Edition 4 octobre 2016

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Publié par la société des publications du Daily, une association étudiante de l’Université McGill

Mardi 4 octobre | Volume 106 Numéro 4

Le Délit te détrump depuis 1977


Volume 106 Numéro 4

Éditorial

Le seul journal francophone de l’Université McGill

rec@delitfrancais.com

Emma Watson et les beaux jours du «militantisme spectacle» Ikram Mecheri et ronny al-nosir

Le Délit

C

ette semaine, au sein du Parlement canadien, on pouvait croiser Emma Watson déambulant dans les allées entre deux réunions avec le gratin de la politique canadienne, dont le premier ministre lui-même. Si la visite d’Emma Watson au Canada se fait dans le cadre de son implication au sein des Nations unies pour la campagne #HeForShe (Lui pour elle, ndlr), son implication féministe, elle, est encore contestée par plusieurs voix. À l’image de Watson, de nombreux artistes utilisent leur influence pour mobiliser la population aux enjeux sociétaux. On peut penser à Beyoncé et sa performance dédiée au mouvement Black Lives Matter au Super Bowl, à Leonardo DiCaprio et son engagement pour lutter contre le réchauffement climatique ou même à Angelina Jolie et ses nombreuses visites dans des camps de réfugiés. Pour revenir à Emma Watson, nul ne peut nier la portée de son message. Après tout, de par sa célébrité, et son statut d’icône pour les jeunes femmes de sa génération, elle est certainement une excellente figure de proue pour cette cause. Cependant, nous sommes en droit de nous demander s’il s’agit d’un militantisme légitime, ou alors de «militantisme spectacle»? L’illusion du militantisme Le militantisme spectacle, est une forme d’engagement politique ou social portée par une personnalité célèbre, sou-

vent largement relayée par les médias à coups de hashtags. Lorsque des célébrités comme Watson effectuent des visites comme celle au Canada, on voit aussi le côté bonbon du militantisme, celui des selfies et des paparazzis. Les causes ne sont embrassées qu’en apparence, pour coller aux personnages qui y sont associés. Tout n’est qu’une question d’image, la cause est souvent secondaire. Watson a affirmé que, lorsqu’elle a débuté les travaux de sa campagne #HeForShe, une boîte de pandore s’est ouverte, l’exposant à la critique et aux menaces. Nul ne doute des bonnes intentions de Watson. Après tout, elle jouit déjà d’une notoriété inouïe, et n’a pas besoin de cette cause pour faire partie de la zeitgeist populaire. Le problème, malgré tout, c’est que les gens comme Watson donnent une image du féminisme qui n’est pas authentique. Après les Angelina Jolie et les Jennifer Lawrence, voici encore une fois une autre célébrité qui nous en parle. Le triste aspect de la chose étant que, pour que les hommes, et plusieurs autres, y portent attention, la présence d’une belle jeune femme est nécessaire. C’est par admiration pour le personnage que représente Watson et autres que certains tweetent #HeForShe, prennent des photos, et partagent des vidéos sur YouTube. Cependant, parmi ces individus, combien agiront? Combien iront s’impliquer dans leurs communautés? Ou plus simplement encore, combien d’entre eux comprennent réellement ce que veut dire le féminisme. Ce qu’on leur présente, c’est une campagne de marketing, une illusion du militantisme. Et après

cette campagne, il y en aura une autre. Et puis après celle-là une nouvelle autre, au rythme des tendances et des hashtags. Le revers de ce militantisme spectacle est que ces célébrités deviennent le centre de l’attention, au détriment de la cause défendue. Ainsi, si Watson tente de faire avancer la cause des femmes, les militants locaux se retrouvent alors dépendants d’elle, voire effacés. En effet, les initiatives au niveau des collectivités ne recevront pas la couverture médiatique dont jouit Watson. Ainsi, sans l’attention d’une célébrité tel que Watson de nombreux mouvements, dont la cause féministe, sont ignorés. Plus encore, la figure «sage», consensuelle et polie de Watson contraste de façon violente avec celle des militants. Ainsi, dans le cas de la cause féministe, de nombreuses critiques accusent les militants d’agressivité ou d’hystérie. Le terme feminazi vient à l’esprit, utilisé de façon péjorative par certains qui perçoivent que certains féministes prônent non pas l’égalité homme-femme, mais plutôt une position supérieure pour le genre féminin par rapport aux hommes. Il est regrettable que féminisme et bon sens ne soient toujours pas des synonymes. C’est ce qu’il faudrait viser, en toute logique. Si c’est l’objectif que les célébrités comme Emma Watson tentent de remplir en prononçant des discours et en prenant des photos avec les Justin Trudeau de ce monde, ce n’est pas nécessairement l’effet obtenu. On tente de trouver de nouvelles façons de brander le féminisme plutôt que d’engager un dialogue. x

«Le militantisme spectacle, est une forme d’engagement politique ou social portée par une personnalité célèbre, souvent largement relayée par les médias à coups de hashtags»

rédaction 3480 rue McTavish, bureau B•24 Montréal (Québec) H3A 1X9 Téléphone : +1 514 398-6784 Télécopieur : +1 514 398-8318 Rédactrice en chef rec@delitfrancais.com Ikram Mecheri Actualités actualites@delitfrancais.com Chloé Mour Louis-Philippe Trozzo Théophile Vareille Culture articlesculture@delitfrancais.com Dior Sow Hortense Chauvin Société societe@delitfrancais.com Hannah Raffin Innovations innovations@delitfrancais.com Ronny Al-Nosir Coordonnateur de la production production@delitfrancais.com Yves Boju Coordonnateurs visuel visuel@delitfrancais.com Mahaut Engérant Vittorio Pessin Coordonnateurs de la correction correction@delitfrancais.com Madeleine Courbariaux Nouédyn Baspin Coordonnatrice réseaux sociaux reso@delitfrancais.com Louise Kronenberger Multimédias multimedias@delitfrancais.com Magdalena Morales Événements evenements@delitfrancais.com Lara Benattar Webmestre web@delitfrancais.com Mathieu Ménard Contributeurs Marguerite Ansellem, Léandre Barôme, Mathilde Chaize, Anna Dang, Sofia Enault, Luce Engérant, Prune Engérant, Charles Gauthier-Ouellette, Éléa Larribe, Alexandre Le Coz, Mahée Merica, Éléonore Nouel, Lisa Phuong Nguyen, Murat Polat, Louisane Raisonnier, Vivian Rey, Baptiste Rinner, Amélie Rols, Jacques Simon, Magali Vennin Couverture Mahaut Engérant, Vittorio Pessin et Mathilde Chaize bureau publicitaire 3480 rue McTavish, bureau B•26 Montréal (Québec) H3A 1X9 Téléphone : +1 514 398-6790 Télécopieur : +1 514 398-8318 ads@dailypublications.org Publicité et direction générale Boris Shedov Représentante en ventes Letty Matteo Photocomposition Mathieu Ménard, Lauriane Giroux, Geneviève Robert The McGill Daily coordinating@mcgilldaily.com Sonia Ionescu

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Les opinions de nos contributeurs ne reflètent pas nécessairement celles de l’équipe de la rédaction.

L’usage du masculin dans les pages du Délit vise à alléger le texte et ne se veut nullement discriminatoire. Le Délit (ISSN 1192-4609) est publié la plupart des mardis par la Société des publications du Daily (SPD). Il encourage la reproduction de ses articles originaux à condition d’en mentionner la source (sauf dans le cas d’articles et d’illustrations dont les droits avant été auparavent réservés, incluant les articles de la CUP). L’équipe du Délit n’endosse pas nécessairement les produits dont la publicité paraît dans ce journal. Imprimé sur du papier recyclé format tabloïde par Imprimeries Transcontinental Transmag, Anjou (Québec).

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Actualités actualites@delitfrancais.com

opinion

Consentement, parlons-en L’éducation au consentement sera toujours nécessaire. éléonore nouel

Le Délit

A

cclamées par certains, décriées par d’autres, les initiatives prises par McGill au sujet de l’enseignement du consentement font débat. Étant très proche d’une survivante et en ayant longuement parlé avec elle, j’ai souhaité partager mon opinion. Mieux vaut tard que jamais L’éducation au consentement est nécessaire. Bien qu’idéalement il faille qu’elle commence dès le plus jeune âge, avec notamment une plus grande emphase sur la notion de respect de l’espace d’autrui (qu’il soit physique ou mental), être confronté à des campagnes éducatives telles que celle mise en place par McGill — et de plus en plus d’universités dans le monde — est crucial. Si de telles mesures ne feront malheureusement pas disparaître la plupart des viols et agressions (car oui, dans la majeure partie des cas, les violeurs savent qu’ils sont en train de violer), je crois sincèrement que cette initiation tardive peut avoir des effets très positifs, particulièrement dans le cas d’universités aux populations internationales comme McGill. En effet, de nombreuses cultures font de l’éducation sexuelle un véritable tabou, en particulier lorsqu’il s’agit de plaisir et non juste de reproduction. Je me suis d’ailleurs aperçue, par exemple, que je n’avais jamais appris à quoi ressemblait un clitoris avant cet été!

Dans le rouge ou dans le vert L’introduction à la notion de consentement à l’arrivée en première année d’université est crucialement importante parce qu’elle permet de mettre tous les nouveaux arrivants sur la même page quant à ce qui est acceptable ou non. Donnons un exemple simple: pendant mon échange en Argentine, j’ai fait l’expérience d’une culture et rapports sociaux radicalement différents où il était tout à fait acceptable d’attraper (littéralement) une personne par laquelle on était attiré en soirée. Je me suis donc retrouvée à devoir systématiquement repousser, dans le sens physique du terme, des individus, et à finalement me déplacer en permanence entourée d’amis de sexe masculin lors de mes sorties pour pouvoir danser en paix (et encore). Ce qui était une expérience tout à fait désagréable pour moi semblait naturel à d’autres. Ce que révèle cet exemple est que chaque culture ou communauté a sa propre notion du consentement et du respect, ou tout simplement

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de limite. Un nouvel étudiant arrivant à McGill et ayant été potentiellement habitué au genre d’expérience que je viens de décrire (ce n’est bien sûr pas le cas pour tous — il ne s’agit pas ici d’essentialiser ou de généraliser) n’aurait pas intérêt à reproduire le même genre de comportement à Montréal. Il pourrait l’apprendre de manière claire et précise via une sensibilisation à la notion de consentement, ou finir par le comprendre plus ou moins après s’être pris une série de gifles, par exemple. Il est évident que je ne cherche pas à diviser ou généraliser. L’éducation au consentement a pour but d’identifier et cibler les différentes manifestations du patriarcat et de la culture du viol — qui varient selon les contextes sociaux et culturels — au niveau local.

«Un point crucial est que l’initiation au consentement permet simplement d’apprendre qu’il est tout à fait acceptable de dire non» Cet enseignement permet de fixer certaines limites, ou du moins de les rendre visibles à ceux qui n’en auraient pas encore pris conscience. En cela, elle permet d’éviter de nombreuses situations inconfortables, et probablement un certain nombre d’agressions et de formes d’harcèlement. C’est ici qu’intervient la notion de «zone rouge» (les trois premiers mois à l’université, durant lesquels se déroulent un grand nombre d’agressions sexuelles et d’abus). Elle est due en grande partie, à mon sens, à la désorientation de nombreux nouveaux étudiants (quel que soit leur sexe ou genre) qui — en plus d’essayer de se repérer dans un nouvel environnement souvent radicalement différent de celui auquel ils/elles sont habitué(es) — font face à un mélange de pression des pairs, d’envie de s’intégrer, de compétition à de nombreux niveaux, parfois une première exposition/premier accès à l’alcool, mais aussi et surtout, aux relations sexuelles et la sexualité en général. En effet, de nombreux étudiants arrivent à l’université en n’ayant jamais eu de rapports sexuels. Un point crucial est que l’initiation au consentement permet simplement d’apprendre qu’il est tout à fait acceptable de dire non. Attention à ne pas tout mélanger Une chose importante cependant, est que l’enseignement du consentement vise en principe à réduire le nombre d’agressions et situations inconfortables en apprenant à reconnaître sa présence (ou absence). Elle vise l’amont, et non l’aval, c’est à dire qu’elle n’est pas sensée être dirigée vers les survivants. En cela, la campagne #ConsentementMcGill peut porter à confusion. Si cette campagne et les activités qu’elle propose au sein de l’Université me semble cruciales et un bon début, il est cependant vital de faire plus, et vite, pour les survivants. Mais il me semble contreproductif et démesuré de dire que l’éducation au consentement promeut la culture du viol et du silence. x

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Appel de candidatures App Les membres de la Société des publications du Daily (SPD), éditeur du McGill Daily et du Délit, sont cordialement invités à son ASSEMBLÉE GÉNÉRALE ANNUELLE :

Le mercredi 26 octobre à 17 h 30

Pavillon de l’AÉUM, salle Madeleine Parent (202) La présence des candidat(e)s au conseil d’administration est fortement encouragée.

La SPD recueille présentement des candidatures pour son conseil d’administration. Les candidats doivent être étudiant(e)s à McGill, inscrit(e)s aux sessions d’automne 2016 et d’hiver 2017 et apte à siéger au conseil jusqu’au 31 octobre 2017. Les postes de représentant(e) communautaire et représentant(e) professionel(le) sont également ouverts au non-étudiants. Les membres du conseil se rencontrent au moins une fois par mois pour discuter de la gestion des journaux et prendre des décisions administratives importantes. Pour faire application, visitez : dailypublications.org/how-to-apply/?l=fr

actualités

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campus

La lutte continue Plus qu’un combat pour l’environnement, l’affaire d’une jeune activiste. Terre, de se baigner dans leurs lacs, de pêcher ou chasser du gibier à cause des risques de radiation dans leurs viandes.

