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Le mardi 25 février 2014 | Volume 103 Numéro 17
Méchante langue depuis 1977
Volume 103 NumĂŠro 17
Éditorial
Le seul journal francophone de l’UniversitÊ McGill
rec@delitfrancais.com
MÊchante publication Joseph Boju & Camille Gris Roy Le DÊlit Le 19 septembre 1977, veille de la première publication du DÊlit, notre consœur The McGill Daily publiait une lettre Êcrite par an Irate mother, plus que furieuse d’apprendre la crÊation d’un journal francophone dans la meilleure universitÊ de la province. Cette lettre, accusant la destruction prochaine de l’UniversitÊ par la minoritÊ francophone, a marquÊ au fer rouge la naissance de notre journal. Avant même sa crÊation, Le DÊlit posait la question de la langue française. De cette mÊchante langue, nous en avons fait notre mandat. Être le porte-parole des voix francophones du campus; proposer une information et un regard diffÊrent sur McGill et le QuÊbec: voilà les tâches auxquelles Le DÊlit n’a cessÊ de s’atteler. Lors de la confÊrence MÊchante langue qui s’est tenue ce lundi 24 fÊvrier au Pavillon Leacock, Olivier Marcil remarquait que McGill n’a jamais ÊtÊ aussi francophone que maintenant. Nous ne saurions lui donner tort. Rendre visible sur le campus le dÊbat francophone nous est apparu comme une nÊcessitÊ cette annÊe. Et pour cause, Le DÊlit n’avait pas organisÊ une telle confÊrence depuis 1985, sous l’ère de Manuel Dussault. Ce dernier, alors rÊdacteur en chef adjoint, avait fait s’asseoir à la même table Benoit LÊger, prÊsident de l’Association gÊnÊrale des Êtudiants de langue et littÊrature françaises (AGELF), le professeur Yvon Rivard du DÊpartement de langue et littÊrature françaises (DLLF) et le vice-principal aux affaires externes de McGill d’alors, M. Luc Joli-Cœur. Cette confÊrence portait, sans surprise, sur la condition de l’Êtudiant francophone à McGill. Aussi, travailler de concert avec la Commission des Affaires Francophones (CAF), l’AGELF, le DLLF et
même l’administration est une chose qui nous tenait à cœur, et nous saluons leur participation. La rÊcente crÊation de la troupe de thÊâtre francophone Franc-jeu est peut-être bien la preuve que notre communautÊ s’anime et continuera de se mobiliser, sous toutes les formes possibles. Mais revenons-en à nos mÊchants moutons. Voir le Ministre de la Culture, Maka Kotto, se prÊsenter avec simplicitÊ et comprÊhension pour saluer une dÊmarche particulière –celle qui nous fait organiser avec la CAF une confÊrence uniquement en français sur un campus anglophone-, voilà qui nous encourage. Voir une professeure du DÊpartement de langue et littÊrature française (Madame Bouchard) dÊpoussiÊrer nos racines linguistiques et leur donner un ton irrÊvÊrencieux, voilà qui n’est pas pour dÊplaire au DÊlit, du moins à son champ sÊmantique. Voir Monsieur DesgagnÊ, du Centre de la Francophonie des AmÊriques, prÊsenter d’un œil pragmatique les rÊalitÊs francophones, francophiles, et francophoniles des AmÊriques Êtait un rappel clair et nÊcessaire. Voilà qui nous interpelle et nous engage à ne pas oublier de regarder les francophonies comme une affaire plus complexe que le suggère le discours officiel. Voir un Daniel Weinstock se dire Êmu de retrouver l’Êquipe du DÊlit, trente ans après en avoir ÊtÊ le rÊdacteur en chef —à l’Êpoque oÚ le journal portait encore le nom de sa publication jumelle— voilà qui nous galvanise. Enfin, la rhÊtorique imparable et l’humanisme de l’ambassadeur de l’Organisation internationale de la Francophonie auprès des Nations Unies, Filippe Savadogo, nous laissent avec raison sur une note d’espoir. Tant qu’il y aura des ponts et des maillages à construire et à tisser dans nos espaces linguistiques, on aura encore une bonne raison de sourire. [
RÉDACTION 3480 SVF .D5BWJTI CVSFBV #t MontrÊal (QuÊbec) H3A 1X9 TÊlÊphone : +1 514 398-6784 TÊlÊcopieur : +1 514 398-8318 RÊdactrice en chef rec@delitfrancais.com Camille Gris Roy ActualitÊs actualites@delitfrancais.com Alexandra Nadeau LÊo Arcay Arts&Culture artsculture@delitfrancais.com Thomas Simonneau Joseph Boju SociÊtÊ societe@delitfrancais.com Côme de Grandmaison Coordonnateur de la production production@delitfrancais.com ThÊo Bourgery Coordonnateurs visuel visuel@delitfrancais.com CÊcile Amiot Romain Hainaut Infographie infographie@delitfrancais.com Vacant Coordonnatrices de la correction correction@delitfrancais.com Claire Launay Anne Pouzargues Webmestre web@delitfrancais.com Mathieu MÊnard Coordonnatrice des rÊseaux sociaux rÊso@delitfrancais.com Margot Fortin Journalistes LÊa BÊgis, Laurence Carrière, SÊbastien Daigle, Noor Daldoul, Gwenn Duval, Luce EngÊrant, AurÊlie Garnier, Natalia Lara Diaz-Berrio, Francis Loranger, Ruth Malka, Sao-Mai Nguyen, Baptiste Rinner, ChloÊ Roset Couverture Image: CÊcile Amiot Montage: Romain Hainaut BUREAU PUBLICITAIRE 3480 SVF .D5BWJTI CVSFBV #t MontrÊal (QuÊbec) H3A 1X9 TÊlÊphone : +1 514 398-6790 TÊlÊcopieur : +1 514 398-8318 ads@dailypublications.org PublicitÊ et direction gÊnÊrale Boris Shedov ReprÊsentante en vente Letty Matteo Photocomposition Mathieu MÊnard, Lauriane Giroux et Geneviève Robert The McGill Daily coordinating@mcgilldaily.com Anqi Zhang Conseil d’administration de la SociÊtÊ des publications du Daily (SPD) Queen Arsem-O’Malley, Amina Batyreva, ThÊo Bourgery, Jacqueline Brandon, Hera Chan, Benjamin Elgie, Camille Gris Roy, Boris Shedov, Samantha Shier, Juan Camilo Velzquez Buritica, Anqi Zhang L’usage du masculin dans les pages du DÊlit vise à allÊger le texte et ne se veut nullement discriminatoire.
Les opinions exprimÊes dans ces pages ne reflètent pas nÊcessairement celles de l’UniversitÊ McGill.
2 Éditorial
Le DÊlit *44/ FTU QVCMJ� MB QMVQBSU EFT NBSEJT QBS MB SociÊtÊ des publications du Daily (SPD). Il encourage la reproduction de ses articles originaux à condition d’en mentionner la source (sauf dans le cas d’articles et d’illustrations dont les droits avant ÊtÊ auparavent rÊservÊs, incluant les articles de la CUP). L’Êquipe du DÊlit n’endosse pas nÊcessairement les produits dont la publicitÊ paraÎt dans ce journal.ImprimÊ sur du papier recyclÊ format tabloïde par Imprimeries Transcontinental Transmag, Anjou (QuÊbec). Le DÊlit est membre fondateur de la Canadian University Press (CUP) et du Carrefour international de la presse universitaire francophone (CIPUF).
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Actualités
En exclusivité web cette semaine: Croissance et développement durable: antinomiques ou réconciliables?
actualites@delitfrancais.com
Un article d’Aurélie Garnier
CAMPUS
Santé mentale au Conseil Camille Gris Roy Le Délit À la dernière séance du conseil législatif de l’Association Étudiante de l’Université McGill (AÉUM), les conseillers et membres de l’exécutif de l’association ont discuté notamment de santé mentale et de politique d’équité. Une motion avait été présentée pour l’adoption de la politique de santé mentale de l’AÉUM. Cette politique, et le plan d’action sur cinq ans qui l’accompagne, est le résultat des travaux d’un comité formé par la vice-présidente aux affaires universitaires Joey Shea, les conseillers Ben Reedijk (de la Faculté des Arts) et David Benrimoh (de la Faculté de Médecine), ainsi que par des représentants à McGill du collectif Unleash the Noise, du Peer Support Network et du Groupe de recher-
che en intérêt public du Québec (GRIP). «Quelle approche l’AÉUM doit-elle choisir en matière de santé mentale? C’est à cette question qu’on a tenté de répondre. Au final, on a réduit tout cela à un plan quinquennal qui est tout à fait tangible», a dit Joey Shea. «On s’est inspiré de la philosophie de l’Université au sujet de la santé mentale, mais plus qu’une philosophie, notre plan présente une série d’étapes concrètes qui devraient amener du réel changement», a ajouté David Benrimoh. Quelle différence y aura-t-il entre la politique de McGill et celle de l’AÉUM? À cette question, Joey Shea répond: «l’idée est de perpétuer une culture du bien-être. C’est une approche différente. McGill a une approche plus professionnelle, un service de réponse. De notre côté, on priorise l’information, et les services ne seront pas forcé-
ment professionnels. On cherche aussi une meilleure cohésion entre les groupes étudiants». Par ailleurs, le conseil avait invité Chelsea Barnett, une des trois chercheurs du comité d’équité de l’AÉUM, à venir présenter les résultats de son groupe de recherche. Le comité d’équité a pour projet de revoir les institutions de l’association et a entrepris pour cela un projet d’étude comparative entre différentes universités. D’après les recherches du comité, l’AÉUM est la seule association étudiante qui a sa propre politique d’équité, et cette politique peut déjà être considérée comme progressiste. Le comité réfléchit à des stratégies pour améliorer la situation. La question de la création d’un poste de vice-président chargé de l’équité (et, plus largement, du développement durable) a également été abordée. [
MONTRÉAL
Dehors Breton! Alexandra Nadeau Le Délit
P
rès de cinq cents étudiants de l’Université de Montréal (UdeM) étaient en grève le lundi 24 février, alors que Guy Breton se faisait ré-élire comme recteur de l’établissement. À 16h, quelques 300 étudiants se sont rassemblés aux portes du métro Édouard-Montpetit pour manifester leur désir de mettre à la porte le recteur Guy Breton qui s’est fait accorder le droit de briguer un deuxième mandat de cinq ans. Ils critiquent le fait que la nomination du recteur est faite à l’intérieur du Conseil Universitaire, sans
aucune consultation de la communauté universitaire, mais plutôt par des gens du milieux des affaires. Les reproches à l’endroit de Guy Breton sont nombreux: scandales immobiliers, liens avec des entreprises ayant été mêlées avec la corruption, délocalisation du campus, vision néolibérale et adaptation de l’Université à une économie de marché, mise en place très coûteuse (84,7millions de dollars) d’un nouveau portail étudiant et mauvaise gestion des finances de l’UdeM. En clin d’œil au carré rouge, c’est le carré blanc qui fait office de symbole du nouveau mouvement, qui a tenu une première manifestation contre Breton à la fin janvier.[
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CAMPUS
Le Nid pour étudiants
Le nouveau café étudiant: burritos, quiches, sandwichs et soupes. Gwenn Duval Le Délit
L
’inauguration officielle du nouveau café au deuxième étage du bâtiment Shatner a été célébrée le mardi 18 février au soir. Un peu plus de 150 personnes se sont présentées à l’événement organisé par Josh Redel, le gérant du Nid. Le café, qui sert des mets variés, est ouvert depuis la rentrée de janvier. Pour inviter la communauté étudiante de McGill à se réunir dans la cafétéria et souligner le bon fonctionnement depuis l’ouverture du Nid, une soirée a été organisée autour d’une dégustation des mets vendus au café. D’un côté de la salle, il y a un comptoir où se vendent des bières et de l’autre, un petit groupe de jazz, le Luis Steim Trio + 1, dans lequel jouent Kyle Hutchins, Levy Dover, Milan Simas et Luis Steim, ajoutant à la soirée un air de fête où se rencontrent culture et nourriture. Les étudiants savourent les plats offerts et déclarent se régaler. Sébastien Mezeret, étudiant en cinquième année en ingénierie, dit qu’il a choisi ce café plutôt qu’un autre «à cause du goût!» Les étudiants interrogés s’accordent à dire qu’il y a vraiment un bon rapport qualité/prix, bien que les portions soient relativement limitées pour les gros appétits. Soulevant l’importance de rassembler les étudiants afin de favoriser l’esprit de communauté qui entoure le moment des repas, Josh Redel confie au Délit que la soirée a pour but de promouvoir l’engagement étudiant. L’interpellation des étudiants est à la
base du projet. En effet, le nom du café a été choisi au mois de novembre parmi les suggestions des étudiants. De plus, les employés et gestionnaires du Nid sont eux-mêmes des étudiants, ce qui renforce le sentiment d’appartenance à la communauté. Se faire ser-
Au Nid, une grande importance est accordée au développement durable.. Pendant la soirée, plusieurs associations sont présentes: le «McGill food system’s project» , le comité environnemental de l’Association des Étudiant(e)s de l’Université McGill
Cécile Amiot / Le Délit vir par un collègue rappelle le réseau qui se constitue dans l’université, dit Sophie Silkes, coordonnatrice du «Student Sustainability Ambassador Board» qui conseille de goûter à la soupe épicée aux carottes et gingembre.
