Édition du 1er novembre 2016

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Publié par la société des publications du Daily, une association étudiante de l’Université McGill

Mardi 1er novembre | Volume 106 Numéro 7

Un bon rétablissement à Larousse depuis 1977


Volume 106 Numéro 7

Éditorial

Le seul journal francophone de l’Université McGill

rec@delitfrancais.com

Pour la fin de la main d’œuvre bon marché mcgilloise Le Délit soutient la grève des travailleurs occasionnels de McGill. Un dialogue de sourds

Ikram Mecheri & Théophile vareille

Le Délit

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es 1 500 travailleurs occasionnels du SEOUM (Syndicat des employés occasionnels de l’Université McGill) sont en grève depuis vendredi dernier. L’entente qui liait les employés membres du syndicat et l’institution a expiré en avril 2015 et depuis, le syndicat et McGill ne sont pas parvenus à un nouvel accord. Excédés par le manque de dialogue et d’ouverture de la part des autorités mcgilloises, les membres du syndicat ont alors déclaré la grève — à 82% — forçant l’Université à demander à ses propres salariés d’assurer le maintien de ses activités. Les demandes des employés La revendication d’un salaire horaire de 15 dollars découle d’une recherche de l’Institut de recherche et d’informations socioéconomiques (IRIS), qui a conclu que le salaire viable en milieu urbain est de 15,11 dollars pour une personne seule au Québec. Aussi, SEOUM explique qu’en utilisant la méthode officielle de l’Université pour calculer ses salaires, tous ses emplois devraient être payés au-dessus de 15 dollars l’heure pour maintenir un cadre de vie décent. Depuis plusieurs années, SEOUM milite avec le SCNAUM (Syndicat certifié non-académique de l’Université McGill, MUNACA en anglais, ndlr), contre le phénomène de «casualisation». Aussi appelé précarisation du travail, elle se manifeste à McGill par le remplacement des employés à temps plein, payés 15 dollars ou plus, par des employés temporaires — souvent des étudiants — pour un salaire largement inférieur, à travail égal. Il s’agit là d’une pratique mcgilloise qui désavantage autant les employés à long-terme, dont le nombre diminue, que les travailleurs temporaires, qui ne sont pas payés leur juste dû. D’autre part, les militants dénoncent aussi le cruel manque de transparence du processus de recrutement. Selon le SEOUM, les demandes d’emplois ne sont pas toutes affichées et certaines offres peuvent rester affichées alors que les emplois sont déjà pourvus. Cette situation rend plus difficile l’accès à un emploi sur le campus aux nombreux étudiants en situation de précarité. Cette dysfonction prive aussi les étudiants d’une première expérience professionnelle qui pourrait venir complémenter leurs études universitaires. Le manque de communication entre les différents programmes de Work-Study disponibles sur le campus et le département de ressources humaines de McGill ne fait qu’exacerber ce phénomène.

Le manque de réceptivité de la part de l’institution à l’égard d’une organisation composée principalement d’étudiants a de quoi surprendre. Les gestionnaires de McGill semblent parfois oublier la précarité financière de certains de leurs étudiants, qui n’ont d’autre choix que de travailler afin de pouvoir continuer leurs études et tout simplement de «survivre». Pour l’administration, il devient difficile de justifier un salaire aussi bas pour ses étudiants, alors qu’un tel régime n’est pas imposé aux fonctionnaires mcgillois. En décembre 2015, Le Journal de Montréal nous apprenait qu’en dépit des restrictions budgétaires, les gestionnaires de McGill pouvaient obtenir jusqu’à 4% d’augmentation de leur salaire pour l’année 2015-2016. L’inflexibilité de l’institution devient alors très difficile à justifier. Le faux-dilemme du salaire minimum à 15$ Pas besoin d’un bac en économie pour comprendre qu’engager un étudiant à la recherche d’un emploi payé 10,75 dollars de l’heure permettra de d’économiser quelques dollars à l’institution. À la librairie mcgilloise Le James, un caissier temporaire — et donc probablement un étudiant — ne sera payé que le salaire minimum, alors qu’un employé à plein temps recevra lui au moins 19 dollars l’heure, soit presque le double. Cet exemple, parmi tant d’autres, témoigne de l’injustice à laquelle font face les étudiants de McGilll. Une université de renommée mondiale telle que McGill peut se permettre d’octroyer un salaire décent aux personnes qui contribuent à son succès. La salaire est une forme de valorisation du travail effectué et présentement, il semblerait que ce travail est dévalué par l’administration, qui n’offre pas aux travailleurs temporaires le respect qu’ils méritent. Pourquoi Le Délit soutient le SEOUM En tant qu’association étudiante, Le Délit soutient le SEOUM dans sa lutte pour défendre la cause des travailleurs temporaires mcgillois, qui sont en grande partie des étudiants. Il est nécessaire de rétablir un dialogue constructif entre le syndicat et l’administration,. L’engouement timoré suscité par les piquets de grève du syndicat ne doit pas nous tromper: McGill prend avantage de la vulnérabilité de ses étudiants, certains anglophones incapables de trouver un emploi dans une ville francophone, en les payant et en les traitant de manière inconsidérée. Cette exploitation déconcertante n’est pas digne de l’héritage institutionnel de McGill. Le Délit a bon espoir que cette situation sera rectifiée au plus tôt, et qu’après de derniers mois tendus, étudiants et gestionnaires pourront travailler ensemble vers une université plus juste et équitable. x

rédaction 3480 rue McTavish, bureau B•24 Montréal (Québec) H3A 1X9 Téléphone : +1 514 398-6784 Télécopieur : +1 514 398-8318 Rédactrice en chef rec@delitfrancais.com Ikram Mecheri Actualités actualites@delitfrancais.com Chloé Mour Louis-Philippe Trozzo Théophile Vareille Culture articlesculture@delitfrancais.com Dior Sow Hortense Chauvin Société societe@delitfrancais.com Hannah Raffin Innovations innovations@delitfrancais.com Ronny Al-Nosir Coordonnateur de la production production@delitfrancais.com Yves Boju Coordonnateurs visuel visuel@delitfrancais.com Mahaut Engérant Vittorio Pessin Coordonnateurs de la correction correction@delitfrancais.com Madeleine Courbariaux Nouédyn Baspin Coordonnatrice réseaux sociaux reso@delitfrancais.com Louise Kronenberger Multimédias multimedias@delitfrancais.com Magdalena Morales Événements evenements@delitfrancais.com Lara Benattar Webmestre web@delitfrancais.com Mathieu Ménard Contributeurs Vincent Beaulieu, Siham Besnier, Grégoire Collet, Prune Engérant, Anthony Gutz, Sarah Herlaut, Lisa Marrache, Mahée Merica, Gordon Milne, Monica Morales, Sébastien Oudin-Filipecki, Arno Pedram, Murat Polat, Eléa Régembal, Jacques Simon, Alexandra Sirgant, Simon TardifLoiselle, Jules Tomi, Augustin de Trogoff, Samy Zarour Couverture Mahaut Engérant et Vittorio Pessin bureau publicitaire 3480 rue McTavish, bureau B•26 Montréal (Québec) H3A 1X9 Téléphone : +1 514 398-6790 Télécopieur : +1 514 398-8318 ads@dailypublications.org Publicité et direction générale Boris Shedov Représentante en ventes Letty Matteo Photocomposition Mathieu Ménard, Lauriane Giroux, Geneviève Robert The McGill Daily coordinating@mcgilldaily.com Sonia Ionescu

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Les opinions de nos contributeurs ne reflètent pas nécessairement celles de l’équipe de la rédaction.

L’usage du masculin dans les pages du Délit vise à alléger le texte et ne se veut nullement discriminatoire. Le Délit (ISSN 1192-4609) est publié la plupart des mardis par la Société des publications du Daily (SPD). Il encourage la reproduction de ses articles originaux à condition d’en mentionner la source (sauf dans le cas d’articles et d’illustrations dont les droits avant été auparavent réservés, incluant les articles de la CUP). L’équipe du Délit n’endosse pas nécessairement les produits dont la publicité paraît dans ce journal. Imprimé sur du papier recyclé format tabloïde par Imprimeries Transcontinental Transmag, Anjou (Québec).

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Actualités actualites@delitfrancais.com

À venir cette semaine Tous à la rue le 2 novembre!

Ce mercredi 2 novembre se sont coordonées aux quatre coins du Canada des manifestations contre la précarité étudiante. Mené par la Fédération canadienne des étudiantes et étudiants, ce mouvement s’élève contre les frais de scolarités et contre les stages non-payés. Vous avez pu le croiser en ligne derrière le mot-clic #FightTheFees (“En lutte contre les frais”, ndlr), vous avez l’occasion dorénavant d’aller battre le pavé sous sa bannière. Un contingent mcgillois, sous la houlette de McGill Against Austerity (McGill contre l’Austérité, ndlr), partira à 16h du Portail Roddick pour se joindre au rassemblement montréalais sur le Square Victoria. x

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Le(s) chiffre(s) à retenir

Comme les jours de grève du Syndicat des employé-e-s occasionnel-le-s de l’université McGill (SEOUM), du samedi 29 octobre au mercredi 2 novembre. Le syndicat s’est mis en grève car les négociations avec l’administration pour une nouvelle convention collective avaient atteint une impasse. Les deux partis n’arrivaient pas à s’accorder sur une réforme du système de Work-Study. x

À suivre...

Référendums en cascade Succédant au référendum de maintien de la radio communautaire mcgilloise CKUT, remporté à 85% avec un quorum de 10% atteint de justesse, deux référendums sont prévus ces semaines prochaines. Le Groupe de recherche à intérêt public (GRIP, QPIRG en anglais ndlr) met sa survie en vos mains d’étudiants en premier cycle, dans un référendum existenciel du 3 au 8 novembre prochain. Midnight Kitchen qui remplit, sans frais, des douzaines de bedaines mcgilloises chaque jour, en fera de même dans le courant du mois. x

À l’asso’ de l’actu Media@McGill

Media@McGill a réussi le beau coup du semestre en conviant Edward Snowden à donner une téléconférence depuis l’amphithéâtre 132 du bâtiment Leacock, ce mercredi 3 novembre à 19h. Ce beau coup de filet propulse l’association sous les feux de la rampes, après dix ans d’une existence plus discrète. Media@McGill se veut à la croisée de la recherche académique et la sensibilisation du grand public, s’intéressant à tout ce qui touche aux médias, technologies et culture. L’organisation est affiliée au Département des études d’histoire de l’art et communication, et choisit chaque année un thème pour ses multiples évènements. En 2016-17, Media@McGill parlera de la relation entre médias et environnement. x

Les mots qui marquent «Je pense que c’est important de nommer le «viol» en tant que problème et comprendre les sources de la violence sexuelle» Professeure Carrie Rentschler du Département d’études en communication et études féministes à propos du terme «culture du viol».

campus

Vox Populi, vox Dei Les étudiants votent «OUI» au maintien de CKUT. sébastien oudin-filipecki

Le Délit

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e OUI l’emporte à plus de 85% pour le référendum CKUT. Ceci avec une participation de 3603 votants, légèrement au-dessus du quorum requis de 10% pour que le vote soit considéré valide. Vague de soulagement, donc, pour la radio mcgilloise dont la cotisation de 5 dollars canadiens par étudiant•e et par semestre était l’enjeu du referendum. Cette cotisation, qui existe depuis 1988 et dont les étudiants peuvent s’acquitter est considérée comme vitale, son apport représentant plus de 54% du budget de la station radio. De plus, CKUT étant enregistrée comme une radio étudiante, une majorité de NON l’aurait possiblement empêchée de continuer à garder sa licence et de ce fait l’aurait forcée à, purement et simplement, cesser toute activité.

Une campagne qui a porté ses fruits «Lorsque l’on a appris [les résultats] nous étions aux anges!» confie Joni Sadler, responsable de la programmation musicale et membre du comité de soutien en faveur du OUI (YES committee, ndlr). Tout en remerciant au passage les étudiants d’avoir fait entendre leurs voix et les diverses associations étudiantes pour leur soutien. Les membres du comité «ont vraiment travaillé dur» et «je pense qu’au vu du taux de participation et du nombre de personnes qui ont voté OUI, le comité a su être très efficace», a ajouté Joni Sadler. En expliquant également que l’équipe avait tenté d’être aussi bien présente physiquement sur le campus (en distribuant des tracts et en passant dans les classes) que sur les réseaux sociaux (Twitter ou Facebook), et ce afin de mobiliser un maximum d’étudiant•e•s et de les inciter à exprimer leur vote. Une radio étudiante dynamique et précieuse CKUT est un organe mythique de la communauté étudiante de McGill. Existant depuis les années 40, elle est officiellement enregistrée comme radio communautaire sur un campus universitaire (community campus radio,

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ndlr) depuis 1987. Son équipe est composée de plus de trois cents personnes: chroniqueurs, producteurs, journalistes, techniciens et animateurs, tous bénévoles et dont à peu près la moitié sont des étudiant•e•s de l’Université McGill. La radio offre une programmation musicale des plus variées ainsi que des émissions portant sur la culture, les arts et bien sûr l’actualité. Elle permet aussi, en autres, aux étudiant•e•s souhaitant s’investir dans les métiers de la communication ou de la programmation de se forger une expérience concrète, ainsi qu’aux musiciens en herbe et autres artistes en tout genre de donner libre cours à leur créativité. La station offre aussi aux étudiant•e•s des cycles supérieurs la possibilité de parler de leurs recherches en développant une chronique sur le sujet ou en étant invité lors d’une émission. Enfin, la radio travaille actuellement sur le développement de nouveaux podcasts: «nous sommes en train de former de nouveaux membres de l’équipe, non seulement à la production et à l’enregistrement [de podcasts] mais aussi à la distribution» a fièrement annoncé Joni Sadler. Laissant présager un avenir plus paisible et radieux pour la radio mcgilloise qui ne manque décidément pas d’énergie et de talents. x

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actualités

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Sans oui, c’est non!

