Publié par la société des publications du Daily, une association étudiante de l’Université McGill
Mardi 19 janvier | Volume 106 Numéro 9
L’arabe, notre culture, notre identité depuis 1977
Volume 106 Numéro 9
Éditorial
Le seul journal francophone de l’Université McGill
rec@delitfrancais.com
Ces étudiants qui aident les étudiants
rédaction 3480 rue McTavish, bureau B•24 Montréal (Québec) H3A 1X9 Téléphone : +1 514 398-6784 Télécopieur : +1 514 398-8318
Le Délit se prononce en faveur du maintien de Midnight Kitchen. Ikram Mecheri et madeleine courbariaux
Le Délit
Du 11 au 18 novembre 2016, les étudiants de premier cycle de l’Université McGill sont invités à se prononcer sur la continuité du frais de 3,35 dollars qu’ils payent chaque session à l’organisme Midnight Kitchen. Après avoir discuté, analysé et même goûté aux délicieux repas de l’organisme, l’équipe du Délit est en faveur du maintien de ce frais qui assure la survie de l’organisme et invite par cette même occasion les McGillois à aller voter. L’histoire de Midnight Kitchen débute en 2002 lorsque sept étudiants du Groupe d’action et de sensibilisation au pouvoir étudiant (GRASPÉ) décident de fonder Midnight Kitchen en guise de protestation à la corporatisation des options alimentaires sur le campus. Depuis, quatre fois par semaine, du lundi au jeudi, Midnight Kitchen offre des dîners gratuits à plus de 250 étudiants. Les repas sont préparés par les membres de l’association, composée en grande majorité de bénévoles. Selon Anastasia Dudley, la chaire du comité «Oui» de Midnight Kitchen, ce sont plus d’une centaine de bénévoles qui permettent le succès de l’association à chaque session. «Midnight Kitchen n’est pas seulement un organisme qui donne de la nourriture gratuite sur le campus, c’est une communauté qui organise aussi des ateliers et des conférences» confie la responsable. La cotisation des étudiants est selon l’organisme vitale à sa survie. En effet, cette cotisation constitue 78% du budget annuel. Ce budget sert également à payer les cinq employés qui assurent la logistique au cours de l’année. Grâce à l’organisme Moisson Montréal, les membres de Midnight Kitchen n’ont plus besoin de faire du déchétarisme ou de solliciter directement les supermarchés pour récupérer leurs aliments périmés ou «moches». L’entreprise à but non lucratif Moisson Montréal est une banque alimentaire qui regroupe des donations de nourriture pour les redistribuer à des organisations communautaires de l’île de Montréal tel que Midnight Kitchen. Toutefois, depuis cet été, Moisson Montréal a cessé de distribuer les denrées gratuitement et demande un frais symbolique en échange. Selon la responsable de l’association étudiante, Élizabeth Dudley, la situation est problématique
car Midnight Kitchen dépend de Moisson Montréal, et ce frais supplémentaire rend plus délicat l’accès à des denrées gratuites, surtout pour une population précaire. Par conséquent, la nature et la quantité des denrées que l’association étudiante reçoit ne sont pas suffisamment constantes pour qu’elle puisse planifier à l’avance les recettes de ses repas. D’où l’admiration générale pour Midnight Kitchen et sa réussite ponctuelle de plats presque improvisés. Pour ceux qui n’ont pas encore eu la chance de faire la queue jusqu’au troisième étage du bâtiment Shatner, un tupperwear à la main et le ventre creux, son menu est très simple: un légume ou salade, une soupe (très copieuse) et un morceau de gâteau (le plus rapide à être en rupture de stock). Tout ce que Midnight Kitchen sert est végane, et ce n’est pas seulement pour des raisons de régimes ou d’allergies. Selon Elizabeth Dudley, ce choix de régime permet aux étudiants d’avoir un repas équilibré tout en simplifiant la conservation des aliments. La force de Midnight Kitchen est avant tout son pouvoir de recrutement de bénévoles, qui lui permet de faire pratiquement gratuitement un travail de restaurateur. En effet, sans les presque cent bénévoles qui viennent aider chaque semestre, l’association aurait peine à servir autant de monde tous les jours avec seulement quelques membres permanents et la cotisation monétaire de 3,35 dollars par session et par étudiant. Leur facilité à recruter des bénévoles vient de notre facilité en tant qu’étudiants à trouver des façons d’aider: que ce soit en venant découper les parts du gâteau dans leur grands plats métalliques le matin, en servant la soupe à midi, louche en main, ou en faisant la vaisselle l’après midi, les moyens de contribuer ne manquent pas. En plus, contribuer permet de se réserver une part de gâteau, littéralement. Finalement, la mission de Midnight Kitchen s’inscrit dans une vision plus large qui est celle de combattre l’insécurité alimentaire sévissant auprès des étudiants, en offrant une alternative réelle aux menus dispendieux des cafétérias et restaurants sur le campus. Un deuxième référendum, celui du maintien des frais de l’association Midnight Kitchen pour les étudiants du cycle supérieurs débutera le 19 novembre prochain. x
Rédactrice en chef rec@delitfrancais.com Ikram Mecheri Actualités actualites@delitfrancais.com Chloé Mour Louis-Philippe Trozzo Théophile Vareille Culture articlesculture@delitfrancais.com Dior Sow Hortense Chauvin Société societe@delitfrancais.com Hannah Raffin Innovations innovations@delitfrancais.com Ronny Al-Nosir Coordonnateur de la production production@delitfrancais.com Yves Boju Coordonnateurs visuel visuel@delitfrancais.com Mahaut Engérant Vittorio Pessin Coordonnateurs de la correction correction@delitfrancais.com Madeleine Courbariaux Nouédyn Baspin Coordonnatrice réseaux sociaux reso@delitfrancais.com Louise Kronenberger Multimédias multimedias@delitfrancais.com Magdalena Morales Événements evenements@delitfrancais.com Lara Benattar Webmestre web@delitfrancais.com Mathieu Ménard Contributeurs Chloé Anastasiadis, Léandre Barôme, Léa Begis, Natasha Comeau, Victor Depois, Gaby Dorey, Anne Gabrielle Ducharme, Luce Engérant, Céline Fabre, Vincent Lafortune, Éléa Larribe, Lisa Marrache, Monica Morales, Vincent Morréale, Sébastien OudinFilipecki, Charles-Gauthier Ouellette, Jacques Simon, Margaux Sporrer, Paul Thulstrup Couverture Mahaut Engérant et Vittorio Pessin bureau publicitaire 3480 rue McTavish, bureau B•26 Montréal (Québec) H3A 1X9 Téléphone : +1 514 398-6790 Télécopieur : +1 514 398-8318 ads@dailypublications.org Publicité et direction générale Boris Shedov Représentante en ventes Letty Matteo Photocomposition Mathieu Ménard, Lauriane Giroux, Geneviève Robert The McGill Daily coordinating@mcgilldaily.com Sonia Ionescu
2 éditorial
Les opinions de nos contributeurs ne reflètent pas nécessairement celles de l’équipe de la rédaction.
L’usage du masculin dans les pages du Délit vise à alléger le texte et ne se veut nullement discriminatoire. Le Délit (ISSN 1192-4609) est publié la plupart des mardis par la Société des publications du Daily (SPD). Il encourage la reproduction de ses articles originaux à condition d’en mentionner la source (sauf dans le cas d’articles et d’illustrations dont les droits avant été auparavent réservés, incluant les articles de la CUP). L’équipe du Délit n’endosse pas nécessairement les produits dont la publicité paraît dans ce journal. Imprimé sur du papier recyclé format tabloïde par Imprimeries Transcontinental Transmag, Anjou (Québec).
le délit · mardi 15 novembre 2016 · delitfrancais.com
Actualités actualites@delitfrancais.com
À l’asso de l’actu
Les mots qui marquent
La Riposte socialiste La Riposte socialiste (Socialist Fightback en anglais, ndlr), association étudiante implantée à Concordia et McGill, connaît un renouveau cet automne. Servie par un groupe de volontaires soudés et passionnés, la Riposte promeut ses idéaux marxistes par le biais de réguliers événements; conférences et discussions sur des sujets historiques, théoriques ou actuels. Ce jeudi, par exemple, un colloque intitulé «Comment lutter contre Trump?» est organisé dans le bâtiment Shatner par la Riposte. L’association s’est aussi fait remarquée ces dernières semaines par son soutien au Syndicat des employé·e·s occasionnel·le·s de l’Université McGill (SEOUM) pendant sa grève. x
«Ma propre contribution peut changer la planète» Principale Suzanne Fortier, à propos de la durabilité à McGill, lors de la séance commune du Sénat et du Conseil des Gouverneurs mcgillois, s’encourageant ellemême, et au même titre tous les étudiants, à agir. x
18
Le chiffre à retenir
C’est le nombre de groupes de travail que GRIP (Groupe de réflexion à intérêt publique) supervise, finance et auxquels il fournit les ressources et formations nécessaires à leur fonctionnement. Parmi ces groupes on retrouve Demilitarize McGill, Accessibilize Montreal! ou encore Solidarité sans Frontières. x
Cette semaine
À suivre Trump intrigue, Trump irrite
Produits hygiéniques gratuits? En tant qu’étudiants mcgillois en premier cycle vous pouvez voter sur une motion garantissant la distribution de produits menstruels gratuits sur la campus, au coût de 0,90 dollar par étudiant. Si approuvée, cette mesure resterait en place pendant cinq ans, avant d’être resoumise à un référendum d’approbation. La période de vote est ouverture jusqu’à vendredi prochain 18 novembre à 17h. x
La communauté montréalaise étudiante et universitaire se met en branle en réaction au résultat inattendu de l’élection américaine, ceci avec une urgence moins grande qu’aux États-Unis, mais de manière non-négligeable. Après une manifestation anti-Trump sur la rue Sainte-Catherine le lendemain du scrutin, un rassemblement communautaire de «résistance» organisé par Grip-Concordia ce jeudi passé (en voir plus, p.7), et une veillée «Love trumps hate» transpartisane à l’initiative de Democrats abroad at McGill ce lundi, nombre d’événements liés sont prévus prochainement. Conférences s’interrogeant sur la portée historique ou géopolitique de l’élection, manifestations militantes d’opposition, ou de soutien, il y en aura pour tous, si après deux ans d’omniprésence médiatique leur curiosité, ou sens moral, les pousse à faire le déplacement et surmonter leur lassitude. x
Campus
La durabilité, ils y pensent Séance commune des sénateurs et gouverneurs mcgillois. Théophile Vareille
Le Délit
S
ous un haut-plafond agrémenté de dorures, entre de fines colonnes de marbre, le tout-McGill. C’est au Faculty Club qu’a lieu l’annuelle séance commune du Sénat et du Conseil des gouverneurs mcgillois. Le Sénat est l’autorité responsable des affaires académiques mcgilloises tandis que le Conseil des gouverneurs mcgillois est la plus haute autorité de l’Université. Le premier est composé principalement de professeurs et sénateurs étudiants élus, le second l’est de manière plus varié, accueillant des membres de l’administration, ainsi que deux représentants étudiants. Chaque année, ces deux instances se réunissent pour discuter d’un enjeu au long-terme pour l’Université. L’année dernière, il s’agissait du campus intelligent, par le passé il y a eu la santé mentale (2013), la propriété intellectuelle (2008) ou la durabilité (2007). Ce jeudi 10 novembre on revient à la durabilité, sous l’intitulé «Plans et initiatives de McGill sur la durabilité». Il a donc été question de durabilité pendant près de trois heures. Durabilité, au futur La séance a commencé par des remarques polies de Stuart Cobbett, président du Conseil
des gouverneurs, et de la principale Suzanne Fortier. Trois professeur·e·s, de géographie, biologie et sciences des ressources naturelles, ont ensuite donné une présentation sur un sujet reliant leur domaine à la durabilité. Après cela, une heure a été allouée à la réflexion en tablées, chaque tablée résumant à l’issue de cette heure ses conclusions à l’assemblée, avant les remarques de clôture de Mme Fortier. Se félicitant de la qualité comme de la quantité des idées avancées, Mme Fortier s’est réjouie d’une rencontre «incroyablement utile». «On sait ce que l’on devrait faire, ce que l’on peut faire», a-t-elle affirmé, «C’est important pour nous et notre campus, et important pour notre planète». «Chacun peut apporter sa propre contribution, peut changer la planète», continua-t-elle, avant de terminer, «Il est urgent de nous mettre en marche, de manière ordonnée, vers des solutions». Une «manière ordonnée» qui n’inclut pas le désinvestissement de l’Université hors des énergies fossiles, un enjeu qui ne fut pas mentionné. Ram Panda, président de la Commission de conseil en matière de responsabilité sociale (CAMSR en anglais, ndlr) était lui aussi présent. Cette commission avait indiqué cet avril, en réponse à un rapport déposé par Divest McGill, que les compagnies pétrolières ne causaient pas de «préjudice social», expliquant qu’elles n’étaient pas responsa-
le délit · mardi 15 novembre 2016 · delitfrancais.com
bles de l’usage fait de leurs produits (c.-à-d. le brûler, et émettre des gaz à effet de serre). «Non-sens ésotérique» Un participant, souhaitant rester anonyme, a partagé avec le Délit son scepticisme quant à cette séance commune. «C’est du non-sens ésotérique» a-t-il affirmé, expliquant que l’on proposait nombre de belles idées sans s’attarder sur leur faisabilité ou financement, quelle utilité y trouver? Ce participant est aussi revenu sur la présence de membres du Syndicat des employé·e·s occasionnel·le·s de l’Université McGill, en grève la semaine passée, lors du début de la séance, qui probablement «indiffère» la majorité de l’assemblée. Des nombreuses propositions des différentes tablées sont ressortis trois thèmes: interdisciplinarité, communauté et neutralité en carbone. Il faudrait ainsi inclure à chaque cours mcgillois une composante académique traitant de durabilité, et que toute la communauté mcgilloise soit engagée derrière l’objectif d’un campus vert, où fleuriraient des fontaines d’eau et où seraient aussi tenus des déjeuners académiques à propos de la durabilité. La nature même de cette séance commune du Sénat et du Conseil des gouverneurs étant de s’interroger sur des perspectives d’importance à long terme, il faudrait sans doute attendre quelques années pour juger des résultats de cette rencontre.x
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actualités
3
campus
Presse étudiante alternative
Le Délit est parti à la recontre de quelques publications mcgilloises. Immersion. Lieu commun
A
u grand dam des membres du Délit, la francophonie est peu représentée dans les journaux étudiants mcgillois. Heureusement, Lieu commun est là pour essayer de rétablir l’équilibre. Fondée en 2012, la revue est affiliée au département de langue et littérature française. Poésie, théâtre ou encore essai, le périodique offre une plateforme à toute personne qui souhaite écrire en français. Le nom souligne l’idée d’union qui guide le projet. «Chaque thème est un lieu commun, qu’on essaye d’exprimer, de réfléchir, de déconstruire ensemble» explique Jeanne Simoneau, éditrice-en-chef. À chaque session universitaire son tirage. À raison d’une cinquantaine de pages, l’équipe publie une dizaine d’œuvres littéraires, le tout regroupé dans un livret à la couverture minimaliste. La publication fonctionne sous appel de texte. Les soumissions sont ouvertes aux étudiants de McGill, mais aussi aux membres d’autres universités et même aux non-étudiants. Pour chaque entrée il y a un processus d’édition. Correction, rencontre avec l’auteur·e et révision : ensemble, les membres de Lieu commun font un travail littéraire rigoureux. Cette année exceptionnellement, une édition «double» d’une centaine de pages sera tirée en avril. La première moitiéest presque bouclée. La deuxième cependant, sera effectuée à partir de janvier. Si vous souhaitez participer à ce beau projet, et mettre en valeur vos talents littéraires, vous pouvez répondre à leur appel de texte et leur envoyer votre œuvre. x
The Plumber’s Faucet
«C
