Édition du 7 février 2017

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Publié par la société des publications du Daily, une association étudiante de l’Université McGill

Mardi 7 février 2017 | Volume 106 Numéro 13

Me touche pas les fesses depuis 1977


Volume 106 Numéro 13

Éditorial

Le seul journal francophone de l’Université McGill

rec@delitfrancais.com

rédaction 3480 rue McTavish, bureau B•24 Montréal (Québec) H3A 1X9 Téléphone : +1 514 398-6784

L’art de déraper Ikram Mecheri

Le Délit

P

arler de la pluie et du beau temps en 657 mots, trois relectures, et deux corrections est devenu, au cours de ces derniers mois, une sorte de rituel dont je me trouve aujourd’hui prisonnière. À force de penser, penser pour écrire, j’ai peu à peu réalisé que je ne pensais que dans l’esprit de répliquer, de donner mon avis, sans nécessairement me remettre en question. Cet exercice, bien que stimulant intellectuellement me laisse aujourd’hui perplexe. Car bien que je partage mes pensées avec des inconnus, mon dialogue reste sourd et incomplet. Les «sacs d’images dans ma mémoire» se succèdent, mes «efforts d’imaginations» restent «cloués sur un banc, rien d’autre à faire», mon esprit fait du surplace. Tant d’énergie perdue à me raisonner, à essayer de penser. L’écriture est un exercice égoïste car elle impose une vision du monde au lecteur sans lui offrir aucun espace de contestation. Et pourtant, ce trait n’est pas limité à l’écriture. Il est présent dans toutes les formes artistiques qui nous entourent. L’artiste réfléchit, crée et nous fait découvrir une partie de son univers. L’art n’est donc pas un dialogue, mais plutôt un espace de confrontation ou les différentes formes de pensée se répondent à tour de rôle. Cette réflexion naïve sur l’écriture ne saurait toutefois être juste s’il elle ne se penchait pas sur le rap, ou plutôt, cet entre-

deux du monde poétique et du dialogue que l’on oublie trop souvent et qui vient combler ce vide. Le rap, on le néglige, ou on le met délibérément de côté car il dérange. Cru, violent, parfois sauvage, quelques fois doux, il transporte, il fait réfléchir. Dans ce numéro spécial, l’équipe du Délit a souhaité mettre à l’honneur cet art inestimable qu’est le rap. Inestimable, car malgré le temps et la constante métamorphose de ses penchants artistiques, son authenticité demeure. Certes, il y aura toujours ces nostalgiques rêveurs de l’époque de IAM, Sniper, NTM et Mafia K’1 Fry pour nous dire que le rap, «c’était mieux avant». Certes, il reste des progrès à faire pour les femmes. Certes, le rap n’est pas parfait, mais il ne se targue pas de l’être non plus. Au-delà des mots Face à l’obéissance du langage, les rappeurs ont opté pour l’affranchissement en créant leur propre vocabulaire. Mektoub, shlass, kho, srab, tchat, daronne, chourave, en passant du «wesh» aux «narvalo», la liste est longue et se renouvelle sans cesse. En brouillant les cartes syntaxiques, il remet en question ce Français rigide et quasi-inaccessible. La langue, cet artéfact humain, censé évoluer au gré des sociétés, est devenue une prison infranchissable et dont ses gardiens, des épaves séniles et déconnectées du réel, frappent du bâton tout ce qui ne flatte pas leur égo.

Si le rap s’est imposé dans l’univers d’une jeunesse désabusée, c’est parce qu’il était accessible. Plus encore, il a offert un horizon de possibilités et de vocabulaires. Il sort des sentiers établis pour suivre la voie de l’imaginaire. Le rap rassemble les milliers de destins qui s’opposent et qui se cherchent. Le flot de mots détermine le rythme, et ce rythme fait naître une mélodie qui donne vie aux mots. Le rap nous apprend que la vie est un délicieux chaos auquel il est dangereux d’essayer de mettre de l’ordre. Précurseur de nos destins, le rap évolue dans un monde parallèle en sublimant le laid, les ruelles sombres de Côte-des-Neiges ou le parking du vieux Tim Hortons de SaintLéonard. Il est ce qu’on essaye de cacher par peur de réveiller. Le rap choque car il présente la réalité telle qu’elle est – brutale, sale, parfois joyeuse, mais qui tombe rarement dans le désespoir insensé que seuls les fous ont le malheur de croire. Cette dualité – à coup de rimes et de clash – alimente la réflexion que permet ce nouveau dialogue. «L’ouverture d’esprit n’est pas une fracture du crâne», le rap non plus d’ailleurs. En rendant justice au rap, à cet art lyrique, nous avons souhaité rendre hommage aux oubliés. À ceux qu’on surnomme les Autres. À ceux auxquels on dit qu’ils n’ont pas d’avenir dès l’âge de 15 ans. À ceux qui se font arrêter à cause de leur couleur de peau, à ceux qui continuent de rêver. x

Rédactrice en chef rec@delitfrancais.com Ikram Mecheri Actualités actualites@delitfrancais.com Antoine Jourdan Sébastien Oudin-Filipecki Théophile Vareille Culture articlesculture@delitfrancais.com Chloé Mour Dior Sow Société societe@delitfrancais.com Hannah Raffin Innovations innovations@delitfrancais.com Lou Raisonnier Coordonnateur de la production production@delitfrancais.com Baptiste Rinner Coordonnateurs visuel visuel@delitfrancais.com Mahaut Engérant Vittorio Pessin Multimédias multimedias@delitfrancais.com Arno Pedram Coordonnatrices de la correction correction@delitfrancais.com Nouédyn Baspin Sara Fossat Webmestre web@delitfrancais.com Mathieu Ménard Coordonnatrice réseaux sociaux reso@delitfrancais.com Louise Kronenberger Événements evenements@delitfrancais.com Lara Benattar Contributeurs Ronny Al-Nosir, Clémence Auzias, Anna Bieber, Anne Gabrielle Ducharme, Inès L. Dubois, Sofia Enault, Prune Engérant, Céline Fabre, Jean Baptiste Falala, Margot Hutton, Luca Loggia, Capucine Lorber, Adélaïde Marre, Matilda Nottage, Margaux Sporrer, Vassili Sztil, Magali Vennin, Henri Ouelette-Vézina, Alissa Ziber. Couverture Mahaut Engérant & Vittorio Pessin

bureau publicitaire 3480 rue McTavish, bureau B•26 Montréal (Québec) H3A 0E7 Téléphone : +1 514 398-6790 ads@dailypublications.org Publicité et direction générale Boris Shedov Représentante en ventes Letty Matteo Photocomposition Mathieu Ménard & Geneviève Robert The McGill Daily coordinating@mcgilldaily.com Sonia Ionescu Conseil d’administration de la Société des Publications du Daily Zapaer Alip, Niyousha Bastani, Baptiste Rinner, Marc Cataford, Julia Denis, Sonia Ionescu, Ikram Mecheri, Igor Sadikov, Boris Shedov, Alice Shen, Tamim Sujat

2 Éditorial

L’usage du masculin dans les pages du Délit vise à alléger le texte et ne se veut nullement discriminatoire. Les opinions de nos contributeurs ne reflètent pas nécessairement celles de l’équipe de la rédaction. Le Délit (ISSN 1192-4609) est publié la plupart des mardis par la Société des publications du Daily (SPD). Il encourage la reproduction de ses articles originaux à condition d’en mentionner la source (sauf dans le cas d’articles et d’illustrations dont les droits avant été auparavant réservés, incluant les articles de la CUP). L’équipe du Délit n’endosse pas nécessairement les produits dont la publicité paraît dans ce journal.Imprimé sur du papier recyclé format tabloïde par Imprimeries Transcontinental Transmag, Anjou (Québec).

le délit · le mardi 7 février 2017· delitfrancais.com


Actualités actualites@delitfrancais.com

À venir

Élections imminentes pour l’AÉFG, à venir pour l’AÉFA et appel aux candidatures pour l’AÉUM. Du côté de l’Association des étudiants de la Faculté de Génie (AÉFG), l’élection de nouveaux membres exécutifs et représentants auprès de l’Association des étudiants en premier cycle de l’Université McGill (AÉUM) débutera dès ce mercredi. Des élections se profilent aussi à l’horizon pour l’Association des étudiants de la Faculté des Arts (AÉFA), où elles seront tenues du 16 au 23 février prochain. Quant à celles de l’AÉUM, elles auront lieu du 13 au 16 mars prochain, et il est encore possible de s’y porter candidat. x

3000

Les mots qui marquent

«Une énorme déception»

Ce sont les mots, forts, utilisés par les Jeunes Libéraux de McGill pour décrire la décision du gouvernement fédéral de revenir sur la promesse de campagne qui visait à instarurer la proportionnelle dans les élections législatives. Rendez-vous à la page 7 pour la suite de l’histoire. x

Climat: les intervenants sonnent l’alarme. anne gabrielle ducharme

«S

euls 49% des Canadiens et 27% des Américains, […] en 2014, croient que le réchauffement climatique est dû à l’activité humaine», débute le professeur de communications à McGill, Darin Barney, lors de la conférence Communiquer le changement climatique au Canada organisée par Médias@McGill le 2 février dernier. Des statistiques qui en disent long sur le défi auquel font face les chercheurs et journalistes présents à la conférence. Les intervenants ont démarré la présentation avec leurs diagnostics: «Les gens préfèrent ne pas y croire parce que le problème semble trop gros et qu’ils se sentent impuissants», partage la directrice du Centre interdisciplinaire de recherche en opérationnalisation du développement durable, Laure Waridel. Le directeur des communications de Dogwood Initiative, une ONG britanno-colombienne, Kai Nagata, cible également le cloisonnement des communautés d’opinions comme source du problème: «Qui ici se dit conservateur ?», lance-t-il à la foule.

Une main timide se lève puis s’empresse de se faufiler dans son siège. «Voilà, on se parle entre progressistes, entre convaincus. Ce n’est pas avec que cette frange de la population que l’on réussira à combattre un phénomène de si grande envergure.» Une quête commune, des stratégies contrastées Alors que Nagata prône la «discussion avec ses amis républicains», le journaliste du Guardian, Martin Lukacs, estime que la polarisation comporte ses avantages. «Les avancées sociales ont toujours été le résultat des démarches de groupes marginaux. On sousestime le potentiel qui se trouve dans leur mobilisation sociale», avance le journaliste. Ce point de vue plus militant concorde avec l’approche du journal britannique qui, il y a plus d’un an, a lancé la campagne Keep it in the Ground, dont le but est de limiter l’extraction de combustibles fossiles. «Nous avons été critiqués à ce sujet. Certains prêchent que l’on perd en objectivité. Mais de ce que j’ai pu observer, ce concept a surtout été instrumentalisé afin de faire taire les critiques», confie Lukacs en marge de la conférence.

le délit · mardi 7 février 2017 · delitfrancais.com

Mois de l’Histoire Noire

$ soit le montant de la donation annoncée par l’AÉUM au Centre de Recherche-Action sur les Relations Raciales (CRARR), une association montréalaise à but non-lucratif visant à promouvoir l’égalité raciale et de combattre le racisme en justice au Canada. x

Pour éviter le pire... Le Délit

Cette semaine

Les chiffres à retenir

Organisé par le bureau mcgillois à l’Éducation pour l’équité et la diversité sociales (EEDS, Social Equity and Diversity Eeducation en anglais ndlr), le Mois de l’Histoire Noire se déroule courant février à McGill. Des événements ont lieu presque tous les jours, avec cette semaine des conférences sur les origines africaine du Yoga, un «ABC» de l’Histoire des Noirs au Canada, et une discussion sur l’usage des réseaux sociaux par la communauté noire pour s’engager et se solidariser politiquement. x

LE PETERSON EST MAINTENANT PRÊT À VOUS ACCUEILLIR AU CŒUR DU QUARTIER DES SPECTACLES

À mi-chemin se trouve le pronostic de Waridel: «Personne ne veut voir les conséquences des changements climatiques se réaliser. Les «méchants» vont finir par se joindre au mouvement, débute la chercheuse. Dans ce type de lutte, il y a un point de bascule où les pôles se mixent. Les hommes ont fini par se joindre à la cause des femmes il y a plusieurs décennies, et récemment, des compagnies pétrolières ont investi massivement dans les énergies renouvelables», exemplifie-t-elle.

