des familles et des communautés, et faire en sorte que le gouvernement fédéral redonne à «Sisters in Spirit» son fond de recherche. Kelly, étudiante en Études féministes à l’Université Concordia temoigne au Délit sa volonté d’être présente a l’événement, car elle avoue être peu renseignée sur ce problème, bien qu’elle en reconnaisse l’importance. Cette commémoration est l’initiative de Bridget Tolley, qui a lancé l’événement en 2005. La marche se répète chaque année à l’occasion de l’anniversaire du décès de sa mère, Gladys Tolley, morte après avoir été frappée par une voiture de police de la Sûreté du Québec. Selon les données officielles de
6 Actualités
l’Association des femmes autochtones du Canada, environ 600 femmes autochtones ont été portées disparues ou ont été assassinées depuis 1980. Toutefois, d’autres organismes estiment plutôt que le vrai nombre se situe autour de 3000. Les femmes autochtones sont sur-exposées à la violence. En effet, il a été prouvé que les femmes autochtones ont cinq fois plus de risque de périr d’une mort violente que les femmes non-autochtones au Canada. Pourquoi un tel phénomène? Patricia Eshkibok, une conseillère parajudiciaire pour les Premières Nations, indique au Délit que les origines d’une telle violence remontent à la séparation forcée des autochtones et de leurs terres, et donc de leur perte d’identité. Les politiques gouvernementales d’éradication, d’assimilation et de négation identitaire ont été une véritable violence faite aux Premières Nations, violence
qui s’est ensuite perpetrée sur les femmes au sein même de leur communauté. La vie des femmes autochtones est donc marquée par un héritage de violences, qu’elles soient physiques, mentales ou sexuelles. À la base d’un tel phénomène se trouvent des problèmes d’injustice sociale et de racisme qui, comme l’explique Patricia, «sont au cœur de toutes nos expériences quotidiennes». D’après SIS, la violence faite aux femmes autochtones s’explique non seulement par des politiques gouvernementales sexistes et racistes, mais aussi par la perpétration de stéréotypes négatifs à l’égard des femmes autochtones, par le manque d’attention médiatique à ce sujet, ainsi que par la négligence dont font preuve les forces policières. Un gouvernement qui reste silencieux Le gouvernement canadien continue d’ignorer les demandes de justice faites par les familles des disparues, tout en affirmant
Robert Smith
que c’est une question prioritaire. La preuve, il y a quelques semaines, le gouvernement Harper a refusé la demande de l’Organisation des Nations Unies (ONU) d’établir un rapport sur la violence qui touche les femmes autochtones. La plupart des meurtres et disparitions demeurent donc à ce jour irrésolus. Pour SIS, le cruel manque de données sur le sujet est en soi une réalité qui constitue une autre forme de violence. En effet, malgré l’ampleur du problème, il reste peu médiatisé. Mélissa Dupuis, membre d’ Idle No More, dénonce le «syndrome de la femme blanche disparue», autrement dit, le biais médiatique qui entraîne la couverture disproportionnée des disparitions concernant les jeunes femmes blanches de classe moyenne supérieure, par rapport à la disparition de femmes d’autres ethnies ou classes économiques. Aurélie Arnaud, responsable des communications de Quebec Native Women, se bat pour la mise en place d’une Commission d’enquête générale sur la situation des femmes autochtones au Canada pour lutter contre la disparition non pas seulement physique, mais aussi juridique de ces femmes. Elle clame que «c’est en étant [à la marche] que les choses vont changer». Cette commémoration se termine néanmoins sur une note positive. En effet, cette année a enregistré un nombre record de marches liées à cette problématique: plus de 200, et pas seulement au Canada mais aussi aux États-Unis, au Pérou, en Malaisie ou encore en Australie. Ceci témoigne donc d’une grande solidarité internationale et d’une prise de conscience croissante sur la violence perpétrée contre ces femmes. x
x le délit · le mardi 8 octobre 2013 · delitfrancais.com
CAMPUS
Lumière sur l’énergie L’énergie sur le campus et à travers le monde. Claire McCusker
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’événement «Walrus Talks», l’un des quatre de ce genre tenus à travers le pays, était dédié à l’énergie. Huit courtes présentations ont eu lieu le mardi 1er octobre. Organisé par la Fondation Walrus, qui tient un magazine éponyme indépendant, et par l’Université McGill, l’événement avait pour but de promouvoir un débat équilibré et transparent sur l’énergie. SUNCOR, une des plus grandes compagnies énergétiques au Canada, finançait la soirée. La présence de SUNCOR à cet événement n’est pas passée inaperçue en raison de l’implication de la compagnie dans les gaz de schiste. Dans son introduction, Martin Krayer von Krauss du Bureau de Développement Durable de McGill, a admis que certains pouvaient se demander «comment on peut avoir un débat ouvert quand le sponsor principal est tellement investi dans l’exploitation des gaz de schiste». Il croit malgré tout que c’est possible. Aucun présentateur n’a abordé le sujet par la suite. Les participants aux présentations ont d’abord essayé de définir ce qu’est l’énergie. Certains ont rappelé que l’on ne produit jamais d’énergie, on ne fait que la transformer d’une forme à une autre (1ère loi de thermodynamique). D’autres ont voulu mettre l’accent sur sa capacité à produire du travail: c’est ce qu’on fait avec l’énergie qui importe. L’énergie prend également plusieurs formes différentes: électricité ou nourriture par exemple. Il n’y a pas eu de consensus sur la définition, car chaque présentation était indépendante. Malgré tout, les multiples nuances énoncées ont éclairé les différentes facettes de ce mot quelque peu fourre-tout. Ensuite, l’énergie a été placée dans son contexte socio-économique. Le professeur
Laila Omar
Bryne Purchase, de l’Université Queen’s, a rappelé l’«impact profondément négatif» lorsque son prix a augmenté dans les années 1970. Cette hausse «changea la structure fondamentale de notre économie et de notre société». Il a aussi rappelé qu’une hausse est un «désastre pour les pauvres». Chris Henderson, conseiller pour des projets d’énergie renouvelable au Canada est pour sa part optimiste quant à l’avenir de l’énergie. Il voit les projets énergétiques comme autant d’opportunités pour forger de nouvelles relations sociales avec les communautés des Premières Nations, Métis et Inuits. D’un autre côté, Sophie Cousineau, correspondante pour le Québec au Globe and Mail, voit plutôt l’énergie au cœur d’un débat partisan qui n’arrive pas à se résoudre: trop de méfiance des citoyens envers leurs élus, et trop de contradictions entre les partis impliqués. L’impact environnemental de l’énergie n’a pas été abordé de plein front mais était sousjacent dans toutes les présentations. Vers l’avenir Comment la société peut-elle avancer? Quelles visions pour le futur? D’après Kali Taylor, fondatrice du blog «Student Energy», il faut remettre l’humain au centre du débat sur l’énergie pour pouvoir avancer au-delà des conflits partisans. L’énergie est un projet de société qui doit changer les normes établies et tirer avantage de «l’engagement, la vision, la créativité, la positivité, le pragmatisme et la collaboration» des êtres humains. Martin Krayer von Krauss rappelle, en entrevue avec Le Délit, le rôle que McGill peut jouer. Il dit qu’en plus de ses capacités d’innovation, McGill est un lieu d’expérimentation où les étudiants ont l’opportunité de faire changer les choses, par exemple grâce au «Sustainability Projects Fund» (SPF) et à d’autres projets directement ou indirectement reliés au campus. x
CHRONIQUE
Bourse du carbone: une leçon d’économie
Michaël Lessard | De fait
LE GROUPE D’EXPERTS INtergouvernemental sur l’évolution du climat des Nations Unies vient de déposer un rapport décriant l’urgence de la situation: il faut que l’humanité diminue ses émis-
sions de gaz à effet de serre. Le professeur Yves Gingras de l’Université du Québec à Montréal affirme que la mise en place d’une bourse du carbone n’est pas une solution envisageable. Il est vrai qu’une telle bourse offre peu de salut. Cependant, il convient de rectifier les prémisses économiques erronées de la position du professeur Gingras. L’objectif d’une bourse du carbone est d’augmenter le prix des émissions de gaz carbonique. Selon le modèle de l’offre et de la demande, plus le prix est élevé, plus la quantité de carbone émis diminue. Or, le professeur Gingras affirme qu’une bourse du carbone ne pourra pas augmenter le prix des émissions de carbone. Pour lui, les prix actuels du charbon et du pétrole, relativement bas par rapport aux autres sources d’énergie, démontrent que les mécanismes du marché maintiendront le prix du carbone beaucoup trop bas pour qu’il y ait une réelle incidence sur la quantité de carbone émis. Il s’agit d’une erreur.
