Publié par la société des publications du Daily, une association étudiante de l’Université McGill
RÉFLEXION SUR LES MÉDIAS P. 8-9 Le mardi 16 septembre 2014 | Volume 104 Numéro 2
Un jour sans toi c’est trop beaucoup depuis 1977
Volume 104 Numéro 2
Éditorial
Le seul journal francophone de l’Université McGill
rec@delitfrancais.com
La rentrée des peuples Joseph Boju
Le Délit
Le premier sujet de fierté
Réflexion sur les médias
Le palmarès du Classement Mondial des Universités QS vient d’être dévoilé, et avec lui la position qu’occupe notre chère Université: 21ème. Le classement de McGill — «1er sujet de fierté» de notre administration, selon sa page internet — est le même que l’an passé. Score honnête quand on regarde la concurrence que nous font nos voisins du top dix. (MIT, Cambridge et consorts) On reste évidemment un peu vert que l’Université de Toronto nous passe devant le nez pour la seconde année consécutive (de la 17e à la 20e place) mais on salue avec enthousiasme la cavalcade de l’UdeM, passant de la 92e à la 83e position. Ce jeu de chaises musicales, notre rectrice, Suzanne Fortier, s’en est félicitée comme le veut la tradition, dans une entrevue avec la Gazette: «C’est un véritable exploit, quand on connaît notre situation financière». Nous pouvons donc conserver nos cartes de visite de l’année dernière.
Comme dans toute réflexion sur le contemporain, il serait de bon ton de jouer les tristes sires et de nous plaindre de l’état actuel de notre sphère médiatique. Elle est explosive. Octave Mirbeau, journaliste français du XIXe siècle, déplorait en son temps le triomphe du reporter sur le chroniqueur. Il avait ces mots: «dans la presse, l’élément dit ‘‘information’’ a fini par envahir l’élément dit ‘‘intellectualité’’. Le reporter, insuffisamment armé pour une besogne qui pourrait être belle et féconde s’il y apportait des facultés d’observation, en chasse, de plus en plus l’écrivain. […] Le potin venimeux remplace l’étude sociale, la littérature et l’art. Le journalisme d’aujourd’hui, ne peut plus servir qu’aux combinaisons inavouables et aux inutiles bavardages». Si je me laissais aller par cet esprit chagrin je rajouterais même que Le Délit n’est juste bon qu’à servir d’emballage pour les samossas que l’on vend deux dollars les trois au Pavillon Leacock. Heureusement, nous ne sommes pas encore de ces esprits là. Le Délit a toujours une mission sur ce campus et dans cette ville: raconter, décrire, critiquer. Allez donc lire les pages huit et neuf de cette édition, et vous saurez ce par quoi le reporter a été remplacé dans notre joyeux siècle! Enfin, c’est avec émotion et beaucoup de fierté que le Délit vous présente sa nouvelle section, en page onze. Elle s’appelle «Économie», et elle vous veut du bien. Il s’agira d’expliquer, d’analyser, de comprendre ce qui se trame dans les cerveaux de nos chers confrères de Desautels et des descendants de Stephen Leacock (professeur d’économie, auteur et humoriste bien connu). Suivre leurs parcours, celui de notre province et de la conjecture mondiale, voilà ce qu’il nous sera possible de faire. Écrivez à notre nouvel éditeur, charles.laly@mail.mcgill.ca, il vous répondra dans l’heure. x
Le grand pas vers l’inconnu L’Écosse sera fixée sur son sort ce jeudi 18 septembre. Après trois siècles sous tutelle anglaise, cette nation décidera si Oui ou Non, elle devrait se séparer du reste du Royaume-Uni. L’heure est haletante, pleine d’anxiété, comme toujours en ces momentslà. On s’agite en tous sens et chacun brandit l’oriflamme de sa paroisse. François Brousseau, dans Le Devoir de ce lundi, y voit la preuve «que la question nationaliste au XXIe siècle, même au cœur du monde développé, n’est ni ringarde ni dépassée». Un autre, Philippe Couillard, semble se satisfaire de son sort. Lorsqu’on l’interroge sur la question, il la détourne avec adresse: «Si les Écossais avaient l’ensemble des juridictions et des pouvoirs que le Québec détient dans la fédération canadienne, ils seraient très heureux.» Nos chroniqueurs aussi ont
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leur avis. Et sur place, comme ici, ils ont bien voulu le partager.
RÉDACTION 3480 rue McTavish, bureau B•24 Montréal (Québec) H3A 1X9 Téléphone : +1 514 398-6784 Télécopieur : +1 514 398-8318 Rédacteur en chef rec@delitfrancais.com Joseph Boju Actualités actualites@delitfrancais.com Léo Arcay Louis Baudoin-Laarman Culture articlesculture@delitfrancais.com Baptiste Rinner Thomas Birzan Économie Charles-Elie Laly charles.laly@mail.mcgill.ca Société societe@delitfrancais.com Julia Denis Coordonnateur de la production production@delitfrancais.com Thomas Simonneau Coordonnatrices visuel visuel@delitfrancais.com Cécile Amiot Luce Engérant Coordonnatrices de la correction correction@delitfrancais.com Any-Pier Dionne Céline Fabre Webmestre web@delitfrancais.com Mathieu Ménard Coordonnatrice réseaux sociaux réso@delitfrancais.com Gwenn Duval Contributeurs Gabrielle Beaulieu, Julien Beaupré, Émilie Blanchard, Alexis de Chaunac, Anne Cotte, Miruna Craciunescu, Virginie Daigle, Noor Daldoul, Inès L. Dubois, Mahaut Engérant, Julia Faure, Côme de Grandmaison, Marie-Claude Hamel, Frédérique Lefort, Nadia Lemieux, Eva Martane, Charlotte Mercille, Lynn Poulin, Scarlett Remlinger, Philippe Robichaud, Antoine, Saito, Jan Simonson Couverture Cécile Amiot (montage) Luce Engérant (illustration) BUREAU PUBLICITAIRE 3480 rue McTavish, bureau B•26 Montréal (Québec) H3A 1X9 Téléphone : +1 514 398-6790 Télécopieur : +1 514 398-8318 ads@dailypublications.org Publicité et direction générale Boris Shedov Représentante en ventes Letty Matteo Photocomposition Mathieu Ménard, Lauriane Giroux, Geneviève Robert The McGill Daily coordinating@mcgilldaily.com Dana Wray
Conseil d’administration de la Société des publications du Daily (SPD) Juan Camilo Velzquez Buritica, Dana Wray, Joseph Boju
L’usage du masculin dans les pages du Délit vise à alléger le texte et ne se veut nullement discriminatoire. Le Délit (ISSN 1192-4609) est publié la plupart des mardis par la Société des publications du Daily (SPD). Il encourage la reproduction de ses articles originaux à condition d’en mentionner la source (sauf dans le cas d’articles et d’illustrations dont les droits avant été auparavent réservés, incluant les articles de la CUP). L’équipe du Délit n’endosse pas nécessairement les produits dont la publicité paraît dans ce journal. Imprimé sur du papier recyclé format tabloïde par Imprimeries Transcontinental Transmag, Anjou (Québec).