’est assez commun d’avoir un magazine d’humour universitaire», à McGill, c’est le Plumber’s Faucet, explique un de ses éditeurs. À coup de caricatures et de satires, le périodique a su se créer une petite renommée auprès des étudiants avides d’un bon rire. Basée à l’origine dans la Faculté de génie, il s’est récemment étendu à l’ensemble du campus. Si le tirage est sporadique, le magazine veut publier mensuellement. «Les McGillois n’ont pas une identité aussi fortement revendiquée que les étudiants des autres universités» déplore notre éditeur. Pour lui, avoir un magazine d’humour permet d’externaliser ses élans artistiques, et renforcer un certain sentiment d’appartenance. Si auparavant le Faucet était principalement orienté vers les ingénieurs, le magazine touche aujourd’hui à des sujets bien plus variés. L’humour porte surtout sur les questions mcgilloises, mais aussi, plus largement, sur la vie montréalaise et canadienne. L’édition d’octobre 2016, exceptionnellement à double face, arborait sur le recto des étudiants interrompus en plein cours par des constructions, et sur le verso un adulte faisant peur à des enfants avec un masque de Donald Trump. Si vous souhaitez y jeter un coup d’œil, vous pouvez vous procurer le tirage spécial Halloween ou attendre l’édition de novembre qui devrait être disponible à la fin du mois. x
Folio
«I
-l y a un manque d’art plastique à McGill, nous voulons remplir ce vide», explique Megan Jezewski, éditrice de Folio. Ce dernier est un magazine indépendant qui publie chaque semestre une vingtaine de pages d’art visuel, et ce depuis 2009. Ouvert à tous, Folio se distingue par une approche artistique qui place les idées au-dessus de la technicité. Le magazine vise autant à promouvoir l’art sur un campus qui en est dépourvu qu’à offrir une plateforme d’expression aux étudiants mcgillois à la veine artistique, qui ne peuvent laisser libre cours à ce penchant dans un cadre académique — McGill n’ayant pas de programme d’art plastique. «Folio, continue Megan Jezewski, se veut différent du Club des arts visuels des étudiants de McGill» (McGill students visual art society, ndlr), mettant en avant des formes d’art «non-traditionnelles, experimentales». Sans se revendiquer pleinement d’avant-garde, Folio reste tout de même relativement discret. Autour de 100 copies physiques sont imprimées à chaque numéro, qui est concocté par une équipe bénévole d’une petite dizaine de personnes. Le magazine ne dispose que d’un budget limité, provenant en partie de subventions d’associations étudiantes ou universitaires, et de levées de fond pâtissières. On peut mettre la main sur un exemplaire lors du lancement organisé à chaque nouvelle édition, ou en tombant dessus par chance dans l’université. Le moyen le plus sûr reste de se rendre au lancement du numéro. Celui d’automne avait lieu ce jeudi 10 novembre, à l’Espace Pop, en compagnie de musiciens invités. Les œuvres d’art du numéro étaient exposées, pour une soirée seulement. Vous l’avez compris, Folio se mérite, restez-donc aux aguets de leur prochain numéro, paraissant l’hiver prochain. x
4 actualités
The Veg
«A
imer l’écriture créative, mais avec un brin de légereté», The Veg en quelques mots, par l’une de ses éditrices. The Veg est un magazine indépendant et semestriel de littérature étudiante et anglophone. Il se démarque de son «grand frère» le Scrivener par une attitude plus «hipster», une certaine liberté due à une «pression moins importante», ayant été créé en 2003, un demi-siècle après son aîné. En dépit de sa modestie, The Veg se doit tout de même de faire le tri entre 80 à 100 textes pour chaque édition, n’en retenant qu’une cinquantaine pour remplir ses quelques 150 pages. Neuf éditeurs sont responsables de cette entreprise de sélection, tous ne sont d’ailleurs pas étudiants à McGill. Les textes pour l’édition automnale ont été choisis, ils n’ont plus qu’à être agrémentés d’illustrations et photographies, avant le lancement de l’édition le 24 novembre prochain. 400 à 500 copies en seront imprimées, que vous reconnaîtrez à leur format allongé et leur couverture-œuvre d’art. Pour expliquer son succès, The Veg pointe le déficit de moyens d’expression créative à McGill. Un seul cours d’écriture créative est offert par le département de littérature anglaise, et pour une quinzaine d’étudiants seulement. The Channel, le journal officiel du département, ne publie lui que des essais. The Veg, en s’invitant sur la scène de la création littéraire anglophone voilà une douzaine d’années, n’a pu combler qu’en partie un vide qui persiste. x
Radix
«L
e spirituel, c’est tout ce qui est en lien avec ce qu’une personne ressent», nous indiquent James Reuth et Edward Ross, co-éditeurs de Radix, le magazine spirituel étudiant de McGill. Placé sous la tutelle du Bureau de la vie religieuse et spirituelle de McGill, Radix adopte une démarche avenante, libre de toute restriction. Le maître-mot des éditeurs est «inclusivité», ils revendiquent même le caractère «vague» du terme «spirituel», qui permet à différentes opinions de se faire entendre et à tous de s’exprimer. Seuls deux membres du conseil éditorial, qui en accueille une douzaine, suivent des études religieuses, une composition à l’image du magazine. L’ambition première de Radix est d’ouvrir ses pages à «tous les étudiants mcgillois intéressés par la spiritualité». Il s’agit de publier des néophytes, sans s’embarrasser de «complexes», affirment les éditeurs. Cinq éditions se trouveront cette année distribuées aux quatre coins du campus, ainsi qu’au lointain campus MacDonald. 500 exemplaires en seront tirés, d’une quarantaine de pages: que de chemin effectué pour un magazine qui a débuté dans les années 1980 comme un simple bulletin d’information. Chaque édition est placée sous l’aune d’un thème particulier, le dernier était «habitudes», le prochain «faim». «Ce n’est qu’un suggestion», insistent les deux compères, les étudiants sont libres d’en tirer ce qu’ils veulent: poésie, prose, dessin, aquarelle, photo… Radix a la particularité de ne fermer ses portes à aucune forme d’expression créatrice. L’opportunité de tenter est offerte à tous, il est encore possible, ce jusqu’au 18 novembre, de proposer quelque chose pour la prochaine édition du magazine, qui sortira début décembre. x
The Scrivener
N
é en 1981, Scrivener se targue d’avoir publié des écrits de Leonard Cohen, Margaret Atwood, et Seamus Heaney, ou d’avoir conduit des entrevues avec ces derniers. Le magazine littéraire indépendant a aussi vu George Elliot Clarke y faire ses débuts dans les années 1980, devenu l’actuel poète officiel du Parlement du Canada. Le Scrivener diffère d’autres publications littéraires comme The Veg par une plus grande ouverture, acceptant des contributions de tout le monde et de contributeurs de tout âge. Sa longévité fait aussi exception, de nombreux magazines littéraires mcgillois sont nés et ont disparus depuis sa création: Steps, Read this dammit. De son côté, le Scrivener publie deux éditions par an depuis plus de trois décennies, même si depuis l’année passée une édition annuelle unique est réalisée. Comme l’expliquent ses éditeurs, le magazine publie fiction, non-fiction, critiques, entrevues et photographies, mais est plus connue pour sa poésie. Cet ensemble est condensé en une centaine de pages, imprimées en une centaine de copies, dans un format variable. Chaque équipe éditoriale a la liberté de réimaginer la forme physique du magazine. Cette année, le Scrivener est carré, son édition prochaine sortira cet hiver. D’ici-là, le magazine attend vos écrits et bafouillis à bras ouverts. x Textes écrits par jacques simon et théophile vareille, Le Délit
le délit · mardi 15 novembre 2016 · delitfrancais.com
Campus
GRIP, pris en grippe?
Présentation d’un groupe de recherche et sensibilisation mcgillois qui s’active. Chloé Mour
Le Délit
C
es dernières semaines ont été éreintantes pour le Groupe de recherche d’intérêt public (GRIP, QPIRG en anglais, ndlr) de McGill. À l’issue d’une campagne active du 3 au 8 novembre pour mobiliser les étudiant·e·s autour du «OUI» lors de leur référendum d’existence, GRIP a tout juste eu le temps de se réjouir des 71,6% de votes favorables de l’AÉUM (Association des étudiants en premier cycle de l’Université McGill) que débutait le 10 novembre sa semaine Culture Shock — quatre jours de conférences, groupes de travail et autres activités pour parler de décolonisation, antiracisme et de justice pour les migrant·e·s. GRIP, c’est quoi exactement? Actif depuis 36 ans sur le campus mcgillois, l’idée d’un groupe de réflexion étudiant à intérêt publique remonte aux années 1970 et provient des campus universitaires américains dont une grande partie des étudiant·e·s manifestaient contre la guerre du Vietnam et souhaitaient amener un changement durable en faisant pression sur leur gouvernement. Au Canada, c’est
l’Université de Waterloo en Ontario qui en 1973 fonde le premier GRIP. Indépendant de l’université sur le plan financier, le GRIP mcgillois s’engage aujourd’hui à faire changer les attitudes et mentalités, un travail de fond qui explique un de leur mandat principal — l’éducation populaire — dont Culture Shock, Social Justice Days ou encore Rad frosh font partie. À travers ces évènements, «Nous essayons de créer un espace pour informer, déconstruire les stéréotypes et améliorer le climat sur le campus; on encourage des conversations qui ne se tiennent jamais à McGill» indique Raphaële Frigon qui coordonne la promotion et sensibilisation communautaire du GRIP. La recherche est le second volet de GRIP, et en octobre 2015, ce sont sept projets de recherche menés par des étudiant·e·s que l’association supervisait avec CURE (Échange de recherche communauté-université, ndlr), qui lient les étudiant·e·s à la communauté montréalaise. Des bourses de 3000 dollars canadiens sont également données à des projets de recherche étudiants durant l’été. Les sujets d’études varient: l’accès à l’avortement pour les personnes trans, les rouages du système de déontologie policière québécois et leurs impacts, les stéréotypes sur
la sexualité des personnes handicapées ou encore le réseau alimentaire de la communauté Parc-Extension. Les recherches sont ensuite compilées au sein du Convergence Undergraduate Journal — journal de publication partagé avec l’Université Concordia. Soutenir les initiatives étudiantes et montréalaises Permettre aux étudiant·e·s de créer des projets novateurs et utiles tant à la vie étudiante qu’à la communauté montréalaise, tel est le troisième mandat de GRIP. Pour ce faire, le groupe offre des financements de maximum 225 dollars canadiens à des projets dont la mission œuvre à davantage de justice sociale. C’est un total de 7800 dollars qui a été versé à plus de 20 projets et/ou groupes pour l’année scolaire 2015-2016. Toutefois, c’est surtout grâce à ses groupes de travail que GRIP permet «d’aménager un espace pour les étudiant·e·s qui souhaitent voir du changement dans leur communauté, s’autonomiser (empowered), et obtenir des ressources» comme l’explique Raphaële Frigon. En leur offrant financement, formation, planification du budget et autres ressources nécessaires, GRIP permet cette année à 18
groupes de travail d’entreprendre leurs actions/recherches. C’est GRIP qui notamment a permis à Midnight Kitchen de voir le jour et actuellement les membres de GRIP supervisent Demilitarize McGill — une campagne qui vise à mettre un terme à la recherche militaire sur le campus — ou encore Solidarity Across Borders (Solidarité sans frontières, ndrl) — un réseau montréalais impliqué dans les luttes immigrantes — pour n’en citer que trois. Des finances qui font couler beaucoup d’encre Le budget de GRIP est sujet à de nombreuses critiques qui dénoncent les frais (que l’on peut refuser) de 5 dollars canadiens par étudiant·e par semestre. Les détracteurs du groupe trouvent ce dernier séparatiste (radicale, ndlr) dans sa politique et irresponsable financièrement. À ce sujet, Becca Yu, responsable finance et administration de GRIP, fait remarquer que beaucoup de désinformations motivées politiquement circulent à propos des finances et de la mission de GRIP. Ça fut notamment le cas dans le passé par des campagnes menées par les groupes conservateurs de plusieurs universités canadiennes, dont McGill, qui incitaient
les étudiant·e·s à se retirer des frais associés au GRIP sous prétexte que le groupe est trop «radical» et «dissident». D’autre part, «ce n’est pas en regardant le budget d’un groupe qu’on peut se faire une idée exacte des différents projets et de ce qu’ils font» indique Becca. Les salaires des différents membres ont notamment été sujets à de vives critiques. C’est le cas de la position d’interne, qui reçoit 10000 dollars canadiens contre 39000 dollars pour les deux employé·e·s permanent·e·s. Toutefois, Becca explique qu’une bonne part des salaires est payée grâce à des aides gouvernmentales, comme la position de stagiaire qui est payée à 90% par Emploi Québec. De plus, «on ne peut pas faire n’importe quoi dans tous les cas, notre budget est contrôlé par le gouvernement», précise Becca. Se devant d’être transparent et responsable, GRIP McGill n’avait toutefois pas publié en ligne son rapport annuel de 2015-2016 dû à un site web en cours de reconstruction mais «Les gens peuvent nous contacter à ce propos, c’est un problème technique que nous traversons». En outre, Becca Yu ajoute que chaque avril se tient la réunion annuelle de GRIP durant laquelle le groupe fait le bilan sur les projets et le budget de l’année passée.x
Deux heures dans la peau d’un réfugié Amnistie internationale à McGill ouvre la discussion sur la situation des réfugiés syriens. Lisa Marrache
Le Délit
A
lors que la récente élection de Trump fait beaucoup réfléchir sur l’instabilité à laquelle doivent faire face de nombreux émigrés aux États-Unis, mercredi 9 novembre, les étudiants de McGill ont eux aussi abordé le thème de l’immigration, particulièrement l’immigration illégale, à travers un atelier sur les réfugiés de guerre syriens. Mis en place par les membres d’Amnistie internationale à McGill, cet atelier avait pour but d’éduquer les étudiant·e·s sur le quotidien des réfugiés. Grâce à la mise en place de neuf arrêts, chacun portant sur un aspect différent de la vie d’un·e réfugié·e, les participants furent plongés au cœur de cette réalité obscure. Un parcours long et laborieux En commençant par visionner des vidéos et des images de la Syrie avant la guerre, l’atelier avait pour but d’immerger les participants dans la vie d’un réfugié en montrant le parcours compliqué avant d’atteindre sa réinsertion. La guerre civile syrienne, ayant débuté en 2011 suite à la division de la population
entre les pro-Assad et les rebelles se battant au nom de la démocratie, est devenue une réalité quotidienne pour les syriens, provoquant de nombreuses vagues d’immigration. Le manque de nourriture, le danger incessant et la peur constante sont autant de raisons ayant poussé de nombreux Syriens à risquer leur vie et à s’enfuir dans le but d’obtenir un futur meilleur dans un autre pays. Malgré les 3 000 casques blancs bénévoles qui essayent d’aider la population à survivre, les conditions sont trop horribles pour la plupart qui choisissent de partir. Les 4 millions de Syriens ayant fui depuis 2011 ont parcouru des milliers de kilomètres sur terre ou via la mer. Les plus chanceux réussissent à accéder à un camp leur offrant une stabilité très précaire mais pouvant éventuellement les aider à obtenir un nouveau départ. À chaque stand de l’atelier s’ensuivait d’une discussion animée par plusieurs étudiants mcgillois d’origine syrienne. La plupart avaient quitté leur pays au début de la guerre et offraient leurs témoignages sur la situation et sur ce que leurs familles, restées en Syrie, vivent quotidiennement. Ces témoignages remplis d’émotions et accompagnés de lunettes de réalité virtuelle permettant de visualiser en 3D les lieux de guer-
le délit · mardi 15 novembre 2016 · delitfrancais.com
Natasha Comeau re ont permis aux participants de pénétrer dans ce monde de violence et de se rapprocher d’une réalité qui a pourtant l’air si lointaine. Migrant vs. réfugié Une question ressortit beaucoup de cet atelier où de nombreux Syriens sont venus afin de s’instruire sur la guerre dans leur pays: comment définir la différence entre un
migrant et un réfugié? Beaucoup de confusion fut créée. Quand bien même les étudiants syriens à McGill seraient techniquement des migrants du fait qu’ils soient partis du pays légalement et par choix pour poursuivre leur éducation, beaucoup disent se considérer comme réfugiés; ils se sentent opprimés par leurs origines et par cette guerre, et ce, malgré les milliers de kilomètres entre le Canada et leur pays.