LOFT TÉMOIN DISPONIBLE POUR VISITE

Terrain d’entente Tous les intervenants convergent sur l’importance de la production d’informations de qualité afin de lutter contre les changements climatiques. En ce sens, l’éditeur du National Observer, Mike de Swouza, a sensibilisé l’audience à l’importance de payer pour le contenu consulté: «Il faut soutenir financièrement les journalistes qui font du bon travail. Si toutes les organisations comme la nôtre ferment, il ne restera personne pour faire pression sur le gouvernement», conclut-il. x

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LePeterson.com

actualités

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Campus

Débat sur le campus Deux manifestations s’opposent à McGill. Mahaut Engérant

Le Délit

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l est bientôt 16h, ce mercredi 1er février, et un groupe d’étudiants s’est rassemblé sur les marches du musée Redpath. Ils tiennent à la main des pancartes antifascistes et anti-Trump, sur lesquelles on peut lire des slogans tels que «Be the fist you want to see in a fascist’s face» (Soyez le poing que vous voulez voir dans la figure d’un fasciste, ndlr, référence malencontreuse aux mots souvent attribués à Gandhi). Cependant, ce qui aurait pu s’avérer n’être qu’une énième manifestation contre le président américain, est en fait le résultat d’un débat plus profond qui a éclaté il y’a quelques jours sur la page de l’événement de la manifestation «United We Stand» («Unis nous resistons» en français, ndlr), organisée par la Société des étudiants internationaux de McGill (McGill International Students Network en anglais, ndlr). Cet événement avait été créé pour permettre aux McGillois de montrer leur soutien envers la communauté musulmane et toutes autres personnes atteintes par les événements de la semaine dernière.

Toutefois, certains étudiants déçus et frustrés par l’interdiction de tout signe politique pendant la manifestation «United We Stand» et par le fait qu’elle était ouverte à tous (et donc aux supporters de Trump), prirent l’initiative d’organiser leur propre manifestation, au ton cette fois-ci ouvertement politisé. Cette contre-manifestation, organisée avec l’aide de McGill contre l’austérité, (McGill against austerity en anglais, ndlr). ne se voulait pas forcément opposée aux idéaux de la manifestation «United We Stand», mais plutôt au concept qu’il était possible de dépolitiser une telle situation. Divisés ensemble Au début, les deux manifestations se déroulent relativement dans le calme. Celle de «United We Stand» occupe l’intersection Y et se passe pour la plupart en silence, la foule ayant formé un cercle autour d’un jeune homme aux yeux bandés qui accepte les câlins des participants, pendant que les organisateurs, armés d’un mégaphone, invitent les gens à partager leur expérience. À cent mètres de là, les contre-manifestants se tiennent devant le musée

Sofia Enault

qu’ils ne sont pas en désaccord avec les revendications anti-Trump des autres manifestants. Ils avaient simplement souhaité se rassembler en paix pendant un instant, pour partager la peine de leurs semblables. Désenchantement général

Redpath avec leurs affiches colorées, répétant des slogans anti-Trump. Tout à coup, sous l’encouragement d’une des organisatrices, la contreprotestation se met en marche vers la manifestation «United We Stand» en criant «Fuck Trump». Le groupe descend alors vers l’intersection Y, où il semble contourner les autres manifestants et continue lentement son chemin vers le bâtiment McDonald. Là, pour des raisons peu claires, les antifascistes décident de faire demi-tour et cette fois-ci essayent carrément de passer à travers le cercle formé

par les manifestants «United We Stand». Certains de ces derniers refusent de bouger pour laisser la manifestation anti-Trump passer, même si quelques secondes plus tard, des manifestants de «United We Stand» s’exclament «Let them through» («laissez-les passer», ndlr). Trop tard. Les deux manifestations se retrouvent tête-à-tête, laissant place à un débat échauffé, entre les membres des deux groupes, qui dura plus d’une heure. À plusieurs reprises, des sympathisants de la manifestation «United We Stand» expliquent

Un groupe de participants, venant des pays touchés par l’interdiction de voyager émise par l’administration de Trump, explique vouloir quitter la manifestation avant la fin, désenchanté par le fait d’être forcés d’écouter un tel débat, au lieu de pouvoir se recueillir. Les échanges des manifestants sont ponctués par les exclamations occasionnelles des fans de hockey qui regardent un match se jouer sur le lowerfield. Le bruit des rondelles de hockey heurtant les parois du ring, semblable à un coup de feu, ajoute à l’étrangeté de la scène. Alors que la nuit arrive et que la température baisse, la foule fond. Les gens rentrent chez eux, pour la plupart déçus, fâchés et fatigués par ses débats qui divisent et n’en finissent plus. x

Montréal

Résistons Trump s’organise

Après quelques coups d’éclat, le réseau activiste veut s’inscrire dans la durée. Théophile Vareille

Le Délit

R

ésistons Trump est un groupe montréalais créé en opposition au 45e président des États-Unis dès le lendemain de son élection. Issu à l’origine du Groupe de recherche d’intérêt public du Québec (GRIPQ, ou QPIRG en anglais, ndlr) de Concordia, il en est aujourd’hui distinct. Il s’oppose autant à Trump qu’au racisme, au sexisme, au capitalisme, au colonialisme, au capitalisme, à l’islamophobie, à la transphobie, à l’homophobie et au capacitisme (discrimination à l’égard des individus handicapés). Il revendique ainsi la volonté de s’ancrer dans un socle radical, mais non-partisan. Réseau difforme plutôt qu’association structurée, Résistons Trump a réuni ce mercredi autour de 150 volontaires pour une assemblée publique et bilingue sur le futur du mouvement et son organisation. Ses coups d’éclat ont principalement été, jusqu’alors, des manifestations, à l’image des deux marches organisées ce vendredi 20 janvier passé. Une de ces marches, en soirée, s’était vue dispersée par une intervention de la police suite à des jets de projectiles et des tags peints

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sur quelques vitrines et voitures. Justine Leblanc, une des meneuses du mouvement, nous a expliqué que Résistons Trump n’était pas responsable de ces débordements, mais qu’elle ne les désapprouvait pas. Rappelons qu’un groupe antifasciste avait investi cette marche. Résistons Trump fonctionne sur une base de non-coopération avec la police et ne lui communique pas ses itinéraires.

Washington le 20 janvier passé pour perturber son inauguration, mais avait été bloquée à la frontière. Un militant de Solidarité sans frontières, association engagée à Montréal aux côtés des immigrants, s’est inquiété de cette difficulté à franchir la frontière pour aller manifester ou se joindre à des actions. Certains évoquèrent les rumeurs circulant quant au déplacement de Trudeau à Washington, plutôt qu’une visite de Trump, par peur de manifestations à Ottawa. Une peur justifiée, car Résistons Trump comptait bien s’y rendre. Patrick, militant anti-extrême droite français, et volontaire ce soir, ne s’en étonna pas: «ce n’est pas le roi qui va voir le valet, c’est le valet qui va voir le roi». Le second comité, dédié à Mahaut Engérant l’éducation populaire, était, lui, une nouveauté. Il a recueilli l’attention de nombreux participants, qui disLe réseau s’organise cutèrent de nombreuses initiatives possibles: ateliers de sensibilisation, Il s’agissait ce mercredi de ré«Fascism 101», tournée du Québec, partir les troupes présentes en trois «teach-in», ou projection de films. comités: «Action et manifestation», «Éducation populaire», et «Web». Le Il s’agirait de bien faire comprendre les dangers d’une administration premier comité, préexistant, resteTrump pour le Québec, où l’extrêrait en charge de l’organisation des me-droite affirme son assise. Trump rassemblements et des actions men’est que le représentant d’une nées. Outre des marches, Résistons idéologie qui traverse les frontières, Trump avait aussi tenté d’envoyer comme l’explique Justine Leblanc. une caravane de militants à

«Colonialisme au visage heureux» Julie Cumin, récente diplômée mcgilloise, remarqua que la large communauté française à Montréal «ne se sentait pas concernée» par la situation. Des divergences émergent quant au public à viser et l’approche à adopter. Faut-il mobiliser ceux qui sont déjà convaincus ou chercher à atteindre le plus grand public? Ne faut-il dénoncer que l’extrême droite ou aussi les partis mainstream? Une proposition par ailleurs présente dans le manifeste du mouvement dénonce l’«agenda du “colonialisme au visage heureux” promu par le gouvernement Trudeau». «C’est toujours l’extrême qui fait peur mais ce sont la droite et la gauche qui expulsent au bout du compte», témoigne Patrick. Enfin, un troisième comité, en charge du développement d’un site trilingue (anglais, français, espagnol) pour Résistons Trump se mit en place. Au vu de l’importante mobilisation ce mercredi soir, il est probable que Résistons Trump continuera et diversifiera son action ces mois prochains, contre Trump et contre l’extrême-droite. x

le délit · mardi 7 février 2017 · delitfrancais.com


montréal

Soirée d’amour et d’espoir Retour sur la vigie de solidarité pour les victimes de l’attentat de Sainte-Foy. Luca Loggia

Magali Vennin

L

e 30 janvier à 18h, des centaines de Montréalais·e·s se sont donné·e·s rendez-vous près de la station de métro Parc, unis contre l’attaque survenue le soir auparavant à Sainte-Foy, Québec, lors de laquelle un étudiant, Alexandre Bissonnette, fit irruption dans une mosquée et tua six personnes. L’assaut sur la mosquée s’est produit dans un climat de division exacerbé par la décision récente aux États-Unis de temporairement interdire l’entrée au pays aux ressortissants de sept pays musulmans. Face au malaise suscité par ce crime de haine, plusieurs ont eu raison de craindre les conséquences de tels actes dans un pays comme le Canada où le multiculturalisme est tant célébré. Selon Katrina Brindle, étudiante en sciences politiques à l’Université McGill, l’attaque «montre que notre travail pour l’acceptation du multiculturalisme ne s’achève jamais et requiert constamment de l’amélioration». Dès 18h, les organisateurs du rassemblement ont accueilli

«Notre travail pour l’acceptation du multiculturalisme ne s’achève jamais» les citoyens avec du chocolat chaud et des samosas pour oublier le froid, au moins temporairement. Il y avait une abondance de gens — des jeunes étudiants, des personnes âgées, de même que des parents accompagnés de leurs enfants — tenant des chan-

le délit · mardi 7 février 2017 · delitfrancais.com

delles pour honorer les victimes et brandissant des pancartes. Parmi les messages figuraient des paroles de la célèbre chanson Imagine de John Lennon, un appel aux gens à «aimer nos frères et sœurs musulmanes» et un vers biblique affirmant que

«l’amour, protège, pardonne, fait confiance, espère, et persévère. L’amour n’aura pas de fin». Les participants se sont joints aux organisateurs pour honorer les victimes en observant un moment de silence. L’instant était sobre, mais était rempli d’un sentiment d’optimisme, d’un sentiment que ce moment n’était que passager, que nous serons plus forts. Pour Stéphanie, une jeune femme

venue assister à l’événement, il était important d’être présent afin «de montrer la solidarité avec les autres». Pour elle et bien d’autres parmi la foule qui ont bravé le froid glacial ce soir, le recueillement a cédé la place à des chants de solidarité avec les victimes, la communauté musulmane, et plus largement les réfugiés. Parmi les chants, nous avions pu entendre quelquesuns répétés à peine deux jours auparavant à travers des aéroports aux États-Unis. «Pas de haine, pas de peur; les réfugiés sont bienvenue ici», scandaient plusieurs personnes dans la foule. La veillée était cruciale pour «envoyer le message que, même si des individus marginalisés sont injustement visés par la violence et l’intolérance, ils ne sont jamais, jamais seuls» a résumé Katrina. La veillée s’est terminée aux alentours de 20h, mais une marche regroupant une cinquantaine de citoyens a s’est ensuivie au coin de la rue Jean-Talon. Lors de la marche, la fraternité et la solidarité ont été mises au premier plan alors que le groupe a continué son chemin, encouragé à maintes reprises par les klaxons d’automobilistes enthousiastes. x

actualités

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Québec

L’Université Laval en deuil

La communauté étudiante reste consternée suite à l’attaque terroriste de Sainte-Foy. L’article suivant a été publié dans l’Impact Campus, journal étudiant de l’Université Laval. Puisque l’auteur présumé des attentats de Québec était étudiant dans cette institution, Le Délit a décidé de leur laisser la parole.

henri ouellette-vézina

journaliste à Impact Campus

L

e principal suspect dans cette affaire est Alexandre Bissonnette, un étudiant de la Faculté des sciences sociales de l’UL. Il fait face à 11 chefs d’accusation. «Il est immédiatement exclu de toute activités d’études ou de recherche au sein de notre établissement, conformément à nos procédures dans ces situations, et ce, jusqu’à la fin du processus judiciaire en cours», a précisé l’institution par voie de communiqué de presse. Tôt lundi matin, le recteur Denis Brière et le vice-recteur Éric Bauce ont pris la parole lors d’un point de presse au pavillon Alphonse-Desjardins afin d’exprimer leurs sympathies aux proches des victimes et leur solidarité à la communauté musulmane de Québec. «Je suis sans mots devant ces événements cruels, ces actes odieux, inhumains et terroristes, a déclaré le recteur Denis Brière en lever de rideau du point de presse. Toutes nos ressources d’aide et de soutien sont à l’écoute. Si vous sentez le besoin de vous exprimer, de vous confier, nous sommes là pour vous.» «Je me joins à tous les témoignages au cours des dernières heures de ces terribles événements vécus [dimanche] à Québec. On ne peut pas dire d’autres mots qu’épouvantable, sanguinaire, intolérable», a ajouté Éric Bauce. Désormais, le bilan des victimes se chiffre à six morts. Le professeur de l’Université Laval du département des sols et de génie agroalimentaire, Khaled Belkacem, figure parmi eux. On dénombrait également 18 blessés, dont cinq dans un état critique. Sécurité sur le campus Deux lieux de culte pour l’exercice de la prière se trouvent sur le campus. Le premier est situé au pavillon AlphonseParent et le second au pavillon Ernest-Lemieux. Ceux-ci font l’objet d’une protection permanente depuis l’attentat. En entrevue avec Impact Campus, Éric Bauce indique que l’institution d’enseignement a déjà effectué des simulations d’actes similaires dans le passé sur le campus. «On est très bien