Lisa Phuong Nguyen La semaine dernière a eu lieu sur le campus de McGill la Semaine contre les énergies fossiles (Fossil Free Week, ndlr) présentée par la campagne Divest McGill (Désinvestissons McGill, ndlr) qui tente de faire désinvestir l’Université de ces énergies non-renouvelables. À l’auditorium du bâtiment Frank Dawson, les groupes Divest Mcgill, Climate Justice Montreal et l’Économie pour l’anthropocène ont co-présenté mardi dernier la discussion Defending the defenders (défendre les défenseurs, ndlr) pour soutenir la cause de Vanessa Gray. Cette jeune activiste, issue de la première nation Aamjiwnaang, risque 25 années d’emprisonnement pour avoir bloqué, en décembre 2015, l’oléoduc 9 de la compagnie d’Enbridge à Sarnia, en Ontario. Cet oléoduc — qui transporte le pétrole issu des sables bitumineux de l’Alberta — passe sur la réserve de la communauté de Vanessa Gray. Cette région est aussi surnommée la vallée de la chimie (Chemical Valley, ndlr),

Racisme environnemental

car c’est là qu’est fabriquée 40% de la production annuelle de pétrochimie du Canada. Cette forte concentration d’usines toxiques porte sur cette région d’immenses conséquences. En effet, comme l’explique la sœur de l’activiste, Lindsay Gray, vivre dans ces alentours constitue un danger

pour les habitants qui sont largement frappés par des problèmes de santé reliés à l’intoxication. Plus encore, leur environnement est complètement pollué par les déchets des usines avoisinantes. Par exemple, il est impossible pour ce peuple autochtone, dont les mœurs sont si proches de la

Plus qu’un combat environnemental, celui que mènent les sœurs Gray et leur communauté est aussi une lutte sociale. Le terme «racisme environnemental» fait référence aux inégalités environnementales que subissent certains groupes aux profits d’autres. En effet, les industries ont tendance à s’installer et donc à rejeter leurs déchets toxiques dans les environs des terres occupées par une minorité raciale. Ces minorités font rarement le poids contre ces compagnies et leurs combats visent à faire promouvoir leurs droits fondamentaux. Il est intéressant de se rappeler que le Committee to Advise on Matters of Social Responsibility, CAMSR (Comité de conseil en matière de responsabilité sociale, ndlr), a refusé au printemps dernier la proposition du désinvestissement en utilisant comme argument que le réchauffement

climatique ne causerait pas de préjudice social. Or, ce que subissent les communautés vivant aux environs de ces usines témoigne du contraire. C’est une preuve qu’investir dans ces énergies cause un réel dommage à l’environnement et à la société. Désobéissance civile Normand Beaudet, un activiste présent à la discussion, a mentionné que la poursuite d’actions directes, comme celle initiée par Vanessa, est essentielle à la lutte contre les grandes compagnies. Notamment parce que les maires des villes concernées n’ont souvent pas de pouvoir contre ces industries et donc, pour faire comprendre le mécontentement des citoyens, il est nécessaire de sortir du cadre légal et d’agir directement pour espérer faire avancer une cause. Après cette semaine de sensibilisation sur la cause environnementale, la lutte pour le désinvestissement hors des énergies fossiles de l’établissement continuera jusqu’à ce que l’administration accepte d’investir dans des énergies plus propres. x

Dénoncer le changement climatique Un événement qui allie engagement politique et rap, incongru? Concordia l’a fait! éléa Larribe

Divertissement et argumentation

ercredi soir, 20h00. Des centaines d’étudiants quittent Concordia, mais un groupe d’irréductibles guerriers reste sur les lieux. En effet, dans le Reggies Bar (le Gerts local), une petite foule hétéroclite se rassemble. On y voit aussi bien des chemises que des sweats, et plusieurs casquettes à l’envers donnent un avant-goût de l’événement à venir. Une heure plus tard, les lieux étant bien remplis, commence alors cette «rap battle pour la justice climatique», qui a lieu pour la quatrième année consécutive. Dès le début, Meryem Saci, une des organisatrices, met les choses au clair: si on a l’habitude d’associer le rap à des paroles sexistes, discriminatoires ou insultes en tout genre, ici, ce sera un «safe space» (espace sécuritaire, ndlr). Le seul sujet à aborder, et dans le respect de tout un chacun, c’est le débat autour du changement climatique.

Avant même la première chanson, un jeune homme bien coiffé et à la cravate ajustée me donne un (faux) billet de 100 dollars à son effigie. «Je compte sur toi pour me soutenir pendant la bataille», me déclare-t-il. Il fait un petit tour parmi les invités en distribuant les mêmes billets. Je comprends mieux quand il s’installe sur scène. Il représente le lobby pour pétrolier — aux côtés de son ami, le représentant du lobby des banques — et a peu de succès face au représentant des activistes pour l’environnement. La rap battle commence, les mots s’enchaînent. Leur flow époustouflant ne permet pas de comprendre toutes les phrases, mais se dessinent rapidement, entre quelques blagues et une véritable mise en scène comique, de véritables arguments. Un chanteur nous rappelle la manière la plus directe d’agir: changer notre manière de consommer: «Acheter, c’est voter». Car les chansons suivantes, qui mélangent anglais, français,

M

4 actualités

et même portugais, nous invitent toutes à réfléchir sur la situation actuelle. «Nous savons que vous êtes venus avec un certain état d’esprit, mais soyez objectifs et écoutez les arguments», nous propose avec enthousiasme l’animatrice de la soirée.

McGill fait même quelques brèves apparitions, avec le groupe Divest McGill , qui rappe et rappelle à notre université que tant qu’elle conservera ses investissements dans l’industrie fossile, «nous brûlerons nos diplômes».

Dior sow

Justice climatique sous tensions Mais derrière ce concert où l’ambiance est au rendez-vous, l’organisateur principal, Dan Parker, nous rappelle qu’il s’agit de faire prendre conscience de la gravité de la situation environnementale, notamment au Canada, où il juge que les communautés autochtones sont directement menacées. Il invite le public à faire des dons, et une heure et demi plus tard, plus de 600 dollars étaient récoltés. Vanessa Gray, une activiste des Premières Nations, déjà intervenante dans une conférence pour Divest Week, témoigne; estimant subir les conséquences d’un système raciste, néocolonialiste et injuste: sa communauté vit près de la vallée de la chimie (voir l’article ci-dessus), mettant en danger la santé de ses habitants. Le défi est gagné: celui de mobiliser les jeunes autour de la lutte pour la justice climatique et la défense des minorités. x

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Campus

Les jeunes comme facteur électoral

Un effort concerté pour encourager la participation électorale américaine. Ronny Al-Nosir

Le Délit

L’

élection du 8 novembre prochain, qui conduira soit Donald Trump ou Hillary Clinton à la présidence des ÉtatsUnis, ne laisse personne indifférent. Étant une université attrayante pour plusieurs étudiants internationaux, McGill compte évidemment une large population de citoyens américains. Le scrutin aura lieu au cours du semestre d’automne. Malgré la distance, les expatriés ont tout de même la possibilité d’exercer leur droit de vote et de choisir le ou la prochain(e) chef(fe) de l’exécutif de leur pays. Cependant, pour pouvoir bénéficier de ce droit, il faut s’assurer de s’inscrire. Initiative étudiante à McGill La semaine dernière, un effort de mobilisation des électeurs américains se tenait sur le campus de l’Université. En effet, il semblerait qu’un groupe d’étudiants ait décidé de faciliter la tâche à leurs pairs en envoyant leur inscription pour eux par la poste afin qu’ils puissent exer-

cer leur droit de vote. Alors que la fatidique date du scrutin, le 8 novembre, approche à grands pas, une réelle tentative de créer un engouement sur le campus s’organise. Les inscriptions se sont faites au Bar des Arts (BdA) jeudi soir, et de 10h à 18h le vendredi dans la bibliothèque McLennan. C’est par un évènement Facebook que les organisateurs ont convié les étudiants ayant le droit de voter à cette élection à venir s’inscrire. Avec une photo du président Obama portant des lunettes de soleil, et la citation «Don’t boo, vote» («Ne huez pas, votez», ndlr), on incitait les jeunes mcgillois détenant le droit de vote à s’exprimer pour l’un ou l’autre des candidats, et même à

annuler leur vote si tel est leur désir. Pour achever le processus, il suffisait de donner son numéro d’assurance sociale américain ou alors présenter son permis de conduire. Pour ceux qui étaient déjà inscrits, il était possible de recevoir un bulletin de vote sur place. Assez pratique. L’une des organisatrices de l’événement, Mai Rosner, explique que cette initiative était nonpartisane. Selon elle, plusieurs expatriés ne pensent pas à s’inscrire, et perdent ainsi leur droit de vote. Ainsi, elle et quelques amis ont décidé d’organiser l’inscription des étudiants et l’envoyer à l’ambassade américaine gratuitement. Si Mai n’a pas voulu se prononcer pour un candidat en particulier, elle a affirmé que

l’enjeu de cette élection-ci est particulièrement élevé.

Les jeunes tirent davantage leur épingle du jeu

Une motivation supplémentaire

La participation citoyenne chez les jeunes est un enjeu important. Si les élections de l’AÉUM et la dernière élection provinciale ont affiché des niveaux pitoyables de participation des 18 à 25 ans, certaines élections sont des cas uniques dans lesquels les jeunes se mobilisent massivement. Parmi les exemples les plus connus, il y a l’élection québécoise de 2012, lorsque les jeunes électeurs, frustrés par le conflit sur la hausse des frais de scolarité, se sont mobilisés en masse pour sortir le gouvernement libéral de Jean Charest. Et que dire de l’élection fédérale canadienne de 2015, qui a porté Justin Trudeau au pouvoir? Les jeunes ont encore une fois été un facteur décisif... Fort est à parier que, le 8 novembre prochain, la participation des jeunes, qu’elle soit faible ou forte, aura un impact considérable sur le résultat, alors que pour la première fois ils seront plus nombreux à pouvoir voter que la génération des «baby boomers». x

D’autres personnes interrogées ont implicitement ou explicitement fait référence au phénomène Trump. En effet, on pouvait sentir que l’envie d’empêcher l’élection de Trump motivait les étudiants. Si plusieurs d’entre eux se prononçaient ouvertement en opposition à Trump, d’autres, comme Omar El-Sharawy, interrogé au BdA, ont évité de nommer des noms. M. El-Sharawy, qui était l’an passé v.-p. interne de l’AÉUM, a affirmé que le progrès social et culturel pourrais être stoppé par un individu qui nourrit la haine et l’antipathie. Il a aussi mis l’accent sur l’effet mondial qu’aurait le résultat de cette élection. Sans nommer le candidat, il est clair que M. ElSharawy, comme plusieurs de ses pairs, réalise l’importance d’exercer son droit de vote.

Conférence

Une identité nationale à assumer Il ne faut pas laisser le concept de multiculturalisme culpabiliser l’Occident. Lou Raisonnier

M

ardi 27 septembre a eu lieu une discussion sur le multiculturalisme à la librairie Olivieri. Le célèbre intellectuel québécois Mathieu BockCôté y a présenté son nouveau livre «Le multiculturalisme comme religion politique» afin de mettre en perspective et revenir sur l’origine de ce «discours dominant» dans les sociétés occidentales. Un portrait du personnage Mathieu Bock-Côté — ou MBC — est l’un des penseurs souverainistes les plus en vue du Québec. Intransigeant, il ne laisse indifférent ni péquistes ni libéraux. Chroniqueur au Journal de Montréal, ses commentaires de la vie politique québécoise suscitent souvent de vives réactions de tous bords de l’échiquier, jusqu’à parfois s’attirer des noms d’oiseau. Le multiculturalisme serait désormais l’un des piliers fondamentaux de la démocratie, et le seul modèle promouvant modernité et diversité. Se posent alors plusieurs questions: Comment en sommes-nous arrivés là? Comment sociologues, polito-

logues et intellectuels sont-ils parvenus à imposer à la France et aux autres nations d’Occident la notion de «singularité» (ou d’individualisme), en dépit d’une «identité commune»? Pour revenir aux fondements de ce concept, Mathieu Bock Côté propose de s’appuyer sur l’exemple de la France, pays pour lequel il éprouve une affection singulière, et fait ainsi part de son angoisse de voir le multiculturalisme détruire les identités nationales. Pour lui, la fameuse période de mai 1968 n’aurait marqué que le début d’une révolution inventée par la gauche. Constatant l’échec du marxisme, elle y aurait substitué «l’égalitarisme identitaire». En effet, le refus du prolétariat de mener la révolution a suscité une immense déception chez les intellectuels socialistes, qui ont alors cherché, au cours des années 1970, de nouveaux groupes porteurs de la pensée révolutionnaire: les minorités, principalement ethniques et religieuses. On passe alors de la diabolisation du capital à celle des normes anthropologiques; d’une volonté d’anéantir une «tyrannie bourgeoise» à celle de destruction d’idée totalitaire «d’homogénéité chronique».

le délit · mardi 4 octobre 2016 · delitfrancais.com

«On passe de l’ouvrier à l’exclu» Donc selon Bock-Côté, le multiculturalisme n’est autre qu’un autoritarisme qui ne dit pas

optionnelle en France, la culture québécoise ne devrait pas être optionnelle au Québec.» Il affirme que tout autre pays doit assumer son identité.

son nom et explique une grande partie des difficultés que nous avons à construire une communauté soudée et solidaire pouvant s’imaginer un avenir. À son avis, il n’est pas gênant de dire que la culture d’un pays ne devrait pas être optionnelle à ce même pays: «tout comme la culture française de ne devrait pas être

Pour remédier au communautarisme qu’engendrerait le multiculturalisme, l’auteur propose comme solution d’accueillir la diversité au lieu de vouloir l’assimiler à tout prix. De plus, l’éducation se doit de participer à cette solution en prônant la «déconstruction plutôt que la transmission».

