Mercredi 14 septembre 2022 | Volume 112 Numéro 2 En manc de korekteurs depuis 1977 Le Délit est situé en territoire Kanien’kehá:ka non-cédé. Publié par la Société des publications du Daily, une association étudiante de l’Université McGill
Marie Prince | le délit
alexia leclerc et béatrice vallières Éditrices Actualités
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« Sylvan Adams, un milliardaire anti-Pal estine [est] connu pour avoir déboursé des dizaines de millions de dollars dans le but précis de sportswash [blanchir par le sport] les crimes de l’État colonial israélien »
Myriam Bourry-shalabi Éditrice Enquêtes campus
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Un projet contesté
À la suite de l’adoption de la Politique, l’AÉUM avait reçu un avis de défaut du v.-p. exécutif adjoint (études et vie étudiante) Fabrice Labeau qui signalait que cette poli tique allait à l’encontre « d’une condition présente dans le protocole d’entente » et qu’elle serait « inconstitutionnelle et dis criminatoire ». L’administration avait men acé de mettre fin au protocole d’entente et ainsi au financement reçu par l’AÉUM. En avril, le conseil d’administration de l’AÉUM avait élu de ne pas ratifier la Politique. x
Un don de 29M controversé
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Représentante en ventes Letty Matteo
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SPHR, dans un communi qué acheminé au Délit
Conseil d’administration de la SPD
L’annonce du don a également été l’occa sion pour l’activiste et auteur Yves Engler d’intervenir vis-à-vis de l’administration mcgilloise. Une vidéo qu’il a publiée sur Twitter montre son interruption du dis cours de Suzanne Fortier, ex-principale de l’Université McGill, lors de la conférence de presse tenue le 31 août dernier. « Madame, est-cequelesétudiantsdeMcGillontledroitdes’opposerauxmeurtresd’enfantspalestiniens,des’opposeràl’Étatcolonialisraélien? »[
Lors du référendum étudiant en mars dernier, la Politique de solidarité avec la Palestine qui aurait engagé l’Association Étudiante de l’Université McGill (AÉUM) à reconnaître « le système colonial israélien contre la Palestine », a été approuvée par le corps étudiant de McGill avec 71,1% des voix pour un taux de participation de 16,5%. Proposée par le groupe SPHR, la Politique s’inscrivait dans le cadre de la campagne Boycott, désinvestissement et sanctions (BDS) qui promeut le boy cott contre Israël et des entreprises qui contribuent à l’économie de cet État.
L’Institut de recherche Sylvan Adams soutiendra la recherche en sciences du sport tout en ayant une approche centrée sur l’étude des athlètes d’élite. Son objectif à long terme sera de mettre à profit la recher che en sciences du sport pour améliorer les performances des athlètes de haut niveau, tout en promouvant la santé de manière générale, peut-on lire sur le site internet de l’Institut. « Le don de M. Adams favorise aussi l’adoption d’une nouvelle optique pour la recherche en matière de santé – qui priv ilégie l’apprentissage à partir de l’étude de la santé optimale, plutôt que de la maladie », nous informe l’agente des relations avec les médias de l’Université McGill, Frédérique Mazerolle. La part du lion du don – 24,4 millions de dollars – sera consacrée à l’infra structure et à l’équipement du nouvel insti tut, comprenant notamment des labora toires d’essai « de fine pointe », des bureaux de recherche et des salles de formation et de réunion. La somme restante – 4,6 millions de dollars – financera diverses activités de recherche. Frédérique Mazerolle souligne que le don servira à la création de bourses de recherche, de bourses étudiantes, d’échang es internationaux et de conférences scien tifiques. L’Institut établira également un partenariat avec l’Institut de sport Sylvan Adams (SylvanAdamsSportsInstitute) de l’Université de Tel-Aviv, fondé en 2018.
Le lancement de l’Institut Sylvan Adams interrompu et dénoncé par des voix pro-palestiniennes.
Saylor Catlin, Gabrielle Genest, Natacha Ho Papieau, Asa Kohn, Boris Shedov, Anna Zavelsky.
LeDélita contacté McGill pour un com mentaire en lien avec les propos de SPHR. Fréderique Mazerolle a répondu en mettant de l’avant que « l’engagement mcgillois à l’égard de l’excellence universitaire » exig erait la préservation d’un environnement ouvert au débat « dans le respect mutuel [...] de multiples perspectives et idées ». L’agente des relations avec les médias a souligné que les priorités de l’Université demeurent le « bien-être » de sa commu nauté et le maintien d’« un dialogue et [d’] un engagement pacifiques et constructifs » sur le campus, spécifiant toutefois que « le respect et l’inclusion sont les préala bles incontournables de ces échanges ».
Dans
tdlr], l’entend-on s’exclamer sur la vidéo. Sur son site personnel, Yves Engler explique qu’il souhaitait demand er à Suzanne Fortier d’expliquer son manque de solidarité avec la Palestine. ennes« Lesaccordsaveclesuniversitésisraélilégitimentlecolonialismeisraélien.LesinvestissementsdeMcGilldansdes
ennesociétéspermettantl’occupationisraélirendentl’Universitécomplicedeladépossessionpalestinienne»[ tdlr], a-t-il souligné au Délit. Dans sa réponse au Délit, SPHR a également dénoncé la célébra tion de ce don par l’Université. Selon le regroupement, McGill répondrait ainsi à l’activisme pro-palestinien sur son cam pus en se « moqu[ant] ouvertement de la volonté de ses étudiant·e·s ». SPHR a ajouté que cette initiative de l’Univer sité ne resterait pas sans réponse.
Un contexte de tensions
The McGill Daily coordinating@mcgilldaily.com Anna Zavelsky
Volume(Québec).112Numéroactualités
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2 actualités le délit · mercredi 14 septembre 2022 · delitfrancais.com
La recherche sur les sports d’élite à l’avant-plan
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un communiqué publié le 31 août dernier, l’Université McGill a annoncé le lancement d’un nouveau centre de recherche en sciences du sport grâce à un don de 29 millions de dollars de la part de l’entrepreneur et philanthrope israélo-canadien Sylvan Adams. Il s’agirait du plus grand don jamais fait à une faculté d’éducation canadienne. Des voix s’élèvent toutefois pour critiquer l’annonce de ce don par l’administration mcgilloise, ainsi que sa réponse à l’activisme pro-palestinien de certains regroupements étudiants.
L’annonce du don de Sylvan Adams a été vertement critiquée par le groupe Étudiant·e·s de McGill en solidarité pour les droits humains palestiniens (Studentsfor PalestinianHumanRights, SPHR). Dans des publications récentes sur Facebook, Twitter et Instagram, le groupe a qual ifié Sylvan Adams de « milliardaire anti-palestinen notoire qui a dépensé des dizaines de millions de dollars avec l’intention de blanchir les crimes de l’État colonial israélien ». Dans un com muniqué acheminé au Délit, SPHR a allégué que les propos de Sylvan Adams au sujet d’Israël, qu’il a notamment décrit comme un « pays pacifique », con
stituaient une « déclaration insultante [...] emplie[e] de déni, d’incrédulité et d’agressivité ». Le groupe a dénoncé ce qu’il qualifiait d’ « abstraction totale » de la part de Sylvan Adams quant à la situa tion du peuple palestinien, citant à l’appui les condamnations émises par Amnistie Internationale et l’organisation Human RightsWatchà l’égard du gouvernement israélien. Selon SPHR, l’entrepreneur et philantrope serait « connu pour avoir déboursé des dizaines de millions de dollars dans le but précis de sportswash[blanchir par le sport] les crimes de l’État colonial israélien ». Le dictionnaire Oxford décrit le sportswashingcomme « l’utilisation troversées,dusport[...]pourpromouvoiruneimagepositivecommemanièrededétournerl’attentiond’autresactivitésconsidéréesconimmoralesouillégales[ tdlr]».