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«Ça nous frappe comme un train. Comment se

fait-il que ça arrive à Québec? »

préparé pour ça, martèle-t-il. On a augmenté le nombre d’agents, les patrouilles, sécurisé l’ensemble des lieux, particulièrement les résidences et les lieux cultes sur le campus.» «Une université, c’est un lieu de diversité culturelle. C’est le point d’entrée de beaucoup d’immigration également. Il y a beaucoup d’étudiants de partout à travers le monde. C’est clair qu’on est profondément touchés par ça», ajoute le vice-recteur exécutif. La scène politique réagit En fin d’avant-midi lundi à l’Hôtel de Ville de Québec, le maire Régis Labeaume s’est adressé aux médias en compagnie de plusieurs dignitaires dont le premier ministre du Québec Philippe Couillard et le ministre fédéral de la Famille, des Enfants et du Développement social, JeanYves Duclos. Plusieurs membres du CCIQ étaient également sur place pour réagir. «Ça nous frappe comme un train. Comment se fait-il que ça arrive à Québec? Quand on connaît qui on est et comment on vit, c’est quand même étonnant, a lancé M. Labeaume. On a rencontré les représentants de la communauté. Le premier message, c’est que nous sommes à votre service.» L’un des membres fondateurs du CCIQ, Boufeldja Benabdallah, demeure quant à lui positif face à l’avenir de

la vieille capitale. «Nous sommes très fiers d’être Québécois. Nous sommes très fiers d’être Canadiens. Très fiers d’appartenir à cette plus belle ville au monde qu’est Québec. Je le dis fièrement, je l’ai toujours dit, c’est l’une des plus belles villes au monde.» En soirée, la communauté musulmane s’est réunie pour faire le point. Des représentants étaient présents pour faire le lien avec la Ville de Québec. Vigile de solidarité Une vaste vigile de solidarité a été organisée lundi soir en soutien à la communauté musulmane de Québec, devant l’Église NotreDame de Foy. Des milliers de personnes avaient confirmé leur présence à l’événement. Éric Bauce estime que ce genre de rassemblements pourrait apparaître sur le campus au cours

tion. La jeune femme estime qu’actuellement, l’origine du suspect ne devrait pas faire partie du débat. «Tout ce que je trouve triste, c’est que ce soit l’action d’un extrémiste, explique-t-elle. Je ne pense pas que ça vaut la peine de regarder d’où il vient. Qu’il soit d’Espagne, du Japon ou de la Jamaïque, ça aurait été la même chose: un extrémiste qui a attaqué des gens innocents.» Plusieurs autres abondent en ce sens, comme Mathieu, un étudiant en géographie. Celui-ci condamne l’incident de dimanche, mais demeure calme dans les circonstances. «Malgré la proximité, ça ne m’inquiète pas trop, assure-t-il. Je me dis que c’est un événement isolé, et que ça peut arriver partout. Ça reste que c’est regrettable.» De son côté, Angelina est sur le campus pour une seule session, dans le cadre d’un échange univer-

mais c’est déjà tellement plus proche maintenant. Au niveau sécurité, oui, ça m’inquiète. Je suis choquée, mais je n’arrive pas vraiment à réfléchir.» Spotted UL s’anime La populaire page Spotted: Université Laval sur Facebook offre la possibilité aux étudiants de s’exprimer de manière anonyme sur leur quotidien au sein du campus. Le lien web était notamment devenu, il y a quelques mois, un lieu de rassemblement et de solidarité virtuel par excellence à la suite des agressions aux résidences du pavillon Alphonse-Marie-Parent. Lundi, la page est de nouveau devenue la plateforme d’expression de plusieurs témoignages d’empathie et de solidarité envers les victimes de l’attentat de Sainte-Foy. «Ce soir, mon coeur a mal. Il a mal de reconnaître cette même douleur que cause la perte d’un être cher dans de telles circonstances… Toutefois, cette expérience m’a appris une chose: l’amour est plus fort que la haine, et malgré l’adversité, seul

«Ce soir, mon coeur a mal. Il a mal de reconnaître cette même douleur que cause la perte d’un être cher dans de telles circonstances… » des prochains jours. «Mon impression, personnellement, c’est que la communauté de notre université va se mobiliser. S’il y a des vigies, moi, je vais y aller.» Abordée sur l’heure du midi, la première étudiante à commenter se dénomme Dominique. Elle étudie au baccalauréat en traduc-

sitaire. L’étudiante en philosophie a eu l’occasion de voyager ailleurs en Europe, là où des attentats ont également frappé les populations locales. «J’ai été en Belgique par exemple, et il y en a eu aussi, lance-telle. Ce n’est pas nouveau pour moi,

l’amour peut panser les plaies, est-il écrit dans une publication anonyme. Soyons ouverts, serrons-nous les coudes et aimonsnous les uns et les autres; c’est ainsi que nous vaincrons cette maladie qu’est l’intolérance. C’est ensemble qu’on se relèvera plus fort et dans la tolérance.» x

le délit · mardi 7 février 2017 · delitfrancais.com


Culture Rap le délit · mardi 7 février 2017 · delitfrancais.com

culture rap

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Portrait

Un artiste engagé et engageant Découverte du rappeur francophone Gaël Faye. INES DUBOIS

Le Délit

G

aël Faye est un artiste francophone né en 1982 au Burundi d’un père français et d’une mère rwandaise. En 1995 il arrive an France, en banlieue parisienne. En 2013 son premier album Pili Pili sur un croissant au beurre sort, et en 2016 il publie son premier livre Petit Pays aux éditions Grasset, qui gagne le prix Goncourt des lycéens.M. Faye enchaine alors les entrevues

télévisées et tournées promotionnelles en Europe comme en Afrique. Il devient vite une personnalité dans le monde de la littérature francophone.

Le rappeur engagé Toutefois, Gaël Faye c’est avant tout un rappeur, auteurcompositeur, chanteur et interprète. Son rap est un rap engagé, un rap qui fait réfléchir et qui touche. Il aborde les questions de l’exil, l’immigration, le racisme, le métissage ou encore de la souffrance engendrée par son départ du Burundi. Ces sujets, qui ne sont pas toujours très gais, il arrive tout de même à les rendre beaux, et compréhensibles. Ses textes parlent à tous ceux qui sont issus d’une diaspora, tous ceux qui ont quitté leur pays par choix ou nécessité, et aussi tous ceux qui viennent d’une double culture et sont issus d’un métissage. Lorsque l’on écoute Pili Pili sur un croissant au beurre on découvre des chansons rythmées comme Ma femme, joyeuses tel que Bouge à Buja, et d’autres plus douces, poétiques, avec un brin de tristesse nostalgique tel que Petit pays. Gaël Faye nous emmène dans son monde avec un album

aussi poétique que nostalgique. On y décèle la nostalgie d’un Petit pays perdu, nostalgie d’une jeunesse insouciante et c’est cette nostalgie qui nous permet de nous retrouver dans ses textes. On se laisse entrainer par la musique, et on se laisse porter par des textes profonds. Un langage qui unit En tant qu’artiste francophone, représentant l’Afrique et l’Europe dans ses chansons, Gaël Faye nous offre une nouvelle idée de la francophonie. En effet, il nous offre une image de la langue française comme une langue universelle, une langue qui relie des gens du monde entier entre eux. À travers ses textes on retrouve des thèmes qui peuvent nous parler à tous d’un façon ou d’une autre tel que la notion de métissages, et les questions d’identité que cela peut engendrer. Sa plume, une autre corde à son arc Mais Gaël Faye c’est aussi un écrivain. Son récent livre Petit

Pays vient compléter Pili Pili sur un croissant au beurre. Ce livre qui raconte l’histoire de Gabriel, son enfance au Burundi avant que la guerre ne bouleverse le pays et ne le force à s’exiler en France. Bien que non-autobiographique, nous retrouvons les mêmes thèmes que dans ses chansons, tels que la rencontre des cultures, et l’amour d’un homme pour sa terre natale. Le ton utilisé dans le livre aide aussi à retrouver cette nostalgie présente dans l’album. En effet c’est Gabriel, 8 ans, qui raconte l’histoire mais c’est Gabriel l’adulte qui l’écrit. Réflexions d’adultes et d’enfants se mêlent ainsi et dialoguent afin de nous raconter l’histoire. Gaël Faye est donc un artiste complet qui allie musique et littérature avec des textes de rap qui racontent une histoire. Ces textes empreints de beauté nous font redécouvrir le rap, et ça fait du bien. C’est un rap engagé, qui nous fait réfléchir tout en nous faisant danser et nous permettant de s évader. Un vrai coup de cœur.x

Opinion

Le rap, c’était mieux avant?

Sans réponse établie, la question mérite toutefois d’être posée Jean-Baptiste Falala

M

es grands-parents aiment souvent me rappeler à quel point tout était mieux avant: la musique, l’ambiance… la vie en général n’avait — à les écouter — rien à envier à celle que nous menons aujourd’hui. Si respectable que cette prise de position puisse être, elle s’avère à mes yeux être aussi erronée qu’éculée. Et pour un certain nombre d’individus, qu’ils soient autoproclamés puristes ou simplement peu informés sur le rap, ce dernier ne déroge pas à la règle. PNL, Jul, et même Booba (pour ne nommer qu’eux) sont souvent cités par les fers de lance de ce courant de pensée, qui affirme à qui veut l’entendre que les rappeurs actuels sont moins techniques, moins engagés, moins réfléchis dans leurs textes, et implicitement plus ou moins calqués les uns sur les autres. Et pourtant, le rap n’a pas changé: un homme ne change pas en vieillissant, il évolue. Il en est de même pour le rap, qui, en évoluant, s’est imprégné de diverses influences, a acquis un auditorat bien plus varié, et a ainsi vu en son

II culture rap

sein émerger ses nouvelles déclinaisons. Le rap n’a ainsi en aucun cas accouché de ses propres bourreaux, comme certains aiment le clamer. Les rappeurs d’aujourd’hui sont simplement différents de ceux d’hier. Prenons les exemples d’un Josman, d’un Freeze Corleone 667 ou encore d’un Fouki; il existe une multitude de jeunes prometteurs, se dissociant certes de leurs ainés, mais leur rendant hommage par la qualité de leurs œuvres. Un éternel renouvellement Le réel problème viendrait du fait qu’aujourd’hui, trop d’auditeurs souhaitent un retour aux sources, à l’époque où les textes engagés d’Assassin côtoyaient les hymnes estivaux de La Clinique. En réalité, le rap a toujours été et continue d’être un mélange de genres, avec certains rappeurs prônant des écrits conscients, et d’autres des musiques d’ambiance, moins centrées sur l’engagement social ou politique. À chacun de se reconnaitre dans ce qui lui convient le mieux, ou même dans les deux. Car ce n’est pas le rap qui a changé, mais

le public et la société de consommation qu’il implique: c’est pourquoi on assiste actuellement à un affrontement constant au sein du «rap game», où chaque artiste doit tirer son épingle du jeu en parlant à un public lui étant propre s’il espère réaliser des ventes. En ce sens, le débat entendu et réentendu sur «tel rappeur est meilleur qu’un tel» n’a pas lieu d’être, surtout pas en comparant deux rappeurs issus de générations différentes. Cela serait aussi absurde qu’un débat impliquant une comparaison entre Fabien Barthez et Lionel Messi: tous les rappeurs ne jouent pas le même rôle, surtout s’ils n’évoluent pas à la même époque. Les mœurs changent, les envies du moment avec elles. Et c’est pourquoi la jeunesse actuelle, moins engagée et moins politisée, préfère au Gouffre la Sexion d’Assaut, et aux textes engagés d’un Nekfeu ceux étant plus festifs, plus divertissants.