La culture du viol est au cœur de l’actualité québécoise. louis-philippe trozzo

Le Délit

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ans la foulée des agressions sexuelles survenues la semaine dernière dans les résidences de l’Université Laval et des récentes allégations d’agressions portées à l’endroit du député libéral Gerry Sklavounos, le Québec a été le théâtre de l’éveil d’un mouvement populaire dénonciateur d’une insouciance collective. L’expression «culture du viol» a effectivement animé plusieurs plumes ces derniers jours et fait mouvoir plusieurs lèvres indignées. Le Québec avait d’ailleurs été écorché plus tôt cette année lorsque plusieurs femmes autochtones avaient brisé leur silence en dénonçant les abus sexuels de policiers dont elles avaient été victimes. Il ne faut pas non plus oublier les dérapages survenus dans plusieurs universités québécoises lors des dernières initiations étudiantes, initiations qui ont trop souvent tourné en activités d’humiliation et d’agressions sexuelles contre les initié•e•s. Alors que les dénonciations et manifestations se succèdent au Québec, le sujet résonne jusque dans les débats de la présidence américaine; le sujet pourrait bien s’avérer déterminant dans la course à la présidence à la Maison-Blanche.

Effectivement, bien que l’image d’Hillary Clinton soit ternie par les allégations à l’égard de son mari, c’est surtout le candidat républicain Donald Trump qui est au cœur de cette problématique, lui qui voit ses chances d’accéder au Bureau ovale s’effriter suite aux accusations d’agressions sexuelles portées contre lui. Décortiquer la culture du viol L’expression rape culture a fait son apparition dans les années 1970 lors de la seconde vague du mouvement féministe américain. Plusieurs chercheurs•euses soutenaient l’existence d’une corrélation entre le viol et une société où prévalent des attitudes et pratiques qui tendent à tolérer, cultiver, voire excuser la violence sexuelle. Alors que l’expression vient de faire son entrée dans le lexique québécois, plusieurs prennent position en affirmant que cette idée ne colle pas au Québec et qu’elle se veut être une exagération, s’inscrivant dans la branche la plus radicale du féminisme. La culture du viol est-elle déraisonnable ou surfaite au Québec? Certains peuvent se poser la question, mais l’indignation, elle, se fait assurément sentir! Les déclarations comme «On vous croit!» ou encore «Mon corps, mon choix!»

résonnent depuis maintenant deux semaines pour dénoncer la banalisation des abus sexuels et le mépris persistant envers les femmes. Perspectives d’avenir Soumis à la pression d’agir dans la foulée des derniers événements, le gouvernement libéral du Québec a fait l’annonce qu’il investirait 44 millions de dollars dans une Stratégie contre les violences

sexuelles. En plus de servir à la prévention et à la recherche, l’argent investi servira à mieux outiller les intervenants et à accompagner les survivant•e•s tout au long du pénible processus. Par ailleurs, dans une société où il ne suffit que d’un clic pour accéder à une pornographie qui propage une image trop souvent dégradante de la femme, d’autres groupes réclament aussi le retour des cours d’éducation sexuelle obligatoires pour les ado-

lescents, question de démystifier les principales idées préconçues et principaux tabous de la sexualité. En fin de compte, qu’il s’agisse d’une culture ou non, cette récente prise de conscience collective montre qu’il faut s’attaquer sans tarder à la banalisation des agressions et autres abus sexuels, surtout lorsque l’on réalise que cette marginalisation a mené plusieurs jeunes femmes à se dissocier de mouvements féministes, de peur d’être méprisées. x

#STOPCULTUREDUVIOL

La culture du viol, un sujet qui commence enfin à se faire connaître. lisa marrache & Grégoire collet

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our faire face et réagir aux événements récents, les Montréalais et surtout les Montréalaises se sont réunis le 26 octobre dans la soirée, place Émilie-Gamelin. Ce mouvement était porté par plusieurs groupes tels que les membres de Québec inclusif, Association des femmes Autochtones du Canada et Projet Montréal, entre autres. Le but? Combattre et dénoncer la misogynie à un niveau systématique, tout en essayant d’être le plus inclusif possible. En effet, toutes les femmes pouvaient s’identifier à ce mouvement: racisées, autochtones, trans, jeunes, plus âgées, travailleuses du sexe, lesbiennes ou bisexuelles; toutes étaient conviées dans le combat, car au bout du compte, une femme sur trois est victime d’agression. Après des discours de nombreuses intervenantes s’en est suivie une marche. Les manifestant•e•s armé•e•s de

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pancartes et de détermination scandaient en chœur «On vous croit» en hommage aux femmes dont les dénonciations sont souvent bafouées. L’émotion était palpable parmi les Montréalais•es qui montraient fièrement leur solidarité.

«rape culture» est enfin apparu aux États-Unis. «Ta jupe est trop courte…», «Tu avais dit oui pour le reste», «Tu aurais dû dire non», «Tu l’as cherché» — ces phrases font parties du quotidien pour les femmes osant aborder le sujet de leurs agressions.

Culture du viol, concept récent

Quelles solutions?

Un nouveau discours a émergé au Québec visant à dénoncer un crime récemment identifié, un crime culturel fondé par des institutions patriarcales. Ces dernières sont intégrées à notre société à tous les niveaux: médias, politique, culture, éducation. Ce sont ces institutions qui véhiculent la culture du viol, terme désignant les attitudes et pratiques qui assurent aux hommes un droit sur le corps des femmes et qui légitiment les agressions sexuelles, menant au fait que seulement une plainte sur dix aboutit à une condamnation. Ce phénomène, pourtant très ancien et ancré dans notre monde, ne commence à être discuté ouvertement que depuis les années 1970 lorsque le terme

Fût discutée en particulier la mise en place de lois pour sécuriser les étudiant•e•s des agressions sexuelles de leurs professeur•e•s et pour protéger les travailleurs•ses du sexe contre le stigma attaché à leurs profession. Aux côtés des femmes se trouvaient aussi des hommes, conscients de la gravité du phénomène et prêts à élever leurs voix pour la lutte. Cependant une phrase d’une des intervenantes est à retenir: «La culture ça ne se change pas à coup de lois.» Il faudra donc d’autres manifestations, d’autres témoignages, d’autres rassemblements pour réussir à lutter contre le sexisme systématique et peut être un jour abolir la culture du viol. x

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Démanteler la culture du viol

Un projet d’envergure s’attaque à la violence sexuelle sur les campus universitaires.

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semblerait une institution, et ses membres, qui seraient responsables de la violence qui existe sur leur campus?

millions de dollars canadiens. C’est la somme attribuée au projet de recherche de Mme. Shaheen Shariff, professeure au sein de la Faculté des sciences de l’éducation à McGill, par le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada. Projet ambitieux rassemblant dix universités et quatorze partenaires communautaires, celui-ci s’engage à remédier à la violence sexuelle au sein des campus universitaires canadiens sur les sept années à venir. Le Délit a rencontré Shaheen Shariff et Carrie Rentshcler, collaboratrice au projet et professeure en études de communication et études féministes. Le Délit (LD): Tout d’abord, que pensez-vous de la couverture médiatique des nombreux incidents de violence sexuelle survenus ces dernières semaines au Canada? Carrie Rentschler (CR): J’ai observé qu’il y a eu de nombreux journalistes qui ont été très compatissants avec les survivant•e•s et le mouvement contre la violence sexuelle — certain•e•s sont eux-mêmes des survivant•e•s d’agressions sexuelles, comme on a pu le voir avec le mot-clic #beenrapedneverreported (violé•e, jamais signalé, ndlr). La couverture médiatique de ces sujets a été récemment pertinente car elle a donné de la visibilité à plusieurs cas d’agressions sexuelles (bien que pas tous) et les revendications des activistes ont également été communiquées. LD: Qu’est-ce qui vous a poussé à entreprendre cette recherche? Shaheen Shariff (SS): Pendant vingt ans j’ai étudié le harcèlement

LD: Existe-il des partenariats avec des universités francophones? CR: Nous avons l’opportunité ici de pouvoir travailler avec nos collègues des universités québécoises, notamment le Réseau québécois en études féministes. À l’origine, le don de financement a été donné à des institutions anglophones ,mais je suis ouverte à ce que nous utilisions ce don avec d’autres universités ou écoles de la province qui eux aussi luttent contre la violence

LD: Que pensez-vous du projet de politique contre la violence sexuelle de l’Université?

«À quoi ressemblerait une institution, et ses membres, qui seraient responsables de la violence qui existe sur leur campus?»

jules tomi durables pour les pallier. De plus, le but de l’université est d’éduquer et d’améliorer notre société, il faut donc que cette institution redevienne responsable et entreprenne des politiques et des programmes informés sur la problématique des violences sexuelles. Toutefois les politiques seules ne sont pas suffisantes car les étudiant•e•s utilisent les réseaux sociaux et consomment

«Il existe un manque accru de recherches universitaires sur la violence sexuelle au sein des campus» en ligne et le sexting (l’envoi et échange de «sextos», ndlr), une pratique que les jeunes adoptent de plus en plus tôt et souvent de manière non consensuelle. J’ai remarqué que la réponse des universités face aux agressions sexuelles était similaire à celle des écoles dont les élèves ont subi du harcèlement en ligne: ils réagissent lorsque les médias portent attention à ces problèmes. Un autre constat est qu’il existe un manque accru de recherches universitaires sur la violence sexuelle au sein des campus — beaucoup de sondages initiés par les médias existent mais peu de recherches académiques. Dès lors, j’ai décidé qu’il faudrait étudier en profondeur le problème des violences sexuelles au sein des universités et trouver des solutions

et structurel à la violence sexuelle, la normalisant et minimisant son importance pour les survivant•e•s. Bien que certains soient critiques de la définition de «violence sexuelle» et du sens ambigüe de «culture», je pense que c’est important de nommer le «viol» en tant que problème et comprendre les sources de la violence sexuelle comme les politiques, les négligences institutionnelles et les sous-cultures encourageant un comportement masculin agressif, entre autres.

politiques conversent et interagissent avec l’activisme étudiant et le travail pédagogique qui tous deux s’attaquent aux problèmes de violence sexuelle. C’est principalement l’activisme étudiant qui a mené le développement de ces politiques et organisé des structures de support pour, les survivant•e•s. Je pense donc que l’on peut apprendre de leurs actions et dès lors examiner leurs stratégies afin de transformer le débat actuel autour de la culture du viol sur les campus. La question que ce projet pose est: à quoi res-

sexuelle. Je suis en contact avec le RéQEF (Réseau québécois en études féministes, ndrl) qui a créé un sondage destiné aux universités de la province et qui vient prendre la température du climat autour de la violence sexuelle ainsi que des expériences d’agressions sexuelles. J’espère pouvoir amener ce sondage au sein de McGill afin que nous participions à une conversation plus large à l’échelle du Québec. LD: L’expression culture du viol est controversée, que pensez-vous de ce concept? CR: Je pense que c’est un concept très utile car il est utilisé par les activistes. C’est un moyen de formuler le problème et de le nommer. Le terme signifie que les agressions sexuelles ne sont pas simplement un problème interpersonnel mais aussi structurel. Il indique qu’il existe un soutien culturel

SS: Je pense que ce projet est un bon début. Un bémol néanmoins, il ne mentionne pas les réseaux sociaux et la violence en ligne. De plus, j’apprécie qu’il soit centré sur les survivant•e•s bien que des officiers chargés des affaires disciplinaires ont fait remarquer qu’il faudrait également une procédure officielle pour les agresseurs présumés. Pour aider les universités, nous allons établir d’ici un an un livre blanc qui présentera ce qui existe à l’heure actuelle en termes de politiques, et qui servira de point de départ. Au fil des années, au vu des recherches et à l’issue de consultations auprès des étudiant•e•s, nous retravaillerons le livre blanc et modifierons les recommandations. x Propos recueillis par chloé mour

Le Délit

une culture populaire qui véhicule des idées sexistes et la «culture du viol» — il faut également s’attaquer à ce problème. C’est pour cela que le projet comporte trois axes: (1) le rôle des lois et des politiques au sein des universités (2) le rôle et l’influence de l’art et la culture populaire (3) le rôle et l’influence des médias conventionnels et les réseaux sociaux. LD: Quel est votre rôle au sein de cette recherche? CR: Je supervise l’axe de recherche sur l’art et la culture populaire. Je compte entreprendre un projet qui évaluera les différentes politiques contre la violence sexuelle qui existent sur les campus canadiens. J’étudierai comment ces

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campus

La cigarette, expulsée de l’Université Une politique pour un campus sans fumée est débattue. Lisa Phuong Nguyen

Le Délit

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epuis que la cigarette est considérée dangereuse pour la santé, les institutions publiques ont, petit à petit, repoussé le tabac loin de leurs murs. Tout a commencé avec l’interdiction de fumer dans certaines zones — près des fenêtres, puis par exemple près des portes d’entrée. L’Université McGill envisage maintenant de faire un pas de plus et d’émettre une politique pour établir un environnement sans fumée sur tout le campus. Mardi dernier, le 25 octobre, une consultation publique sur cette question a eu lieu à l’auditorium du musée Redpath. Le comité, formé par des chercheurs•euses et des étudiant•e•s de l’Université, souhaite suivre les pas des centaines d’institutions qui ont déjà emprunté cette voie. À titre d’exemple, la prestigieuse Université d’Harvard, qui a mis en place ces mesures en 2014, a vu une baisse de 70% de l’exposition à la fumée secondaire sur son campus. En quoi consiste la politique Le but est de réduire la fumée secondaire qui pourrait être nuisible

vittorio pessin aux passants, à réduire l’exposition de la cigarette aux personnes qui tentent de quitter cette habitude et à limiter le plus possible l’exposition sociale du tabac. L’interdiction vise tout ce qui contient du tabac et tout ce qui émet de la fumée ou de la vapeur. La politique vise à établir un environnement plus sain sur le campus de l’Université.