Cependant, face à ce raisonnement, une grande question s’impose à nous selon MBC: après 50 ans de multiculturalisme, avons-nous vraiment une autre solution que de nous y résigner? La position du Québec par rapport au multiculturalisme est une bonne illustration de la relation entre les deux solitudes du Canada. Si le multiculturalisme est une politique officielle du Canada depuis 1971, et a même été ancrée dans la Chartes des droits et libertés de 1982, le Québec n’a jamais réellement adhéré à cette pensée. Plutôt, on croit à l’assimilation des nouveaux arrivants au sein de la culture francophone. Si l’on qualifie le Canada de mosaïque culturelle, MBC est d’avis, à l’instar de plusieurs, que le Québec est plutôt un melting pot de cultures, comme aux États-Unis. Cependant, comme en témoigne l’élection de deux gouvernements libéraux majoritaires au provincial et au fédéral, la vision souverainiste nationaliste du Québec, que défend MBC a déjà connu de meilleurs jours. On peut donc comprendre d’où vient le pessimisme de MBC. Malgré tout, détrompez-vous, la popularité du multiculturalisme abhorré par le sociologue ne fera que le motiver. Sa plume touchera l’encre pendant bien longtemps.x

actualités

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québec

Entre forum et parti politique

Gabriel Nadeau-Dubois lance son mouvement politique «Faut qu’on se parle». Dubois et sa bande souhaitent se faire inviter dans votre cuisine, afin de parler de politique «au sens large du mot». Parallèlement, le site internet du mouvement permet à chacun de répondre à sa manière à dix questions, posées chacune suite à l’exposé de trois «constats» particuliers. Les sujets abordés sont aussi importants qu’ils sont divers. Démocratie, économie, indépendance, éducation ou encore culture, le mouvement souhaite visiblement engager une discussion d’ensemble. Il ne s’agit donc pas d’un groupe spécialisé comme ceux que Gabriel Nadeau-Dubois a pu côtoyer lors des grèves étudiantes, mais d’un réel rassemblement qui vise à toucher à toutes les facettes de la société.

Jacques Simon

Le Délit

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eux qui ont participé aux grèves étudiantes de 2012 connaissent Gabriel Nadeau-Dubois. Militant de longue date, c’est à cette occasion qu’il s’était fait connaître du grand public, en tant que porte-parole de la Coalition large de l’association pour une solidarité syndicale étudiante (CLASSE). Il était alors devenu une des figures principales du mouvement, accordant des entrevues à gogo, participant à toutes les manifestations, et chantant les louanges de la «mobilisation concrète» comme seul moyen de faire bouger les choses. «Plus je fréquente le milieu de la politique partisane et plus ça me décourage de m’impliquer un jour» expliquait-il à La Presse en mars 2012. Ce n’est pourtant pas au piquet de grève qu’on le retrouve aujourd’hui. À la Maison du développement durable de Montréal, Nadeau-Dubois a réuni le 28 septembre la presse et des intéressés pour lancer le nouveau mouvement, «Faut qu’on se parle», auquel il est associé. Celui-ci regroupe des noms connus tel que l’urgentologue Alain Vadeboncoeur ou Jean-Martin Aussant, l’ancien chef d’Option nationale (un défunt

Oui mais…

parti québécois, indépendantiste et progressiste, ndlr). Une démarche participative La démarche prend racine dans une observation simple: le Québec peine à aller de l’avant et la population québécoise n’est que très peu consultée sur les enjeux qui comptent aujourd’hui. La politique tend à rester dans les sphères par-

tisanes, et à s’imposer toute-faite à la population dans un mouvement descendant. Pour remettre le peuple au centre du processus politique, il faut donc aller à sa rencontre, l’écouter, apprendre de lui. «Faut qu’on se parle» adopte donc deux angles d’attaque: d’une part l’organisation de grandes consultations publiques, où la participation du public est encouragée et facilitée grâce à une application. Par ailleurs, Nadeau-

Si on peut saluer une initiative qui vise à aller à la rencontre du peuple, on peut néanmoins s’interroger sur l’aboutissement de la démarche. En effet, pour l’instant, il semblerait que l’organisation va se retrouver avec une somme importante d’opinions, intéressantes certes, mais certainement divergentes, sans vraiment de méthode concrète pour former un tout cohérent. Quel est le but de cette recherche? Comprendre la tendance idéologique actuelle du Québec? Construire

une plate-forme? Convaincre les participants? D’ailleurs, s’il s’agit de convaincre, de quoi convaincrait-on? Bien que les membres aient tous un penchant plutôt progressiste et souverainiste, l’organisation n’a pas de tendance affichée. Or, les mouvements «ni de droite, ni de gauche» peuvent intéresser, mais peinent à formuler de réelles propositions. Sans socle idéologique, à partir de quoi peut-on construire un programme? Renaud Poirier St-Pierre, responsable des communications du mouvement, explique qu’ils se ne revendiquent d’aucune tendance idéologique. «Nous sommes ouverts à la discussion» explique-t-il. Ainsi, la première vocation de «Faut qu’on se parle» est de «dresser un bilan» en se confrontant aux réalités du terrain. Laissons-leur une chance Bien sûr, cela ne veut pas dire que quelque chose ne peut pas se construire par la suite. Cependant le contact avec le peuple ne peut pas être une fin en soi. Aujourd’hui, «Faut qu’on se parle» semble encore au stade embryonnaire et Poirier StPierre (le responsable des communications, ndlr) assure que la question de se présenter aux élections n’a pas été abordée par les organisateurs. On peut du coup questionner l’utilité de participer à ce mouvement. x

SaTiRE

La dynastie des entreprises transnationales Les accords de libre-échange s’amassent sur notre carcasse tels des hyènes. léandre barôme

Le Délit

L

a frustration monte parmi les peuples d’Europe et d’Amérique du Nord. Après la bien trop récente révélation des négociations qui aboutissent aujourd’hui aux accords de libre échange tels que le TAFTA (Transatlantic Free Trade agreement, ndlr), l’indignation se fait entendre par le biais de manifestations menées par des groupes altermondialistes, tels que Greenpeace en Allemagne. Le Conseil des Canadiens lui-même a dénoncé avec vigueur il y a quelques jours l’Accord économique et commercial global entre le Canada et l’Union européenne, AECG pour les intimes, et CETA (Comprehensive Economic and Trade Agreement, ndlr) dans la langue d’Adam Sandler. Quels sont ces accords, et pourquoi en parle-t-on de plus en plus? Colère justifiée, ou simple caprice de gens qui ne savent toujours pas ce qui est bon pour eux?

6 ACTUALITÉS

L’origine de la controverse Pour ceux qui ne sont pas à jour, petit historique de la polémique. Dès juillet 2015, certaines revues telles que Le Monde Diplomatique tirent la sonnette d’alarme pour nous avertir de ces traités négociés dans un secret relatif par les institutions européennes et les gouvernements d’Amérique du Nord, d’Océanie, parfois d’Asie. TAFTA, TPP, CETA, TISA, autant d’acronymes qui veulent tous dire plus ou moins la même chose: intensification du libre-échange entre les pays concernés. Le Canada l’est d’ailleurs dans la plupart des cas. Le but de ces accords est d’assurer plus de protection et de liberté aux grandes entreprises, qui en avaient clairement besoin. La prise de conscience de ces manigances, dignes d’un téléfilm de conspiration un peu nul, provoque des réactions chez la population, majoritairement négatives, de manière étonnante. Mais pourquoi tant de discrétion de la part de nos gouvernements? Et pour-

quoi la colère fait-elle suite à ces révélations? Ces accords sont-ils là pour faire joli, ou ont-ils un but concret? OMC vs. États: 1-0 Depuis 1995, l’Organisation mondiale du commerce (OMC) garantit le bon fonctionnement — et l’hégémonie — du libéralisme dans le monde. Voici quelques exemples des épatants services que cette noble institution a rendu à l’humanité. En 2013, les ÉtatsUnis sont condamnés pour avoir demandé que soit indiqué le pays d’origine sur les boites de thon, pour informer les consommateurs du kilomètre alimentaire. Cette même année, l’Union européenne doit verser plusieurs centaines de millions d’euros, pour avoir refusé l’import d’OGM par souci d’écologie, aux entreprises pénalisées. Toujours en 2013, les États-Unis sont aussi condamnés pour avoir voulu protéger la santé de leurs citoyens en refusant l’import de tabac saveur bonbon. L’OMC force les États à s’incliner devant les

transnationales au nom du libéralisme, et à leur verser des sommes astronomiques, juste pour la gêne occasionnée. Argent provenant des impôts des citoyens — rappelons-le — et qui auraient pu aller à l’éducation ou l’innovation. Le but de ces accords de libre-échange, outre la réduction des tarifs, est de faciliter le procédé de cet admirable système en permettant aux entreprises de poursuivre et d’anéantir aisément les gouvernements souhaitant limiter les imports pour survivre au capita-

lisme sauvage. Splendide... Merci les lobbys! Un gouvernement sourd aux indignations À peu près tout le monde s’accorde sur les effets néfastes de ces traités. Le Conseil des Canadiens a récemment déclaré que l’AECG, sur le point d’être ratifié, provoquera une baisse de la croissance, une baisse des salaires et de nombreuses pertes d’emplois dans les secteurs concernés au Canada. Les conséquences seront par ailleurs désastreuses sur l’environnement, ce qui rend l’ironie cruelle quand on sait que la ratification des accords de Paris est actuellement débattue au Parlement, tandis que nous passons cette semaine le seuil de non-retour dans la teneur en CO2 de l’atmosphère. La ministre du commerce international Chrystia Freeland a réitéré lundi sa détermination à signer ces accords, malgré les protestations générales. x

le délit · mardi 4 octobre 2016 · delitfrancais.com


conférence

Parler de ce qui est Une conférence déconstruit le mythe de «l’Indien». Le Délit

U

ne femme Mohawk se lève, et dit qu’elle connait une activité simulant le génocide culturel et social infligé à sa communauté. Au centre de la salle, elle place une liste de ce qui constitue une communauté: sa langue, sa solidarité, ses cérémonies, ses ressources. Autour, elle invite quatre personnes représentant les enfants de la communauté. Derrière chacun d’entre eux sont aussi invitées quatre femmes, leurs mères, et derrière encore, les mères des mères. Enfin, tout autour, les hommes. Alors, la femme Mohawk prend les feuilles, les déchire, renvoie les enfants: ils sont enlevés à la communauté, arrachés de notre cœur. À peine dénoyautés, elle invoque les maux que nous devront encore subir: les mères, les grands-mères, les hommes, sont enlevés, incarcérés. Enfin, elle invite au centre les personnes passées par l’orphelinat, par la prison, ou victimes d’enlèvement. Elles forment une ronde ouverte vers l’extérieur, nous nous serrons dans leur bras et leur murmurons, alors que nos

… d’un problème pressant

larmes s’entremêlent: «Bienvenue à la maison». Des racines profondes… Ce mardi 27 septembre, le collectif Missing Justice organisait au Centre de lutte contre l’oppression des genres une réunion ouverte sur le sujet des femmes autochtones assassinées et disparues. Deux femmes tenaient la réunion, une autochtone elle-même victime d’enlèvement à deux reprises à 16 et 20 ans et ayant perdu une amie ainsi, et une femme de couleur. Elles se sont alors lancées dans les différentes modalités de la dissimulation, la négation des histoires et le meurtre des populations autochtones (il en existe des centaines aux langues et cultures toutes aussi variées sur l’île de la Tortue, aussi appelée «Amérique du Nord»). Aux origines, la colonisation bien-sûr, mais surtout, la décision des colons, après avoir coopéré, guerroyé, et enfin s’être déclarés souverains, d’éliminer progressivement le contrôle des populations locales sur le territoire. Pour cela, le cloisonnement des

prune engérant

vivian rey

populations dans des réserves et sédentarisation forcée, violence épistémologique occidentale par l’imposition de schémas patriarcaux à des sociétés matriarcales et conversion religieuse. S’ensuit l’enlèvement des enfants dans les écoles résidentielles jusqu’en

1996, où les enfants sont arrachés à leur familles, empêchant ainsi la transmission culturelle, et grandissent dans un univers d’abus physiques et mentaux dont beaucoup ne sortent pas indemnes, si seulement vivants. Ainsi se déroule un véritable génocide culturel.