Le rap, bastion de l’indépendance Enfin, nul ne pourrait parler du rap actuel sans saluer l’indépendance artistique de ses acteurs. Celle-ci, permise par la surexposition que confère le développement d’Internet par rapport à l’impopularité du genre dans ses jeunes années, met des artistes sur le devant de la scène, et ce sans qu’ils aient besoin de se plier aux exigences des maisons de disques. Pour reprendre des exemples cités ci-dessus, le groupe PNL, n’ayant jamais donné une inter-

view, Booba, lançant aujourd’hui sa propre radio ou encore Nekfeu, connu uniquement grâce au Web, représentent tous à leur façon l’indépendance, et l’authenticité musicale qu’elle implique. Pour reprendre les paroles d’un artiste que j’apprécie personnellement (mais aussi celles d’un morceau que j’apprécie beaucoup moins), non, le rap n’était pas mieux avant : «Le rap, c’est mieux». N’en déplaise à mes grandsparents.x

le délit · mardi 7 février 2017 · delitfrancais.com


Comprendre notre monde par le rap Une comédie musicale qui enseigne l’Histoire en vers. ronny al nosir

C

Le Délit

e n’était que quelques mois après l’arrivée de Barack Obama à la Maison Blanche. En 2009, le président organisait une soirée de musique et de poésie. Parmi les personnes invitées à présenter un numéro se trouvait Lin Manuel-Miranda, un homme de théâtre connu pour la comédie musicale In Heights. Devant le président, il a affirmé être en train de travailler sur un album racontant la vie du premier secrétaire de la trésorerie Alexander Hamilton. Six ans plus tard, Hamilton est la comédie musicale la plus populaire de tous les temps. Hamilton: de misère à richesse Né dans les Indes britanniques, Alexander Hamilton devient orphelin. Après avoir travaillé dans une compagnie de commerce, il s’enrôle dans l’armée pendant la révolution américaine.

Arrivé sur le continent, il devient rapidement un conseiller de George Washington. Il grimpe les échelons, et devient le premier secrétaire de la trésorerie de l’Histoire américaine. Grand défenseur de l’assistance du fédéral aux provinces, surtout en termes de dette, il se retrouve également au centre d’une controverse. Alors qu’il est âgé de 34 ans, il fréquente Maria Reynolds, 23 ans, femme d’un dénommé James Reynolds. Ce dernier est au courant, et garde le silence en échange d’argent. Puis, Hamilton connaît sa fin en 1804, alors qu’il est assassiné dans un duel avec le vice-président de l’époque, Aaron Burr. Hamilton est une comédie musicale atypique. Contrairement aux Misérables et Wicked de ce monde, la quasi-totalité de l’œuvre est un rap. À travers la plume de Lin-Manuel Miranda, dont les vers sont interprétés par une distribution absolument fantastique, on nous présente Hamilton sous tous

La guerre des

ses angles. Érudit, révolutionnaire, politicien, tout y est. Les autres personnages vivent également une évolution notoire. De la détérioration du mariage d’Hamilton avec Angelica Schuyler à la démission de George Washington, en passant par les furieux débats du cabinet américain sur la dette des états, on nous présente très bien le contexte de l’époque. Toujours d’actualité Cependant, ce qui fait la plus grande force d’Hamilton, c’est que même si l’intrigue se déroule dans un contexte post-révolution américaine, le commentaire sociopolitique que fait Miranda est toujours d’actualité. Dans les vers qu’il a écrits, Miranda aborde le féminisme, l’intégrité politique et les questions identitaires. Par exemple, dans la chanson The Schuyler Sisters, les sœurs font référence à une des lignes de la déclaration d’indépendance:

«We hold these truths to be selfevident That all men are created equal.» «Nous tenons pour évidentes les vérités suivantes: tous les hommes sont créés égaux» En réponse à cette inscription, le personnage d’Angelica s’empresse de critiquer l’emploi du masculin men seul en disant : «And when I meet Thomas Jefferson I’mma compel him to include women in the sequel.» «Et quand je rencontrerai Thomas Jefferson, Je l’obligerai à inclure les femmes dans la suite» Cet exemple n’est qu’un parmi tant d’autres. On peut notamment souligner une chanson entière dans laquelle George Washington explique la responsabilité qu’a un politicien de savoir quand céder sa place.

Après la popularité de l’œuvre, Miranda a lancé un album intitulé The Hamilton Mixtape, sur lequel se trouvent plusieurs rappeurs très connus. Notamment, la chanson Immigants (We Get the Job Done), est un hommage aux contributions des immigrants aux États-Unis. L’auteur écrit: «It’s really astonishing that in a country founded by immigrants, «immigrant» has somehow become a bad word.» «C’est vraiment stupéfiant que dans un pays fondé par des immigrants, “immigrants” soit devenu un mot péjoratif» Dans le contexte actuel, alors que le nouveau locataire de la Maison Blanche cherche à restreindre l’arrivée d’immigrants, les textes de Miranda résonnent. Intrigante, entraînante et provoquante, Hamilton reste l’exemple parfait de la comédie musicale du 21e siècle. x

«T’écoutais pas de rap avant les WordUP!». vassili sztil

Un dévoiement moral?

«T

La dénonciation d’une pratique artistique populaire et jeune (le jazz à sa naissance, puis le rock, puis le hip-hop, en ce moment les jeux vidéos) qui consisterait en un «dévoiement moral» de la jeunesse est un phénomène récurrent dans l’histoire, de la part d’une élite qui lui oppose le «grand Art» et qui aimerait bien que ce grand Art soit aussi populaire que les pratiques qu’elle fustige. Le rap est en plus une musique d’origine africaine-américaine et elle s’inscrit toujours ainsi dans les imaginaires collectifs: il n’est pas étonnant d’avoir vu apparaître des dénonciations du WordUP! avec un implicite de violence de classe et de racisme. Comme si le sexisme était l’apanage des hommes noirs, et que le racisme était l’apanage des classes populaires blanches… Rappelons que sur ces questions, le dernier événement (la 13èmé édition en 2016) du Word UP! a fait bouger les lignes: Filigrann, co-créateur et animateur de la ligue, a souligné que la scène du Club Soda, la salle de spectacle montréalaise, était une free-speech zone, en calquant son modèle sur celui du safe space: l’enceinte où les rappeurs et rappeuses s’affrontent est sanctifiée et est régie par d’autres lois de la parole, isolées du reste de la salle. Les MCs n’hésitent alors pas à convoquer, sur le mode de l’humour noir et de la vulgarité, des insultes (esthétiquement travaillées par la rime et les figures de style) qui peuvent être racistes, sexistes ou homophobes pour

Le Délit

’écoutais pas de rap avant les RC/Tu ferais mieux de me remercier»: c’est ce que rappe Nekfeu dans son dernier album rendant hommage à l’événement de battle-rap Rap Contenders, organisé en France tous les ans depuis 2010. Mais cette version française du battle-rap qui a lancé la carrière de nombreux MCs (Master of Ceremony, ndlr) français, comme Nekfeu ou plusieurs autres membres du collectif L’Entourage, n’est pas sortie de nulle part. C’est vers le Québec qu’il faut se tourner pour comprendre les origines de Rap Contenders. Dans la lignée de Yo Momma! (diffusée sur MTV entre 2006 et 2007), une émission qui invitait des rappeurs à venir insulter la mère de l’adversaire, s’est crée le WordUP!, la première ligue mondiale de battle-rap a cappella francophone, dont la première édition s’est tenue en 2009. Les battle-rap relèvent en effet d’une importance capitale, bien que quelques débats fusent autour de cette ligue de joute oratoire. Le Word UP! a très vite fait parler de lui, comme le rap et le hip-hop en général, pour des raisons morales, et rarement esthétiques. Les rappeurs et rappeuses, pour disqualifier l’adversaire, ne se censurent en effet jamais et profèrent souvent des insultes violentes, vulgaires, parfois ouvertement sexistes et homophobes.

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disqualifier l’adversaire. Filigrann a rappelé toutefois que le public était, quant à lui, tenu au respect des autres, et que les organisateurs et organisatrices condamnaient tout acte de sexisme, d’homophobie ou de racisme pendant l’événement. Il convient de rappeler aussi que la vulgarité, le sexisme, l’homophobie et le racisme ne sont pas l’apanage des WordUP!.

Les historiennes féministes de l’art comme Griselda Pollock ont montré que tout ceci est bien présent dans la «grande» littérature et dans le «Grand Art» des sociétés occidentales, (les «classiques», ceux que l’on apprend à l’école et que les musées accrochent au mur). «Ta mère fit un pet foireux et tu naquis de sa collique»: la phrase est vulgaire et sexiste, et rappelle étran-

courtoisie de wordup

gement le «Yo Momma» de MTV. Et pourtant l’auteur de cette agression poétique n’est autre que Guillaume Apollinaire. La scène rap francophone Il est en revanche assez certain que parler du Word UP! en bien ou en mal n’a fait que le renforcer, et que son énorme importance pour le hip-hop québécois mérite d’être soulignée. En rassemblant rituellement une communauté de rappeurs et rappeuses autour d’un événement où des héros et des héroïnes apparaissent, et où l’impression d’être important·e se fait sentir, le WordUP! a structuré la nouvelle scène de rap québécoise francophone. À titre d’exemple, le groupe de rap Dead Obies s’est formé à la suite d’une soirée WordUP!. Le Word UP! est rapidement devenu international: des rappeurs français viennent au Québec pour le WordUP! et des rappeurs québécois viennent à Paris pour les RC. On dit souvent que «le rap français est le numéro deux après le rap étatsunien». Si l’on se met à réfléchir plutôt dans le terme de «rap francophone», et que l’on arrive à fédérer les autres scènes francophones, autrement dit rap québécois mais aussi rap sénégalais, rap congolais, rap suisse, rap belge etc. Comme le WordUP! a réussi à le faire en inspirant les Rap Contenders, et en installant un dialogue constant avec le rap parisien, le rap francophone pourrait peut-être rivaliser avec le rap états-unien. Ce serait genre poétik. Genre politik. «Genre historik.». x

culture rap

III


En vers et contre toutes Y a-t-il réellement une place pour la femme dans le rap français?

S

ouvent critiqué, le rap français traîne une mauvaise réputation de genre musical violent et profondément sexiste. Les rares femmes qui s’y essayent doivent faire face à bien plus d’obstacles que leurs homologues masculins, et peinent à trouver le succès, tandis que celles qui l’écoutent sont traitées d’antiféministes. Pourtant, la femme est au centre de ce courant musical. Des paroles empreintes de misogynie Depuis son émergence en France, au milieu des années 80, le rap s’est présenté comme un genre musical violent, au langage cru et au vocabulaire particulièrement sexiste. La majorité des textes parlent de femmes, plus souvent pour les humilier et les sexualiser que pour les encenser. En 2006, le rappeur Orelsan fait scandale avec son titre Sale Pute dans lequel il déclame le réquisitoire d’un homme contre sa petite amie infidèle. Les paroles choquent le grand public et plusieurs associations féministes qui l’attaquent en justice pour incitation à la violence envers les femmes (Orelsan chante entre autres «J’te déteste, j’veux que tu crèves lentement», «On verra comment tu fais la belle avec une jambe cassée»). Cependant, après avoir été condamné en première instance, il est relaxé par la Cour d’Appel, qui se justifie en considérant que « le rap est par nature un mode d’expression brutal, provocateur, vulgaire, voire violent puisqu’il se veut le reflet d’une génération désabusée et révoltée ». C’est donc la liberté de création de l’artiste qui a été retenue, après qu’il se soit lui-même défendu en proclamant son droit à se mettre en scène.

d’Oxmo Puccino avec son Mama Lova à Sniper avec Sans Repères, en passant par IAM avec Une femme seule. Or, ces mêmes artistes passent d’un extrême à l’autre en avilissant toutes les autres femmes. Ce sont celles qu’ils croisent dans la rue, et qui n’existent pas au delà de leur fonction d’objet sexuel; ils peuvent donc l’insulter aussi facilement qu’ils glorifient leur mère, cultivant ainsi une ambiguïté propre au rap. À l’exception de celle qui l’a élevé, aucune femme n’est assez respectable pour le rappeur, et c’est ce qui justifie les propos sexistes qu’il tient dans ses morceaux. Un milieu fondamentalement masculin Il ne fait aucun doute que le rap est un genre à essence typiquement masculine. À l’origine, son

«On remarque une dichotomie persistante entre la figure maternelle, honorable et intouchable, et celle de la femme-objet, bafouée et insultée»

rejette lui-même), plutôt qu’à son style novateur. Cependant, si le public du rap se diversifie, ses artistes restent en très grande majorité des hommes. Cela s’explique par l’évolution du genre musical depuis son âge d’or, dans les années 90. Des textes travaillés, répercutant les maux de la jeunesse désenchantée des quartiers populaires, le rap est passé à des paroles beaucoup plus crues, et des voix corrigées à l’autotune, le tout dans un univers verrouillé par la testostérone, dans lequel les femmes ont donc beaucoup plus de mal à s’exprimer. Dans les années 2000, des artistes comme Diam’s et Lady Laistee ont su s’imposer à une époque où on prêtait une plus grande attention à la rigueur artistique. Leur succès n’a pas été exempt de critiques et d’attaques sexistes, mais leur talent a été reconnu et leur a permis d’atteindre une notoriété inégalée par des rappeuses depuis. Aujourd’hui, le rap français est influencé par son pendant américain, qui chérit le bling-bling, et encourage l’hyper-sexualisation des femmes, si bien qu’un clivage s’est créé avec les rares artistes féminines. D’un côté, à l’image de leurs homologues américaines, certaines femmes choisissent d’imiter les codes masculins pour reproduire un rap «viril», en abordant des thèmes comme la sexualité libérée ou les armes. Parmi elles, Shay, la «jolie garce», protégée de Booba, totalise plusieurs millions de vues sur YouTube. À l’opposé, des rappeuses «dissidentes» choisissent des textes poétiques, pour dénoncer la violence du système, le racisme, ou encore les violences policières, à milles lieues des thèmes matérialistes adoptés par les premières. Casey, ou Keny Arkana, font partie de cette catégorie d’artistes, souvent indépendantes, qui, si elles atteignent une certaine notoriété, sont très peu commercialisées et touchent un public déjà ciblé.