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Actualités
campus
Léo Arcay
Effervescence à l’AÉUM
La Nuit des Activités suscite l’enthousiasme des étudiants. Julia Faure
«I
mpliquez-vous sur le campus!», voilà la phrase accrocheuse qui a attiré plus de 2000 étudiants au bâtiment de l’Association Étudiante de l’Université McGill (AÉUM) lors des soirées du 9 et 10 septembre dernier pour la présentation annuelle de tous les clubs et associations menés par les étudiants du campus. Cette exposition, qui comprenait plus de 300 différents kiosques, est sans doute la meilleure occasion pour les nouveaux arrivants à McGill de découvrir l’ampleur de la vie universitaire. Tout d’abord, les clubs sont aussi divers que nombreux. Que ce soit pour des activités sportives, des groupes politiques, des organisations humanitaires ou simplement des associations basées sur les loisirs les plus variés, les clubs à McGill semblent pouvoir plaire, même aux plus difficiles. Ces derniers se sont aussi diversifiés dans leurs objectifs: certains visent à sensibiliser les étudiants, comme les associations Save A Child’s Heart ou encore Amnistie internationale. D’autres souhaitent principalement rassembler des Mcgillois ayant des centres d’intérêt communs dans
une ambiance légère. C’est le cas du Chocolate Club de McGill, qui, par exemple, s’applique à livrer des chocolats sur commande le jour de la Saint-Valentin. Les associations ont aussi parfois comme objectif de mettre en valeur la diversité de l’Université. Par exemple, le McGill Students’ Culinary Society organise des compétitions amicales qui sont ouvertes au public, le but principal étant de «faire briller la richesse des cultures en s’amusant», nous disent Alegra et Noëmie, membres du club. Chaque association demande un niveau d’investissement différent qui permet de plaire à tous. Ainsi, il faudrait, selon Renuka Mary, membre exécutif de la plus ancienne compagnie de danse de McGill, Mosaica, «consacrer entre 7 et 10 heures par semaine à la compagnie» et avoir un historique de danseur pour y participer afin de maintenir un certain niveau de compétition. En revanche, les étudiants qui s’investissent dans l’association humanitaire MEDLIFE, par exemple, peuvent s’impliquer comme ils le souhaitent. C’est d’ailleurs le cas de la plupart des clubs et associations à McGill, qui se basent sur la passion et la volonté des membres à s’investir pour leur cause.
L’engagement des étudiants dans leur association était d’ailleurs une caractéristique particulièrement visible à la Nuit des Activités de l’automne 2014. Chaque kiosque, couvert de brochures et entouré d’affiches portant des slogans accrocheurs, était tenu par des membres exécutifs de l’association concernée. Ces étudiants dévoués se sont investis pour plusieurs raisons. La première et la plus fréquente semble être l’intérêt pour le domaine en question. Comme nous le disent les membres de Save a Child’s Heart, «la plus importante motivation est la passion». D’autre part, les étudiants s’inscrivent pour se retrouver en plus petit comité dans un cadre autre que celui des études afin de faciliter leur intégration sur le campus. C’est un des rôles principaux d’associations comme The McGill Chinese Students’ Association (MCSS). Les étudiants trouvent aussi la possibilité de pratiquer leur religion dans des associations telles que la Newman Catholic Students’ Society. Enfin, s’investir dans l’optique d’un projet professionnel est une motivation pour certains étudiants. Les écoles de médecine, par exemple, sont intéressées par les candidats qui présentent une preuve d’enga-
brève
Démilitarisons McGill s’organise louis baudoin-laarman
Le Délit
D
émilitarisons McGill a tenu une rencontre informative avec ses sympathisants le lundi 15 septembre afin de s’organiser pour l’année scolaire. Les fondateurs de Démilitarisons McGill, une organisation étudiante qui vise à mettre un terme à la recherche militaire sur le campus, ont donc exposé les objectifs et stratégies de l’association aux étudiants intéréssés. Selon eux, en investissant dans la recherche
militaire, McGill prendrait une part de responsabilité dans les conflits où sa recherche aurait directement servi, d’où le besoin d’y mettre un terme. De plus, en acceptant le financement militaire pour la recherche universitaire, les institutions académiques acceptent également que l’armée contrôle et oriente une certaine partie de la recherche universitaire. Pour lutter contre ce phénomène, Démilitarisons McGill emploie trois méthodes: la recherche, l’éducation et l’action directe. À travers les journaux académiques
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ou à l’aide de demandes d’accès à l’information (auxquelles l’Université est tenue de répondre), les militants de Démilitarisons McGill se renseignent sur les recherches actuelles et éduquent ensuite les étudiants en publiant l’information trouvée sur leur site et divers réseaux sociaux. Enfin, les militants ont parfois recours à diverses formes d’actions directes telles que des blocus de laboratoire, l’usage de banderoles dénonciatrices et autres, lorsque les dialogues avec l’administration n’aboutissent pas. x
gement dans leur domaine. À la peur qu’ont les étudiants de ne pas réussir à la fois dans leurs études et dans une association, Stefan Fong, Vice-président (clubs et services), répond que «la Soirée des activités met en évidence que non seulement il est possible de s’investir dans les deux, mais que l’on peut également réussir dans les deux».