Tout cela, c’est du passé, n’estce pas? Les présentateurs secouent la tête, aujourd’hui les populations autochtones sont discriminées à l’embauche, surreprésentées dans les prisons et les orphelinats — victimes d’un racisme et d’une violence systémique, étatique et individuelle. 4% de la population vivant au Canada est autochtone, pourtant, 48% des enfants en orphelinat sont autochtones. Les rapports d’enlèvements de femmes autochtones, phénomène endémique et aux proportions mal évaluées par désintérêt de l’État canadien, ne sont toujours pas pris au sérieux par les corps de police, encore plus si la femme est une travailleuse du sexe. Il n’en est pas moins de leur place dans le monde des médias. S’ils en ont une, ce n’est jamais que des rôles mineurs, caricaturaux ou irrespectueux de leurs réalités. Soit torses nus, soit animaux, soit barbares, leurs rôles à Hollywood les cantonnent derrière une ligne délimitant un petit espace, un mot, pour mille fois sa complexité, l’Indien. x

Équipe Canada championne

Le Canada est au sommet de la planète hockey et semble maintenant indétrônable. louis-philippe trozzo

Le Délit

A

près avoir décroché la médaille d’or aux Jeux Olympiques de Vancouver en 2010 ainsi qu’aux Jeux de Sotchi en 2014, Équipe Canada a confirmé sa suprématie en survolant aisément la Coupe du monde de hockey. Après avoir balayé sans grande surprise les autres équipes du tournoi, Équipe Canada s’est imposée en grande finale contre une équipe européenne qui, malgré des pronostics pessimistes, croyait en ses chances de réaliser l’impossible: mettre fin au règne canadien. David passé très près de vaincre Goliath en finale Avant le début de la coupe, tous les analystes s’entendaient pour dire qu’Équipe Europe, formée de talentueux joueurs européens dont l’équipe nationale n’avait pu se qualifier, faisait figure de négligée. Elle a donc causé la surprise en s’immis-

çant en grande finale du tournoi. Le défi était cependant de taille face à une équipe canadienne au sommet de son art. Il s’en sera fallu de peu pour que David vienne à bout de Goliath. Équipe Europe est parvenue à blanchir Équipe Canada pendant près de 57 minutes, elle qui n’avait tiré de l’arrière que 2 minutes et 41 secondes au cours du tournoi. Alors que la victoire semblait promise aux européens, l’improbable se produisit. Avec seulement 3 minutes à faire au match, les canadiens ont créé l’égalité, avant d’inscrire le but de la victoire 129 secondes plus tard, et ce, rien de moins qu’en désavantage numérique! Quel dénouement dramatique pour l’équipe européenne qui, avouons-le, avait connu tout un match.

le délit · mardi 4 octobre 2016 · delitfrancais.com

Carey Price invincible? Cette victoire porte donc la séquence d’invincibilité du portier des Canadiens de Montréal à seize. D’ailleurs, depuis qu’il a été repêché par Montréal en 2005, Carey Price n’a jamais connu la défaite lorsqu’il endosse le maillot canadien (16-0-0). Voilà de quoi rassurer les partisans des

Canadiens qui espéraient retrouver un Carey intraitable et flamboyant, comme il avait l’habitude de jouer avant qu’une blessure ne le garde sur la touche pendant la majeure partie de la dernière campagne. McGill à l’honneur Vous serez peut-être surpris d’apprendre que l’entraineur-chef qui a mené Équipe Canada aux grands honneurs est un ancien élève de notre université adorée. Voilà donc une bonne raison de se réjouir des récents exploits de l’équipe canadienne. Mike Babcock est d’ailleurs loin d’être étranger au succès, lui qui est devenu le premier et pour l’instant seul entraineur-chef de l’histoire à rejoindre le prestigieux club «Triple Or», un regroupement de joueurs ayant

remporté à la fois les Jeux olympiques, le championnat du monde et la Coupe Stanley, soit les trois plus importantes compétitions de hockey sur glace au monde. Étudiant en éducation physique entre 1983 et 1987, Mike Babcock a connu tout autant de succès dans les rangs des Redmen de McGill. L’ex-capitaine des hommes rouges évoluait alors au poste de défenseur. Lors de son passage à McGill, il a récolté 22 buts et 85 assistances pour un total de 107 points, lui valant au moment de sa graduation le deuxième rang de l’histoire de McGill chez les défenseurs. Vu ses exploits à la barre d’Équipe Canada et des Red Wings de Détroit, son nom est devenu synonyme d’excellence à l’Université McGill, qui lui a d’ailleurs décerné un doctorat honorifique en droit en 2013. De toute évidence, que ce soit avec les Redmen ou Équipe Canada, Mike Babcok a été et demeure une source de fierté pour les mcgillois. x

actualités

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Société

enquête

societe@delitfrancais.com

Qui vote Donald?

Une diversité d’électeurs pour un candidat singulier. magali vennin

«T

rump Président»: Ce qui résonnait autrefois, raisonnerait-il maintenant? Inclassable, imprévisible, inquiétante: ce ne sont là que quelques-uns des termes que l’on pourrait utiliser pour décrire la candidature de Donald Trump à la présidence américaine. Cette figure ambivalente — que l’on déteste admirer — fait sourire, peur, ou encore pleurer. Il surprend quotidiennement un public rétif à la politique ou bien, au contraire, un public pour qui la politique est centrale. Dérapages, insultes et simplifications détrônent toute argumentation crédible — logique menant à une course à la présidence rythmée de querelles sur des courriels manquants, sur des lieux de naissance ou encore sur des histoires de reines de beauté. Le personnage, dont les reniflements, les cris et les divagations deviennent marques de commerce, s’enthousiasme sur les glissements de terrains passés, sur des failles médicales de la candidate adversaire, tout en scandant «she’s guilty as hell». Son utilisation d’un vocabulaire familier et simple amplifie les interrogations multiples concernant sa crédibilité: comment est-ce qu’un homme, avec une personnalité aussi surprenante a-t-elle pu connaître une telle ascension politique? Finalement, quel genre d’individu a l’intention de donner son vote à Trump?

naturel et inaliénable antérieur à la Constitution et assuré par le 2e amendement», un «droit donné par Dieu à l’autodéfense». Cette mesure attire deux électorats distincts: un électorat religieux que la comparaison divine interpelle et un électorat diversifié prônant la possession d’armes et qui représente environ 31% de la

Néanmoins, l’homme reconnaît qu’«évidemment, il y a des choses que j’aurais préféré qu’il ne dise pas», montrant un regret vis à vis de quelques-uns de ses discours. Dan Bell symbolise ainsi l’électorat de Trump: une volonté de métamorphose sociétale couplée à des remords quant aux décalages du candidat.

le rêve américain, et pour qui la construction du mur représenterait un filet sécuritaire. Par exemple, à Tucson en Arizona, ville américaine à seulement 300 kilomètres de la frontière mexicaine, les partisans de Trump sont sortis du Palais des congrès telle une rivière rouge, blanche et bleue, le long des rives hostiles faites de manifestants.

Des électeurs trahis par le rêve américain et l’establishment

Lorsque Georges Saunders, du magazine The New Yorker, demande à un des partisans américanomexicains ce qui le pousse à voter Trump, il répond: «Qu’est-ce que je fais? Je soutiens un homme qui va nettoyer le Mexique, construire un mur et réparer l’économie». Une analyse du Pew Research Center, un think tank américain, montre que

Un électorat souhaitant un renversement politique profond Si le candidat sort de la norme avec un programme politique radical, c’est précisément ce qui caresse un électorat assoiffé de changement: le candidat incarne un goût du renouvellement, une envie d’aventure. Parmi toutes ses mesures, la plus commentée et critiquée reste la construction d’un mur entre le Mexique et les ÉtatsUnis «pour protéger tous nos ports d’entrée» détaille le programme. Ainsi, «le mur à la frontière doit couvrir l’intégralité de la frontière sud et doit suffire à stopper le trafic des véhicules et des piétons». L’Histoire nous a montré que la construction de murs n’a jamais été synonyme de paix — le mur de Berlin a cristallisé le monde pendant près de 30 ans et le mur séparant l’Israël de la Palestine est plus que jamais source de conflits. Le droit de posséder et de porter une arme est une autre de ses mesures phares: la convention républicaine l’affirme, c’est un «droit

8 sOCIÉTÉ

mahaut engérant

population. Tutoyant l’absence de politiquement correct, Trump est l’image de la désinvolture même. Loin des poses alambiquées de ses voisins, il reste simple, populiste, flattant ainsi un public dont le seul désir est le changement. Dan Bell, un éleveur de bovins de l’Arizona, met en lumière le dualisme de Trump. Ce propriétaire de ranch stéréotypique — forte carrure, yeux bleus, chapeau de cow-boy et franc — voit souvent sa propriété piétinée par des migrants illégaux et des trafiquants de drogue. Pour lui, M. Trump représenterait un retournement à la fois politique, économique et social nécessaire.

Sa réussite est antinomique à l’establishment qu’incarne son adversaire principale Hillary Clinton — une politicienne de longue date attachée à l’ordre établi et à ses privilèges. Cette réussite est tout à fait alignée avec ceux se sentant trahis ou abandonnés par le rêve américain. Donald semble personnifier l’«outsider» relativement à l’ensemble des autres personnalités politiques. Paradoxalement, sa mesure phare a pour effet indirect d’attirer un nombre conséquent de Mexicains, qui n’ont pas atteint

le solde migratoire mexicain vers les États-Unis est négatif depuis la crise de 2009. Entre 2009 et 2014, 870 000 Mexicains sont entrés aux Etats-Unis. Mais dans le même temps, un million sont retournés au Mexique. Le rêve américain perd manifestement de son attrait, et la crise économique n’y est pas pour rien. Trump semble donc représenter le rêve américain, promettant l’éventualité d’une ascension sociale. Le cœur à s’ébaudir devant l’ode aux États-Unis énoncée dans son slogan «Make America Great Again», le candidat promet une rupture, un futur à tous ceux auxquels l’establishment leur reste en travers de la gorge, à tous ceux chez qui la peur de la mondialisation engendre un repli sur soi, une volonté isolationniste forte. Autre électorat potentiel? La classe moyenne, venant de la tradition conservatrice, mais ne s’inscrivant pas dans une lignée traditionnelle du conservatisme. Il est moins patient: quelque chose le dérange et il en veut son arrêt immédiat, mettant tout moyen à l’œuvre. Il semble plus endoctriné par la télé-réalité et Fox News que par Goldwater et Reagan. Sa compréhension de l’histoire récente est sélective; il est moins ancré religieusement et tolère les excès racistes et misogynes de Trump, renonçant aux subtilités. Ainsi, l’élection américaine laisse le monde dans l’appréhension, dans le suspense, voire dans l’inquiétude. Comment savoir qui remportera l’élection? Si comme le montre The New-York Times Clinton a 613 façons — combinaisons des résultats fédéraux — de gagner la présidentielle, il n’en est pas moins que Trump en a 315, assez pour faire de lui un candidat potentiel; le poids des swing states — États pivots — serait donc non-négligeable. Bien que beaucoup disent que le partisan typique de Trump est un homme blanc âgé avec un niveau de scolarité inférieur à la moyenne, la réalité est qu’il est impossible de décrypter un profil-type Trump. Son remodelage politique marqué par une relation symbiotique entre le candidat, les réseaux sociaux et un culte de la personnalité fait que l’ère post-Trump couvrira une politique avec une mise en scène plus théâtrale, à la demande de spectateurs avides de gossip. x

«Loin des poses alambiquées de ses voisins, il reste simple, populiste, flattant ainsi un public dont le seul désir est le changement» le délit · mardi 4 octobre 2016 · delitfrancais.com


opinions

Cannabis: Trudeau dit «oui» Pourquoi le gouvernement Trudeau compte légaliser la marijuana. alexandre le coz

Le Délit

«N

ous retirerons la consommation et la possession de marijuana du Code criminel.» Voilà ce que l’on peut lire sur le site officiel du Parti libéral du Canada, dont Justin Trudeau est le chef depuis 2013. Après 10 ans de refus de la part du gouvernement Harper, il semble donc que le Canada version Trudeau-fils soit prêt à légaliser une substance qui a suscité beaucoup de controverses au sein de la population Canadienne ces dernières années. Au-delà de la décriminalisation Terre paradisiaque pour les amateurs d’herbe, les Pays-Bas constituent une attraction touristique pour de nombreuses personnes. Pourtant, la marijuana n’y possède pas un statut légal, mais y est simplement décriminalisée. Si la possession d’une certaine quantité sur soi et chez soi est tolérée, il est tout de même interdit d’en fumer dans les espaces publics, sous peine, non pas d’accusation

criminelle, mais d’amende. Sous Trudeau, le Canada légalisera le cannabis. C’est à dire que sa consommation sera tolérée par la loi. Sa production, sa distribution et sa consommation seront contrôlées. C’est donc une démarche historique que le gouvernement libéral s’apprête à entreprendre. Légaliser pour sécuriser davantage Si certains ne sont pas sûrs que la consommation de marijuana diminuera une fois légalisée, Justin Trudeau en fait le pari. De plus, le premier ministre du Canada l’a bien compris: c’est en légalisant une substance à laquelle de nombreuses personnes sont dépendantes que sa production et sa distribution seront contrôlées et légales. Il sera donc possible de s’assurer de la qualité du cannabis et de garantir qu’aucune substance nocive n’y soit intégrée lors de la production. Le gouvernement s’inspire ainsi de l’Uruguay, seul pays en date à avoir légalisé la substance dans le but de démanteler un trafic

de drogue dangereux. Le Canada créera donc un réseau encadré de vente et de distribution. Ainsi, non seulement la production de cannabis sera placée sous contrôle, mais le taux de criminalité lié au trafic de drogue incessant chutera. En effet, au Colorado — l’un des quatre États américains à avoir légalisé la substance — le taux de crimes violents et contre la propriété a baissé de près de 11 points depuis 2013, tandis que le taux d’homicides atteint moins de la moitié de celui recensé en 2013 avant la légalisation. De plus, les vols de voitures ont été divisés par trois dans l’ État américain. Légaliser le cannabis, c’est donc sécuriser ses environs.