Cependant, il s’agissait plutôt d’un cas isolé, puisque les rappeurs sont très rarement incriminés pour leurs textes, qui n’en sont pas moins sexistes. Cela s’exprime aussi dans les clips accompagnant les morceaux misogynes, où les femmes sont dénudées et lascives, souvent privées de parole et soumises aux hommes mis en scène. Elles deviennent le symbole de la réussite sociale du rappeur, au même titre que ses voitures de sport et ses vêtements griffés, et sont ainsi réduites à de simples objets. Pourtant, on remarque une dichotomie persistante entre la figure maternelle, honorable et intouchable, et celle de la femme-objet, bafouée et insultée. La mère est celle qui s’est battue pour ses enfants, qui s’oppose au père souvent absent, qui a toujours été respectable et qui mérite ainsi qu’on la place sur un piédestal. L’ode à la mère est un thème récurrent dans le rap français,

«Le rap s’est démocratisé, et commercialisé, avec le succès de jeunes rappeurs dont les paroles, moins violentes, touchent un plus large public»

public était composé exclusivement de jeunes hommes, issus de classes populaires et habitant des zones urbaines. Aujourd’hui, il s’est progressivement diversifié, pour atteindre les classes moyennes et supérieures, mais aussi, dans une moindre mesure, les femmes. Le rap s’est démocratisé, et commercialisé, avec le succès de jeunes rappeurs dont les paroles, moins violentes, touchent un plus large public. En 2015, avec la sortie de son premier album solo Feu, Nekfeu est devenu l’artiste français le plus écouté de l’année. Son essor fulgurant s’accompagne d’une diversification de son public, et sa popularité explose auprès des filles, souvent jeunes, de classes sociales très éclectiques. Néanmoins, cette soudaine notoriété a été associée à son image de «beau gosse», plus sage et faussement intellectuel (qu’il

Le rap comme miroir de la société et de ses clichés Finalement, le rap répercutant les stéréotypes culturels négatifs, il devient un moyen d’expression reflétant les clichés sexistes ordinaires observés au quotidien. Ainsi, s’il est souvent profondément misogyne, c’est bien parce que cette misogynie est acceptée et banalisée dans notre société. Logiquement, c’est le rap qui évoluera avec la société, et non l’inverse. La route est encore longue avant que les femmes ne trouvent une place légitime dans ce milieu encore majoritairement hyper virilisé, où les producteurs (et le public) voient la femme avant l’artiste, ce qui pose un cruel problème de crédibilité. [ Adélaïde Marre

IV

culture rap

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des temps modernes De la France à l’Afghanistan, la culture hip hop se renouvèle au féminin.

sianna

Héritière du rap français

O

riginaire du Mali, Sianna est une rappeuse française qui se démarque par la diversité de son registre, ainsi que sa capacité à s’approprier le rap sans tomber dans la caricature. En 2014, elle poste sur Youtube un tour du monde en freestyle: une suite de vidéos qu’elle s’est amusée à tourner aux quatre coins du monde.

Le morceau à écouter Le morceau «Go Fast» pour les adeptes de sons bruts, «Havre de paix» pour un bon retour aux auto-tunes des années 2000. Sortie de l’album Diamant Noir le 24 février.

lex leosis

Canada réveille-toi

L

e Canada aussi possède son lot de rappeuses bien que, comme ailleurs, les femmes peinent à se frayer un chemin dans le monde du hip-hop. Basée à Toronto, Lex Leosis ne devrait pas tarder à faire parler d’elle alors que sa musique gagne en détermination.

Le morceau à écouter «Snack Size» pour un délicieux juste milieu entre beats planants et débit irréprochable. «Monogamy» pour le clip en marche arrière et les notes de saxophone.

sonita

La lutte contre le patriarche

S

onita naît en 1996 à Hérat en Afghanistan. Elle a 14 ans lorsqu’elle rencontre la réalisatrice iranienne Rokhsareh Wghaem Maghami qui l’aide à fuir un mariage arrangé tout en l’encourageant dans ses projets musicaux.

Le morceau à écouter Le clip «Brides for Sale», fait de Sonita une des plus jeunes rappeuses à avoir osé dénoncer ouvertement la place attribuée aux femmes dans la société traditionnelle où elle a grandi.

céline fabre

Le Délit

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culture rap

V


Rappeurs de Mcgill et alentours: Le Délit a rencontré cinq rappeurs de McGill et d’ailleurs. Présentations.

Un duo, trois rappeurs solo, cinq bonhommes. Nous aurons cherché, mais nous n’aurons pas trouvé, pas de rappeuse mcgilloise dans ces pages. Du coup, nous leur avons posé la question, pourquoi cette sous-représentation féminine dans le rap? Retrouvez leurs réponses sur notre site. Et ce n’est en rien pour enlever au mérite des ces cinq-là qui combinent ambitions artistiques et académiques au quotidien. Un dernier mot: cette sélection est subjective, faites-nous part de nos oublis, masculins, féminins, ou autres.

vittorio pessin

Chief Brody Canadien d’origine camerounaise, Super Freddy grandit à Ottawa, il commence à y rapper tôt, dès ses 13 ans. Rapper est alors quelque chose d’éminemment personnel pour lui, et il lui faudra plusieurs années pour partager ce qu’il fait avec d’autres. Une première influence, k-os et son rap alternatif comme référence. À Montréal, il monte sur scène régulièrement désormais, et a créé un collectif de rappeurs, graphistes, chanteurs, et photographes mcgillois, DRKSYDE Entertainment, pour s’y entraider entre artistes, se faire connaître, créer des passerelles entre ces formes d’expression artistique. Cette année, il donne un concert à l’Open Air Pub, son premier «vrai concert» après quelques sessions en open mic. Un rap mélodique, serein, qui prend une toute autre te-

VI

culture rap

neur sur scène, où Super Freddy se risque à des pas de danses endiablés, habillé de sa Dashiki. Aujourd’hui, Super Freddy cite comme influences Childish Gambino, Drake, Kanye, Shade, de ceux et celles qui ont étendu ou flouté les frontières du rap. Il sustente aussi sa musique de légendes du jazz telles John Coltrane ou Miles Davis, ce qui se fait sentir dans la plupart de ses titres. Des titres produits par d’autres mais à l’identité musicale reconnaissable à ses accents jazzy ou soul surgissant ici et là. «J’aime bien dire que je fais du rap alternatif», nous ditil. Tester des nouvelles idées, tenter, voilà la démarche de Super Freddy dans sa «série» de titres encours, Hot Chocolate. Le Graal? Quelque chose comme A Tribe Called Quest ou To Pimp a Butterfly, d’ici-là, Super Freddy compte sortir un EP, à l’automne prochain. x

Chief Brody a commencé la musique tout petit, «je suis convaincu que le premier instrument dont tu joues influence ton parcours musical». Pour lui, ce fut la flûte à bec, alors qu’il n’avait que cinq ans, et il en explique l’importance qu’il accorde à la mélodie dans son rap. Il joua par la suite de la trompette, en orchestre, puis en groupe, entre amis. Ce n’est ainsi que sur le tard qu’il se familiarise avec rap, et quittant sa NouvelleRochelle natale pour Montréal, il décide de s’y dédier. Depuis, c’est une identité musicale en constante évolution, dans laquelle la mélodie continuer à s’imposer et les éléments rythmiques à se complexifier. Cela découle d’un travail conscient de Chief Brody, qui tente d’orienter sa musique dans une direction définie. À l’écoute, c’est l’énergie de son parler qui se remarque à l’instant, une fougue plaquée sur des instrumentales parfois fantaisistes. Cette fougue, mêlée à des vocals en tout genre, se retrouve même déformée sous le coup d’effets sonores. Ces titres sont pour la pour la plupart produits par d’autres, mais Chief Brody en réalise lui-même quelques-uns. Full tannins, titre dévoilé avec son propre clip en aperçu de l’album à venir, brouille encore les frontières entre rap et RnB. Un clip à regarder, réalisé par Sashka Avanyan, qui a patiemment calqué tout un imaginaire, à la main, image par image, sur un film bleuté et vaporeux. Ce prochain album, 24, qui sortira en mars prochain, devrait confirmer cette inclination artistique. x

Super freddy

vittorio pessin

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Portraits Dawan & Yaska Dawan et Yaska ce sont deux rappeurs qui se sont rencontrés au Lycée Français de Bruxelles pour se retrouver à l’Université Concordia. À l’origine, ils faisaient partie d’un crew qui s’appelait Bande à part. Aujourd’hui les membres du groupe se sont épar-

pillés un peu partout. S’ils restent amis et continuent à travailler ensemble à l’occasion, Dawan et Yaska sont les seuls à collaborer de façon régulière. Basés à Montréal depuis quatre ans, ils sortent leur premier EP, intitulé 5 a.m. le 11 février prochain.

LD: Le monde du rap a l’air d’être assez masculin. Quel est le rôle des femmes dans le rap ? Effectivement, le monde du rap est assez masculin. C’est dommage d’ailleurs, parce qu’il y a des rappeuses qui sont hyper fortes, et qui nous mettent la misère. Mais c’est vrai que dans notre répertoire personnel, il y a plus d’hommes que de femmes. Après, ça se débloque progressivement. Souvent, quand des femmes commencent à faire du rap, elles se sentent obligées d’adopter un style «mec» — c’est d’ailleurs surement relié à leur passé, à leur vécu. Mais c’est dommage! Il y a la place pour créer une identité féminine au sein du rap. Aujourd’hui, il y a de plus en plus de rappeuses qui revendiquent leur féminité, et qui ne cherchent pas à la cacher. Par contre, ce n’est pas limité au rap: on parle d’un problème sociétal au sens large. C’est quelque chose de très compliqué qui mériterait qu’on y réfléchisse profondément. Mais ça va finir par se

vittorio pessin

Uzuazo Chief Brody, Super Freddy, et Uzuazo se retrouveront tous trois sur scène ce 18 février au Cagibi

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mes, et transmettre un message politique. Mais ce n’est pas inné! À la base, toute musique c’est un divertissement, le reste est ajouté par la suite. Le rap politique a connu un essor dans les années 1980-90, mais aujourd’hui l’objectif principal c’est le divertissement. Il y a Kendrick (Lamar, ndlr) qui est plus politisé, mais il est un peu seul dans cette tendance-là. D’ailleurs, c’est plutôt cool comme ça: ça veut dire qu’il y a plein de styles différents, qui sont tous représentés par une ou deux personnes archi-fortes. Mieux vaut ça qu’une situation où tout le monde fait le même genre de choses. Nous, on est pas très politisés. On a des potes qui le sont, mais notre démarche perso, touche plutôt à notre vie personnelle. D’ailleurs, si on devait faire un rap politique, on risquerait de sonner faux, et désinformer le public. Nous, on vise plutôt à créer une ambiance. Ça n’a rien de politique, mais ça a une portée sociale tout de même. x

débloquer, comme partout. On est dans une période où c’est comme ça: il y a beaucoup de problèmes, mais on y est de plus en plus sensible, et on tend vers l’égalité — dans le rap comme ailleurs. Pour accélérer le processus, on peut promouvoir toutes les artistes femmes qui sortent en ce moment, et éliminer la peur qu’elles peuvent ressentir de rentrer dans ce monde très masculin. D’ailleurs, on l’oublie, mais il y a un mouvement dans ce sens qui remonte à longtemps! Si on regarde les Fugees par exemple, ce sont d’énormes personnalités qui sont reconnues en tant que tel. Ça montre bien que c’est possible. LD: Quelle est la portée politique du rap? Il y a plusieurs visions du truc. Si on prend le hip-hop par exemple, à la base, c’est juste des mecs qui chantent avec un DJ derrière. Ensuite, une autre tendance est apparue. Des groupes comme NWA qui se sont servi du mouvement pour parler de leurs problè-