x le délit · le mardi 8 octobre 2013 · delitfrancais.com
Récapitulons le mécanisme. Une bourse du carbone met en place un marché d’échange de permis d’émissions de carbone. Le nombre de permis est déterminé par le gouvernement. Dans l’optique de diminuer les émissions, le gouvernement s’assure que les permis totalisent une quantité de carbone émis en-dessous des émissions actuelles. Ainsi, le gouvernement a le contrôle sur l’offre de vente des permis. Plus le gouvernement diminue la quantité de permis sur le marché, plus l’offre va diminuer et plus le prix va augmenter à cause de la rareté des permis. Il est alors faux de prétendre, comme professeur Gingras le fait, qu’une bourse du carbone ne permet pas une augmentation des prix, puisque la bourse du carbone, par définition, est un système basé sur un échange de permis dont la quantité est artificiellement limitée. Le problème de la bourse du carbone se situe plutôt sur un autre niveau. La bourse n’établit pas de prix à l’émission, elle établit un prix au permis d’émission. Alors, dès qu’un pollueur obtient un permis, le
coût du permis sera réparti sur le temps. L’incitatif de ne pas émettre de gaz carbonique est alors plus bas que si l’on établissait un prix pour chaque émission de carbone. Avec la mise en place d’une bourse du carbone, les grands pollueurs obtiendraient rapidement la quantité de permis nécessaire pour maintenir leurs émissions quotidiennes. Les industries en développement n’auraient pas les moyens financiers d’acheter assez de permis. Il faudrait donc qu’elles investissent dans la recherche d’énergies alternatives. Or, ce sont précisément ces industries en développement qui n’ont pas les moyens d’investir dans la recherche. Ainsi, même si la prémisse du professeur Gingras est erronée, sa conclusion est juste: la bourse du carbone n’est pas la solution pour diminuer les émissions de gaz à effet de serre. Il semble qu’il faudra donc mettre un prix direct à l’émission de carbone si l’on veut créer un incitatif assez fort pour diminuer la quantité de gaz émis. Une visée qui semble encore utopique. x
Actualités
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Societe
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Gr and Bond en Avant d
La Chine est en passe de bouscu Edouard Paul Côme de Gr andmaison Le Délit
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our beaucoup, la Chine est une terre de fantasmes, un eldorado: sa croissance économique impressionne, son histoire et sa culture également. Pour preuve, les instituts culturels chinois Confucius, qui promeuvent la langue et la culture chinoises, sont de plus en plus nombreux dans le monde, ce qui démontre une volonté expansionniste de l’Empire du milieu, mais répond également à une demande croissante de cours de langue. Selon l’Université de Californie à Los Angeles (UCLA), il y a aujourd’hui plus de 360 de ces instituts, alors qu’ils n’ont été créés qu’en 2004. De plus en plus de personnes veulent donc comprendre cette culture, et pour cela beaucoup d’étudiants n’hésitent pas à passer un an ou une session dans une université chinoise. Un système encadré Le monde étudiant chinois est bien différent du monde nord-américain, dans sa structure comme dans son contenu. Ainsi, Juan Wang, professeure de sciences politiques à McGill, spécialiste de la Chine, son pays d’origine, explique au Délit que les classes sont organisées différemment: il y a une hiérarchie au sein des élèves, avec une «tête de la classe» chargée de l’organisation et de la collecte des devoirs. Il s’agit généralement de l’élève le plus brillant de la classe. Mais, selon Juan Wang, ce n’est pas la seule différence. La Chine étant dirigée par un régime autoritaire, le contenu des cours est parfois «encadré»: il n’y a pas de censure à proprement parler, mais les professeurs de sciences sociales et humaines savent qu’il existe des limites à ne pas franchir. Par exemple, un cours intitulé: «Peut-il y avoir une démocratie en Chine?», ou bien un autre sur l’autonomie du Tibet sont hautement improbables, car ils contredisent les dogmes étatiques. Les cours de sciences politiques ne sont ainsi pas aussi populaires en Chine qu’au Canada, car pour beaucoup d’étudiants, la politique se limite à la doctrine communiste, et la critiquer n’est pas admis dans les universités.
La présence du régime se ressent aussi en dehors des cours: il n’y a pas de groupes étudiants en rapport avec la religion ou la politique (au sens militant du terme) sur les campus de l’Université Fudan à Shangai, ou de l’Université de Pékin, contrairement à beaucoup d’universités occidentales, comme McGill. À l’assaut des classements Si les cours proposés par les professeurs ne doivent pas franchir certaines barrières, ils ne sont pas non plus construits comme en Amérique du Nord. En effet, la méthode occidentale (surtout américaine) fait passer la théorie d’abord, tandis que les universitaires chinois sont partisans de l’empirisme, la théorie ne pouvant naître que d’un travail sur le terrain. Cependant, ce mode d’enseignement change, car les universités chinoises doivent modifier la façon de penser de leurs professeurs afin de pouvoir intégrer les classements mondiaux. Cela passe par des publications dans des revues américaines et anglaises, qui sont basées sur le modèle de pensée américain. Ainsi, depuis 2003, l’Université Fudan, la meilleure université chinoise, a gagné plus de 150 places dans le classement de Shanghai et l’Université de Pékin 100 places. Un système compétitif Au-delà du fonctionnement, les modes de recrutement des universités chinoises sont également différents: là où chacun a plus ou moins sa chance au Canada, la Chine a mis en place un système extrêmement compétitif. Pour entrer dans les universités, les étudiants chinois doivent en effet passer un test, le gaokao. En 2009, le taux d’admission à l’université à la suite de celui-ci était de 57%. Ce test accroît les disparités régionales car les universités situées dans les zones urbaines privilégient les étudiants enregistrés dans leur zone et imposent des critères de sélection encore plus drastiques à ceux venant des zones rurales, ou d’autres parties du pays.
Un rapport de l’ambassade de France en Chine explique que «le système éducatif chinois est donc marqué par une grande hétérogénéité des pratiques, notamment du fait d’un système décentralisé». Par exemple, le calcul de la note au gaokao est élaboré au niveau provincial, ce qui désavantage certains étudiants. Mais les inégalités sont aussi d’ordre économique: pour préparer le gaokao, ainsi que leurs cours, les étudiants chinois les plus fortunés font appels à des tuteurs. Cette pratique est très populaire dans les classes sociales aisées, dès la fin de l’école élémentaire. Ainsi, les moyens financiers d’une famille sont déterminants pour la réussite scolaire de leurs enfants. Cependant – peutêtre parce que ce sont, en général, les étudiants plus aisés qui y accèdent – au sein des universités, les inégalités économiques entre les élèves ne sont pas nécessairement plus marquées qu’en Amérique du Nord, et le groupe d’étudiants est plus homogène. Un marché de l’emploi inadéquat Les étudiants chinois sont peu nombreux à aller étudier à l’étranger: d’après le Bureau Canadien de l’Éducation Internationale, 80 627 étudiants sont venus de Chine pour étudier au Canada en 2012, et 194 029 sont venus aux Etats-Unis, d’après l’Institut de l’Éducation Internationale. Cela est bien peu en comparaison aux 23,913 millions d’étudiants aux cycles supérieurs chinois. De même, la professeure Juan Wang raconte au Délit que peu de professeurs chinois partent à l’étranger (où, quand ils partent, ils enseignent majoritairement le chinois), car ils sont relativement bien payés en Chine (trois fois le salaire minimum, d’après une recherche russo-américaine disponible sur le site acarem.hse.ru). Mais si les étudiants ne partent pas en majorité à l’étranger, cela pourrait changer car les débouchés sont de plus en plus limités sur le marché du travail en Chine. D’après l’Organisation des Nations Unies (ONU), même si le taux de chômage des jeunes n’était que de 9,4% en 2011 il faut relativiser. En effet ce chiffre masque la réa-