Le dernier stand de l’atelier invitait les participants à signer une pétition adressée à John McCallum, ministre canadien de l’immigration, des réfugiés et de la citoyenneté au Canada. Dans cette pétition est demandée une augmentation du nombre de réfugiés accueillis au Canada ainsi qu’une aide plus grande pour améliorer le processus de réinsertion des 25 000 réfugié·e·s accueilli·e·s entre 2015 et 2016.x
actualités
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Conférence
Le chassé chassant le chasseur Lorsque le journalisme police la police. Louis-Philippe Trozzo
Le Délit
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e 31 octobre dernier, on apprenait que plusieurs journalistes, notamment le chroniqueur Patrick Lagacé, avaient fait l’objet de surveillance électronique par le Service de Police de la Ville de Montréal (SPVM), marquant la fin d’une insouciance des journalistes visà-vis de leur liberté de presse et la protection de leurs sources. Imaginait-on jamais, en tant que journaliste au Québec et au Canada, se faire espionner de la sorte par les autorités? Dans la foulée de ces révélations, l’Institut d’études canadiennes de McGill organisait le 10 novembre dernier une conférence intitulée Affaire Lagacé: A Free Press in the Surveillance State (Affaire Lagacé: une presse libre dans un État de surveillance, ndlr). Étaient invités Yann Pineau, directeur principal du journal La Presse, Caroline Locher, directrice générale de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ), Mark Bantey, spécialiste du droit des médias, et Fabien Gélinas, professeur en droit à l’Université McGill.
Robin Edgar Naïveté et insouciance dissipées La stupéfaction était totale lorsque la communauté journalistique québécoise a appris que certains journalistes du Québec avaient été épiés, et ce, depuis plusieurs années. «[Dès lors], on ne pouvait plus avoir confiance en personne et il fallait redéfinir les règles du jeu car, de toute évidence, nous n’avions pas la même compréhension que plusieurs joueurs importants de la société» a déclaré monsieur Pineau, scandalisé par l’espionnage de son chroniqueurvedette Patrick Lagacé. Madame Locher, reconnaissant que les journalistes avaient peut-être été naïfs
de croire que leurs sources étaient bien protégées, en a profité pour affirmer que ce n’est pas seulement la liberté de presse des journalistes qui a été brimée, mais aussi le droit du public de connaître des informations d’intérêt public: «Il ne s’agit pas uniquement de donner un privilège aux journalistes; il s’agit de protéger l’intérêt du public et de tenir les autorités publiques responsables de leurs actions.» Des doutes partagés Une chose était claire, tous s’entendaient pour dire qu’il fallait impérativement enquêter sur les
arguments qu’ont avancés les forces policières aux magistrats pour justifier l’obtention de mandats de surveillance, et qui demeurent à ce jour secrets. Rappelons que de tels mandats sont exceptionnellement décernés à la police lorsqu’il est raisonnable de croire qu’une surveillance électronique pourrait confirmer des soupçons d’activités criminelles. Seulement, dans le cas précis des journalistes, le demandant doit présenter une démonstration supplémentaire: expliquer en quoi la surveillance du journaliste contribuerait à la surveillance de sa source, soupçonnée d’avoir commis un crime. Maître Mark Bantey se questionne donc à savoir si «cette surveillance a été mandatée pour découvrir la réelle perpétration d’un crime ou bien pour simplement connaître la source de fuite d’informations», cette dernière constituant une pratique illégale.
«On ne pouvait plus avoir confiance en personne et il fallait redéfinir les règles du jeu»
De possibles mesures? Questionnés par la directrice générale de la FPJQ et le directeur principal de La Presse sur des actions concrètes qui pourraient être mises en œuvre pour assurer la protection des sources journalistiques, messieurs Bantey et Gélinas ont affirmé que le Québec avait peu de pouvoir judiciaire puisque l’adoption d’une loi relèverait, dans ce cas précis, du droit criminel et donc du fédéral. A également été souligné que l’espionnage de journalistes au Québec n’est pas seulement un problème légal, mais aussi culturel. Les deux représentants de la communauté journalistique se sont étonnés du travail qu’il reste visiblement à faire en termes d’éducation des corps policiers, accusant ceux-ci d’avoir enfreint des limites juridiques qu’ils connaissaient assurément. Somme toute, cette histoire entourant la chasse aux sources journalistiques au Québec est loin d’être terminée, mais l’on ressent déjà un véritable changement de mentalité du côté de la communauté journalistique, qui est devenue beaucoup plus méfiante des institutions gouvernementales. x
Satire
Mystère au Dr. Burger
Enquête sur la disparition d’un restaurant en plein centre-ville. LéAndre Barôme
Le Délit
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u milieu de la cacophonie médiatique suivant la victoire d’un certain Trump à un poste relativement insignifiant dans la géopolitique mondiale, il ne faut pas oublier que de vrais faits divers aux conséquences considérables viennent ponctuer nos paisibles vies d’étudiants. Heureusement pour vous, fidèles lecteurs, Le Délit sait se concentrer sur les infos qui comptent, pas sur ces commérages insignifiants d’élections américaines ou de protestations de masse en Corée du Sud. Aujourd’hui, nous examinons les implications de la récente fermeture du Dr. Burger. Incrédulité et angoisse de la population Bien qu’il aura toujours une place dans nos cœurs, on aimerait que le fast-food reprenne également sa place sur Sherbrooke, qu’il a quitté début septembre, aussi mystérieusement que soudainement. La séparation de nos
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délicats palais de fins gourmets et de ces merveilles gastronomiques fut difficile. Face à ce départ sans explication, la communauté mcgilloise a su se serrer les coudes, par le biais d’organisations universitaires comme My degree for a Burger ou encore des évènements comme le Bal de Commémoration au Dr. Burger. Mathieu Berthet, élève en deuxième année, se rappelle du jour où il a appris la nouvelle: «C’était inimaginable. Comme un cauchemar dont je ne pouvais pas me réveiller. Je n’ai pas de mots pour décrire ce que j’ai ressenti. Un ami et moi, nous marchions sur Sherbrooke, ça faisait une semaine qu’on avait prévu cette sortie. Et là... À la place de notre précieux restaurant, une porte fermée.» Sa voix s’enraille, ses yeux s’emplissent de larmes, «Je ne veux plus jamais avoir à revivre ça. Excusez moi...» Un témoignage poignant, qui nous rappelle à tous les heures les plus sombres de notre histoire. Comment expliquer cette tragédie ? Mais pourquoi ce départ? À quand un retour? Où manger en attendant ? Tant de questions
qui restent sans réponse. Malgré une affiche «Open soon» aux airs peu authentiques scotchée il y a quelques semaines sur la porte d’entrée, rien ne semble indiquer un quelconque changement à court terme. Le Délit a voulu en savoir plus, et pour ce faire, nous sommes partis à la rencontre d’un certain Jake Smith, que nous appellerons Bécassine pour des raisons de confidentialité. En effet, Bécassine travaille pour les Services Secrets de McGill, qui œuvre activement à découvrir les raisons de la disparition du Dr. Burger. D’après Bécassine, plusieurs hypothèses ont déjà été explorées. Il a d’abord été supposé que les travailleurs du Dr. Burger n’ont jamais existé, et n’étaient en fait qu’une part de notre imagination depuis le début, une sorte de projection utopique scellée au fin fond de notre subconscient, un sublime canevas de notre esprit reflétant ce que nous souhaitons vraiment pour le monde, au plus profond de nous même. Après la soudaine réalisation de la stupidité de cette conjecture une autre possibilité fut évoquée, surnom-
vittorio pessin mée la Burgergate. D’après elle, le restaurant fut fermé sur décision du FBI, suite à la suppression par le patron du Dr. Burger de courriels contenant des informations importantes sur les viandes utilisées. Enfin, une dernière piste potentielle serait que les employés étaient des étudiants partis travailler leurs midterms à McLennan, et qu’ils ne sont jamais revenus, happés par un sys-
tème où les midterms commencent mi-septembre et finissent en décembre. En conclusion, il semble que malgré de multiples protestations venant d’une majorité de la population, rien ne changera, et le mystère planera toujours sur comment une telle chose a pu se produire sous notre nez et à notre stupéfaction. Non, je ne parle toujours pas des élections américaines. x
le délit · mardi 15 novembre 2016 · delitfrancais.com
montréal
La résistance anti-Trump GRIP-Concordia organise un rassemblement pour répondre à l’élection américaine. éléa larribe
Réactions à chaud
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La réunion consiste en un véritable brainstorming des émotions de chacun face à l’élection de Trump: à travers les mots «terrifié», «motivé», «sans voix», transparaît bien une incrédulité générale, mais surtout un désir de faire bouger les choses. Ainsi, quand on demande à l’assemblée quelles initiatives
Le Délit
a nouvelle de son élection est à peine tombée, il n’est même pas encore en fonction, mais déjà on s’affole de par le monde entier. Donald Trump sera donc le prochain président du pays le plus puissant au monde. «Vous avez dormi très tard mardi soir, parce que vous atten-
«Essayer d’analyser les résultats de cette élection pour éviter que le schéma se reproduise en Europe» diez les résultats, vous vous êtes endormis avec confusion, colère et vous êtes levés avec les mêmes sentiments — découragés, peutêtre?», comme le décrit Jaggi. Pourquoi ne pas transformer ces sentiments en une énergie positive et créatrice? C’est en tout cas ce que le jeune homme propose.
pourraient améliorer la situation, les idées fusent: se réunir et s’allier à d’autres mouvements en Amérique du Nord; essayer d’analyser les résultats de cette élection pour éviter que le schéma se reproduise en Europe, où des élections seront tenues prochainement (en France et
Un vote extrêmement contesté Le vote populaire semblant donner la victoire à Hillary Clinton, beaucoup de citoyens américains s’insurgent devant les résultats et face à ce type bien particulier de scrutin indirect. C’est en particulier le cas de l’État de la Californie où l’écrasante majorité de Clinton (61.5%) a soulevé la question d’un «Calexit». Plusieurs manifestations anti-Trump ont déjà eu lieu dans plusieurs États américains… Et ici aussi, à Montréal. En effet, au lendemain des résultats, le jeudi 10 novembre, la communauté de Concordia et le Groupe de recherche d’intérêt public au Québec de l’Université (GRIP-Concordia, ou QPIRGConcordia en anglais, ndlr) ont organisé une rencontre. Cette «réunion communautaire» avait pour but de former une résistance anti-Trump. Dans la salle, l’ambiance est chaleureuse et l’on manque de place: pendant la première heure, les gens ne cessent d’affluer. Immédiatement, le ton est donné: l’endroit est un espace sécuritaire, et ressemble à bien des égards aux mouvements ou forums comme Nuit Debout (manifestations organisées en France suite à l’adoption d’une nouvelle loi de réglementation du travail, ndlr): la parole est donnée tour à tour par un modérateur, le créateur de l’événement, et on peut «applaudir» silencieusement en agitant les mains si une idée nous plaît ou nous inspire.