Canado-Nigérian, Uzuazo a baroudé avant d’arriver à Vancouver, où il s’essaie pour la première fois au rap sur scène, il est alors au lycée. Paris, Yaoundé, Vancouver, et donc Montréal pour ce Mcgillois qui réussit la prouesse de jongler avec ses études de génie et son quotidien de rappeur. Le rap, il s’y met dès quatorze ans, mais il lui faut quelques années pour vaincre la timidité et s’aventurer sur scène. Un talent show au début du lycée et le voilà libéré, «j’ai compris que je pouvais le faire» explique-t-il, «et ce fut une expérience extraordinaire». Il a déjà délaissé les Linkin Park et Sum 41 de ses jeunes années pour Webbie, Lil Wayne ou Tyler, The Creator. Il dévore blogs spécialisés, de manière «quasi-obsessive», et se nourrit à tout ce que diffuse MTV. Très vite il porte attention à l’écriture, aux punchlines, mais l’école accapare le plus grande de son temps. À McGill, il commence à gérer son temps, pour «prendre le rap bien plus sérieusement». Premier semestre, premier concert. Ses copains de résidence viennent en masse, il en est galvanisé, la scène «ce n’est pas si difficile», finalement. Ce qui lui semblait inaccessible auparavant est désormais à portée de main, se produire sur scène,

produire sa propre musique, il faut prendre l’initiative, tenter. Aujourd’hui, tout va bien pour Uzuazo, ses clips sur Youtube emmagasinent chacun des dizaines de milliers de vues, et un album auto-produit s’annonce pour l’été prochain. Il faudra attendre les vacances car McGill lui retire le loisir de produire ses propre titres, un processus qui lui prend bien plus de temps tant il adopte un approche perfectionniste vis-à-vis de sa musique. C’est pourquoi les trois titres qu’Uzuazo a publiés il y a quelques semaines ont été produits par d’autres. Cela n’empêche que l’on reconnaît d’entrée son rap saccadé, son parler régulier et marqué. Un rap reconnaissable, mais servi par une plus grande maturité artistique. «J’arrive à réaliser ce que je veux beaucoup plus facilement, une mélodie me vient à l’esprit et je la couche sur papier directement, avant je n’y arrivais pas», expliquet-il. Ses influences elles, sont toujours aussi nombreuses et formatrices. «Ma musique est un mélange de tout ce que j’aime raconte-t-il, regarde, rien qu’aujourd’hui il y a un nouvel album de Big Sean, une nouvelle chanson de Vince Staples, c’est incroyable, il y a tellement de choses à écouter!» x

Théophile Vareille & Antoine Jourdan Le Délit

culture rap

VII


Viii culture rap

le délit · mardi 7 février 2017 · delitfrancais.com


Canada

La réforme electorale abandonnée Le gouvernement est revenu sur sa promesse de changer le mode de scrutin. Antoine jourdan

Des réactions négatives

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Quelque soit la raison ayant mené à ce changement de position, les réactions ont été globalement négatives. Prenant la parole directement après Gould, Nathan Cullen, député du Nouveau parti démocratique (NPD), a parlé de «cynisme» et d’une décision «intéressée». À Montréal, une manifestation a été organisée le 2 février devant les bureaux du premier ministre pour «faire comprendre à Justin Trudeau qu’il y a un consensus». Bravant le froid, une soixantaine de personnes ont montré leur mécontentement pendant une heure et demie. Même chez les Libéraux, la nouvelle n’a pas été bien reçue. L’organisation mcgilloise «Les jeunes Libéraux de McGill» ont parlé d’une «énorme déception». Selon eux, la réforme électorale composait «une partie intégrante de la plateforme annoncée par notre gouvernement». Ne s’avouant pas vaincus, ils promettent de continuer a militer pour un «système démocratique plus juste pour tous». Encore une fois, le gouvernement semble avoir perdu nombre de ses soutiens. x

Le Délit

écidément, le gouvernement libéral de Justin Trudeau a connu de meilleurs jours. À peine une semaine après avoir fait polémique en félicitant la décision de Donald Trump concernant la projet d’oléoduc Keystone XL, le premier ministre a encore déçu ses soutiens en annonçant, mercredi 1er février, qu’il n’instaurerait pas un scrutin proportionnel pour les élections législatives. Cette promesse phare de sa campagne aurait donné à chaque bulletin de vote un poids égal, contrairement au système actuel qui accorde plus d’influence aux habitants des circonscriptions moins peuplées. Devant une foule de médias, Karina Gould, ministre des institutions démocratiques a expliqué qu’après avoir longuement consulté le peuple canadien «il est devenu évident que le large soutient populaire, nécessaire pour un changement de cette ampleur, n’existe pas». Étrange analyse, étant donné que ce même peuple est celui qui a élu le gouvernement de Justin Trudeau il y a à peine plus d’un an.

L’envers du décor Il faut dire qu’un tel changement n’aurait pas été facile pour le gouvernement. Le type de scrutin utilisé lors des élections fédérales est conçu par la constitution. Instaurer un type de scrutin proportionnel aurait donc nécessité une modification constitutionnelle — chose beaucoup plus facilement dite que faite. Pour y parvenir, une proposition de loi doit être ratifiée par les deux chambres

(la Chambre des communes et le Sénat), ainsi que par les assemblées législatives d’au moins sept provinces qui regroupent entre elles un minimum de 50% de la population canadienne. Une autre solution aurait été d’envisager la voie du référendum. Celle-ci a été mise de côté par le gouvernement qui expliquait qu’en l’absence «d’une préférence ou d’une question claire, un référendum n’est pas dans l’intérêt du Canada».

Certains observateurs ont avancé que le changement de position de Trudeau est dû à son succès électoral au sein du système actuel. En effet, celui-ci a donné un gouvernement majoritaire aux Libéraux alors qu’ils n’avaient reçu «que» 39,5% des voix. Étant donné la situation, l’instauration de la proportionnelle aurait été potentiellement contre-productive dans l’optique d’une réélection future.

monde

Vers une Afrique unifiée ?

Retour sur le problème marocain lors du 28e sommet de l’Union Africaine. réintégration de Rabat au sein de l’UA pourrait causer l’exclusion de la RASD de cette même association, ce à quoi l’Algérie et l’Afrique du Sud s’opposent ouvertement. Le conflit majeur dans cette situation est entre le Maroc et le Front Polisario, le parti politique issu du mouvement autonomiste de la RASD. L’UA étant une organisation portant sur la démocratie, les droits de l’Homme, et du développement à travers l’Afrique, un tel désaccord peut engendrer des conséquences.

Margot Hutton

Le Délit

P

endant le sommet de l’Union africaine (UA), qui s’est déroulé du 22 au 31 janvier 2017 à Addis Ababa en Éthiopie, le Maroc était sur toutes les lèvres. En effet, ayant quitté l’organisation panafricaine, (à l’époque appelée «Organisation de l’unité africaine») sous le règne de Hassan II, le pays a ensuite demandé en juillet 2016 à la réintégrer, ce qui ne fait pas l’unanimité au sein de l’Union. D’où viennent les désaccords?

Que fait le Maroc pour plaider sa cause?

Malgré le lobbying intense du pays ces derniers mois, le Maroc aurait pu voir sa demande de réintégration dans l’UA ne pas aboutir, pour plusieurs raisons. La principale étant les rivalités entre le Maroc et l’Algérie, cette dernière demeurant un atout majeur de l’UA. C’est à cause de cette relation conflictuelle que l’examen de la demande d’entrée

La volonté du roi Mohammed VI était très clairement affichée lors de ce sommet. En effet, bien que le pays soit une monarchie, et donc que les affaires politiques sont gérées par le roi, celui-ci a choisi de s’entourer d’une forte équipe afin que son lobbying soit des plus intense. En multipliant les têtes à têtes avec les chefs

du Maroc a été maintes fois retardée. Par ailleurs, une dizaine de pays étaient d’accord avec le fait que le Maroc fasse d’abord l’objet d’un «avis juridique», ce qui aurait reporté l’adhésion d’au moins six mois. Cela montre bien que le pays n’est pas spécialement le bienvenu.

le délit · mardi 7 février 2017 · delitfrancais.com

Pourquoi ça coince ? Dans le Sahara occidental, il existe un État auto-proclamé du nom de République arabe sarahoudie démocratique (RASD), dont le Maroc, contrôlant 80% de son territoire, refuse de reconnaître l’existence. La

d’État, et en comptant sur des pays «alliés» tels que le Sénégal, la Guinée Équatoriale, etc., ayant toujours considéré le Maroc comme partie intégrante de la famille africaine, il a fini par obtenir le droit de réintégrer l’UA. Le roi a donc été invité, le mardi 31 janvier 2017 à faire un discours à la clôture du sommet; discours «historique» à en croire certains commentateurs. Et après? L’attention qu’a suscité ce sommet de l’UA est presque inédite. Son déroulement pose plusieurs questions. Maintenant que le Maroc a reçu le feu vert pour sa réintégration, qu’en sera-t-il de la RASD? Le membre le plus puissant de l’UA, l’Algérie, n’a pas l’habitude d’être contrarié, et cela pourrait avoir un impact sur ses relations diplomatiques avec le Maroc. Quelles en seront les conséquences vis-à-vis des projets d’action de l’UA? Il est encore trop tôt pour formuler des hypothèses. x

actualités

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Innovations innovations@delitfrancais.com

Campus

Un futur ingénieux Retour sur l’annuelle Tech Fair de McGill.

Louisane raisonnier

Le Délit

J

eudi dernier, le 2 février, a eu lieu le «McGill Engineering TechFair», organisé par l’ECC (Engineering Career Centre) et le McGill Tech Fair. Cet évènement rassemblait une centaine d’élèves dans la salle de réception de la résidence universitaire New Residence. Les étudiants ingénieurs, habillés de manière très formelle pour l’occasion, pouvaient y rencontrer employés et employeurs de plus de 50 entreprises de renommée internationale. Ce rassemblement a permis aux étudiants de rencontrer plusieurs leaders de grandes firmes, et de prendre connaissance des qualifications requises afin de travailler pour eux. En échangeant avec ces patrons, cela leur a également permis d’estimer leur valeur potentielle sur le marché du travail. Si le courant passait bien, les élèves pouvaient, au cours de la conversation, glisser leur CV afin de postuler pour un stage. Quelques témoignages Plusieurs élèves ingénieurs ont été interrogés sur la pertinence

de cet événement. Beaucoup ont grandement apprécié la structure de l’événement, et décrivent une réelle possibilité de rentrer en

contact avec les organisateurs, mais aussi avec les nombreuses firmes au rendez-vous. Selon eux, les plus grosses sociétés présentes,

telles Facebook, Google, Ericsson ont été assez réceptives mais aussi très honnêtes. «Elles nous disent assez rapidement si nous sommes à la hauteur de leurs attentes. Elles ne nous encouragent pas à envoyer notre CV s’il n’est pas exceptionnel, car il risque de se noyer dans la paperasse » a confié l’un des étudiants au Délit. Si ces propos ont motivé certains, d’autres ont préféré se réfugier vers d’autres sociétés, moins populaires, certes, mais plus accessibles et encourageantes. «Les entreprises de taille moyenne et locale nous incitent à persévérer et à postuler à des stages pour garnir notre dossier. Elles sont vraiment rassurantes et nous poussent à redoubler d’efforts.» Certains élèves, très francs, ont confié être venus à l’événement seulement pour prendre conscience des différentes marges de salaires potentiels. «C’est pour me motiver à réussir mes examens!» plaisantent-ils même. Quelques premières et deuxièmes années, quant à eux, se sont senties un petit peu exclus de l’événement. Ils admettent qu’il y a de réelles opportunités d’emploi,

mais plutôt pour les U3 ou U4 qui ont déjà un bon dossier, et qui ont déjà effectué plusieurs stages reconnus. «Rares sont les sociétés qui proposent des opportunités et qui nous poussent à envoyer nos CV si nous n’avons pas d’expérience.» Cependant, ils reconnaissent que cela leur a permis de prendre pleinement conscience des talents et attributs nécessaires à développer pour avoir une belle perspective d’avenir. Les plus timides soulignent également que l’événement représentait une excellente opportunité pour améliorer son relationnel et sa communication professionnelle pour se distinguer et sortir du lot sur le marché. De plus, les anciens étudiants présents ont également permis de montrer aux élèves actuels qu’il ne fallait pas se décourager, et leur ont donné de véritables conseils pour se démarquer. En s’inspirant du parcours d’anciens, et de celui des plus grands, nos élèves mcgillois sont parés pour devenir les géants de l’industrie de demain. Et comme disait Chaplin, «l’obstination est le chemin de la réussite». x

mcgill

Microsoft s’implante à Montréal Microsoft offre un million de dollar à deux universités montréalaises. louisane raisonnier