« Un vote de sanction »
Julien Macaya, prés ident de l’UDI
Laura Tobon | Le Délit
citoyen chilien partisan de la campagne du « oui », parvient au Délit grâce à la collaboration de Catherine LeGrand, profes seure adjointe au département d’histoire de McGill spécialisée en histoire de l’Amérique latine. « Le scénario au Chili n’est pas très encourageant. Les forces réactionnaires sont en liesse avec le soutien permanent de tous les médias de masse. C’est difficile [ tdlr ] », déclare-t-il.
Cette nouvelle constitution devait remplacer celle adoptée sous la dictature militaire du général Pinochet (1973-1990). Ses propositions s’inscrivaient dans la mise en œuvre d’un vaste projet de réformes sociales et politiques. Elles reconnaissaient par exemple un statut spécial aux peuples autochtones, élar gissaient et facilitaient le droit à l’avortement et inscrivaient dans le marbre un Chili « pluri
Quel avenir pour le pro cessus constitutionnel?
national, pluriculturel, régional et écologique ». Ce projet de réforme constitutionnelle a pris forme en décembre 2019, alors qu’un vaste mouvement insurrec tionnel initié par la communauté étudiante secouait le pays. Au terme de deux mois de manifes tations sévèrement réprimées par la police et l’armée chilienne, le président en fonction durant cette période, Sebastian Pinera, avait accepté l’une de leurs revendications principales, soit la réforme constitutionnelle. Cinq mois plus tard, le projet d’une nouvelle constitution était soumis au peuple chilien et adopté à 79%. La rédaction d’une nouvelle constitution avait été confiée à une Assemblée con stituante, formée de 155 mem bres élus par les citoyens. Cette assemblée paritaire comptait parmi ses rangs 17 membres issus des peuples autochtones, dont sa présidente, Elisa Loncón Antileo.
dum. « Le peuple chilien n’était pas satisfait de ces propositions et a décidé de les rejeter claire ment. Cette décision exige que les institutions travaillent avec plus d’efforts et de dialogue jusqu’à ce qu’elles arrivent à une proposi tion qui inspire confiance et nous unisse en tant que pays [ tdlr ] », a-t-il déclaré depuis le palais présidentiel de La Moneda.
Un texte clivant
Un projet progressiste
Les Chiliens rejettent massivement leur nouvelle constitution
e dimanche 4 sep tembre dernier, 15 millions de Chiliens ont été appelés à se prononcer sur l’adoption d’une nouvelle constitution lors d’un référen dum obligatoire. Avec 61,9% des voix, le camp du « rechazo » (celui du rejet de la nouvelle constitution) a prévalu, dépas sant les pronostics des insti tuts de sondage qui situaient l’écart entre les deux camps autour de 10% à deux semaines du référendum. C’est un refus sans ambiguïté exprimé par trois votants sur cinq, au cours d’un référendum au taux de participation historique.
Plusieurs éléments ont été avancés pour expliquer l’échec du référendum : le manque de dialogue et de consensus au sein même de la coalition présiden tielle ainsi que le manque de pédagogie et de clarifications vis-à-vis du texte proposé. Un autre facteur à prendre en compte est celui des moyens financiers reçus et investis dans les campagnes respec tives ainsi que le déroulement de ces dernières. Alors que la campagne du rechazo était bien installée en mars, celle de l’« apruebo » n’a pris forme qu’à la mi-juillet, laissant au camp du rejet le temps de mobiliser ses forces et d’occuper l’espace médiatique. Selon les registres des services électoraux chiliens (Sevrel) sur les 523 millions de dons (en pesos) effectués lors de la campagne, 89% l’ont été pour le camp du rechazo . Ce sont 123 millions de pesos qui ont été investis dans les nouveaux médi as par les partisans du rejet. Ces investissements ont nota mment subventionné une vaste campagne de désinformation contre la nouvelle constitution.
À l’annonce des résultats, le président chilien, Gabriel Boric, a reconnu l’échec du référen
Les 388 articles rendus par l’As semblée constituante en juillet 2022 ont été débattus pendant deux mois. Cette nouvelle con stitution, en reconnaissant le droit à l’éducation, à la sécurité sociale, à la retraite, à l’eau et au
En effet, plusieurs des proposi tions de la nouvelle constitution ont secoué une part importante du Chili conservateur, placé face à un document qui leur appara issait comme une carte blanche vers une transformation radicale de la société chilienne. Mais cette frange conservatrice n’a pas été la seule à voter le rejet de la nouvelle constitution : une partie du centre-gauche s’est aussi manifestée con tre lors du référendum.
[ tdlr ] »
3actualitésle délit · mercredi 14 septembre 2022 · delitfrancais.com Monde
Gabriel Boric, président chilien
« C’est un refus sans tauxexpriméambiguïtépartroisvotantssurcinq,aucoursd’unréférendumaudeparticipationhistorique»
Le contexte du référendum importe pour comprendre son échec. Le 26 décembre derni er, le plus jeune président du Chili, Gabriel Boric, issu d’une coalition de gauche, était élu. Le début de son mandat a été marqué par une hausse des taux d’inflation et de criminalité, à laquelle s’est ajouté l’état d’urgence décrété en mai. Le gouvernement chilien a ainsi vu son taux d’approbation chuter en flèche ces derniers mois, pour atteindre 30% une semaine et demie avant le référendum, selon un sondage réalisé par l’agence Activa. Alors que le gouvernement s’est profondé ment impliqué dans la campagne de l’ apruebo , au point d’être taxé d’« interventionniste » par l’opposition, l’échec du référen dum peut apparaître comme un « vote de sanction », comme l’a souligné à l’AFP Marco Moreno, analyste politique à l’Université centrale du Chili.
Pour la suite, l’espoir persiste alors que les discussions s’en gagent pour entamer un nou veau processus constitutionnel. « Les résultats du 4 septembre n’empêcheront pas le change ment, et les Chiliens n’ont pas perdu espoir », nous a confié une étudiante mcgilloise. x
« On ne peut dis socier le gouver nement de cette défaite [...] cela doit être un appel à la réflexion »
Suivant les résultats du 4 sep tembre, le président Gabriel Boric s’est exprimé publique ment et a affirmé son souhait de « construire un nouveau processus constitutionnel » et de voir les différentes for mations politiques converger dans ce sens. Les responsables du camp du rejet se sont aussi exprimés en renouvelant leur volonté de poursuivre le pro cessus constitutionnel. « Notre engagement est de parvenir à une nouvelle constitution qui soit bonne, le processus con stituant n’est pas terminé », a déclaré le porte-parole du parti conservateur, l’Union démocratique indépendante (UDI). Son président, Javier Macaya, a aussi pointé du doigt la responsabilité du gouver nement dans l’échec du référen dum : « On ne peut dissocier le gouvernement de cette défaite [...] cela doit être un appel à la réflexion ». Cette « réflexion » a commencé deux jours après le référendum avec le remanie ment du cabinet ministériel, faisant entrer au gouvernement des profils plus centristes.
La mobilisation des deux camps
logement, tentait de s’affranchir du néolibéralisme hérité du régime du général Pinochet, en offrant aux citoyens une souveraineté sur des secteurs encore aux mains du marché. Le 4 septembre dernier, jour du référendum, la nouvelle constitution a été rejetée à 61,9%.
Après l’échec du référendum, l’avenir du projet de nouvelle constitution est incertain. Le témoignage de Julien Foncea,
hUGO VITRAC Contributeur
Le processus de rédaction, entamé en 2020, se poursuit.