le délit · mardi 15 novembre 2016 · delitfrancais.com
en Allemagne, entre autres); soutenir les minorités et valeurs méprisées par Trump; et pour cela sensibiliser la population au consentement, à la communauté LGBTQ+, aux personnes de couleurs ou aux autochtones. Beaucoup s’inquiètent, non seulement des crimes de haines, de la surveillance de la NSA entre les mains d’un tel homme, et de l’impact sur le changement climatique que ses mesures auront. Plusieurs sentent une forme d’urgence: il faut (ré)agir vite. C’est par exemple le cas de Talia Ralph et Victoria Woo, deux étudiantes de McGill présentes: «Je recherchais des rassemblements pour un débriefing immédiat, et celui-ci était le premier qui semblait organisé avec un but clair.» Affront, affirmation, démocratique ? Tocqueville le dénonçait déjà il y a deux siècles: la démo-
cratie, c’est la tyrannie de la majorité. Ainsi, les résultats d’élections démocratiques font toujours des déçus. Nonobstant cette constatation, que penser
changement structurel visible de la société. J’aimerais qu’il y ait une manière de parler de ça sans évoquer Trump — il représente ce qui arrive dans la société
«Ne pas reconnaître la légitimité de Trump, n’est-ce pas antidémocratique?» de cette «majorité», face à un absentéisme colossal: 45.8% des citoyens en âge de voter n’ont pas rempli leur droit civique? Donald Trump reste le président élu dans les règles de l’art par le peuple américain: ne pas reconnaître la légitimité de Trump, n’est-ce pas anti-démocratique? Les deux étudiantes de McGill réfutent cette idée: «Ce n’est pas simplement à propos de Trump comme président élu démocratiquement, mais plutôt un problème global, un
depuis un long moment», expliquent-elles. Il s’agit, plutôt que de se lever face à un individu, de «résister aux mouvements homophobes et xénophobes à grande échelle». Jaggi, l’organisateur principal de l’événement à travers le GRIP-Concordia, conçoit aussi cette question démocratique à une échelle plus large: «Le fait que quelqu’un vienne d’être élu, ça ne veut pas dire se taire et ne rien faire. La démocratie, ce n’est pas juste quelque chose de bureaucratique et électoral, c’est dans ce que l’on fait tous les jours». Il ajoute, «les manifestants et manifestantes dans à peu près 25 villes aux États-Unis et aussi ici au Canada, ce sont eux les démocrates». Il souligne ici un point essentiel: laisser la parole aux opposants, c’est une liberté permise par la démocratie. En général, le président élu endosse un rôle unificateur; mais l’élection très controversée fait planer le doute: Trump réussira-t-il à réconcilier une Amérique profondément divisée? Le découragement, ou le cynisme? Les deux étudiantes mcgilloises insistent: «Aujourd’hui, plus que jamais», il est temps d’agir. Lorsqu’on lui demande s’il a un message à faire passer à ceux découragés par les résultats, ou la politique en général, Jaggi répond : «Je respecte toujours toute émotion: chaque personne a son propre trajet pour gérer, tout ça. On n’a pas besoin d’avoir une compétition entre nos émotions. Moi, personnellement, je suis en colère et je suis aussi inspiré pour la lutte, mais je ne demande pas aux autres de ne pas respecter leurs émotions». Être découragé, en colère, heureux, avoir davantage envie de s’impliquer — tout ressenti est donc valable, valide. En revanche, Jaggi dénonce le cynisme politique, une dynamique qu’il juge cependant peu répandue au vu des diverses manifestations qu’a vécu l’Amérique du Nord ces derniers jours. x
actualités
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L’émergence d’une culture foot au Québec L’Impact de Montréal s’invite en finale de l’Est et aspire maintenant au titre en MLS. Louis-Philippe Trozzo
Le Délit
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lors que l’an dernier l’Impact était passé à seulement 13 minutes d’écrire une page d’histoire en devenant le premier club de soccer canadien à atteindre la finale de l’Association Est de la Major League Soccer (MLS), voilà qu’un an plus tard l’équipe montréalaise réussit l’exploit et entame sa préparation en vue de cette même finale. De quoi pimenter davantage cet ultime duel, une autre équipe canadienne s’est invitée en finale de l’Est, le Toronto FC, grand rival de l’Impact vu sa proximité géographique et, surtout, la rivalité historique, tous sports confondus, entre les Pea Soups de Montréal et les Têtes carrées de Toronto. Ainsi donc, la MLS pourrait couronner la première équipe canadienne de son histoire le 10 décembre prochain puisqu’il va de soi que le Canada sera représenté à la MLS Cup cette année. Une nouvelle culture s’immisce à Montréal Alors qu’il est coutumier de voir déferler la vague bleu-blancrouge sur Montréal en début d’automne avec le retour de la campagne des Canadiens, une autre vague, celle-ci bleu-blanc-
Mahaut Engerant noir, vient de balayer la ville. Pas moins de 50 000 fanatiques du ballon rond sont déjà détenteurs d’un billet pour le match aller du derby canadien qui se tiendra au stade olympique le 22 novembre prochain. Alors que Montréal est estimée partout à travers le monde comme étant la Mecque du hockey sur glace, l’engouement pour le soccer semble avoir pris son envol, au point de parler de l’émergence d’une véritable culture du foot. Des tifosi chauvins, des chants bruyants, des milliers de foulards brandis dans les airs, une cloche qui retentit dans l’enceinte du stade lorsque l’Impact marque un but, un bassin de supporteurs grandissant,
des ventes record, une académie qui progresse… autant d’éléments qui marquent la montée du soccer au Québec. Plusieurs diront que Montréal, avec son profil cosmopolite, est propice à l’émergence d’une culture foot, mais même le «Québécois de souche» s’est pris d’intérêt pour le sport. Cette année marque d’ailleurs un record d’équipe en termes de billets vendus et de détenteurs de billets de saison, la popularité de l’équipe n’étant pas étrangère à ses succès lors des deux dernières campagnes. Enfin, s’il y a bien un élément qui a contribué à mousser les ventes de billets au Stade Saputo cette année, c’est bien la venue de Didier Drogba, la
légende ivoirienne et ex-vedette du géant londonien Chelsea. Ce fut véritablement un pari remporté par la direction de l’Impact puisque Drogba a su faire vibrer le Stade Saputo comme jamais auparavant, permettant d’ailleurs à l’Impact de s’imposer comme la deuxième équipe sportive en importance à Montréal. Drogba et Montréal: un mariage agité Jamais dans l’histoire un club montréalais n’a accueilli un tel monument sportif que Didier Drogba. Élu meilleur joueur de l’histoire de Chelsea par les
supporteurs du club et considéré comme le meilleur joueur africain de l’histoire, Didier Drogba a accumulé moult titres et distinctions individuelles au cours de sa prolifique carrière. La commande était donc de taille pour un club de soccer montréalais sans grande expérience dans de tels dossiers, et ce, particulièrement vu le caractère présomptueux du personnage et sa tendance à agir à sa guise. Les débuts de l’éléphant ivoirien auront finalement été fracassants, DD s’inscrivant au pointage à 11 reprises en seulement 9 titularisations et menant ainsi l’équipe jusqu’en demi-finale d’association en 2015. La lune de miel aura été belle et passionnelle, mais malheureusement de courte durée… Entre caprices de star, malentendus et flirts avec la retraite, Drogba aura fait le beau comme le mauvais temps au cours de son passage à Montréal. À seulement trois victoires de voir l’Impact être sacrée championne de la MLS, le dernier chapitre de la saga Drogba reste à écrire. Que l’on fût ébloui par le talent de l’ivoirien ou rebuté par son égoïsme excessif, reste que la finale de l’Est sera fort probablement la dernière fois que cette légende du foot frôlera la pelouse montréalaise. Voilà donc une raison de plus pour aller encourager l’Impact le 22 novembre prochain. Allez Didier et allez l’Impact!x
L’expérience ludique de la vie militaire À la rencontre de l’airsoft, un sport qui fait l’objet de nombreux stéréotypes. Vincent Morréale
Le Délit
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es soldats, prêts à tout pour défendre leurs valeurs et leur famille, font l’objet d’une valorisation sans précédent de nos jours, les plaçant au rang de héros, rien de moins. Bien que ce soient les soldats qui participent aux guerres, plusieurs individus ressentent le besoin d’exprimer des pulsions guerrières, de connaître l’adrénaline du combat. Autrefois, les Grecs de l’Antiquité transmettaient leurs pulsions à travers le théâtre, vivant ainsi la catharsis. Certes, ces effets peuvent être vécus à travers les lectures de récits de guerres ou en jouant à ces fameux jeux vidéos qui pullulent sur le marché du divertissement, mais plusieurs ressentent le besoin de vivre une expérience qui va au-delà de l’activité passive. L’airsoft, industrie grandissant partout à travers le monde, propose à la population civile de vivre des simulations d’engagements militaires dans un environnement reproduisant des situations tactiques stimulantes
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pour le participant. Inventées au Japon suite aux événements de la Seconde Guerre mondiale, les répliques d’armes — le terme «armes» n’est pas utilisé car elles n’en sont pas réellement — étaient à l’origine conçues pour la collection ou le tir sur cible. Des passionnés ont alors eu l’idée de les utiliser dans une activité sportive d’équipe dont le but était de reproduire l’action militaire dans un cadre ludique et récréatif. Il faut toutefois comprendre l’airsoft comme étant un loisir plutôt qu’un sport. Une activité brimée par les stéréotypes ? Cette activité est toutefois victime de nombreux stéréotypes, le plus populaire étant que ce soit un jeu basé sur la violence et, jusqu’à une certaine mesure, la barbarie. Tout comme le paintball, une autre activité du même genre, l’airsoft reste quelque peu tabou puisqu’il est connoté de façon péjorative. L’ironie est que ce passe-temps est présenté comme faisant la promotion indécente de la violence alors que des
organismes comme la Ligue de combat ultime aux États-Unis (UFC) ou plus localement, la Ligue nationale de hockey, bien que populaires, utilisent des arènes dans lesquels les sportifs professionnels se battent férocement. Des professionnels de l’airsoft, notamment Robert Murray, démontrent que, contrairement à la violence de ces ligues, la communauté du sport est amicale: des hommes, comme des femmes, se présentent premièrement pour avoir du plaisir et partager une passion, sans désirer se faire mal l’un l’autre. L’airsoft est passé d’une activité de fin de semaine à une réelle compétition sportive, se comparant à des ligues sportives professionnelles, certes, mais qui réussit à attirer un bassin de personnes diverses puisqu’il est accessible à tous et simple à comprendre. En plus d’être une activité de plus en plus populaire, l’airsoft est aussi considéré comme étant une industrie. Aux États-Unis et en Asie, où se trouvent les plus grands bassins de joueurs, nous observons des chiffres d’affaires annuels qui se calculent en millions et qui ne cessent de croître, tant par
rapport au nombre de joueurs qu’aux revenus qu’en tire le jeu chaque année. Une expérience ludique Bien que l’airsoft serve d’entraînement aux forces policières et militaires, sa popularité grimpe au sein du grand public, notamment à cause d’une forte présence en ligne. En effet, ce passe-temps est rapidement devenu viral sur les réseaux sociaux tels que Instagram
et YouTube, contribuant à rendre le jeu beaucoup plus visible et expliquant sa popularité grandissante. Au Québec, plusieurs entreprises se sont d’ailleurs installées dans les centres urbains principaux et proposent à leur clientèle des produits variés. Elles organisent, pour la plupart, des événements où il est possible pour n’importe qui, vétéran comme débutant, de vivre une simulation tactique dont le but est d’avoir du plaisir dans un environnement ludique et sécuritaire.x
le délit · mardi 15 novembre 2016 · delitfrancais.com
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MK-Ultra: McGill au service de la CIA Quand l’Université servait de laboratoire pour le compte des renseignements américains. sébastien oudin-filipecki
Le Délit
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es fans de la série Stranger Things en auront certainement entendu parler, de même que tous les adeptes de science-fiction: MK-Ultra est le nom d’un ancien programme d’expériences sur des sujets humains non-consentants, dirigé par la Central Intelligence Agency (CIA, Agence centrale de renseignement, ndlr). Il alliait privation sensorielle, prise de diétilamide de l’acide lysergique (ou «LSD», ndlr) et électrochocs, afin de repousser les limites du cerveau humain et de découvrir l’ultime sérum de vérité. Scénario digne d’un film de série B, pourtant complètement véridique, certaines expériences ont été menées ici même, à McGill. Retour sur cette page noire de l’histoire de l’Université. CIA et LSD En 1953, au cœur de l’Amérique d’Eisenhower, la peur du communisme est à son comble. La guerre de Corée vient de s’achever et cette dernière ne fait qu’échauffer les esprits. Le sénateur McCarthy commence ses campagnes de diffamation et ouvre la voie à la «peur rouge». La CIA a, quant à elle, d’autres préoccupations. En effet, l’agence de renseignement américaine apprend que parmi les prisonniers de guerre américains qui rentrent aux États-Unis, beaucoup ont le sentiment d’avoir traversé une période de «vide» ou de «désorientation» pendant leur détention en Chine. Aucun doute possible: ils ont subi un «lavage de cerveau». La presse s’emballe et la CIA s’inquiète: et si les Russes avaient mis au point une technique de manipulation mentale? Afin de riposter, Allen Dulles, directeur de la CIA, approuve le 13 avril 1953 le projet MK-Ultra. Son objectif: parvenir à contrôler les esprits afin de révolutionner les techniques d’interrogatoire pour faire parler coûte que coûte les espions communistes. Participent à ce programme plus de quatre-vingts institutions dont des hôpitaux, des prisons, et bien sûr, des universités à l’image de McGill. Pendant ce temps, au Canada, le gouvernement canadien décide de se joindre aux efforts des États-Unis. En conséquence, le Defense Research Board (Conseil de recherche sur la défense, ndlr) décide de financer les études du docteur Donald Hebb, professeur de psychologie à McGill, sur la privation sensorielle. Ce dernier est fasciné par le fait que la privation sensorielle à longue durée rend les sujets plus enclins à l’acceptation d’idées pourtant contraires à leurs croyances. Cependant, le docteur Hebb suit les procédures d’éthique à
la lettre et refuse d’aller plus loin: il se limite à des expériences de courte durée où le patient peut partir à tout moment. N’en déplaise au psychiatre Donald Ewen Cameron, qui va décider de continuer ses recherches là où Hebb les avaient arrêtées.
guise, tel un ordinateur. Du pain béni pour la CIA, qui s’empresse de financer ses recherches, et s’en inspirera même pour écrire le KUBARK Counterintelligence Interrogation Manuel, décrivant des techniques d’interrogation proche de la torture.
«Le psychiatre [Cameron] injecte à ses patients du LSD et des barbituriques afin de les déstabiliser» Lorsque le psychiatre Ewen Cameron arrive à l’Université McGill à la fin des années 40, l’Université cherche désespérément à développer un département de psychiatrie digne de ce nom. Cameron est donc nommé par le principal de l’époque Frank Cyril James, chair du Département de psychiatrie, professeur à plein temps et directeur de l’Institut psychiatrique Allan Memorial, affilié à l’Hôpital Royal Victoria et fraîchement inauguré. Le Project 68 du médecin Cameron Au cours de ses recherches, le docteur Ewen Cameron met au point la technique de «conduite psychique» (psychic driving) en partant du principe que les troubles mentaux proviennent d’une erreur de «programmation» du cerveau, que l’on peut reprogrammer à sa
le délit · mardi 15 novembre 2016 · delitfrancais.com
Cependant, avant de reconstruire une personnalité, il faut détruire l’ancienne. Pour ce faire, le psychiatre injecte à ses patients du LSD et des barbituriques afin de les déstabiliser. Puis, il les soumet à un traitement aux électrochocs à raison de trois séances par jour (la procédure de l’époque fixait la limite à trois par semaine) et ce pendant plusieurs mois. Viennent ensuite de longs mois de privation sensorielle en caisson d’isolement et de cure de sommeil. À ce stade du traitement, le patient doit avoir «développé un état de confusion aigu, de totale désorientation […] avoir perdu ses habitudes alimentaires, ainsi que le contrôle de sa vessie et de ses intestins.» décrivait Cameron dans un article publié par l’American Psychopathological Association.
Le reconditionnement peut donc commencer. Ce dernier s’effectue avec un magnétophone qui diffusera en boucle (parfois jusqu’à plus de cinq cents mille fois!) des messages afin de reconstruire l’identité du patient. L’Institut Allan Memorial fonctionnant sur le modèle d’hôpital de jour, où l’internement peut être volontaire, de nombreux patients qui entrent à l’Institut pour des problèmes mineur telles que des légères dépressions sont soumis au violent traitement du médecin, et en ressortent brisés, marqués à vie voire dans un état végétatif. Le psychiatre Ewen Cameron pensait-il vraiment pouvoir améliorer l’état de ses patients avec de telles méthodes? Difficile à croire. Pourtant, lors de son départ de l’Université en 1964, ce dernier est décrit par ses collègues comme un «grand humanitaire», un «pionnier de la psychiatrie canadienne». Comment le psychiatre Cameron, qui fut au cours de sa carrière, président de plusieurs associations psychiatriques de renom, et qui écrivait lui-même que l’hospitalisation des patients devait
être «la plus courte possible» afin de favoriser leurs bien-être a-t-il pu se livrer à des expériences si terrifiantes? Question sans réponse. Des révélations choquantes En 1977, après le scandale du Watergate, le Sénat américain commence à demander des comptes à la CIA. L’agence de renseignements est donc forcée de rendre public plus de vingt-mille pages d’archives du projet MK-Ultra. La vérité éclate au grand jour et plusieurs anciens patients dont Val Orlikow, l’épouse d’un parlementaire canadien, portent plainte. Ces derniers seront dédommagés en 1992 à la hauteur 100 000$ par le gouvernement canadien qui, au passage, nie toute responsabilité. Quant aux chercheurs du programme, aucun ne sera jamais poursuivi: Cameron s’est éteint d’une crise cardiaque en 1967 et le docteur Gottlieb, architecte du projet MK-Ultra, quittera la CIA juste avant l’arrêt du programme. Lors des auditions sénatoriales en 1977, le sénateur Edward «Ted» Kennedy demandait aux
«Une simple reconnaissance des faits permettrait à l’Université d’envoyer un message de transparence» universités ayant pris part au programme de «rendre publique» leur implication et de présenter leurs excuses. Chose que, sans grand étonnement, McGill ne s’est jamais empressé de faire. Les archives universitaires ne mentionnent même pas la participation du psychiatre Cameron au projet MKUltra et préfèrent se concentrer sur sa réputation d’expert psychiatre, qui lui avait valu de faire partie du groupe de médecins devant se prononcer sur le cas de Rudolf Hess lors du procès de Nuremberg. Procès qui établira d’ailleurs le code du même nom — le code de Nuremberg — sur les procédures d’éthique médicale: assez ironique quand l’on sait la considération minimale que portait Cameron vis-à-vis de l’éthique lors de ses expériences Toute histoire contient sa page noire, et que cela nous plaise ou non, les expériences de la CIA menées par le psychiatre Cameron font partie de l’histoire de notre Université. L’Université McGill est-elle la seule à blâmer? Bien sûr que non. Mais une simple reconnaissance des faits permettrait à l’Université d’envoyer un message de transparence, et d’accomplir le devoir de mémoire qu’elle doit aux victimes depuis plus de soixante ans. x
SOCIÉTÉ
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Entrevue
Le journalisme d’enquête mis à mal
Entrevue avec Alain Saulnier sur les enjeux des récents scandales. anne gabrielle ducharme
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ournalistes épiés par les autorités policières, coup de téléphone de la classe politique à des chefs de police, le Québec n’a pas eu très bonne presse à l’international dans les dernières semaines et pour cause, le journalisme d’enquête s’est fait donner des coups «là où ça fait mal». Le Délit s’est entretenu avec Alain Saulnier, l’ancien directeur général de l’information de Radio-Canada (SRC) et instigateur de l’émission Enquête, pour revenir sur les événements. «Il y a une période que j’appelle «l’âge d’or» du journalisme d’enquête au Québec», celle de 2009 à 2013, débute Saulnier. Les journalistes se défiaient les uns les autres, mais sans jamais se dénoncer. Ils agissaient comme une confrérie et travaillaient pour l’intérêt du public». L’ancien radio-canadien évoque une époque où les dévoilements de scandales se multipliaient. Une époque où les nouvelles sur la corruption au sein des municipalités et la collusion dans le monde de la construction faisaient régulièrement les manchettes. «Ce qui est malheureux c’est d’apprendre que pendant ce temps, la police nous surveillait». En effet, on apprenait au début du mois que le Service de police de la ville de
Montréal (SPVM) a obtenu tous les relevés téléphoniques des journalistes de l’émission Enquête depuis 2008. Une demande qui fait réfléchir sur la relation entre journalistes et policiers. «Nous [les journalistes] ne sommes pas des amis de la police, on cohabite. Et comme nous avons fait un travail d’enquête qu’elle ne faisait pas, il y a eu collision», poursuit Saulnier. À l’encontre des droits et libertés
Toutefois, les récentes révélations de «l’affaire Lagacé» témoignent d’un niveau d’espionnage plus important qu’anticipé. «J’ai été surpris d’apprendre qu’il y avait eu de l’écoute de notre travail de la part des policiers. Pour moi le scandale c’est cette permission de nous épier donnée aux autorités par la Cour», confit l’ancien directeur de l’information de la SRC. Il serait donc là le problème. «Comment les policiers ont-ils justifié un tel besoin de surveillance?