犯罪 8
x le délit · le mardi 8 octobre 2013 · delitfrancais.com
dans les classements
uler l’ordre universitaire mondial
lité, dans laquelle les emplois proposés ne sont pas en rapport avec les compétences et les études des jeunes. La professeure Juan Wang prend l’exemple d’un jeune ayant étudié la littérature anglaise, mais qui se verra proposer pour seul poste celui d’agent immobiliers pour expatriés, car il maîtrise la langue de Shakespeare. Ainsi, il y a aujourd’hui cinq fois plus de diplômés qu’il y a 20 ans en Chine (d’après edu.cn), mais les débouchés proposés ne sont pas toujours adéquats. Une source de fascination à l’étranger Inversement, la Chine attire de plus en plus d’étudiants à travers le monde. En 2011, le nombre de ces étudiants a augmenté de 10% (selon le site en.csc.edu.cn) dépassant ainsi la barre des 290 000. Cette même année, 11,05% de ces étudiants venaient du continent américain, soit 32 333 étudiants, dont 23 292 des États-Unis seulement. Cela place le pays en deuxième position au classement des pays ayant la plus grosse contribution d’étudiants internationaux en Chine. Cela tend à prouver que le système universitaire chinois reste attrayant pour des étudiants venant d’un système nordaméricain où les méthodes d’enseignement varient considérablement. L’approche méthodique quelque peu «nouvelle» des prestigieuses universités chinoises ne semble pas affecter ces étudiants qui partent avant tout pour découvrir la culture et surtout la langue de cette puissance mondiale, acquérir de l’expérience à l’international ou même pour se préparer à une carrière dans un pays qui récompense généreusement les «cerveaux» étrangers. Il est vrai qu’aujourd’hui, maîtriser le mandarin devient un atout majeur. Passer une session en échange en Chine, voire une année entière, permet des avancées considérables dans l’apprentissage d’une langue qui n’est autrement pas facile à manier pour des occidentaux. Les grandes universités chinoises offrent à ces étudiants un programme intensif d’apprentissage du chinois. Une fois la barrière de la langue passée, l’intégration se fera bien plus facilement car
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c’est aussi le fait de s'immerger avec succès dans une culture aussi différente qui va se montrer rémunérateur. Cela démontre aussi une grande capacité à s’adapter qui se remarquera facilement sur un CV. Une expérience enrichissante Aline Ducoulombier, étudiante en troisième année à la Faculté de Gestion Desautels à McGill, est partie faire un semestre d’échange à l’Université Jiaotong de Shanghai, une des très prestigieuses universités chinoises, de février à juin 2013. Pendant ses quatre mois d’échange, elle a suivi des cours de marketing international, de finance, de théorie des organisations, de commerce international et de mandarin. Concernant les cours, Aline a pu remarquer quelques différences avec ceux de la Faculté Desautels. Selon elle, les cours s’attardent beaucoup moins sur l’analyse que ce à quoi McGill l’a habitué. De même, elle a remarqué que les professeurs étaient moins exigeants dans le niveau de justification à apporter dans une réponse. Aline dit également avoir été étonnée de voir que peu de ses camarades de classes chinois étaient prêts à intervenir en cours; cela montre que le système universitaire chinois est beaucoup moins inscrit dans une culture de débat, de partage de ses opinions. Pour Aline, qui avait déjà fait deux séjours en Chine auparavant afin de pratiquer son mandarin, cet échange était avant tout un moyen non seulement de continuer la pratique mais aussi de «s’immerger dans un monde qui n'est pas le [sien]», de vivre avec des étudiants chinois avec qui elle ne partage que très peu de choses au premier abord. Beaucoup d’étudiants en échange en Chine, comme Aline, ne viennent pas forcément pour la qualité des cours mais surtout pour vivre cette expérience d’immersion, qui permet d’obtenir une idée informée sur ce que signifie être étudiant dans une autre partie du monde. Dans sa propre expérience, Aline Ducoulombier a cherché à côtoyer des étudiants chinois pour vivre au mieux ces quatre mois, mais elle avoue avoir trouvé ses camarades de classe chinois peu enclin à tisser des liens avec
des étudiants étrangers. Selon Aline, si on veut fréquenter des étudiants chinois il faut être prêt à se couper du monde occidental, chose qui n’est pas facile à faire lorsqu’on se rend pour quatre mois dans un pays dont la culture ne nous est pas familière. De plus, Aline trouve que c’est surtout en échangeant dans leur langue avec ses camarades chinois qu’elle a pu se rapprocher d’eux, donc celle-ci n’est pas une entrave au rapprochement. Une qualité de vie à moindre coût C’est aussi le coût de la vie en Chine qui demeure très intéressant pour un étudiant étranger. Aline décrirait la vie étudiante qu’elle a menée à Shanghai comme étant similaire à celle qu’elle avait à Montréal; c’est-à-dire qu’il y avait tout autant à faire, mais à moindre coût. Par exemple, dans une ville comme Pékin (la plus chère de Chine), le prix d’un repas au restaurant coûte en moyenne 5$CAD, contre 12$CAD à Montréal; une bouteille de 0,5l de bière (produite localement) coûte 0,67$CAD contre 3.25$CAD à Montréal (selon le site numbeo.com). Quant aux fumeurs, ils voient leur budget se réduire considérablement en ne payant pour leur paquet de cigarette plus que 2,53$CAD, en moyenne, au lieu de 9$CAD au Québec. Le prix des transports est lui aussi incroyablement accessible avec 0,35$CAD pour un aller en bus ou en métro, et tout autant pour parcourir un kilomètre en taxi, sachant qu’on en trouve un à tous les coins de rue, à n’importe quelle heure. Un logement 3 ½ tout à fait correct coûte, en moyenne, 500$CAD par mois. Quant à Aline, elle a payé 1000$CAD pour une location de 4 mois d’une chambre dans une résidence pour étudiants étrangers, soit l’équivalent d’un mois de location pour une chambre d’une des résidences de McGill. Ainsi, en modifiant ses critères pour être compétitif sur le marché international du travail, la Chine a pu grimper dans les classements universitaires mondiaux, pour se positionner aujourd’hui comme un concurrent sérieux au modèle éducatif anglo-saxon. x
Romain Hainaut
Société
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INNOVATION
Bitcoin à Montréal La monnaie virtuelle vient d’ouvrir son ambassade Boulevard Saint-Laurent. Alexandre Piche
projet d’ambassade a commencé lorsque le président de la communauté a proposé que les rencontres aient lieu dans un de ses immeubles. De fil en aiguille, la bâtisse a été dédiée complètement aux projets reliés à Bitcoin et le concept d’ambassade est venu par la suite. M. Babin-Tremblay a confié au Délit que l’ambassade emploie seulement deux personnes pour le moment, mais que des embauches sont prévues dans les prochaines semaines. Toutes les activités de l’ambassade sont financées par des dons individuels, des commandites de diverses organisations Bitcoin. Le premier des trois étages du bâtiment est dédié à une boutique et un centre éducationnel sur le Bitcoin. Le second accueille les rencontres et les conférences, alors que le troisième héberge des bureaux. Selon le site Internet bitcoinembassy.ca, l’objectif de l’ambassade est de: «promouvoir l'adoption du Bitcoin et des technologies y étant reliées en facilitant le réseautage avec la communauté Bitcoin à travers le Québec et le Canada.» Guillaume BabinTremblay ajoute aussi qu’avoir une présence physique et un support technique aisément accessible allaient faciliter l’adoption de la technologie Bitcoin par les commerces et rendrait le tout plus sécuritaire.