L
« Le peuple chilien n’était pas satis fait de ces propo sitions et a décidé de les dialogueplusdécisionclairement.rejeterCetteexigequelesinstitutionstravaillentavecd’effortsetdejusqu’àcequ’ellesarriventàuneproposi-tionquiinspireconfianceetnousunisseentantquepays
Parmi les propositions, la démil itarisation des « carabineros » (la police nationale), la création d’autonomies régionales et de particularisme juridique pour les 11 peuples autochtones (12% de la population chilienne) ainsi que l’inscription d’un Chili « plurinational » ont déclenché de vifs débats. Ces derniers s’inscrivent dans un contexte d’affrontements meurtriers dans le sud du pays entre le peuple mapuche, les forestiers et les forces de l’ordre, ayant abouti à l’instauration de l’état
d’urgence dans quatre régions du sud du pays en mai dernier.
Comment fonctionnent les élections?
L’élection
La saison des élections
Comment voter?
Les élections ont presque toujours lieu le premier lun di du mois d’octobre, soit le 3 octobre en 2022. Afin de
Ces député·e·s représentent chacun·e·s une région admi nistrative distincte nommée circonscription. Les limites de ces 125 circonscriptions sont établies par la Commission de la représentation électorale, une institution indépendante qui a pour mandat d’établir la carte électorale du Québec.
La formation d’un gouver nement à l’issue des élec tions
ette semaine, Le Délit lance son dos sier spécial sur les élections provinciales de l’automne 2022. Les sec tions Actualités et Société du journal collaborent pour trois éditions consécutives afin d’offrir à la population mcgilloise une couverture des élections qui cible les enjeux reliés aux réalités étudiantes.
L’Assemblée nationale est le principal organe déci sionnel au niveau provincial. Elle est constituée de 125
promouvoir la participation électorale, les employeurs sont dans l’obligation d’of frir aux employé·e·s quatre heures de congé payé afin de leur permettre d’exercer leur droit de vote le jour des élections. Avant de pouvoir voter, vous devez être ins crit·e sur la liste électorale. Vous pouvez vérifier et modifier votre inscription sur cette liste en consultant le site internet Élections Québec, en les appelant ou en communiquant avec le ou la directeur·rice de scrutin de votre circonscription.
Le système électoral au Québec est représentatif. Il fonctionne selon un mode de scrutin uninominal majori taire à un tour. Cela signifie que l’électeur·rice vote pour un·e candidat·e (uninomi nal), une fois (un tour) et que le·a candidat·e qui remporte le plus de votes est élu·e (majoritaire). À cet égard, il y a eu des projets de loi pour réformer le mode de scrutin. Par exemple, le·a candidat·e élu·e peut avoir reçu un faible pourcentage de votes par rapport à la quantité d’élec teur·rice·s totale car la majo rité des voix se répartissent chez les autres candidat·e·s.
Le gouvernement est formé par le parti ayant le
À travers ce dossier, nous espérons offrir au lectorat du Délit un portrait général de la campagne électorale provinciale de l’automne 2022. En tant que journal étudiant, Le Délit a pour ob jectif de couvrir les enjeux de la campagne électorale à travers le prisme de la réa lité étudiante. L’objectif de ce dossier est de fournir à la communauté mcgilloise des outils pour naviguer
plus de député·e·s élu·e·s à l’Assemblée nationale. Si ce nombre de député·e·s élu·e·s est plus de la moitié du nombre total de député·e·s (63 député·e·s élu·e·s sur un total de 125), on dira que le gouvernement est majori taire. Dans le cas inverse, on dira que le gouvernement est minoritaire. L’ensemble des député·e·s n’appartenant pas au gouvernement seront nommé·e·s l’opposition. Le ou la chef·fe du parti à la tête du gouvernement, s’il·elle est élu·e député·e, devient le·a premier·ère ministre. Le ou la chef·fe de chaque parti est habituellement élu·e par les membres de son parti avant les élections. Il·elle aura la responsabilité de nommer les ministres, qui peuvent ou non être des député·es membres de son parti.
Pour qui voter?
chain pour les élections provinciales. Cette année, cinq principaux partis s’af fronteront pour des sièges à l’Assemblée nationale : la Coalition avenir Québec, le Parti libéral du Québec, le Parti conservateur du Québec, le Parti québécois et Québec Solidaire.
article s’inscrit dans le cadre de notre dossier sur les élections provinciales du Québec 2022. Afin de com prendre le fonctionnement de ces élections, il faut d’abord se familiariser avec certains aspects du régime politique québécois qui se trouve être intimement lié à la structure du gouverne ment provincial.
Le vote est un choix per sonnel ! Personne n’a le droit de vous forcer à voter. Vous pouvez vous informer quant aux différentes positions au travers de différents médias, dont ici-même dans les pages de votre journal étudiant. x
Société
Le Délit lance un dossier spécial qui couvrira la campagne électorale.
societe@delitfrancais.comdossier
Le processus électoral invite les électeur·rice·s à voter pour un·e candidat·e qui sera élu·e comme représentant·e de leur circonscription. Ces candidat·e·s peuvent choisir d’adhérer à un parti politique ou de se présenter en tant qu’indépendant·e. Une fois élu·e·s député·e·s, il·elle·s serviront d’intermédiaire entre les citoyen·ne·s de leur circonscription et l’admi nistration publique. Il·elle·s exerceront ce droit notam
S’informer pour mieux voter
C
La carte électorale repose sur le principe de représentation effective des électeur·rice·s en assurant l’égalité du vote entre les électeur·rice·s peu importe leur circonscription.
Québec 2022
Comme tous·tes auront pu le constater, l’automne a ramené les pancartes élec torales dans la province. Après quatre années de gou vernement caquiste, dont les deux dernières marquées par le rythme des vagues de la pandémie, les Québécois·es s’apprêtent à retourner aux urnes le 3 octobre pro
l’information présentée par les divers médias et ainsi permettre d’offrir l’informa tion nécessaire à l’exercice de vote. À cette fin, Le Délit vous propose cette semaine de vulgariser le fonctionne ment électoral, en rappel ou pour les premier·ère·s vo tant·e·s. Ensuite, nous propo sons un calendrier électoral qui cible les moments-clés de la campagne. Le Délit offrira également dans les deux prochaines semaines des articles qui exploreront plus en profondeur certains enjeux de la campagne tels que la crise du logement, la crise climatique, la santé, l’éducation et l’identité. Finalement, notre dossier proposera des entrevues avec les candidat·e·s dans la circonscription Westmount–Saint-Louis, où l’Université McGill se situe. x
ment en votant des projets de loi, en questionnant directe ment d’autres député·e·s et ministres, ou en débattant divers enjeux.
ALEXia leclerc Éditrice Actualités
député·e·s à partir desquel·le·s sont choisi·e·s les ministres.
Retour aux urnes
4 Société le délit · mercredi 14 septembre 2022 · delitfrancais.com ÉLECTIONS PROVINCIALES
« Le vote est un Personnepersonnel!choixn’aledroitdevousforceràvoter »
MALO SALMON Éditeur Opinion
Cet
MYRIAM BOURRY-SHALABI Éditrice Enquêtes
5sociétéle délit · mercredi 14 septembre 2022 · delitfrancais.com 5sociétéle délit · mercredi 14 septembre 2022 · delitfrancais.com ÉLECTIONS PROVINCIALES Québec 2022
Vers une politisation de la ma gistrature?