Je crois que la population n’est pas encore au courant de la gravité des événements et de leur potentielle illégalité. Si les policiers ont menti, c’est un parjure.» Selon Saulnier, un autre aspect de cette histoire sur lequel politiciens et juristes devraient se pencher est celui des compagnies de téléphonie cellulaire. «Est-ce normal qu’il soit aussi facile d’obtenir des informations personnelles sur des individus? Que ces entreprises
Les journalistes d’enquête ont toujours été bien au fait de la nécessité de protéger leurs sources et leurs recherches en raison de potentielle surveillance policière.
mahaut engÉrant
participent à la surveillance citoyenne? Tous ces acteurs sont complices d’un acte qui va à l’encontre des droits et libertés». L’héritage Lagacé Un semblant de lumière a donc été fait sur une culture malsaine au sein des institutions judiciaires, mais aussi politiques. «Ce n’est pas normal qu’un politicien comme Denis Coderre appelle directement le chef de police de Montréal », remarque Saulnier en faisant référence à un événement survenu en 2014 alors que le maire de Montréal avait contacté le patron du SPVM pour se plaindre d’une potentielle fuite d’informations à son sujet au chroniqueur Patrick Lagacé. À la suite de ces révélations, quels changements pour la pratique du quatrième pouvoir? «L’épisode que l’on vient de vivre représente une occasion pour les journalistes d’enquête de peaufiner leurs méthodes de travail, de mieux protéger leurs sources», soutient le journaliste. Cependant, l’héritage de «l’affaire Lagacé» est surtout constitué de nouveaux obstacles: «maintenant beaucoup de sources ne vont plus parler. Du moins, on vient d’échauder leur enthousiasme à le faire, c’est certain». x
opinion
Le privilège de choisir Voter devrait être un devoir. victor depois
N
ombreux sont ceux qui se demandent: «pourquoi voter?». Pour beaucoup, peu de candidats représentent le renouveau, l’espoir, et voter perd ainsi tout son sens. Cependant, voter reste essentiel, quel que soit la qualité de nos représentants. Il reste plusieurs raisons valables de voter, qui sont trop souvent oubliées. Le combat de nos aïeux Nos ancêtres ce sont battus, ont souffert, ont donné leur vie pour avoir le droit de choisir leurs représentants. N’oublions pas les révolutions américaine et française, pour ne citer que celles-là. Aujourd’hui encore, des individus perdent la vie pour avoir ce droit. Seulement 40% de la population mondiale vit dans un pays où des élections libres et justes ont lieu: avoir le droit de vote demeure un privilège. C’est pourquoi les individus ayant la chance de vivre dans un pays démocratique devraient profiter de ce privilège et se rendre aux urnes pour eux, et ainsi honorer la mémoire de leurs ancêtres.
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En effet, nos ancêtres se sont aussi battus pour l’égalité. Martin Luther King, Simone Veil, Gandhi: nombreux sont ceux qui ont lutté pour l’égalité des droits, des chances, et d’autres se battent encore pour ces même droit. À travers le vote, on existe, on est représenté. Il y a moins d’un siècle, voter était un privilège réservé à une poignée d’individus. Nous avons la chance de vivre dans un pays où il nous est conféré peu importe notre sexe, race, orientation sexuelle ou nos vues politique. Il est de notre devoir d’apprécier ce droit, de le chérir et de l’exercer. Votons pour se faire entendre, pour que le monde sache que nous existons. Le prix de (l’in)action
65-74 ans. Pourtant, nous sommes ceux qui subirons les conséquences des votes d’aujourd’hui. Nous représentons l’avenir, et les décisions prises aujourd’hui nous affecteront nous, et non pas nos grands-parents. Votons pour que la nouvelle génération participe dans cette prise de décision. Nos systèmes ne sont pas fixes et évoluent avec le temps. Les candidats démagogues profitent du peu de gens qui se présentent aux urnes. Aux États-Unis, seulement une très mince majorité des personnes en âge de voter ont rempli leur devoir de citoyen: selon The United States Elections Project, le taux de participation à l’élection présidentielle du 8
novembre était seulement de 54,2%. Beaucoup de personnes qui ne s’intéressent pas à la politique ne se pensent pas affectées par le changement de dirigeants. Une fois que les conséquences néfastes se feront ressentir sur nos vies quotidiennes, il sera trop tard! Nulle démocratie n’est certaine de le rester pour l’éternité. Ne pas aller voter, c’est jouer le jeu de ceux qui voudraient faire disparaître les élections et retourner à un système autoritaire. Il est donc nécessaire de faire un choix politique conscient. Informons-nous et votons, si ce n’est par conviction, pour faire barrière à un possible retour en arrière.
Chaque vote est décisif Ne pas voter, c’est laisser notre destin entre les mains d’autrui. C’est laisser d’autres personnes choisir à notre place. Même si le poids d’un simple vote paraît infinitésimal, chaque vote est décisif. G.W. Bush n’avait-il pas remporté les élections américaines en 2000 grâce à sa victoire en Floride, État dans lequel il n’avait que 537 votes d’écart avec son opposant démocrate Al Gore? Chaque vote compte. Prenons conscience de notre pouvoir et de notre chance en tant que citoyen. Parce que nous le pouvons, parce que nous avons le choix, parce que nous avons le pouvoir de décider de notre avenir: allons voter! x
Nous, les jeunes, votons peu. L’été dernier, le référendum anglais donna le Brexit vainqueur à 3 points seulement. D’après les dernières estimations de la London School of Economics, environ 60% des 18-24 ans s’étaient déplacés pour aller voter, contre 90% des plus de 65 ans. Même si les chiffres sont en hausse, seuls 55% des jeunes Canadiens (18-24 ans) sont allés voter aux dernières élections générales, contre près de 80% des
le délit · mardi 15 novembre 2016 · delitfrancais.com
Trump, les médias et l’hubris
opinion
Quelles leçons doivent être retenues de la récente élection présidentielle? nouédyn baspin
Le Délit
«G
ood bye and see you for a Trump-free Thursday!» c’est sur ces mots, venant d’une professeure, que s’acheva ma journée de cours le jour de l’élection. Comme si tout le monde s’était passé le mot, les Mcgillois, les Québécois et le monde entier abordaient cette élection avec une sérénité non feinte; unis contre le populisme, nous pensions que cette anormalité dans le paysage politique s’inclinerait rapidement. A contrario de la plupart des prédictions, il n’en fut rien. Aujourd’hui, à l’heure où certains trompent leur incertitude en partant à la quête de memes, d’autres partent en quête d’explication. Je suis aussi parti à la chasse aux indices. Non, les blancs sexistes ne sont pas les seuls responsables Une fois les premières statistiques publiées, nombreux sont ceux qui se sont affairés à chercher une explication. Malheureusement, comme aime à dire le mathématicien Cédric Vilani: «Il y a trois sortes de mensonges: les petits mensonges, les sacrés mensonges, et les statistiques» et certaines interprétations reposent sur des bases fragiles. 58%: c’est le nombre phare de la postélection représentant la proportion de «Blancs» ayant voté pour Trump.
pour un poste politique, elle gagne à peu près aussi souvent qu’un homme, surtout chez les Démocrates. Selon cette même source, un des désavantages que peut subir une candidate est la mauvaise qualité de la couverture de sa campagne par les médias. Toutefois, dans ce cas précis, la candidate semble avoir eu la large faveur des médias: sur les 100 plus gros tirages journaux du pays, 57 ont endorsé Clinton, contre 2 pour Trump. Fracture sociale et manipulation médiatique La cause est autre, et probablement plus complexe; Trump est le porteur d’un vote contestataire qui ébranle autant le Parti républicain que les Démocrates. Ces partis ont une longue histoire qu’il est nécessaire d’aborder pour expliquer le rejet de ceux-ci: c’est notamment au 20e siècle que les oppositions observables aujourd’hui entre les deux camps se sont cristallisées. Suite au krach boursier de 1929, le parti démocrate arrive au pouvoir en 1933 et y restera 20 ans. Il modifie profondément l’économie par le biais du New Deal — un ensemble de mesures interventionnistes. Cet acte fonda la doctrine moderne du Parti démocrate: le rôle de l’État est de s’étendre et de servir à l’application des mesures décidées par l’élite politique pour aider les citoyens. En réaction à cet interventionnisme, le discours républicain se veut conser-
pas. Or c’est bien cette Rust Belt qui a décidé du sort des élections: des 99 votes passés des démocrates aux républicains, 70 sont imputables aux États constituant la Rust Belt. Pourquoi ce rejet des démocrates après leur large soutien — bien que «blancs» — à Obama qui a su s’adresser à eux en 2008 et en 2012? En premier lieu, le résultat de ces élections n’est pas l’échec du parti démocrate, mais des démocrates et des républicains. L’establishement républicain s’est fait ridiculiser par un candidat soulignant la collusion entre les deux partis principaux: tous deux utilisent la machine d’État grossissante à des fins de libéralisation qui laisse une partie de la population en arrière. L’Obamacare est un exemple intéressant. Bien que ce programme ait pallié à de graves manques dans la couverture sociale des plus pauvres, il a fait exploser les prix pour la classe moyenne. Cette dernière a l’impression que la bureaucratie l’a abandonnée — c’est en tout cas le dénominateur commun des témoignages de supporteurs de Trump recueillis par France Culture. Cette colère s’observe aussi dans les exit polls: d’après les résultats du New-
York Times, les «Blancs» sans diplôme, chez qui on trouve les ouvriers, ont largement voté républicain, de la même manière que la frange de salaire allant de 0 à 50 000 dollars a beaucoup moins voté démocrate que pour les élections précédentes. Là fut notre erreur à nous, les médias, d’oublier que Clinton est un condensé de l’élitisme américain à laquelle une partie des Étatsuniens ne fait plus confiance. Quand nous évoquions plus haut la fragilité de l’hypothèse sexiste, FiveThirtyEight enfonce le clou: parmi les électeurs excités à l’idée d’avoir une femme présidente, la moitié aurait aimé que ce ne fût pas Clinton. S’ils avaient déjà des soupçons à propos de la démocrate, Wikileaks a joué un certain rôle dans la justification de ceux-ci. Le site Observer recueille tout ce que ces courriels induiraient comme faute judiciaire. Si la claire partialité de Wikileaks est à critiquer, cela n’enlève rien aux informations révélées qui confirment ce que la population craignait. Malheureusement il n’existe pas encore d’information objective sur l’influence de Wikileaks. Notre deuxième erreur fut de pêcher d’orgueil en nous considérant
comme les gardiens de l’ordre moral. Xavier De Laporte, dans une chronique sur France Culture explique la chose suivante: «un tweet horrible de Trump donnait systématiquement lieu à des reprises multiples dans les médias traditionnels — qui lui donnaient une ampleur inédite, et le rendaient accessible à un public beaucoup plus large.» Autrement dit, quand Trump injectait dans le discours politique des propos diffamatoires, injurieux, ou carrément faux, nous nous sommes nous-mêmes fait les relais de ces propos en nous délectant presque de son discours. Nous nous contentions de nous poser en donneurs de leçon sur la forme des propos, en éclipsant le fond: en affirmant que les électeurs de Trump sont sexistes, par exemple, nous les avons enfermés dans cette image et nous avons refusé d’entendre leurs problèmes. Nous avons offert une occasion royale au candidat d’affirmer que lui protégerait les Américains, nous avons nourri son discours. Le problème ici n’est pas tant d’évoquer les propos du candidat républicain, mais la façon dont nous nous sommes faits les tueurs des idées en ne discutant pas du pourquoi ou du comment sans nos
«Nous les avons enfermés dans cette image et nous avons refusé d’entendre leurs problèmes» Publié par CNN, il a été largement relayé par les médias et les réseaux sociaux; chez ces derniers, il a nourri la rhétorique selon laquelle les «Blancs» racistes se seraient manifestés en grand nombre. Il s’avère cependant que la proportion d’électeur blancs ayant voté pour le républicain est en baisse par rapport à 2012, où 59% des «Blancs» ont voté Romney. La moyenne sur la période 1972-2016 qui est de 56% n’évoque pas un changement majeur. Le résultat de l’élection qui vient de se dérouler sous nos yeux ne semble donc pas le fruit d’un break-out raciste. Cette interprétation est d’autant plus difficile à justifier quand les «Noirs», les «Hispaniques» et les «Asiatiques» ont (légèrement) plus voté pour Trump que pour Romney. L’aspect potentiellement sexiste de l’élection a aussi été évoqué. L’échec de Clinton signifie-t-il qu’il est encore trop tôt pour dire que l’on a atteint une égalité normative digne de ce nom? La réponse n’est pas simple. D’une part, nul ne niera le sexisme toujours présent, et d’autre part, l’effet réel du sexisme sur les résultats semble être minime. Selon un article du site FiveThirtyEight, quand une femme se porte candidate
vateur et démagogue: ils présentent l’État fédéral éloigné comme une potentielle menace aux libertés personnelles, et souligneront leur ressemblance avec le peuple: je mange, je prie, je parle comme toi. Le discours républicain aura pour conséquence d’effrayer les élites. Ils finiront par percevoir les électeurs travaillant dans le secteur primaire et secondaire comme étant inaptes à la réflexion politique. Cette mésentente conduira à l’éloignement progressif des deux camps, bien que les démocrates s’efforcent de garder un soutien chez une population ouvrière en déclin. Entre 1950 et 2010, l’industrie manufacturière a perdu 15 points dans le PIB du pays, et entre 1971 et 2015, la situation financière de ceux ayant un «twoyears degree» ou moins a diminué d’environ 18%. Les conditions économiques de la Steel Belt, la partie nord-est des EU spécialisée dans la manufacture de l’acier, se dégradent et la traînent à son crépuscule; elle sera renommée Rust Belt: une zone en retard qui subit des pertes de population et des déficiences dans son service public dues à l’automatisation du travail et aux accords de libre-échange dont ils ne profitent
le délit · mardi 15 novembre 2016 · delitfrancais.com
vittorio pessin
Société
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Innovations innovations@delitfrancais.com
Enquête
Imposture et balivernes L’organisation Peintres Étudiants contourne les règles à McGill.
