le d茅lit 路 mardi 31 mars 2015 路 delitfrancais.com
cahier cr茅ation
I
Impression de lecture – 38 cents gwenn duval
L
aissez-moi vous raconter l’histoire peu banale d’une altercation avec une imprimante. C’est elle qui a commencé, elle m’a dit que mon document était imprimé, alors que c’était faux. J’ai fini par appeler le service avec le petit téléphone disposé à côté tout exprès. Après avoir passé quelques minutes a écouter tout le message d’information, je tombe finalement sur quelqu’un. Le quelqu’un au bout du fil ne m’entend pas. Munie d’une grande patience qui m’étonne moi-même, je rappelle. L’imprimante ne fonctionne toujours pas, j’explique au monsieur au bout du fil que la machine a quand même mangé mes dollars. Il m’explique que je dois remplir un formulaire pour me faire rembourser. Je ne peux pas imprimer le formulaire,
l’imprimante me mange mes sous et n’imprime rien. De toute façon, même si ça fonctionnait, l’imprimante mangerait mes sous pour imprimer le formulaire. J’aime pas quand les imprimantes mangent mes sous sans me donner de papier en retour. J’aime pas trop perdre mon temps non plus, time is money, dites-le aux imprimantes. En plus, elles se nourrissent de mensonges… ce doit être un problème étymologique… les impri-mentent. Même quand elles annoncent un prix, elles mentent. Mais qu’est-ce qu’on peut faire contre une imprimante? Un morceau de plastique technologique qui vous manque de respect, ça n’est jamais facile à contrecarrer. Aujourd’hui imprimée dans le journal, l’affaire est pliée.
Avalés Tu es avalé par les tsunamis, mais je ne pense qu’à être celle qui va temakeyoustay up all night.
Je ne veux pas être avalée à mon tour, puisque je sais que ton bateau va couler.
Tu es un océan toxique que j’avale malgré tout, car tu es le seul remède que j’aie.
Garçon
Mais j’oublie que t’es l’huile qui ne dilue pas.
Tu es englouti par les tsunamis, je n’ai pas le choix d’être ton ancre. On restera up all night une autre fois.
Que je sois avalée aussi m’importe peu.
En autant que je sois avalée avec toi.
Des traces de pneus sont imprimées sur ma peau de miel. J’aurais dû tirer les freins lorsque t’as dépassé les mille kilomètres à l’heure. Mais la course me rendait vivante.
Maria Magdeleina Lotfi
Je savais que le camion allait frapper le peauto. Mais tu étais mon seul vœu. Les traces de tes pneus sont imprimées sur ma peau de miel et ça collera. Maria Magdeleina Lotfi
II
Cahier création
le délit · mardi 31 mars 2015 · delitfrancais.com
La pente
Sur ton vélo.
ines du
bois
Un dos Devant moi, Sur lequel je peux me pencher.
Sentir mon corps Aussi léger que celui d’un oiseau. Mais je triche, les joues teintes, Posant mes doigts sur tes épaules,
Mes bras,
Déshabiller Mon innocence, Apprendre à voler Avec toi.
Puis ma tête. Je me laissais porter Yulina Ashida
Pieds nus, Par tes yeux, verrons.
Les sourires noyés, Ma robe froissée.
Yulina Ashida
le délit · mardi 31 mars 2015 · delitfrancais.com
Cahier création
III
matilda nottage
Comment j’ai voulu arracher mon visage pour que Lars Von Trier parle de moi noémy grenier
U
ne salle de bain. Avec un évier au robinet rouillé par le temps. Et des filaments d’eau qui s’esquivent, petite rébellion égouttée. Une jeune fille. Mince, aux yeux bleus, à la peau livide. Jolie somme toute, mais enlaidie par une triste mélancolie. Assise sur le sol, elle se fixe dans la multitude de miroirs qui l’entourent. Tout l’obsède. Le nez. La forme des yeux. La bouche. La musculature. Le frisottis du cheveu. Constants rappels. Saisie de peur, elle scrute ses oreilles, les tire, les compare. Oui, elles sont comme celles de son père, mais le lobe est différent. Oui, le lobe la sauve. La courbe douce, les poils rares, blonds. Les murs, tapissés de miroirs, la laissent perplexe. Elle voit une étrangère alors qu’elle ne veut être qu’elle-même, un corps qui soit à elle, de elle. Un corps qui ne soit pas de son père. Elle veut un miroir qui reflètera sa propre image, non celle de cette hybridité impropre que lui a imposée la nature. D’ordinaire, on causerait métissage. Ici, il faut plutôt causer hybridité. Car même les traits de ses géniteurs refusent de s’unir en son visage. Arène de combat, elle voit le bleu maternel de ses yeux agresser l’amande paternelle de la paupière. Elle voit le noir bleuté de ses cheveux combattre ses boucles. Elle ne veut plus de ces marques de possession. Se relevant lentement, elle sort de la salle de bain. Ses doigts fins se posent sur la poignée, laissant le froid de l’acier transpercer ses pores. Je vois ses hanches qui balancent, qui hésitent. Elle avance dans le couloir. Son profil se dessine, colérique. La mâchoire est tendue, les lèvres sont pincées. Sa chevelure voltige, milles flammes ténébreuses qui