(AÉUM), McGill farmer’s Market, Greenpeace McGill, ECOLE et le «Student Sustainability Ambassador Board». De plus, des feuilles sont mises à la disposition des étudiants pour qu’ils puissent s’exprimer sur la significa-
tion du développement durable et la façon de l’inclure dans le quotidien. Plusieurs étudiants se penchent sur la question et rédigent des réponses variées, dénotant leur enthousiasme et leur intérêt. Quel est le café de vos rêves? Très à l’écoute de la communauté, le café s’indexe au lieu de rassemblement que constitue la cafétéria du bâtiment Shatner. Aussi, afin d’offrir les meilleurs services possibles aux étudiants, leur avis est demandé expressément lors de l’inauguration. Des feuilles sont disposées sur les tables avec des questions telles que «quel serait le café de vos rêves?» Des plans de la cafétéria sont à la disposition des étudiants qui peuvent y dessiner leurs idées d’organisation des tables et des chaises. L’espace polyvalent que représente la cafétéria est mis en valeur. À la question de ce que représentent les repas et les lieux dans lesquels ils sont partagés s’ajoute celle de l’importance et de la répercussion sur les étudiants de pouvoir se retrouver dans un espace pour manger. Est-ce une pause ou un moment d’études? On y vient seul ou entre amis? Josh Redel considère augmenter les heures d’ouverture du Nid qui se limitent, pour le moment, de 10 heures à 15 heures et déclare avoir un projet de compostage pour un environnement plus vert. Le Nid est ouvert, la cafétéria du bâtiment Shatner s’étoffe avec en ligne de mire la promotion de l’engagement auprès de la communauté mcgilloise et le développement durable. À vous d’y venir goûter un burrito à la viande ou végétarien! [
CAMPUS
Discussions au sommet Le Sénat de McGill se penche sur l’interdisciplinarité. Anne Pouzargues Le Délit
S
uzanne Fortier, principale de l’Université McGill, ouvre la séance du Sénat du mercredi 19 février dans la bonne humeur en annonçant la victoire de l’équipe de hockey masculine contre la Lettonie aux Jeux olympiques de Sotchi. Au programme de la réunion: politique d’évaluation des étudiants, interdisciplinarité et budget prévisionnel pour les années à venir. Politique d’évaluation Le Sénat débute avec une demande de Katie Larson, présidente de l’Association Étudiante de l’Université McGill (AÉUM), Joey Shea, vice-présidente aux affaires universitaires, Yasmeen Gholmieh et Claire Stewart-Kanigan, sénatrices de la Faculté des arts et Alvin Kuate Defo, sénateur de la Faculté des sciences. Leur question concerne la politique d’évaluation des étudiants (University Student Assessment Policy), qui précise notamment qu’un examen final ne peut pas valoir plus de 75% de la note globale. Cette politique ne serait parfois pas respec-
4 Actualités
tée, selon les cinq sénateurs concernés. Ollivier Dyens, vice-recteur exécutif adjoint (étude et vie étudiante), a déclaré qu’il allait former une commission chargée d’enquêter sur les cas de non-respect de la politique d’évaluation, et que le sujet serait abordé de nouveau lors d’une prochaine réunion. Interdisciplinarité à McGill Le principal sujet de cette séance a été l’interdisciplinarité à l’Université McGill. Les sénateurs se sont tous accordés à dire qu’il est nécessaire de développer les liens entre les différents programmes et les différentes facultés, afin de permettre aux étudiants de prendre des cours variés et correspondant mieux à leurs intérêts. Actuellement, cela est parfois difficile, voire impossible: en effet, il y a un manque d’information, et les élèves ne sont pas toujours au courant des possibilités qui existent. De plus, le processus s’avère parfois compliqué par les différences bureaucratiques entre les départements, qui n’ont pas forcément le même fonctionnement ni les mêmes façons d’évaluer les élèves. Cela
complique grandement les équivalences entre les programmes. Suzanne Fortier a aussi relevé la difficulté de recevoir des financements du gouvernement fédéral pour des cursus interdisciplinaires. Enfin, Martin Grant, doyen du département de physique, a tenu à préciser que «l’interdisciplinarité ne doit pas se faire juste pour elle-même, mais dans le but d’atteindre l’excellence. Peut-être que des chiens peuvent faire du hockey, mais est-ce que des chats peuvent en faire?» Le hockey, décidément un des grands enjeux de l’après-midi, permet au doyen Grant de mettre en avant un point important: l’interdisciplinarité doit être encouragée de façon cohérente afin de permettre un plus grand apprentissage. Pour réfléchir aux moyens de mieux mettre en œuvre l’interdisciplinarité à McGill, un comité se réunira le 25 mars prochain, dans le but de proposer des solutions concrètes et rapidement applicables. Budget et prévisions Anthony C. Masi, vice-principal exécutif de l'Université McGill, a présenté le
budget prévisionnel pour l’année prochaine et les années suivantes. Selon Masi, il y a quatre grands axes primordiaux dans l’attribution du budget: maintenir l’excellence académique, faire des étudiants les premiers bénéficiaires de l’université, augmenter la visibilité de McGill au niveau provincial, national et international, et gérer efficacement les finances de l’université. Le budget de l’université, toujours marqué par les coupures gouvernementales, est encore en déficit, bien que cela semble se réduire. Les départs volontaires à la retraite et le personnel non remplacé ont notamment permis de faire quelques économies. Selon les dernières prévisions, le déficit sera de 10,4 millions de dollars pour l’année 2014 (il était de 13 millions de dollars l’année dernière). Le gouvernement du Québec devrait en théorie réinvestir 25 millions de dollars sur les cinq prochaines années. Cependant, il reste beaucoup d’incertitudes au niveau des décisions gouvernementales, et cette somme n’a pour l’instant pas été confirmée. Le Délit reviendra sur ce sujet lorsque de plus nombreuses informations seront disponibles. [
[ le délit · le mardi 25 février 2014 · delitfrancais.com
CAMPUS
Hackathon à McGill 500 étudiants se retrouvent pour le plus grand concours informatique du Canada. Léo Arcay Le Délit
L
e deuxième étage du pavillon Shatner et le bar Gerts ont changé de décor la fin de semaine dernière. En effet, les 22 et 23 février, s’y sont retrouvés près de 500 développeurs web venus de McGill, du Massachussets Institute of Technology (MIT), des universités de Toronto, du Michigan, du Maryland et bien d’autres pour participer au concours McHacks. Durant une journée et demie, par équipe, ils ont dû se lancer dans un projet informatique innovant, comme la création d’applications ou de jeux, par exemple. De nombreux prix étaient à la clef, dont des chèques de plusieurs centaines de dollars. Ce type de compétition est apparu il y a environ trois ans et s’est très vite répandu aux États-Unis. McHacks est le premier rendezvous canadien d’envergure organisé par des étudiants. Selon Mohamed Adam Chaieb, co-fondateur et directeur des affaires externes de HackMcGill, «un hackathon n’a pas une fin en soi, mais on essaye de perpétuer une culture qui est celle de l’exploration et de la créativité ». Cependant, de nombreux recruteurs de compagnies de technologie, comme AppDirect, GoInstant ou Microsoft, étaient sur place pour voir les jeunes développeurs en action, et éventuellement proposer des stages aux plus qualifiés.
Gwenn Duval / Le Délit Dans les salles bondées, les programmeurs n’ont pas le temps de rêver. Les équipes s’affairent et s’acharnent, et ne s’arrêtent que très brièvement pour répondre aux questions du Délit. Ils ont toutefois l’air très motivé et investi. Selon un étudiant au Collège Dawson, la présence de compa-
gnies de technologie dans le concours offre l’occasion de se faire des contacts pour des projets futurs. D’autres développeurs, venus de l’Université Queen’s se seraient «déplacés même si il n’y avait pas [d’entreprises]» et sont principalement là pour «concevoir des trucs cools». Les recruteurs sont aux
aguets, et n’hésitent pas à aller épauler tel ou tel candidat. Maxime Lambert, développeur logiciel chez ISR Transit, explique que «les événements comme ça permettent […] de repérer les équipes à succès. On peut mesurer la qualité du travail, la motivation, l’intérêt. C’est pour cela qu’on est intéressé de recruter dans les réseaux universitaires». Mohamed Adam Chaieb, comme beaucoup d’autres étudiants présents, pense que les universités ne proposent pas assez d’opportunités telles que McHacks. Selon lui, il y a un réel besoin d’ajouter un côté pratique et expérimental à la recherche académique: une initiative que les universités n’ont pas encore prise. «Les gens sont vraiment intéressés, ils veulent créer de nouveaux projets, explorer de nouvelles technologies, apprendre à programmer. Une assez grande partie des gens qui nous approchent n’ont pas de bagage technique», confie-t-il au Délit. « Si ce n’est pas [pris en charge] par l’Université de manière directe, je pense que c’est à nous de créer ces opportunitéslà pour nous-mêmes. On ne doit pas forcément s’attendre à ce [qu’elles] viennent d’ailleurs». McHacks n’est pas une singerie, c’est un projet qui se veut créatif et énergique. Étant donné le succès des hackathons, on peut se demander si ce genre d’événement ne deviendra pas un standard de recherche, de développement et de contact entre étudiants et entreprises. [
COMITÉ CONSULTATIF DE SÉLECTION DU PROTECTEUR DES ÉTUDIANTS À:
Communauté de l’Université McGill
De:
Ollivier Dyens, premier vice-principal exécutif adjoint (études et vie étudiante)
Un comité consultatif de sélection du protecteur des étudiants a été mis sur pied. Sa composition est la suivante : Représentants du sénat: Emine Sarigöllü, professeure Prakash Panangaden, professeur Représentante du Conseil des gouverneurs: Cynthia Price
Représentants des étudiants: Yasmeen Gholmieh, représentante de l’AÉUM Elizabeth Cawley, agente des services aux membres ECS Cameron Butler, représentant du sénat AECM Anna Gorkova, présidente AEEPM
Personne-ressource: Drew Love, directeur de l’Athlétisme et des loisirs Président du comité: Professeur Ollivier Dyens, premier vice-principal exécutif adjoint (études et vie étudiante) Secrétaire: Linda Webb, bureau du premier vice-principal exécutif adjoint (études et vie étudiante)
La personne choisie débutera son mandate le 1er septembre 2014. Le protecteur des étudiants a pour fonction première de mettre à la disposition des étudiants et étudiantes une procédure indépendante, impartiale et confidentielle leur permettant de trouver une solution juste et équitable à tout problème de nature universitaire qui n’a pu être résolu par l’entremise des voies administratives régulières de règlement à l’amiable, jugées inefficaces ou inappropriées dans les circonstances. Les candidats permanence à la communauté de l’Université.
à ce poste doivent d’ores et déjà occuper un poste menant à la l’Université McGill et être respectés des étudiants et autres membres de universitaire. Ils doivent également connaître les politiques et procédures Des compétences linguistiques en anglais et en français sont un atout.
Le poste de protecteur des étudiants est un poste à mi-temps d’une durée de cinq ans, non renouvelable. Le protecteur des étudiants bénéficie de services de bureau et de secrétariat offerts par l’Université. Les mises en candidature à ce poste seront évaluées sur réception jusqu’à ce que ledit poste ait été comblé. Veuillez soumettre les candidatures à mes soins par courriel à l’adresse HR.DPSLL@mcgill.ca. Il convient de noter que toutes ces communications se feront à titre essentiellement confidentiel.