La mise en œuvre de ce projet consisterait à éduquer et sensibiliser le plus possible, sans user de mesures punitives. En effet, plutôt que d’imposer une politique ferme, le comité espère mener un changement social avec le temps. Il sera aussi mis à disposition de l’aide pour ceux qui souhaiteraient se libérer de la nicotine en leur donnant accès

aux consultations et aux produits anti-tabac. Ce qu’en pensent les étudiants Au début de l’année 2016, 73% des étudiants ayant participé à un sondage émis par l’Association étudiante de l’Université Mcgill (AÉUM) ont voté en faveur d’une

politique anti-tabac. Or, certain•e•s étudiant•e•s de l’audience ont fait part de quelques inquiétudes qu’ils•elles auraient si une telle politique s’appliquait. Notamment sur la question de la sécurité des étudiant•e•s, lorsqu’ils•elles doivent sortir de la zone surveillée du campus, la nuit, pour fumer. Un autre étudiant a énoncé la stigmatisation dont pourraient être victimes les fumeurs•euses et du harcèlement qui s’ensuivrait, un stress de plus pour ces dernier•e•s dont beaucoup utilisent la cigarette comme moyen d’apaiser leur anxiété. Pour répondre à ces craintes, les panélistes ont réitéré que le but de cette politique est d’établir un environnement plus sain sur le campus et non de pointer du doigt ceux qui fument. La sécurité de tous les étudiant•e•s est une priorité et les craintes de ces derniers•ères seront pris en compte. Discussion encore en cours Encore en gestation, la politique devrait être décrétée avant la fin de novembre 2017. Le groupe de recherche est encore ouvert aux idées, aux questions et aux critiques des étudiants de McGill. x

campus

99 problèmes, 1 cause 99 étudiants ont été arrêtés à Ottawa le 24 octobre, dont 25 militants de Divest McGill. jacques simon

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e lundi 24 octobre avait lieu à Ottawa une manifestation dénonçant le laxisme du gouvernement Trudeau vis-à-vis des enjeux écologiques. Sur les 250 participant•e•s, 99 furent mis•e•s en état d’arrestation. Parmi ceux-ci, un bon quart fait partie de Divest McGill, une grande organisation étudiante mcgilloise qui a pour objectif notoire de demander à l’Université de se séparer de ses investissements dans les énergies fossiles. Entre écologisme et politique «Écologiquement, c’est irresponsable» explique Jed Lenetsky, un des manifestants arrêtés. «Trudeau ne peut pas seulement penser en termes de profits immédiats et d’emplois» ajoute-il, «il doit aussi penser au futur du Canada, et de la terre entière». En effet, continuer dans la lignée actuelle du projet d’oléoduc Kinder Morgan est irréconciliable avec les accords de la COP21 signés il y a un

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an à Paris, et que le gouvernement fédéral vient tout juste de ratifier. Selon les militants, ce projet, s‘il est exploité à son plein potentiel, fera inévitablement dépasser de plus de 2 degrés Celsius les températures mondiales actuelles. D’où le slogan «les leaders du climat ne construisent pas des oléoducs».

En plus des évidentes retombées écologiques, il y a aussi un aspect politique non négligeable. Pour Lenetsky, le fait que Trudeau soit aussi laxiste montre que son calcul est politique et non idéologique: les bénéfices à court terme sont favorables à l’image de son gouvernement, tandis que les désavantages n’ont

pas un impact immédiat. Morgen Bertheussen, qui a elle aussi été arrêtée, conçoit la chose comme un ultimatum: «s’il est pour les oléoducs, nous ne serons pas pour lui lors des prochaines élections». Donc, au gouvernement de choisir: soit il continue dans sa lancée, soit il fait volteface et conserve ses jeunes électeurs qui ont une conscience écologique. Désobéissance civile Quatre-vingt-dix-neuf personnes arrêtées, ça fait beaucoup. Et pourtant, les manifestants soulignent qu’ils n’ont aucune amertume envers les forces de l’ordre. «Tout s’est fait très pacifiquement» raconte Julia Epstein qui était aussi présente. En effet, il n’y avait pas vocation à avoir de conflit: la police a dressé un grillage au pied du Parlement, et a expliqué aux manifestants que s’ils le franchissaient, ils se trouveraient en état d’arrestation. Les termes ayant été posés, un à un des étudiants ont grimpé au-dessus de la barrière en toute connaissance de cause. «Le fait d’avoir été arrêtés

apporte de l’intensité à notre geste» explique Bertheussen, «ça montre au premier ministre que nos revendications nous tiennent à cœur». À la prochaine? Une chose est sûre, les militants de Divest McGill ne sont pas effrayés à l’idée de continuer. Julia Epstein a participé à cette démonstration de désobéissance civile alors qu’elle est au Canada grâce à un visa d’études, et est donc sujette à se faire renvoyer du pays. Heureusement pour elle, la police a décidé de ne donner suite à aucune des arrestations. «Mais ça, nous ne le savions pas en allant nous faire arrêter» souligne Bertheussen. Y-aura-t-il donc une suite? «Nous resterons actifs» promet Lenetsky. Ils réfléchissent d’ailleurs déjà à la prochaine étape: ils souhaitent rencontrer l’administration de McGill et le premier ministre pour leur faire part de leurs inquiétudes et de leurs propositions, et vont envoyer leur certificat d’arrestation à la résidence personnelle de Justin Trudeau, avec un message écrit à l’endos. x

le délit · mardi 1er novembre 2016 · delitfrancais.com


satire

Les samosas, là pour rester! Vote historique: les mcgillois se prononcent en faveur du beignet indien. augustin de trogoff

L

es résultats officiels sont tombés mercredi 26 octobre, avec la fermeture du bulletin de vote en ligne: les samosas sont là pour rester. À la question: «Les samossas devraient-ils être interdits sur le campus?», 98% des interrogés ont voté «Non», ce qui constitue un record absolu. De plus, 96% des étudiants ont pris part au scrutin, du jamais-vu dans la longue histoire de la démocratie universitaire à McGill. L’Association des étudiants de l’Université McGill (AÉUM) s’est dit «extrêmement» contente du taux de participation, bien que la résolution ne soit pas passée. «Cela démontre qu’il est possible d’enrayer l’apathie générale vis-à-vis de la politique étudiante» a dit Gen Ber, le président de l’AÉUM, dans un courriel à la communauté. «Je suis heureux de voir que, pour les questions vraiment importantes, une écrasante majorité du corps étudiant exerce le droit de vote».

Il faut dire que l’annonce du scrutin avait causé un émoi. Pour rappel, une campagne du «Non» s’était immédiatement formée. En moins d’une demi-heure, elle avait recueilli plus de sept mille signatures et près de trente mille dollars en dons. Pendant deux semaines, son équipe de communication avait inondé le campus de publicités; d’ailleurs, le fameux panneau géant en forme de samoussa orne toujours la façade de la bibliothèque McLennan. Jean-Rolph Trudeau (aucune relation connue avec le premier ministre), un étudiant de deuxième année en physique et mathématiques qui faisait partie de l’équipe de campagne du «Non», a bien voulu nous parler de son expérience. «Je ne m’intéressais pas vraiment à la politique avant, mais ces deux semaines ont changé ma vie. Vous vous rendez compte! Nous retirer nos samosas, c’est nous retirer une liberté fondamentale! Cela relève du fascisme, purement et simplement.» Jean-Rolph a tenu à ce que nous précisions qu’il

s’est fait tatouer «Je suis samosa» sur le front. La campagne du «Non» a promis de donner ce qui reste du trésor de campagne à l’Université pour la création d’une bourse «samosa», ouverte à tous les étudiants pour peu qu’ils «démontrent leur amour du plat préféré du campus». Le camp du «Oui» était moins enjoué après l’annonce des résultats. Dans un message publié sur sa page Facebook, le groupe McGill Sans Samosas (McGill SS) s’est dit «déçu» par le résultat, mais promet de «respecter» le choix des étudiants. «Le peuple a parlé: longue vie aux samosas» conclut-il. La directrice de campagne, Michelle Scott, a accepté de répondre à nos questions. «Oh, vous savez, ce n’est pas si grave que ça. Moi-même, il m’arrive de manger un samossa de temps en temps. Le problème de fond, c’est bien sûr la non-participation à la vie politique. Ce référendum aura, on espère, donné le goût des élections aux étudiants». Il est intéressant de signaler que Michelle est la colocataire du président de

Vittorio Pessin l’AÉUM Gen Ber, et qu’elle faisait partie de son équipe de campagne pour l’élection présidentielle de l’année dernière. Cette étrange coïncidence nous a mis la puce à l’oreille, et nous avons contacté le président pour lui faire cracher le morceau. «Oui, bon, c’est vrai. On a orchestré tout ça avec Michelle pour jouer un tour à toutes ces moules apolitiques qui peuplent le campus. L’hiver passé on n’avait même pas atteint le

quorum de 15% des inscrits pour un référendum, et on avait dû réitérer. C’est désolant de voir à quel point l’apathie règne sur les questions de politique chez nous. Cette fois-ci on a testé les eaux mais la prochaine fois on utilisera cette tactique pour y glisser quelques questions sérieuses. Nous réfléchissons déjà à un thème: la suspension des cours à McIntyre en hiver, ou la canonisation de flood girl, c’est à voir!» x

e-Sports: de la marge à la culture populaire La finale mondiale de League of Legends couronne SK Telecom anthony gutz & vincent beaulieu

C’

était ce samedi 29 octobre au soir à Los Angeles que se jouait la finale du jeu en ligne le plus populaire au monde: League of Legends. Une série haletante où SK Telecom (SKT, une équipe de jeu coréenne professionnelle, ndlr) a finalement terrassé Samsung Galaxy (une autre équipe coréenne professionnelle, ndlr) en cinq parties pour remporter le plus important tournoi de l’année, le World Championship, et du même coup, la généreuse somme de 2 millions de dollars. Qui aurait cru, qu’un jour, des millions de spectateurs seraient rivés derrière leur écran à regarder 10 jeunes jouer à des jeux vidéos? Comprendre le jeu League of Legends est un jeu de stratégie prenant place dans un monde fantastique opposant deux équipes de cinq joueurs qui tentent, par l’utilisation de différentes tactiques, de détruire des objectifs protégés par l’équipe adverse. Une partie dure environ 30 à 40 minu-

tes. Les meilleurs joueurs sont ceux qui usent d’intelligence et de leur connaissance du jeu et, surtout, ceux qui peuvent maîtriser avec une grande dextérité la centaine de personnages disponibles. Paru en 2009 et gratuit depuis, le jeu, par de constantes évolutions et améliorations, a su se bâtir une immense popularité. Cette année, les concepteurs ont annoncé que plus de 100 millions de joueurs à travers le monde se connectent au

le délit · mardi 1er novembre 2016 · delitfrancais.com

jeu chaque mois. L’engouement immense pour le jeu permet aux meilleurs joueurs d’être vénérés et idolâtrés tels des athlètes professionnels alors que, recrutés par des équipes professionnelles, ils s’affrontent toute l’année dans des compétitions et tournois internationaux. Toutefois, c’est au World Championship, dont la finale a été visionnée par plus 36 millions de personnes l’an passé, que la pression et le prestige sont au plus haut.

Une édition 2016 haletante

e-Sports: sport ou pas?

Cette année, les fans ont eu droit à un mois d’octobre compétitif opposant les seize meilleures équipes en provenance de partout à travers le monde. Talent et rebondissements ont été bien entendu au rendez-vous! Les séries se déroulent dans un format «3 de 5». Les deux dernières semaines ont été le théâtre des séries les plus épiques de l’année alors que se sont affrontés dans l’une des demi-finales les plus mémorable de League of Legends SK Telecom et ROX Tigers, deux puissances coréennes. Après la victoire difficile et laborieuse de SKT, plusieurs considéraient que la finale était déjà gagnée pour les doubles tenants du titre. Dès la première partie de la série, les partisans ont réalisé qu’ils avaient sous-estimé Samsumg Galaxy, qui a su remonté d’un déficit de deux défaites pour finalement être arrêté par les systématiques Faker, Bang, Bengi et autres joueurs de SKT à la cinquième et ultime partie. C’est ainsi que SKT poursuit sa suprématie au niveau professionnel, en étant couronnée pour une troisième fois Champions du monde en six occasions.