assènent sa peau livide. Je m’aperçois que mon personnage a peur. Ses poils sont dressés, sa chair frissonne. Je vois ses longs cils noirs s’abattre sur ses joues creusées. La mer bleue se parsème de nuages mordorés, la prunelle se rapetisse. Muette d’horreur, je comprends enfin pourquoi elle a peur. J’ai envie de lui dire que ce n’est pas grave. Que cette paternité qui l’horripile, elle peut l’accepter. Mais elle ne m’écoute jamais. Je veux détourner la tête, poser mon crayon, immoler l’action là. J’ai envie d’arrêter d’écrire. Envie de lui hurler de ne rien faire. Mais elle ne veut pas. Elle se tourne vers moi, plante ses yeux pairs dans mes yeux pairs. Mon crayon se pose violemment, griffe la feuille, l’assassine de mots violents. Je remarque alors ces formes ingrates, ces traits dus à mon père. Mon personnage me rappelle d’où je viens. Lentement, je me lève, saisis mon crayon et le plante dans ma chair. Je sens le bois qui transperce la peau, les veines, les muscles. La mine me viole, m’écartèle. Le sang gicle, je hurle. Mou, mon corps retombe sur le sol. Le sang s’imbibe sur mes feuilles, effaçant ces heures de folie.
IV Cahier création
Brullols D’un cri étranglé. Dense. comme celui qui fait fuir les flocons, qui cambre au son des freins d’un camion, qui se noie dans une flaque de pétrole après s’y être jeté qui respire les bras ouverts les pets-échappements, d’un couloir sans début je nomme cette pomme d’immeubles.
D’après les bruits; roulants, coupés, de sacs poubelles, procréateur de fœtus mal placés d’yeux ridés au bord du balcon cherchant des potins sur la voisine à talons aiguilles et son caniche moutardeu qui s’arrêtent au pied d’un platane recoiffé tous les jours d’après les grands noirs trainant des clochettes de fer à quatre roues deux euros le kilo et les vieillards poursuivant au cri Attention avec monsieur les enfants on nomme les pavés sur lesquels rebondit la balle de foot que rechoute sa Nike.
Sofia Enault de Cambra
le délit · mardi 31 mars 2015 · delitfrancais.com
chloé Anastassiadis
Ma langue tordue C’était une poupée blanche, les lèvres cramoisies étaient pétrifiées dans un sourire que j’essayais d’élargir, Lui changeant les habits les sacoches pour des espardenyes les tresses pour un mouchoir tordu que je replaçais autour du cou.
Je l’emmenais en voyage, ma main autour de sa hanche douce et fragile, reposant sur ma cuisse, les jambes écartées, elle dormait, passive, sur le même oreiller que mes lèvres je lui apprenais les chansons de Cuba et celles que les pubs nouveaux voulaient bien partager.
Quand son bras se cassa, je lui joins celui d’une autre. Je n’avais que des poupées aux accents brisés que je croyais proches et je retrouvais lointaines, Je n’avais que des poupées aux textualités différentes que je croyais dominer. Mais je ne suis qu’un fœtus, porté au monde pas leurs doigts en porcelaine, corps d’araignée placé sous couveuse, tarantula volé de son venin, axolotl sans eau propre dans un aquarium surpeuplé.
Sofia Enault de Cambra
Mon petit lac de paix Danielle Green
J
’ai mémorisé le trajet quand j’avais dix ans : sors de la maison, tourne à droite, marche jusqu’à la rue Fremont, puis tourne à gauche. Ça prend dix minutes facilement et puis on est à Grass Lake. Le lac est très petit, à peine plus grand qu’un terrain de baseball. Jusqu’aux années 40, mon quartier était parsemé de fermes et Grass Lake était un réservoir pour les animaux. Heureusement, quand on a construit les maisons, on a décidé de garder le petit lac. Quand ma sœur et moi étions petites, notre père nous y amenait les soirs d’été. Nous suivions le chemin de terre et ramassions des fleurs et des escargots. J’aime encore me promener à Grass Lake. L’été, la pluie le remplit et les canards nagent partout. Les roseaux poussent sur les bords du lac et l’eau a l’air d’être bleue-verte à cause des algues. L’hiver, le lac gèle et la neige le recouvre. On peut toujours voir les pointes de roseaux par-dessus la glace. Mais, ma saison préférée à Grass Lake, c’est l’automne, quand les feuilles rouges flottent sur l’eau. Les oies volent au-dessus en cacardant, et le vent produit des vagues dans l’eau. Quand je me promène autour du lac, il y a un endroit où je m’arrête toujours. Pour la grande partie du trajet, il y a des arbres entre le chemin et le lac, mais à mon endroit, le chemin remonte une petite colline et les arbres disparaissent. On peut voir tout le lac et les jolies maisons autour de celui-ci, et cela me fait toujours respirer profondément. Toutes les fois que je suis à la maison pour les vacances, je suis la route familière jusqu’à Grass Lake, des fois avec mon père et des fois seule. C’est un endroit paisible pour moi, un endroit qui, malgré les années, reste le même.