CAMPUS
SOS McGill aux portes du Sénat Le projet PPP continue de créer la controverse. Gwenn Duval Le Délit
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lusieurs étudiants de deuxième et troisième cycles, ainsi que des professeurs de la Faculté des arts, se sont associés sous le nom de Support Our Staff (SOS McGill) afin de protester contre le projet de restructuration administrative à la Faculté des arts qui doit entrer en vigueur le 1er mai prochain. Pour exprimer leur mécontentement et leurs requêtes, ils ont manifesté le mardi 18 février à 15 heures devant la salle 160 du pavillon des Arts où se tenait la réunion des directeurs de départements de la Faculté des arts, ainsi que le mercredi 19 février à 15 heures devant Leacock 232, où avait lieu la rencontre hebdomadaire du Sénat de l’Université. Le petit groupe avait préparé des pancartes et des dépliants dans le but de mettre au courant les étudiants à propos d’un sujet qui les concerne, puisque la restructuration aura une conséquence directe sur les ressources d’aide disponibles. Les prospectus s’adressent aussi aux membres de la direction. Les professeurs et étudiants du groupe SOS McGill y expriment leur désaccord avec le procédé employé lors du processus de restructuration. Une lettre adressée à la principale Suzanne Fortier a été distribuée devant le Sénat, demandant «de créer un processus démocratique qui réponde aux revendications suivantes: 1. Rendre public les détails (incluant les budgets, les descriptions des tâches, les projets alternatifs et les différentes redistributions dans l’espace) sur le site web du PPP. 2. Respecter et agir selon les conventions collectives des travailleurs affectés par ces changements». Restructuration administrative Rappelons que le projet de restructuration est en cours depuis novembre 2012 et tente de résoudre les problèmes liés aux coupures dans le budget universitaire, qui entraîne une diminution des effectifs du personnel administratif. (voir «Restructuration à la Faculté des Arts», vol. 103, n°13). En effet, depuis décembre 2012, l’université ne peut engager qu’un employé pour deux départs à la retraite. Cela signifie que les secrétariats des départements qui ne possèdent, par exemple, qu’un seul conseiller aux études de premier cycle, risquent, dans ce cas, de ne plus en avoir du tout. Pour sa part, le projet «People, partnerships & processes» (PPP) vise à réorganiser les treize départements de la Faculté des arts en quatre pôles de services appelés «centres administratifs de service». Le but est de réunir les secrétariats des départements dans un espace concis afin de pouvoir réagir à un départ à la retraite en relayant les tâches entre les départements. Par exemple, les secrétariats de science politique, économie et philosophie se retrouveront dans des bureaux juxtaposés au quatrième étage du pavillon Leacock, alors que les secrétariats d’anthropologie, histoire, sociologie et études juives seront concentrés au septième étage. La vice-doyenne de la faculté des Arts, Gillian Lane-Mercier, explique en entrevue avec Le Délit que la visée de cette restructuration est d’«essayer de consolider et de mieux répartir le service aux étudiants puisque, sans regroupement, les départements auraient été dans l’embarras face à la répartition des tâches». Elle explique que, dans le
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cas d’un départ à la retraite d’un conseiller aux affaires étudiantes du premier cycle qui ne peut être remplacé, ce serait le conseiller aux affaires étudiantes des deuxième et troisième cycles qui s’en verrait incomber les tâches. Dans l’optique de la restructuration et des regroupements administratifs, c’est le conseiller aux affaires étudiantes du département conjoint qui assurera le service. L’extension des compétences se fera donc sur le plan de la diversité des programmes, non pas sur la fonction et le rapport qu’établit le conseiller avec l’étudiant. Cependant, le problème de la surcharge de travail est mis en avant par Gretchen King, étudiante du troisième cycle en histoire de l’art et communication et membre de SOS McGill, qui craint aussi la diminution de la qualité du service rendu aux étudiants dans le cas échéant, à cause d’un manque de spécialisation et d’une mauvaise connaissance du département voisin. Évolution du projet Deux scénarios de réorganisation administrative avaient été proposés en février 2013 et mis en ligne sur le site du PPP, invitant les commentaires et les réactions du personnel et des étudiants avec un forum ouvert. Le premier projet impliquait une soixantaine de déménagements et considérait réunir tous les conseillers du premier cycle dans le pavillon Leacock. Cette première proposition ayant suscité de vives réactions de refus et des critiques virulentes en mars 2013, elle a donc été reconsidérée avec l’intention de conserver une proximité entre les services d’aide aux étudiants et les départements auxquels ils sont rattachés. Le 19 novembre 2013, le nouveau plan du projet est divulgué sur le site du PPP, proposant le regroupement en quatre centres de service administratifs (deux à Leacock, un au pavillon des arts et le quatrième au 688 Sherbrooke). Il est à noter que le secrétariat du centre d’enseignement du français a rejoint le bâtiment des arts en juin 2013 à la suite d’un départ à la retraite qui a engendré une diminution des effectifs.
Les professeurs étant toujours au pavillon Ferrier, où les cours sont donnés, la délocalisation du secrétariat a donc généré une distance entre le milieu d’apprentissage des étudiants et celui des aides administratives. Le projet de regroupement des autres secrétariats doit entrer en vigueur le 1er mai. Cependant, l’organisation du bâtiment Leacock est plus claire que celle du pavillon des arts, où se trouvent les départements d’anglais, d’histoire de l’art et communication, de langue et littérature françaises, ainsi que le centre d’enseignement du français. À la question de l’espace, architecturalement parlant moins facilement façonnable, s’ajoute le problème de la langue. Les conseillers anglophones pourront-ils assumer une aide de qualité aux étudiants francophones? Mésentente persistante Le second plan du projet PPP a été mieux reçu que le premier mais ne fait toujours pas l’unanimité, comme le démontre les manifestations de mardi et mercredi, principalement en ce qui concerne les départements qui dépendent du pavillon des arts. La lettre adressée à la Principale Fortier qui a été distribuée avant le Sénat rappelait le vote du 23 avril 2013, lors du conseil de la Faculté des arts. Ce vote allait contre le «regroupement des activités administratives et du personnel de soutient et/ou leur retrait des départements», et dénonçait le fait que le doyen n’en ait pas tenu compte. Cependant, le doyen de la Faculté des arts, Christopher Manfredi, soutient que ce rejet concernait le premier projet qui a, entre temps, été abandonné et remanié pour pallier aux problèmes soulevés par le conseil. Le doyen déclare que «l’université a le droit de réorganiser son administration du moment que cela se fait en accord avec les conventions collectives», rappelant que le syndicat des employés non-académiques de McGill dont fait partie le personnel administratif de soutien, McGill University NonAcademic Certified Association (MUNACA), et le «University’s Labour Relations Committee» ont été mis au courant du projet depuis le 12 février
Cécile Amiot / Le Délit
2013, date à laquelle plus de détails à propos du PPP avaient été demandés. Le doyen se dit prêt à rencontrer le président de MUNACA. La proposition d’une seconde réunion aurait déjà, à l’heure actuelle, été manifestée. Pour ce qui en est de l’Association Étudiante de l’Université McGill et de l’Association Étudiante de la Faculté des Arts, les deux associations étudiantes refusent de prendre position. Le doyen rappelle aussi que le mercredi 22 janvier 2014, une soirée d’information s’était tenue, qui visait à répondre aux inquiétudes des étudiants de l’AÉFA par rapport au projet de restructuration administrative des départements de la Faculté des arts. Il souligne la contribution constructive des étudiants aux projets de réaménagement des espaces dans le bâtiment Leacock, et déplore l’hostilité manifestée par SOS McGill à son égard. Il considère le procédé comme transparent, grâce au site Internet sur le PPP ainsi que les nombreuses réunions, présentations et remaniements du projet suite aux commentaires reçus. D’autre part, il avait déjà répondu à la lettre ouverte qui lui a été adressée par SOS McGill dans le McGill Daily. Pour ce qui en est du budget, qui devait être mis en ligne le 16 janvier 2014, la vice-doyenne Gillian Lane-Mercier explique qu’il est difficile de l’établir car certaines choses ne sont pas encore claires, et car certaines demandes surviennent au fur et à mesure du processus de réaménagement, comme par exemple la demande de retirer la cloison entre les bureaux des secrétaires de philosophie qui désirent continuer à travailler ensemble. La vice-doyenne exprime son intention d’accorder une importance aux requêtes des employés des services administratifs. Une version du devis non finalisée a été mise en ligne le 18 février 2014. Enfin, la lettre de SOS McGill demande de publier, sur le site du PPP, les plans alternatifs élaborés au sein même des départements d’anglais, d’histoire de l’art et communication, de langue et littérature françaises et du centre d’enseignement du français. Ceux-ci proposent de ne pas procéder à une relocalisation des secrétariats tout en envisageant la possibilité de se distribuer les tâches et responsabilités ayant trait au domaine financer. Cette requête assurerait, selon eux, une meilleure transparence quant à la réalité de la situation et des procédés en cours. Communauté au sein de l’université David Hensley, professeur au département d’anglais, déplore la restructuration prévue du système d’aide aux étudiants. La distance entre les instances provoquera, à son avis, une perte sur le plan de la communauté. Il évoque aussi l’absence de syndicat pour le corps professoral qui, dans la situation actuelle, lui donne un sentiment d’impuissance face aux décisions prises. De son côté, l’administration se voit contrainte de faire face aux problèmes engendrés par les coupures dans le budget et manifeste son intérêt à assurer un service des plus solides aux étudiants. Tout en rappelant «le droit de chaque personne concernée de s’exprimer par commentaires et par courriels de façon anonyme ou non, ainsi que celui de se présenter aux réunions et de poser des questions» Gillian Lane-Mercier reconnaît qu’il reste des difficultés à surmonter pour parvenir à consolider le service. Elle entend bien pousser la collaboration pour venir à bout des problèmes. [
[ le délit · le mardi 25 février 2014 · delitfrancais.com
CAMPUS
I-week à McGill Une nouvelle organisation mcgilloise pour un Tibet libre. Chloé Roset Le Délit
D
ans le cadre de la semaine: «I-week 2014: McGill without borders», la nouvelle organisation étudiante de McGill Students for a free Tibet a offert à la communauté mcgilloise un moment de cohésion culturelle et de partage. Le jeudi 20 février dernier a eu lieu la conférence «Discover Tibet», ayant pour but de faire partager la culture tibétaine et d’éveiller les esprits aux enjeux politiques et socioculturels qui menacent la région actuellement. La soirée était organisée autour de témoignages et de performances artistiques: des chants traditionnels tibétains et des démonstrations de danse Bharatanatyam. Malgré cet aspect festif et ce partage culturel, l’organisation Students for Free Tibet a souhaité aborder d’importantes questions concernant l’oppression actuelle du peuple tibétain par le gouvernement chinois. Ugen Wangchuk, jeune canadien d’origine tibétaine a pris la parole afin de rappeler aux personnes présentes que le Tibet est encore aujourd’hui sous la domination chinoise malgré un fort désir d’indépendance. Cela a comme résultat de créer d’importantes inégalités entre le peuple chinois et le peuple tibétain dont la culture est vouée à disparaître si on n’agit pas. Face à cette situation, la résistance n’est pas évidente, mais elle est tout de même existante. Lors de sa présentation, Ugen explique que cette résistance est axée autour de quatre variables clefs: l’implication de la jeunesse tibétaine, l’engagement avec la communauté internationale, la collaboration des divers gouvernements et la mise en place d’actions stratégiques concrètes. En entretien avec Le Délit, Max, viceprésident aux affaires externes de Students for a Free Tibet, explique que la culture tibétaine est non seulement d’une profon-
de richesse, mais elle est également l’une des plus anciennes et elle a su, jusqu’à présent, résister au développement mondial. Malheureusement, elle est fortement menacée par l’oppression exercée par le gouvernement chinois. C’est pour cette raison qu’il est primordial que les gouvernements internationaux exercent les pressions nécessaires à la sauvegarde de cette culture. Responsabilité canadienne De nombreux conflits d’intérêts sont bien souvent à l’origine de l’inactivité des gouvernements dans les causes humanitaires. Robert et Anne, deux membres d’Amnistie Internationale présents à l’événement, dénoncent l’hypocrisie du Canada face à la situation au Tibet à cause des accords économiques passés avec la Chine. Ainsi, Robert explique que le gouvernement canadien donne la priorité aux investissements chinois dans le but de développer l’exploitation de sables bitumineux. «On prend conscience que, bien que le Canada n’est pas idéologiquement en accord avec la Chine, la priorité pour le gouvernement aujourd’hui ce ne sont pas les droits de la personne mais les intérêts économiques», renchérit Anne. Souvent, dans la sphère politique, il est difficile, voire impossible, de concilier valeurs sociales et économiques, comme en témoigne la rencontre controversée de Barack Obama avec le Dalaï-Lama le vendredi 21 février dernier. En effet, malgré la demande formelle de Beijing de renoncer à cette entrevue jugée de «grossière ingérence» dans les affaires intérieures chinoises, le président américain a décidé de maintenir sa rencontre avec le chef spirituel tibétain et en a profité pour exprimer son soutien concernant la protection des droits de l'homme au Tibet, risquant ainsi d’ébranler les relations bilatérales entre les États-Unis et la Chine. [
Natalia Lara Diaz-Berrio / Le Délit
Autochtones: étrangers dans leur propre pays. Claire Launay Le Délit
À
l’occasion de la semaine internationale organisée par le Bureau des étudiants internationaux de l’Université McGill, une conférence d’information au sujet des Premières Nations a eu lieu le jeudi 20 février. La conférence, qui consistait d’abord au visionnement du film «Mohawk Girls», suivi d’une courte discussion, était l’opportunité pour des étudiants venant de tous horizons de se familiariser avec la culture autochtone dont on n’entend peu parler en dehors des Amériques. «Mohawk Girls» est un documentaire qui montre la vie quotidienne et les aspirations de cinq jeunes filles au secondaire, toutes issues de la réserve autochtone de Kahnawake, sur la Rive Sud de Montréal, à moins d’une heure en voiture de l’Île de Montréal. Ces portraits présentent une jeunesse très consciente des problèmes qui touchent leur communauté comme l’alcoolisme, les grossesses à l’adolescence, et plus généralement un sentiment d’isolation du reste de la vie canadienne. Le documentaire donne une vision juste du dilemme auquel fait face la jeunesse des Premières Nations, entre préservation de leur culture et intégration dans la société canadienne. Ce qu’on en tire, c’est l’image d’une jeunesse consciente des obstacles sur son chemin, mais pas découragée
pour autant. Radney Jean-Claude, membre du Rapprochement des spiritualités indigènesHaïtiens, explique à l’assistance l’importance pour les étudiants internationaux qui arrivent à McGill chaque année de s’intéresser et de s’impliquer dans la culture des Premières Nations. C’est, d’après lui, la meilleure manière de réellement comprendre l’histoire du Canada. C’est ensuite Tiffany Harrington, une étudiante membre de l’«Indigenous Students Alliance», qui a pris la parole afin de partager son expérience en tant qu’étudiante autochtone en échange en Argentine. À travers son expérience, les gens présents à la conférence ont pu se familiariser avec les communautés autochtones d’Amérique du Sud aussi, et de ce qui les différencient de celles du Canada. Tiffany Harrington, bien qu’en admettant les difficultés auxquelles font face les autochtones au Canada, a, à ce propos, tenu à souligner la chance qu’elles ont, par rapport à des communautés d’Argentine. En effet, il semblerait que, là-bas, leur statut est bien moins reconnu et qu’ils se trouvent bien loin d’un quelconque système d’éducation où leur langue peut être enseignée en bonne et due forme. Cette conférence était donc une bonne occasion pour les étudiants de se rendre compte de la situation des Premières Nations aux Canada. [
APPEL DE CANDIDATURES La Société des publications du Daily, éditeur du Délit et du McGill Daily, est à la recherche de candidat(e)s pour combler
ASSEMBLÉE GÉNÉRALE L’assemblée générale annuelle de la Société des publications du Daily (SPD), éditeur du McGill Daily et du Délit, se tiendra
mercredi le 26 mars au Leacock 26 à 17h30 Les membres de la SPD sont cordialement invités. La présence des candidats au conseil d’administration est obligatoire.