La loi n’est en vigueur que depuis juin et la Cour supérieure a déjà donné jugement dans un litige qui opposait des avocats au gouvernement québécois. Les avocats s’opposaient à l’obliga tion de joindre une traduction officielle française à tout acte de procédure rédigé dans une autre langue. Il s’agit de l’affaire Mitchell et al. c. Procureur gé néral du Québec . Un résumé des
« Les juges savent que leurs décisions vont être critiquées par le public. C’est d’ailleurs une des raisons pour les quelles les tribunaux publient leurs décisions et es saient de les rendre plus accessibles »
Les juges prennent le temps de développer leur pensée dans une décision : ils font de la recherche approfondie et ils citent leurs sources. Il est tout
peuple. Il convient de rappeler comment le juge en chef mani tobain Glenn Joyal a été suivi jusqu’à son domicile l’année dernière par un détective privé engagé par un groupe insatisfait d’une décision qu’il a prononcée sur les mesures sanitaires. Ses renseignements personnels ont également été divulgués. Ce type de comportement a commencé par des commentaires similaires à ceux de Bastien.
Un article du professeur d’his toire Frédéric Bastien publié dans le Journal de Montréal le 17 août dernier s’inscrit dans cet esprit d’attaquer les juges per sonnellement et de les discrédi ter parce qu’ils ont été nommés par un gouvernement dont on ne partage pas les valeurs. Frédéric Bastien souligne que la juge Corriveau a été en faveur du camp du « non » lors du référen dum de 1995 et prétend que ceci a influencé la décision de la juge. Toutefois, les commentaires du professeur d’histoire ne s’ar rêtent pas là.
Devenons-nous comme les États-Unis?
société le délit · mercredi 14 septembre 2022 · delitfrancais.com
L
La loi 96 et les contestations
Madame la juge Chantal Corriveau a donné jugement dans l’affaire et a accordé une suspen sion temporaire des dispositions contestées de la loi. Ainsi, ces articles ne s’appliqueront pas aux demandeurs dans l’affaire Mitchell durant les procédures devant la Cour, jusqu’au moment d’une décision.
de nomination à la magistrature. Il existe divers comités compo sés d’anciens juges, d’avocats et de professeurs de droit ainsi que de non-juristes qui sélectionnent des candidats proposant une liste au premier ministre. De plus, les individus qui postulent doivent soumettre de nombreaux documents : des lettres de ré férence, des CV, des lettres de motivation et des réponses à des questionnaires. Les mérites de chaque candidature sont débat tus longuement par les membres des comités. Qui plus est, les ré ponses aux questionnaires sont rendues publiques. Le processus de sélection est donc devenu plus holistique et juste. Auparavant le processus était complètement politique: on devenait juge, dans bien des cas, si on avait des connections politiques. Le processus moderne de nomina tion est inversé : ce ne sont plus les politiciens qui cherchent les candidats pour être juges, ce sont les individus qui pos tulent, et par après, les comités de sélection sur lesquels siègent une diversité de gens qui déter minent la personne retenue.
à fait légitime de critiquer les motifs d’un jugement, son rai sonnement, sa conclusion ou les sources citées. Par contre, les attaques personnelles contre les juges et les efforts de les politi ser ne devraient pas avoir leur place dans le débat public.
On voit rarement, sinon jamais ce phénomène aux États-Unis. D’ailleurs, il convient de rappeler que les Américains élisent un bon nombre de leurs juges. Au Canada, il y a eu des efforts pour enlever la politique du processus
MARIO MICHAS Contributeur
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De telles attaques partisanes et tendancieuses rappellent le climat politique des États-Unis où les juges sont placés dans les rangs républicain ou démocrate. Au Québec, il peut y avoir une juge nommée à un tribunal de première instance par un gou vernement libéral, tout en étant nommée à la Cour d’appel par un gouvernement conservateur.
Quand la justice politisée brouille le fonctionnement démocratique.
Frédéric Bastien accuse la juge Corriveau d’être « intrinsèque ment biaisée ». On peut toutefois se poser la question de savoir s’il n’est pas lui-même, pour em ployer ses propres mots, « in trinsèquement biaisé » dans son analyse. Frédéric Bastien refuse d’étudier les motifs de la déci sion de la juge Corriveau et subs titue plutôt à cette analyse une attaque personnelle. Une attaque personnelle est peut-être plus facile et plus efficace politique ment, mais c’est l’argumentaire contenu dans la décision qu’il faut étudier.
comportement nous infecte au Québec. Il existe certains sujets dont on ne cesse de discuter. Au Québec, on entend souvent parler de la loi 96. La « Loi sur la langue officielle et commune du Québec, le français » a reçu la sanction royale le 1 er juin 2022. Or, cette loi a suscité beaucoup de commentaires. Les journaux sont remplis d’articles qui la défendent ou la critiquent. Cette loi a frustré beaucoup de groupes au Québec, au point où elle a été contestée par des groupes qui craignent qu’elle viole leurs droits linguistiques. Comme la loi touche quasiment tous les aspects de la société, les contes tations judiciaires ne sont guère surprenantes.
a perception que le public a des juges et du système de justice est importante. Il faut que le public ait confiance dans la magistrature et il faut que cette dernière soit digne de cette confiance. Dernièrement, on as siste à un phénomène troublant : les attaques contre les juges. On attaque les juges comme étant des agents politiques, voire des tyrans. L’hiver dernier, nous étions spectateurs des manifes tations à Ottawa qui remettaient en question l’indépendance ju diciaire. Maintenant, ce type de
Les commentaires de Frédéric Bastien peuvent avoir des effets néfastes sur le travail de la ma gistrature. De tels commentaires essaient de présenter la magis trature comme étant un organe politique où chaque juge décide en fonction de ses convictions politiques. Frédéric Bastien essaie aussi d’opposer les juges au public, de les présenter comme des agents politiques qui luttent contre les désirs du
Les demandeurs ont plaidé que l’obligation de traduire les actes de procédure est un déni de justice puisque les personnes allophones et anglophones doivent assumer des frais additionnels afin d’avoir accès aux tribunaux. En effet, les frais de traduction s’ajoutent à une justice qui est déjà trop chère. De surcroît, les deman deurs ont stipulé que certaines contestations judiciaires sont ur gentes et doivent être terminées le plus rapidement possible, alors que l’obligation d’obtenir une traduc tion ralentit la résolution de litiges.
opinion
JUSTINE LEPIC
La décision
Les juges sont des personnes comme nous tous. Ils étaient impliqués dans des activités, des organismes et des causes avant d’accéder à la magistrature. Ce n’est pas un crime d’avoir déjà partagé des convictions politiques. Ce n’est même pas répréhensible. Les facultés de droit sont pleines d’étudiants qui militent en faveur de certaines causes, notamment la sauvegarde de l’environnement. Pourtant, on ne devrait pas fermer la porte de la magistrature à ces gens-là. Il est noble de se voir représenté dans la magistrature. Nos tribu naux ont besoin de juges ayant des vécus différents. Il serait pa resseux, par exemple, de discré diter une juge qui a milité pour la sauvegarde de l’environnement dans le passé. Il faudrait plutôt se pencher sur l’argumentaire de sa décision. Si on ne se fie qu’au parcours des juges pour tirer des conclusions sur leurs motifs, quel est le but de rendre publiques les décisions judiciaires? x
faits s’impose. Un groupe d’avo cats a initié une demande auprès de la Cour afin d’invalider deux dispositions de la loi 96. Les deux dispositions en question modifient la Charte de la langue française, soit la loi 101, et imposent une obligation de faire traduire offi ciellement les actes de procédure en français. Le défaut de ne pas obtenir une traduction entraîne l’impossibilité de déposer ces actes de procédure au tribunal. En d’autres termes, sans traduction officielle en français par un traduc teur agréé, un acte de procédure est inutile et inutilisable.
La décision de la juge Corriveau n’a pas tardé à faire réagir les juristes et les commentateurs. Les réactions sont, comme tou jours, mitigées. Les juges savent que leurs décisions vont être critiquées par le public. C’est d’ailleurs une des raisons pour lesquelles les tribunaux publient leurs décisions et essaient de les rendre plus accessibles. La transparence de la magistrature est une condition sine qua non d’une démocratie saine. Pour pa raphraser le juge en chef Richard Wagner, il faut que le public ait confiance dans le système judi ciaire et dans la magistrature, et c’est pour cette raison que les tribunaux deviennent de plus en plus transparents.