Le jeu en ligne a énormément évolué depuis les années 1990. En effet, en quelques dizaines d’années, l’industrie du jeu vidéo a complètement explosé pour atteindre quelques 100 millions de spectateurs réguliers en 2016. Les plus sceptiques doutent sûrement de la qualification de ces types de compétitions électroniques à titre de «sport» et pourtant, les industries du sport et des e-Sports sont comparables. Les nombreuses équipes s’échangent et s’arrachent les meilleurs joueurs au monde comme on le verrait lors d’un repêchage de la Ligue nationale de hockey. Les joueurs doivent agir avec brio, s’entraîner jusqu’à quinze heures par jour et jouer en équipe pour vaincre leurs rivaux. Qu’on appelle ça un sport ou un spectacle, reste est que l’engouement est là et que l’on voit déjà des gros diffuseurs comme RDS (le Réseau des sports, ndlr) ou des noms mythiques du sport comme le Paris-Saint-Germain tenter leur chance dans l’aventure e-Sports qui ne peut que continuer sur sa montée. x

actualités

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Société societe@delitfrancais.com

opinion

Pour une autre éducation Enseigner la philosophie aux enfants est une nécessité. simon tardif

D

epuis plusieurs années au Québec, nous semblons perdus lorsque vient le moment de parler d’éducation. Certains proposent de nouveaux outils, comme l’aide directe aux élèves. Pensons aussi à l’aide aux devoirs ou aux intervenants scolaires spécialisés. D’autres pensent que c’est plutôt le contenu du cours d’Histoire ou même du cours d’éthique et Culture religieuse qui pose problème. Cependant, bien que de telles questions doivent

À la lumière des questionnements récents concernant la situation critique touchant le milieu scolaire, d’aucuns pourraient croire que toutes ces polémiques ne sont le fruit que de problèmes séparés. Notons par exemple que l’école publique des dernières années a diminué ses standards de réussite, qu’elle est délaissée et manque de ressources, ou encore que le rapport parent-enfant-enseignant semble bouleversé. Cependant, il ressort de toute cette histoire l’idée que c’est davantage l’institution elle-même qui fait l’objet du débat.

être enseignée à tous et toutes? En 1946, Bertrand Russel écrivait Philosophy for Laymen, l’un des textes les plus marquants en philosophie de l’éducation. Il défend la thèse selon laquelle la philosophie devrait faire partie intégrante de l’éducation offerte à tous les individus d’une même société. À son sens, la philosophie a cette capacité, une fois enseignée, de se transformer en une praxis utile et ainsi donner la capacité à celui l’ayant apprise de développer des outils lui permettant d’améliorer son rapport à sa propre existence. Il s’agirait là d’un point

«La valorisation du savoir théorique utile et des compétences techniques va de pair avec notre appauvrissement collectif et une fuite du savoir de plus en plus exacerbée» être abordées, il semble plus pertinent maintenant d’en appeler au caractère profond de l’école. L’institution moderne de l’école québécoise fut fondée sur trois objectifs historiques et cruciaux: former des individus libres, des citoyens éclairés et des travailleurs qualifiés. Quoi que l’on en pense, il s’agissait là de la mission première de l’une des institutions les plus salvatrices des derniers siècles. Or, depuis quelques décennies nous assistons à une transformation importante de ses outils et de son engagement vis-à-vis de la société. À coup de réformes technocrates, les derniers gouvernements provinciaux du Québec ont poussé l’école à devenir chaque jour davantage l’antichambre des entreprises et des besoins de l’économie.

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société

Aujourd’hui, la valorisation du savoir théorique utile et des compétences techniques va de pair avec notre appauvrissement collectif et une fuite du savoir de plus en plus exacerbée. Il est donc d’une grande urgence de se questionner collectivement pour savoir ce que nous désirons offrir comme enseignement et vie citoyenne aux générations futures. Ce que la «Philosophy of Children» peut nous apprendre Au sein des sphères académiques, les questions touchant la diffusion du savoir sont légion. En philosophie, l’une d’entre elles, particulièrement intéressante, s’adresse à une situation comme la nôtre: la philosophie devrait-elle

essentiel pour le bon développement de tout être rationnel selon Russel. Dans la pensée éducative de Russel, Matthew Lipman publie en 1970 sa thèse concernant ce qu’il nomme à l’époque son programme de «Philosophy for Children» (P4C). Quatre ans plus tard, avec l’aide d’autres chercheurs, il

fonde The Institute for the Advancement of Philosophy for Children (IAPC) où ils conduiront dans les années futures des études concernant les impacts de l’apprentissage de la philosophie dès le bas âge. Dès 1980, ils mènent leur première étude sur 40 enfants provenant de deux écoles du New Jersey. Les résultats qu’ils observent sont saisissants. Durant l’étude, les étudiants sont divisés en deux groupes: le premier fait office de groupe d’intervention où l’on prodigue le programme P4C deux fois par semaine durant neuf semaines, alors que le second agit en tant que groupe contrôle où l’on y enseigne les sciences sociales. Neuf semaines après le début de l’étude, Lipman constate une évolution significative des apprentissages en raisonnement logique et en lecture. En 2004, l’expérience est reconduite, cette fois-ci sur 200 enfants divisés en deux groupes et, encore une fois, ils observent les mêmes résultats significatifs. Plus près de nous, l’année dernière, une étude ayant été menée conjointement par The Education Endowment Foundation et l’université Durham a impliqué pas moins de 3000 enfants âgés de 9 ans au sein de 48 écoles primaires du Royaume-Uni. L’étude a démontré que les enfants ayant pris part à des cours de philosophie durant toute l’année scolaire ont affiché de meilleurs résultats que leurs collègues au sein du groupe de contrôle et ce, après une année seulement. En effet, les résultats ont permis d’observer que l’enseignement de la philosophie a entraîné une amélioration additionnelle équivalente à deux mois de travail, dans des matières comme les mathématiques et l’anglais. Cependant, ce qu’ils ont observé de plus intéressant concerne les enfants défavorisés du groupe: ceux-ci ont démontré une progression de leurs apprentissages de quatre mois en lecture, comparativement à leurs camarades du groupe contrôle, ainsi que de trois mois en mathématiques. Mais encore, les résultats bénéfiques dépassent le cadre académique. Il a également été observé que les enfants ayant eu accès au cours de philosophie ont pu améliorer leur sens créatif en plus de leur capacité empathique. Par l’entremise du dialogue et de la conversation dirigée, les enfants ont eu l’occasion d’exercer leur jugement critique et ainsi développer le réflexe d’être à l’écoute de leurs jeunes semblables.

L’éducation comme enjeu majeur Face aux changements récents de l’école et en considération des résultats observés sur les enfants ayant évolué sous le modèle P4C, il apparaît conséquent de ralentir la cadence des réformes scolaires et de prendre le temps d’évaluer les enjeux auxquels nous faisons face. Continuer de prétendre que nos concitoyen•ne•s doivent choisir un métier professionnel dans des corps de métiers tels que la pêcherie, la restauration, l’usinage ou l’informatique puisqu’ils n’ont pas les capacités pour autre chose ne tient plus la route. En outre, s’il existe autant de problèmes au sein des milieux socio-économiques plus défavorisés, c’est peutêtre bien justement parce que le modèle éducatif des dernières décennies a permis à cette tranche de la société de s’agrandir et de s’appauvrir sans cesse. Or, dans les faits, considérant que le savoir technique se renouvelle de manière toujours plus rapide, il apparaît évident que ce ne sont plus des individus autonomes qui sont dorénavant formés au sein de nos écoles techniques, mais bien des individus dépendants d’un système qui a tôt fait de se débarrasser d’eux. L’apprentissage de la philosophie permettrait de renverser la balance. Être pêcheur n’écarte pas la nécessité de penser. En donnant l’opportunité à davantage d’enfants et futurs citoyen•ne•s d’acquérir les bases d’un savoir élémentaire, à la manière proposée par la Philosophy for Children, il semble raisonnable d’assumer que c’est toute la société qui s’en verra récompensée, à la fois socialement et économiquement. x

le délit · mardi 1er novembre 2016 · delitfrancais.com


chronique

Pourquoi les Indiens sont-ils énervés? Arno Pedram | Sous les pavés, Tio’tia:ke

R

entré chez moi cet été, je me souviens lire une histoire pour enfants à mon cousin, et alors que je tournais la page illustrant des «indiens» tirant à la flèche sur des cowboys, il me demanda: «pourquoi les Indiens sont-ils énervés?» Je lui répondis d’un rire triste: «peutêtre parce qu’on construit des

oléoducs sur leur territoire sans leur demander.»

militaires, et établi des traités avec eux.

La terre sous nos pieds

Nos pieds sur la terre

Tio’tià:ke (le «k» se lit «gu») signifie en Kanien’kehá (la langue Mohawk/Agniers) «là où les courants se rencontrent», et c’est le nom que porte ce que l’on appelle aussi Montréal. Les Kanien’kehá:ka (le peuple Mohawk/Agniers) sont un des cinq peuples de la confédération autochtone Haudenosaunee (iroquois, et non «indien», qui est un terme erroné) qui vivent sur l’île de la Tortue (aussi appelée Amérique du Nord) depuis des temps immémoriaux. Il a existé et existe toujours des centaines de peuples autochtones sur l’île de la Tortue, aux langues et cultures variées. Comme ils le faisaient entre eux-mêmes auparavant, ils ont — lors de leurs rencontres avec les colons — échangé, formulé des alliances économiques, sociales,

Quand les guerres entre empires coloniaux ont cessé, les États-Unis et le Canada se sont progressivement auto-proclamés souverains des terres autochtones, traçant et divisant arbitrairement d’un même trait de nombreuses communautés. Enfin, les états colons, afin d’affirmer leur prise sur le continent, ont entamé un processus de génocide socio-culturel par différentes méthodes: racialisation légale à travers la Loi sur les Indiens (Indian Act), confinements géographiques, assimilation forcée et violence étatique, entre autres.

Aujourd’hui, les autochtones représentent officiellement (mais probablement plus de) 4,3% de la population (Statistique Canada, 2011). C’est aussi une population extrêmement jeune dont l’âge médian est de 28 ans contre 41 pour les non-autochtones, et la population dont la croissance démographique est la plus forte au Canada. Quant à la colonisation, elle ne s’est pas évanouie avec les années. Elle s’est parée et couverte: silencieuse et évasive dans les manuels scolaires, elle s’est immiscée dans les esprits sous la forme de racisme, ignorance et violence, elle est devenue l’oubli de ceux qui ont été — et sont encore — là. Ma démarche est risquée et est aussi à lire d’un œil critique: l’académicienne Cris/Métis Kim Anderson

«Aujourd’hui, les autochtones représentent officiellement (mais probablement plus de) 4,3% de la population»

écrit: «Toujours sujets d’étude, [les peuples autochtones ont] été le lit et la fondation sur laquelle beaucoup d’«autorités» consultatives et académiques ont construit leurs carrières.» Dans le contexte colonial canadien, à la démarche d’observation d’un point de vue non-autochtone s’est presque toujours ajouté un caractère caricatural, ridiculisant et raciste. Ce qu’on cache sous les pavés Un des slogans des manifestations de Mai 68 en France était «Sous les pavés, la plage», encourageant les manifestants à déloger les pavés pour les jeter sur les forces de l’ordre. Titrer cette chronique ainsi sert d’interrogation, sur l’histoire de cette ville, du territoire américain et par extension, sur notre position, surtout en tant que francophones au Canada: à qui la ville appartient-elle? Qu’est-ce qui est caché sous la ville? Qu’a-t-on caché dans la ville? qui cache, comment et pourquoi? Qui réclame le territoire? x

Les vices du militantisme virtuel Grande visibilité ne rime pas forcément avec grand changement. sarah herlaut

Le Délit

L

e militantisme, ou promotion d’un engagement politique, a trouvé sa place en ligne. Du bouche-à-oreille, à la radio, à la télévision et jusqu’à Internet, la raison de ces changements de territoire demeure la même: la volonté de toucher le plus grand nombre. Quoi de plus efficace que Facebook? Avec 1.49 milliards d’utilisateurs réguliers, le réseau social est en route vers l’universalité. L’activisme se développe sous toutes les formes et pour toutes les causes. Groupes dédiés à un parti politique, des vidéos YouTube partagées, des images choquantes et articles engagés envahissent nos fils d’actualité. Que faut-il en retenir? Il est difficile de départager le «bon» du «mauvais» activisme. Pour beaucoup, la liberté d’expression devrait être reine, même dans un monde où la peur grandissante des uns se traduit en haine violente de l’Autre. Une propagation exponentielle De Black Lives Matter à Beyoncé qui a «brisé Internet» avec sa performance revendicatrice lors du Super Bowl 2016,

de nombreux mouvements politiques ont été découverts majoritairement grâce à Facebook. L’organisation de manifestations en Pologne pour le droit à l’avortement a pris de l’ampleur au moyen du développement d’un mouvement international sur Facebook en soutien à ces femmes réclamant le pouvoir sur leurs corps. Sans Facebook, et sans l’influence démesurée des réseaux sociaux, tous ces mouvements, et une kyrielle d’autres, auraient sûrement été mort-nés.