plusieurs postes étudiants sur son Conseil d’administration. Les candidat(e)s doivent être étudiant(e)s à McGill, inscrit(e)s à la prochaine session d’automne et disponibles pour siéger au Conseil d’administration jusqu’au 30 avril 2015. Les membres du Conseil se réunissent au moins une fois par mois pour discuter de la gestion des journaux et pour prendre des décisions administratives importantes.
Les candidat(e)s doivent envoyer leur curriculum vitae ainsi qu’une lettre d’intention d’au plus 500 mots à chair@dailypublications.org, au plus tard le mardi 25 mars à 17 h. La période de nomination commence le mardi 11 mars.
Pour plus d’informations, contactez-nous: chair@dailypublications.org
Il était une fois en
La révolution en
Société
societe@delitfrancais.com Côme de Grandmaison Le Délit
S
i on en croit les images diffusées dans les médias américains, les Ukrainiens sont des fervents partisans d’une entrée dans l’Union européenne (UE), à laquelle s’oppose un gouvernement corrompu qui ne représente plus sa population. Mais la situation est plus complexe, moins manichéenne: plusieurs facteurs sont à prendre en compte, que ce soient les divisions culturelles, l’influence de la Russie ou encore l’état des institutions. De plus, résumer la solution au départ de Viktor Ianoukovitch, président démis de ses fonctions, semble également utopique. Comme le confie Inna Tarabukhina, une étudiante de McGill née en Ukraine, en entrevue avec Le Délit, «le plus terrifiant est qu’il n’y a pas d’issue claire [à cette crise]». Des divisions culturelles Un premier élément permettant d’expliquer les événements actuels, présenté par le magazine en ligne Slate, dans l’article «La carte pour comprendre la situation en Ukraine» (paru le 13 décembre 2013), se base sur le point de départ des manifestations à Kiev: le refus du président de signer un accord d’association avec l’Union Européenne, suite à des pressions de la Russie. D’après le politologue et historien Andreas Umland, dans un article du mensuel français Le Monde diplomatique, ces pressions étaient surtout verbales («suicide économique», «abandon de souveraineté», «violation du Traité d’amitié russo-ukrainien sur lequel les fondements de notre relation sont bâtis», a déclaré le pouvoir russe, selon les dires d’Umland). C’est cette volte-face du président qui a mené les Ukrainiens en masse dans les rues de la capitale afin d’exprimer leur volonté de rapprochement avec l’Europe. L’article de Slate explique ainsi que les divisions entre europhiles, soit les premiers manifestants, et russophiles, sont en partie d’ordre culturel, presque ethniques: à l’Ouest de l’Ukraine (où se trouve Kiev, la capitale) la population est majoritairement catholique, parlant ukrainien (à 78%) et géographiquement plus proche de l’Union Européenne; la partie orientale, est peuplée par des russes «ethniques», parlant russe et de religion orthodoxe, qui représentent environ 17% de la population. La manière dont la révolution ukrainienne est traitée est donc en partie biaisée car la plupart des journalistes, comme l’explique le journal Washington Post («This one map helps explain Ukraine’s protests», de Max Fisher, paru le 9 décembre 2013) sont basés à Kiev, ville pro-européenne de par sa position et sa population. De plus, précise l’article, le président ukrainien, Victor Ianoukovitch, vient de la partie orientale, pro-russe, de l’Ukraine, ce qui explique sa position et en partie ce pourquoi il est aussi contesté.
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Néanmoins, le conflit n’est plus réductible à une opposition entre un gouvernement soutenu par les pro-Russes et les partisans de l’Union européenne. Aujourd’hui il est clair que les Ukrainiens se battent d’abord, et en majorité, pour que le président Ianoukovitch quitte le pouvoir: en effet, si 79% des Ukrainiens ne sont pas satisfaits de l’état actuel des affaires publiques (69% ont peu ou pas confiance en Ianoukovitch), ils ne sont plus que 37% à vouloir rejoindre l’Union européenne, d’après l’organisation à but non lucratif International Foundation for Electoral Systems. Chiffre intéressant, ils sont 33% à préférer intégrer l’union douanière proposée par la Russie. Là encore, ce sont surtout les disparités territoriales qui sont à prendre en compte, puisque dans l’Ouest 73% des Ukrainiens préfèreraient rejoindre l’Union européenne (contre 5% pour l’union douanière avec la Russie), alors que dans le Sud et dans l’Est les Ukrainiens sont favorables à une union avec la Russie, et soutiennent donc le président Ianoukovitch. Cette population russe est présente en Ukraine depuis des siècles, puisqu’avant de faire partie de l’Union des républiques socialistes et soviétiques (URSS) l’Ukraine était aussi intégrée à l’Empire russe. Le premier pas vers la compréhension des révoltes est donc ethnique et culturelle. Ainsi cette révolte peut être vue à travers deux prismes: le premier est celui de l’intégration à l’Union européenne, ce que souhaite la majorité des contestataires à Kiev, et qui a enclenché les premières manifestations; le second est celui du renouvellement des élites politiques, qui avait déjà entraîné la révolution orange en 2004 (vague de manifestation ayant éclatées à Kiev pour contester le résultat des élections présidentielles pendant lesquelles Ianoukovitch avait été accusé de fraude. Finalement, la victoire avait été attribuée à Ioutchenko suite à une decision de la Cour suprême). Dans une vidéo («I am a Ukrainian») diffusée sur YouTube le 10 février 2014, et qui est rapidement devenue virale, une Ukrainienne déclare: «nous voulons être libérés d’une dictature. Nous voulons être libérés des politiciens qui ne travaillent que pour leur propre compte, qui sont prêts à tirer, à battre, à blesser des gens juste pour sauver, juste pour préserver leur argent, leurs maisons, leur pouvoir.» Lors d’une conférence organisée par la Société des étudiants ukrainienne à McGill, intitulée «Why Ukraine matters» (pourquoi l’Ukraine est importante, ndlr) le 19 février dernier, le professeur Dominique Arel a rappelé que les chiffres doivent être pris avec précaution: par exemple, l’est ukrainien ne soutient pas le mouvement «euromaidan», ou «printemps ukrainien» (porté par les manifestants sur la place centrale de Kiev) pour son idéologie pro-européenne. En revanche, ils partagent leurs velléités anti-gouvernementales.
[ le délit · le mardi 25 février 2014 · delitfrancais.com
Un voisin omniprésent Pour comprendre cette crise, il faut voir que la Russie est omniprésente, même de manière indirecte, dans les affaires intérieures ukrainiennes. C’était l’argument développé par le spécialiste de l’Ukraine Roman Serbyn lors de la conférence du 19 février à McGill. Il explique que la Russie garde la même attitude envers l’Ukraine qu’avant l’effondrement du bloc soviétique: la Russie considère ce pays comme une de ses «colonies», sur laquelle elle a un droit de regard et d’ingérence. Sous la dictature de Staline puis de ses successeurs, l’Ukraine était en effet dirigée par Moscou, sans aucune délégation de pouvoir. Si l’Ukraine était censée être un État souverain, la famine orchestrée par l’URSS en 1932 (ayant fait, selon
les estimations, entre 3 et 8,5 millions de morts) est l’un des nombreux événements témoignant du contraire. Afin de montrer que les mentalités ont peu changé sur cette question en Russie, le professeur Serbyn rapporte cette phrase de Vladimir Poutine: «la plus grande tragédie du vingtième siècle est le démantèlement de l’URSS.» Il caresse ainsi l’espoir de refaire de l’Ukraine un pays satellite, selon l’universitaire, et ne veut donc pas perdre ce pays au détriment de l’Europe. D’un point de vue purement géopolitique, l’Ukraine est aussi l’exemple d’un terrain stratégique pour l’envoi de gaz vers l’Europe. Pour l’étudiante Inna Tarabukhina, céder aux pressions du président russe Poutine serait un «retour en arrière». Les
n Ukraine
n Ukraine a des causes multiples et complexes. «euromaidan» sont donc engagés dans une lutte nationaliste, en souhaitant se rapprocher de l’Union européenne. Ils sont majoritairement soutenus à l’international, à Montréal par exemple, où une manifestation était organisée devant le consulat de Russie le 20 février dernier, afin de s’insurger contre «la violence et la terreur que le président Ianoukovitch commet contre son peuple» et qui sont «devenus possible grâce à la position passive de l'Union européenne et des États-Unis et [à cause de] l'ingérence de la Fédération de la Russie dans les affaires internes ukrainiennes», comme l’explique la page Facebook de leur événement. Durant cette manifestation, qui a rassemblé de nombreux Ukrainiens ayant émigré au Canada, des slogans tels que «Russie,
recule», «Non au retour de l’URSS» ou «Moscou exporte la terreur» ont fusé. Face à l’attitude de la Russie, qui défend sa zone d’influence aux portes de l’Europe, l’UE a eu une réponse timide: les ministres des Affaires étrangères de l’Union européenne ont évoqué des sanctions contre les auteurs des exactions (du côté des «officiels» tout du moins), en supprimant par exemple les attributions de visas. Mais rien de concret, afin de ne pas fermer la porte à une solution diplomatique, espérée par tous. Une démocratie chancelante Mais l’attitude de la Russie est loin d’être le seul facteur expliquant l’attitude actuelle de Ianoukovitch. L’aggravement
Romain Hainaut / Le Délit
du conflit tient aussi au fait que le système judiciaire ukrainien est fortement politisé, et n’exerce aucun contrôle de façon indépendante. La professeure Maria Popova, de l’Université McGill, a démontré ainsi durant la conférence de la semaine dernière que l’une des différences entre la révolution orange de 2004, qui avait porté Viktor Iouchtchenko (le prédécesseur de Ianoukovitch) au pouvoir, et le mouvement «euromaidan» d’aujourd’hui, est l’attitude du pouvoir judiciaire: en 2004 la Cour suprême avait été «le lieux de résolution des disputes» (qui portaient sur l’enjeu des élections) en donnant la victoire à Iouchtchenko. Aujourd’hui, la justice agit en tant que «preneur d’otage». Maria Popova explique ainsi que les plaintifs progouvernementaux ont beaucoup plus de chance d’obtenir un jugement favorable et que les décisions judiciaires sont inféodées au contexte politique. Ainsi, dans les derniers mois, les manifestants anti-gouvernement arrêtés étaient automatiquement condamnés à deux mois de prison, quand des charges criminelles n’étaient pas retenues contre eux de manière illégale. Puis, alors que Ianoukovitch essayait de se «rapprocher» de sa population (en proposant par exemple le poste de premier ministre à l’opposition, à condition de pouvoir le renvoyer à sa guise), toutes les personnes faisant appel étaient graciées à peu d’exception près. Or le taux de réussite des appels est généralement de 3% en Ukraine. Le gouvernement n’est donc pas la seule instance corrompue, c’est tout le système qui est biaisé, en témoignent le «zoo privatif» et autres dépenses somptuaires que les manifestants ont pu constater en investissant la maison du président Ianoukovitch, après sa fuite le samedi 22 février. Les allégations portées contre le gouvernement la semaine dernière selon lesquelles il aurait engagé des «titushkis» («voyous», en français) afin de semer le trouble parmi les manifestants ne sont qu’une illustration de plus de l’état d’esprit d’un pouvoir exécutif dépassé par les événements et prêt à tout pour conserver les rennes du pays. Ces «titushkis», amenés des environs de Kiev, sont de jeunes hommes violents, prêts à tout pour quelques dollars (entre 34 et 68 selon le service de diffusion allemand Deutsche Welle dans l’article «Titushkis- the Ukrainian president’s hired strongmen» paru le 19 février). Quelle relève? Du côté des manifestants se trouvent les trois principaux opposants politiques de Victor Ianoukovitch. Le premier est un ancien boxeur, Vitali Klitschko, chef du parti «Oudar», qui, selon un récent sondage de l’Institut International de Sociologie de Kiev («Kiev International Institute of Sociology »), l’emporterait face au président actuel en cas d’élection présidentielle,