« Ce n’est pas un crime d’avoir déjà partagé des convictions po litiques. Ce n’est même pas hensiblerépré»
Je me lance à gauche pour aller vers la cuisine. Là-bas, je pose mes coudes sur le granite, je fais semblant de réfléchir. Je demande, comme d’habitude, gin, Canada Dry, citron vert — « on dit lime icitte » — et sirop d’érable, il confirme avec la tête, il est debout, il enlève tous ses vêtements, il confirme une deu xième fois en agitant le pénis. Sur le plan de travail, il sort toutes ses poudres, cristaux et jus. Il sait cor rompre et n’a pas à me le dire, son assurance le fait déjà.
vie nocturne
J’enfile des rubans qui sentent l’urine et le cuir, mes longues chaussettes noir sang. J’allume les lumières rouges sacrificielles. Mes oreilles n’arrivent plus à annuler le frigidaire, c’est l’heure où il ronfle le plus fort. Il faut de la musique. Je prends l’ordinateur et le pose sur mes genoux, le métal froid main tient mes poils en érection. J’ai choisi la chanson, on n’entend plus le frigidaire. L’interphone sonne, me fait sursauter.
J’avais oublié de mettre de la lime dans la boisson, par terre. Il rit. Avec le zesteur je râpe le fruit puis mon doigt. Nous regardons enfin du sang et nous rions. Nous rions du sang. Nous moquons nos cicatrices et je saigne sur le sang.
7vie nocturnele délit · mercredi 14 septembre 2022 · delitfrancais.com
J’ai
les doigts cadavériques et les dents qui claquent. Il n’y a plus d’eau chaude. Mon regard vidé dans les carreaux de la baignoire se remplit à nouveau. Je coupe l’eau. J’ouvre le rideau. Je pose mes orteils hésitants dans la flaque par terre. J’attrape la ser viette du bout des ongles. Je m’en veloppe dans le linceul et j’attends. Accroupi et couvert, mes lèvres se calment doucement. Je me relève pour les voir dans le miroir, mais le reflet se refuse. Avec la serviette, j’essuie la buée, je corrige ma mous tache à la pince à épiler. J’essuie la glace une deuxième fois, je coupe mes ongles ras. J’essuie une qua trième fois, je rase mes doigts avec ma moustache. Je sors de la salle de bain avec le sourire de celui qui ne comprend pas.
DÉLIT
Sous la lumière, tout est rose et violent. Je lui tends la boisson, il saisit mon bras et le verre se brise par terre, il me regarde avec ses yeux détraqués. Des morceaux de verre rentrent dans mes pieds, il ne cligne pas des yeux. Il est ferme, comme mon père, mais ce Binky, il ne l’est que quand il le faut. Je lèche son cou, il mord mon pouls, j’arrête à temps. Il me regarde douloureusement.
AU LIT
« Lui et moi sommes un guer rier, son blessécheval»
Nous nous regardons amoureuse ment. Binky et moi sommes une offrande qui attend, dans le sang rose et l’urine bleue. Dans ses yeux, je vois mon enterrement et le sien. Le sien d’abord. Binky est le seul qui mourra avant moi. Nous essayons de nous détruire, mais nous ne nous cassons qu’un peu. x
Je vais à la porte, vérifier si c’est bien lui. Je le vois à l’écran, mais j’ai besoin de l’entendre. Dans mon microphone je dis « oui ? », dans le sien il dit « c’est moi ». J’ouvre.
Prosopagnosie n. f. (neurophysiologie) incapacité de reconnaître les visages
Iltrente.aune
Le portail se referme après lui. Il lui faut trente secondes pour arriver devant ma porte. À la vingt-cin quième, je me place derrière le judas. Je ne le reconnais pas à la vingt-septième, mais il a l’air rassu rant des étrangers. À la vingt-neu vième, je déverrouille, il entre à
Nos orteils hésitent dans la flaque de sang. Ils ne savent pas s’ils trempent dans ce qui leur appartient. Je n’ai pas peur de moi quand je suis avec Binky. Lui et moi sommes un guerrier, son cheval blessé. Il ne porte plus qu’un har nais, des chaussettes bleues comme la lumière et sa queue pend sur le tabouret. Il me donne ses bonbons et mange par procuration.
moustache épaisse, il a des yeux, ils sont bleus, verts ou mar ron. Je constate qu’il a tout, rien ne manque à son visage. Il s’amuse à me voir décrypter ses traits comme si je venais de rencontrer. Nous sommes encore à la porte et il en lève son sac, ses souliers. Il porte une chemise comme un moine en maillot de bain. Son collier ras du cou, il le met pour moi, pour m’aider à l’identifier. Je lui fais remarquer qu’il est mouillé. Il ouvre la bouche pour me dire qu’il n’a pas plu pour tant, mais je le dis avant lui parce que je le connais. Son haleine et sa sueur, fraîches, l’embuent comme une vitre. Dans le couloir hémorra gique, il pose son vélo sur la selle. Il n’a pas de casque, mais j’ai arrêté
Alexandre Gontier Éditeur Vie nocturne
vienocturne@delitfrancais.com
de lui dire d’en acheter un. Il le sait. Il espère qu’il en aura besoin, mais il n’en achètera jamais. Lui, c’est Binky, comme mon père. Comme moi, il a la souffrance en bruit de fond.
Les illustrations suivantes ont été réalisées au moyen d’un algorithme informatique, à partir d’un portrait d’un portrait d’une voisine fumant une cigarette avant de se coucher, d’un plat de tentacules de pieuvre, d’une série de photos anatomiques et de passages du texte précédent.
8 vie nocturne le délit · mercredi 14 septembre 2022 · delitfrancais.com attention : danger Ces images ont été réalisées au moyen d’un algorithme informatique, à partir d’un portrait d’une voisine fumant une cigarette avant de se coucher, d’un plat de tentacules de pieuvre, d’une série de photos anatomiques et de passages du texte précédent.
Alexandre Gontier Éditeur Vie Nocturne
Éditeur·rice·s Culture
Quatre expressions où « culture » se confond parmi la multitude de significations qui peuvent lui être attribuées. Encore nous faut-il, dans l’ordre de la pensée, considérer les différentes réalités auxquelles la culture se rapporte. Ce faisant, il nous apparaît néces saire de nous interroger sur le champ sémantique que recouvre ce mot, ne serait-ce parce qu’elle donne son nom à la section dont nous sommes à la tête au Délit, qui se divise en rubriques tell es que « Théâtre », « Cinéma », « Création »,... Sans remettre en cause l’intérêt pratique de ces catégorisations artistiques, elles s’avèrent peut-être limitatives pour appréhender de façon plus conceptuelle l’idée de culture(s).