Cependant, il ne faut pas ignorer les conséquences du cannabis sur la santé des consommateurs. Et c’est pour cela que Trudeau insiste: «Nous […] élaborerons de nouvelles lois plus strictes». Le premier ministre du Canada va certes légaliser cette substance, mais il sévira au niveau de sa réglementation et de son accès. Des règles seront établies

pour la consommation légale de marijuana: il faudra être majeur, ne pas en consommer avant la conduite et mettre en place des groupes qui s’occuperont de la distribution tout en travaillant aux côtés de spécialistes en santé publique et en toxicomanie. Un beau projet qui incarne la volonté de Trudeau de bâtir un Canada ouvert et précurseur. x

Légaliser pour s’enrichir Bien évidemment, légaliser le cannabis est aussi un moyen pour le gouvernement de générer de nouveaux revenus. Effectivement, après la légalisation (et donc le démantèlement des réseaux de narcotrafiquants), le cannabis circulera au sein d’un réseau soumis aux taxes provinciales et fédérales. Cela permettra donc au Canada de s’enrichir.

Rendre la mode à la mode

Prise de température d’une industrie à la fois vieillissante et innovante. Marguerite Amsellem

L

a mode est pour certains une industrie rouillée, infranchissable. D’aucuns regardent les défilés des plus grandes maisons comme un endroit qui se réduit au show-off des célébrités en Louboutins. Mais la mode se limite-t-elle à cela? Peut-on encore croire en la mode comme en un outil de modernisation de notre société? Les créateurs sont-ils forcés de rester dans les sentiers battus construits à l’âge du passé glorieux d’Yves Saint Laurent ou de Coco Chanel? Ou peuvent-ils suivre les pas des plus grands révolutionnaires comme Sonia Rykiel ou Jean-Paul Gautier? Une industrie qui bouge Le mois dernier, Milan accueillait de nouveau une Fashion Week pour les collections Printemps/Eté 2017. Les créateurs s’arrachaient une place parmi les plus grands, espérant connaître un succès fulgurant et rentable, alors que les grandes maisons devaient faire de la place dans la première rangée pour de plus en plus de blogueurs, artistes, égéries et autres «icônes de la mode». La Fashion Week de New York s’achevait quelques jours avant. Étant l’une des plateformes les plus importantes de la mode, elle

nous permet de faire un point sur cette industrie, à une époque de changement et de modernisation. Alors que le défilé de Marc Jacobs a été accusé d’appropriation culturelle, parce que faire porter des dreadlocks à ses mannequins n’était finalement pas un «fashion coup» mais un «fashion faux-pas», Anniesa Hasibuan a réussi à démocratiser le hijab en le rendant en vogue. Une plateforme tournante De plus en plus de grandes marques encouragent de jeunes créateurs à prendre leur direction artistique afin de donner un nouveau souffle à leur maison. Raf Simons incarne cette nouvelle vague: s’il n’est plus reconnu comme un jeune créateur, pour une maison comme Dior, il l’est. Il a réussi à rendre à Dior sa juste valeur, même si après trois petites années, il a préféré partir. Il a poussé la marque à explorer de nouvelles matières, de nouvelles couleurs, tout en restant chic après les déboires et les extravagances de John Galliano. Son défilé Automne/Hiver 2012-2013 à la Fashion Week de Paris était l’un de ses plus grands: de la décoration de la salle aux créations chics et originales à la fois, les critiques furent unanimes quant à sa place importante et indispensable dans la mode d’aujourd’hui.

le délit · mardi 4 octobre 2016 · delitfrancais.com

À l’inverse, Karl Lagerfeld est toujours à la création de Chanel, réalisant quatre collections par an. Malgré une gloire interminable, utilisant des outils modernes pour garder sa notoriété — comme par exemple prendre pour égérie Cara Delevingne ou Lily-Rose Depp — ses collections sont de plus en plus redondantes. Le Grand Palais servant de place centrale pour dévoiler ses créations, ses défilés ne changent pas, les matières restent les mêmes, et quand il prend un risque sur les couleurs, ce n’est pas toujours réussi: le défilé Centre commercial de Chanel (Chanel Shopping Center, ndlr) de Prêt-à-porter Automne-Hiver 2014-2015 mêlait ainsi une ambiance froide et étrangère à l’émotion d’un défilé réussi de Chanel. Cependant, critiquer Chanel est assez difficile, parce que les standards que nous lui imposons sont extrêmement élevés: la Cruise à Cuba pour la collection 2016/2017 ou le ParisRome 2015/2016 étaient l’essence même de Chanel – à la fois chic, dans l’air du temps et décontracté. Finalement, quelle est la mode d’aujourd’hui? Après avoir regardé les défilés de la Fashion Week de New York, les petits créateurs s’inspirent des plus grands, mais tout en ajoutant une touche d’audace et d’originalité: ils réussissent à créer une nouvelle génération artistique, une génération

moderne et indispensable pour le renouvèlement créatif de la mode. Faire de la place pour de nouveaux créateurs, des créateurs sortis tout droit des plus grandes écoles

de mode autour du monde, c’est encourager à croire en la mode, en son futur, comme étant une entreprise qui bouge, et qui révolutionne les mœurs et les stigmas.x

Amelie Rols

Société

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«Tu fais une vidéo? Bravo»

Le droit à l’oubli sur internet, un outil pour lutter contre la violence du web. ikram mecheri

Le Délit

T

iziana Cantone, une jeune italienne de 31 ans s’est récemment donnée la mort, après qu’une vidéo intime d’elle soit devenue virale sur le web. Revenons quelques temps en arrière. Publiée par des individus proches de son excompagnon, ladite vidéo est ensuite partagée — sans le consentement de la principale concernée — puis visionnée des millions de fois à travers le globe. Les médias italiens n’ont alors aucune pitié: «N’est-ce qu’une campagne promotionnelle d’une nouvelle star porno?» demande l’un, «Pourquoi s’est-elle filmée cette idiote, elle n’avait qu’à garder cette vidéo secrète» martèle l’autre. La jeune femme, elle, vit un cauchemar. Sa photo est partout dans les médias et les plateaux de télévision ne parlent que d’elle. Sa vie se transforme en enfer, au point qu’elle ne peut plus sortir de chez elle sans se faire harceler ou pointer du doigt. Certains iront même jusqu’à lui cracher au visage. Incapable de vivre dans cette horreur, Cantone démissionne de son emploi et déménage chez l’une de ses tantes pour obtenir un peu de répit. Comble du malheur, la justice italienne lui impose alors une amende de plus de 20 000 euros (environ 30 000 dollars canadiens) pour avoir «tourné» des vidéos allant à l’encontre des mœurs publiques. Consentement à deux vitesses Selon les différents médias qui ont enquêté sur cette triste histoire, Cantone aurait envoyé les vidéos de ses ébats à son ex-copain et quelques connaissances intimes afin de rendre jaloux ce dernier. Dans l’une de ces vidéos, la jeune femme regarde vers la caméra et déclare: «Tu fais une vidéo? Bravo». Consentante au moment du tournage de cette vidéo intime, la jeune italienne a ensuite vu sa vie se transformer en enfer lorsque cette vidéo s’est retrouvée sur des sites pornographiques, puis dans les médias locaux. Cette phrase fut reprise dans de nombreuses vidéos satiriques, mais aussi sur des chandails, autocollants et autres

matériaux promotionnels qui n’étaient aucunement reliés à Cantone. Selon les médias italiens, l’effronterie de la jeune femme sur les vidéos a choqué de nombreux citoyens, comme si cette désinvolture pouvait justifier la violation de sa vie privée et la cyber-intimidation dont elle fut victime.

Après des mois d’attentes, la jeune italienne est finalement parvenue à faire plier les géants numériques. Toutefois, les délais judiciaires étant extrêmement longs — des mois — le mal était déjà fait; à peu près tout le monde en Italie avait

«La notion du consentement ne doit pas s’arrêter aux moments intimes, elle doit aussi s’appliquer à la diffusion de tout contenu conséquent tel que [...] les vidéos» Facebook, Google, complices? Par le biais de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), les résidents des États membres de l’UE peuvent depuis mai 2014 exiger de la part des responsables de traitements de données tel que Google la suppression de liens vers des données considérés comme étant «inadéquates, non pertinentes ou excessives au regard des finalités du traitement et du temps qui s’est écoulé.» À travers ce jugement, les individus peuvent donc demander que le matériel qui porte atteinte à leur réputation soit «caché» du web. Surnommé le droit à l’oubli, celui-ci peut cependant porter atteinte à la liberté d’expression et d’information. De nombreux organismes tel que la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ) ou même Google et Facebook dénoncent ce droit. Selon eux, le droit à l’oubli constitue une «menace» à la liberté de presse car certaines informations véridiques, mais négatives, pourraient alors être retirées, ce qui diminuerait l’accès à une information juste et légale. Dans sa pénible descente en enfer, Cantone a donc demandé à cette même justice italienne de retirer la vidéo des Internets et de la bloquer dans les moteurs de recherches.

entendu parler de cette vidéo ou de la jeune Tiziana. La situation vire alors au psychodrame médiatique, où les journalistes et les politiciens s’improvisent en experts puritains. Entre temps, les hommes qui se trouvaient dans les vidéos avec la jeune femme ne furent nullement inquiétés, démontrant par la même occasion le cruel double standard de la violence du web. L’explosion du «revenge porn» Conséquence inévitable de la surutilisation des réseaux sociaux, le phénomène du «revenge porn» semble prendre une ampleur inquiétante. Pour rendre son partenaire jaloux, prouver son «nouveau» bonheur ou même humilier un ancien amant, ce geste est souvent effectué dans des moments de colère, d’émotion ou même de tristesse, ce qui peut affecter considérablement le jugement de l’individu. Toutefois, ces moments de manque de clairvoyance ne peuvent justifier les violences qui suivent souvent de tels événement.

Pour les femmes à travers le monde, filmer ou photographier ses relations intimes peut être synonyme de danger. Le fardeau retombe rarement sur l’homme. La notion du consentement ne doit pas s’arrêter aux moments intimes, elle doit aussi s’appliquer à la diffusion de tout contenu conséquent tel que les nudes ou les vidéos. Toutefois, une fois que ce type de contenu se retrouve sur le net, il existe très peu ou aucun recours pour en arrêter la diffusion. Présentement, au Canada, le droit à l’oubli sur Internet n’existe pas. Ainsi, si un individu dévoile des photos intimes sur la toile,

vittorio pessin

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Société

il se retrouvera démuni s’il veut corriger le tir. Le Commissariat à la protection de la vie privée du Canada a lancé une consultation et une demande d’articles sur le thème de la réputation en ligne en janvier 2016. Les conclusions de ce rapport devraient alors servir à l’ébauche d’un nouveau projet de loi dans l’optique de combler les lacunes du système judiciaire. Le plus grand enjeu sera de trouver le juste milieu entre la protection de la réputation en ligne et la liberté de presse. L’histoire de Tiziana rappelle tristement celle d’Amanda Todd, cette canadienne de quinze ans qui s’est enlevée la vie en 2012 après qu’un individu eût également partagé une photo d’elle sur le net. Bien que les deux situations comportent de nombreuses différences, le constat est malheureusement similaire: la violence du web affecte disproportionnellement les femmes. Le manque de recours juridique et de soutien moral est d’autant plus qu’inquiétant dans de telles situations. Les femmes se retrouvent humiliées, elles culpabilisent, ne savent pas à qui demander de l’aide et se retrouvent seules face à leur sort, forcées de subir. Il est temps que la situation change. x

le délit · mardi 4 octobre 2016 · delitfrancais.com


Innovations innovations@delitfrancais.com

campus

Foire professionnelle pour mcgillois Comment s’est déroulé le 32e Engineering Techfair? Murat polat

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a McGill Engineering TechFair (Foire technique de génie de McGill, ndlr)est un événement semestriel créé en l’an 2000 et réservé aux étudiants et diplômés de McGill qui leur permet de rencontrer de potentiels futurs employeurs ou pour trouver des stages. Cet évènement est ouvert à tous les étudiants de McGill, qu’importe leur filière. La plupart des compagnies participantes offrent des stages à tous les étudiants en la qualité de grandes entreprises ayant besoin de nouveaux avocats, comptables, publicitaires etc. Par contre, un CV informatif et facile à lire, est indispensable. Le Career Planning Service (service de planification de carrière, ndlr) de McGill est là pour vous aider. Après tout, parmi les 100 compagnies présentes sur les lieux, il y avait notamment de gros noms tels qu’AMD, Google, Microsoft, OTIS et Rogers. Raison de plus d’impresionner avec son CV!

stage à la fin de la première année, ce n’est pas impossible. Puisque l’idée est assez répandue, il n’y a pas beaucoup d’étudiants de première année à la foire. Ceux qui y participent sont avantagés puisque c’est un signe de réelle motivation. De plus, la discussion avec les représentants des compagnies peut aider à orienter votre choix de majeure et vous pourrez savoir ce que vous devriez faire pour décrocer un stage. De plus, si vous voulez participer à l’organisation de la TechFair, vous pouvez être bénévole! Ces derniers aident les étudiants et les représentants pendant la foire.

sofia enault

Quand aura lieu le prochain TechFair?

Qu’offre-t’on aux étudiants? La Techfair est une chance inouïe de parler avec employeurs et employés pour découvrir des

opportunités de carrière et discuter des modalités salariales, des lieux de travail et des études nécessaires. Vous pouvez aussi créer des liens avec les employeurs, ce

qui permet de leur poser vos questions même après la foire. Les étudiants de première année y trouverons aussi intérêt. Bien qu’il soit difficile de faire un

Étant donné que c’est un événement semestriel, la prochaine TechFair aura lieu au début du semestre d’hiver 2017, avec les compagnies cherchant des stagiaires pour l’été 2017. Préparez-vous!x

ENquête

Quand les entreprises rappellent Comment harmoniser dépendance électronique et faillibilité matérielle?