avec 65% des voix. Cet institut de sondage est fiable, car, comme l’explique le professeur Dominique Arel à la conférence «Why Ukraine matters», c’est «ce même institut qui avait prédit la victoire de Ioutchenko en 2004, et celle de Ianoukovitch en 2010». De plus, ce sondage montre que Klitschko, pour atteindre ce score, aurait au moins 45% des voix dans le Sud et l’Est de l’Ukraine, «ce qui est trois fois ce qu’une figure d’opposition a jamais réalisé dans le royaume du Parti des régions [le parti de Ianoukovitch, plébiscité par les russophones]», indique Dominique Arel. Un autre opposant, plus crédible au niveau de l’expérience politique, mais moins charismatique, est Arseniy Iatseniouk ancien ministre et président du Parlement ukrainien en 2007, ayant démissionné suite à une vaste affaire de corruption afin de préserver son intégrité. Il avait terminé quatrième de l’élection présidentielle en 2010 avec son parti «Le front pour le changement». Ce dernier est pro-européen. Enfin, le troisième opposant est Oleg Tyahnybok, nationaliste et chef du parti «Liberté», anti-russe: il propose par exemple d’instaurer des tests de langue ukrainienne pour travailler dans l’administration, ce qui marquerait un réel tournant. En effet, aujourd’hui, les russophones de naissance sont une minorité, mais, comme l’explique le professeur Roman Serbyn, le russe est la langue des affaires et des élites. Selon lui, ce genre de situation n’est possible que dans une «société post-coloniale». Un exemple éloquent est celui de l’ancien premier ministre Mykola Azarov (qui a présenté sa démission le 27 janvier dernier), qui parle à peine ukrainien car il a suivi une éducation en russe. Il faudra également surveiller le rôle de Yulia Timochenko, ancienne première ministre libérée samedi 22 février après de nombreuses accusations d’abus de pouvoir, qui pourrait rassembler les Ukrainiens en vue de l’élection présidentielle de mai 2015. La décision du Parlement ukrainien de suspendre le président Ianoukovitch de ses fonctions exécutives le 22 février dernier, ainsi que la défection de nombreux élus du Parti des régions, laissent augurer des changements. Mais lesquels? La porte est ouverte à de nombreuses spéculations concernant l’avenir. Quoiqu’il arrive, l’Ukraine ne peut pas retourner à la situation pré-«euromaidan», cela irait à l’encontre de la volonté de trop d’Ukrainiens. Mais avec les tensions grandissantes, et la critique virulente de la Russie formulée par les medias lors du déroulement des événements récents, ne risque-t-on pas, comme l’écrit dans le Moscow Times le professeur américain Simon F. Cohen («How U.S. media misrepresent Sochi and Kiev», paru le 19 février 2014), de recréer une nouvelle «division rappelant la guerre froide entre l’Est et l’Ouest, […] non pas à Berlin mais dans le cœur de la civilisation historique russe»?[
Société
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MONDE
Changement d’angle LiNK McGill projette «Camp 14» au Pavillon Bronfman. Anne Pouzargues Le Délit
J
usqu’à présent, Shin Dong-Hyuk est la seule personne à être parvenue à s’échapper d’un camp de travail nordcoréen. Dans le documentaire «Camp 14: Total Control Zone», présenté à McGill le jeudi 20 février par Liberty in North Korea McGill (LiNK McGill) et l’Association des étudiants en études est-asiatiques, Shin revient sur son histoire, sa naissance dans le camp de travail et la rudesse d’une (sur) vie où les prisonniers sont maintenus à la limite de la famine et de l’épuisement. L’endoctrinement est tel qu’il détruit les liens sociaux et affectifs, et la méfiance et l’obéissance vont jusqu’à pousser Shin, alors adolescent, à dénoncer les projets de fuite de sa mère et de son frère ainé, qui seront abattus sous ses yeux. Ce n’est que par sa rencontre avec un nouveau prisonnier, un homme plus âgé qui a connu la vie à l’extérieur du camp, que Shin aura à son tour envie de s’échapper pour pouvoir goûter à un bon poulet au barbecue. Il parviendra à franchir la barrière électrique de justesse, en s’aidant du corps du vieil homme qui meurt électrocuté. Shin erre quelques semaines avant de franchir la frontière sino-coréenne en traversant le fleuve Tumen –«c’était possible à l’époque, maintenant ça ne l’est plus», dit-il dans le documentaire– et d’être découvert par un journaliste qui comprend la nécessité de faire connaître son histoire au grand public. «Camp 14» alterne avec justesse les récits de Shin, des images des conférences qu’il donne après son évasion et des dessins qui parviennent à donner une dimen-
sion poétique à la dureté du propos. Chose intéressante, le documentaire donne aussi la parole à deux anciens gardes de camp, qui se sont également enfuis et réfugiés en Corée du Sud. Ils évoquent la torture et l’embrigadement dans lequel eux-mêmes sont pris, et la juxtaposition de leurs témoignages avec ceux de Shin donne un point de vue complet et un éclairage poignant sur la situation des camps de travail nord-coréens. Il y aurait encore cinq grands camps en Corée du Nord; entre 150 000 et 200 000 travailleurs forcés emprisonnés pour des raisons politiques y seraient détenus. Un sixième camp aurait été fermé il y a peu –tous les travailleurs seraient morts de faim.
semblé une vingtaine de membres en janvier. Leur but premier est de donner une visibilité à LiNK, à la fois sur le campus de l’université et dans la métropole montréalaise. À long terme, la branche mcgilloise compte aussi essayer de lever des fonds qui seront directement transmis à l’ONG. En effet, l’aide aux réfugiés nord-coréens, qui se retrouvent souvent en Chine perdus et sans argent, ainsi que leur extraction coûtent extrêmement cher, que ce soit pour les déplacements, l’hébergement, ou encore les procédures de passage des frontières et l’obtention des visas. «Nous voulons apporter un soutien financier à LiNK, et informer les gens sur la situation humanitaire en Corée du Nord», poursuit Matt.
LiNK à McGill LiNK McGill est une branche de Liberty in North Korea, une organisation non gouvernementale (ONG) créée en 2004 qui s’occupe d’aider les réfugiés nord-coréens et d’informer la communauté internationale sur la situation humanitaire en Corée du Nord. Matt, étudiant en développement international et vice-président aux affaires externes de LiNK McGill, explique en entrevue avec Le Délit le fonctionnement de son association et ses liens avec la «maison mère»: «je suis très intéressé par la Corée du Nord, et je voulais savoir ce que je pouvais faire pour aider LiNK, à mon échelle. Je leur ai envoyé un courriel, et ils m’ont mis en relation avec d’autres étudiants de McGill, qui voulaient eux aussi faire partie de l’association. C’est ainsi que LiNK McGill est né.» L’association a été créée en novembre dernier, et la projection de «Camp 14» est leur deuxième événement, après une assemblée générale qui a ras-
L’humain d’abord LiNK et LiNK McGill essaye de donner à la population de nouvelles informations sur la Corée du Nord, et tentent de s’éloigner de l’image traditionnellement véhiculée par les médias, dans lesquels les
problèmes de la situation nord-coréenne sont presque toujours d’ordre politique, et rarement sociaux. «Les gens s’intéressent plus aux problèmes politiques et au danger que représentent Pyongyang et Kim Jongun», déplore Matt en entrevue avec Le Délit. «Ce que nous voulons, c’est aussi qu’on s’intéresse au peuple nord-coréen, non seulement aux milliers de prisonniers enfermés dans les camps, mais aussi au reste de la population, qui subit chaque jour la dureté du régime». Tout cela dans le but de pouvoir, un jour, assister à l’ouverture des frontières et au démantèlement de ce pseudo régime communiste fortement dégradé. Car le souhait des réfugiés nord-coréens c’est aussi de pouvoir rentrer chez eux, mais un «chez eux» qui serait ouvert et respectueux des libertés individuelles et des droits humains. «Si le camp était détruit, je voudrais pouvoir retourner vivre là-bas», déclare Shin à la fin de «Camp 14». «Je cultiverai les champs, là où je suis né».[
Solène Jarry / Le Délit
CHRONIQUE
1984, 1984 partout Mathilde Michaud | Retour dans le temps
ON N’AURA JAMAIS AUTANT ENtendu parler de vie privée et de la protection de celle-ci que dans les derniers mois. Plus on en apprend cependant, plus il nous semble voir réapparaitre la trame narrative d’un 1984 des temps modernes. Après l’écoute électronique et la lecture de nos courriels, ce sont maintenant nos correspondances qui sont espionnées. Qu’arrive-t-il à notre droit à la vie privée? Mais réfléchissons-y un ins-
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tant. Depuis quand avons nous ce droit à la vie privée? Depuis quand le concept existet-il même? La philosophe Hannah Arendt, dans La condition de l’homme moderne, parle de son apparition simultanément à celle de la cité dans la Grèce antique: l’apparition d’une sphère d’inégalité, la vie privée, vis-à-vis d’une autre d’égalité, soit la vie politique. Mais la vie privée à laquelle on se réfère apparait un peu plus tard. Cette dichotomie prend forme avec l’avènement du libéralisme et d’une notion de liberté de conscience et de propriété privée qui n’avait jusque là pas réellement sa place dans la société féodale. L’ère du libéralisme? Il ne faut pas retourner trop loin pour en voir le début et déjà le concept de vie privée semble s’effriter. Il n’y a pas si longtemps, on pouvait s’assurer qu’une conversation reste dans le domaine du privé. Cela n’est plus si certain avec la myriade de technologies qui nous cernent de toutes parts. Les caméras sont partout, le monde entier nous écoute. Si cela peut sembler une simple dérive, ce serait faire fi de la volonté de nous espionner
qui anime autant les compagnies privées que nos organes gouvernementaux. Pour certains, il s’agit d’une stratégie de marketing. Ian Lamothe-Brassard, consultant en sécurité de l’information, explique, lors d’un panel intitulé «Technologie, gouvernance et éthique» dans le cadre des rencontres «Maîtres Chez Vous 2014», que Facebook enregistre, par exemple, toutes les informations émises par une adresse IP lors de son passage sur une page portant une mention «partager sur Facebook» afin de mieux cibler les publicités à proposer sur le fil d’actualité du dit utilisateur. Si cette intrusion dans la vie privée peut en choquer plus d’un, il s’agit tout de même d’une activité plutôt aléatoire qui n’influe, finalement, pas tant que ça sur notre qualité de vie (veuillez noter que je ne supporte pas pour autant une telle activité). Qu’en est-il cependant de la capacité de notre gouvernement d’avoir accès à nos correspondances (sur Facebook ou Gmail autant que celles dans notre boite aux lettres). Je ne parle pas ici d’une intrusion permise par un mandat de la Cour dans l’optique de mettre un frein aux activités d’un terroriste tentant
de faire exploser le nouveau World Trade Center. Je parle des correspondances de monsieur et madame tout le monde. En entrevue avec Le Délit, Pierre Trudel, professeur titulaire au Centre de recherche en droit public de l’Université de Montréal, mentionne les lourdes conséquences que peut avoir l’accès du gouvernement à nos informations. «Si le gouvernement accède à des informations et prend des décisions ensuite sur les individus sur la base de ces informations-là, ça peut avoir des conséquences épouvantables en terme de liberté. On n’a qu’à voir les No fly lists (liste d’interdiction de vol), qui existent dans certains pays, par exemple, aux Etats-Unis où des gens se font dire qu’ils ne peuvent pas prendre l’avion mais sans pouvoir leur dire pourquoi.» Il s’agit ici de notre liberté de déplacement, notre liberté d’expression. Si nous pouvons fermer les yeux sur une intrusion commerciale de telle ou telle firme qui veut nous vendre ses produits, pouvons-nous le faire sur une ingérence gouvernementale? Avons nous le droit de laisser ainsi passer une telle attaque à notre fameuse vie privée? [
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BALLET
Au pays des rajahs Gracieuseté du Ballet national d’Ukraine
Le Ballet national d’Ukraine présente La Bayadère à la Place des Arts. Laurence Bich-Carrière Le Délit
A
rrivés de justesse avant la fermeture de l’aéroport de Kiev mercredi dernier, les danseurs du Ballet national d’Ukraine devaient, après la représentation de dimanche soir, regarder leurs billets de retour avec appréhension, au vue des événements actuels. Entre temps, la troupe a offert quatre représentations précises d’un ballet orientaliste méconnu du répertoire classique. L’argument propose un schéma classique d’amours contrariées. Le vaillant Solor aime Nikiya la bayadère. Mais sa beauté attise le désir du Grand brahmane, lequel est censé se marier avec Gamzatti, la fille du rajah, dont le père a tôt fait de prononcer les fiançailles. Le refus de Nikiya de céder au brahman la condamne à mort, car dans le panier de fleurs qu’on prétend envoyées
par Solor, Gamzatti, jalouse, a dissimulé un cobra. Une fois mordue, Nikiya choisit de mourir plutôt que d’accepter l’antidote que lui propose le Grand brahmane. Que le romantique ne s’inquiète pas: quelques sauts, hallucinations et grondements divins plus tard, les amants seront réunis dans un hautdelà himalayen, pas de deux éthéré et long voile de gaze blanche, subtil symbole de la pureté éternelle de l’amour vrai. Le Marseillais, la Russe et l’Amérique C’est presque naturellement que La Bayadère était présentée pour la première fois à Montréal par le Ballet de Kiev, puisque la chorégraphie de Marius Petipa avait marqué la naissance de la compagnie ukrainienne en 1926. C’est toutefois une version doublement remaniée de l’original pétersbourgeois de 1877 que propose la metteure en scène Natalia Makarova, danseuse étoile passée «à l’Ouest» dans les années 1970. Sa moder-
nisation, commandée pour l’American Ballet Theatre, jouerait dans la plasticité et la vivacité du corps pour mettre à l’avant-scène la passion de Solor et Nikiya (l’œuvre de Petipa a également touché Rudolf Noureïev qui l’a lui aussi par deux fois remontée). Une tragédie étudiée Le ballet classique est caractérisé par l’aplomb, la rigueur et la netteté. Et, en effet, les pas sont précis et nets, le staccato des pointes, achevé, les pas de trois, rigoureux. L’envers de cette précision, c’est peut-être une certaine froideur ou un apprêt que n’arrivent pas à effacer les couleurs d’un Orient rêvé dont l’Europe du XIXe siècle s’était éprise (Lakmé, Salammbô, Thaïs, Tamerlan et autres Pêcheurs de perles ou Odalisque à l’esclave). Les tissus peuvent être opulents et les tiares ont beau chatoyer, il reste quelque chose de carré dans l’ombre des gopuras et les scènes nocturnes sont les plus senties,
La Société des Publications du Daily présente la
SEMAINE DU JOURNALISME ÉTUDIANT 2014
S R A M 1 2 I D E R D N E V U A S R A M 8 1 I DU MARD La tradition continue, des rencontres et des discussions avec des professionnels du milieu des médias. Restez à lʼaffut des prochaines nouvelles!