Ces deux soirées, teintées de beaucoup d’enthousiasme, auront permis aux étudiants de première année de trouver une association à leur goût. Cet événement aura également poussé les plus âgés à redécouvrir la richesse de leur campus: une vie étudiante qui ne cesse d’être plus diversifiée, ouverte et dynamique. x
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actualités
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CAMPUS
Conseil législatif de l’AÉUM Réforme du système électoral et financement du bâtiment Shatner. 2014-2015, lequel prévoit le début des élections de l’AÉUM pour le 18 mars prochain.
louis baudoin-laarman
Le Délit
L
e premier Conseil législatif de l’Association Étudiante de l’Université McGill (AÉUM) de l’année s’est déroulé le 11 septembre en présence de la majorité de ses conseillers et membres. Le conseil, qui réunit deux fois par mois les principaux acteurs de l’association étudiante, est responsable des règles, réformes et événements qui régissent et ponctuent la vie étudiante sur le campus. Au sujet cette semaine: des réformes dans les règles du système électoral de l’AÉUM et l’organisation face au problème du loyer du bâtiment Shatner. Réforme du système électoral Lors de son apparition au conseil législatif en tant qu’invité, le directeur général des élections de l’AÉUM, Ben Fung, a proposé toute une série de changements aux règles concernant la tenue des élections de l’AÉUM, qui ont lieu chaque année en mars. Tout d’abord, il est question de réduire la période de vote de cinq jours à trois. Cela permettrait, selon Fung, de réduire l’écart d’information reçue entre les électeurs précoces et tardifs:
Comité du oui pour les frais du bâtiment
Cécile Amiot
«Les électeurs ayant voté au début des élections ne devraient pas avoir moins d’informations sur les candidats que ceux ayant voté vers la fin.» En effet, une période de vote de cinq jours permet aux électeurs votant le dernier jours de bénéficier de plus d’informations grâce aux campagnes électorales des candidats. Fung prévient cependant que «si nous remarquons une abstention massive qui peut être directement liée au passage aux trois jours, nous le reconsidérerons».
Il est également question de changer le système de vote actuel. Le système actuel, dit de scrutin uninominal, implique qu’une majorité relative suffit pour gagner les élections, et que certains candidats gagnent parfois avec moins de 50% des votes. Ce que propose Ben Fung est le remplacement d’un système de scrutin uninominal par un système de vote préférentiel, où les étudiants pourront choisir leurs candidats par ordre de préférence, évitant ainsi, entre autres, les votes stratégiques.
Enfin, le directeur général des élections a de même proposé dans son rapport la mise en place de sanctions pour les candidats ayant enfreint la constitution de l’AÉUM. Ces sanctions seraient décidées par un comité d’examen des élections, également proposé par Ben Fung. Lesdites sanctions pourraient aller du retrait de droit de campagne à la perte complète de son budget par un candidat. Après l’intervention de Ben Fung, le conseil a approuvé le calendrier électoral de l’année
Enfin, le conseil a approuvé la motion de création d’un comité du Oui pour les frais du bâtiment. En effet, l’avenir du bâtiment de l’association étudiante est en sursis depuis mars dernier, lorsque les étudiants avaient voté contre l’augmentation de leurs frais afin de couvrir le loyer du bâtiment. Alors que le loyer et les frais du bâtiment s’élevaient à 110 000 dollars en 2010-2011, ceux-ci sont montés à 330 000 en 2013-2014 à cause de l’augmentation du loyer imposée par l’administration de l’Université. Suite à l’échec de l’augmentation de la participation financière des étudiants à $6.08 par étudiant par semestre lors du dernier référendum, L’AÉUM a bien l’intention de faire campagne à travers ce comité pour faire valoir l’importance de la participation étudiante dans le loyer du bâtiment Shatner. Cependant, la vice-présidente aux affaires universitaires Claire Stewart-Kanigan précise que «le comité ne sera pas seulement constitué de membres de l’AÉUM». x
Sensibiliser aux dangers du campus La Semaine de la sécurité atteint son objectif, selon les organisateurs. Léo Arcay
Le Délit
M
cGill a une fois de plus participé, du lundi 8 au vendredi 12 septembre, à l’événement d’ampleur nordaméricaine dont le but est de créer une prise de conscience par rapport aux risques du quotidien. Le thème de cette année était celui du système de responsabilité interne. Tout au long de la semaine, quelques associations, coordonnées par le Service de sécurité de l’Université, ont organisé des activités de prévention. De l’entrainement à l’extincteur aux premiers secours, en passant par la conférence sur les déchets nocifs et celle sur la violence sexuelle, le Service de sécurité de McGill a tout mis en œuvre pour informer le plus large public possible. En effet, la semaine de prévention ne s’adresse pas qu’aux étudiants, loin de là. Elle vise aussi le personnel et les professeurs. L’événement mcgillois s’inscrit dans une perspective beaucoup
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plus large, un mouvement désireux de réduire les incidents de travail. Selon le site Web de Safety Week 2014, «80 000 [travailleurs] se blessent [chaque année] dans des travaux de construction aux États-Unis. Chaque accident est de trop». L’objectif plus large de la Semaine de la sécurité est donc de «responsabiliser les gens et les encourager à prendre des décisions plus sécuritaires, ainsi qu’agir lorsqu’ils témoignent de situations dangereuses», explique Geneviève Latreille, du Service de sécurité, en entrevue avec Le Délit. Un thème qui touche les étudiants Il n’est pas commun de croiser des jeunes intéressés par ce genre d’enjeu. C’est plutôt l’exact opposé. L’opinion publique imagine davantage les étudiants festoyer pendant Frosh, ivres jusqu’au milieu de la nuit. C’est aussi pour cela que les organisateurs sont satisfaits que l’événement ait lieu début septembre,
pour essayer de sensibiliser les jeunes aux risques impliqués par de tels comportements. Pour le Service de sécurité, la semaine a eu un franc succès et a atteint son objectif. «On a eu beaucoup de participants engagés aux présentations, des échanges animés aux tables, et on a trouvé que tout le monde était très ouvert à apprendre et à partager ses expériences», se réjouit Mme Latreille. L’engagement des étudiants est aussi illustré par la participation du M-SERT (McGill Student Emergency Response Team, Équipe de réponse aux urgences des étudiants de McGill, ndlr) à certains ateliers. Le groupe est composé et géré par des étudiants de l’Université. Leur directrice de cours, Aparna Dintakurti, explique que «la Semaine de la sécurité essaye d’intégrer les étudiants dans sa planification. Cette année par exemple, le site Internet de M-SERT est entièrement créé par les étudiants». Elle ajoute que la mission de l’association ne s’arrête pas là, qu’elle organise
inès l. dubois
toute l’année des préventions et des cours de secourisme. Le Service de sécurité applaudit l’enthousiasme qu’a semblé susciter l’événement. Il est maintenant temps pour l’ensemble de la communauté mcgilloise de mettre cet enseignement en œuvre, et d’espérer qu’aucun accident ne se produise cette année. Par exemple, il y a 3 ans, un étudiant en état