I

cependant il diminue la marge de tolérance des batteries.

Murat Polat l n’y a qu’un mois que Samsung, la marque qui vend le plus de téléphones, a annoncé que les utilisateurs du tout récent Galaxy Note 7 devaient arrêter d’utiliser leurs portables immédiatement. Samsung a mis en vente le nouveau flagship (produit phare, ndlr) des Galaxy le 19 août, une semaine après le lancement. Néanmoins, le 1er septembre, un utilisateur en Corée du Sud a signalé que son Note 7 avait explosé, signalement suivi d’un rappel général de tous les Galaxy Note 7. Bien que ce rappel ait attiré l’attention des experts, ce n’est pas le premier (ni le dernier!). Un historique de rappels En 2006, Dell a rappelé 18 000 ordinateurs portables à cause des batteries défectueuses «qui pouvaient causer un incendie», suivi d’un rappel des ordinateurs portables Hewlett-Packard (HP) à cause de la même raison. Le 30 septembre, un iPhone 7 a aussi explosé, mais cette fois l’explosion a eu lieu avant que le portable ne soit livré à l’utilisateur. La cause

Les solutions

est sûrement la chaleur pendant la livraison. Mais pourquoi ces portables explosent-ils ? Dans une batterie, il y a un liquide nommé électrolyte qui sépare l’anode et la cathode. Si la batterie est chargée trop vite, ou si le portable chauffe, la batterie chauffera aussi, causant un court-circuit entre l’anode et la cathode. Toutefois, tous les

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portables ont un système de contrôle qui assure qu’un tel court-circuit qui causerait un échauffement de la batterie n’ait pas lieu, empêchant ainsi la batterie d’exploser. C’est aussi la raison pour laquelle les portables ne sont pas chargés même quand ils sont branchés. Bien que ce système fonctionne la plupart du temps, il n’exclut pas entièrement la possibilité de l’explosion de la batterie. De plus, des petites fissures sur la couverture d’anode, qui sont un défaut

de fabrication, peuvent aussi causer un court-circuit. Puisque les nouveaux portables ont de grands écrans et de puissants processeurs, ils consomment plus d’énergie que les anciens modèles. Par conséquent, ils ont de grandes batteries, mais les entreprises doivent s’assurer que leurs portables se chargent le plus vite possible pour que l’utilisateur puisse se servir de son appareil. Ce changement est bénéfique pour les utilisateurs,

En premier lieu, il ne faut pas charger les portables à côté des lits. Une explosion peut être engendrée par plusieurs facteurs, comme une batterie défectueuse ou un changement de voltage, causé par une charge trop rapide. Ensuite, il faut rester au courant des rappels de vos appareils électroniques. Enfin, il faudrait que les compagnies mettent sur le marché un nouveau type de batterie. La plupart des appareils électroniques utilisent des batteries lithium-ion, et il n’est presque plus possible de les améliorer. Les explosions et les rappels de ces batteries sont un signe qu’elles commencent à devenir désuètes. Au cours des dernières années, les performances des portables et des ordinateurs ont certes augmenté, mais les batteries sont restées à la traîne. Élaborer un nouveau type de batterie — par exemple celle qui utilise de l’oxygène au lieu de l’électrolyte entre l’anode et la cathode — permettrait peut-être d’écarter la possibilité que notre portable devienne une micro-bombe. x

Innovations

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Culture

Chronique

articlesculture@delitfrancais.com

Charles Gauthier-Ouellette | Port Littéraire

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ike, Super Like, Nope. Si chaque génération possède des techniques de séduction qui lui sont propres, les dernières ont vu la brutale expansion d’une sexualité dictée, engendrée (et même consommée) par le numérique. Le nouveau livre de Simon Boulerice s’immerge dans cette réalité déjà bien ancrée dans le quotidien des célibataires d’aujourd’hui. Séparé en deux grandes sections, «Je me déplace» et «Je reçois», Géolocaliser l’amour suit les allées et venues d’un narrateur qui se perd dans la métropole, et dans ses relations… Lire ce roman-par-poèmes, c’est comme s’asseoir avec Simon Boulerice autour d’une bière pour l’écouter parler de sa vie sexuelle. Il nous confesse ses expériences diverses avec le monde du célibat contemporain, où la séduction passe presque toujours par le virtuel. Tinder, Grindr, Kijiji, tout y passe: «je m’insère dans mon époque / right to the point / sextos inclus». Cette notion, c.-à-d. s’inscrire dans son époque, paraît autant dans le choix des thèmes — préparez-vous à un débordement de sexualité — que dans la forme. En effet, le poème

narratif permet à l’auteur une liberté parfois traîtresse: cherchant à la fois à raconter une histoire et à jouer avec la langue, il lui arrive quelquefois de trébucher et de n’offrir ni l’un ni l’autre. Car, comme ses rencontres nombreuses — comprendre ici un euphémisme évident — les poèmes se classent de manière hétéro-

clite, certains mémorables, d’autres à oublier. «mes pouces sautillent sur mon iPhone sans précision / je manque le L / je brûle les étapes / tu fais quoi dans ma vie ?» Simon Boulerice joue habilement les cartes de l’empathie et de la maladresse tout au long de Géolocaliser

l’amour. On se reconnaît dans ce narrateur coincé avec une date qui ne mène nulle part, ce narrateur naïf confronté à des individus plus clichés les uns que les autres: «j’arrive dans mon accoutrement de camp de jour / mon hôte tente la vérité / je

Mathilde Chaize

m’excuse Simon, mais tu es vraiment plus beau en photo». Ces répliques, qui donnent un ton léger et joueur au texte, propulsent le lecteur dans les lieux communs de la séduction. Devant cette surabondance d’histoires d’un soir, autant le lecteur que le narrateur en vient à s’interroger sur la nature de ce type de relation, sur leur caractère répétitif et presque impersonnel — ne poset-il pas à chacun de ses amants la même question? Ce nouveau roman de Simon Boulerice ne réinvente guère l’amour (peut-on parler d’amour face à ce dédale de romances éphémères?), mais il a le mérite d’expliciter de manière humoristique les situations vécues par nombre de célibataires. Malgré quelques brillants passages, Géolocaliser l’amour présente son lot de phrases obsolètes qui s’oublient aussitôt lues. Le parfait livre à lire d’un œil discret, tandis que l’autre est fixé sur son cellulaire, en attente d’une réponse pour ne pas finir la soirée seul(e). x Géolocaliser l’amour de Simon Boulerice, Édition Ta Mère.

LittÉrature

Vivre, lire et écrire

Festival international de la littérature: Nicolas Chalifour et Lidia Jorge nous parlent écriture. Anna Dang

Le Délit

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ors de la soirée du 24 septembre, l’UNEQ (Union nationale des écrivains du Québec) a organisé une conférence à l’occasion du Festival international de la littérature. Les invités d’honneur n’étaient nuls autres que Nicolas Chalifour (Québécois auteur de Variétés Delphi) et Lidia Jorge (écrivaine d’origine portugaise, connue notamment pour son roman Le rivage des murmures). Dans une atmosphère intime et conviviale, les deux écrivains nous ont livrés leurs expériences et convictions personnelles par rapport au rôle de la lecture dans leurs travaux de création. Illustres idoles Derrière un écrivain (et sans doute derrière tout fervent lecteur), il y a des œuvres qui le poursuivent tout au long d’une vie. C’est le cas de Lidia Jorge, qui cite Orlando de Virginia Woolf, un roman qui ne l’a pas quittée de toute sa carrière. Quand l’inspiration tarde à venir, il est utile de lever le regard vers

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Culture

ces illustres noms qui sont gravés dans notre patrimoine culturel: les deux auteurs mentionnent Proust, Nabokov, et Kundera. Hors du domaine de la littérature, toutes sortes d’artistes se guident les uns les autres. Jorge mentionne un ami qui se ressource dans la musique: «Quand je me sens sec, j’écoute l’adagio d’Albinoni». Quant à ellemême, elle se tourne vers l’œuvre de Woolf: «Si je ne sais pas où aller,

j’ouvre Orlando et c’est comme si une voix me disait: tu n’es pas seule, donc continue». Derrière cette admiration pleine de déférence se cache un certain vertige, une crainte de ne pas être à la hauteur. «Ces auteurs nous aident en nous mettant au défi», explique Chalifour. «Je ne suis pas capable d’en faire autant», admet Jorge sans complexe, «[…] mais j’ai ma propre voix ».

«Derrière un écrivain (et sans doute derrière tout fervent lecteur), il y a des œuvres qui le poursuivent tout au long d’une vie» Les livres dans les livres Il devient évident que le processus de création littéraire n’est pas une simple affaire. À présent, les lecteurs se méfient des histoires «simples» qui reposent uniquement sur une intrigue: c’est dans ce contexte qu’est née la mode de la métafiction. Nos deux écrivains insistent sur l’importance des textes présents à l’intérieur de leurs textes: leurs personnages tombent sur des articles, des manuscrits, des témoignages et récits, emboîtés dans la trame générale du roman. Cela leur permet de juxtaposer plusieurs regards différents, ainsi que d’encourager une réflexion sur la notion même d’écriture et de fiction. Tout ce que la littérature a à offrir Entre deux anecdotes, le fil directeur de cette conférence reste

une célébration sincère et enthousiaste de la littérature. Nicolas Chalifour affirme avec conviction que ce que la littérature fait de mieux est de nous faire vivre par procuration. «On vit en deux heures ce que l’on ne vit pas en vingt ans», ajoute-t-il. Voilà une déclaration qui nous donnerait envie de rester cloués à nos livres toute la journée. L’écrivain ne s’oppose d’ailleurs pas à cet état d’esprit. «Je crois que c’est ça qu’être écrivain veut dire », suggère-t-il, «[…] de ne jamais avoir envie de sortir de la bibliothèque; de s’abîmer dans la fiction (comme Don Quichotte)». Une perspective pleine de charmes, en vérité, quoique légèrement inquiétante… En attendant, cette discussion entre deux auteurs passionnés par leur domaine reste une expérience enrichissante, propre à revigorer tout amoureux des livres ou écrivain en herbe. x

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Musique

Paradis, à sa manière

Recto-Verso, à la découverte d’un double «Je» musical. Baptiste Rinner

Le Délit

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e duo électro français Paradis (Simon Mény et Pierre Rousseau) a sorti son premier album le 23 septembre dernier, intitulé Recto Verso. Attendu depuis longtemps — la sortie était initialement prévue au printemps — cet opus est le fruit de près de quatre ans de travail.

Les titres rassemblés forment un ensemble cohérent, un «album à chansons» comme le décrit Simon Mény. Un style paradis Formé en 2011, Paradis a d’abord sorti des titres au compte-gouttes chez Beats in Space Records de Tim Sweeney, avant un E.P. qui annonçait Recto Verso,

Couleurs primaires, sorti l’année dernière pour leur arrivée chez Barclay. Mêlant les styles et les influences, allant de la chanson française des années 80 à la house, en passant par la pop, Paradis propose des morceaux dans la lignée de ce qu’ils ont pu faire depuis cinq ans, avec ce sentiment de première fois qui accompagne l’album. Une jetée à l’eau — symbolisée par

la couverture — où l’on retrouve l’innocence et la vulnérabilité qui fait la grâce de leur musique aérienne. En ce sens, le titre qui ouvre Recto Verso, «Instantané», constitue une sorte d’auto-référence, une confession esthétique dans laquelle le groupe revendique sa fragilité. «La voix toujours un peu filtrée / Pour étouffer la timidité», «Une simple chanson pour résumer» chante Simon Mény de sa voix lancinante, emmenée par les synthés et les basses de Pierre Rousseau. Tableau musical La réussite essentielle de l’album, au-delà des qualités particulières de chaque chanson, est l’ensemble que toutes ses parties forment. Au fil des titres, Paradis tisse les motifs du double, de l’autre, de la possibilité ou l’impossibilité de la relation avec l’autre. Il y a bien-sûr les chansons d’amours passées, comme «Garde le pour toi» que l’on retrouve avec plaisir après Couleurs primaires, ou encore le single «Toi et Moi». D’autres chansons prolongent le mouvement entamé dans «Instantané» et évoquent la vulnérabilité sous toutes ses formes; d’abord en tant qu’être humain

devant un autre être humain, dans la relation amoureuse, mais aussi pour le groupe qui présente son travail pour la première fois. Le diptyque «Miroir» est exemplaire: reprenant le thème obsédant du double, scindant l’album en deux, il y a dans «Miroir» Un et Deux ce qui fonde la particularité de Paradis: un refus de la facilité, des formules toutes faites, au profit d’une esthétique qui n’appartient qu’à eux. On reconnaît Paradis («Je cherche […] une chanson comme un miroir / Dans lequel je peux me voir») même si l’on ne connaît d’eux que quelques chansons, comme ma colocataire qui me demanda «C’est Paradis ça nan?» un jour où j’en écoutais. Il y a donc une manière Paradis, un collage spécifique d’influences, sans frontière mais cadrée tout de même par ce qui fait leur force: la dénudation de leur sensibilité dans des textes en français, faussement naïfs, portés par la voix grave et fragile de Simon Mény et les instrumentales French Touch de Pierre Rousseau. Comme le rappelle le duo en entrevue, Paradis ne ressemble pas à ce qu’ils feraient chacun de leur côté, mais est plutôt un équilibre précieux construit à deux, comme un couple. x