Vincent lafortune
Le Délit
I
l y a quelques jours paraissait un article d’Isabelle Ducas dans La Presse Plus avec pour titre un avertissement: «Peintres Étudiants, à vos risques.» Le billet faisait écho aux multiples désillusions vécues par plusieurs jeunes étudiants s’enrôlant dans des programmes d’entrepreneuriat strictement encadrés, comme celui offert par Peintres Étudiants, filière francophone de Student Works Painting (SWP), une compagnie d’origine ontarienne. En démystifiant cette organisation et en prenant compte l’appel à la conscientisation émis par Isabelle Ducas, on découvre des faits pour le moins alarmants prenant place sur le campus mcgillois. Peintres Étudiants: qu’est-ce? Peintres Étudiants est une compagnie originaire de Toronto qui a connu de très modestes, mais honnêtes débuts. Selon les propos récoltés lors des rencontres de recrutement, il s’agirait de deux amis étudiants qui, afin d’éviter les emplois au salaire minimum, ont décidé de se lancer en affaire pour combler leur été 1981. Le modèle était bien simple: offrir de revigorer les maisons de leur voisinage en grand besoin de coups de pinceau à un prix des plus compétitifs. La légende veut que leur succès fut tel que très rapidement il releva de l’impossible de s’acquitter seul
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des contrats emmagasinés. Ils embauchèrent alors leurs amis en tant que peintres et endossèrent le rôle de gestionnaires. Peu à peu, leur projet prit de l’ampleur et ils divisèrent les rôles de gestion parmi leurs employés par voisinage, puis par région. Depuis , Peintres Étudiants dit avoir servi des centaines de milliers de propriétaires à travers le Canada, ainsi qu’être la source de plusieurs franchises à succès. Ceci étant dit, les débuts modestes et honnêtes des deux amis entrepreneurs ne semblent pas avoir été en mesure de donner le ton moral et éthique à l’organisation. Aujourd’hui, il existe deux moyens d’intégrer les rangs de Peintres Étudiants: premièrement, on peut être embauché par une franchise en tant que peintre et travailler sous contrat l’été durant. L’autre alternative, qui concerne davantage McGill, est d’être franchisé, tout comme on le peut chez McDonald’s, en achetant un droit d’exercice et en assumant les divers coûts liés à l’exploitation de la franchise. Si rien ne sort de l’ordinaire sur la forme, c’est une tout autre histoire sur le fond. Contourner les règles Avant d’en venir aux spécificités douteuses d’un tel programme, voici un exemple commun des techniques de recrutement utilisées par l’organisation: des méthodes qui sont ironiquement auto-incriminantes. À McGill, il est interdit pour toute compagnie
de ce genre, dite «à la commission», de faire de la publicité directement auprès des étudiants. C’est à travers MyFuture McGill, une plateforme accessible et réservée aux étudiants de McGill, que les employeurs et les organisations peuvent légalement offrir des opportunités d’emplois à la population étudiante, selon Mme Marie-Josée Beaudin, directrice du centre de placement de Desautels rencontrée la semaine dernière par Le Délit. Toute autre forme de sollicitation est proscrite sur le campus et l’Université interdit explicitement aux entreprises comme SWP de recruter à McGill. Néanmoins, au début de la session d’automne 2016, des dizaines de formulaires ont circulé pendant deux semaines dans les amphithéâtres et classes du campus. Ces formulaires incitaient les élèves, peu importe leur programme, à inscrire leur nom et leur numéro de téléphone afin d’être invités à une réunion ultérieure. Cette opportunité se nommait le Summer Management Program (SMP), un titre qui, aux premiers abords, semble presque évoquer une collaboration avec l’Université McGill. Une expérience inégalée qui développerait compétences de leadership et d’entrepreneuriat est promise aux étudiants avec, en gras, la somme tape-à-l’œil de 17 000$. Premier doute: c’est normalement l’opposé qui a lieu, soit l’étudiant qui sollicite l’opportunité et non le contraire
Une rencontre avec Gabriel Pour en savoir plus, Le Délit s’est rendu au luxueux McGill Faculty Club, où nous attendait Gabriel, l’exemple parfait du succès. Rapidement, le voile tombe: le SMP est (vous l’aurez compris) synonyme du SWP. La présentation est minutée, tellement l’affluence est forte. Inquiétant. Gabriel nous fait rêver avec ses chiffres venant d’une autre dimension: 100 000$ de chiffre d’affaire pour Gabriel en un été, une somme dont il récupère environ 30%. Il demande aux gens présents s’ils savent combien cela fait. Les cinq personnes présentes se sont plutôt demandé si la question était sérieuse, plutôt que d’être imprssionés par les profits potentiels. Bref, une opportunité en or. On peut déjà s’inscrire pour la prochaine réunion, cette fois-ci avec le regional manager (directeur régional, ndlr). Gabriel est insistant, serait-il payé par tête recrutée? Ce genre de rencontre a une odeur de régime pyramidal dès la première minute. Récapitulons: des dizaines d’étudiants de McGill ont déclaré un intérêt envers le SMP, qui s’avère être en fait être un voile pour le SWP, une organisation qui a non seulement des allures pyramidales, mais qui est bannie de recrutement sur le campus. Doutes confirmés. Le risque et la pression L’aventure est à vos risques. Bien que le potentiel de revenu soit
réel, celui d’échouer l’est tout autant, sinon plus.. On demande des frais de démarrage pouvant dépasser les 5000$, et on suggère même de prendre une marge de crédit. Certains entrepreneurs ont été poursuivis par leurs entrepreneurs pour salaire non-payé, et ont même poursuivi Peintres Étudiants pour fausse représentation et support inadéquat. Toutefois ce qui est réellement alarmant, c’est l’hypocrisie de Peintres Étudiants qui envoie des émissaires comme Gabriel pérorer que «SWP fait partie des meilleurs stages selon Forbes» (ce qui est faux) et qui se cache derrière des masques comme Summer Management Program. Les risques ne sont jamais stipulés formellement et la pression poussant à continuer le processus est des plus pernicieuses (quatre appels après une première rencontre et aucun temps de réflexion n’est alloué). On pousse pour une signature rapidement du contrat et à foncer tête baissée dans le monde exploiteur des organisations pyramidales. Alors, il faut prendre du recul et se questionner sur la nature de cette organisation. Peintres Étudiants cible les masses universitaires, car ils ont tout à gagner à ce que ce public s’engage dans leur programme. Point principal à de ce texte: tout formulaire de sollicitation qui circule dans les classes n’est, sauf si explicitement mentionné, pas autorisé ni endossé par McGill. Avec cet avertissement en tête, les étudiant·e·s sont, heureusement, libres de faire leurs choix! x
le délit · mardi 15 novembre 2016 · delitfrancais.com
Innovations innovations@delitfrancais.com
#ProjetREM: une révolution? Le nouveau projet est ambitieux, mais semble irréaliste.
Giulia Iop
Une promotion excessive
Plusieurs problèmes apparents
éveloppement, innovation, vitesse: voilà trois adjectifs décrivant le projet Réseau électrique métropolitain (REM). Les promoteurs ont un hashtag, #projetREM, comme symbole de leur campagne d’innovation. Radio-Canada dit que REM est la plus grande innovation technologique de Montréal en 50 ans. Ce train électrique sera lancé par une filiale de la Caisse de dépôt et de placements du Québec, CDPQ Infra, et reliera l’Ouest de l’Île-deMontréal avec la Rive-Sud, la RiveNord, le centre ville et l’aéroport. L’annonce fut critiquée, et les commentateurs ont remis en questions les trois adjectifs ci-dessus.
Selon CDPQ Infra et les autres promoteurs du service, le REM aura pour objectif de réduire la circulation des automobiles dans la région de Montréal. Cela aboutira en de grands gains de temps pour les banlieusards, qui vivent en périphérie mais travaillent au centre-ville. La Presse explique aussi que le train devrait être plus rapide et fiable, parce qu’il sera à l’abri des intempéries et de la congestion routière. Les promoteurs décrivent ces avantages comme «prioritaires» et «nécessaires» pour le développement de la ville de Montréal. La réalité est cependant un peu différente.
Radio-Canada nous met en garde sur les désavantages et les complications de ce projet. D’abord, il est expliqué que le train aura des impacts négatifs importants sur l’environnement et l’agriculture. Le ministère de l’Agriculture, des Pêcheries, de l’Alimentation du Québec (MAPAQ) et le ministère des Affaires autochtone et de l’occupation du territoire (MAMOT) sont tous deux inquiets de la pérennité territoriale: des milliers d’hectares de terre sont menacés par la construction du réseau (stations, voies ferrées, etc). C’est donc un problème environnemental et social sérieux. Il faut également prendre en compte tous les usagers qui doivent prendre un autobus ou l’automobile pour se rendre aux stations du REM. L’enjeu des correspondances est notamment soulevé par La Presse. Ces parties du trajet ne sont pas à l’abri des intempéries et elles
D
pas seulement dire qu’il faut créer quelque chose de neuf; il faut également investir dans une amélioration des transports existants» ne sont pas prises en compte par les promoteurs dans leurs calculs de temps. Par exemple, dans les faits, le parcours des habitants de Sainte-Julie s’allonge de 10 minutes, contrairement à ce que CDPQ Infra affirme. Enfin, la Caisse a demandé aux citoyens de signer des accords de non-divulgation, qui ont inquiété plusieurs personnes. Est-ce qu’il y a un manque de transparence? Un secret que l’on veut préserver? Le REM: une bonne idée?
EN TA IRE
S
Comme on peut le voir, il semble que le projet REM ait plus de désavantages que d’avantages.
Pour cette raison, il est pertinent de se demander s’il ne serait pas plus judicieux d’améliorer les routes et services (trains, autobus, métropolitains) déjà existants, plutôt que d’investir dans la construction d’un nouveau projet peut-être trop onéreux. Innovation et développement ne veulent pas seulement dire qu’il faut créer quelque chose de neuf; il faut également investir dans une amélioration des transports existants. Il ne faut aussi pas oublier que la chose la plus importante est de se plier aux exigences des usagers: cela est le secret d’un service vraiment efficace. Le CDPQ Infra devrait passer du rêve à la réalité et comprendre que ce projet ne semble pas tenir debout. x
PA RL EM
SOCIÉTÉ
PARTICIPATION
PARTIS POLITIQUES
POUVOIR
DROITS
DÉMOCRATIE
CITOYENS
OPINIONS
GOUVERNEMENT
ÉLECTIONS
DÉPUTÉS
2017 15 e ÉDITION
« Innovation et développement ne veulent
APPEL DE CANDIDATURES
14 500 $ en bourses DATE LIMITE :
20 janvier 2017
L’Assemblée nationale récompense les auteurs de mémoires et de thèses portant sur la politique au Québec. Pour information assnat.qc.ca/prixlivrepolitique
assnat.qc.ca/mediasso ciaux
le délit · mardi 15 novembre 2016 · delitfrancais.com
INNOVATIONS
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CULTURE
CINéMA
articlesculture@delitfrancais.com
Au rythme des RIDM
Les Rencontres internationales du documentaire de Montréal (RIDM) reviennent à Montréal jusqu’au 20 novembre, pour le plus grand bonheur des cinéphiles. Avec près de cent films présentés, les RIDM nous font voyager de Jérusalem à Lampedusa, de Paris à Montréal. Disséminée entre plusieurs cinémas du centre de Montréal, la programmation originale et éclectique de 2016 promet d’offrir aux spectateurs un nouveau regard sur le monde.
Fuocoammare, entre deux eaux
Ou comment aborder le documentaire de Gianfranco Rosi, premier tour de force des RIDM. Céline Fabre
Le Délit
L
e plus grand malheur du journaliste culturel est que plus un film est réussi, plus il est difficile de lui rendre justice avec des mots. Pour nous faciliter la tâche, il faudrait garder à l’esprit que, de même que des images filmées ne représentent qu’un infime faisceau de la réalité, un article du Délit ne reflète hélas qu’un grain de ce qu’il cherche à exprimer. Au lecteur, donc, à travers la force de son imagination, de mettre en relief ce qui est lu, de rendre aux idées la totalité de leur dimension. Lors de sa toute première présentation aux RIDM de Montréal, le 10 Novembre 2016, les images capturées par le réalisateur italien Gianfranco Rosi sont parvenues à émouvoir et faire rire de façon presque équitable. Le sujet: la crise des réfugiés. Peut-être la plus grande tragédie qui a frappé l’Europe depuis l’Holocauste, pour reprendre les mots du cinéaste, lors d’une conférence de presse après avoir reçu l’Ours d’or à Berlin. Le caractère pressant de ce qui est rarement compris autrement que comme un
EyeSteeL «sujet d’actualité» est bel et bien une réalité qui ne s’arrête pas lorsque l’on ferme son journal. Et pourtant, les bêtises de Samuele, un petit garçon que l’on suit tout au long du film, adoucissent le drame tout en questionnant la responsabilité de chacun de nous. Prise en triangle entre Malte, la Sicile et la Tunisie, l’île de Lampedusa est devenue une plaque
tournante de la crise migratoire mais n’en possède pas moins d’habitants sédentaires, qui vivent de la pêche et naviguent ses eaux alentour depuis des générations. La famille de Samuele n’échappe pas à ce quotidien. Près d’une fenêtre, le jeune garçon écoute distraitement sa grand-mère lui conter son expérience en temps de guerre. À son âge, il se préoccupe surtout de la fabrication
de son lance pierre qui transformera un champ de cactus en terrain de jeu.
Voguant entre la fiction et le documentaire, Swagger est un mélange de mise en scène où les collégiens jouent la comédie, et d’entrevues où ils incarnent leur propre rôle. Il se place entre l’esthétique glaçante de La Haine de Matthieu Kassovitz — considéré
comme l’un des premiers films mettant en vedette cet envers du décor — et The We and the I de Michel Gondry qui suit un long trajet de bus de lycéens du Bronx. Le passé de caïd d’Olivier Babinot, son désir de revenir sur ces années «gâchées» rend
d’autant plus touchants les collégiens d’Aulnay-sous-Bois lorsque, face à la caméra, ils nous expliquent d’où ils viennent, qu’ils veulent réussir leur vie et ne surtout pas retourner au bled. Sur des notes de musique passant du rock à la voix grave
Les rois du bitume Céline Fabre
Le Délit
T
.o swag: expression remontant à l’ère de Shakespeare et qui définit celui qui marche d’un air défiant ou insolent. Swagger: titre du tout dernier film-documentaire d’Olivier Babinot présenté dans le cadre des RIDM le 13 novembre 2016. Alors qu’il a passé ses années de collège à briser des vitres et monter des canulars téléphoniques contre ses malheureux professeurs, ce réalisateur strasbourgeois rend aujourd’hui hommage à cette institution: à travers le portrait de collégiens des quartiers chauds de la banlieue parisienne. Sur son blog dédié à l’élaboration du film, il confie que c’est «cette fierté balancée à la face du monde, confrontée à la dureté déprimante de leur environnement aux horizons bouchés, qui m’a bouleversé pendant les deux ans que j’ai passés là-bas».
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Culture
La ronde des nomades Petit à petit, une alternance plus prononcée se crée entre ces plans d’Italiens et ceux de «voyageurs forcés» que l’on voit non seulement en mer, armés de leurs couvertures de survie mais aussi à
terre. Lentement, ils apprennent à faire face à cette expérience, certains chantent, prient ou même jouent au football au sein de cette perte de repères unanime. On passe d’un bord à l’autre sans transition, Samuele simule une maladie chez le docteur tandis que des rescapés évacuent une embarcation fragile et que les troupes de sauvetage répondent aux appels, tentent d’agir avant qu’il ne soit trop tard. Ce qui est particulièrement troublant dans Fuocoammare, c’est que les réfugiés et les habitants de l’île semblent placés au même niveau, il n’existe pas de hiérarchie entre les soucis de l’un et ceux de l’autre. Pourtant, l’un a peut-être traversé la Libye avant de fuir l’Etat Islamique, puis passé parfois six ans en prison – comme le chante un des réfugiés au cours du film – mais cela ne change rien à la façon qu’a Samuele de manger bruyamment ses spaghettis ou de bâcler ses devoirs d’anglais. Les images de Gianfranco Rosi miment l’impasse que représente ce fléau humanitaire. Un dialogue de sourds, deux extrêmes qui ne semblent pas se voir et entre les deux: la difficulté que traverse ceux qui se risquent à tendre la main. x
du rappeur londonien Loyle Carner, chaque collégien devient une star, tour à tour. L’une nous explique qu’elle aimerait bien être Obama, pour envoyer des bombes en Allemagne de temps en temps à cause de ses difficultés à suivre en cours d’allemand, tandis qu’un autre «préfère jouer au foot que parler à des filles». Alors que le côté théâtral de ce collège de Seine-Saint-Denis semble aller de soi, il faut tout de même une dose de cran et de patience pour dé-diaboliser les jeunes de ces quartiers et leur prêter l’attention qu’ils méritent.x
Swagger de Olivier Babinot 18 novembre à 20h15 au Cinéma du Parc
le délit · mardi 15 novembre 2016 · delitfrancais.com
Cinéma
Les soeurs Coulin et Soko nous présentent leur dernier film, Voir du pays.