le délit · mardi 31 mars 2015 · delitfrancais.com
Cahier création
V
Ça ne voulait rien dire
camille biscay
J’avais cru. Déambulant songeur dans les rues de la ville. «À quoi bon?» Ferme-là maintenant. J’avais bu. Chassant ce léger doute qui nous met tous en péril. «Tu me crois enfin?» Toujours pas. J’avais fui. Comprenant que tout était peut-être écrit? «Tu penses tenir encore longtemps?» résistance. Et cette lune! «Tu n’as jamais vraiment cru.» Et ce froid
Arthur Corbel
camille biscay
VI Cahier création
le délit · mardi 31 mars 2015 · delitfrancais.com
De vieux amoureux Victoria Svaikovsky
M
aman et moi nous roulions dans un train vers la Saskatchewan, pour aller là-bas empêcher un mariage. Pour empêcher un mariage, c’est tout ce qu’elle m’avait dit avec un sourire espiègle quand elle m’avait donné mon billet et une valise vide. Même une heure après être montées dans le train un silence nous enveloppait. Ma mère s’appuyait contre la fenêtre en regardant les images des campagnes et des fermes vaciller. Dans ses mains elle tenait avec fermeté les photographies de sa jeunesse qui tremblaient à chaque vibration du train. Finalement, elle a poussé un gros soupir, elle s’est tournée vers moi, et elle a commencé à raconter. «Comme tu le sais bien, quand j’avais ton âge j’ai rencontré ton père. On s’est amusés, on est sortis, on s’est mariés, on était contents. Ce n’a pas duré longtemps, mais nous étions contents.» «Ouais, Maman…» ai-je dit, «j’ai entendu cette histoire plusieurs fois. Mais papa, il habite pas en Saskatchewan…» «Je sais, mais ce voyage n’est pas pour lui. En fait, mon histoire commence bien avant ton père.» Elle s’est tue, et un autre silence a rempli l’espace entre nous. Puis elle a repris de plus belle. Pendant qu’elle parlait, un sourire est apparu sur son visage. «À l’école secondaire, j’ai rencontré un mec parfait. Il s’appelait Claude. Nous sommes sortis pendant trois ans, et quel bonheur on a partagé ! Il était si sympa, si généreux. Je l’aimais et il m’aimait encore plus fort. J’ai pensé que je me marierais avec lui…mais pour l’université, il est resté en Saskatchewan, et moi j’ai déménagé au Québec. Il était trop loin. Nous avons essayé de rester ensemble mais c’était trop difficile.» «Et puis, j’ai pris la pire décision de ma vie. J’ai rompu avec lui. La distance était trop grande. Je ne le voyais que deux fois par année. Ensuite, on a continué à communiquer avec des lettres. Au début les lettres arrivaient vite l’une après l’autre, mais bien sûr avec les années, plus de temps s’écoulait entre chacune. Je savais qu’il avait connu une autre femme et qu’ils s’étaient mariés… Puis c’est dans ce temps-là que je sortais avec ton père, et j’ai décidé de me marier avec lui puisque Claude avait fait la même chose… Au fil du temps, les lettres sont devenues rares. Dix ans plus tard, j’ai appris qu’il avait divorcé et je voulais le contacter mais c’était trop tard. En fait, j’ai entendu dire qu’il se remarierait bientôt—» Je me suis exclamée : «Oh ! ». J’avais l’impression de comprendre. « Donc c’est ça ! Tu as décidé qu’il fallait le rencontrer encore…retisser des liens…l’empêcher de se remarier car c’est avec toi qu’il doit être ! Oh Maman c’est tellement romantique! Et c’est pour ça que tu as des photos de ta jeunesse ! Tu vas lui rappeler votre amour et—» «Pas tout à fait…» m’a-t-elle interrompue. « Ce voyage n’est pas pour lui non plus. Non, ma chérie…ce voyage est pour toi.» «Je comprends pas…» «Je ne veux pas que tu te trompes comme moi. Je ne veux pas que tu te contentes d’une situation pareille…» J’étais choquée. «Avec mon copain d’université ? Michel?» Ça faisait des mois que je n’avais pas pensé à lui pendant des mois. «Donc…» «Donc…sa mère m’a dit qu’il se marierait ce weekend en Saskatchewan…» «Maman, t’es pas sérieuse ! C’est une blague ? Je ne lui ai pas parlé pendant deux années et tu veux que je gâche ses noces?» «Euh bien…oui.» Elle a répondu avec un tel calme qui m’a fait rire malgré le mariage que nous allions bientôt ruiner. J’ai hésité. J’y ai réfléchi. Et finalement j’ai dit, «…D’accord.» Je ne savais pas ce qui se passerait. Je ne savais pas comment il réagirait. Mais je savais que dans mon ventre je sentais des papillons. Maman regardait ses photos avec des yeux mélancoliques et nous roulions vers la Saskatchewan pour empêcher un mariage.