Iggy Pop s’est rendu à Montréal le temps d’une conversation. Louise Kronenberger

Le Délit

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vant même le punk, il y avait Iggy Pop. Ce chanteur américain est une icône du rock et une boule d’énergie aussi bien physique qu’artistique. Lundi 26 septembre, il était présent à Montréal pour une conversation publique au Monument-National: Théâtre Ludger-Duvernay. Carl Wilson, journaliste spécialisé dans la musique, animait la discussion qu’il rythmait d’extraits musicaux d’Iggy Pop. La conférence commence, et on a le droit à une entrée en scène typique du musicien: il saute et bouge partout. Iggy est réputé pour son dynamisme inépuisable, qu’il possède toujours aujourd’hui du haut de ses 69 ans. Retour sur sa carrière Au cours de cette conférence, Carl Wilson rappelle la carrière d’Iggy Pop tout en conversant avec ce dernier. De son vrai nom James Newel Osterberg Jr., l’artiste naquit en 1947 à Muskegon,

Michigan, puis commença la musique en tant que batteur dans le groupe les Iguanas, d’où il héritera son surnom. En 1967, il fonda The Stooges, groupe de rock au son dur. À partir de 1974, à cause de conflits avec son groupe, il s’adonna à une carrière solo qui s’avéra plutôt chaotique, en partie à cause de son addiction aux drogues dures. David Bowie, qui fut son acolyte, l’aida à plusieurs reprises à se remettre sur pieds. De cette collaboration émergea deux très bons albums solos d’Iggy Pop: The Idiot et Lust for Life. En 2003, il reforma The Stooges. Un statut affirmé Il suffit de voir la salle comble et le public divers présent à la conférence pour mesurer son aura. Iggy Pop possède 17 albums studio à son actif. Il a collaboré avec d’autres artistes de prestige et a influencé des groupes comme Sonic Youth et Nirvana, rien que ça. Plus récemment, il a collaboré avec le fondateur du groupe Queens of the Stone Age, Josh Homme, qui d’après Iggy, est le meilleur auteur-compositeur

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de rock actuellement. Il a également travaillé avec Matt Helders, batteur des Arctic Monkeys. On sent le charisme de l’artiste se propager dans toute la salle. Plein d’humour, il plaisante avec le journaliste. «La musique comme refuge» On a également eu droit à une autre démonstration d’un de ses traits iconiques, son cri. L’artiste est fidèle à lui-même lors de cette conférence: spontané et rock’n’roll. Il ne manquait plus qu’il saute dans la foule pour slammer, mouvement qu’il a rendu populaire. Iggy Pop nous raconte que pour lui la musique est comme un refuge. Il a expérimenté différentes choses au cours de sa carrière, aussi bien le hardrock, que la new wave, ou même des reprises de chansons françaises sur son album Préliminaires en 2009. «Je ne conçois pas la

Karel Chladek /RedBull cONTENT POOL musique comme un publicitaire [le ferait]» raconte-t-il, «J’essaye de trouver la bonne phrase et espère que les gens comprennent ce que je veux dire.» Cette soirée passée en compagnie de cette superstar du rock s’est déroulée dans une ambiance

très conviviale. Les questions posées par le journaliste étaient pertinentes, et l’artiste était à la disposition de la curiosité du public qui a aussi pu poser des questions. Iggy Pop nous a révélé de nombreuses anecdotes sur sa vie et sa carrière lors de ce moment intime. x

«L’artiste est fidèle à lui-même lors de cette conférence: spontané et rock’n’roll. Il ne manquait plus qu’il saute dans la foule pour slammer, mouvement qu’il a rendu populaire» Culture

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cinéma

La magie (noire) du cinéma Retour sur le Festival du Film Black de Montréal. dior sow

Le Délit

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u 28 septembre au 2 octobre derniers s’est déroulée la 12e édition du Festival du Film Black de Montréal. Pendant ces cinq jours, quarante films réalisés par la communauté noire à travers quatre continents ont été présentés au public. Cette initiative s’est décidément inscrite cette année dans le contexte du mouvement Black Lives Matter et des controverses liées à la représentation des Noirs dans les médias. Ce festival a été l’occasion de revenir sur les accomplissements passés et à venir de la création artistique afro. Ça tourne et ça court Le court métrage est souvent un passage obligé pour le cinéaste débutant, l’occasion d’expérimenter sur le fond comme sur la forme; de ce fait, aller à une projection telle que celle de Short Serie 1 est forcément pour le cinéphile un gage de découvertes. Malheureusement, ce premier octobre la salle était presque vide. La sélection de courts métrages du Festival du Film Black de Montréal est extrêmement variée:

du drame au fantastique en passant par le documentaire, on oscille pendant deux heures d’un genre à l’autre. Les histoires varient, la qualité aussi. Certains films comme 1440 and counting ou encore Doors prennent le parti de représenter à l’écran des aspects clés du quotidien afro-américain: entre religion et violence, leurs réalisateurs ont fortement misé sur le réalisme. Mais alors que Doors — récit des désillusions d’une femme dont le mari est révérend — parvient à nous livrer une fin surprenante, l’abondance de larmes de 1440 and counting nous laisse, elle, sur notre faim. Plusieurs films présentés ont su briller par l’inventivité de leur scénario. Mais, étonnamment, c’est la simplicité du documentaire Escravos e Santos qui lui a permis de sortir aisément du lot. Ce dernier va à la rencontre des vieillards de la région de Bahia au Brésil et explore le double héritage qu’ils ont reçu de leurs ainés: des récits de l’esclavage et la Langa, une danse dédiée aux saints qui était pratiquée par les esclaves de la région. Ce film réussit à créer un équilibre entre le brut et le raffiné, ce qui lui donne une force inattendue.

Le conteur et la caméra Le Sénégalais Ousmane Sembene est reconnu — tout comme son compatriote et rival Djibril Diop Mambety — comme étant le prophète et le père du cinéma africain. Il était donc naturel que ce festival lui rende hommage en diffusant le maintes fois primé Sembene!, de Samba Gadjigo. Ce documentaire revient sur la vie et l’œuvre de celui qui a voulu faire du cinéaste africain un griot

des temps modernes. Sembene est né et a passé son enfance en Casamance, une région au sud du Sénégal. En 1946, à l’âge de 23 ans, il décide d’embarquer pour Marseille où il devient docker; c’est là-bas qu’il commence à prendre goût à la

dior sow

littérature et qu’il s’enrôle au sein du parti communiste, avant de s’envoler pour Moscou et d’entamer des études de cinéma. De retour au Sénégal, il réalise ses premiers films dans les années soixante, alors que le continent est animé par la fièvre des indépendances. Son premier longmétrage La Noire de…est un succès international et fait de lui le premier africain membre du jury du Festival de Cannes. Alors que les années soixante-dix voient les rêves des indépendances s’effondrer en Afrique, Sembene commence à développer dans ses films un discours rebelle et politique qui deviendra sa signature. Certains de ces films seront censurés au Sénégal (Ceddo qui s’attaque à l’Islam) comme en France (Camp de Thiaroye qui revient sur le massacre des tirailleurs). Entre entrevues et images d’archives, Sambene! nous fait voyager des dédales des rues de Dakar aux plus grandes universités américaines, au rythme des récits de l’excellent Samba Gadjigo. Avec Sembene!, ce dernier signe un film fascinant et essentiel à la compréhension des bases sur lesquelles s’appuie le futur du cinéma africain. x

Prendre son envol Malgré de belles intentions, Sparrows déçoit. mahée merica

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u 23 au 28 septembre derniers, une programmation FOCUS dédiée au cinéma nordique avait lieu au cinéma du Parc. C’est à cette occasion qu’était présenté le film Sparrows, du réalisateur islandais Rùnar Rùnarsson, salué par la critique à de nombreux festivals. Le film raconte l’histoire d’Ari, 16 ans, qui, après avoir vécu pendant plusieurs années dans la capitale avec sa mère, doit soudain retourner au domicile paternel dans une région isolée des fjords islandais. Ari entretient une relation difficile avec son père, un homme au bord de l’alcoolisme, et ses amis d’enfance semblent avoir bien changé. C’est dans ce contexte que l’adolescent devra trouver sa voie vers l’âge adulte.

tiles le portrait du quotidien de son héros sans jamais tenter de le rendre dramatique ou d’éveiller un quelconque sentiment de pitié ou d’admiration de la part des spectateurs à son égard. Les acteurs contribuent à cela à travers la justesse de leur performance, notamment Ingvar Sigurðsson qui joue le père d’Ari. Le film offre également quelques moments de grâce au cours desquels la photographie, plutôt

banale et plate durant le reste du film, devient poétique et élève le propos de la scène à un niveau quasi spirituel, particulièrement lors des scènes où Ari, plutôt du genre silencieux, laisse échapper une émotion, ou encore lorsqu’il chante de sa voix angélique. En outre, le dernier tiers du film s’enfonce dans la mélancolie et fournit des plans audacieux qui servent des idées de génie. Les dernières scènes sont très

sombres de par leur propos; la mise en scène et la photographie parviennent cependant à les enrober d’une certaine délicatesse. Le contraste entre cette douceur et la noirceur ambiante teinte la fin d’une tendre mélancolie. Un potentiel poétique sous exploité Le charme de la dernière partie n’arrive cependant malheureusement pas à contrebalan-

Un registre juste Le film initiatique de Rùnarsson a le mérite d’éviter l’écueil de la «glamourisation» de l’ennui adolescent en campagne, cliché que la plupart des films abordant un sujet similaire ne manquent jamais de matérialiser. Le réalisateur dresse à coup de touches sub-

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Culture

mahaut engérant

cer la lenteur et la banalité du reste du film. L’œuvre de Rùnarsson n’exploite pas suffisamment les moments de grâce et les idées originales susnommées et ne parvient pas à trouver un rythme accrocheur. De plus, la caméra ne magnifie pas les paysages islandais, pourtant somptueux et potentiellement porteurs de lyrisme. C’est dommage et très frustrant, car la présentation banale qu’en fait le film ferme la porte à l’opportunité d’offrir à l’œuvre une dimension encore plus mélancolique et poétique. Finalement, les spectateurs restent un peu sur leur faim. Le rythme trop lent et mou du film limite la transmission de l’émotion que Rùnarsson cherche à dégager. La haute qualité du dernier tiers du film fait regretter le fait que le reste de l’œuvre ne soit pas teinté du même génie ténébreux. Ce contraste entrave la capacité du spectateur à comprendre le message que le réalisateur souhaite délivrer. Le film esquisse néanmoins un avenir prometteur pour le cinéma scandinave, si celui-ci parvient un jour à explorer plus en profondeur sa propension au doux-amer. x

le délit · mardi 4 octobre 2016 · delitfrancais.com


Avortement en ligne nous livre le récit d’un combat. madeleine courbariaux

Le Délit

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e 28 septembre se tenait la Journée mondiale pour la dépénalisation de l’avortement. À cette occasion, le documentaire La Linea Del Aborto (Avortement en ligne), du réalisateur Fernando López Escrivá, a été projeté simultanément dans plusieurs villes du monde.

l’information nécessaire aux femmes souhaitant avorter. Ces femmes n’ont qu’une seule option: avorter seules, chez elles, et prier pour qu’il n’y ait pas de complications. La ligne leur explique le protocole à suivre. Une mentalité machiste Comment — alors que le Chili est un État démocratique, et que

l’opinion publique est en faveur de l’avortement — avorter peut-il être encore interdit? Premièrement, comme l’explique si bien dans le documentaire l’une des bénévoles de la Linea, le gouvernement chilien est lent à concrétiser ses promesses. Deuxièmement, l’Église catholique est très présente au Chili. Cette présence est rappelée tout au long du film par des entrevues avec des

prêtres influents. Ceux-ci expliquent qu’un embryon de 1 millimètre est déjà une vie, et que provoquer sa mort est criminel. Enfin, une mentalité machiste pèse sur les Chiliens. Le cas tragique de l’adolescente qui — après avoir été abusée par le même homme pendant plusieurs années — est poursuivie en justice pour avoir caché son bébé dans un tiroir, tandis que le violeur, lui, est

Un combat clandestin Les premières images du film montrent des tags sur le sol et sur les murs de la ville de Concepción. On y lit: «Avortement - Informations sûres - 83 91 85 86». Souvent, le numéro de téléphone a été effacé ou rendu illisible par les autorités. Au Chili, la loi concernant l’avortement n’a pas changé depuis les années de dictature de Pinochet (1973-1990). L’avortement y est prohibé et sanctionné quelles que soient les circonstances — qu’il s’agisse d’une néglicence — ou qu’il s’agisse d’un viol. Les auteures des tags sont un groupe de femmes bénévoles que la caméra suit de près. En plus de leur travail, elles investissent leur temps dans La Linea Del Aborto, une ligne téléphonique visant à apporter

mc2o

laissé libre, montre bien le poids des valeurs misogynes. Un réalisateur chaleureux Ce documentaire pourrait être un film d’action tant les plans se suivent avec fluidité. L’humour de certaines scènes et l’énergie débordante des femmes de la Linea contribuent également à donner cette impression. Une spectatrice a d’ailleurs tenu à témoigner son admiration à la fin de la séance: «C’est un film magnifique. Merci beaucoup». Oui, le réalisateur a pu accueillir ce remerciement: il se trouvait dans la salle, prêt à répondre aux questions. Le geste que M. Escrivá a eu à la fin de la séance, celui de prendre la salle de cinéma en photo, est peut-être symbolique: l’important, plus que le film en lui-même, est l’impact qu’il a sur son public. En l’occurrence, celui de faire réfléchir, ainsi que prendre conscience d’enjeux réels. Et, potentiellement, celui de s’engager pour la cause? x La linea del aborto, en ligne sur mc2.ca Tous les bénéfices seront reversés à l’association de la Linea.