d’ébriété s’était gravement blessé en résidence en tombant dans une cage d’escalier. Bien qu’il n’y ait pas eu de conséquences, cette situation aurait pu être évitée. La sensibilisation pourrait donc bien, comme le pensent les organisateurs de la Semaine de la sécurité, être la clef vers la responsabilisation de la communauté et la sûreté du campus. x
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montréal
Récolter ses semences: écologique Le collectif CRAPAUD donne des conseils aux jardiniers en herbe. Nadia Lemieux
L
’atelier «Facile de récolter ses semences», offert le 11 septembre dernier par le Collectif de recherche en aménagement paysager et en agriculture urbaine durable (collectif CRAPAUD) à l’UQAM, visait à partager des techniques aux jardiniers débutants ou aguerris afin qu’ils puissent récolter eux-mêmes leurs semences. Pour les adeptes de l’agriculture urbaine, œuvrant soit au sein d’un jardin collectif ou à la maison, faire pousser ses légumes est une façon de savoir d’où proviennent ses aliments. Cela assure, entre autres, qu’ils soient totalement dépourvus d’organismes génétiquement modifiés (OGM). De plus, la récolte des semences procure la satisfaction de créer son jardin de A à Z. L’animatrice de l’atelier, Émilie Ould-Aklouche, soutient que la récolte des graines est à la portée de tous: «Les semences sont déjà là. Pourquoi ne pas les prendre?» Parmi les gens présents à l’atelier, on comptait des participants
aux jardins collectifs de Montréal, des adeptes du jardinage à la maison et une majorité d’étudiants. La provenance des aliments que l’on retrouve sur le marché en préoccupe plus d’un, en particulier les étudiants pour qui la préservation de l’environnement et une alimentation saine sont des enjeux majeurs. Pour l’étudiante en anthropologie à l’Université Concordia, Véronique Hamel, et son conjoint Alexandre Pouliot, étudiant en sociologie à l’UQAM, la piqûre du jardinage leur est venue d’une recherche sur l’agriculture urbaine réalisée au Cégep de Drummondville. À l’issue du projet, les deux étudiants ont aménagé une platebande comestible près du Cégep. Une occupation qui rassemble Il s’agit d’un mouvement qui se développe notamment en Europe et qui est représenté au Québec en particulier par l’organisme les Incroyables Comestibles Montréal. Des citoyens peuvent à leur guise semer fruits et légumes devant leur demeure ou dans des endroits
publics pour ensuite partager leurs récoltes. «Les gens se reconnaissent en jardinant. La nourriture, c’est un langage universel», affirment Véronique et Alexandre. Émilie Ould-Aklouche est du même avis. Selon elle, les jardins collectifs déborderaient de bienfaits autant pour la communauté que pour les individus: «C’est un outil magnifique de développement social. C’est un lieu où des gens seuls peuvent se rencontrer, donc ça permet de briser l’isolement.» Le jardinage collectif rendrait également plus autonome, apaiserait les esprits stressés, améliorerait l’estime de soi et serait une forme d’apprentissage de la démocratie puisque chacun doit apprendre à se mettre d’accord, comme le soutient Émilie. Jardiner écologique Malika Gabaj et Jacinthe Alias, deux étudiantes de l’UQAM présentes à l’atelier, posent plusieurs gestes pour protéger l’environnement. En plus de s’occuper d’un jardin à la maison, elles ont choisi
Cécile amiot
de boycotter la viande et priorisent les produits locaux. Cette prise de conscience leur vient en partie de rencontres qu’elles ont faites lors du Printemps Érable de 2012, marqué par la grève étudiante visant à contester la hausse des frais de scolarité. «Après la grève, un milieu riche en discussions et en prises de conscience a permis de rencontrer plein de gens qui [prennent des initiatives] en environnement et ça m’a donné l’envie de poursuivre
là-dedans», relate Jacinthe qui étudie actuellement le Design de l’environnement. Dans le cadre d’un de ses cours au Cégep, Malika a réalisé un jardin d’hiver qu’elle cultive encore à la maison. À son avis, le manque de temps et d’espace sont les principaux facteurs qui pourraient freiner les jeunes qui souhaitent jardiner en ville. «Avoir un jardin, c’est comme avoir un animal de compagnie. C’est le même engagement», conclue-t-elle. x
Santé
Des paroles aux actes
L’OMS publie un rapport sur la prévention du suicide. Charlotte Mercille
Le Délit
À
travers le monde, une personne met fin à ses jours toutes les 40 secondes, selon le premier rapport mondial sur la prévention du suicide publié par l’Organisation mondiale de la Santé (OMS). Dans le communiqué publié à l’occasion de la 12e Journée mondiale de la prévention du suicide le 4 septembre dernier, l’organisme appelle la communauté internationale à une prise de conscience commune afin d’agir contre un phé-
nomène qui est devenu un véritable problème de santé publique. Le suicide n’épargne aucun pays ni tranche d’âge. Les hommes sont toutefois plus touchés que les femmes, une tendance qui triple dans les pays industrialisés. Fait notable du recensement, le suicide est la deuxième cause de décès chez les 15-29 ans. Loin d’être un simple compte rendu, la publication se veut plutôt un tremplin vers l’action solidaire, comme l’explique le Dr Shekhar Saxena, directeur du Département Santé mentale et abus de substances psychoactives
alexis de chaunac
le délit · le mardi 16 septembre 2014 · delitfrancais.com
de l’OMS: «Ce rapport, le premier publié sur le sujet par l’OMS, dresse un panorama complet du suicide, des tentatives de suicide et des efforts fructueux de prévention dans le monde. Nous savons ce qui fonctionne. Le temps est maintenant venu d’agir.» Concrètement, l’OMS s’engage à réduire le taux de suicide global de 10% d’ici 2020, une initiative qui devra trouver son écho à travers les politiques publiques des gouvernements pour être réalisable. Un fait de société Des experts en santé mentale soutiennent que le suicide dépasse largement la sphère de l’individu. Jérôme Gaudreault, directeur général de l’Association québécoise de prévention du suicide (AQPS), est de cet avis: «On a longtemps cru que le suicide était un problème individuel et une fatalité, ce qui est faux.» Angelo Soares, professeur au Département d’organisation et ressources humaines de l’École des sciences de la gestion de l’Université du Québec à Montréal (UQAM), estime que le milieu du travail actuel est entre autres particulièrement propice
au développement de la détresse mentale. Selon lui, le manque de cohésion, la surcharge de travail et le harcèlement psychologique sont les trois variables ayant le plus grand impact sur la santé mentale des employés. «La quantification à outrance des objectifs de performance et la précarisation de l’emploi influent directement sur l’estime de soi des travailleurs», explique-t-il. La perte de sens du travail, voire de la vie en général, qui s’ensuit contribuerait à nourrir la pensée suicidaire. Comment prévenir le pire? L’OMS rapporte que le meilleur moyen de prévenir le suicide demeure de limiter l’accès aux moyens les plus fréquemment utilisés. L’organisme encourage également les gouvernements à élaborer un plan d’action concret, ce dont seuls 28 pays dans le monde sont dotés. Enfin, la presse est invitée à couvrir de façon responsable le phénomène; les cas de décès par suicide, principalement des adolescents victimes d’intimidation, dont les méthodes utilisées sont décrites de manière explicite, tapissent fréquemment