Un produit qui ne fait pas l’unanimité Alors que l’ambassade ouvre ses portes à Montréal, la nouvelle monnaie continue d’enflammer les passions. D’un côté, on trouve ses adeptes, qui y voient la fin du monopole des banques centrales et commerciales, de l’autre les sceptiques qui remettent en question son utilité et estiment que ce n’est là qu’un phénomène passager. Felix Salmon, un des commentateurs économiques les plus connus du Web, fait partie de ces sceptiques. Alors que Bitcoin atteignait son apogée, il publiait un billet sur son blogue, medium.com où il dressait un portrait du phénomène et faisait des prédictions sur l’avenir de la monnaie. Il critique la structure même de Bitcoin, qu’il croit basée sur la méfiance et sur la déresponsabilisation. Felix Salmon note aussi que le système anonyme et décentralisé, qui est considéré comme une force de Bitcoin, peut aussi être une faiblesse, particulièrement en ce qui a trait à la sécurité. Il donne l’exemple d’un utilisateur uniquement connu sous le pseudonyme d’«All-inVain», qui a laissé son ordinateur connecté à Internet durant son sommeil. À son réveil la totalité de ses coins avaient disparu. Impossible de retracer le voleur et aucune autorité vers qui se tourner pour avoir de l’assistance. La sécurité a été un point central lors de l’entrevue du Délit avec M. Babin-Tremblay. Il a vanté différentes techniques qui sont utilisées pour protéger les fonds. Notamment celle du «paper wallet», d’ailleurs expliquée sur le site de Bitcoin, qui est une des méthodes les plus sécuritaires. C’est un code aléatoire de 51 caractères de long que l’on peut générer à l’aide d’un ordinateur déconnecté d’Internet. On peut ensuite déposer une quantité illimitée de coin sur ce compte, tout en étant à l’abri des voleurs. Le commentateur financier Felix Salmon affirme que si cette monnaie cryptée devait un jour être largement utilisée, cela serait une catastrophe pour l’économie. Le fait qu’elle soit disponible en quantité limitée entraînerait une spirale déflationniste; en d’autres termes, tout perdrait constamment de la valeur par rapport à Bitcoin, et personne alors ne dépenserait plus d’argent. Il finit son article en affirmant que Bitcoin servira peut-être de tremplin pour qu’une autre monnaie plus adaptée émerge. x
leurs talents plutôt que pour leurs miracles. On n’attend plus une colombe de Dieu, on attend le prochain tweet de notre idole préféré. Les deux se valent bien. Mais pendant que la Bible perd ses lecteurs aussi rapidement que le Toronto Sun perd les siens, la Torah se tient bien droite, le Coran est sur la défense et Bouddha voit une renaissance dans les salles de yoga californiennes. On peut alors se demander où est parti le pouvoir laissé derrière par ce Dieu déchu. C’est sûr, pour ce qui est du dévouement divin du peuple, il est tourné aujourd’hui vers des équipes de sports diverses - souvent nulles d’ailleurs - tandis que les fanatiques se concentrent sur des
célébrités «musicales» devenues succès publicitaires. Que ce soit l’ancien fanatisme pour le Pape ou le fanatisme idolâtre pour Justin Bieber, ils ont en commun une chose bien concrète et évidente: l’argent. Voilà donc peut-être où est parti le pouvoir de Dieu. Si le peuple n’a pas changé sur une chose, c’est sur son adoration du brillant, de l’or, du joyau et du fric. Pour conclure sur les mots d’un hippie né bien avant son temps, il faut rendre à César ce qui est à César, l’argent n’appartient pas à Dieu mais appartient aux banques. Et elles ont beau paraître vilaines, ce sont bien les banques qui prêtent au Père Noel et font les comptes de fées.x
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e phénomène Bitcoin a pris une ampleur que peu auraient pu prédire à l’heure de sa création. Son expansion a été favorisée par une inflation hors de contrôle dans certains pays, ou par l’instabilité financière dans d’autres. Sa portée est telle qu’en août dernier Bitcoin a fait son entrée dans le dictionnaire Oxford. Qu’est-ce que Bitcoin? Bitcoin est une monnaie digitale créée en 2009 par Satoshi Nakamoto. Bien que l’identité de ce dernier reste floue, certains analystes estiment qu’il pourrait être un universitaire fort d’une bonne connaissance théorique, mais avec peu d’expérience en programmation étant donnée l’«élégance» inégale de ses codes. D’autres croient qu’il s’agirait plutôt d’un groupe de programmeurs, d’où les différents styles de programmation et d’écriture. En bref, le doute continue toujours de planer sur l’identité réelle de son ou ses créateurs: même bitcoin.it, le site de la monnaie, n’apporte pas d’information claire. Outre son intrigante création, la principale particularité de Bitcoin est d’être une monnaie décentralisée, c’est-à-dire qu’elle ne dépend d’aucune entité centrale - comme la Banque du Canada par exemple - mais plutôt d’un réseau P2P Peer to peer,c’est-àdire un réseau qui relie entre eux plusieurs milliers d’ordinateurs, en partage. Ce réseau est notamment responsable de l’«extraction» (de l’anglais bitcoin mining) des bitcoins et de la confirmation des transactions. Par exemple, le réseau a dû confirmer 55,402 transactions du 3 octobre midi au 4 octobre même heure, et elles ont généré, selon blockchain.info, 34.07 BTC (Bitcoins) (environ 4,665$ USD) en frais de transaction. L’attrait de la monnaie Bitcoin et de son réseau s’explique par les transferts rapides et peu dispendieux, puisqu’ils ne nécessitent pas l’intervention d’une tierce partie telle une banque. En fait, les frais de transaction sont choisis par le payeur et servent d’incitatif au réseau pour confirmer et crypter la transaction. Bien que les transactions soient publiques, elles ne peuvent être reliées à un utilisateur, donc un compte ne peut être ni gelé
Romain Hainaut
ni identifié, si les précautions nécessaires sont prises. La monnaie a atteint un sommet historique lors de la crise fiancière chypriote le printemps dernier. La monnaie bitcoin s’échangeait alors à un prix médian de 237 dollars américains. Cette semaine sur mt.gox - le plus gros marché d’échange - sa valeur oscillait plutôt entre 145 et 109 dollars. Ces fluctuations, plus larges qu’à l’habitude, peuvent être expliquées par le démantèlement du marché noir sur Internet «Silk Road» par les autorités américaines au début du mois d’octobre: Bitcoin était la seule devise acceptée sur le site. Habituellement, les variations sont dues à de larges transactions qui déstabilisent le marché, qui manque de volume. Ce phénomène Internet continue de prendre de l’ampleur si bien qu’il se transporte maintenant à Montréal. L’ambassade, lieu de promotion L’ambassade Bitcoin, située au 3485 boulevard Saint-Laurent, a ouvert ses portes le 17 août dernier. Pour l’occasion, plusieurs conférences et discussions ont eu lieu. Guillaume Babin-Tremblay, le directeur exécutif de l’ambassade, confiait le 30 août dernier au Bitcoin Magazine que le
OPINION
Un compte de Fées Simon Albert-Lebrun Le Délit
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l était une fois, dans un passé lointain, un homme à qui on avait donné le pouvoir de donner une légitimité divine au règne de n’importe quel roi ou reine à travers le monde. En effet, écrit comme cela, on pourrait croire que c’est le début d’un conte de fées. En réalité, c’est l’histoire du Pape, et de son empire religieux qui, grâce à la popularité de sa religion, put tenir en laisse tous les rois d’Europe. D’un simple geste, il faisait tomber des gouvernements, bâtir des bâtiments monumentaux sans jamais payer ses ouvriers et, en échange d’une petite offrande, pouvait pardonner n’importe quel crime.
10 Société
N’est-il pas fou de penser à ce genre de gouvernement dans un contexte moderne? Je prendrai les mots de Nietzsche pour dire qu’aujourd’hui, Dieu est mort— ou plutôt, il se bat pour survivre dans la même arène qu’une multitude d’autres philosophies et de personnages. On le voit dans son coin - vêtu de la même manière que Zeus à sa droite - s’enguirlander avec Darwin tandis que derrière eux le Père Noël et la fée des dents rigolent. On ne prie plus, l’Église et la croix ont été transformées en ordinateur blanc et en pomme croquée lumineuse. Nous avons nos nouveaux héros aux fins tragiques; des Steve Jobs, des James Dean et des Bob Marley, qu’on apprécie pour
x le délit · le mardi 8 octobre 2013· delitfrancais.com
Arts&Culture artsculture@delitfrancais.com
DANSE
Camille Chabrol
Deux par deux rassemblés
Avec 32 = les duos, Tangente propose trois explorations cadencées de l’éternel pas de deux. Laurence Bich-Carrière Le Délit
L
’infini, la trajectoire et l’électrochoc: trois thèmes qu’ont voulu explorer les chorégraphes-interprètes du spectacle 32 = les duos présenté par le laboratoire de danse contemporaine Tangente. «Il s’agit d’aller au-delà du couple, vers deux entités, deux présences; c’est le défi de dépasser [la figure] du pas de deux», explique Dena Davida, cofondatrice du lieu de diffusion et de développement de la danse contemporaine, aujourd’hui commissaire et directrice artistique. L’infini Le public s’installe dans l’espace intime du studio Hydro-Québec du Monumentnational où Tangente, nomade depuis la fin de son bail à l’Agora de la danse et jusqu’à la construction prochaine d’Espace Danse Québec, a trouvé refuge pour la saison. Les chorégraphes-interprètes Élise Bergeron et Philippe Poirier se font déjà face, debout, «prisonniers d’une proximité intenable», lit-on dans le programme. En effet, pendant la première partie de leur chorégraphie, ils empliront de sinuosités sensuelles un espace à peine large comme leurs épaules. Ce jeu de deux corps qui se suivent sans se toucher prend fin timidement. Petit à petit, les danseurs se contorsionnent en quelques prises de bec, mais comme des oisillons ou des chiots: on ondoie hors de la boîte sans l’éclater. Il y a peut-être du désir dans Strictement {a}statique, mais il est doux, comme les chants grégoriens choisis par Gabriel Ledoux, qui sont venus se greffer à la création. Bergeron explique avoir voulu «un unisson de lenteur considéré comme un rapport de sensibilité, un macro-mouvement dont on doit être à l’écoute pour le syntoniser». La trajectoire Le contraste rythmique sera marqué avec la pièce suivante qui s’amorce en perpendiculaire. L’un marche, droit, c’est Rémi Laurin-Ouellette. L’autre ramp, sur le dos, c’est Évelyne Laforest. Elle rampe, mais surtout, elle tourne. Sans direction et sans arrêt. Comme les retailles d’un crayon de bois, comme un spirographe. Le temps est
suspendu dans ses volutes. La pièce entière doit durer quinze minutes, on a l’impression qu’une heure déjà s’est écoulée. Mais, si Laforest se lève, c’est pour jouer la chiffe molle, incessamment rattrapée, repoussée et retendue par Laurin-Ouellette. On est étourdi, courbatu pour elle, pour eux. Les danseurs expliquent avoir cherché quelque chose de vif, de primitif, où la lenteur n’est qu’un contrepoids, un contraste. L’espace entier leur appartient. C’est leur Diffraction.