davantage que les scènes de banquet, plus exactement grandioses que véritablement festives. Ainsi, la célèbre scène du royaume des ombres, où Solor tente de noyer son chagrin dans un délire opiacé pour finalement n’y voir que le fantôme de Nikiya, est plus dramatiquement achevée que les marches au temple ou les pas d’action de la soldatesque hindoue. La rigueur conceptuelle l’emporte sur le sentiment de liesse. Comme il se doit, les quatuors sont aussi exacts qu’ils l’étaient pour Le Lac des cygnes présenté en 2011 par la même compagnie. Le corps sévère soutient la qualité technique des solistes, dont un fantastique Solor (Denys Nedak, aussi Jan Vana), loin de n’être qu’un porteur à ses compagnes, la grave Nikiya (Natalia Matsak, aussi Olga Golytsia) et la royale Gazmatti (Natalia Lazebnikova, aussi Kateryna Kozachenko). À signaler également, la sensationnelle danse de l’idole de bronze, où Maksym Kovtun (aussi Sergii Kliachin) s’agite à angle droit comme ces statues grimaçantes qui flanquent les sanctuaires hindous. Alternance des rythmes et des couleurs La musique est de l’Autrichien Leon Minkus, collaborateur de longue date de Petipa (Don Quichotte, La Source). Leur intelligence transparaît dans des thèmes d’une grande variété, assez fins et remarquablement fluides. Les violons de l’Orchestre des Grands Ballets Canadiens, sous la direction de Mykola Dyadyura, étaient magistraux pour souligner la perfidie têtue de la mort de Nikiya (acte I, scène 3). Les décors sont, selon les scènes, opulents ou éburnéens, lascifs ou grandioses. Les jungles rappellent à la fois les crayonnés de Rahan et les fougères touffues du douanier Rousseau. Gros bémol sur les costumes, car même si on pourra toujours voir des fleurs dans des tutus bondissants au pays des saris, le reste est dérangeant par son manque d’unité, comme si au nom des contrastes de l’Inde on pouvait mélanger les guerriers masaïs, les majorettes, les tarzans en loque et les instructrices d’aérobic. Après La Bayadère de Natalia Makarova, ce sera au tour de la pièce néo-classique Rodin/Claudel de Peter Quantz d’être présentée à la salle Maisonneuve de la Place des Arts par les Grands Ballets Canadiens de Montréal sous la direction de Gradimir Pankov du 13 au 22 mars 2014. [
EXPÉRIENCE MULTIMÉDIA
Faire languir le Destin L’OSM tente une expérience multimédia à la Maison symphonique. Sébastien Daigle Le Délit
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n connaît Justin Bieber, Lady Gaga, Madonna; mais connaît-on Brahms, Chostakovitch, Haydn? Il y a là sans doute le grand combat que mène la musique classique à notre époque: rejoindre un plus vaste public. Le nombre de fins mélomanes s’amenuise, et les apôtres de la tradition classique se désespèrent qu’on puisse se soucier de Bach comme de cotampon. Mais la musique classique n’est pas toujours facile d’accès. Écouter une symphonie de Tchaïkovski demande un peu plus d’attention qu’une chanson de Beyoncé. C’est dans l’espoir de réconcilier le grand public avec la musique classique que l’Orchestre symphonique de Chicago a créé la formule «Beyond the Score» en 2005. Il s’agit de mettre en contexte une grande œuvre du répertoire classique, en montant un spectacle où des comédiens jouent des textes, accompagnés ponctuellement par l’orchestre, pendant que défilent des images et des informations historiques sur un grand écran. On cherche ainsi à reconstruire l’univers du compositeur et les circonstances qui ont mené à la création de sa pièce. La seconde partie consiste en l’exécution de l’œuvre. Cette formule a été reprise par l’OSM, le mercredi 19 février, avec la cinquième symphonie de Beethoven. L’événement portait le nom: «La Cinquième symphonie de Beethoven: le destin frappe à la porte». En entrant dans la salle de concert, on peut voir sur l’écran géant un énorme masque de Beethoven. Au centre de la
Photographie de Nathan Brock (chef d’orchestre) - Gracieuseté de l’Orchestre Symphonique de Montréal scène se trouve l’orchestre, devant lequel étaient disposé des éléments de décor relativement simples. Un piano à queue, un vieux coffre en bois couvert de papier à musique et un petit bureau en désordre figurent dans l’appartement du maître viennois. Quatre comédiens assurent la «présentation dramatique de l’œuvre»: un seul est costumé, qui incarne Beethoven, les autres sont vêtus de noir.
Ceux-ci changent souvent de rôles, jouant des spectateurs assistant à un concert du maître, des intellectuels conversant dans un café, des personnalités connues de l’époque, etc. Pour un instant, l’écrivain romantique Hoffmann reprend vie et encense la cinquième symphonie. Plus tard, quelques admirateurs rendent visite au compositeur dans son humble appartement de Vienne. Dans cette première par-
tie, l’orchestre joue brièvement entre chacune des scènes, accompagnant le texte et les images projetées à l’écran. Sans doute cette présentation théâtrale est-elle divertissante, et les comédiens talentueux, mais il faut admettre que c’est trop long, beaucoup trop long. Pendant plus d’une heure les comédiens font languir les spectateurs. Une présentation plus courte, limitée à l’essentiel, d’une demi-heure tout au plus, aurait suffi. Il nous apparaît que plus d’informations relatives au style du compositeur, au contexte d’émergence de l’œuvre, à ses apports et à son importance pour la musique occidentale auraient mieux servi les fins de l’exercice que les nombreuses anecdotes qui le composaient. Que le thème principal de la symphonie ait été inspiré par le gazouillement d’un oiseau jaune nous semble importer peu.
«Sans doute cette présen-
tation théâtrale est-elle divertissante, et les comédiens talentueux, mais il faut admettre que c’est trop long, beaucoup trop long.»
La seconde partie, le concert proprement dit, a pu faire oublier les désagréments causés par une trop longue première partie. Si Nathan Brock, le chef d’orchestre, a offert un premier mouvement qui nous a paru manquer un peu de relief, les deuxième et troisième mouvements ont été magnifiquement interprétés. Quelle fortune peut espérer recevoir la formule «Beyond the Score» de l’orchestre de Chicago? Certes l’idée est bonne, mais il faut voir à bien doser les parties: plus d’une heure de présentation théâtrale pour une œuvre qui dure moins de 35 minutes, c’est lasser la patience de l’auditeur. [
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Arts & Culture
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OPÉRA
Entre conte de fée et soprano L’opéra de Massenet présente Cendrillon à Montréal. Ruth Malka Le Délit
O
pera da Camara présente en ce moment au théâtre Rialto de Montréal Cendrillon de Jules Massenet. La compagnie cherche à produire des récitals lyriques rendus accessibles à un large public. Son choix s’est donc naturellement porté sur l’adaptation du conte de fée de Perrault que le compositeur français créa en 1894 et 1895. Le metteur en scène Andrew Cuk et le directeur musical Benjamin Kwong conjuguent ainsi leurs talents pour mettre en scène l’histoire de l’amour et de la pantoufle de verre. La représentation a été précédée par une conférence de Brian McMillan, bibliothécaire de la Faculté de musique de McGill, qui a mis l’opéra en lumière. L’opéra de Massenet s’inspire du conte de Perrault, mais s’en distingue également. Alors que le conteur se contente de décrire les traits moraux des personnages, Massenet rend ceux-ci vivants en ajoutant à sa production une donnée essentielle: l’humour. Car on rit, et beaucoup, en assistant à cette représentation de Cendrillon. La dimension comique est essentiellement le fait des rôles de la belle-mère, Madame de la Haltière, et de ses deux filles, Noémie et Dorothée. La première se rend risible en exagérant le trait de caractère qui est le sien, celui de la méchante marâtre. Il faut rendre honneur au jeu de Geneviève Couillard Després, dont les gestes montrent jusqu’à un recul
de l’actrice vis-à-vis de son personnage, touchant de près l’auto-dérision. Elle entraîne alors ses filles à tendre vers l’image d’une princesse idéale qui, loin d’être la séductrice rêvée, se rapproche plus de la posture de la pimbêche aguicheuse. Celles-ci, incarnées sur scène par Valérie Bélanger et Meagan Zantingh, renforcent le ridicule contenu dans les paroles de leur mère en les imageant par des mouvements gauches et disgracieux. Tout au long de l’opéra, elles incarnent deux jeunes filles immatures dont les chamailleries jurent avec les desseins sérieux de leur mère, dont le rêve est de voir l’une d’elles épouser le Prince.