les manchettes des médias à sensation. Dans son dernier communiqué, l’AQPS estime que la prévention du suicide passe par la construction d’une «communauté solidaire» et le tissage d’un «filet humain» autour des individus souffrant de détresse mentale. Le Grand forum de la prévention du suicide aura notamment lieu du 14 au 16 octobre prochain à Québec afin d’établir les mesures à prendre à travers la province. Selon le professeur Soares, une profonde réorganisation des milieux professionnel et académique serait prioritaire. À l’université comme au travail, le respect et la reconnaissance en termes de qualité plutôt que de quantité devraient faire partie intégrante du quotidien des travailleurs. La santé mentale des individus serait ainsi préservée tout en assurant un rendement plus performant. Selon l’OMS, le constat est clair: le phénomène du suicide ne peut plus être traité comme une fatalité; son omniprésence alarmante et son caractère indubitablement social exigent qu’il soit pris en charge par les communautés et les gouvernements du monde entier. x
actualités
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Premières nations
Défendre ce qui disparaît Des Aborigènes australiens en voyage au Canada témoignent de leurs expériences. julien Beaupré
L
e Centre d’amitié autochtone de Montréal (CAAM) a accueilli quatre jeunes Aborigènes australiens lors d’une conférence de presse, le jeudi 11 septembre. Ensemble, Meriki Fardeau, membre du gouvernement provisoire autochtone, Pekeri Ruska, secrétaire de l’association des étudiants en droit et des avocats autochtones victoriens, Boe Spearim, co-fondateur de l’ambassade souveraine des aborigènes, et Callum ClaytonDixon, éditeur des publications noires de Brisbane, se sont présentés, forts d’une expérience humaine qui les aura promenés sur les réserves amérindiennes du Canada pendant un mois. La conférence, qui fut la seule du voyage, se voulait un récapitulatif explicatif à la fois de leurs prises de position , des moyens qu’ils utilisent pour se construire une identité à part et de l’inquiétante dégradation de la culture aborigène.
Arrivé au pays avec cette optique nationaliste, le groupe compte bien retourner en Australie par le biais symbolique des passeports aborigènes non officiels qu’ils ont en leur possession. Manière de crier au monde l’existence de la nation qui leur est chère. L’utilisation des passeports aborigènes est cruciale dans la campagne nationaliste de ces quatre activistes. Ils ont d’abord essuyé plusieurs refus à Brisbane —leur point de départ— avant qu’Air Nouvelle-Zélande ne les accepte pour un vol en deux escales direction Vancouver. Les douaniers canadiens, par contre, ne l’entendaient pas de cette façon. Ils ont retenu le groupe pendant une heure et demie jusqu’à ce que les quatre acceptent d’utiliser leur passeport australien, question d’éviter un retour précipité. À leur manière, les jeunes activistes se sont inscrits dans la continuité d’une bataille amorcée en 1987 en Tasmanie par le premier à utiliser ledit passeport. Cette année-là, Michael Mansell, un avocat aus-
tralien d’origine aborigène, créa un tollé médiatique quand le colonel Kadhafi, ancien dictateur, l’invita en Lybie pour valider le nouveau document qu’il était le seul à légitimer. Depuis 1990, le gouvernement provisoire aborigène (GPA) se charge de produire passeports et certificats de naissance. Par l’entremise de ces documents de contournement, ils tentent de promouvoir une nation distincte de l’Australie dans tous les sens du terme. «Nous […] avions [notre autonomie] au premier lever de soleil et nous l’aurons jusqu’au dernier coucher de soleil», s’exclamait M. Spearim en fin de conférence. Décolonisation et renaissance En parcourant, comme ils l’appellent, «L’ile de la tortue» (nom attribué à l’Amérique du Nord par la tradition iroquoise), le groupe s’est surtout intéressé aux processus de décolonisation amplifiés par les jeunes, en passant par les barrages humains, les
communautés autosuffisantes et la production de divers médias purement autochtones. Ne cachant pas ses intentions, M. Clayton-Dixon, dans une entrevue accordée au Délit, a d’ailleurs avoué: «J’ai toujours cru que la révolution était entre les mains des jeunes générations.» Pourtant loin d’appeler à un soulèvement violent, le groupe a pour objectif de faire revivre, d’un côté, les langues perdues et, de l’autre, tous les aspects culturels, avec comme objectif final la reconnaissance d’un peuple aborigène souverain à travers une province ou un pays. En Australie, les politiques d’isolement et les massacres du passé sont tenus responsables des statistiques alarmantes qui accompagnent les communautés autochtones. Le site Internet Geopopulation, dans un article sorti en 2011, en dressait la liste comparative avec le reste de la population australienne: les enfants sont plus négligés et abusés, le taux d’incarcération est de loin supérieur, l’âge moyen de décès
plus bas et le taux de suicide près du double. Du côté culturel, les politiques d’assimilation ont fait leur travail: avec les années, pratiquement plus personne ne connaît les langues ancestrales et les traditions ainsi que les techniques de chasse traditionnelles se perdent. La conférence a ensuite laissé sa place aux porte-paroles respectifs des associations autochtones Families of Sisters in Spirits, BiGiwen Indigenous Adoptee Gathering et O’odham Solidarity Across Borders Collective de l’Arizona dans le cadre d’un forum. Il y a, entre autres, été question des multiples meurtres et disparitions de femmes et filles amérindiennes, des mauvais traitements subis par les enfants autochtones adoptés par des parents blancs et du contrôle des frontières. Malgré son ton dramatique, ce forum est allé dans le même sens, en ce qui a trait à la sensibilisation et à la promotion culturelle des Aborigènes, que la semaine de sensibilisation autochtone qui se tiendra à McGill du 15 au 19 septembre. x
Indépendance et indifférence Québec ignore la déclaration d’indépendance unilatérale des Atikamekws. any-pier dionne
Le Délit
L
a nation atikamekw a proclamé sa souveraineté dans Nitaskinan, un territoire de 80 000 km carrés situé en HauteMauricie, dans un communiqué diffusé le lundi 8 septembre. Le communiqué stipule que le consentement de la nation atikamekw doit être «une exigence pour tous développements, usages et exploitations de ressources situées dans Nitaskinan». Le lendemain, le Grand Chef atikamekw Constant Awashish a remis une lettre officielle contenant les revendications de sa communauté au premier ministre Philippe Couillard, qui a réagi par un «appel au calme» qui déçoit la communauté autochtone. La communauté atikamekw affirme qu’elle entend appliquer sa souveraineté notamment en «exer[çant] sa gouvernance territoriale sur l’ensemble de Nitaskinan» et en faisant de son consentement une «exigence» pour le développement du territoire qui lui appartient. La «défense [du] mode de vie [traditionnel] et [des] aspirations» de la communauté doivent guider les décisions qui sont prises; de plus, «la pérennité des ressources de Nitaskinan devra être assurée et l’occupation traditionnelle [du territoire] respectée».