Signalons d’entrée de jeu que le présent article – que l’on pour rait qualifier d’essai – ne cherche pas à parvenir à une généralisa tion totalisante de la culture, dont la conception fluctue selon les époques et les sociétés. Ce texte s’offre plutôt comme une piste de réflexion sur certaines prob lématiques entourant le terme « culture », notamment en ce qui concerne son acception indivi
Or, si une personne originaire de l’Amérique du Nord venait à pass er plusieurs années au Vietnam, il est fort probable que cette dernière s’adapterait aux normes sociales vietnamiennes et viend
est hérité de la culture et ce que nous devons au monde naturel? Considérée ainsi, la définition de l’UNESCO omet un sens « plus large » de la culture, celle qui transcende l’appartenance à un groupe social ou à un autre.
ulture populaire, culture générale, cultures du monde, « cancel culture ».
duelle ou collective. Distinguons d’abord ces deux notions. D’une part, l’acquisition person nelle de nouvelles connaissances et le développement des facultés de l’esprit doivent être départagés de la culture propre à un ensem ble d’individus. Si la culture de chacun·e contribue sans doute à l’enrichissement de la collec tivité, il serait faux de penser que les positions de quelques esprits instruits puissent être attribuées à l’ensemble du groupe social auquel ils appar tiennent. L’acquis intellectuel s’avère foncièrement différent de l’acquis social, le premier néces sitant un examen de la pensée avant d’être assimilé, alors que le deuxième peut très bien être hérité sous la forme d’automa tismes culturels. Ces derniers se manifestent entre autres par des comportements tellement ancrés dans les usages qu’ils appara issent innés. Nous n’avons pas besoin de réfléchir avant de dire « merci » lorsque quelqu’un nous rend service ; nous savons intu itivement, par le biais de notre éducation et du poids des attentes extérieures, que les remercie ments sont valorisés socialement.
Percevoir la culture comme étant une preuve de l’esprit raison nable exclusif à l’humain relève donc de la fausse croyance. Si la capacité cognitive de l’humain est plus développée que le reste du règne animal, elle ne permet pas de lui attribuer une nature singulière, capable à elle seule d’expliquer le phénomène de culture. La théorie darwinienne ne saurait trop nous rappeler que l’humain ne peut s’extrai re entièrement de l’évolution naturelle qui a laissé certains attributs biologiques en lui, comme son réflexe de survie et son anatomie particulière. À quoi reconnaît-on alors la spéc ificité de la culture humaine? la dichotomie entre « nature » et « culture ». Sommes-nous culture(s)? Culture
Among the Nacirema (Rituels corporels chez les Nacirema, tdlr) d’Horace Miner, qui exot icise la société américaine. Ainsi, nous pourrions résumer la notion de « culture collective » à l’ensemble des conventions, des coutumes et des connaissanc es – non individualisées, mais partagées – d’un groupe social, qu’il s’agisse de ses traditions, de ses lois, de ses valeurs, de ses pra tiques artistiques ou religieuses. La définition de l’Organisation des Nations unies pour l’édu cation, la science et la culture (UNESCO) abonde dans un sens similaire : « La culture, dans son sens le plus large, est considérée
C
s’agit d’une preuve de politesse en contexte nord-américain.
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laura tobon | le délit
rait à penser que les remercie ments à la suite d’échanges mon nayables sont superflus. En effet, une pratique qui semble « nor male » au sein d’un certain groupe social peut devenir « étrange » dans un autre contexte et, avec un certain recul, nous pouvons même remettre en cause la « nor malité » des pratiques et des rit uels que nous tenons le plus pour acquis, comme le fait notamment l’analyse satirique Body Ritual
9CUlturele délit · mercredi 14 septembre 2022 · delitfrancais.com RéflExion PHILOSOPHE Déconstruire
léonard smith sophie ji
« Percevoir la culture comme étant une preuve de l’esprit rai sonnable exclusif à l’humain relève donc de la fausse croyance » « À quoi reconnaît-on la spécificité de la humaine? »culture
il vraiment le seul mammifère à être doté d’une intelligence lui permettant de posséder la nature? Les chimpanzés mon trent également une capacité à s’outiller de bâtons pour recue illir des termites nichés au fond des arbres, « méthode qu’ils se transmettent de génération en génération ». Les éléphants, quant à eux, sont capables de pressentir la mort et vont se mettre à l’écart de leurs sembla bles pour mourir. Il s’agit, pour le chercheur Étienne Danchin et plusieurs autres, d’exemples de cultures qui existent à l’état ani mal, même si elles demeurent, d’un point de vue externe, inégalables à la complexité du développement culurel dont est capable l’humain.
Une culture universelle?
Si nous comprenons la cul ture comme « ce qui s’oppose à (ou dépasse, ou maîtrise) la nature », selon une définition de la philosophe Anne-Marie Drouin-Hans, nous pourrions avancer qu’elle opère selon un mode rationnel à des fins d’appro priation. Par exemple, l’humain du paléolithique, par sa capac ité analytique, a su développer des outils lui permettant de pêcher et de chasser. Mais est-
Définitions : culture indi viduelle ou collective?
comme l’ensemble des traits distinctifs, spirituels et matéri els, intellectuels et affectifs, qui caractérisent une société ou un groupe social. » Ces « traits dis tinctifs », comme nous l’avons vu, forment l’unicité, les par ticularités et la non-conformité d’un groupe social par rapport à un autre. Mais ne permettent-ils pas, avant même de produire des différences interculturelles, de délimiter la frontière entre ce qui
Quatre locutions qui, alignées l’une après l’autre, paraissent redondantes par l’utilisation d’un dénominatif commun.
D’autre part, l’individu issu d’une certaine culture n’est pas poussé à agir de la même manière que l’individu issu d’une autre cul ture. Les dispositions sociales dans lesquelles nous sommes poussé·e·s à remercier varient selon le contexte culturel dans lequel nous sommes immergé·e·s. Au Vietnam, par exemple, il est considéré comme superflu de remercier son interlocuteur·rice pour des échanges monnayables, alors que nous estimons qu’il
« L’acquis intellectuel s’avère différentfoncièrementdel’acquissocial »
Opposer nature et culture : une construction sociale?
passées. Mentionnons à ce titre le parc national de Yosemite, reconnaissable à ses vallées et ses formations rocheuses ver tigineuses, qui ne peut pas être considéré hors de l’histoire cul turelle des Ahwahnechee ayant pratiqué des brûlis (déchiffre ment par le feu) sur ce terri toire. Bien sûr, nous pourrions « camoufler » les clairières par un travail de reboisement, mais celui-ci serait issu d’une décision culturelle visant à redonner à la forêt de Yosemite son appar ence première. De plus, doter un certain territoire de l’étiquette « parc naturel » dans le cas de l’UNESCO, c’est déjà le sou mettre à des politiques strictes de protection et de conservation de l’environnement qui régiront et restreindront son entretien.
Le langage écrit, par exemple, est signifiant à condition qu’il établisse un consensus entre le mot et son référent ; indépen damment de toute connaissance des langues humaines, il nous serait impossible de déchiffrer les traits d’encre abstraits qui figurent sur une page. Au même titre que la passation d’histoires orales, l’écriture n’occupe aucune fonction du point de vue de la survie biologique, mais témoi gne du besoin plus profond de l’humain d’immortaliser ses idées à travers le langage. Mais ce caractère de « permanence » attribué à l’écrit, que peuvent bien en faire les animaux? Il nous serait inversement diffi cile de prétendre posséder une connaissance sans équivoque de la conception de la transmis sion chez les chimpanzés d’âge adulte qui enseignent aux plus jeunes à recueillir des termites à l’aide de bâtons. En effet, calquer
Le flou entre ce qui appartient en propre à la nature ou à la culture résulte de la difficulté ontologique de l’humain à clas sifier ce qui, chez lui, est de l’ordre de l’ inné ou de l’ acquis Nous avançons toutefois que l’humain possède une certaine propension qui le pousse à s’ap proprier son environnement ; il doit décomposer le monde – de manière pragmatique et ana lytique – pour le comprendre et par la suite s’en emparer, le maîtriser. La nature première de l’humain, ne serait-ce pas justement la nécessité de culture qui s’exprime à travers lui?