Les Rencontres Chemise rentrée, cheveux impeccables, je présentais une figure nette; Pièce d’identité à la hanche, stéth autour du cou, je tenais haute la tête. Je croisais les infirmiers, les médecins ou dirais-je mes saints de saints, Qui me regardaient comme s’ils disaient : « Jon Snow, tu sais rien ». Chaque jour, je tombais dans le trou, dans la stérilité de l’environnement; Je me perdais dans un labyrinthe de couloirs enfermés de murs blancs. Dans chaque salle de patients, j’ai rencontré des gens en grand nombre, Chacun avec un ami, sans visage, souvent indésirables, toujours dans les ombres. Dans la première salle, une vielle dame qui m’accueillait chaque jour poussant sa carrosse, « Mon bébé, mon bébé » elle fredonnait, elle tremblait, ce paquet d’os. La démence avait fabriqué, de la solitude qui la suivait de près Des souvenirs faux, dans son esprit, d’une fille qui l’aimait. En dehors, un homme s’est présenté en offrant des « calices » et des coups; Complètement bourré depuis longtemps, l’alcool l’avait volé beaucoup. Une famille remplacée par le regret et la culpabilité, souvent des jumeaux. En fin de compte, c’était la bouteille qui y a laissé sa peau. Des bouteilles en verre et des mégots jetés sur la moquette; une femme plainée. C’était dans ce milieu que l’on avait trouvé le bébé jaunâtre et décharné. Quand je l’ai vu, il était emballé dans un chandail; il puait de pisse, sans lavage ; Il connaîtrait toujours la trahison et l’abandon depuis ce jeune âge. En voyant une greffe, j’ai rencontré une femme et sa sœur qui lui a donné un rein, Et la reconnaissance, l’amour, la confiance qui ont fait tenir leurs mains. Quand elles avaient été jeunes, elles avaient partagé leurs vêtements, leurs romans; Après l’opération, voire plus, la cicatrice un rappel qu’elles étaient liés par plus que le sang. Lit 12B et je me suis occupée d’un homme, son abdo sensible à cause d’une grosse balafre, Dont les rabats rêches menaçaient de s’écarter; Rien les tenaient ensembles sauf des agrafes. De temps en temps, je me suis occupée, en plus, de son ami importun. «Saisit le couteau, mets-le sur le ventre» il lui avait chuchoté doucement. J’ai rencontré un tas de gens, mais la Peur, je l’ai rencontrée maintes et maintes fois; Elle était là à côté d’une femme dont le corps était criblé des métastases, comme s’il était son droit. La femme s’est passé la main dans les cheveux de sa belle-fille; la peur a fait frissonner La main et, de plus, la voix qui disait : «Ne t’en fais pas. Tout va bien se passer.» Je suis parvenue à connaître sans présentation la Mort qui changeait toujours sa façade, Elle qui me saluait sans mots, elle qui allait voir, désirables ou pas, les malades, Elle à qui les familles donnaient des cris déchirants en tant qu’une fronde. De l’autre fond du couloir, le cri d’un bébé faisant ses débuts dans le monde. Chemise dérangée, cheveux ébouriffés, je me sentais bête. Pièce d’identité à la hanche, stéth autour du cou qui soutenait à peine la tête. Je croisais les médecins pour qui le tout n’était plus en leur pouvoir, Qui me regardaient comme s’ils disaient : «Maintenant, tu commences à savoir.» Amanda Zhou
le délit · mardi 31 mars 2015 · delitfrancais.com
Cahier création
VII
contributeur anonyme
Der Blauwal
La baleine bleue
Alle Menschen schreien Es gibt keine Sonne. Keine Zeit. Keine Hoffnung. Aber der Blauwal schreit nicht mehr.
Tous les humains crient Il n’y a pas de soleil. Pas de temps. Pas d’espoir. Mais la baleine bleue a cessé de crier.
céline fabre
VIII cahier création
le délit · mardi 31 mars 2015 · delitfrancais.com