6 actualités
Après plus de 35 ans de négociations qui n’ont mené nulle part, les nouvelles revendications «fermes et immédiates» des Atikamekw ont été influencées par le jugement unanime rendu en juin dernier en faveur de la communauté Tsilhqot’in, en ColombieBritannique. La Cour suprême avait alors reconnu un «titre ancestral […] sur un territoire de plus de 1750 kilomètres carrés» à la nation. Selon le chef du conseil des Atikamekw d’Obeijiwan, Christian Awashish, cette décision limite «le pouvoir du gouvernement provincial sur le développement des ressources naturelles» en mettant en avant les droits des Premières nations. Invité à l’émission Le 15-18 à l’antenne de Radio-Canada, Constant Awashish souligne que «les Atikamekw, tout comme les Tsilhqot’in de ColombieBritannique, n’ont pas cédé ou vendu de territoire et n’ont jamais signé de traité [avec le gouvernement canadien]». La communauté devrait donc conserver tous les droits sur le territoire qui lui appartient et donc prendre les décisions concernant son développement. Réaction du premier ministre M. Awashish a officiellement remis la lettre contenant les revendications de sa communauté au pre-
mier ministre du Québec Philippe Couillard lors d’une rencontre avec l’Assemblée des Premières Nations du Québec et du Labrador mardi dernier. Le premier ministre a réagi en minimisant l’importance de la situation, affirmant qu’«ils [les Atikamekw] demandent beaucoup la cogestion, la collaboration, la consultation, ce qu’on veut faire de toute façon». Il rappelle que le projet d’entente concernant la gestion et le développement des ressources naturelles et du territoire, entériné par les chefs atikamekws, mais rejeté par une des communautés lors d’un référendum en décembre 2013, est toujours sur la table. M. Couillard souhaite «retourner à la table de négociations» pour conclure cette entente qu’il qualifie d’«excellente». Philippe Couillard remet également en question le poids du jugement rendu en ColombieBritannique à la faveur des Tsilhqot’in cet été, affirmant que le gouvernement est déjà dans une logique d’accommodation avec les communautés autochtones vivant au Québec. Selon lui, ce n’est donc pas un argument valable pour justifier l’indépendance des Atikamekw. Il rappelle, de plus, que les Premières nations sont tenues de respecter les lois provinciales, s’appliquent à l’ensemble du territoire québécois.
Luce engérant
Déception Du côté atikamekw, les chefs se disent «déçus» de la réaction du premier ministre. Ils déplorent «les phrases creuses» de Philippe Couillard et s’offusquent que leurs revendications ne soient pas prises au sérieux. Ils s’indignent qu’il n’y ait toujours pas eu de rencontre officielle entre le premier ministre québécois et la nation atikamekw ni de réponse concrète à leurs demandes pourtant «fermes et immédiates». Constant Awashish, à l’émission radio Le 15-18, assure que sa
nation «ne veut pas arrêter tout le développement sur le territoire. On est pour le développement». Le Grand Chef favorise les négociations avec le gouvernement pour obtenir le respect des droits de sa communauté, mais se dit prêt à utiliser «tous les moyens qu’il jugera appropriés pour la défense de ses droits et de ses intérêts». Lors de l’été 2012, les Atikamekw avaient déjà dressé des barrages sur des routes de la Mauricie dans le but de forcer le gouvernement à «reprendre les négociations pour la reconnaissance de leurs droits territoriaux». x
le délit · le mardi 16 septembre 2014 · delitfrancais.com
politique québécoise
Des nouvelles du PQ Le Parti Québécois divisé à l’approche de la course à la chefferie. Frédérique Lefort
S
uite à la défaite électorale d’avril dernier et à la démission de l’ancienne première ministre Pauline Marois, le Parti Québécois (PQ) élira prochainement un nouveau chef. Le parti est cependant divisé quant aux stratégies à adopter, notamment à propos d’un de ses objectifs les plus importants: la souveraineté. Un référendum a-t-il sa place dans la prochaine campagne? Avec seulement 25 % des votes pour le PQ en avril dernier, on peut se demander si c’est vraiment ce à quoi aspirent les Québécois. Ce n’est pas une première dans le genre pour le PQ. Les élections de mars 2007 avaient pris une tournure semblable: le parti avait récolté 28 % des votes, alors enregistré comme le pire résultat depuis les débuts du parti. La dernière campagne électorale péquiste a été marquée par la Charte des valeurs québécoises, l’adhésion de Pierre-Karl Péladeau au parti et la possibilité d’un référendum. Les déclarations séparatistes de PKP ont laissé croire qu’une
victoire majoritaire du gouvernement Marois rimerait avec référendum. Par la suite, les propos de l’ex-première ministre n’ont pas été clairs sur le sujet, ce qui n’a qu’accru les doutes des Québécois, note Éric Bélanger, professeur de sciences politiques à McGill, spécialisé en politique québécoise. Il y a donc un décalage temporaire entre les aspirations nationales des péquistes et les désirs d’environ 75 % de la population québécoise. Même au sein du Parti Québécois, il y a division sur l’imminence d’un référendum. D’un côté, l’ancien chef du PQ, Lucien Bouchard, prétend que «la souveraineté, c’est pour les calendes grecques». Lors de la dernière campagne, mettre le sujet sur la table n’a qu’entrainé une baisse de votes pour le Parti Québécois. Pour le moment, le Québec doit concentrer ses ressources sur d’autres priorités, telles que l’éducation, la santé, l’économie et les ressources naturelles, dit-il en déplorant le manque de programme économique du Parti Québécois. D’autre part, Jean-François Lisée et Bernard
Drainville, députés péquistes, pensent que ressortir la carte du référendum dans la prochaine campagne électorale signifierait dérouler le tapis rouge pour l’arrivée des libéraux. Les sondages sont en effet peu prometteurs pour le grand rêve souverainiste. Selon M. Drainville, il serait plus prudent pour le Parti Québécois d’entrer au pouvoir aux prochaines élections sans mention de référendum, puis, au début de son second mandat, en déclencher un. D’ailleurs, comme il l’avait déjà affirmé dans «Indépendance 2025: un plan sur 10 ans», les Québécois ne veulent plus d’ambiguïté sur la tenue d’un référendum lors d’une prochaine campagne électorale. Les résultats des dernières élections provinciales ont été clairs à ce sujet. La députée péquiste Martine Ouellet croit au contraire que l’intérêt pour un Québec libre est toujours présent. Le découragement de ses collègues péquistes se fonde sur des sondages récents, mais comme elle l’affirme, les sondages ont lieu dans un certain espace-temps et les résultats évoluent en tout temps.