Arrêtons-nous un peu sur la nature de ces délimitations arbitraires. N’est-il pas vain de tenter d’attribuer des car actéristiques exclusives se rapportant au naturel et au culturel, alors qu’il s’agirait de deux notions faisant partie d’un tout complémentaire?
laura tobon | le délit
Envisageons la culture comme l’expression d’une volonté d’ ordonner le monde inhérente à l’humain. S’il n’est au com mencement qu’un primate devant agencer les ressources à sa disposition pour fabri quer des outils lui servant à se protéger de la vie sauvage, l’humain sera au cours de son évolution amené à développer
« Doter un certain territoire de l’éti quette ‘‘parc naturel’’ dans le cas de l’UNESCO, c’est déjà le soumettre à des politiques strictes de protection et de conservation de l’environnement qui ré giront et restreindront son entretien »
« Ce désir irrépres sible de classifica tion de l’humain, selon une idée trouvel’anthropologuedeMaryDouglas,àsonorigineunbesoindecréerdusensautourdelui»
notre propre conception de la culture sur leur interprétation du monde relève de la fantas magorie. Leur manière inven tive de se nourrir relève-t-elle alors d’un phénomène naturel, garantissant une meilleure per pétuation de l’espèce, ou n’est-ce pas aussi une forme de culture consolidant les liens intergénéra tionnels entre chimpanzés?
« puissancel’humainPouvons-nousaffirmerqueestd’unetellequ’ilpeutsoumettretouteformedevienaturelleàsavolonté?»
Selon l’historien de l’envi ronnement William Cronon,
10 CULTURE le délit · mercredi 14 septembre 2022 · delitfrancais.com Réflexion
opposer de façon stricte l’idée de la « culture » à celle de la « nature » – et particulièrement se convaincre que la nature existe à un état « pur » qui devrait être protégé de l’activité humaine – est paradoxal, car au final, elle exclut les êtres humains du monde naturel et mène à la seule conclusion que pour « sauver » la nature, les êtres humains doivent dis paraître. Or, détenons-nous autant de contrôle sur la nature que nous le prétendons? Pouvons-nous affirmer que l’humain est d’une puissance telle qu’il peut soumettre toute forme de vie naturelle à sa volonté? Si tel était le cas, nous serions pleinement maîtres des pulsions qui régissent nos mécanismes inconscients.
un système de pensée lui per mettant de classer ses valeurs, ses opinions, ses croyances, bref, tout ce qui constitue sa culture individuelle mise en relation avec les exigences du « vivre-ensemble » auxquelles il doit se conformer. Ce désir irrépressible de classification de l’humain, selon une idée de l’anthropologue Mary Douglas, trouve à son origine un beso in de créer du sens autour de lui, plus précisément de faire correspondre sa propre capacité réflexive à la com plexité du monde extérieur, pour l’appréhender selon un ordre logique et cohérent.
L’humain peut être considéré toujours insatisfait de sa nature instinctive, en ce qu’il ne peut se laisser gouverner par ses seules déterminations innées ; il cherche à établir ses propres lois vis-à-vis de la nature pour s’en faire « maître et possesseur », selon une idée de Descartes. Mais il ne peut non plus se lim iter à contrôler la nature par la fabrication d’outils utilitaires ; il doit concevoir la culture comme créant de véritables « espaces symboliques » – selon une expression de Stéphane Vibert – qui structurent sa manière d’envisager sa place au sein du monde. La culture humaine possède une valeur sur tout pour ce qu’elle représente et pour le sens que nous lui attribuons collectivement.
Pour comprendre cette dernière idée, prenons l’exemple des 257 parcs naturels protégés par l’UNESCO en date d’aujourd’hui. Préserver l’« état de nature » de ces espaces géographiques, à l’image d’une carte vierge dépourvue de toute influence culturelle, participe d’un aveu glement volontaire, dans la mesure où l’impact des activités humaines sur leur écosystème est déjà irréversible. On peut pré tendre autant qu’on veut qu’on se trouve dans une forme de nature pure, mais peu importe l’endroit où l’on se trouve, l’environne ment conserve l’empreinte –directe ou indirecte – des occu pations humaines actuelles ou
Avancer que l’être humain peut précisément identifier la nature et la culture comme deux concepts distincts peut sembler présomptueux, dans la mesure où l’on peut arguer qu’il n’est lui-même pas en mesure de complètement se définir. Oui, nous avons probablement toutes et tous le sentiment d’être une personne distincte, capable de se définir comme un « soi » évoluant dans le temps avec une certaine continuité, mais au-delà de ça, qu’est-ce qu’un humain? Un « bipède sans plumes »? Ou, comme Carl Linnaeus – premier naturaliste à avoir classifié l’être humain dans le règne animal – a origina lement défini l’espèce « Homo » dans le Systema Naturae , un primate en mesure de se recon naître lui-même et de recon naître ses semblables? En effet, la première édition du Systema Naturae en 1735 comportait comme seule définition de l’être humain la mention Nosce te ipsum (« Connais-toi toimême »). Il divisait aussi l’être humain en quatre « variétés » pour le moins questionnables ; on peut donc se demander ce qui nous distingue vraiment au final des autres espèces animales.
de la culture : espace, identité, et les politiques de la différence, tdlr), accepter sans équivoque que chaque groupe social peut être associé à une culture définie selon un emplacement géo graphique ne reflète pas les réal ités de plusieurs groupes sociaux.
Réflexion
À quoi réfère donc la notion de culture? Une catégorie arbi traire? Un terme vidé de sens par la surabondance de ses acceptions? Ou encore, lorsque nous envisageons la pluralité des cultures, une somme de réalités intersubjectives part agées par un groupe social?
laura tobon | le délit
« Les rubriques de la section Culture au Délit formalisent elles aussi une cer taine conception de la culture »
Jusqu’à un certain point, oui. Mary Douglas suggère, comme
Dans un sens, la distinction entre la nature et la culture est simi laire à celle entre l’être humain et toute autre espèce de primate ; nous avons peut-être une cer taine idée de ce que représente l’idée de nature par rapport à celle de culture, mais définir les deux concepts conjointement s’avère ardu et toujours sujet à débat. Pourquoi? Le chercheur en sciences sociales Bruno Latour dirait que c’est parce que cette distinction est factice ; pour lui, nous serions dans un monde rempli d’hybrides qui fran chissent sans cesse les limites entre nature et culture. La cher cheuse en études autochtones Zoe Todd, de son côté, avance plutôt que c’est en raison des relations et interactions com plexes entre êtres humains et non-humains. Les êtres humains et non-humains ne cessent de mutuellement s’affecter, et les actions de l’un ne cessent de se « réfracter » sur l’autre, de façons multiples et imprévisibles.
Notre façon limitée de percevoir la culture en tant que concept fixe, facilement défini, ne corre spond pas à la réalité culturelle,
En effet, cette idée exclut les habitant·e·s des régions fron talières et celles et ceux qui ont un mode de vie transnational ou nomade ; le concept de culture en tant qu’entité discrète et définie ne permet pas, par exemple, de représenter adéquatement le mode de vie des travailleur·se·s agricoles migrant·e·s qui passent la moitié de l’année dans un pays et l’autre moitié dans un autre. Délimiter une culture à l’aide d’une région géographique et d’un groupe social particulier ne tient non plus compte des différences culturelles au sein d’un même groupe social ; dans un monde
qui est, quant à elle, mouvante, instable, et contestable. La culture dépasse les définitions uniques, mais cela ne devrait pas nous inciter à complète ment la rejeter ou encore tenter d’arrêter d’y penser ; que nous le voulions ou non, le terme continue d’être utilisé pour discriminer et exclure certains groupes sociaux, mais il réfère aussi à toutes les formes d’arts et autres créations humaines et non humaines qui ont un pou voir unificateur significatif.