Le Délit

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ontréal fait partie des villes les plus investies dans la recherche pour l’intelligence artificielle à l’échelle internationale. Dans le but d’encourager la poursuite de ces recherches innovantes, la compagnie Microsoft s’est proposée d’offrir une somme d’un million de dollar à l’Université McGill. Une initiative hors du commun Le président de Microsoft, Brad Smith, accompagné du ministre de l’innovation, de la science et du développement économique Navdeep Bain, et de Philippe Couillard, premier ministre du Québec, ont annoncé cette bonne nouvelle le mois dernier. Le but premier est bien sûr d’agrandir les horizons de la compagnie et de renforcer sa présence dans la ville stratégique de l’innovation qu’est tranquillement en train de devenir Montréal. Microsoft a pour

8 innovations

intention de doubler sa superficie d’ici les deux prochaines années, apportant ainsi une notoriété certaine à son nouveau programme d’intelligence artificielle (IA) et de développement organisationnel nommé

Maluuba. Celui-ci a été fondé en 2011 par deux bacheliers de l’Université de Waterloo: Sam Pasupalak et Kaheer Suleman. Maluuba est devenue une entreprise d’intelligence artificielle canadienne conduisant

maintes recherches dans le domaine de la résolution de la question générale de l’intelligence artificielle. Leur langage informatisé comprenant la technologie a été adopté par des marques électroniques internationales majeures comme LG et peut être trouvé sur plus de 50 millions de dispositifs expédiant mondialement, dans le domaine du smartphone, et de la smart TV. La compagnie a été rachetée par Microsoft en 2017. Pour étendre son influence, Microsoft a donc offert un don considérable à deux universités montréalaises: UdeM et McGill. Chacune des sommes offertes sera versée sur une durée de cinq ans. La principale de l’Université McGill, professeure Suzanne Fortier, a tenu à remercier la compagnie: «Nous remercions Microsoft d’investir afin de consolider les forces de Montréal dans le domaine de l’intelligence artificielle ». «Les chercheurs des universités McGill et de Montréal mènent des travaux de

pointe dans ce secteur. La collaboration avec un chef de file de l’industrie est essentielle, car elle permet aux chercheurs de trouver les réponses aux questions qui refaçonnent le monde physique, numérique, et biologique.» Montréal: cœur technologique? Maluuba, située à Montréal, fait désormais partie de la communauté de chercheurs de renommée internationale dans le domaine de l’intelligence artificielle. À l’heure actuelle, Maluuba travaille avec le Reasoning and Learning Lab de l’École d’informatique mcgilloise, dans le but d’inculquer à des machines la notion de compréhension du langage propre à l’Homme. Grâce à cet investissement de Microsoft, géant informatique, les étudiants montréalais pourront mettre à profit leurs connaissances afin de permettre à la ville de devenir l’axe premier de l’innovation. x

le délit · mardi 7 février 2017 · delitfrancais.com


Culture articlesculture@delitfrancais.com

Théâtre

Le Manifeste de la Jeune Fille Olivier Choinière nous transporte dans le monde ludique de la réalité. margaux sporrer

Le Délit

S

tanding ovation pour le «Manifeste de la JeuneFille», pièce éminemment contemporaine jouée à l’Espace Go jusqu’au 18 février. Olivier Choinière, auteur et metteur en scène, réussit brillamment à dépeindre avec un regard critique la société dans laquelle nous évoluons. Les huit comédiens sont remarquables, fougueux, drôles, et impressionnants d’énergie. Rien n’est laissé au hasard dans cette pièce très chorégraphiée, que ce soit la mise en scène, le décor, les lumières, les costumes ou le son. C’est dans une ambiance hyperréaliste à la lumière aliénante que l’on part à la rencontre de ces personnages caricaturaux mais aux airs familiers. La musique rythme les deux heures de voyage et de réflexion. Par moment elle rappelle le rythme sourd techno, par moment elle semble plutôt orientale, mais est toujours là pour souligner le message véhiculé. Les personnages changent de peaux et de costumes régulièrement ce qui permet d’offrir d’innombrables points de vue

différents sur les thèmes sociétaux abordés. La mise en scène, précise et réfléchie, met en valeur le méticuleux travail d’Olivier Choinière et sert le message de fond même si l’abondance des thèmes abordés peut parfois perdre le public.

Alissa Zilber

Spectateurs de nos propres déboires Cette pièce est un must-see car en l’espace de deux heures, elle balaye un vaste spectre d’inquiétudes, de positions, d’idéaux que nous avons tous déjà sûrement envisagés. En fait, une fois assis dans son siège, il devient impossible pour le spectateur de ne pas se sentir concerné, de ne pas rire, de ne pas s’arrêter un moment pour réfléchir sur les répliques frappantes des comédiens. Ces derniers nous jouent et se jouent de nous. Les capitalistes avides, les écolos intransigeants, les consommateurs frénétiques, les vieux déprimants, les jeunes désabusés, les révolutionnaires naïfs, les terroristes illuminés… Bref, tout le monde y passe. De ce manège de vie, follement satirique, ressortent néanmoins des messages importants

et rassurants. L’amour de soi, l’acceptation de la vieillesse, l’ouverture à l’autre, le progrès individuel, faire la part des choses, et surtout l’importance de la culture, du théâtre: des néces-

sités que l’on oublie trop vite. Qualifier cette pièce d’un coup de gueule reviendrait à réduire au néant la dimension philosophique très présente de la pièce. Plus encore, cette pièce multi-

plie les rires, les clins d’œil au public, d’énergie en surprenant le spectateur du début à la fin. Certes, deux heures sans entracte peuvent paraître longues pour le spectateur. Pourtant, malgré cette longueur, on ressort enthousiasmé de cette pièce. Lorsque les lumières se rallument et que le public réalise que c’est la fin, le charme met du temps à se dissiper. Le spectateur est alors confronté à cette impression géniale de ne plus savoir quoi faire ni quoi dire, abasourdi avec un sourire de contentement aux lèvres. Or, n’est-ce pas là le signe d’une pièce réussie? Cette ode au théâtre abolit les frontières de la réflexion et pousse à l’extrême des concepts d’actualité. Mais surtout, elle fait naître une connexion folle et intense au sein du public et avec les acteurs, mettant du baume sur le cœur des désenchantés, des mélancoliques et des lassés. Je n’insisterai donc sûrement jamais assez: cette pièce est foisonnante, délirante, qu’il faut absolument voir, vivre et que vous n’oublieriez pas car elle est intemporelle. x

Jusqu’au 18 février à l’Espace G0

exposition

Une ère post-numérique incertaine Différents artistes transmettent leur ressenti sur un «Futur Futuristique». clémence auzias

D

ans un monde où le numérique commence à dominer tous les aspects de la vie de chacun, il peut sembler impossible d’imaginer une ère post-numérique. C’est pourtant ce que tentent de faire Cat Bluemke, Amy Brener et Lauren Peic-McArthur avec leurs œuvres, exposées à la galerie Projet Pangée sur la rue Sainte-Catherine jusqu’au 18 février. Le nom de l’exposition, «Futur Futuristique», donne déjà une idée du message transmis à travers peinture, sculpture et autres médias. Chaque artiste possède un style unique et différent des autres. PeicMcArthur peint de grandes toiles aux couleurs fluorescentes tandis que Brener crée des sculptures en

plastique contenant des objets du quotidien. Quant à Bluemke, elle se démarque encore plus avec une forme d’hologramme qui apparaît grâce à la lumière. Cependant, si la diversité est au rendez-vous, le message tant attendu d’espoir pour cette ère post-numérique lui est parfois difficile à déceler. Il peut être perçu dans les œuvres de Bluemke et Brener, mais est difficilement présent dans celles de Peic-McArthur. Un message puissant ou une toile éblouissante Les sculptures de Brener sont constituées de moules en plastique de têtes humaines, d’empreintes de clavier d’ordinateur, d’objets du quotidien comme des punaises ou encore de feuilles et plantes

le délit · mardi 7 février 2017 · delitfrancais.com

diverses. Ce mélange de nature, technologie et humanité forme une œuvre pas nécessairement agréable à regarder mais qui laisse pensif et fait réfléchir au message présent. Un message qui peut être entendu de différentes manières. L’artiste suggère à la fois que l’on peut cohabiter avec le numérique et continuer à avancer ou, qu’au contraire, ce dernier nous engloutira et que nous ferons partie intégrante de lui. Toutefois, c’est le spectateur qui aura le dernier mot en décryptant l’œuvre à sa façon. Contrastant avec ce lourd message porté par les sculptures de plastique, les peintures de PeicMcArthur qui encerclent le spectateur dans la pièce paraissent vide de sens. Si, artistiquement, certaines toiles sont fantastiques, avec leurs

couleurs fluorescentes qui changent quand les spectateurs se déplacent dans la galerie, il reste néanmoins difficile de trouver le message qu’elles sont censées transmettre. Après avoir circulé plusieurs fois dans la pièce, elles restent simplement des toiles abstraites qui ne donnent au spectateur rien à discuter ou à penser. Un compromis sous forme d’hologramme Pour finir, la dernière artiste, Cat Bluemke, présente un compromis entre la beauté vide des toiles de Peic-McArthur et le puissant message des sculptures de Brener. Ses hologrammes au milieu de la pièce sont à la fois éblouissants de par leur créativité mais aussi de par

leur message. Le spectateur doit se déplacer autour de ces œuvres afin de trouver l’angle par lequel une certaine image apparait sous forme d’hologramme, utilisant la lumière présente pour ce faire. Ici, le message principal concerne les cellulaires et autres technologies qui capturent cette lumière chaque jour pour faire des photos quelconques. Avec ses hologrammes, Bluemke montre que la lumière peut être capturée d’une manière différente, sans technologie et donner un tout aussi beau résultat, transmettant ainsi un message plein d’espoir. x

Jusqu’au 18 février à l’Espace G0

culture

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chronique d’expression creative

Ligne de fuite Gnossienne Soleil Lumière Éveil Portuaire Mer Agîtée Le Zéphyr tanguait sous l’influence de la houle. Il parvenait cependant à maintenir une cadence régulière, répétitive, éternelle. Il était prisonnier de cette mer qu’il ne parvenait pas à apprivoiser. Vue de la digue, qui elle était baignée de soleil et d’harmonie, la scène semblait surréelle. C’était la coexistence entre tempête et chaos d’un côté, paix et calme de l’autre. Je voyais cette tempête, mais j’y étais étranger. Je ressentais l’univers paisible dans lequel j’évoluais, mais je ne le vivais pas dans sa totalité. J’étais captif de cette frontière, qui m’empêchait d’aller dans un univers au détriment de l’autre. Tout comme le Zéphyr ne pouvait sortir de la tempête, j’étais condamné à rester dans cet entre-deux. Était-ce là l’annonce d’un choix à faire?

J’étais enfermé dans cet instant immuable, sur la digue sereine, en face du grand bleu déchaîné. J’étais paralysé, impuissant aux mains de ces forces contraires. J’étais condamné à rester spectateur de ce spectacle sublime. Le Zéphyr continuait de lutter face à l’océan déchaîné. La bataille était serrée, mais au prix d’un effort, le voilier parvint à se détacher du joug des flots furieux. Triomphant de son combat, il continua dans sa lancée vers le large. La voile redressée, le drapeau hissé, il était prêt à accueillir sous sa coque les vagues éternelles. Je le regardais peu à peu s’éloigner tandis que le ciel se couvrait, et que des gouttes de pluie commençaient à tomber sur la digue. Partir Voguer Franchir Migrer Barrer vers l’Est

margot hutton

Le Délit

chronique visuelle

Opini-‐art-‐re

Dans chaque ride, un aspect de sa vie se dévoile. Un homme usé est un homme vécu.