Höglund. À l’évidence, l’univers, l’inspiration et l’énergie sont ceux du hip-hop. Le corps à corps des deux chorégraphes-interprètes se présente presque comme du combat de rue, un art martial. «On a voulu appliquer un autre corps à un solo», explique Höglund. Lê Phan de préciser «On se voit rarement, on sent, on sait». La démarche est simple, physique. C’est la violence «classique» de la danse contemporaine. Pas de théâtralité, une animalité plutôt.
L’électrochoc Le dernier volet de la soirée est saccadé,epresque sec. Nobody likes a pixelated squid fait penser à «Thriller» de Michael Jackson, mais aussi au stop-animation, un thème récurrent de l’œuvre du couple formé par Emmanuelle Lê Phan et Elon
«Les danseurs expliquent avoir cherché quelque chose de vif, de primitif, où la lenteur n’est qu’un contrepoids, un contraste.»
Les diagonales se déglinguent sur une trame sonore urbaine. Pour Dena Davida, ce qui unit les trois chorégraphies, c’est leur rapport auregard, «ce qui est dans le regard, le regard de l’autre, le regard à l’autre, au quelque part, au lieu-être». Après tout, la danse, c’est souvent «comme si le corps était un œil», sourit-elle lors d’une discussion dirigée comme il y en a souvent après la représentation du vendredi. Le prochain spectacle, une série d’improvisations dans l’esprit de l’œuvre de Georges Méliès, aura lieu à la Sala Rossa le 24 octobre 2013 à 20h. Retour au studio Hydro-Québec du Monument-national les 31 octobre, 1er, 2 et 3 novembre pour un programme double La Chute/In Mixed Company d’Emily Gualteri et de David Albert-Toth. x Camille Chabrol
«Non, ce n’est sûrement pas de briller; Qui nous empêchera de tomber; non ce n’est sûrement pas de tomber; Qui nous empêchera de rêver»
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Pierre Lapointe
Arts & Culture
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CHRONIQUE
«Qu’est ce que je peux faiiiiire?» Joseph Boju | Chronique du temps qu’il fait
Un Petit peintre hongrois dont le prénom m’échappe avait une sagesse des plus particulières. Il me disait toujours: «Ennuyez-vous! Ennuyez-vous
sans trêve! Rien n’est plus doux que le malaise produit pas le désœuvrement.» Cet homme vouait un véritable culte à la lassitude morale. L’ennui était son cheval de bataille favori. Aussi, dès qu’il montait dessus, c’était comme pour le vieil Antée toucher la terre, il en était revigoré (le peintre, pas le cheval). Autant signaler tout de suite l’apparent paradoxe d’une telle posture: l’ennui, envisagé comme activité motivée, n’en est plus un. Or, à chaque fois que je le lui faisais remarquer (par un discret pincement de mes lèvres papelardes), le Hongrois me répondait la chose suivante: «Mon bon José, il n’est pas un instant où l’homme ne se perd. Notre dérive est constante. Toute notre vie se passe à marcher sur une ligne plate et fine de latitude, d’un point fixe à un autre point fixe, sans nous soucier du paysage. Aussi mon bon José, lorsque je m’ennuie, c’est
mon paysage intérieur que j’observe, il est ma source d’inspiration et je m’y retrouve». Ainsi parlait cet animal plein de rage. Depuis, jour et nuit, je chasse le spleen, dans un terrible amalgame sémantique. Et quand il m’arrive de demander à quelques badauds s’ils ne l’auraient point vu et que ceux-ci me répondent «Va (te faire) chier!», je prends cette injonction pour le plus bel encouragement qui soit. Qui est aujourd’hui capable de passer sa journée au lit sans rien faire NI se prendre pour la réincarnation de Marcel Proust? L’ennui, ce «fruit de la morne incuriosité», au-delà de sa conception romantique, est un événement en soi. Il faut savoir le reconnaître, le laisser parler, l’écouter, lui et ses formes multiples. Conjuguez l’ennui à l’intensité et vous verrez apparaître un troupeau de corollaires. La méditation est un ennui sublimé. La dépression est un ennui excédé de lui-
même. L’émerveillement est le résultat d’un ennui mesuré. La création, enfin, c’est la seule réponse artistiquement valable face à l’ennui et à la difficulté d’être. Au théâtre comme dans son salon, lorsque l’ennui survient, on ne peut s’empêcher d’accuser le temps que l’on perd, de trouver l’instant fâcheux, et fort mal à propos. Eh bien prenons les choses à revers, cultivons le fâcheux, fauchons-le! Quoi de plus désarçonnant, de plus jouissif que cette réalisation: «Tiens. Je me fais chier»? Accepter de «perdre son temps», c’est en fait se consacrer à l’essentiel. L’amour et l’ennui en cela se ressemblent, ils dilatent notre précieux temps de vivre. Le temps d’écrire cette chronique, le temps de la relire, de l’éditer deux fois, de la corriger, de la mettre en page, et de la publier. Tout ce temps est perdu, volé à la «vraie vie». Ai-je besoin de faire cas de votre lecture? x
CHRONIQUE Gwenn Duval
«Notre vie se passe à marcher sur une ligne plate et fine de latitude.» «Pour les dubitatifs, je vous invite à vous balader sur les trottoirs de Londres.»
CHRONIQUE
Pourquoi le street art a de l’avenir
Thomas Simonneau | Petites histoires de grands vandales
Lectrices et lecteurs perspicaces que vous êtes, vous avez sûrement remarqué que le titre de cette chronique est une affirmation; bien que la forme interrogative aurait ici toute sa
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Arts & Culture
place. En effet, j’avoue me mettre dans les bottes d’un prophète arrogant et sûr de lui le temps de ces quelques lignes pour vous proposer ma vision de l’art de rue et de son futur. Des petites signatures aux pochoirs complexes en passant par les murales de trente mètres, le street art tire sa force d’une diversité stylistique et technique incomparable. De part le simple fait que ses œuvres soient exposées dans la rue, prêtes à être aimées, détestées, jugées ou simplement ignorées, l’art de rue interpelle, provoque et fascine. Marginal et rebelle, le véritable art de rue ne se trouve pas dans des édifices religieux protégés ou dans les salles d’exposition. Il est gratuit et ne répond pas au dogmatisme, aux certitudes et aux dérives mercantiles. De plus, ses liens étroits avec la culture de masse, la société de consommation et la politique moderne en font très certainement une composante non négli-
geable des vecteurs d’expression contemporains. Pour décrypter ce mouvement en profondeur, il me semble logique de s’intéresser à ses acteurs... Voyez-vous, de nombreux artistes passent leur vie à essayer de modéliser une idée conceptuelle de leur art. Ils piochent leur inspiration à droite à gauche, étudient la théorie pour faire de leurs œuvres une valeur sûre sur le marché pour, au final, détruire l’art. La spontanéité et la générosité ne sont pas au rendez-vous. L’artiste-graffeur, quant à lui, offre son art au public, quel qu’il soit. Il fait cela de manière naturelle, presque inconsciemment. Cette vérité fait que le street art ne peut être détruit par des théoriciens et des critiques d’art, qu’il est libre et expressif. Le photographe et essayiste français Brassaï définit le graffiti dans un essai écrit en 1933 comme «un art bâtard des rues mal famées». Anonyme et mystérieux, il
contraste avec les nombreuses œuvres revendiquées haut et fort par certains artistes, parfois médiocres. Qu’on le veuille ou non, l’art urbain fait partie intégrante de notre quotidien, influence les mentalités. Il est là, physiquement présent. Un autre argument, probablement plus personnel, est que la particularité de l’art de rue est de donner vie à un espace urbain parfois dur et prosaïque. Je parle ici des fresques travaillées et esthétiques qui ajoutent un peu de couleur à la routine métro-boulot-dodo qui sévit dans les grandes villes. D’ailleurs, nombre d’entre elles financent de grands projets artistiques visant à légitimer l’art de rue et à embellir l’espace urbain que nous, citadins, partageons. Bref, l’art de rue a de l’avenir. Pour les dubitatifs, je vous invite à vous balader sur les trottoirs de Londres, New York, Paris ou encore Sao Paulo. Pour ceux qui ne croient pas aux prophéties, je suis de votre avis. x
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THÉÂTRE
Je serai le sang Steve Gagnon revisite Britannicus à la Licorne. Baptiste Rinner Remlinger Le Délit
&
Scarlett
Après le succès de Ventre l’an dernier, Steve Gagnon réinvestit le théâtre de La Licorne avec une réécriture du Britannicus de Jean Racine. L’histoire originale de Racine est inscrite dans l’histoire romaine; elle raconte la passion de l’empereur Néron pour Junie, la fiancée de son demi-frère - le personnage éponyme. S’ensuit un drame familial où Néron essaye de s’émanciper de sa mère Agrippine et de gagner son rapport de force avec Britannicus. Dans cette version québécoise, En dessous de vos corps je trouverai ce qui est immense et qui ne s’arrête pas, la prose gagnonesque remplace les alexandrins de l’âge classique et magnifie les thèmes de la tragédie originelle. Les passions amoureuses ne sont pas seulement au cœur de la discorde, mais donnent le la de la pièce d’emblée. Au contraire de Racine, Gagnon, metteur en scène de son propre texte, n’est pas concerné par la bienséance et la bonne morale de sa pièce, quitte à troubler son public, pourtant plus libéré que la cour de Louis XIV. La représentation s’ouvre brusquement, faisant taire l’assistance. Et pour cause: au lieu des trois coups du brigadier, ce sont les gémissements de Junie sous le corps de Britannicus qui se font entendre. Apparaissant au fond de la scène, dépassant à peine des coulisses, les deux acteurs en nu intégral s’abandonnent dans les bras l’un de l’autre.