11culturele délit · mercredi 14 septembre 2022 · delitfrancais.com
précédemment mentionné, que tout groupe social possède un système de classification de la réalité, et que lorsqu’un élément chamboule l’ordre de ce système, il est classifié comme étant « souillé », ce qui expliquerait en partie le fait que chaque groupe social avait déjà une notion de « propreté » et de « souillure » bien avant la découverte des germes. Nous sommes d’une cer taine manière prisonnier·ère·s de nos cultures, en ce que les systèmes de classification de la réalité créés par les toiles de significations que nous tissons s’imposent à nous et influen cent nos comportements.
En revanche, voir la culture strictement comme un sys tème de classification propre à un groupe social défini peut s’avérer réducteur, car cette idée insinue que chaque groupe social détiendrait sa propre cul ture qui s’inscrit comme un tout cohérent aux limites sociales et géographiques claires. Comme le soulignent Akhil Gupta et James Ferguson dans leur essai Beyond Culture: Space, Identity, and the Politics of Difference (Au-delà
de plus en plus mondialisé, les identités et les sentiments d’af filiation à certaines pratiques et groupes sociaux s’avèrent de plus en plus mouvants et contestés. Gupta et Ferguson soulignent aussi que les hybrides culturels postcoloniaux remettent en question la façon de concevoir la culture comme étant imper méable et associée à un lieu géographique précis ; peut-on affirmer que les hybrides post coloniaux sont de « nouvelles » cultures à part entière sans décontextualiser les histoires coloniales? Finalement, aborder les associations fréquentes, voire presque automatiques que nous avons l’habitude de faire entre groupes sociaux, emplacements géographiques et cultures délim itées permet de mettre de l’avant les diverses relations de pouvoir responsables des changements sociaux et culturels plutôt que de créer la fausse impression que ceux-ci sont principalement dûs à des dynamiques géographiques.
La culture, une prison de sens?
Les rubriques de la section Culture au Délit formalisent elles aussi une certaine con ception de la culture, en ce qu’elles sont caractérisées par la pluridisciplinarité du champ artistique. Or, il nous faut envisager la culture dans ses dimensions élargies et plurielles, sans toujours vou loir l’opposer à la conception peut-être fautive de ce que nous avons assimilé comme apparte nant au « monde naturel ». x
« L’anthropologue Clifford Geertz, en s’ins pirant de Max Weber, avance que l’humain est un animal pris dans une toile de signifi cations qu’il a lui-même tissée, et que cette toile se nomme ‘‘culture’’ »
« Peut-on affirmer que les tualisertièrepostcoloniauxhybridessontde‘‘nouvelles’’culturesàpartensansdécontexleshistoirescoloniales?»
L’anthropologue Clifford Geertz, en s’inspirant de Max Weber, avance que l’humain est un animal pris dans une toile de significations qu’il a lui-même tissée, et que cette toile se nomme « culture ». Pour Geertz, la culture ne comporte donc pas de lois objec tives et ne peut pas être testée à l’aide de la méthode scientifique. Il suggère plutôt que la seule façon de s’intéresser à la culture serait de l’approcher herméneutiquement, en l’interprétant. Devons-nous alors conclure que nous sommes prisonnier·ère·s de la culture?
Peu importe les causes attribuées à la difficulté de définir la « nature » et la « culture », cette division demeure sujette à débats, tout en comportant des conséquences concrètes – en affectant nota mment ce que diverses luttes environnementales décideront de protéger ou de ne pas protéger. Les activités humaines accélèrent les extinctions et autres catastrophes naturelles. Toutefois, affirmer que les interventions humaines à elles seules peuvent complètement contrôler la nature ne reflète pas la force de cette dernière, qui per siste dans son refus de se plier aux désirs humains, comme lors de la campagne des quatre nuisibles de Mao Zedong à la fin des années 1950. Sans personne pour la défen dre, la distinction entre nature et culture n’existe pas, ses limites sont mouvantes et contestées ; cette distinction est socialement créée, et sans cesse recréée.
laura tobon | le délit
ous le chapiteau de cirque se trouve un lieu d’une profonde richesse fan taisiste, un monde libérant la pensée de toutes les contraintes de l'habitude. Dès que les lumières s’éteignent, l’auditoire est plongé dans un univers inconnu. Le samedi 3 septembre, c’était celui de TISS cabaret.
Au sein de cette tempête de mots, un dialogue en français se forme mais se heurte bientôt à la réalisation de la différence. Cette différence se manifeste par un filet qui se balance entre les deux narratrices, et qui découpe la conversation au gré de ses allers-retours, soulignant les frontières qui séparent les indivi dus : les narratrices prononcent toujours les mêmes phrases à l’exception du dernier mot.
S
Uni·e·s sous le chapiteaucirqueculture
S’ensuit une série d’actes au travers desquels les artistes apprennent à se situer au sein d’un groupe. Chaque mouvement est partagé, chaque individu abandonne une partie de lui-même à la recherche d’un mouvement com mun, mouvement plus grand que la somme des individus. Entre autres, filunemembrestivetransmetsoisagetournureLefleurissentmentcompères,souschaquepercussive,deautantnaissantel’harmoniedurythmevisuelqu’auditiflatroupededanseoùl'onvoitdanseur·sesemouvoirunemesureclaquéeparsesnousrappellecomlesformeslesplusbellesd’uneffortcollectif.spectacleprendalorsunenouvelle.Cemesd’unitéetd’abandondeauseindelamultitudesedemanièreparticipaauxspectateur·rice·s.Lesdupublicsepassentpelotedelaine,tenantletraînantderrièrelapelote
La symbolique du filet semble alors devenir autre ; il n’est plus ce qui entrave les personnages du spectacle, mais bien ce qui les soutient et les élève vers leur épanouissement collectif. Il est l’étoffe cousue par les liens que les artistes individuel·le·s ont tissés entre eux·lles. x
Un charabia hétéroclite s’empare de l’ouïe alors que les artistes amorcent le spectacle. Se fracasse chaotiquement une averse de dialectes épars qui sème l’incompréhension : anglais, français, espagnol et allemand s’entrelacent en guise de bienvenue.
TISS Cabaret : invitation à tisser des liens.
le délit · mercredi 14 septembre 2022 · delitfrancais.com12
Le public étant rassemblé et ne formant plus qu’un, les circassien·ne·s orchestrent une symphonie que seule la toile qui unit le chapiteau pourrait jouer. Chants aigus et graves, claque ments de main et de doigts se
confondent et se complimentent alors qu’une section sifflote un air et qu’une autre tambou rine. L’espace même semble alors fredonner un air qui vient toucher le cœur du moment.
Le récit progresse, mais les his toires des narratrices divergent. Le personnage de la petite Julia, la protagoniste de la première des deux histoires contées, se retrouve prisonnière du filet de ces divergences. Alors qu’elle jonglait initialement avec des pelotes de laine, on voit un filet qui se resserre autour d’elle petit à petit. Julia s’enfarge et trébuche en tentant d’échapper au nœud qui espérantdansTimmylesemblesonindividualité,découvrirsiontionlaaveuglémentsefilet.l’essencequeTimmyJuliainconnuEmprisonnéel’étreint.parlesentimentd’êtreprisdansunfilet,laisseplaceaurécitdeetc’estparsonvoyagel’onchercheàcomprendremêmedecequ’estleJongleriesetacrobatiesconfondentalorsqu’iltâtelenœudcentraldetoilequilepiège.Sonexploral’entraînedansuneascenautermedelaquelleilparaîtcequil’entrave :sonsadifférence,soiestlabarrièrequil’isoler.Pourtraverserfosséquilesépared’autrui,s’élanceetseconfielesbrasdelanarratriceenqu’ellel'accueillera.
qu’ils·elle·s envoient à un·e voisin·e. La timidité de chaque spectateur·rice s’introduisant et s’ouvrant à ses voisin·e·s se transforme bientôt en émer veillement tandis que le chapi teau s’unit sous une toile de laine reliant tout un chacun.
malo salmon Éditeur Opinion