Prune ENGÉRANT

Le Délit

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Culture

le délit · mardi 7 février 2017 · delitfrancais.com


chronique

Croire, ne pas croire Baptiste Rinner | Diversion littéraire La question du croire se pose en littérature plus que dans n’importe quel autre domaine. Hormis les religions, allez! je vous les laisse. Et «Dieu déteste la littérature», comme dit le bon Maritain. Nous voilà bien partis. Comment croire au crime d’hubris de l’écrivain, du simple scripteur — outrage à la création ( je ne crois pas trop aux majuscules) en inventant à côté de la nature? *

I

l y a quelques années, j’ai assisté à une causerie d’écrivains à la librairie Gallimard, sur le boulevard Saint-Laurent. Ils étaient chacun invités à évoquer leur bibliothèque idéale, et relier ça à leur pratique d’écriture. Venu le temps des questions, citant vaguement Cioran de mémoire, je leur ai demandé s’ils croyaient à ce qu’ils écrivaient. Ils n’ont pas compris ma question. *

À côté de ces considérations importantes, plus simplement, comment croire à ce que j’écris? C’est assez nouveau pour moi. Se constituer un écran de fumée pour éviter de trop voir à travers. À y trop regarder, il n’y aurait plus rien à trouver. Je dois déjà être au stade de l’acceptation. Mais assez parlé. * Plus important. Croire à ce que je lis. C’est la vraie question. On ne peut pas aimer sans croire. Et comment croire? À l’heure

McGill Daily

où Le Délit ouvre ses pages aux épanchements lyriques, je me rappelle ces lignes du Journal d’Hubert Aquin: «Pour moi l’art ne commence qu’au terme de la plus implacable analyse. Je ne chante pas d’abord; je chante après, et ce chant est mon triomphe sur l’analyse. [...] J’étouffe ce premier lyrisme, pour le faire renaître plus loin, approfondi, enrichi, complètement transposé. [...] Je ne fais pas de l’art au fil du sentiment lyrique; je fais de l’art au terme de la raison exaspérée. Alors, commence la fête.» Encore faut-il envisager la littérature comme une fête, et non comme un simple divertissement. Se divertir. * Ne pas confondre l’analyse et la sécheresse. Le flot débordant et l’intensité contenue. Il y a du bon dans la larme écrite. Tout dépend comment c’est fait. Quelque chose fait que je crois à ce qu’écrit Aquin dans Prochain épisode, mais je ne me l’explique pas. Ça tient à pas grand chose. Oui, ça vient me

chercher. Ce n’est pas une affaire de sentiments. Si. Ça: «J’ai besoin de toi; j’ai besoin de retrouver le fil de notre histoire et l’ellipse qui me ramènera à la chaleur de nos deux corps consumés.» Et ça: «Et notre étreinte du lever du jour, lutte serrée, longue mais combien précise qui nous a tués tous les deux, d’une même syncope, en nous inondant

* Ici, on aime ce qui est clair. Les dichotomies. Prose / Poésie. Raison / Émotion. Description / Narration. Corps / Âme. Tout bien ranger dans des cases, l’ordre. Que rien ne dépasse. Y croire. *

«Parler avec les mots des autres, ce doit être ça la liberté.» d’un pur sang de violence.» Il fait dans le larmoyant Hubert, et pourtant je pleure. * «C’est niveau CP!» Tu me parles avec des mots, et moi je te regarde avec des sentiments. On parle tous avec des mots. On ne fait pas de la poésie avec des idées. On fait surtout dans le péremptoire ici. C’est poétique. C’est un mot poétique. On pourrait lire ça comme un poème en prose. Sully Prudhomme! Bah nan. Chui désolé.

Pourtant je crois encore en toi qui m’échappe, je t’écris sans cesse pour t’inventer. Surprendsmoi au détour de ma petite vie. Parler avec les mots des autres, ce doit être ça la liberté. S’en remettre au hasard d’une ligne de train en panne. Ça n’aurait jamais dû arriver. C’est drôle, on y a cru tous les deux à mon épanchement. Tu es une belle et bonne personne. Ça prête à rire. Et ils ont bien ri. C’est de bonne guerre. C’est toujours la guerre. Mais on a beau savoir, le beau et le bon surprennent toujours. x

THE

Le Délit et The McGill Daily présentent la

SEMAINE DU JOURNALISME ÉTUDIANT R IE R V É F 4 2 I D E R D N E V U A R IE R V LUNDI 20 FÉ 20 FÉVR. : « How to launch your career and avoid burnout » Table ronde avec Matt D’Amours (CBC, The Link), Chris Mills (BGR, The McGill Daily), Cecilia S McArthur (CBC, CKUT), et Kalina Laframboise (CBC, CUP). 18 h, lieu à confirmer.

21 FÉVR. : « The Other Side of Journalism: Talking to press relations people » Table ronde avec Doug Sweet (McGill), Danny Payne (Raison D’Être Media), et Talar Adam. 18 h, lieu à confirmer.

22 FÉVR. : « Alternative journalism: How to start local »

C

Table ronde avec Jason C. McLean (Forget the Box), Ethan Cox (Ricochet), Gretchen King (GroundWire News), et Lorraine Carpenter (CULT). 16 h, lieu à confirmer.

« How to pitch the best stories: Pitching Workshop » Atelier avec Philippe Gohier (VICE) et Andrea Bennett (Maisonneuve). 18 h, lieu à confirmer.

23 FÉVR. : « Cyberjournalism, privacy, and you » Atelier avec David Goulet et Pierre-David Oriol. 18 h, lieu à confirmer.

24 FÉVR. : « Student Journalists Panel »

Suivez les développements: www.delitfrancais.com

18 h, plus de détails prochainement.

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Culture

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Entrevue

Nouvelle vague du rap montréalais Le Délit est allé à la rencontre du très prometteur groupe d’hip hop, Adhoc.

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e Délit (LD): «Pouvez-vous vous présenter?» James Campbell (JC): «Alors nous sommes Adhoc: Oren, Junaid et moi James, ce sont les deux vocalistes et moi je suis le producteur.» Junaid Hussain (JH): «Oren et moi sommes colocataires depuis un bon moment déjà et on faisait toujours des freestyles ensemble. À l’époque où Adhoc a été créé je travaillais sur un E.P (Extended Play) en solo occasionnellement et James produisait déjà des instrumentaux et un jour alors qu’on trainait ensemble on s’est retrouvés à faire une session de jam. En est sorti quatre chansons dont «China White» qui est notre plus grand succès à ce jour. Adhoc était né.» LD: «Vous faisiez de la musique avant d’arriver à McGill?» JC: «Oui, mais jamais je pensais en faire quelque chose de sérieux dans ma vie. J’avais bossé dans un camp d’été à Toronto pour apprendre aux enfants à produire de la musique, jusque-là ma seule expérience musicale professionnelle. Mais ouais, aucun d’entre nous ne pensait à une carrière artistique avant Adhoc.» Oren Lefkowitz (OL): «J’ai commencé à rapper quand j’avais 14-15 ans et c’est devenu sérieux pour moi à partir du lycée. Je ne l’assumais pas car je trouvais ça un peu embarrassant. Je m’y suis vraiment mis à fond, mes notes ont chuté (rires), tout ce que je voulais faire c’est du rap. Quand je suis arrivée à McGill, à un moment j’ai pris une pause de un an et demi pour me concentrer sur l’écriture. À l’époque je vivais avec Junaid et on faisait pas mal de freestyles ce qui a changé mon approche du rap car avant je me concentrer beaucoup sur les paroles et moins sur le flow et le rythme. C’est Junaid qui m’a mis dedans.» LD: «Quelle est votre plus grande influence musicale?» JH: «L’artiste que j’écoute le plus, qui je pense est extraordinaire et que j’essaye d’imiter d’une certaine façon c’est Kanye West. Il y a aussi Travis Scott et Kid Cudi qui m’influencent pas mal.» OL: «Kanye West m’influence beaucoup aussi, c’est grâce à lui entre autres que je me suis intéressé au rap. Mais actuellement Andre 3000 de Outkast est probablement ma plus grande influence, je suis obsédé par ce gars. Et j’adore Chance the Rapper ou encore Oscar Peterson!» JC: «Je pense pas que vous voulez que je réponse à cette question les gars (rires). Justice est ma plus grande influence musicale, c’est mon groupe préféré; l’aspect grandiose et cinématique de leur musique m’impressionnent. Mais sinon j’écoute beaucoup de pop, comme Taylor Swift, Michael Jackson ou encore Katy Perry. Et bien sûr j’écoute beaucoup de hip-hop.»

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entrevue

vittorio pessin

«Le rap est une forme de récit et toutes les bonnes histoires ont besoin d’une sorte de conflit pour que ce soit intéressant» LD: «Quels sont vos projets actuels et futurs?» JH: «Au début on s’était mis la pression pour sortir un gros E.P d’ici septembre…» OL: «On a d’ailleurs réalisé un E.P entier mais on ne l’a jamais sorti» JH: «Ouais, on avait la pression pour faire un E.P., ça nous stressait vraiment et un jour notre ingénieur du son nous a proposé de sortir des singles, et on s’est dit «Wow trop bonne idée!». Du coup maintenant notre stratégie est de sortir nos chansons par vague. Tous les deux-trois mois on espère pouvoir sortir environ une chanson par semaine. Du coup chaque vague est comme une sorte de mini E.P. En ce moment on travaille sur la deuxième «vague». On a aussi tourné notre premier clip vidéo y a pas longtemps et on fait quelques concerts, à Toronto, on espère NewYork bientôt et Montréal en mars.» LD: «Vous avec des projets sur le long terme?» OL: «On a un stock de chansons qu’on accumule pour un potentiel gros projet mais on a pas envie d’en faire un juste pour en faire un, dans lequel il n’y aurait que quelques bons singles et du remplissage.» JC: «Ouais, il faudrait que ce soit une idée cohésive, qu’on ait une raison d’assembler ses chansons. Un peu comme l’idée de Justice, que le tout soit meilleur que la totalité de ses parties, mais on a pas de plans comme tels pour l’instant.» OL: «Je ne veux pas faire perdre de temps aux personnes qui suivent notre groupe et écoutent notre musique. Je veux

juste qu’on sorte des projets pour lesquels on est 100% à fond, et personnellement je veux que chaque moment de ce projet soit crucial. Et actuellement on ne peut pas mettre autant d’attention sur un projet.» LD: «Que pensez-vous de la sousreprésentation des femmes dans le hiphop?» JC: «C’est une grande question.» OL: «C’est définitivement un problème. Les femmes sont parmi les meilleurs rappeurs, enfin de manière évidente, comme Lauren Hill qui a une énorme influence. Je pense que Young M.A aussi est une boss: avoir une figure queer comme ça dans le hip-hop qui ne se justifie pas et que tout le monde suit, c’est super stylé! J’espère que ça va changer, j’aimerais tellement voir plus de femmes rappeuses. On a été dans certaines situations avec des potes où j’ai remarqué une dynamique particulière: les gars qui ne savent pas trop rapper se sentent plus à l’aise quand ils font du freestyle dans un cercle que les femmes qui ont autant, voire plus de talent qu’eux. C’est un espace dans lequel les hommes sont plus confortables à être merdiques que les femmes, qui elles ne ressentent pas nécessairement ce privilège.» JC: «Je pense que c’est symptomatique d’un problème plus large dans le hip-hop à savoir la misogynie ambiante dans ce milieu musical. On entre dans un milieu où il est permissible de dire certaines choses à propos des femmes alors que ce n’est pas normal…» OL: «…ce qui est aussi symptomatique de la misogynie dans le monde!»

LD: «Y a-t-il une portée politique dans votre rap? Pensez-vous que le rap devrait avoir cette portée de manière générale?» JH: «Je pense que les deux jouent un rôle important pour chacun. Dans notre musique, on s’inspire de nos expériences et on a écrit des textes politiques, mais on ne les a pas sortis, on se sentirait inconfortables de le faire. On n’évitera jamais l’aspect politique, mais on ne va pas nécessairement se forcer à être politique dans nos textes.» OL: «Selon moi, un art brillant est un art qui réussit à faire les deux. Il réussit à la fois à divertir mais aussi à véhiculer des idées sur la résistance par exemple. Juste pour vous parler un peu de notre chanson «Paradise Loft» — qui montre bien ma philosophie en tant qu’artiste — et qui pourrait avoir un impact positif. Je suis juif et Junaid est musulman, et le seul fait que nous soyons amis, dans le même groupe de musique, pour certaines personnes est déjà problématique. Dans la chanson «Paradise Loft» on parle de comment nos culpabilités religieuses s’entrecroisent. Je m’identifie comme queer ou bisexuel et cette chanson parle de «getting high with the devil» et en gros je parle de «pécho des gars sur Grindr». Je suis tout à fait à l’aise avec cela mais je ressens tout de même un peu de honte et de culpabilité qui viennent sûrement de mon bagage religieux.» JH: «Moi mon couplet parle surtout de getting high: pas avec le diable mais de manière littérale. Et ça entre en conflit avec le fait que je sois musulman pratiquant. Malgré ma croyance, je continue à faire des choses dont j’ai conscience que je ne devrais pas faire selon la religion.» JC: «Il y a une interlude dans la chanson: «Vous voulez que je prie cinq fois par jour mais ça ne me laisse pas le temps de faire la fête». C’est un bon résumé!» LD: «Que faites-vous de l’idée selon laquelle le rap ou l’art en général doit émaner d’une situation de conflit, d’une lutte?» JC: «C’est une très bonne question! Je ne pense pas que ce soit nécessaire mais le rap est une forme de récit et toutes les bonnes histoires ont besoin d’une sorte de conflit pour que ce soit intéressant. Tu pourrais faire une chanson du genre «Voici ma journée tralali tralala», mais bon… (rires). Je pense que ça mène à de plus grandes questions: avons-nous besoin du malheur pour trouver le bonheur, est ce que Dieu peut exister sans le diable? Les deux existent simultanément! Peut-on sentir l’un sans sentir l’autre. Au fond, la lutte reflétée dans la musique est celle de la condition humaine. x

Propos recueillis par

dior sow et Chloé mour Le Délit

le délit · mardi 7 février 2017 · delitfrancais.com


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