«Alors que le conteur se
contente de décrire les traits moraux des personnages, Massenet rend ceux-ci vivants en ajoutant à sa production une donnée essentielle: l’humour. »
À ces moments comiques s’opposent les arias respectives de Cendrillon et de son Prince Charmant. Tous deux chantent au début des litanies exprimant leur tristesse d’être seuls puis, après leur rencontre, expriment leur peine de ne pouvoir se revoir. Il faut reconnaître à Carol Léger qu’elle incarne la candeur du personnage de Cendrillon et qu’elle donne à la représentation tout ce qu’elle a de
Gracieuseté du théâtre Rialto douceur. Son calme est intrinsèquement lié au désespoir qu’elle éprouve, allant jusqu’à souhaiter la fin de son existence quand elle croit s’être fourvoyée sur les intentions du Prince. Elle donne à l’histoire une dimension tragique de laquelle participe également son Prince Charmant qui, joué par Kathrin Welte, incarne la mélancolie par ses regards tristes. Entre le comique et le tragique, une touche de vie est donnée par le père, Martin-Michel Boucher, qui cherche sans cesse et en vain à se faire entendre de sa femme, et par la fée, Sarah Halmarson, qui
apporte une dimension magique presque shakespearienne. Le tout est complété de la vitalité de la troupe des danseurs de ballet et des comédiens du cégep John Abbott qui participe de la création d’un univers onirique. [
Cendrillon Où: Théâtre Rialto Quand: Le 28 février 2014 Combien: 20$
THÉÂTRE
L’art de garder son âme d’enfant Peter Pan à la fenêtre du Players’ Theatre de McGill. Léa Bégis Le Délit
A
près le complexe d’Œdipe, le «syndrome de Peter Pan» doit être le deuxième mal le plus important au sein de nos sociétés. Car, avouons-le: qui n’a jamais considéré avec nostalgie ses jours d’enfance si simples, où il suffisait simplement d’un peu d’imagination et de naïveté pour être heureux? Kelly Richmond, metteure en scène de la dernière production du Players’, est sûrement atteinte de ce syndrome. Du 19 au 22 février et du 26 février au 1er mars, le petit théâtre du bâtiment Shatner de l’Association étudiante de l’Université McGill (AÉUM) clôt sa saison 2013-2014 avec une adaptation du roman de J.M. Barrie Peter et Wendy. À peine installés, nous sommes immédiatement plongés dans cette atmosphère si rassurante associée à l’heure du conte. La petite salle intime du Players’ se prête parfaitement à la circonstance, et le décor de la chambre des enfants Darling baigné d’un
éclairage chaud contribue à l’aspect chaleureux du lieu. Dès le début, la mise en scène se définit par un mouvement perpétuel. Les enfants Darling arrivent en trombe sur scène, criant et sautant, suivis de Nana la chienne-nourrice, non moins fébrile. Les garçons perdus, quant à eux, ne sont jamais à court d’idées ni d’énergie. Les chorégraphies de combat, quoiqu’un peu longues, sont très bien exécutées et contribuent au dynamisme du spectacle. L’action ne s’arrête jamais, et une musique qui rappelle le thème musical de Pirates des Caraïbes retient l’attention des spectateurs pendant les changements de décor. Le dialogue est lui aussi incessant: pour les scènes comportant plusieurs personnages, la metteure en scène a décidé de faire mimer aux personnages qui ne parlent pas une conversation secondaire pendant que le dialogue principal a lieu, ce qui donne un aspect plus dynamique à l’action. Rebecca Pearl, qui tient le rôle principal (Peter Pan), parvient à s’imposer d’une
[ le délit · le mardi 25 février 2014 · delitfrancais.com
manière incontestable sur scène, traînant dans son sillage la jeunesse et la vivacité qui caractérisent son personnage haut en couleurs. Rebecca passe d’une émotion à l’autre avec une incroyable versatilité, représentant ainsi avec perfection le caractère de l’enfant. Les compagnons de Peter Pan sont tout autant énergiques et ont chacun leur personnalité. On attendait davantage de candeur dans le jeu de Charlotte Doucette, qui incarne Wendy. En effet, cette Wendy-là semble jouer un peu trop souvent à la maman. Le regard ambigu posé par la jeune fille sur son futur rôle de femme est symbolisé par le choix esthétique de Kelly Richmond. En remplaçant l’image traditionnelle d’Amérindienne de Lili la Tigresse et de ses acolytes par une bande de louves rebelles et sensuelles, la metteure en scène a voulu illustrer «la menace à la fois plus sauvage et féminine» qu’elles représentent aux yeux de Wendy. Selon Kelly Richmond, cette représentation «se rapproche davantage des véri-
tables intentions de J.M. Barrie pour ses personnages et de notre vision thématique et esthétique de la pièce». Maka Ngwenya endosse la redingote écarlate du Capitaine Crochet avec tact, et ponctue la pièce d’un rire cruel et d’une voix rauque dignes de tout pirate qui se respecte. Maka assure son double rôle de Crochet et de Madame Darling avec brio. Toutefois, son interprétation de Madame Darling a tendance à verser dans le mélodrame vers la fin de la pièce, elle qui pourtant semblait être la plus raisonnée des deux parents. La conclusion de Peter Pan n’est pas difficile à tirer: l’histoire du petit garçon qui refuse de grandir parle aux plus grands comme aux plus petits, comme les rires fusant tout au long du spectacle en témoignent. Tout comme Peter qui continuera à écouter les histoires aux fenêtres des chambres d’enfants, nous ne nous lasserons jamais de retomber, ne serait-ce que pour le temps d’une pièce de théâtre, en enfance. [
Arts & Culture
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THÉÂTRE
Quand vieillesse peut Histoire de finissants au Monument national. Sao-Mai Nguyen
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es finissants de l’École nationale de théâtre closent de façon magistrale leur formation en interprétant l’univers de ceux qui finissent leur vie. 80 000 âmes vers Albany, de Benjamin Pradet, permet à cinq personnes âgées de partir pour un dernier voyage avant le Grand Voyage. La mise en scène de Sébastien David permet aussi au spectateur de voyager, mais vers un monde redoutable, qu’on préférerait croire étranger –la vieillesse. Jusqu’au 21 février, l’École nationale offre une alternative à la maxime «si jeunesse savait, si vieillesse pouvait». On donne ici aux aînés le pouvoir de s’exprimer, de s’aventurer, de prouver leur valeur, et on montre que les jeunes ont tout ce qu’il faut pour les comprendre. Au Château de Terrebonne, les résidents préparent un spectacle de Noël. Il y a Désirée Déluge (interprétée par Marie-Ève Bélanger) et Henri (Benoît Arcand), qui ont tout traversé ensemble. Il y a Gertrude (Gabrielle Côté), qui aime bien jouer au trou d’cul. Il y a PierrePierre (Alexandre Bergeron), acteur qui travaillait au dépanneur, à la recherche d’une 23e femme. Puis Colette d’Orange (Marianne Dansereau) arrive à la résidence. Elle propose aux autres d’aller à Albany pour le mariage de… de qui encore?... pas important… Le cheval blanc est prêt, le fauteuil roulant aussi, c’est parti! Les acteurs sont à la hauteur du texte de Benjamin Pradet. Il faut une grande sensibi-
Benjamin Pradet lité pour exécuter un tableau sur la vieillesse avec finesse, sans caricaturer ni sombrer dans le désespoir. Les uns marmonnent et répètent sans fin une idée entrecoupée, d’autres entretiennent des dialogues de sourds (littéralement), mais les acteurs et l’auteur ne nous permettent pas d’assimiler ces «petits vieux» à des enfants. Le visage est parfois absent, mais les voix intérieures sont vigoureuses, les sou-
venirs retentissants –un va-et-vient quotidien de réalités confuses. Certaines réalités, cependant, dépassent les mots et ne peuvent s’exprimer qu’en silence. C’est alors que l’excellente mise en scène de Sébastien David prend le relai. Ses chorégraphies ressemblent à une scène de danse macabre, mais non moins vivante, une danse de l’âge où on se retrouve seul face à
ce qui reste. Parfois, le rythme ralentit, donnant à un personnage tout le temps nécessaire pour monter un escalier ou traverser la scène. Et de simples actions –marcher, monter– deviennent en soi des chorégraphies. Les acteurs déploient un talent du corps inouï pour traduire le mouvement ankylosé d’une personne qui s’habitue tant bien que mal à son rhumatisme. Le temps n’est pas mort, il n’est qu’alourdi pendant qu’on admire la beauté d’un corps qui a perdu sa grâce. L’équipe artistique réussit à créer un monde qui, malgré la banalité de ses éléments constitutifs, permet de faire apparaître une lueur de… quelque chose, à défaut d’espoir. Le plancher terne de la résidence a la capacité de se transformer en plancher de danse disco dans un bar de village. On recouvre les murs de papier peint défraîchi, avec tout de même un peu de verdure. Les costumes en laine, sombres, gris, terreux, ont pourtant tous des touches de rouge par-ci, par-là. Des sapins de Noël sont pendus tout à l’envers, mais leurs lumières s’efforcent de briller. C’est comme ça, on ne peut s’empêcher de chercher pour des indices de vie et d’y croire encore. Quoique nous avancions tous vers la vieillesse, 80 000 âmes vers Albany nous rapproche d’elle. Elle nous rappelle que la solitude, l’abandon, la fragilité, la perte de contrôle des aînés se vivent au quotidien, et qu’il ne faut pas attendre une tragédie comme l’Isle-Verte pour s’en rendre compte. C’est une pièce à la fois belle et nécessaire, pour tous les âges. [
Oh mon Dieu, comme c’est curieux Le succès de La Cantatrice chauve au Théâtre Sainte-Catherine. Baptiste Rinner Le Délit
L
a semaine dernière, la compagnie de théâtre indépendante Raise the Stakes présentait la pièce culte d’Eugène Ionesco, La Cantatrice chauve, au Théâtre Sainte-Catherine. Quelques sceptiques se demandaient à quoi bon monter une énième fois cette pièce, lue et relue, vue et revue. Et bien, Anton Golikov, le metteur en scène, a magistralement justifié, devant nos yeux, cette représentation. Comment donner du sens à La Cantatrice chauve, comment ordonner le spectacle auquel quelques happy few ont assistés, tant la pièce est portée sur le non-sens, l’absurde et la faillite du langage? Petit rappel: Mr et Mrs Smith habitent dans la banlieue de Londres, en Angleterre, et discutent du repas qu’ils viennent de manger. Madame tricote, Monsieur lit son journal anglais en fumant une pipe anglaise. Leur servante, Mary, interrompt leur non-discussion, leur annonçant que leurs amis Mr et Mrs Martin sont à la porte et viennent dîner chez eux. Déjà, on voit l’inutilité de résumer une telle pièce devant la vacuité ou pour ainsi dire l’inexistence de la narration. S’ensuivent les retrouvailles des époux Martin, quelques anecdotes absurdes, l’apparition du chef des pompiers, tout cela ponctué par les coups d’une horloge défaillante.
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Arts & Culture
Jean-Micheal Seminaro Soulignons d’abord le travail de mise en scène ineffable, par manque de superlatif, du metteur en scène Anton Golikov, qui s’est approprié sans retenue le texte de Ionesco. Avant toute considération d’ordre scénique, il faut souligner que la pièce est bilingue, alors que le texte de Ionesco est écrit exclusivement en français: Mr et Mrs Smith parlent anglais, comme leur servante, alors que Mr et Mrs Martin parlent français, comme le pompier. L’effet de comique est garanti. Dans le petit espace que constitue la salle du Théâtre Sainte-Catherine, le metteur en scène exploi-
te toutes les possibilités, notamment l’espace extra-scénique. Ainsi, les acteurs quittent la scène à plusieurs reprises, mais pas leur personnage, pour s’installer dans le public, et l’impliquer à travers l’évidence du corps (comment réagir, ou comment ne pas réagir, quand Mr Smith —Paul Naiman— vous caresse les cheveux en se promenant dans les rangs?). Ces éléments participent à instaurer un certain malaise chez les spectateurs, un malaise qui est justement l’objet de la représentation théâtrale. Que ce soit plongé dans le noir ou lors de la scène de rencontre du
couple Martin, dans laquelle les deux époux s’épient en silence pendant une bonne dizaine de minutes, le public éprouve une gêne, un sentiment que ce qui se déroule devant ses yeux n’aurait jamais dû arriver. C’est là le génie de Golikov, qui, tout en jonglant avec le texte, a réussi à tirer l’essence de la pièce de Ionesco, qui représente un théâtre de l’absurde, de la non-communication, bref de l’«anti-théâtre» comme le qualifie la compagnie dans son dépliant de présentation. Notons, outre le formidable Paul Naiman en Mr Smith, le Français Hugo Prévosteau qui a démultiplié le personnage de Mr Martin, tantôt macho, tantôt caméraman efféminé, et l’Horloge, joué par Joseph Ste. Marie, qui multiplie les interventions loufoques et autres regards pervers. En fait, il faudrait aussi louer l’excellente performance d’acteur de Jean Serveau en chef des pompiers ainsi que les deux rôles féminins tenues par Michelle Langlois-Fequet et Chelsea Morgane. Très vite, on en arrive à l’implacable conclusion que l’ensemble de l’équipe était brillant, au service d’une mise en scène généreuse et pleine d’ingéniosité, qui a réussi à mettre en lumière le chef d’œuvre de Ionesco. Un seul regret peut-être, c’est que la pièce n’était présentée qu’une petite semaine au Théâtre SainteCatherine. En tout cas, Le Délit prend note et attend avec impatience la prochaine production de Raise the Stakes Theatre. [
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THÉÂTRE
Un cabaret érotique timoré Le spectacle licencieux Érotisseries n’échappe pas à une certaine pudeur. Francis Loranger
L
a semaine dernière, les Productions Carmagnole présentèrent au Théâtre de la Chapelle la pièce Érotisseries, qui reprenait la formule du «cabaret charnel» inauguré par cette troupe en juin 2005. Le programme promettait un «voyage intense et tortueux de notre subconscient sexué à travers vos sens», «une édition spéciale, ouverte sur une forme libre, un happening sauvage et organique», «un sublime va-et-vient entre les vices et les vertus de la chair et de l’esprit», un «dépassement des tabous». Pour la sensorialité, la spontanéité, le sublime, la spiritualité et la subversion, il faudra hélas repasser… Dès son entrée dans le théâtre, le public est sommé de choisir entre les espaces «sec» et «mouillé», selon le degré d’implication souhaité dans la performance érotique: les spectateurs aventureux sont disposés autour de la scène et les voyeurs plus circonspects, dans les gradins. Cette excellente idée, favorable à une transgression différentielle et approfondie parce que consentie, est malheureusement sous-exploitée par la suite. La salle, intime et minimalement décorée, arbore des teintes dominantes de noir et de rouge. En bordure de la scène dépouillée, une estrade figure une chambre, un recoin voilé de soieries réserve une part d’intimité, quelques dessins grivois ornent les murs, des accessoires mystérieux attirent le regard. L’ouverture du spectacle coïncide avec l’arrivée de l’auditoire: une statue humaine au corps recouvert de papier givré, d’abord immobile, s’anime puis s’effeuille lentement, proposant une version lascive de la métamorphose de Galatée. L’enracinement du masque, le dernier élément retiré, livre un corps dépersonnalisé dont le thème réapparaîtra tel un leitmotiv au fil de la prestation. La nudité surgit immédiate, gratuite, persistante. Les Érotisseries proposent un carnavalesque mélange des genres, une grotesque alternance des tonalités. La scène exhibe successivement une imitation de geisha, grimée et accoutrée d’un parasol japonais; des ombres errantes emmaillotées d’élasthanne noir; une figure de femme enceinte, déshabillée par ses démons fictionnels; un enchevêtrement de corps nus ou travestis, vautrés sur le sol ou sur des matelas; un pastiche de fellation dessinant une ombre chinoise sur le mur; des simulations de copulation; des danses érotiques; une confession impromptue d’anecdotes sulfureuses; l’extraction puis l’ingestion d’un cœur sanguinolant. Les masques, les travestissements, les éventails, les godemichets prolifèrent; des elfes, des poupées et des pantins émergent au hasard; le sang et les fluides corporels ruissellent symboliquement. Cette esthétique de l’éclatement est sans doute délibérée, mais elle compromet l’efficacité plastique et discursive de la démarche. À un autre moment burlesque, un lit disposé dans les gradins —où s’est pourtant réfugié le public souhaitant échapper
aux mouillures— accueille brièvement une scène de sadomasochisme édulcoré. La geisha y titille un homme dénudé qui se vautre en gargouillant. Il s’ensuit un curieux rituel de déballage de ses organes génitaux, enrobés d’une pellicule plastique moulante, et de stimulation pénienne avec les cheveux de poupées décapitées, puis un simulacre de flagellation. L’ogre dévore ensuite des fruits dégoulinants aux nettes connotations sexuelles. Cette performance absurde tétanise singulièrement l’auditoire.