Cette importance des corps hante la pièce de tout son long. Les rapports entre les personnages sont régis par des pulsions animales assez brutales, que ce soit la relation entre une mère castratrice et ses deux fils
ou l’autre triangle amoureux de la pièce, les frères Néron et Britannicus et Junie, la fiancée de ce dernier. Les liens charnels entre mère et fils se traduisent en dispute physique. Néron, prisonnier de l’environnement hermétique
Suzane O’Neil
que lui a construit sa mère, est rendu fou par un désir de vengeance. Ce qu’il veut, c’est se venger de son frère, qui arrive à être heureux dans cet espace quasiment clos, et de sa mère, qui inhibe sa folie des grandeurs. Face à sa famille, il se considère en monstre, face à la beauté de son frère, il est le sang. C’est la vengeance d’un corps monstrueux sur le corps des autres. Cette vengeance prend tout son sens lors de la scène de viol, où Néron au bord de la folie, prend Junie de force devant son frère, qui a été drogué. Le chaos familial est représenté par un décor insalubre et malsain. Il y a un mur défoncé, un frigo par terre et des matelas en vrac. Les personnages errent dans ce milieu, s’y perdent et s’entretuent. Les tirades passionnées dans la version de Gagnon ont plus de force encore que chez Racine, car elles sont directes, le rôle intermédiaire des confidents étant supprimé, pour ne garder que les personnages principaux. Ainsi, chaque personnage se lance tour à tour dans des monologues intenses et violents pour expliciter les relations qui les unissent aux autres protagonistes. Jalousie, amour, haine, toutes les pulsions humaines sont présentes. On sort du théâtre de La Licorne conscient d’avoir vu une grande pièce, un spectacle violent, troublant comme Steve Gagnon en a l’habitude. x Britannicus Où: Théâtre de la Licorne Quand: Jusqu’au 9 novembre Combien: $22
MUSIQUE
Pour l’amour du jazz Qualité musicale et créativité au festival Off Jazz. Any-Pier Dionne
En septembre dernier, elle s’est produite au festival international Medejazz, en Colombie, avec son Isis Giraldo Poetry Project. Elle souligne avec émotion cette occasion unique de présenter les compositions de son père écrites dans les années 1980 sur sa terre natale. De retour à Montréal, elle dépense beaucoup d’énergie à promouvoir son album démo pour le Isis Giraldo Poetry Project. Musicienne polyvalente, elle travaille également sur de nouvelles compositions en plus d’être accompagnatrice pour différents projets musicaux à Montréal. Perfectionniste, elle espère enregistrer un nouvel album prochainement, mais elle veut «très bien le faire» et attend donc que les astres soient alignés. Le public montréalais aura l’occasion de venir l’écouter ce mercredi 9 octobre à 22h30 à la Casa del Popolo.
D
u 3 au 12 octobre, musiciens de la relève et jazzmen renommés se côtoient sur scène dans le cadre du festival Off Jazz de Montréal. Au fil de ses quatorze ans d’histoire, le festival a su s’imposer comme la tribune par excellence concernant la scène jazz québécoise grâce à ses projets originaux et ses collaborations inattendues. Dirigé par des musiciens soucieux d’encourager la vitalité du jazz au Québec, l’Off Jazz allie depuis ses débuts qualité musicale, créativité et expression libre. Comme le souligne Lévy Bourbonnais, harmoniciste et président du festival, dans LaPresse du 2 octobre, «Faire du jazz en 2013 est une entreprise amoureuse. Avec la petite paye et tous les efforts consentis, il faut faire ça avec amour et passion.» C’est dans cet esprit que se réunissent pour cette quatorzième édition 134 musiciens locaux et internationaux qui présentent 27 concerts répartis dans six salles montréalaises. Isis Giraldo Poetry Project Diplômée de l’École de musique Schulich de l’Université McGill en 2011, Isis Giraldo ajoute une touche de poésie au festival Off Jazz. Avec le Isis Giarldo Poetry Project, elle interprète ses compositions, une touchante combinaison de jazz et de poésie. Établie à Montréal depuis ses dix ans, originaire de Colombie, l’artiste a lancé son premier album, Gente y poder, en 2010. Suite à cet album salsa
Jules Delage
à saveur politique, elle a changé de direction, ce qui a donné naissance au Isis Giraldo Poetry Project. En entrevue téléphonique avec Le Délit, la musicienne affirme que ce projet, où elle transpose les poèmes de son père sur une musique pleine de nuances et de subti-
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lités, est très personnel. S’il lui est difficile de décrire le style de ses compositions musicales, elle mentionne les influences colombiennes et ses études en jazz qui s’infiltrent dans sa musique, créant un «mélange de différents styles et rythmes».
5 à 7 découvertes Pour ceux qui sont moins familiers avec le jazz, les 5 à 7 au Résonnance café sont l’occasion parfaite de s’initier à ce style originaire de la Nouvelle-Orléans. L’entrée est gratuite, bien qu’une contribution volontaire soit encouragée. Après avoir volé bien haut à une époque pas si lointaine (meh…), et malgré une scène contemporaine vivante et diversifiée, le jazz est aujourd’hui trop souvent boudé par les foules. Musiciens chevronnés et jeunes talents se prêtent donc au jeu afin de séduire le public montréalais. x
Arts & Culture
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MUSIQUE
Un multiculturalisme musical Mr. Troy revisite «Clear» et sort... «Clear II». Thomas Simonneau Le Délit
l’artiste de manière assez poétique : «Même si le jazz insuffle une tempête calme, je branche un beat et le convertis en hip hop».