frédérique lefort
Il semble que la nouvelle génération n’ait pas autant à cœur le projet souverainiste que la précédente. Toutefois, la possibilité d’informer et d’éduquer les jeunes sur le sujet n’est pas exclue et pourrait effectivement changer la donne. Un projet à long terme, qui rayerait le référendum des priorités immédiates. Selon les écrits de M. Lisée, la nouvelle priorité sera
peut-être l’identité québécoise, l’histoire et la langue française. Tenter de corriger l’effet «corrosif» d’un «pouvoir libéral prolongé» sur le Québec, pour reprendre ses mots. Le Parti Québécois n’a personne à sa tête depuis le 7 avril dernier. On connaitra son prochain chef en avril 2015. Reste à voir qui sera en mesure de se lancer dans la course.x
opinion politique
Deux poids, deux mesures Le résultat du référendum écossais n’aura pas de répercussions majeures au Québec. Eva Martane
«L
’Écosse devrait-elle être un pays indépendant?» C’est la question à laquelle les Écossais devront répondre lors du référendum portant sur l’indépendance de l’Écosse le 18 septembre prochain. Ce référendum pourrait bien signer la fin du Royaume-Uni, puisque des sondages suggèrent que le camp séparatiste (le Parti national écossais, dirigé par Alex Salmond) gagne l’adhésion de plus en plus d’Écossais, au détriment du Parti unioniste. À tel point que le 10 septembre, le premier ministre David Cameron appelait vivement la population à refuser l’indépendance du territoire. Si le Non l’emporte, promet-il, l’Écosse se verra attribuer des pouvoirs supplémentaires. Quoi qu’il en soit, comme le conclut
l’hebdomadaire britannique The Economist, «la Grande-Bretagne est sur le point de changer». Les causes de l’émergence du mouvement indépendantiste sont nombreuses: l’impact douloureux du thatchérisme, qui a entrainé la reconversion du puissant secteur industriel de la région et les divergences politiques qui en résultent (les Écossais soutiennent, en majorité, le Parti travailliste; les Anglais, le Parti conservateur). «L’indépendance de l’Écosse aura des conséquences non négligeables: une nouvelle monnaie (trois options s’offrent aux dirigeants écossais: conserver la livre sterling, créer une nouvelle devise ou adhérer à l’euro), le départ des banques anglaises installées en Écosse (8% des banques ont déclaré qu’elles quitteront la région si le Oui l’emporte), et le partage des res-
le délit · le mardi 16 septembre 2014 · delitfrancais.com
sources pétrolières; les Écossais accusent en effet les Anglais de voler leur pétrole», explique Mahaut, une étudiante britannique de l’Université McGill. À de nombreux égards, le Québec et l’Écosse présentent une situation similaire: les arguments avancés en faveur de l’indépendance des deux régions sont semblables. Les liens entre les deux territoires sont forts: au cours du 19e siècle, des Écossais quittent la GrandeBretagne pour s’installer dans des régions québécoises; l’un des premiers ministres du Canada, Sir John A. Macdonald, est né à Glasgow, tout comme le fondateur de l’Université McGill, James McGill. Comme l’explique Éric Bélanger, professeur de sciences politiques à McGill, dans un article de septembre 2013: «Le Québec et l’Écosse constituent des nations qui aspi-
rent toutes les deux à une plus grande autonomie.» Le dirigeant du parti souverainiste Option nationale, Sol Zanetti, déclare d’ailleurs aux Écossais: «Vous ne ferez qu’aggraver la situation si vous votez Non». Si la GrandeBretagne se sépare de la même façon que l’on fait les Tchèques et les Slovaques dans les années 1990, la question de l’indépendance pourrait refaire surface», explique Andrew Coyne, chroniqueur politique canadien. Les fédéralistes québécois devraient-ils donc s’inquiéter du résultat du référendum qui, s’il est positif, pourrait renforcer les prétentions des souverainistes? En réalité, pas nécessairement. Selon Jack Jewab, viceprésident de l’Association d’études canadiennes, les Canadiens d’origine écossaise «ne voient pas de réelle contradiction entre
soutenir l’unité du Canada et l’indépendance de l’Écosse. Ils rejettent toute analogie entre l’indépendance du Québec et celle de l’Écosse». D’autant plus que l’élection générale qui s’est tenue le 7 avril 2014 a été une défaite pour le Parti Québécois. Enfin, la province n’aurait sans doute pas survécu économiquement à l’indépendance, selon une bonne partie des opposants. Pour sa part, le gouvernement écossais a publié un projet de plus de 600 pages détaillant les aspects économiques et politiques inhérents à un pays nouvellement indépendant. Il est certain que le Québec examinera de près les résultats du référendum du 18 septembre. Néanmoins, il est peu probable qu’une victoire du Oui, qui entrainerait l’indépendance de l’Écosse, renforce le camp souverainiste québécois. x
actualités
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Société societe@delitfrancais.com
enquêtes
Conceptualiser l’information de masse Le site Wordlink se présente comme une «nouvelle façon de consommer les médias». Julia denis
Le Délit
L
’information déborde, elle surabonde, elle explose, elle nous asphyxie. La seule règle qu’elle saurait encore souffrir est la même qui régit le monde politique: la logique de l’événement. Sur Internet encore plus qu’ailleurs, un événement en chasse un autre, et malheur à qui manque le bateau! S’il ne connaît pas la dernière tendance du Web, s’il n’a pas vu la vidéo de telle vedette dansant de façon animale, s’il n’a pas commenté la frappe de tel footballeur dans les arrêts de jeu, alors cet homme est perdu. Cette logique — ô combien implacable — est le créneau sur lequel s’est placé WordLink. Se revendiquant comme l’avènement d’une nouvelle génération de médias, Wordlink est un agrégateur de contenu créé à Montréal par d’anciens étudiants de McGill et de Concordia en mars dernier. C’est après une soirée en boîte que l’idée leur est venue, par hasard: rassembler sur un seul site les articles les plus partagés sur la toile par les internautes. Ainsi Wordlink présente en direct les articles les plus en vogue sur les réseaux sociaux tels Facebook, Twitter, Pinterest, LinkedIn… C’est une vision quantitative de l’information qui se développe entre les mains de l’équipe de Wordlink constituée par ailleurs de stagiaires mcgillois qui sont «de véritables génies», selon les propos de Rodrigo Vergara, un des fondateurs. Ce site Internet ne se considère pas en concurrence avec les créateurs de contenus, ni avec les réseaux sociaux; au contraire, il affirme les compléter. Wordlink, de par son concept, tente de se créer une niche en se basant sur un modèle d’interaction avec la presse Internet et les réseaux sociaux. Le site calcule, par leur nombre de partages, la popularité des articles issus d’une infinité de sources Internet et propose aux internautes une sélection de ceux qui sont les plus «actifs». Wordlink se donne ainsi pour mission «d’aider et d’améliorer notre consommation des médias». La quintessence du buzz Dans notre société actuelle ultra connectée et dopée à l’information, le nouveau nirvana de notre génération s’appelle Buzz.