chronique

Hortense Chauvin | Horticulture

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n 1972, le philosophe norvégien Arne Naess créa un mouvement pour le moins singulier, celui de l’«écologie profonde». Jugeant illusoires les stratégies esquissées par les mouvements écologistes réformistes, ce mouvement appelle à révolutionner notre rapport aux autres organismes avant de changer nos structures économiques. Selon Naess, la crise environnementale actuelle peut être attribuée à la dissociation des êtres humains de leur environnement. À la racine de notre brutalité envers l’environnement serait le sentiment de maîtrise et de domination de la nature que cette séparation inspire. Naess propose au contraire une approche biocentrique du monde, insistant sur l’interdépendance de l’ensemble des organismes. Plus qu’une ressource destinée à assouvir

les désirs des Hommes, ce mouvement de pensée conceptualise le non-humain comme ayant une valeur intrinsèque. À quelle compréhension de l’environnement donnerait lieu une telle remise en question de la place de l’humain dans l’écosystème? Léviathan, documentaire déroutant de Véréna Paravel et Lucien Castaing-Taylor, peut permettre d’esquisser une réponse à cette question. À bord du Léviathan À quoi ressemble le monde depuis la perspective d’un poisson? Comment les goélands perçoiventils l’océan? Avec Léviathan, Véréna Paravel et Lucien Castaing-Taylor proposent une immersion viscérale dans l’écosystème complexe d’un chalutier, loin d’une idéalisation romantique de la vie en mer. Directeurs du laboratoire d’ethnographie sensorielle d’Harvard, les deux réalisateurs s’attachent à faire ressentir plus qu’à montrer. Cette résolution

le délit · mardi 4 octobre 2016 · delitfrancais.com

permet de faire découvrir le monde sensoriel des protagonistes du documentaire, à la fois humains et nonhumains. Leurs caméras sont mouvantes, s’infiltrent partout, adoptent tous les points de vue. En suivant leurs mouvements frénétiques, le spectateur se métamorphose tour à tour en marin, en goéland et en poisson. Si le documentaire ne dissimule pas la violence de la pêche, il dessine néanmoins un environnement partagé entre humains et non-humains, où tous ont leur importance. L’Homme n’y est pas tout puissant, le monde n’est pas là pour se plier à ses désirs. Il apparaît réduit, désarmé, à hauteur égale avec les autres espèces. «Les humains sont

les seuls animaux à ne pas se voir comme des animaux, à ne même pas se considérer comme faisant partie du monde naturel. Ça nous semblait intéressant de donner une autre représentation où les Hommes, d'une certaine manière, sont remis à leur place», déclaraient les réalisateurs. Remettant en question la hiérarchisation des organismes, Leviathan esquisse ainsi une manière de conceptualiser les relations entre les Hommes et le non-humain proche du biocentrisme prôné par Naess. Une seule solution, la révolution? Que peut nous apporter cette compréhension du monde

Luce engérant

prônée par Naess et suggérée par Léviathan? Étant continuellement bercés par la petite chanson du capitalisme vert, l’écologie profonde et ses tenants peuvent nous faire l’effet d’une onde de choc. Une approche biocentrique du monde nécessite en effet une remise en question profonde des structures de notre société et de son fonctionnement. Pour Naess, ce changement de paradigme commence par la mise en place d’un rapport éthique et non-violent aux autres organismes, où l’être humain devrait limiter son usage des ressources biologiques à la satisfaction de ses besoins vitaux. Cette philosophie juge également nécessaire la réduction de la population humaine, ce qui peut s’avérer discutable. Reste qu’au lieu de «verdir» notre consommation à outrance, l’écologie profonde appelle à une révolution biocentrique. Le défi à relever pour cette école de pensée reste d’imaginer les contours politiques, légaux et économiques d’une telle société. À l’échelle d’un chalutier, Léviathan esquisse les contours d’un écosystème où l’être humain ne se tiendrait plus au centre; à quoi cet écosystème pourrait-il ressembler à l’échelle mondiale? x

Culture

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Entrevue

Rencontre avec Mathieu Bock-Côté

L’écrivain nous de son plus récent livre et de multiculturalisme.

O

dental. Le mot islamophobie je trouve que c’est l’un de ces termes qui servent dans les faits à censurer le débat public. D’aucune manière je ne m’en réclamerais.

Le Délit (LD): En tant que professeur, comment interagissez-vous avec les étudiants qui ont des idées contraires aux vôtres?

LD: Est-ce que vous condamnez les dérapages qui ont pu stigmatiser certaines communautés? On pense notamment à certains politiciens qui ont utilisé cette critique de l’islam pour faire avancer certaines visions et justifier les vandalisations des mosquées.

mniprésent, «omnipenseur», omnivore, chroniqueur, professeur, écrivain et sociologue québécois, Mathieu Bock-Côté semble être partout. Inlassable, loquace et parfois polémique, Le Délit l’a dans le cadre de la sortie de son troisième livre Le multiculturalisme comme religion politique.

Mathieu Bock-Côté (MBC): Une salle de classe n’est pas un lieu de propagande! Une salle de classe c’est là où on enseigne des choses avec lesquelles on peut être en désaccord. Je donne un cours à l’Université de Sherbrooke sur le nationalisme et par exemple lorsque je veux présenter les théories marxistes du nationalisme, j’essaie de les rendre les plus convaincantes possible et ce peu importe si j’y adhère ou non. Le travail du professeur n’est pas un travail de militant ou d’idéologue. Pour ce qui est des sujets polémiques, je pense que c’est un mot dont il faut se méfier, polémique. C’est souvent un mot que l’on colle à un sujet pour le rendre dangereux, alors que l’on puisse discuter ensemble de tous les sujets de façon intelligente et de façon raisonnable. LD: Pourquoi avoir écrit un livre sur le multiculturalisme? MBC: C’est le fruit d’une recherche menée sur plusieurs années! Un livre ça permet d’aller plus en profondeur et de traiter ces questions-là (les enjeux de l’actualité, ndlr) avec tout le temps et la documentation nécessaire. Ça permet finalement de développer une thèse, ce que j’ai fait avec ce livre ainsi que tous mes livres d’ailleurs. Mes livres ne sont pas de «long articles». Le propre d’un livre c’est autre chose, dans ce cas-là c’est une obsession intellectuelle qui remonte à très longtemps. C’est pour ca que j’aime dire de ce livre que c’est une obsession intellectuelle surmontée pour l’instant par l’écriture d’un livre; et au rythme des obsessions qui viennent de nouveaux livres naissent.

tal qui serait la répression de la différence et là une renaissance à l’ouverture à l’altérité. Cela dit, si on propose une autre définition du multiculturalisme, je suis prêt à en parler. LD: La mondialisation ne rend-t-elle pas le multiculturalisme inévitable? MBC: En fait c’est plutôt le contraire. Le multiculturalisme tel que je le définis c’est une philosophie fondée sur l’inversion du devoir d’intégration. La vocation traditionnelle du nouvel arrivant c’était de prendre le pli identitaire et culturel de la société qu’il rejoignait. Le multiculturalisme renverse cette exigence et nous dit en fait que c’est la société d’accueil qui doit transformer ses institutions et sa culture pour s’adapter à la diversité. Justement, dans un contexte de globalisation, si l’on ne veut pas que la société éclate, il faut avoir des repères substantiels qui ne sont pas simplement des droits ou des valeurs. Une valeur ne fonde pas une communauté politique, ce qui forme une communauté politique c’est une culture, une histoire et le sentiment d’avoir un destin partagé. De ce point de vue, pour intégrer un nouvel arrivant, il faut l’emmener à dire «nous» avec la société d’accueil. Mais pour cela, la société d’accueil doit encore assumer

«Par multiculturalisme je n’entends pas la diversité ethnique ou la diversité des origines dans une société, ce n’est pas ce qui m’intéresse» LD: Vous parlez de multiculturalisme comme religion, mais pensez vous qu’il existe un multiculturalisme objectif? (Pensez-vous que nécessairement chaque facette du multiculturalisme est politique ou a un sous-entendu caché?) MBC: Tout dépend de ce que l’on entend par là. Par multiculturalisme je n’entends pas la diversité ethnique ou la diversité des origines dans une société, ce n’est pas ce qui m’intéresse. Ce qui m’intéresse c’est l’idéologie, et je fais l’histoire de celle-ci. Je montre aussi comment elle est aussi une religion politique au sens que je l’entends, c’est à dire la prétention à délivrer l’humanité d’un mal fondamen-

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entrevue

cette responsabilité de transmettre sa culture et d’en faire la norme d’intégration, ce que le multiculturalisme empêche. LD: Est-ce que l’échec d’intégration c’est aussi l’échec des sociétés d’accueil qui n’arrivent pas à partager leur culture? MBC: C’est un peu plus compliqué que ça, il faut éviter toutes les explications monocausales. Il y a certainement un modèle d’intégration qui est déficient, qui est incapable de poser comme norme culturelle ou identitaire la culture de référence de la société d’accueil. Il y a aussi le fait que nos sociétés soient très judiciarisées, donc la moindre revendication

Magdalena Morales se traduit en droit de l’homme. Alors si vous transformez chacun de vos désirs ou caprices en droits de l’homme, il devient de plus en plus difficile ensuite de trouver des normes communes. Dans une société où chacun se

«Une communauté politique c’est une culture, une histoire et le sentiment d’avoir un destin partagé»

sent bardé de droits, la notion de normes communes est vécue comme «tyrannie» de la majorité. Vous pouvez ajouter à ça des politiques d’immigrations qui sont irresponsables à mon avis. On doit recevoir en fonction de ses capacités d’intégration. Or les capacités d’intégration du Québec ne me semblent pas être de 50 000 personnes. Ajoutons à cela d’autres phénomènes, si l’on se tourne vers l’Europe: là il y a des phénomènes d’immigration illégale, des frontières qui ne sont tout simplement plus respectées. Il y a la dissolution de la souveraineté internationale à l’intérieur des paramètres européens. L’idée est de trouver un modèle un peu plus adapté à la réalité de notre société et à leur droit à la continuité historique, le droit à la préservation et à la perpétuation de leur histoire. Une société n’est pas qu’une addition d’individus porteurs de droit. C’est aussi une histoire et une culture, comment traduire cela politiquement c’est un enjeu pour les années à venir et pour la philosophie politique. LD: Qu’est-ce que vous répondez aux critiques qui vous accusent d’être islamophobe? MBC: Je ne sais pas qui me dirait ça. C’est une critique qui est assez rare, mais c’est évidemment faux! Je pense qu’il est légitime de critiquer toutes les religions, l’islam y compris, le christianisme y compris. Quelqu’un qui critique les fondements même du christianisme est-il christianophobe? Et quelqu’un qui critique dans son fondement même l’islam est-il islamophobe? Je ne crois pas. Le mot islamophobie sert trop souvent à censurer la critique de l’islamisme ou la critique de l’intégration parfois difficile de l’islam dans le monde occi-

MBC: Quiconque vandalise une mosquée est une brute doublé d’un abruti. Il n’y a pas de doute là-dessus. On ne s’en prend pas aux temples des religions, ni aux gens. Mais il y a quelque chose d’insensé à faire porter à l’ensemble de la société la responsabilité de quelques brutes. Y a-t-il des gens qui ont une aversion des musulmans? Probablement. Il faut les condamner et leur dire qu’ils ont tort et que ce n’est pas ainsi qu’on aborde des problèmes en société. Mais une fois cela dit, est-il interdit à cause de cela de critiquer l’islamisme? J’espère que non! LD: Est-ce que vous pensez que l’intégration peut en quelques sortes «javelliser» la société, la rendre monotone? MBC: Je ne pense pas, je pense que ce qui risque de rendre monotone la société c’est le capitalisme contemporain, c’est l’industrie du divertissement telle qu’on la connaît. Mais pour ce qui est de l’intégration il s’agit tout simplement de s’assurer que les gens qui rejoignent une société s’approprient cette société comme destin, histoire, culture. Une société n’est pas un no-man’s land! Elle n’est pas un espace juridique neutre simplement balisé par les droits de l’homme. Une société c’est une communauté politique historiquement constituée. Ensuite dans cette société il y a une diversité infinie de tempéraments. Le tempérament gaspésien n’est pas le tempérament montréalais. Les diversités régionales sont nombreuses. Il n’y a pas un modèle monochrome. Il y a une histoire partagée avec quelques références substantielles. Mais pourquoi rejoindre une société si ce n’est pas pour l’embrasser! LD: C’est vendredi soir, le moral de votre équipe est à plat, quelle chanson est-ce que vous mettez pour remonter le moral? MBC: Oh mon dieu! Je ne serais pas original, je mettrais Eye of the Tiger ou encore Training Montage qui est la chanson d’entraînement dans Rocky 4! Alors là je suis marqué ici par ma génération (rires). Pour moi la trame sonore de Rocky 4 demeure un instrument fondamental pour mobiliser les troupes. Je suis désolé de vous décevoir je n’ai pas de chansons québécoise, mais je vous en trouve une néanmoins pour le plaisir de la chose, La bitt à Tibi de Raôul Duguay, elle serait très efficace elle aussi! x Propos recueillis par

Ikram Mecheri Le Délit

le délit · mardi 19 janvier · delitfrancais.com


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