sexuelle véritable; il se complaît dans une pudique fabulation. La danse et les acrobaties aériennes fournissent assurément les prestations les plus réussies. Dans un tableau au parfum de nécrophilie, un cadavre de femme repose sur une table de dissection éclairée par une lumière crue; un homme la soulève et entame avec ce corps dépouillé et inerte une danse ultime, touchante et empreinte de sensualité; il se dégage de cette délicate impudeur une tendresse désespérée
Frédéric Veilleux Les tableaux disparates sont accompagnés d’une chétive narration, aussi inadéquate que convenue qui, dans un style mièvre et simpliste, accumule les stéréotypes du genre, évoquant tantôt le libertinage aristocratique, tantôt l’enflure rabelaisienne, mais déversant une constante litanie de fantasmes orduriers. Ce discours trivial fournit une description détaillée du cunnilingus, de la pénétration, de l’éjaculation. Une voix hors champ claironne ses appétences dans une fluctuation entre le conditionnel et le futur qui désamorce l’érotisme et déréalise le fantasme, d’autant que la harangue n’est étayée par aucune action théâtrale: «Je te lècherais; tu mouilleras, tu brilleras, et t’en finiras pas de jouir dans ma bouche, comme tu en as toujours eu envie. […] Laisse, laisse, ma chérie, je déchargerais dans ta gorge, sur ton ventre ou sur tes yeux, si tu préfères.» Dans cette pièce, le blasphème et la subversion n’excèdent guère l’explicite du langage paillard. De l’obscurité où est plongée la salle entre les numéros fusent des cris de jouissance, des gémissements suggestifs, des bruits de copulation, des halètements et des pleurs. Un reste de fausse pudeur relègue les marques tangibles du plaisir charnel dans la pénombre et contraint les acteurs à un mimétisme factice. La masturbation et le coït —reconstitués avec des harnais-godemichets— sont feints, tout comme l’orgasme qui leur succède. Malgré sa profession de foi transgressive, ce cabaret érotique n’ose aucune performance
[ le délit · le mardi 25 février 2014 · delitfrancais.com
qui procure un rare moment de grâce. Un gymnaste nu enchaîne subséquemment une époustouflante routine aux anneaux. Une contorsionniste tout aussi nue adopte des poses lascives sur un câble suspendu, illuminée par un aveuglant flash stroboscopique qui, à la faveur de la rémanence rétinienne, décortique magnifiquement ses mouvements sur le fond noir. Des voltiges d’une artiste enceinte, survolant gracieusement sur son tissu aérien blanc les spectateurs allongés sous elle, jaillit un autre moment poétique. Les postures exigeantes et vigoureuses de la danse à la barre verticale émeuvent également le public. De nombreux éléments d’androgynie ajoutent des touches intéressantes à l’ensemble. Malheureusement, à ces instants de grâce succèdent des élans de vulgarité. Les effets visuels réussis ne s’accompagnent d’aucun propos cohérent; le texte clairsemé à travers les acrobaties manque de profondeur. Lorsque les interprètes offrent un verre d’alcool aux spectateurs qui osent se dénuder pour les rejoindre sur scène, des acteurs dissimulés dans l’assistance surgissent, se révélant miraculeusement non seulement de fervents exhibitionnistes, mais aussi des acrobates aguerris. Ce trucage éculé ne trompe personne: la prétention à l’improvisation s’avère un leurre, puisque le déroulement de la pièce est parfaitement orchestré. L’interaction avec le public demeure négligeable, presque symbolique. Quand les acteurs se caressent et s’embrassent,
ils distribuent timidement, à la volée, leurs attouchements aux spectateurs «mouillés». Et lorsque vers le dénouement, ils sollicitent enfin leur collaboration, ce n’est que pour les inviter à se tenir passivement sur scène, pour les affubler d’un chapeau d’osier ou pour les disposer au sol en étoile. Les artistes auraient pu témoigner d’une plus grande audace auprès de cette partie de l’auditoire qui avait consenti à une participation accrue, de plus de témérité dans leur volonté affichée de transgression. En somme, les Érotisseries se bornent à un érotisme passif —superficiel et distant malgré les efforts d’approfondissement et la proximité physique— sans jamais atteindre à l’érotisme actif qu’elles faisaient miroiter. La tentative d’abolition du quatrième mur échoue lamentablement, sans doute en partie par la faute du public, qui n’y paraît pas disposé. La production dépeint une sexualité factice, non diégétisée ni problématisée, des désirs pulsionnels, bruts, grossiers. Aucune poétique intelligible ne se dégage du discours ni de la performance. Ces artistes «prêts à aborder tous les tabous, mais aussi à s’en débarrasser afin de dépasser les limites de ce thème omniprésent dans notre société» ne parviennent guère à émoustiller ni à scandaliser leur public. À cet égard, l’action ne s’avère pas à la hauteur du propos. Elle n’évoque que pudiquement les tabous sexuels et omet les plus controversés, à commencer par la pédophilie, l’inceste, le viol, la zoophilie et la coprophagie. Sa portée transgressive demeure pour le moins timorée et retenue. Notre crainte anticipée que ces exercices licencieux —à l’instar des tentatives mondaines de pédagogie sadomasochiste qui pullulent dans la sphère du divertissement populaire— succombent à la fadeur et à la bienséance était donc hélas fondée. Ils négligent en effet une dimension de «l’art du mal» essentielle à son efficacité: la monstration voire l’infliction d’une cruauté aussi implacable que gratuite, l’exploration du versant sombre de l’esprit humain, qui ne se réduisent pas à l’exhibitionnisme ou à la souffrance physique, mais culminent dans la jouissance coupable et paradoxale de la torture psychique. En raison de cette lacune, les ambitieuses aspirations des Érotisseries ne pouvaient qu’avorter. À une époque où le public surexposé jusqu’au blasement peut accéder à tous les divertissements sexuels que lui inspire sa fantaisie, que ce soit sous forme médiate (par la littérature, le cinéma, le théâtre) ou immédiate (par la fornication, les jeux sexuels, la prostitution), on ne le choque plus si aisément. La pièce ne contient pas la charge érotique et subversive d’œuvres telles Les fleurs du mal, L’empire des sens, Les cent vingt journées de Sodome, Les idiots, Histoire de l’œil ou À ma sœur, qui transcendent la simple évocation pour ébranler véritablement les mœurs de leur temps. Pour les lecteurs qui désirent se forger leur propre opinion sur cette question, des représentations des Érotisseries seront données à Montréal les 8 et 14 mars, ainsi que dans le cadre du Carnaval Carmagnole les 22, 23 et 24 août 2014. [
Arts & Culture
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CINÉMA
Au pied du mur Omar, film nominé aux Oscars 2014 dans la catégorie «Meilleur Film étranger».
dent de l’autorité palestinienne Mahmoud Abbas. Depuis juillet 2013, le secrétaire d’État américain tente de relancer les pourparlers entre les deux camps et d’établir un «accord cadre» traçant les grandes lignes de ce qui pourrait être un règlement définitif sur la question des frontières, de la sécurité, du statut de Jérusalem, de la reconnaissance mutuelle et du sort des réfugiés palestiniens. Mais, en décembre dernier, le gouvernement israélien lançait déjà des signes contradictoires en dévoilant d’une part un projet d’annexion de la vallée du Jourdain, et en libérant de l’autre des prisonniers palestiniens. Plus récemment, Netanyahu a annoncé la construction de 1800 logements à Jérusalem Est et en Cisjordanie. À l’heure qu’il est, les affrontements entre résistants palestiniens et soldats israéliens sont fréquents et les tensions sont encore vives. Il faut cependant noter que les négociations étaient au point mort depuis 2010, et que l’année 2014 demeure une année d’espoir vers de nouvelles avancées pour la paix. [
Gwenn Duval / Le Délit Noor Daldoul
J
e vous vois d’ici vous morfondre, car oui, la Saint-Valentin, c’est déjà fini. Finis les mots d’amour et les paroles mielleuses, les chocolats et les films à l’eau de rose. Alors, rien que pour vous, lecteurs aux cœurs d’artichaut, Le Délit vous propose un petit retour aux origines avec un film d’amour comme on les aime. Omar, c’est un peu notre Roméo des temps modernes. Malheureusement, on aurait préféré qu’il lui suffise de grimper au balcon de sa bien-aimée pour lui susurrer des mots d’amour. Au lieu de ça, Omar doit escalader le mur de séparation entre la Cisjordanie et Israël. Substituez en plus les vilains Capulets par des colons israéliens, et vous avez cette néo-histoire d’amour du réalisateur palestinien Hany Abu-Assad (réalisateur de Paradise Now, ndlr). Nous savons tous que les plus belles histoires d’amour sont les plus compliquées, et Omar va nous le prouver. Hany Abu-Assad pose sa caméra au milieu d’une Cisjordanie occupée depuis presque cinquante ans. Symbole de cette occupation, le mur se tient là; séparation entre familles, entre amis, et entre Omar (Adam Bakri) et Nadia (Leem Lubani). Tous les jours, Nadia reçoit la visite clandestine d’Omar, qui lui promet un avenir à deux. La force de leur amour tient dans la grande pudeur dans laquelle il grandit, quand seuls les regards et les sourires suffisent à animer les cœurs. Pour Omar, escalader le mur devient une forme de résistance, un moyen d’affirmer un contrôle spatial, même si cela veut dire prendre le risque de se faire tuer ou arrêter par les patrouilles israéliennes. Visuellement, nous sommes entraînés dans cette lutte contre le confinement, avec une caméra qui suit Omar de toits en toits, de ruelles en ruelles, l’ironie
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du sort faisant d’Omar un maître de l’espace. Mais la captivité le rattrape lorsqu’il est arrêté et mis en prison pour le meurtre d’un soldat israélien qu’il a commis avec ses copains Amjad (Samer Bisharat) et Tarek (Iyad Hoorani). Dans ce qui semble être une communauté plus qu’habituée à l’emprisonnement des siens, Nadia attend chaque sortie de prison de son amoureux. Mais en prison, Omar se retrouve face à un agent israélien qui ne lui donnera que deux options: trahir les siens et vivre libre, ou garder le silence et mourir. Alors, entre trahisons, mensonges et suspicions, les histoires d’amour et d’amitiés sont malmenées. La véritable question est de savoir si, en terre occupée, la liberté de vivre, et même la liberté d’aimer, peuvent réellement être exercées. Avec des acteurs à l’émotion parfaite, ce film nous enveloppe de sa justesse du début à la fin, et c’est avec grande finesse qu’il fait évoluer la symbolique du mur tout au long du film. En effet, la plus belle image du film est celle où Omar est incapable de franchir ce mur qu’il escaladait autrefois avec tant d’aise. Si c’est une métaphore de la perte de contrôle qu’il a sur sa vie, on ne peut s’empêcher d’y trouver un lourd message politique et l’image du désarroi d’un peuple face à la colonisation. Il ne faut pas oublier qu’Omar a reçu le prix du jury dans la catégorie «Un Certain Regard» à Cannes en 2013, et est nominé dans la catégorie «Meilleur Film étranger» aux Oscars. Résultats le 3 mars prochain. Loin du monde du grand écran, il faut se rappeler que le conflit israélo-palestinien dure toujours et que des milliers de civils en sont victimes chaque année. En janvier, la visite en Israël du secrétaire d’État américain John Kerry a eu pour but d’évaluer le progrès des négociations auprès du premier ministre israélien Benyamin Netanyahu et du prési-
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