D’autre part, quand on sait que seulement 7% de la population africaine et 5% de celle d’Asie du Sud est active sur Facebook, l’idée du militantisme contre la pauvreté, la faim dans le monde devient assez paradoxale. Oui, il est important de sensibiliser les masses à ce qui se passe dans le monde. Il serait néanmoins plus légitime de demander aux principaux intéressés quelle image d’eux ils souhaitent voir diffusée, comme le mentionne Mallence Bart-Williams dans son Ted Talk au Berlin Salon.

Le revers de la médaille

La contre-productivité des bonnes intentions

Cependant, cette visibilité accrue des mouvements sociaux sur internet est à double-tranchant. Le premier revers de la médaille, c’est que les groupes célébrant l’Humanisme, l’acceptation de l’Autre, ou même la protection des bébés phoques ne se développent pas seuls. Le succès inattendu de la campagne de Donald Trump, l’apparition de groupes racistes, misogynes, ou même néo-nazis sur Facebook, sont des conséquences du développement de l’activisme. De plus, ils donnent un outil de rassemblement à des individus qui auraient pu demeurer isolés de la validation de quelconque groupe haineux pour le restant de leur vie.

le délit · mardi 1er novembre 2016 · delitfrancais.com

concret de ce type de militantisme demeure faible. Entre satisfaire sa conscience personnelle et agir de manière efficace, il y a un monde. C’est par les actes que le changement est initié, et comme le disait Mahatma Gandhi, «Soyez le changement que vous voulez voir dans le monde». Le militantisme sur les réseaux sociaux, s’il est utile dans une certaine mesure,

est loin d’être suffisant, et peut même décrédibiliser la cause qu’il promeut. Il la réduit à un élément banal dans le flot d’informations qui inonde notre fil d’actualités Facebook. Peut-être faut-il mieux choisir ses combats et investir son temps et son énergie pour provoquer ce changement: la conscience collective est un premier pas, mais il reste à la traduire en faits. x

Enfin, le militantisme sur les réseaux sociaux se traduit trop souvent en slacktivism (militantisme paresseux, ndlr). Le très récent déferlement de check-in dans la réserve autochtone de Standing Rock, dans l’état du Dakota aux États-Unis, est une de ces manières de manifester son militantisme en un clic. Ces check-in tiennent lieu de marque d’opposition à l’établissement d’un gazoduc au sein de la réserve. La cause est importante, et les check-in permettent à une plus grande audience d’être informée et sensibilisée sur les événements dans la réserve, tout en affirmant leur opposition à leur tour. Toutefois, l’impact

Société

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Innovations innovations@delitfrancais.com

Technologie

CRISPR, McGill et révolution génétique La nouvelle technologie qui touche au génôme oscille entre innovation et éthique.

Samy Zarour

Le Délit

L

a civilisation humaine a recours au génie génétique depuis des milliers d’années. Celles-ci nous ont permis d’apprivoiser des loups pour donner des chiens et de cultiver des bananes qui seraient autrement immangeables. Cependant, malgré l’énorme progrès que l’on a fait sur ce laps de temps, et malgré les nombreuses découvertes qui ont été effectuées, la plus marquante pourrait bien être la technologie du «clustered regularly interspaced short palindromic repeats» (CRISPR, «Courtes répétitions palindromiques groupées et régulièrement espacées», ndlr). Cette technologie datant de 2007 permet à un laboratoire muni de moyens modestes d’effectuer des modifications génétiques sur un être vivant. En outre, ce processus, qui prenait près d’un an auparavant, peut maintenant être effectué en seulement quelques semaines, avec 99% du budget d’origine. La cerise sur le gâteau: cette technique est considérablement plus précise que ses prédécesseresses. Cette découverte a complétement tourné le monde de l’ingénierie génétique sens dessus dessous. Elle a causé un réel «boom» dans le secteur de la recherche et a rendu l’impossible possible. Elle inquiète aussi une certaine partie de la communauté qui considère que la technologie CRISPR permettrait à certains de marcher sur la frontière de l’amoralité.

10 INNOVATIONS

«En quelques années cette modification artificielle s’exprimerait chez chaque individu de cette espèce et permettrait l’éradication de la malaria» CRISPR et McGill Cette nouvelle technologie pourrait avant tout prévenir plusieurs malformations et maladies génétiques qui affectent près de 6% des naissances partout dans le monde. En utilisant ce nouveau procédé, on pourrait mettre fin à certaines maladies génétiques comme la trisomie 21 ou la maladie de Huntington. D’ailleurs, elle permettrait aussi de réduire le risque de développer une maladie à laquelle on est prédisposé génétiquement comme Alzheimer ou la maladie de Parkinson. Le laboratoire Majewski à McGill cherche justement un moyen de prévenir les maladies génétiques, notamment en utilisant la technologie CRISPR. Cette technologie rendrait aussi possible la confection d’un remède pour des maladies qui ne sont pas nécessairement causées par notre code génétique. Il s’agit d’ailleurs du sujet de recherche du docteur Jerry Pelletier du département de biochimie de McGill, qui cherche un remède pour le cancer via l’utilisation du CRISPR. Au sein du même département, le docteur Chen Liang, quant à lui, utilise cette technique pour son étude sur le VIH. Ces remèdes ne seraient cependant pas forcément des remèdes «directs». Prenons l’exemple de la malaria. Cette maladie est parmi les plus meurtrières de notre histoire et a causé 438 000 morts en 2015. Elle se transmet via une

certaine espèce de moustique. En modifiant le code génétique des moustiques porteurs, il est possible de s’assurer que ces insectes ne soient plus capables de transmettre la maladie. En quelques années cette modification artificielle s’exprimerait chez chaque individu de cette espèce et permettrait l’éradication de la malaria. Néanmoins, il y a un problème qui découlerait de cette pratique: ces «remèdes» ne fonctionneraient pas pour les enfants des personnes affectées. En d’autres mots, il faudrait répéter le même processus à chaque nouvelle génération. Ceci est dû au fait que la technologie CRISPR n’affecte pas la production des gamètes — les cellules de reproductions — et donc les descendants des êtres modifiés conserveraient les gènes défectueux. Cependant, il existe une solution: les «bébés sur mesure». C’est d’ici la source des problèmes éthiques. Entre innovation et éthique Le terme «bébé sur mesure» fait référence au fait de de modifier le code génétique d’un être humain avant sa naissance, au stade préliminaire, c’est-à-dire lorsque le bébé n’est constitué que de quelques cellules. Le domaine des modifications génétiques chez l’être humain est un sujet délicat. La question demeure à propos des limites que la communauté scientifique envisage de poser pour cette pratique. Certains diraient que l’on

devrait limiter l’utilisation de cette technologie strictement à la prévention de maladies. Même dans ce cas-là, on risquerait de créer un précédent pour modifier d’autres caractéristiques mineures. On finira peut-être par confectionner des êtres «parfaits» sans défauts. Ce concept, qui semble être sorti d’un livre de sciencefiction, n’est pas nécessairement très loin dans notre futur. En effet, ce type de projet de recherche a déjà été réalisé en Chine en 2015. Ce dernier consistait à éliminer le maximum de défauts génétiques chez des embryons humains. Ainsi, il existe maintenant des bébés génétiquement parfaits qui marcheront bientôt parmi nous. Bien sûr, ces problèmes liés aux modifications génétiques existaient déjà avant l’émergence du CRISPR, mais on en reparle aujourd’hui car cette technologie est maintenant accessible à un grand nombre de laboratoires qui ne suivent pas nécessairement les conventions du passé. Repousser les limites Enfin, la communauté scientifique craint que cette explosion de découvertes dans le domaine de la génétique nous permette de briser la limite de l’espérance de vie humaine. En effet, certaines études s’accordent à dire que l’espérance de vie humaine est biologiquement limitée aux alentours de 120 ans. Cette limite pourrait cependant

être contournée à travers des modifications génétiques. On supprimerait ainsi les gènes qui accélèrent directement notre vieillissement et on rajouterait des gènes parvenant d’autres espèces qui ne vieillissent pas biologiquement comme la méduse ou le homard. Cette découverte serait peut-être avantageuse au niveau de l’individu, mais au niveau planétaire ce serait catastrophique puisque ça se traduirait par une nette augmentation de la population mondiale. Deux tiers de la population mondiale décèdent de causes liées à l’âge. En allongeant l’espérance de vie humaine, nous risquons un problème de surpopulation. En effet, il est dit que la Terre ne peut supporter que 10 milliards d’habitants. Si l’on étire l’espérance de vie, on risque d’atteindre ce nombre plus rapidement. Pour l’instant, il semblerait que ces craintes soient prématurées, puisque la technologie CRISPR est encore jeune et l’on ne connaît pas encore toutes ses limites. Comme toutes innovations de son genre, elle a ses avantages et ses risques. Comme le font remarquer Erika Kleiderman et Bartha Maria Knoppers, deux chercheuses diplômées de McGill, il y avait aussi une polémique autour du diagnostique préimplantatoire (DPI) avant que cette procédure fasse partie intégrante de la supervision de grossesses dans les hôpitaux. Seul le temps nous montrera l’impact qu’aura cette technologie sur notre vie quotidienne. x

le délit · mardi 1er novembre 2016 · delitfrancais.com


Startups

Fonder sa startup

Aspirants entrepreneurs, tournez-vous vers Frank + Oak!

Les startups: aventure périlleuse

Murat polat

Le Délit

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es grandes entreprises, telles Apple, Google et Microsoft, ont toutes eu de modestes débuts, menés par des visionnaires comme Bill Gates ou Steve Jobs. Dès leur jeunesse, ils se sont lancés en affaire, et ont inspiré ceux qui les ont suivis. Par conséquent, de nos jours, l’entreprenariat est populaire chez la jeunesse. Il permet d’être créatif, de travailler pour soi-même, et de faire ce que l’on aime. En revanche, il n’est pas facile d’y prospérer.

Une fois qu’un étudiant est diplômé, il a deux cheminements possibles: soit travailler pour une grande entreprise, soit fonder sa propre compagnie. Bien que le premier choix soit plus sûr, certains prennent le risque de se lancer en affaires. Les économies ont besoin des startups, des petites-moyennes entreprises (PME), pour créer des opportunités d’emploi. Si on se lance en affaires, on cherche à faire grandir son entreprise. Pour grandir, il faut savoir faire de la promotion pour attirer l’attention des consommateurs et d’inves-

tisseurs. La plupart n’y arrivent pas: selon Forbes, plus de 90% des startups échouent. Il faut donc non seulement innover, il faut aussi se vendre. Sinon, une startup est condamnée à mourir. Continuer ou vendre? Une fois que l’on trouve une idée novatrice, il faut trouver des fonds pour la réaliser. Kickstarter a été fondée afin que les entrepreneurs puissent financer leurs idées. Après avoir récolté des contributions d’internautes, il faut néanmoins bien les utiliser pour grandir. Certaines entreprises atteignent

un seuil de notoriété tel qu’elles attirent l’attention des gros joueurs. À ce stade, elles peuvent soit continuer de grandir, soit être achetées par une grande compagnie. C’est notamment le cas d’Instagram, vendue à Facebook pour un milliard de dollars en 2012. Frank + Oak: un exemple à suivre Avoir du succès avec une startup est difficile, mais possible. Au niveau montréalais, on peut se tourner vers Frank + Oak. Fondée à Montréal en 2012, Frank + Oak est devenue une compagnie internationale. Les deux entrepreneurs

qui l’ont fondée, Hicham Ratnani et Ethan Song, ont voulu faciliter l’achat des vêtements pour les jeunes. Ils ont donc fondé leur propre ligne de vêtements. Ratnani, un ancien de McGill, avec Song, a commencé dans un entrepôt du Mile End. Le concept de base était d’apprendre à l’homme moderne comment mieux s’habiller. Aujourd’hui, Frank + Oak détient 16 magasins au Canada et aux États-Unis, ainsi qu’une ligne de vêtements pour femmes. On y retrouve les dernières tendances de la mode, en plus d’un service de barbier pour complètement revitaliser le look de l’homme (et désormais de la femme) moderne. Quatre ans après sa fondation, Frank + Oak crée aujourd’hui un fonds d’investissements pour les jeunes entrepreneurs ayant besoin de ressources. Les entrepreneures potentiels peuvent proposer leurs idées, et Frank + Oak choisira certaines d’entre elles. Les heureux gagnants auront non seulement une bourse de dix mille dollars, mais aussi des cours d’entrepreneuriat, afin d’apprendre à bien investir. Ainsi, ceux qui veulent fonder une startup doivent savoir que c’est difficile et qu’avoir de bonnes idées n’est pas suffisant. Il faut chercher des ressources, prendre des cours d’entrepreneuriat pour bien gérer sa compagnie et faire de la publicité afin d’acquérir une reconnaissance. Pour tout jeune ayant fondé une startup, le fond de Frank + Oak est l’occasion de réaliser ses rêves. Qui sait? Le prochain Frank + Oak se cache peut-être dans le corps étudiant de McGill. x

Coup d’oeil sur la MSTS Qu’est-ce que c’est?