Sans faire exception à la règle, le nouveau projet de Mr. Troy est lui aussi à forte tendance «jazzy». Il suffit de s’attarder sur des morceaux tels que «The Luckiest» ou «Trying Again» pour apprécier une clarinette paisible, un saxo flegmatique. Cependant, le hip-hop sert de structure au niveau vocal et rythmique. Globalement, l’album suggère un mélange intéressant entre deux genres issus de la contre-culture afro-américaine que sont jazz et hip-hop. Quant à définir ce qui l’a le plus motivé durant la production, le DJ répond sans hésiter: «Ce qui est intéressant sur ce projet, c’est que j’ai eu l’occasion de collaborer avec des artistes que j’écoute depuis longtemps». Des artistes provenant d’ailleurs d’horizons très divers: on découvre le japonais Sohch pour la partie vocale de «Neptune» ou bien le rappeur californien Ayomari en coproduction pour «Chasin’ Sands». On décèle une certaine richesse dans ces cultures rassemblée sous des instrumentales similaires et harmonieuses. Cependant, cette grande variété linguistique est parfois légèrement indigeste: Fonzie fait référence aux nouvelles trouvailles de l’argot parisien et le morceau d’après, de Nemo Achida, nous introduit aux particularités linguistiques du Kentucky. Même si ce léger manque de fluidité ainsi que cet aspect décousu reste probablement le plus grand défaut de la compilation, il nous en faut plus pour nous désarçonner, surtout au Québec, où on baigne dans une diversité culturelle. x
cave d’un immeuble. Nous y sommes refugiés avec eux et ils se déplacent dans cet espace, allant jusqu’à demander à des spectateurs de changer de table pour s’asseoir à leur place. C’est ce moment que Sophia, spectatrice, relève, lorsqu’à la fin de la représentation Le Délit lui demande ce qui lui a le plus plu. De «sortir la pièce du théâtre» pour provoquer une «proximité physique, presque intime avec les comédiens», ça déstabilise et nous plonge en «situation d’écoute volontaire» rajoute Sandrine, elle-même
chargée d’écrire un article pour Plein Espace au sujet de cette expérience. L’espace social se transforme en scène et le public, présent dans le décor, devient objet. Alors que de nombreux rires jaunes résonnent, Catherine et Arnaud frôlent les spectateurs avec une indifférence surprenante, contenant leur sang-froid d’acteurs. La rencontre est prenante, l’expérience surprenante. Si on sort troublé, ce n’est certes pas dû à la bière que l’on a pu siroter pendant la représentation. x
Youri Semenjuk
E
n ce 1er octobre 2013, Le Délit découvre le nouvel album de Mr. Troy intitulé «Clear II» sur sa boîte mail. Il est exactement 14h11 à Montréal. Contacté vers 16h, l’artiste nous confie: «j’ai fini l’intro «Freestylin’ Somewhere In Space» trois heures avant de sortir l’album.» Soit vers 11 heures du matin. En l’espace de seulement cinq heures, Mr. Troy avait fini son intro, sorti son album et nous l’avions acheté, écouté et pu toucher un mot avec le jeune DJ parisien. De quoi relativiser les propos des personnes affirmant que l’industrie de la musique est agonisante, que la technologie tue les artistes. Du haut de ses dix-neuf ans, Mr. Troy est un producteur de musique électronique prolifique qui a déjà sorti pas moins de onze albums, ou «projets» comme il préfère les définir. Et pour cause, chaque «projet» est destiné à être retravaillé et réinventé. Ce fut le cas pour «Clear», composé de huit morceaux dont les airs sont mielleux et calmes. Le musicien affirme avoir «réécouté les projets [qu’il] avait sortis sur Internet l’année dernière et celui qui [l’]intéressait le plus était «Clear», principalement au niveau de l’ambiance». «Ambiance» est un terme omniprésent dans le lexique de Mr. Troy. Comme l’indique son profil soundcloud, «Vibes rule everything around me», autrement dit, «les ambiances règlent tout autour de moi». Et pour cause, «Clear II» possède une part mélodieuse qui
rappelle certaines musiques d’ambiance et qui suggère à l’auditoire de se laisser aller à ces fameuses vibes, ces vibrations musicales issues du monde du jazz. Comme le souligne
THÉÂTRE
Ionesco à l’Esco La compagnie In extremis adapte Délire à deux. Gwenn Duval Le Délit
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n Délire à deux mis en scène par Isabel Rancier occupe la petite salle au semi sous-sol d’un bar branché de la rue Saint-Denis, où les clients se retrouvent autour d’une bière. C’est la première fois que L’Escogriffe se transforme en scène de théâtre et la proximité entre public et acteurs confère d’entrée de jeu une atmosphère particulière. Sur les tables, quelques petites tortues en plastique sont dispersées et une barbie est pendue à une poutre. Ce sont là les seuls éléments du décor qui semblent avoir été rajoutés pour la représentation. Mis à part l’espace dégagé près des fenêtres qui servira de scène à Catherine Huard et Arnaud Bodequin, d’un moment à l’autre. La pièce va commencer, les comédiens s’installent. Catherine est assise de dos, elle se coiffe. Arnaud se tient debout face au public, un pied sur sa chaise. Les acteurs se lancent alors dans une dispute délirante à propos de mollusques gastéropodes. Elle prétend que tortue et limaçon sont une seule et même espèce; lui soutient l’inverse. On dirait presque deux clients un peu fous qui se querellent, mais la scène de ménage
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Arts & Culture
est interrompue par des bruitages explosifs à répétition. Le couple se fait la guerre tandis que dehors, c’est vraiment la guerre. Le texte d’Ionesco est respecté dans son intégralité. Discours de sourds et discussions circulaires soulignent la vanité et l’impasse à laquelle fait face le couple. Ils ne s’allient qu’à un seul moment pour déplacer une armoire devant la porte et ainsi se protéger de la menace extérieure. Un second rapprochement a lieu entre eux alors qu’il la porte sur son dos. L’image de ces deux corps, l’un sur l’autre, évoque la tortue limaçon dont il est question depuis le début de la pièce. De temps à autre, ils sont saisis d’une lucidité frappante quant à l’absurdité de leurs querelles et de leur désir d’être dans un ailleurs intangible. Comme le disait l’auteur, «le couple, c’est le monde lui-même, c’est peut-être aussi l’humanité divisée et qui essaie de se réunir, de s’unifier». L’interprétation des comédiens quant à leur relation déplorablement absurde est saisissante. Peut-être un peu moins lorsque surgissent les événements de l’extérieur, c’est-à-dire les bruits de guerre, les fenêtres qui éclatent et les grenades qui jaillissent (représentées par des tortues de bain). Pourtant, le bar nous cloisonne. On s’y sent comme dans un bunker, ou comme dans la
Camille Chabrol
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CONCERT
Mi casa está en la frontera Jorge Drexler en concert, panache hispanique au Métropolis. Joseph Boju Le Délit
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onnaissez-vous ces immenses réunions de famille où les gens sont heureux? Si non, ce n’est pas grave, il n’y a qu’à imaginer de grandes retrouvailles pour rendre compte de l’événement qui avait lieu au Métropolis vendredi soir dernier. Jorge Drexler, auteur-compositeurinterprète uruguayen était de passage à Montréal. Pour lui, le tout-Montréal hispanophone était réuni dans une salle, transformée pour l’occasion en un cabaret de tables et de chaises. Jorge Drexler est une pointure de la musique latino-américaine, jouissant d’un succès incomparable, en Espagne comme en Amérique du Sud. Nous le connaissons souvent pour cet Oscar de la meilleure chanson qu’il avait reçu en 2005 récompensant le titre «Al otro lado del rio» dans le film Diarios de motocicleta (première chanson espagnole à recevoir le prix). Sa force réside dans des textes à haute teneur poétique, accompagnés de guitares savamment arrangées. La première partie du spectacle est assurée par Andres Canepa, seul sur scène avec sa guitare et son micro. Il raconte dans des ballades aux trois-quarts espagnoles - des histoires d’amour, de MarieJeanne et d’immigration. L’autre quart est mi-français, mi-anglais: Canepa vit à Montréal et joue sans arrêt sur la mixité de son public. Ce dernier le suit, amusé par la bonne humeur et l’énergie du «prophète». La première partie est une voix dans le désert, légère et souriante, annonçant la venue de quelque chose d’immense; Jorge Drexler. Son arrivée est des plus fantomatiques: il entre dans l’ombre, guitare à la main, précédé d’effets sonores mystérieux. La scène n’offre pour les yeux que deux abat-jours de forme circulaire, dont les ampoules changent de couleurs au gré des mélodies. Placées de chaque côté d’une estrade sur laquelle le musicien s’escrime, ces planètes de lumières nous transportent dans un monde abyssal ou lunaire, certainement paisible.
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Hossein Taheri
Le concert peut débuter. «Hermana duda» lance le mouvement, Drexler est serein et les hommes mariés dans la salle ne savent plus quoi penser. Après cette introduction vient le moment des présentations. Notre homme est un spécialiste de la communication intertitre (intermède parlé entre chaque chanson d’un concert), c’est l’occasion pour lui de montrer à son public qu’il est aussi un être humain comme tout le monde. Cette «présentation» est donc multilingue, l’artiste se présente en anglais mais la salle lui répond en espagnol, il s’essaie donc au français: «Je souis très joli d’être ici ce soir, that’s how you say it no?». Cet humour est particulier aux endroits métisses comme Montréal. Le chanteur se dit d’ailleurs très honoré de jouer dans la ville de Leonard Cohen et entonne aussitôt
«Dance with me till the end of love». Techniquement, Jorge Drexler est un monstre. Il maîtrise aussi bien la Fender telecaster que sa guitare classique. C’est sans parler de la machine à loops ni de sa tessiture vocale. Ses jeux d’échos sont risqués mais ne noient pas les mélodies originales, les versions studios prennent un sens tout particulier en concert, c’est là que l’on reconnaît un musicien de scène, il est capable de se réinventer, d’improviser. Les morceaux s’enchaînent et ne se ressemblent pas, certains refrains amènent l’assemblée à chanter en chœur et à donner des «palmas» en rythme, d’autres nous font sagement taire. Les amoureux s’enlacent, on commande des bières, et puis, après le tonnerre d’applaudissements, on crie qu’on veut entendre telle ou telle chanson.
«C’est une expérience apai-
sante qu’un concert de Jorge Drexler, presque un voyage aux accents baudelairiens.»
«Fusion» donne des frissons aux plus tatoués de la salle et la «Milonga del moro judio» satisfait ceux qui du siècle d’or respectent encore les «décimas» (dix couplets de huit syllabes chacun). C’est une expérience apaisante qu’un concert de Jorge Drexler, presque un voyage familial aux accents baudelairiens: «luxe, calme et volupté», que demander de plus? Deux rappels, trois morceaux, dont le formidable «Fronteras» qui fait sortir le public de la salle en dansant, le sourire au lèvres: «Yo no sé donde soy, mi casa está en la frontera». x
UN MOT POUR LE MORT Le metteur en scène Patrice Chéreau disparaît à 68 ans.