P
parce que à un moment donné nous sommes tous responsables quand même. C’est à dire que la guerre du Vietnam elle s’est arrêtée à un moment où ça devenait intenable parce que l’opinion publique se renverse et donc les gouvernements à un moment donné ils sont bien obligés d’écouter. Et ces guerreslà (les interventions en Irak et en Afghanistan, ndlr) on n’a pas voulu les voir et aujourd’hui on le paye chaque jour… La plus grande tragédie depuis la Seconde Guerre mondiale c’est la crise des migrants aujourd’hui en Europe et ce n’est pas un hasard que ces populations viennent principalement de Syrie, d’Irak ou d’Afghanistan où nous sommes allés faire la guerre.
rimé au Festival de Cannes 2016 dans la sélection Un certain regard, le film Voir du Pays, de Delphine et Muriel Coulin, était présenté au Festival Cinémania le 9 novembre dernier. Soko et Ariane Labed y intérprètent Marine et Aurore, deux jeunes militaires. À leur retour d’Afghanistan, l’armée les installe avec leur section dans un hôtel de luxe chypriote sensé leur permettre d’oublier la guerre avant leur retour à la société civile. À travers leur exploration de ce sas de décompression, les soeurs Coulin offrent un regard inédit sur une guerre trop souvent oubliée. Le Délit est parti à la rencontre des deux réalisatrices de Soko.
Le Délit (LD): Ce film est une adaptation de votre livre. Pourriez-vous nous parler du processus d’adaptation? Le moyen d’expression du cinéma vous a-t-il permis d’explorer de nouvelles perspectives que le livre n’offrait pas? Delphine Coulin (DC): Le livre en fait, il est construit comme une pâte feuilletée qui alternerait la période où les deux filles se connaissent nouent une amitié hors-norme puis décident de s’engager dans l’armée, la période où elles sont en Afghanistan et où c’est la guerre, et la période du SAS (Special Air Service, ndlr) qui est explorée dans le film. C’est une alternance entre les trois périodes. Quand on s’est posé la question d’adapter avec Muriel on s’est dit assez vite que rajeunir les actrices n’était pas quelque chose qui nous intéressait, souvent c’est raté dans les films — donc on a éliminé la partie en Bretagne de l’adolescence — et on voulait encore moins prendre deux actrices, parce que l’on perdrait en empathie pour les personnages. On voulait se concentrer sur Soko et Ariane. Les scènes de guerre, ça a été fait un million de fois dans les films, et ô combien réussi par des maîtres du cinéma, donc on n’avait pas envie de s’y coller non plus. Et en plus, la partie la plus pertinente, avec des outils d’image, c’était la partie du sas, parce qu’il y a tout un questionnement sur le voir, l’image, est-ce qu’une image peut changer la vie, est-ce qu’une image peut guérir. LD: Le film propose un regard particulier sur le corps. Soko, comment vous êtes-vous préparées physiquement et psychologiquement? Comment avez-vous abordé la question du corps en tant que réalisatrices? Soko: C’est très important pour elles, le corps, justement. Elles voulaient filmer les peaux, les corps abîmés, comment rentre-t-on d’une expérience comme ça. On s’est entrainées avec les garçons avant à
hortense chauvin Paris avec une coach, qui est devenue sophrologue, mais qui était dans l’armée et qui, après sa carrière de militaire, a fait beaucoup de sas. Elle a fait une dizaine de sas, et donc elle a vu beaucoup de gens rentrer de mission complètement défaits. C’est marrant parce qu’elle nous racontait beaucoup d’anecdotes de gens à qui elle faisait faire des exercices de sophrologie, et il y en a pour qui ça marchait super bien, qui arrivaient à se détendre. Elle voyait la différence entre le moment où ils arrivaient et celui où ils repartaient du sas. Et pour d’autres ça ne marchait pas du tout. Leurs corps étaient restés en Afghanistan. Et du coup, on s’est beaucoup entraînées avec cette femme, qui nous a beaucoup parlé de ça. C’était très important pour les filles de filmer ça. LD: Est-ce que ça a rendu le tournage éprouvant? Soko: C’était hyper éprouvant, oui. En tout cas pour moi. C’est un rôle qui est tellement à l’opposé de ce que je suis dans la vie, je suis complètement anti-violence et tout d’un coup je joue une fille très violente, très masculine, qui doit vraiment être un petit bonhomme pour arriver à
pas rendue compte à quel point elle allait pas bien. En acceptant le film, je m’étais dit «oui», j’étais très consciente que l’on faisait un film sur le syndrome post-traumatique, mais je niais complètement qu’elle n’allait vraiment pas bien quoi. Donc les filles, leur indication principale pendant le film c’était «non mais plus grumpy, plus grumpy» (rires). Je ne me rendais pas compte qu’elle n’allait pas bien à ce point. Donc c’était un peu traumatisant émotionnellement. LD: C’est un film qui explore aussi la culture extrêmement masculine de l’armée, le dénigrement constant des femmes dans cet environnement. Comment est-ce que vous avez voulu aborder cette question difficile? DC: En fait pour moi ce n’est pas tellement différent dans l’armée que dans le reste de la société, seulement dans l’armée ça se voit beaucoup plus et donc au cinéma c’est plus intéressant (rires). C’est un monde masculin par définition, où la virilité est juste la valeur première. Du coup tout le questionnement sur est-ce que l’expérience au monde est différente quand on a un corps de femme ou un corps d’homme se voit beau-
«La violence c’est comme l’énergie, elle se transforme mais ne parvient pas vraiment à disparaître» survivre dans un milieu dominé par les hommes, et où il n’y a pas de place pour la vulnérabilité... Comme moi dans ma vie je suis quelqu’un de très émotionnel et, justement, très à fleur de peau, et je n’ai aucun problème à parler de mes émotions, d’un seul coup de jouer une fille qui est tout, tout, tout à l’intérieur et qui ne veut rien laisser paraître c’était très, très difficile pour moi. En fait, j’ai vécu le film un peu comme mon personnage, j’étais en déni à propos du fait que je n’allais pas bien, aussi. Je ne m’étais
le délit · mardi 15 novembre 2016 · delitfrancais.com
coup plus dans l’armée. Muriel Coulin (MC): C’est beaucoup moins visuel. C’est moins visuel que la guerre, ou que le traumatisme de guerre dans un hôtel cinq étoiles. Il y avait tout d’un coup une confrontation visuelle où là on pouvait, en passant du militaire au civil, aborder ces thèmes-là, où justement, le sexe affleure à nouveau. En passant du militaire au civil, on avait tout d’un coup un retour aux instincts primaires. Soko: Et puis c’est ça par rapport au
corps, justement les filles voulaient montrer que d’un seul coup passer de fille en uniforme, qu’on ne regarde pas, et puis elles arrivent à la plage et elles sont en maillot de bain et d’un seul coup elles redeviennent des proies. LD: Dans le film on retrouve des thèmes déjà présents dans votre précédent film 17 filles: les personnages viennent de Lorient, parlent du manque d’opportunité sociaux-économiques, qui les poussent à rentrer dans l’armée. Est-ce que ce sont des thèmes qui vous tiennent à cœur? MC: Oui, c’est sûr. Nous, nous avons réussi à nous échapper, même si on a un lien très affectif avec Lorient. On a senti ça à deux époques différentes, parce que moi je suis plus vieille que Delphine, mais à deux époques différentes on a vraiment senti ce besoin de partir. Sans arrêt à Lorient il y a un horizon, on voit des bateaux partir, et puis c’est quand même une tradition des Bretons, de partir au loin. Nous on avait l’impression à l’adolescence que les perspectives que l’on nous proposait n’étaient pas nombreuses, et c’était de rester dans le coin, d’avoir un boulot, des enfants, bien tranquille. Nous on avait juste envie de faire exploser tout ça. Je pense que d’en parler, c’est une manière aussi de mettre quelque chose de nous dans les personnages. LD: Le film dénonce une sorte de banalisation de la guerre… Il y a comme des décalages tout le temps, vous en parliez d’ailleurs, entre les touristes à Chypre et le groupe et militaire ou encore entre la réalité du terrain en Afghanistan et les campagnes de recrutements de l’armée que l’on voit à la télé (qui font très jeu vidéo)… Soko: Et qui vendent du rêve! LD: Exactement! Et donc pour vous c’était important de sonner l’alarme sur ces phénomènes? MC: Bah oui, oui c’est important! Qu’on ait fait une guerre pendant 13 ans et qu’on n’ait pas voulu le voir,
LD: Aussi c’est intéressant comment, même s’il y a ce décalage entre les sociétés occidentales qui vivent dans cette sorte de petit paradis en Chypre et la réalité de la guerre en Afghanistan, ce groupe de militaire agit en somme comme une liaison entre ces deux mondes, où ils permettent à la violence de voyager de l’Afghanistan à la France… MC: Exactement, et ce n’est pas pour rien aussi qu’il y a le plan à la fin d’échange de regards entre Ariane (une militaire dans le film, ndlr) et le groupe de migrants qui arrivent à Chypre. C’est qu’à un moment donné il y a comme une communauté humaine de part et d’autre. Enfin… ils sont victimes de la guerre, aussi bien les soldats que les migrants, et le point de jonction c’est ça… LD: Lorsqu’ils sont dans l’hôtel on a l’impression que personne n’est vraiment conscient de ce qui se passe, que leur violence se diffuse et semble presque incontrôlable… DC: Parce que eux ils reviennent chargés d’une violence qui va se diffuser. Nous on part du principe que la violence c’est comme l’énergie, elle se transforme mais ne parvient pas vraiment à disparaître, sauf au moment du sacrifice du bouc-émissaire. On part du principe qu’ils arrivent chargés de violence et que cette violence elle va se décharger sur les touristes et puis sur les Chypriotes et puis finalement à l’intérieur même du groupe. Et que c’est à partir du moment où il y a un acte vraiment violent qui dépasse les autres que la tout d’un coup ouf on prend confiance qu’on a été vraiment trop loin et qu’il faut essayer de se calmer quoi. LD : Vous êtes en tournage tard le soir, toute l’équipe est à plat: quelle chanson vous jouer pour remotiver les troupes? DC : No one’s little Girl (de The Raincoats, ndlr) (rires)! Propos recueillis par Hortense Chauvin et dior sow Le Délit
CULTURE
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LITTÉRATURE
Charles Gauthier-Ouellette | Port Littéraire
J
’avais à peine seize ans la première fois que j’ai mis les pieds de l’autre côté des portes d’un restaurant, à la recherche d’un premier job comme bon nombre d’ados. Des planchers en céramique, un dish pit métallique et, surtout, de la vaisselle sale à perte de vue. En lisant Le plongeur de Stéphane Larue, ces souvenirs me reviennent à l’esprit. Sauf que, contrairement à mon expérience de la plonge, le temps passé le nez dans ce livre s’avéra très agréable. Ce premier roman de l’auteur, publié en 2016 chez Le Quartanier, relate les mésaventures d’un jeune homme qui s’empêtre de plus en plus dans l’univers du jeu, par le biais des machines à sous. Détaillant minutieusement ces scènes, qui parsèment toute
ChLOE ANASTASIADIS
l’œuvre, Stéphane Larue rejoint le lecteur et lui insuffle cette impression de tension, ce besoin malsain de jouer pour gagner et, avec un peu de chance, pour se refaire alors qu’il est au plus bas. «Mon cœur pompait de la lave, mes yeux ont fondu dans leurs orbites, réduits à deux petits orbes brulants qui ne percevaient plus que les séquences chanceuses s’accumulant tour après tour.» Lorsqu’il ne se trouve pas dans un bar minable sur Ontario, le personnage principal — qui parle à la première personne tout au long du récit — passe le plus clair de son temps dans le milieu de la restauration. Plongeur dans un restaurant luxueux, il y rencontre de nombreux personnages qui colorent le roman; c’est grâce à ces individus, que ce soit les cuisiniers, les serveurs ou la busgirl (aide-serveuse, ndlr), que Le plongeur se déploie véritablement. Avec une aisance surprenante, l’auteur nous les décrit et les fait vivre dans tous leurs excès, dévoilant des hommes et des femmes plus grands que nature. C’est là la plus grande réussite du roman: créer un
univers où le sort des personnages secondaires nous intéresse autant que les méandres du protagoniste. Cet univers se bâtit aussi par un ensemble de références propre au tournant du siècle: les cassettes sont à la mode, le walkman permet de s’isoler dans un monde de possibilités musicales – les références aux groupes métal de l’époque s’enchaînent à un rythme effarant – le narrateur ne se promène jamais sans sa pagette, «à la télé, Claude Rajotte détruisait le premier album de la fille d’Ozzy Osbourne». Il n’en faut pas plus pour rejoindre la fibre nostalgique de tout jeune ayant traversé sa phase rebelle au début des années 2000. Ce premier roman de Stéphane Larue épate par son style et son contenu. En empruntant parfois un ton plus poétique, parfois plus terre à terre, il crée un effet de tension qui plonge le lecteur dans la réalité d’une dépendance peu abordée chez les jeunes, l’addiction aux jeux. Malgré ce thème assez sombre, Le plongeur saura plaire à tous, que vous ayez eu à souffrir les affres des interminables piles de vaisselles ou non. x
MUSIQUE
Don Giovanni ajoute l’Opéra de Montréal à la liste de ses conquêtes. Léa BÉgis
Le Délit
L’
opéra à l’affiche à l’Opéra de Montréal ce mois-ci coïncide de manière fortuite avec l’actualité politique. En effet, le discours sur les femmes tenu par Don Giovanni est plus que jamais dans l’air du temps. David Lefkowich a choisi de transposer le chef d’œuvre opératique de Wolfgang Amadeus Mozart, créé au Théâtre national de Prague en 1787, dans l’Italie des années 40, inscrivant ainsi Don Giovanni dans des enjeux sociaux et politiques différents. Les costumes, à la hauteur de la qualité des spectacles de l’Opéra de Montréal, mélangent des complets traditionnels aux robes fleuries. Quant au décor unique, il consiste en trois façades de pierre grise qui rappellent celles d’un petit château ou d’une riche demeure, et qui servent à la fois à représenter la demeure de Don Giovanni, celle de Donna Anna et les façades des maisons lors des scènes extérieures. L’éclairage provient tour à tour d’une pièce dissimulée par la façade de droite, d’un lustre descendu du plafond lors de la fête chez Don Giovanni, et des deux portes de la façade de gauche lors de l’arrivée de la statue du Commandeur chez Don
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Culture
YVES RENAUD Giovanni. Selon un spectateur, les jeux de lumière créés par les éclairages colorés ajoutent à la vivacité de la mise en scène. La variété des éclairages contribue également à reproduire les différentes atmosphères de l’opéra, caractérisé par sa «combinaison de comique et de sérieux, d’ombre et de lumière, de sérénité et de violence», selon les termes de l’Opéra de Montréal. La
mise en scène de la scène finale illustre l’intensité dramatique qui contraste avec la légèreté du reste de ce «dramma giocoso» (littéralement, drame espiègle en italien, ndlr). Des performances mémorables De manière générale, le jeu et la voix des chanteurs sont
remarquables. Le jeu comique de Daniel Okulitch (Leporello) est digne de mention, ainsi que celui de Emily Dorn (Donna Anna), dont la voix, qui passe aisément des aigus aux graves, illustre parfaitement la faiblesse et la force du personnage. Un spectateur a particulièrement apprécié le jeu d’Hélène Guilmette (Zerlina), qui manie avec justesse les registres
dramatique et comique. La voix de basse d’Alain Coulombe (Le Commandeur) a toute la profondeur nécessaire pour interpréter l’air célèbre de la statue. Bien que doté d’une riche voix de baryton, Gordon Bintner (Don Giovanni) n’a pas l’exubérance attendue d’un Don Giovanni, et son jeu manque un peu de conviction. Le costume (complet cravate et cheveux blonds gominés) ainsi que la misogynie, la violence, la vantardise, l’impénitence et la lâcheté du personnage nous rappellent un autre Don, plus près de nous. On a lu dans Don Giovanni «des signes avant-coureurs des idées qui allaient porter à la Révolution française à peine deux ans après sa première», selon les termes de l’Opéra de Montréal. En effet, l’opéra fustige la cruauté des riches envers les pauvres. Trois siècles plus tard, la morale de l’histoire: «la mort des perfides est à l’image de leur vie» parle toujours au public contemporain. x
Mise en scène de David Lefkowich jusqu’au 19 novembre à l’Opéra de Montréal
le délit · mardi 15 novembre 2016 · delitfrancais.com
Cinéma
Before the flood sonne l’ alerte. la Chine est utilisé pour sensibiliser les Américains au fait que le changement ne peut se faire sans un revirement immédiat dans leur consommation, et qu’il est hypocrite de demander aux pays en développement de faire les efforts qu’ils ne font pas eux-mêmes. En effet, sans l’entière participation des États-Unis, le deuxième plus grand émetteur de gaz à effet de serre après la Chine, les projets écologiques actuels comme la COP21 sont voués à l’échec.