Que font-ils?

La McGill Students Trading Society (Société boursière des étudiants de McGill, MSTS, ndlr) est un club de l’AÉUM qui veut apprendre aux étudiants de McGill comment accroître leur fortune dans le marché bousier. Ses membres sont pour la plupart des étudiants qui ne sont pas en gestion et qui n’ont reçu aucune éducation formelle sur les finances personnelles.

• • • •

La MSTS organise une série d’événements pour introduire les participants au monde de l’investissement financier Une simulation boursière s’étalant sur deux sessions, suivant les marchés financiers américains en temps réel Rencontres éducatives lors desquelles les membres apprendront tout ce dont ils ont besoin pour maximiser leur revenu par l’investissement boursier La série de conférences Distinguished Speaker avec des professionnels accomplis du secteur des finances

Comment s’impliquer? • • •

Prochaine rencontre: le 10 novembre, 18:00 au Arts 260 — aucune inscription n’est requise. Aimer la page Facebook pour rester à l’affût Visiter le www.mcgillsts.com pour en apprendre davantage

Pourquoi MSTS? •

La simulation boursière la plus réaliste du campus •

Environnement amical, collaborative et éducatif •

De bons conseils de la part d’étudiants et de professionnels d’exception •

C’est gratuit!

Infographie réalisée par Magdalena Morales Texte écrit par Ronny Al-Nosir et Gordon Milne Icônes réalisées sur www.flaticon.com par Madebyoliver et Roundicons

le délit · mardi 1er novembre 2016 · delitfrancais.com

Qui sont ses membres? • • • •

Des étudiant•e•s en finance désirant faire carrière comme investisseurs Des aspirant•e•s ingénieur•es souhaitant travailler dans la finance Des étudiant•e•s en économie cherchant à comprendre les marchés Des étudiant•e•s en science qui veulent maximiser leurs revenus personnels

INNOVATIONS

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Culture

cinema

articlesculture@delitfrancais.com

Arnaqueur, servante et comtesse Mademoiselle, un conte pour adulte envoûtant mais inconsistant. MAHÉE MERICA

Des tonalités paradoxales

L

La dimension poétique de ce conte cinématographique est également teintée d’une sensualité puissante. Les scènes érotiques sont parfaitement justifiées dans la plupart des cas puisqu’elles contribuent à la noirceur du film et permettent de capter certains aspects psychologiques des personnages. Elles sont de plus très esthétiques et offrent un contraste intéressant avec le côté conte du film, ancrant l’œuvre dans un genre un peu flou mais néanmoins captivant. Cette manière de mêler ce qui est enfantin (la structure de l’histoire, les personnages qui matérialisent des concepts abstraits) et ce qui est adulte (sexe, manipulations et connaissance) reflète le paradoxe génial du film qui balance parfaitement entre une délicate légèreté et une ambiance capiteuse et pesante. La photographie et la composition arrivent à créer une ambiance parfaitement gothique et mystérieuse.

Le Délit

e dernier film de Park Chanwook faisait la clôture du Festival du Nouveau Cinéma le 16 Octobre et est désormais à l’affiche depuis le 28 Octobre au Cinéma du Parc. Pour son dernier film, Park Chan-wook emporte son public en pleine colonisation japonaise en Corée dans les années 1930 afin de suivre Sook-hee, une jeune coréenne engagée en tant que servante par la riche japonaise Hideko. Sook-hee emménage donc dans le sombre manoir de l’oncle tyrannique de Hideko, découvre la routine de sa mystérieuse maîtresse et tente de s’adapter à ce style de vie. Hideko de son côté essaie de trouver une alliée pour survivre à son quotidien pesant. Elle ignore cependant que sa nouvelle servante est en réalité la complice d’un escroc se faisant passer pour un comte japonais, et que les deux acolytes cherchent à la déposséder de sa fortune colossale. Une esthétique au service de la narration La photographie et la composition arrivent à créer une ambiance

Courtoisie de Mongrel Media parfaitement gothique et mystérieuse. Le montage vient contribuer à cet effet et ajoute même un aspect hypnotisant au film. Celui-ci ressemble à un conte pour adultes de par sa structure en trois chapitres, son atmosphère quasi-féérique et ses personnages qui semblent incarner des vertus ou des vices. Le jeu d’influence auxquels ces derniers se livrent est fascinant. Le film parvient donc à rester surprenant, puisque les protagonistes ne cessent jamais d’inter-changer les positions de dominants/dominés, de sorte que les

spectateurs soient complétement incapables de comprendre lequel d’entre eux aura le dernier mot. Le rythme est malgré tout fluide et les acteurs sont très convaincants, ce qui permet à l’œuvre de poser efficacement des indices à mesure que l’histoire avance. Park Chan-wook arrive également à poser de délicates touches de poésie grâce au magnifique travail de photographie. Les corps deviennent de beaux objets à observer et les paysages des miroirs de la psyché des différents personnages.

Un manque de constance

pitre. D’une qualité nettement inférieure à celle des deux chapitres précédents, ce dernier ne fait que livrer des redondances ou présenter des scènes improbables qui viennent malheureusement gâcher l’équilibre suscité en détruisant tous les efforts de légèreté que le film fournissait auparavant. Park Chan-wook cherche trop à montrer du doigt la direction qu’il souhaite que le film prenne et livre donc des scènes superflues, parfois à la limite du grotesque, que le très bon jeu des acteurs ne parvient pas à sauver. Les spectateurs font donc malheureusement face à un final écrasant qui fait un peu oublier les prouesses des chapitres précédents. On regrette par conséquent que le film n’eut pu faire preuve de constance, puisqu’un dernier chapitre réussi aurait pu le hisser au rang de chef d’œuvre. x Cette semaine au Cinéma du Parc Admission à 10$

Le gros problème du film réside dans son troisième cha-

Jonas est une histoire d’amour qui retranscrit le déterminisme social du Brésil. Une conception de l’amour revisitée

aLEXANDRA sIRGANT

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a 10e édition du festival du film brésilien de Montréal s’est tenue cette semaine (du 21 au 27 octobre) au Cinéma du Parc. Le Brésil étant souvent dépeint comme un pays muni d’une forte diversité culturelle, le festival avait pour ambition de répondre aux attentes des «amoureux du drame quotidien, de la comédie et de la romance inattendue». Avec le film Jonas de Lo Politi, cette édition du festival a tenu sa parole! Jonas est un drame romantique rythmé par des séquences de suspense propres au thriller. Premier long métrage de la réalisatrice brésilienne, le film est une histoire d’amour impossible entre Jonas, jeune des favelas (bidonville, ndlr) et dealer de drogue, et Branca, fille d’une famille riche de Sao Paulo. Amis depuis l’enfance, l’abîme social qui les sépare une fois adultes devient irrécusable. Le film débute au retour de Branca qui vient troubler le quotidien de Jonas, secrètement amoureux d’elle depuis toujours. Alors que les festivités du carnaval de Sao Paulo battent leur plein, Jonas se retrouve malgré lui auteur d’un crime qui le pousse à kidnapper

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Culture

Branca. Cachés à l’intérieur d’un char en forme de baleine, l’élément star du festival, une histoire d’amour invraisemblable débute entre eux. Les personnages sont attachants et nous charment par leur sensibilité.

Certes, des histoires d’amour impossibles entre personnes de classes sociales différentes, on en connaît un bon nombre. Pouvant s’apparenter à un «Romeo et Juliette» contemporain, Jonas se distingue cependant par sa critique de l’illusion du grand amour. Jonas est un personnage solitaire qui se sent étranger de tous. Blasé par le carnaval, il représente une jeunesse découragée par le manque de marge de manœuvre que lui offre son quotidien. Il idéalise alors l’amour comme unique échappatoire, et c’est précisément cette conception erronée qu’il s’en fait qui le poussera à séquestrer sa dulcinée. Très rapidement, nous nous rendons compte que le bourreau devient victime, victime de cet amour qui l’isole davantage. magdalena morales L’utilisation d’images floues et l’absence de musique lors des Nous assistons à un véritable scènes de carnaval font écho au tourbillon d’émotions; la camera oscille entre gros plans et cadrages sentiment de décalage du jeune homme. Les somptueux décors et plus saccadés, permettant aux couleurs éclatantes du festival sont spectateurs de partager à la fois juxtaposés avec le garage sinistre les moments d’intimité et d’apprédes chars allégoriques du carnaval, hension des personnages.

se trouvant au bord d’une autoroute déchue. A l’image de l’illusion amoureuse, l’envers du décor du carnaval nous le montre sous un autre jour, sans magie ni artifice. Une critique sociale malgré tout Le film se passe dans le quartier natal de la réalisatrice, Villa Madalena. Ce quartier se différencie des autres quartiers de Sao Paulo par sa forte mixité sociale, ce que Politi retranscrit à merveille dans son film. La réalisatrice insiste cependant sur le fait que le film n’est pas une histoire sociale mais une histoire d’amour, et c’est peut être la critique que nous pouvons lui faire. On aimerait que le film aille plus loin dans la représentation des inégalités des métropoles brésiliennes, ainsi que dans la dénonciation du déterminisme social. La fin ouverte du film freine brutalement l’action et nous laisse sur notre faim. Le film reste représentatif des inégalités sociales du Brésil actuel ainsi que des problèmes de sécurité du pays. La grandeur des scènes de carnaval et la richesse de la bande son nous plongent au cœur d’un Brésil aussi vibrant que troublant.x

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Exposition

L’artiste islandaise nous plonge au cœur de son univers en réalité virtuelle. Eléa Regembal

Suite du parcours

usqu’au 12 novembre, la fondation pour l’art contemporain DHC/ART se transforme en fenêtre sur le monde intense et poétique de Björk pour la première nord-américaine de son exposition Björk Digital. Après Sydney, Tokyo et Londres, la Red Bull Music Academy et le Centre Phi présentent cette rétrospective immersive et interactive autour des nouvelles technologies.

Au-delà de l’expérience de réalité virtuelle, l’exposition nous fait (re)découvrir la relation de l’artiste à différents médias. Une salle de cinéma projette plus de deux heures de clips musicaux, créés en collaboration avec des réalisateurs tels que Michel Gondry, Spike Jonze ou encore Michel Ocelot. Ne présentant rien de nouveau ou de spectaculaire, cela reste l’occasion de s’arrêter un instant devant des vidéos qui montrent souvent l’impressionnant esprit imaginatif de ses créateurs. Une autre salle invite les visiteurs à explorer l’application Biophilia, lancée en 2011 et aujourd’hui intégrée aux programmes scolaires scandinaves. Parmi d’autres fonctionnalités, elle nous enseigne la théorie musicale à travers des liens interactifs qui mettent en relation la musique avec des phénomènes naturels, tels que les phases lunaires ou les séquences ADN. Loin d’être une démonstration de prouesses technologiques, Björk Digital est ainsi une expérience unique et intense, au cœur de réflexions contemporaines. L’artiste construit une réalité personnelle, qui nous donne un nouveau langage visuel pour explorer la nôtre. x

J

À chaque étape, une innovation Les visiteurs intrigués, rassemblés en petits groupes, prennent place sur des sièges pivotants dans une salle sombre. Après des instructions précises et des gestes hésitants, les casques et écouteurs sont mis et la voix de l’artiste se fait entendre… au fond d’une grotte volcanique islandaise qui entoure entièrement le spectateur. La vidéo pour Black Lake, issue du dernier album de la chanteuse, avait été commandée par le Museum of Modern Art de New York dans le cadre de sa rétrospective sur l’artiste l’an dernier. L’exposition avait reçu des critiques virulentes, et beaucoup avaient accusé la vidéo pour Black Lake d’être un simple clip au lieu de l’œuvre immersive annoncée. La métamorphose de cette même vidéo en expérience

JESSE KANDA de réalité virtuelle porte alors un message clair: l’artiste évolue constamment, repoussant les limites de ses propres œuvres au fil des expositions. Chaque vidéo fait partie d’un processus de recherche et de remise en question constant. Mouth Mantra dépasse même les frontières corporelles, en nous transportant jusque dans la bouche de l’artiste alors qu’elle chante. La dernière expérience, Family, est particulièrement marquante, le visiteur avançant dans l’espace, créant lui-même du mouvement et des animations avec des manettes intégrant ses mains dans la vidéo.

Un voyage personnel Le dernier album de Björk, Vulnicura, sorti en mars 2015, retrace chronologiquement le parcours émotionnel autour de sa rupture avec celui qui était son partenaire depuis plus de dix ans. L’utilisation de la réalité virtuelle lui permet donc de partager cette expérience individuelle le plus directement possible avec le visiteur. Certains se sentiront oppressés par la nécessité de suivre un groupe, d’enchaîner les vidéos parfois intenses à un rythme imposé. D’autres seront gênés

par la proximité physique avec l’artiste et par le contenu parfois très personnel de son propos. Mais c’est avant tout un voyage d’une honnêteté et d’une créativité bouleversantes. Björk livre son cœur, et nous invite symboliquement à le réparer. En clôture du parcours, le visiteur produit en effet des fils virtuels colorés, liés au cœur ouvert de l’artiste, flottant parmi des montagnes illuminées. L’exposition devient alors un moyen de créer une nouvelle réalité mêlant art, technologie et nature afin d’exprimer, et de se libérer, de puissantes émotions.