Joseph Boju Le Délit
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atrice Chéreau est décédé le lundi 5 octobre dans l’après-midi. Journée maussade pour ceux qui savent. Réagir à chaud est malaisé. Attendre c’est laisser passer le train. Le Délit salue le départ de l’une des figures les plus marquantes du théâtre de ces quarante dernières années. Homme d’idées, d’action et de spectacle, personne autant que lui ne jouissait d’une reconnaissance symbolique si unanime dans le champ culturel. Patrice Chéreau a mis au monde des dramaturges aussi puissants que Koltès, des comédiennes aussi imposantes que Dominique Blanc. Ses mises en scènes ont gagné des Molières, ses films ont gagné des Césars. C’est sans parler de Wagner,
x le délit · le mardi 8 octobre 2013 · delitfrancais.com
Marivaux, Genet, Shakespeare, Mozart, Racine, Dumas, Müller, Duras et tous les autres. Après ceux-là, Chéreau a vécu et a su travailler. Son œuvre existe, autonome. Il peut aller rouler dans les étoiles, dormir sur les neiges du Kilimandjaro, courir nu la nuit dans un champ de coton. Enfin. Se reposer. «Qu’on l’institutionnalise, qu’il devienne nom d’école, de place publique!» Soit. Mais avant le bruit des fanfares, des charognes et des terribles cortèges, qu’on écoute ses mots, son «dire» si particulier: «j’ai fait une chose qui m’a bien plu mais qui était risquée» Cette phrase, je l’ai apprise à l’université. Cinq ans plus tôt, je voyais son adaptation de La Douleur dans un théâtre madrilène. Choc esthétique. Je m’en remettrai doucement, respectueuse-
Arts & Culture
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ÉVÉNEMENT
«Inhalación» de Martiel Tragédie du sous-financement en un acte. Philippe Robichaud
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eudi soir, les endroits où attacher son vélo se font aussi rares autour des Bains Saint-Michel de la rue SaintDominique que les places de stationnement pendant le Grand Prix de Formule 1. À chacun sa Mecque. L’événement liminaire de la soirée est une performance inédite de l’artiste cubain Carlos Martiel Degado Sainz intitulée Inhalación. D’après L., son acolyte, aucune de ses performances n’est «préparée», elles cultivent le péril. Ses œuvres doivent être sous-tendues par une sensation de risque une fébrilité, une anxiété quant à la menace de la tragédie. Créée dans le cadre du festival VIVA! Art Action, Inhalación se veut une expression de la puissance propre à chaque humain. S’inspirant de la parabole biblique de la résurrection de Lazare de Béthanie, Carlos Martiel se fait ensevelir dans un tombeau vertical, placé au fond de la piscine des Bains Saint-Michel, duquel il devra s’extraire. Trois aides le recouvrent de plâtre avec une solennité qui s’étiole peu à peu, au fil de l’arrivée de petites filles qui peuplent progressivement la piscine. Imprévues, ces petites bambines hautes comme trois pommes, enfants de membres de l’assistance, créent une croquante dichotomie en rigolant face à Carlos Martiel, nu, qui maintient un regard impartial et transi. Autre imprévu: lorsque le tombeau se remplit jusqu’au épaules de l’artiste, le
mot se passe qu’il y a pénurie de plâtre. Discrètement, L. va demander à Carlos Martiel ce qu’il prévoit faire. Quelque peu dépité, il lui répond qu’il ne pourra pas se faire recouvrir le corps entier, qu’il ne pourra pas mettre sa vie en danger et causer l’arrêt respiratoire prévu avant la libération – en d’autres mots, le message de l’œuvre, liée à la résurrection, tombe à l’eau. Habituellement profondément troublantes, les performances de Carlos Martiel Delgado Sainz se meuvent par le biais d’images saisissantes et poétiques pour aborder des questions politiques. L’artiste expose son corps à divers types d’agressions, tant physiques que morales, dont l’issue est incertaine, pour dénoncer les inégalités sociales, l’armée, le racisme et la violence. On pense à Lazos de sangre (noeuds de sang) dans laquelle il s’ouvre les veines des avant-bras pour déverser son sang dans la mer, question d’explorer l’acte de l’offrande - ou encore à Integración, lors de laquelle il se couvre les yeux d’excréments et lèche le plancher d’une galerie d’art à La Havane. Une de ses œuvres les plus marquantes, A donde mis pies no lleguen (là où mes pieds n’arrivent pas), aborde le thème de la dérive: ingérant au préalable une forte dose de narcotiques, l’artiste embarque dans une chaloupe et se laisse porter, engourdi, par le courant d’une rivière. Selon L., les organisateurs du festival VIVA!, mains liées à cause de subventions moins généreuses cette année, ont dû tourner les coins ronds; entre autres, pour le plâtre de Carlos Martiel.
Camille Chabrol
Le festival montréalais tient mordicus à préserver une accessibilité universelle. Leur campagne de levée de fonds parle d’une «longue tradition de gratuité dans le milieu artistique sans but lucratif québécois et canadien». D’ailleurs, ils disent faire «l'impossible pour offrir des conditions de travail décentes et un accueil généreux aux artistes invités». Dans
le cas de Carlos Martiel, l’hyperbole de «l’impossible» revêt un sens beaucoup plus réel. Même s’il a su tenir tête et terminer sa performance avec toute la dignité possible, l’artiste s’est retrouvé dans l’impossibilité de livrer son message, muselé par des lacunes qui n’étaient pas siennes à pallier. Triste ironie. x
EXPOSITION
Drôles de drones Trevor Paglen présente une exposition à la galerie SBC d’art contemporain. Alice Tabarin Le Délit
U
n drone, c’est une abeille mâle qui ne pique pas et qui ne fabrique pas de miel. Il a pour seule mission de féconder la reine avant d’en mourir. L’emploi de ce mot est cependant plus utilisé pour désigner ces engins militaires qui volent haut et loin, commandés au sol, afin d’espionner ou d’exécuter. C’est ce thème qui a été retenu pour le mois de la photo à Montréal. Du 5 septembre au 5 octobre, plusieurs artistes exposaient, à divers endroits de la ville, des photographies sur le sujet Drone : L’image automatisée. L’exposition de Trevor Paglen reste, cependant, à la galerie SBC d’art contemporain jusqu’au 9 novembre. Mondialement reconnu pour ses travaux journalistiques et notamment pour son travail d’enquête sur les activités clandestines de l’armée américaine, il présente à la galerie sept œuvres, une vidéo et six photographies qui analysent l’esthétique du drone. On y voit principalement trois ciels aux couleurs remarquables dans lesquels sont dissimulées très discrètement
16 Arts & Culture
Trevor Paglen
ces machines de guerre. On peut également admirer trois drones à terre dont les fameux modèles Predator et Reaper. Enfin, la visite se clôt par le visionnage d’un bref enregistrement d’écran de commande. Le public est partagé, les avis divergent. Certains s’enthousiasment («Fantastique, ça me rappelle la guerre froide… Mais en pire») quand d’autres
crient à l’imposture («On se fout de notre gueule, encore une fois»). Cette exposition ne fait pas l’unanimité et pour cause, elle soulève la réelle question de ce qui est artistique et ce qui ne l’est pas. En explorant le concept de l’image automatisée, le programme du mois de la photographie place l’artiste dans une position ambigüe. Celui-ci se retire presque
entièrement du procédé de réalisation de l’œuvre, pour laisser l’appareil, seul, produire sa propre photographie. Peut-être aurait-il fallu prêter plus d’attention aux propos de Baudelaire lorsqu’il écrivait que «l’industrie, faisant irruption dans l’art, en [devenait] la plus mortelle ennemie». Laisser l’objet prendre en main le procédé de création, c’est effectivement signer la mise à mort de l’artiste. C’est cependant l’homme derrière l’œuvre qui est la condition nécessaire de l’art. C’est l’interprétation de la réalité qu’il offre qui permet de réveiller une émotion chez le spectateur. En l’absence de marque personnelle et d’humanité, sous-jacentes à la photographie, le spectateur n’accède à aucune dimension immatérielle. Des machines qui photographient d’autres machines est un concept qui tue le rêve, la réflexion et le rapport entre l’auteur et le spectateur, pourtant cruciaux. Au fil de l’exposition, le public se promène, observe et constate. Point. Il n’est touché ni par une idée, ni par un message, ni par une sensation. L’exposition de Trevor Paglen est en ce sens similaire à l’abeille mâle, elle ne pique pas, ne produit pas de miel. x
x le délit · le mardi 8 octobre 2013 · delitfrancais.com