Margaux sporrer
Le Délit
L
e film Before the Flood (Avant le déluge, ndlr), sorti en 2016, suit à travers le monde l’acteur et activiste Leonardo DiCaprio. Le spectateur assiste aux différentes conversations qu’il entretient avec des scientifiques, des politiciens, et des habitants locaux qui subissent directement les effets du réchauffement climatique. Après la COP21, l’enjeu est de taille pour chaque pays, chacun ayant ses propres défis à surmonter. Les pays sont en effet inégaux dans les moyens à leur disposition pour effectuer la transition vers une économie et une politique mondiale plus respectueuse de l’environnement.
Une opportunité médiatique décevante
«Si la Chine peut le faire, alors le reste du monde aussi» En Chine par exemple, les problèmes environnementaux sont devenus la plus importante cause de manifestations dans les rues. En effet, la vie quotidienne y est directement affectée par la pollution et celle-ci met la santé
monica morales des habitants en péril. Rares sont ceux d’entre nous qui subissent les effets du changement climatique et de la pollution de manière concrète et handicapante au jour le jour, et heureusement. Toutefois,
si on attend d’être affecté pour réagir, il sera trop tard. La Chine l’a d’ailleurs bien compris et fait maintenant parti des pays ayant les plus grosses compagnies d’énergie solaire et éolienne. L’exemple de
Tant de documentaires climatiques sont sortis sur les écrans qu’il serait naïf de croire que le manque d’information est ce qui fait obstacle au manque d’engagement politique. Comme l’explique le film, les résultats de sondages, les manifestations et nos propres voix sont les seuls moyens d’atteindre des résultats concrets. Un film associé à Leonardo DiCaprio pourrait avoir une grosse répercussion médiatique et encourager l’opinion publique à accepter la réalité et à agir pour faire que les choses chan-
gent. Malheureusement, Before the Flood est un énième avertissement sur le réchauffement climatique. Ses intentions sont honorables, mais son contenu est décevant, car similaire à ce qui a déjà été fait. Le film perd son opportunité d’utiliser la voix de Leonardo DiCaprio pour inspirer, sortir du lot et enclencher un réel mouvement qui persisterait au delà de la salle. Contrairement au film Demain, on retrouve dans Before the flood des ressorts scénaristiques souvent utilisés dans les blockbusters américains: son style est paniquant, alertant, dramatique. Ces deux films se complètent pourtant: Before the flood sert d’électrochoc et met en lumière des réalités inquiétantes, tandis que l’autre redonne de l’espoir, inspire, engage une réflexion et un mouvement à chaque échelle. Le changement climatique est un problème majeur de notre temps. Tout le monde le sait, mais personne ne veut garder les yeux ouverts. Comme le souligne très justement Leonardo DiCaprio, «essaie d’avoir une conversation sur le changement climatique, les gens déconnectent». x
chronique visuelle
Opini-art-re
«Got a wife and kids in Baltimore, Jack I went out for a ride and I never went back Like a river that don’t know where it’s flowing I took a wrong turn and I just kept going» - Bruce Springsteen J’ai une femme et des enfants à Baltimore, Jack Je suis parti tailler la route, pour ne jamais revenir Tel une rivière qui ne sait pas où le courant l’emmène J’ai mal tourné, mais j’ai quand même continué
par Capucine Laurier le délit · mardi 15 novembre 2016 · delitfrancais.com
Culture
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entrevue
regards croisés
À l’occasion de la sortie du film Le Fils de Jean au festival du cinéma francophone Cinémania, Le Délit a rencontré le réalisateur Philippe Lioret ainsi que l’un des acteurs principaux du film Gabriel Arcand.
le film: le fils de jean Comment résumeriez-vous l’intrigue de votre film en quelques mots? Philippe Lioret: Ma façon de communiquer autour de cette histoire, c’est de dire que c’est l’histoire d’un mec qui reçoit un coup de téléphone un jour et qui découvre que son père, qu’il n’a pas connu, est québécois et qu’il a eu deux enfants, deux fils, ainsi quand il découvre qu’il a deux frères, il veut absolument les voir, savoir qui c’est, c’est comme une nécessité vitale. Puis, il y va, il est piloté par le meilleur ami de son père qui se demande ce qu’il fout là, pourquoi il est venu, et il va rencontrer ses deux frères, et ça ne va pas très bien se passer. Il est dans la dynamique d’un mec qui a besoin de retrouver sa famille. Et il va retrouver, dans la famille de l’ami de son père, une famille de substitution, parce qu’en fait l’histoire pourrait aussi se raconter que comme ça, c’est l’histoire d’un type qui trouve une famille de substitution.
grâcieuse
té des film
s séville
l’acteur: Gabriel Arcand Quelles sont les deux traits principaux de votre personnalité?
ikram mecheri
Philippe Lioret: Son engagement et sa pudeur. Son engagement à être, à vivre les choses, et sa pudeur énorme. Un engagement et une pudeur immense. Et les deux doivent cohabiter ensembles dans un seul bonhomme, je ne sais pas comment c’est possible. Il ne demande qu’à s’engager dans les choses, dans la vie, dans l’art dramatique, dans l’amour, dans tout. Et il a une grande réserve, une grande pudeur. Et ça fait un personnage, ça fait lui quoi. Puis c’est un bon camarade. Gabriel Arcand: Un curieux mélange d’insouciance et de ténacité. Si je
Est-ce que vous avez plus d’affinités avec le théâtre qu’avec le cinéma? Gabriel Arcand: J’ai de l’affinité avec la création. J’ai plus d’affinités avec le cinéma d’auteur qu’avec le cinéma commercial. J’aime mieux quelqu’un, par exemple, comme Philippe Lioret qui vient me voir et qui me dit «Écoute j’ai écrit un scénario, c’est mon film, c’est mon idée, ça m’intéresse de filmer ça, est-ce que tu veux collaborer à ça?» plutôt qu’un agent qui m’appelle et qui me dit «Écoute il y a une super-production américaine qui se tourne, c’est le rôle d’un méchant, c’est cinq jours de tournage, il y a beaucoup de mitraillettes, et puis tu voles une banque». Je vais être plus intéressé par le projet de Philippe Lioret que par la super-production américaine parce que c’est son projet à lui, il l’a créé, il l’a généré, il l’a inventé, il l’a conçu. La super-production américaine a été écrite par cinq personnes
assis en buvant de la bière dans un café, puis ils ont écrit ça comme ça pour faire de l’argent, pour gagner le plus d’argent possible. Philippe Lioret, il ne tourne pas son film pour faire de l’argent, il tourne son film parce qu’il veut être un cinéaste, il veut parler des choses qui le préoccupent et qui l’intéressent C’est la même chose au théâtre. Si j’ai le choix de participer au projet d’un jeune auteur pas connu dans le petit théâtre auquel je collabore chez nous ou dans le théâtre des Champs Élysées qui monte une pièce de George Feydeau, je vais choisir la pièce du jeune auteur. Je pense que ce qui me guide c’est la curiosité. J’aime ça découvrir des choses, découvrir et rencontrer des personnes, plus que les recettes toutes faites.
tiens vraiment à quelque chose, je vais m’y tenir vraiment, et puis en même temps, après y avoir tenu, je fais comme si ça n’avait pas d’importance. Est-ce que vous avez un exemple concret qui personnifierait ce mélange? Gabriel Arcand: C’est ma vie. Je m’occupe d’un théâtre depuis 40 ans sans fléchir, et puis en même temps je peux, je ne sais pas, subitement me détacher de quelque chose à laquelle je tiens, je ne sais pas pourquoi je suis comme ça.
«Je pense que ce qui me guide c’est la curiosité»
Comment s’est passé votre travail sur le personnage? Gabriel Arcand: Bien, bien, bien, ça a été un processus assez graduel. On a eu la chance de prendre le temps avant le début du tournage, moi et mes partenaires — ceux qui jouent ma famille dans le film — de relire tout le scénario à voix haute, ce qui fait que lorsqu’on avait des problèmes de langage, par exemple, quand Philippe disait «Je ne comprends pas ce que vous dites» on trouvait une autre formule, et la même chose quand parfois nous, on ne comprenait pas des formules par-
fois trop françaises. La question c’est comment tu le prononces pour que les Français le comprennent sans que les Québécois n’éclatent de rire. Dans le film, il fallait que tu trouves exactement la ligne où tout le monde comprend! Et puis, durant le tournage ça s’est bien passé. Philippe est très clair, il sait ce qu’il veut, mais en même temps il est inclusif, il est ouvert, si on propose de changer des choses, il écoute, il n’est pas rigide.
«Si je tiens vraiment à quelque chose, je vais m’y tenir vraiment, et puis en même temps, après y avoir tenu, je fais comme si ça n’avait pas d’importance»
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Culture
le délit · mardi 15 novembre 2016 · delitfrancais.com
le fils de jean le réalisateur: philippe lioret ikram mecheri
D’où vous est venu l’idée de réaliser ce film? Philippe Lioret: C’est une vieille histoire. Le thème du film, ça fait plus de 10 ans que je l’ai en moi, parce que ça se rapporte à une histoire qui est un peu personnelle, dont je ne vous dirai rien même sous la torture (rires). C’est pour ça que j’ai fait des films, c’est pour pouvoir raconter des histoires qui me concernent mais sans que les gens le sachent. En fait, je ne voyais pas bien comment l’aborder, et puis j’ai lu ce livre de Jean-Paul Dubois Si ce livre pouvait me rapprocher
de toi, il m’a beaucoup plu, et en le lisant je ne pouvais pas m’empêcher de faire des passerelles avec mon histoire et de me dire «ah tiens, ce serait une façon de me cacher derrière le fait que ça se passe au Québec». Le livre de Jean-Paul ne raconte pas du tout cette histoire-là, mais il y avait des ambiances, des personnages, qui pouvaient me ramener à mon histoire.
Est-ce difficile de créer une émotion forte sans tomber dans la sensiblerie?
COURTOISIE des
Philippe Lioret: Toute la difficulté est là. Il ne faut pas vouloir susciter une émotion, il faut que le résultat de ce que vous avez fait le fasse. Ce n’est pas un but en soi, si ça la suscite c’est bien, mais si on cherche à la susciter on n’y arrive jamais. Ou alors ça donne un truc fabriqué et ça ne marche pas. Je ne fais pas mes films pour essayer d’émouvoir qui que ce soit, je fais ça pour essayer d’être droit dans mes bottes, et si c’est suffisamment fort, ça doit arriver à cela par la force des choses, mais il n’y a pas de volonté de plaire. Si il y a la volonté de plaire on ne plaît pas. Mais plaire à qui? Au public? Je ne sais pas qui c’est le public. Je connais un spectateur: c’est moi. Je ne demande qu’à être
films séville
Qu’est-ce que que vous trouvez comme ‘ressort’ narratif dans la famille? Philippe Lioret: C’est tout. Il y a tout. Parce que la famille c’est grand, entre le rapport que peuvent avoir un frère et une soeur, deux frères, un fils et sa mère, un fils et son père. Ça me nourrit un peu, on vient de là. Nos vies font que l’on va devenir pour nos enfants ce qu’étaient nos parents. Et puis je trouve que c’est l’endroit de tous les secrets, tous les mystères, et de toutes les grandes aventures. C’est la grande aventure
ça au cinéma; être spectateur d’une toile d’ectoplasme qui se promène sur l’écran. Je ne veux même pas savoir que c’est un film au bout de 10 minutes, je veux être dedans et me projeter, m’identifier. Et puis que l’histoire qui se passe devant moi me concerne. Si ça on y arrive, c’est super quoi! Quand le spectateur sort de la salle et traverse l’avenue, et puis il est encore là dedans [dans l’histoire], même si ça ne dure qu’un quart d’heure. Mais si le film dure encore un quart d’heure après le film, ben c’est réussi. Nous avons atteint le but. Je vais bien ne t’en fais pas, ça fait un moment que vous l’avez vu? Et vous y pensez encore, pour moi c’est encore mieux que d’avoir un Oscar!
«Je ne fais pas mes films pour essayer d’émouvoir qui que ce soit, je fais ça pour essayer d’être droit dans mes bottes»
en fait. Vous voyez le film, il va sortir en même temps que Star Wars en fait. En contre-programmation, les gens qui n’auront pas envie de voir Star Wars pourront voir ca. J’ai dit au distributeur, c’est pas une mauvaise idée. Et après j’ai réfléchi et je lui ai dit, tu sais c’est la même histoire (il fait la voix de Star Wars: «rshh je suis ton père») (rires)! Mais c’est la même histoire sauf que nous on la raconte en se passant de
ce plateau. Ca fait deux mille ans que l’on raconte des histoires. Il n’y a pas d’autres méthode de les raconter que les méthodes habituelles. Après c’est donner l’impression au spectateur qu’on emmène faire un voyage qu’il n’a jamais fait. Moi je le fais avec les moyens que j’ai, mais je sais que si je me retrouvais avec des millions de dollars, ce serait pour aller raconter au fin fond de tout cette histoire, la même histoire.
Quel est l’intérêt scénaristique du Canada pour vous dans l’histoire? Philippe Lioret: Plusieurs rôles. Déjà parce que je m’y retrouve, dans la mesure où c’est un pays que je connais bien. Quand j’étais môme, ma grand-tante vivait ici et je venais très souvent la voir. Et puis je voulais que Mathieu parte loin, parce que s’il partait à 300 kilomètres de Paris c’était pas pareil. Ici, c’était une nécessité vitale. Parce que faire 6000 kilomètres pour 48h pour aller à l’enterrement d’un mec qu’on a jamais rencontré, ça ressort d’une pulsion, d’un truc fort. Le film il a sa nature profonde qui
parle de l’intime, des relations intimes, et j’essaye toujours que ce soit pas un film intimiste, parce que il y a rien de plus chiant. Que ça nous parle, que ça vienne parler à notre intime. Les films intimistes c’est des films qui se passent entre quatre murs tout le temps. Il faut que ça respire, il faut que ça soit dans un mouvement, dans la vie, il faut que les choses se passent au milieu d’autres choses, je trouve. C’est aussi pour ça que c’était bien de venir tourner ça au Québec, parce que c’est un pays qui respire.
COURTOISIE des films séville
Propos recueillis par hannah raffin et ikram mecheri Le Délit
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