Jusqu’au 12 novembre à la fondation DHC/ART

Musique

Une messe avec Monsieur Cohen You want it darker vient s’ajouter à la longue discographie de Leonard Cohen. Siham Besnier

S

i vous avez besoin de calme et d’inspiration, ou juste d’un moment de recueillement, You Want it Darker, le dernier album de Leonard Cohen, sorti le 21 octobre dernier, est de loin ce que vos oreilles attendent après la tempête des examens de mi-session. On y retrouve les signatures classiques de M. Cohen: l’organe rock, les chœurs féminins et les paroles métaphoriques dont il ne s’est jamais séparés depuis les années 60, et bien sûr sa voix grave et chaleureuse, caractéristique de son œuvre depuis les années 80. Cohen innove De ses œuvres précédentes, on y retrouve des thèmes souvent abordés: la rédemption, la fatalité, l’humilité, les adieux, les effets du temps sur l’Homme, sur l’amour, et sur la vie. On y retrouve aussi la progression lisse des morceaux, l’atmosphère modeste et nostalgique, ainsi

que l’humble empreinte réconfortante du chanteur. Cependant, avec cet album, Leonard Cohen innove: presque tous les morceaux incluent un élément électronique (ou électrique pour certains effets de guitare). En effet, certaines composantes rythmiques, très certainement produites par un dj pad (basse ou batterie en générale), s’associent prodigieusement avec les notes orientales, les mélancoliques accords de piano et les cordes larmoyantes des violons et violoncelles. Sa voix, de son authenticité touchante et de sa puissance profonde, vient couronner la richesse instrumentale, délivrant ainsi ce genre d’ouvrage qui vous dérobe quelques larmes. Morceaux choisis Parmi tant de morceaux si raffinés, il est difficile de prédire lesquels seront les préférés du public. You Want it Darker et It Seemed the Better Way créent une atmosphère religieuse à la fois inquiétante et envoûtante. Treaty, Leaving the Table, et If I

le délit · mardi 1er novembre 2016 · delitfrancais.com

Didn’t Have Your Love continuent d’ancrer l’album dans la thématique du sacré et de la résignation, tout en créant l’immuable intimité que l’univers de Cohen a toujours suscitée. L’excellent On the Level est le morceau qui se rapproche le plus de ce que l’on a pu entendre dans ses travaux les plus récents: Popular Problems (2014) et Old Ideas (2012). Traveling Light évoque ses titres mythiques des années 80: Everybody Knows (1988) ou encore Dance me to the End of Love (1983). De tout l’album, c’est aussi le morceau qui pousserait les profanes qui ne l’avaient pas encore fait à enfin sortir leurs paires d’écouteurs pour apprécier pleinement le panning (répartition des instruments dans le champ auditif ), ainsi que la profondeur et les vibrations de chaque élément de la composition. Le magnifique String Reprise/Treaty clôt l’album sur une note particulièrement brumeuse, cependant illuminé par le morceau précédent, Steer Your Way, empreint d’une insouciance et d’un optimisme plutôt rare dans l’album.

Une fois encore, Leonard Cohen nous offre un album exceptionnel, qui associe l’héritage propre de l’artiste avec son infatigable capacité à contribuer à la musique actuelle. Bien

que le poète affirme «I’m ready my Lord» («Je suis prêt mon Seigneur», ndlr), l’espoir d’entendre toujours plus de Cohen est décuplé. x

MONICA MORALES

Culture

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chronique

Hortense Chauvin | Horticulture travers les souterrains creusés par des fourmis moissonneuses, sous la surface des marécages où vivent les notonectes aquatiques, ou encore au cœur des fleurs où butinent les abeilles. La possibilité d’une métamorphose

C’

est un film avec un drôle de casting. Les têtes d’affiche? Les chenilles processionnaires, le scarabée rhinocéros, la plante carnivore Drosera, l’araignée Argiope, le moustique Cousin achevant sa métamorphose…pour ne citer que quelques-uns des protagonistes du film Microcosmos, de Claude Nuridsany et Marie Pérennou. Filmé avec des outils créés sur mesure pour les besoins particuliers du tournage, Microcosmos accompagne le spectateur dans les tréfonds de l’univers des insectes. Grâce à des caméras précises au dixième de millimètre, commandées à distance par des robots, les réalisateurs-biologistes ont pu s’immiscer dans le cosmos de leurs protagonistes, une prairie de l’Aveyron transformée en studio. La caméra nous entraîne ainsi à

Microcosmos se distingue des documentaires animaliers habituels en s’émancipant de toute prétention à retranscrire et expliquer le comportement des non-humains. Microcosmos s’apparente au contraire à un conte naturel cinématographique, utilisant une approche singulière et poétique, loin des représentations usuelles du nonhumain. Cette visée est particulièrement apparente dans le regard que portent les réalisateurs sur leurs protagonistes: en se mettant à la hauteur des insectes qu’ils filment et en adoptant leur vision, ils s’éloignent du format classique des documentaires animaliers adoptant une perspective humaine sur le nonhumain. Là où d’autres érigent une frontière infranchissable entre humain et non-humain, Microcosmos nous fait découvrir une nouvelle dimension. Nous faisons l’expérience d’un monde

Prune engérant à part entière, avec ses lois, ses sons, ses lieux et ses significations particulières. À l’échelle d’une coccinelle, toute goutte d’eau devient ainsi tempête. Microcosmos s’attache à nous faire ressentir l’«Umwelt» de ses protagonistes, cette expérience sensorielle de l’environnement, singulière à chaque espèce, théorisée par Jakob von Uexküll. En substituant son regard à celui de la caméra, le spectateur se transforme ainsi, en l’espace d’une heure quinze, en insecte parmi les insectes.

Une nouvelle relation avec le nonhumain ? Alors que la pression des activités humaines sur le non-humain se fait de plus en plus accrue, il est urgent de redéfinir notre rapport au non-humain, notamment aux autres espèces que la nôtre. Le rapport entre les animaux humains et non-humains est en effet souvent compris comme étant hiérarchique, l’humain se situant au-dessus des autres espèces en raison de ses facultés supposément distinctes. Cette perception d’une supériorité

inébranlable des humains contribue à les placer dans la position d’administrateurs absolus de leur environnement, posture dont les conséquences éthiques et écologiques sont désastreuses. D’autre part, cette division radicale est aveugle à la diversité du vivant: comme le note Derrida dans L’animal que donc je suis, réduire l’ensemble des espèces non-humaines au concept «d’animal» ne permet pas de saisir leur complexité et leur hétérogénéité. Ce mépris de la richesse du non-humain participe selon lui à une «guerre des espèces». En prenant le nonhumain au sérieux, Microcosmos permet au contraire de déconstruire l’exceptionnalisme et la supériorité présumés des êtres humains. L’adoption de la perspective de différents insectes proposée par le film permet de dépeindre un monde résolument divers et unique, dont la valeur est indépendante de son utilité pour notre espèce. La richesse et la complexité du monde dépeint par Microcosmos remet ainsi en question notre rapport au monde en décentralisant l’humain. En nous mettant dans la peau d’insectes, Microcosmos nous invite à bousculer notre conception des autres espèces et de leur cosmos — fût-il microscopique.x

chronique visuelle

Opini-art-re

«Je te vois, tu ne me vois pas, avec ta barbichette; Le premier de nous deux qui rira aura une tapette!»

— Vittorio Pessin

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Culture

le délit · mardi 1er novembre 2016 · delitfrancais.com


Cinéma

Rendre la banalité extraordinaire Vincent Biron nous présente Prank, son premier long-métrage.

P

message, je ne voulais pas rien dire non plus. Quelque part il y a un message d’espoir, c’est pour ça que l’on fait sourire le personnage principal à la fin, dans le petit film d’animation. J’ai voulu donner une espèce de coup sur l’épaule du spectateur pour dire qu’au final, tout ça est un peu une prank. On se fait tous écœurer, on est tous le souffre-douleur de quelqu’un d’autre, même les gens les plus populaires finissent par être un souffre-douleur à un moment ou à un autre de leur vie. C’est aussi un message de tirer de Prank, «life is though, go up». J’étais un peu le rejet, j’étais un peu comme Stefie au secondaire, ça m’a juste rendu plus though, j’ai une carapace. Ce n’est pas la majorité des adolescents qui vivent une intimidation qui les poussent sur le bord du suicide, la plupart du monde s’en tire. Cela dit, pour moi, c’est important qu’il y ait un conflit émotionnel au sein du film, la comédie juste pour la comédie ça ne m’intéresse pas tant comme cinéaste. C’est ça qui m’intéresse, c’est l’ambiguïté, c’est faire un film où dans une scène un personnage chie sur un char, mais où il vit quand même quelque chose d’intense.

rimé au Festival du Nouveau Cinéma, après avoir été présenté à la semaine de la critique de la Mostra de Venise, de Raindance et de Hambourg, le film Prank est désormais en salle dans les cinémas de Montréal. Prank revient sur la rencontre entre Stefie, jeune adolescent gauche et dans son monde, et une nouvelle gang. Stefie et ses trois nouveaux acolytes se mettent alors à multiplier les pranks (farces, ndlr), qu’ils filment avec leurs cellulaires avant de les diffuser sur internet. Vincent Biron signe avec ce film une comédie qui offre un regard insolite sur l’adolescence. Le Délit est parti à la rencontre du sympathique réalisateur.

Le Délit (LD): Qu’est-ce qui t’a donné envie de faire ce film et sur ce sujet, celui de l’adolescence ? Vincent Biron (VB): En fait l’impulsion première de faire le film est arrivée d’un endroit assez sombre dans ma vie, parce que mon père était malade du cancer. Côtoyer la mort comme ça, avoir mon père qui me disait «Fais ce que tu as envie de faire dans la vie», ça m’a comme un peu réveillé et je me suis dit «Avant d’être un vieux crouton, faudrait que je me lance et que je fasse un premier long-métrage». Au même moment je lisais un livre de Peter Biskind qui s’appelle Down and dirty pictures: Miramax, Sundance, and the rise of independent film qui raconte l’histoire du cinéma américain du début des années 90: Kevin Smith, Richard Linklater, Tarantino, toute cette gang-là qui ont fait des films avec des bouts de ficelle et qui n’ont pas attendu que les grandes instances leur disent «Vous pouvez aller tourner vos films.», qui avaient juste l’impulsion de tourner. Au même moment j’ai un de mes amis qui m’a invité à faire des pranks le 1er avril; je me suis mis à regarder sur Youtube des vidéos de gens qui en font, je me suis rendue compte que de nos jours elles sont vraiment plus élaborées que quand moi j’étais jeune. Fait que c’est un peu comme ça que j’ai eu l’idée de faire cette histoire-là, une histoire sur une gang de jeunes qui veulent un peu se rendre célèbres ou mettre la marde un peu partout où ils passent. LD: L’adolescence est souvent traitée de manière caricaturale dans les arts et au cinéma, mais Prank a une approche originale du sujet. Quelle vision de l’adolescence essaiestu de dépeindre? VB: Il y a beaucoup de gens qui font ça comme premier film, c’est une constante dans le cinéma. Je pense que c’est normal, c’est la première période où tu vis des choses très intenses, tu découvres la vie, le

des moments qui vivent devant la caméra. Je trouve que c’est un super beau média pour explorer la banalité et montrer ce qu’il y a d’extraordinaire dedans, c’est un peu paradoxal mais c’est ça qui m’intéresse. Je pense qu’il y en a un peu dans Prank de ça. Ça me fait beaucoup rire et je trouve ça touchant en même temps. LD: Pourquoi avoir décidé de ne jamais montrer les parents des personnages? VB: L’adolescence, c’est une période assez insulaire. Quand tu es avec tes amis, ultimement tout le monde adulte est en périphérie, avec ton groupe d’amis tu es auto-suffisant, et tu n’as pas besoin du reste du monde, ça devient ça ton monde. Je trouvais que de ne pas mettre de parents ça nous permettait d’illustrer ça. Après, ça nous aidait pour des raisons de logistique, ça nous évitait d’avoir à caster des parents, c’est un film qui a été fait avec les moyens du bord, on était trois sur le tournage la plupart du temps, j’ai fait les costumes (rires). On voulait éviter le piège du film à message, je ne voulais pas faire un film de vieux con, je ne voulais pas faire comme «ah

«Je ne voulais pas parler uniquement de ce qu’il y a d’ingrat dans l’âge ingrat» hortense chauvin clash d’être un enfant et de passer à l’âge adulte, c’est quelque chose de très traumatisant pour tout le monde. Je ne voulais pas prendre la même approche que tout le monde, qui est souvent une approche très dramatique. Moi mon adolescence, oui elle a été ingrate, comme tout le monde, mais c’est aussi la période où tu déconnes avec les amis, et j’avais envie de parler de ça. Je ne voulais pas parler uniquement de ce qu’il y a d’ingrat dans l’âge ingrat. Je pense que le fait de l’avoir écrit avec trois de mes meilleurs amis, ça a un peu donné ce côté-là, on est retombé dans l’adolescence, c’est pour ça qu’il y a beaucoup de jokes de pénis, de caca. Au final, je suis vraiment content, c’est une approche atypique, particulièrement au Québec. Ici souvent les films sur l’adolescence sont à teneur plus dramatique, des films sur l’intimidation, sur le suicide. LD: Est-ce que tu t’es inspiré de ta propre expérience ? VB: Big time! Il y a un peu de nous tous dedans. Je jouais de la clarinette au secondaire. Tout l’élément avec les films d’action des années 80, nous à la télé, c’était ces films-là qui jouaient constamment le samedi après-midi. Quand c’était pluvieux et que tu restais chez toi, c’étaient des films de Jean Claude

le délit · mardi 1er novembre 2016 · delitfrancais.com

Van Damme qui jouaient. On avait tous les mêmes références, c’était une manière de rendre hommage à ce qui nous avait fait aimer le cinéma. Après ça j’ai découvert Linklater, Kevin Smith, Fellini, une cinéphilie c’est quelque chose qui se construit, mais je trouve que souvent, par affect, beaucoup de cinéastes renoncent à leurs amours de jeunesse. Moi je trouve que ce serait malhonnête intellectuellement de nier ces influences-là, on les revendique. Je pense que c’est ce qui fait que les gens trouvent le film rafraîchissant. Il y a quelque chose d’assumé là-dedans. Je me la pète vraiment aujourd’hui, désolé (rires)! LD: Quelle est la visée de ton film? Quel est le message que tu voulais faire passer, s’il y en a un? VB: Le message, c’est qu’il n’y a aucune amitié à laquelle on peut se fier (rires)! L’idée d’un message dans un film c’est quelque chose qui m’irrite un peu, je trouve qu’il y a quelque chose d’un peu réactionnaire là-dedans. Ça fait très «moi j’ai quelque chose à livrer aux gens». Surtout en faisant un film sur les jeunes: moi qui ne suis plus si jeune, faire un film à message sur les jeunes, je trouve que c’est très très vieux jeu. Nous avons comme essayé d’être un peu nihilistes, un peu fous. Quand je dis que je ne voulais pas avoir de

LD: Qu’aimerais-tu apporter au cinéma et à la comédie québécoise? VB: Shit! C’est une question à laquelle je ne pense pas trop, je vais apporter ce que je peux apporter, si le monde en a besoin ça va être aux gens de décider. Si l’on peut apporter un vent de fraîcheur, alors je vais considérer que c’est mission accomplie. Je pense que le cinéma québécois est dû pour une émancipation. Ça fait des années, on a comme l’impression que pour avoir un cinéma valable en tant qu’auteur il faut avoir un cinéma dramatique, qui dit des grandes choses. Ma cinéphilie est super éclectique, j’aime autant Alain Resnais que Superbad. Moi j’espère que la nouvelle génération après nous-autres ne va pas juste faire des drames, j’espère voir des comédies musicales, j’espère voir un éclatement des formats. Si Prank peut avoir contribué à ça, je vais pouvoir mourir en paix, parce que j’ai un pied dans la tombe à mon âge (rires). LD: Comment définirais-tu ton rapport à la banalité, dans le film et en général? VB: Je suis quelqu’un de très banal (rires)! Moi c’est quelque chose qui me fait beaucoup rire, la banalité, les drames ordinaires, quelqu’un qui se fait laisser dans un fast-food, ce genre de trucs c’est quelque chose que je trouve touchant. C’est quelque chose qui m’intéresse beaucoup dans le cinéma. C’est un média narratif mais c’est aussi un média où tu crées

oui c’est vrai les jeunes ne peuvent donc pas communiquer avec leurs parents!», ça a déjà été fait. Je trouve triste les cinéastes dont je vois trop les influences. Moi j’ai envie de dire aux gens d’aller voir les films que j’ai aimés, je n’ai pas envie de juste leur resservir ce que moi j’ai aimé. LD: Es-tu toi-même un prankster (farceur, ndlr)? VB: Pas tant, quand j’étais jeune j’essayais d’en faire, mais nous c’était très simple, on sonnait chez les gens et on se sauvait en regardant les gens sortir, et on se trouvait très drôle. Quand j’ai eu l’idée de faire un film j’ai des amis qui m’ont invité à faire des pranks pour le 1er avril mais c’est fucking difficile de faire des pranks réussies! Dans Prank, ils ne sont pas très bon, ce ne sont pas des bons pranksters, il y a toujours quelque chose d’assez off, je trouvais ça plus drôle qu’ils ne soient pas bons parce que c’est vraiment difficile, c’est un art qu’il faut perfectionner avec le temps. Donc non, je n’en ai jamais vraiment fait. Moi j’étais un peu comme Stefie quand j’étais jeune, je n’étais pas très cool, fait que voilà (rires)! x Prank, jusqu’au 3 novembre au Cinéma du Parc Propos recueillis par Hortense Chauvin et hannah rafin Le Délit

Culture

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Entrevue

La douceur de Milk & Bone Laurence Lafond-Beaulne partage les avancées du groupe montréalais Milk & Bone.

M

ilk & Bone est un groupe montréalais composé de Laurence Lafond-Beaulne et de Camille Poliquin. Sorti en mars 2015, leur premier album — Little Mourning — a rapidement rencontré du succès. Leur style s’apparente à de la pop électro dans laquelle le mélange de voix, de sonorités et de rythmes est un calcul précis. Les tendances rêveuses et intimes de leurs chansons peuvent s’apparenter à celles d’autres groupes comme Wet ou bien HAUTE si l’on veut rester plus mcgillois.

CHANSONS EN RAFALE Ta chanson préférée? Grande question, Days of Candy de Beach House je pense car c’est une chanson qui nous touche vraiment Camille et moi. La chanson que tu détestes? I’m Blue de Eiffel 65. Ça je suis pas capable, ça me donne des frissons dans le dos puis j’ai envie de frapper tout le monde autour de moi. (rires) Celle en te réveillant pour le déjeuner le matin? Should have known better de Sufjan Stevens. C’est vraiment drôle car Camille et moi on a choisi la même sans le savoir. Celle pour te coucher le soir? Je suis incapable de m’endormir sur de la musique en fait, ça prend trop de mon attention. Celle pour faire l’amour? Mon dieu, je ne vais pas y aller avec un cliché. C’est rare que ça arrive mais quelque chose qui pourrait être beau, je pense que du Lana del Rey, dans le genre un peu romantique. Celle pour faire la fête? Never Leave You de Lumidee, vraiment une cool toune. Celle pour te relaxer? Sufjan Stevens, c’est quelque chose qui m’apaise vraiment beaucoup. Et celle de ton enfance? Crazy Mama de J. J. Cale, ça c’est la chanson de mon enfance. Le Délit (LD): Natalie, votre dernier morceau a fait pas mal de bruit (déjà près d’un million d’écoutes sur Spotify en un mois), vous avez récemment fait une tournée aux États-Unis, vous multipliez les collaborations, on dirait que tout vous sourit en ce moment. C’est votre sentiment aussi? Laurence Lafond-Beaulne (LLB): C’est sûr qu’on est hyper contentes de tout ce qui se passe. Mais la réalité c’est qu’on vit tout ça assez différemment parce qu’on est tellement dans le travail et dans «Bon c’est quoi la prochaine chose à faire?

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entrevue

Jerry pigeon De gauche à droite: Camille Poliquin et Laurence Lafond-Beaulne

«Quand c’est vrai, ça va passer, peu importe ce que c’est» Qu’est-ce qu’il faut améliorer?» C’est sûr que tout ça c’est vraiment des belles tapes dans le dos, pis c’est agréable comme sensation de savoir que le gens sont réceptifs et aiment ça. C’est sûr que ça donne envie de continuer. Je pense que de toute façon on continuera parce que on a du plaisir à travailler ensemble, on a besoin de faire de la musique ensemble. Mais oui c’est sûr que tout ce qui s’est passé depuis le lancement de l’album c’est vraiment une grosse surprise pour nous. LD: La renommée que vous gagnez progressivement vous fait-elle peur? Est-ce que par moments vous vous demandez ce qui vous arrive? LLB: Je ne sais pas si Camille c’est exactement la même chose que moi, mais je ne pense pas qu’on le ressente vraiment. Je pense qu’on reste quand même assez underground si on veut. Ce n’est pas comme si on passait tout le temps à la radio pis à la télé. Donc on n’est pas des stars. Notre musique nous permet de voyager et de faire des spectacles, mais on arrive quand même à être assez low-key pis vivre notre vie très normalement (rires). C’est sûr que si ça grossit la perte d’intimité va peutêtre m’inquiéter un peu, mais on n’en est vraiment pas là, il n’y a pas de problèmes avec ça pour le moment. LD: Quels artistes écoutez-vous aujourd’hui ou du moins, quels sont vos artistes favoris en ce moment? Lesquels vous inspirent le plus? LLB: En ce moment, y’a le dernier Bon Iver qui est sorti, sur lequel on capote les deux vraiment vraiment vraiment beaucoup. C’est comme tout le monde, le dernier Frank Ocean aussi on n’arrête pas de l’écouter. Sinon , moi ces

temps-ci, j’ai découvert un label qui s’appelle Enchufada, c’est beaucoup d’artistes électro avec des thèmes de musique latine, donc de la bachata et des trucs comme ça, mais assez house en général. Pis y’a un album où c’est une chanson de chacun des artistes du label, j’écoute beaucoup ça. J’ai découvert ça et ça me fait vraiment beaucoup triper. LD: Camille a lancé un album solo avec KROY, est-ce que tu composes de ton côté aussi? Et, si oui, est-ce que l’on va entendre ce que tu produis? LLB: Ben moi je compose sans cesse de mon côté parce que j’ai besoin de le faire pis j’ai envie de le faire. J’ai pas vraiment le désir de présenter un truc solo. C’est quelque chose qui m’a jamais appelé, je pense que je suis quelqu’un qui travaille plus en groupe, en band, en équipe. Donc oui je compose toute seule de toute façon pis après y’a des trucs qui vont aller pour Milk & Bone et d’autres pas, je vais les travailler quand même pour le plaisir. LD: Est-ce que vous avez commencé à travailler sur un nouveau projet d’album? LLB: Ben tranquillement. C’est sûr que là en ce moment on est complètement focus. On donne notre dernier spectacle de la tournée le 10 novembre donc ça clôt l’année et demie pendant laquelle on a voyagé. En ce moment, on revisite complètement le spectacle, on ajoute des nouvelles choses: on va avoir un décor, une scénographie, des projections, tout est nouveau. Donc on a la tête complètement là-dedans, on pratique pour ça et on travaille avec des collaborateurs exceptionnels, donc ça prend toute notre énergie. Dès que ça sera terminé, on s’en va directement en écriture et en studio puis on va commencer le deuxième album. On a vraiment hâte.

LD: Par rapport à l’importance de la chanson engagée aujourd’hui: est-ce que tu penses qu’aujourd’hui, dans une société comme la nôtre où l’on prend rarement le temps de réfléchir, la chanson engagée peut encore avoir la même valeur ou la même place? LLB: Ben oui certainement. Être engagé•e, il y a plusieurs manières de l’être. Je pense qu’il y a une manière de le faire, comme coriace, qui dénonce beaucoup plus des enjeux sociaux. Je pense qu’il y a des chansons engagées sans le vouloir intentionnellement aussi. Écrire des chansons puis être un artiste en général c’est un peu dépeindre le temps dans lequel tu vis pis les enjeux que tu rencontres. Moi pis Camille, on ne prétend pas faire de la chanson engagée mais je pense qu’on se limite pas, pis on se prive jamais de dire quelque chose. Il y des chansons qui parlent d’adultères, des chansons qui parlent de sexualité, puis on est deux femmes, on comprend tout ça. On ne s’est jamais empêchées de dire quoi que ce soit parce que ça pourrait ne pas être acceptable. Au contraire, je pense que tout ce qu’on a envie de dire, tout ce qui sort — que ça soit beau ou laid —, c’est vrai et on va le dire. Mais oui je pense qu’il y a encore plein d’artistes qui sont engagées. Être engagé•e, côté texte en tout cas, je pense que ça peut être dans de la subtilité aussi. LD: En continuant sur ce sujet, le clip semi-animé de Coconut Water, c’est une manière pour vous de ne pas mettre de tabous? LLB: Ouais, je pense qu’on a jamais voulu se bloquer à rien. Donc ouais, ça a fait réagir parce que y’avait des gens qui étaient comme: «Mais qu’est-ce qui se passe à la fin? Y’a des pénis volants, pis des seins, des bikinis, voyons!» (rires) Mais pour nous c’était complètement drôle, pis c’est une chanson un peu d’amour, un peu sensuelle, donc on voulait y aller à fond. Je pense que pour nous y’a pas de tabou qui existe du moment qu’on arrive à le mettre en mots joliment. Tout ce qui est important c’est de raconter quelque chose qui vient d’un endroit réel et qui soit vrai. Quand c’est vrai, ça va passer, peu importe ce que c’est. x

Milk & Bone le 10 novembre au Théâtre Maisonneuve, Place des Arts Propos recueillis par

Yves Boju Le Délit

le délit · mardi 1er novembre 2016 · delitfrancais.com


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