8 société
Il s’agit d’être toujours au courant de tout, de ne pas rater la nouvelle du moment. Wordlink se présente donc comme un moyen de ne pas être pris du fameux «FOMO» («Fear Of Missing Out», soit la peur de rater quelque chose), en présentant un classement des articles qui suscitent le plus d’activité sur les réseaux sociaux: les infos qui font parler et dont il faut donc pouvoir parler. Démocratiser l’information
ou élargir notre perception du monde». Ainsi, conscients que chacun d’entre nous se promène avec des œillères sur la toile, les créateurs de Wordlink proposent justement de nous faire sortir de notre bulle. L’information n’y est pas triée et une infinité de sources journalistiques y est présente. L’utilisateur a ainsi à nouveau accès à l’ensemble de l’information disponible: la même que l’ensemble des internautes.
on parle du concept. Mais il y de quoi être moins optimiste quand on se concentre sur la substance. Sur Wordlink, nous retrouvons plus de chatons déguisés, de vidéos de Beyoncé à la plage et de débats sur la montre Apple que d’articles sur les crises politiques et sociales actuelles. Mercredi dernier on retrouvait dans le classement Wordlink: le nouvel iPhone en première place, un article sur les piqûres de moustiques en
Wordlink qui est à dénoncer ici: le site n’est finalement que le reflet de cet appauvrissement substantiel de notre flux médiatique. Wordlink se donne pour but de nous sensibiliser à ce que nous partageons. Selon ses fondateurs, ce phénomène d’appauvrissement est ancré, déjà bien existant, et même opéré consciemment par des créateurs de contenus considérés comme de bonne qualité. Rodrigo Vergara s’en est d’ailleurs
Beyoncé plutôt que Stephen Harper
quatrième place, un autre sur les Oreos® à la citrouille en neuvième place, tandis qu’Obama et son discours à venir à propos de l’État islamique d’Irak n’arrivaient qu’en vingt-neuvième place! La quantité remplace la qualité, le divertissement supplante l’information. Mais ce n’est peut-être pas
défendu en montrant au correspondant du Délit que le journal La Presse offrait maintenant sa une à des sujets bien plus superficiels (cuisine, beauté, loisirs) que sérieux. Voir et savoir ce que lit le «plus grand nombre» est une façon de réfléchir au visage que nous voulons donner à la presse de demain. x
Cependant, contrairement à d’autres agrégateurs déjà existants comme Flipboard, les articles publiés n’ont pas été sélectionnés par le choix d’un individu donné. Le classement n’est pas issu d’une décision arbitraire, mais serait plutôt un «miroir de la planète», comme nous l’explique Rodrigo Vergara. «C’est l’humanité qui choisit ce que nous mettons en avant», explique-t-il en souriant, «tout ça par l’engagement social». Les fondateurs assurent aussi que Wordlink ne fait pas de censure, à part pour les articles jugés inappropriés pour un large public (comme ceux de pornographie). Ce serait donc le média du peuple par le peuple, sans autorité supérieure. Une véritable démocratisation de l’information: le bouton «Partager» fait office de bulletin de vote, et le décompte de ces partages permet l’élection des nouvelles de Wordlink. Crever notre bulle En entrevue avec le Délit Français, Rodrigo Vergara explique que son équipe a été très inspirée par la notion de l’«Internet filter bubble» («La bulle de filtre»). C’est une idée développée par Eli Pariser, un internaute militant connu entre autres pour son intervention à la Conférence TED en 2011. Celui-ci explique qu’ «alors que les compagnies Internet s’efforcent d’ajuster leurs services à nos goûts personnels (y compris l’actualité et les résultats de recherche), une dangereuse conséquence, involontaire, émerge: nous nous retrouvons piégés dans une «bulle de filtres» et ne nous trouvons pas exposés à l’information qui pourrait remettre en question
À en croire le discours déployé par Wordlink, l’évolution des médias pourrait alors diriger vers un avenir radieux: une information pratique, démocratisée, libérée et égalitaire. Beaucoup de jolis mots quand
le délit · le mardi 16 septembre 2014 · delitfrancais.com
La lenteur des e-médias Et si Internet réinventait le journalisme « à l’ancienne » ? Côme de Grandmaison
Donner du temps au temps
L
À l’hiver 2013 la revue française XXI, véritable bouffée d’oxygène trimestrielle, a proposé un Manifeste pour un autre journalisme. Les auteurs expliquaient que tant que l’indépendance, la qualité et la cohérence ne seraient pas la priorité des journaux, ils ne pourraient prétendre à cette rentabilité qui les obsède. Tant qu’ils resteraient dans une logique d’offre et de demande ils ne feraient pas vraiment du journalisme. Le manifeste posait également la question suivante: «Et si les
Le Délit
a crise du journalisme est réelle. Entre conflits d’intérêts et politique du buzz , les publications de qualité semblent confinées à la marge. Comme l’écrit Serge Halimi dans son essai Les Nouveaux chiens de garde le journalisme devrait avoir pour but de rendre «intéressant ce qui est important, et non important ce qui est intéressant». Il suffit d’aller consulter le site Internet du Monde, le quotidien français «de référence» pour réaliser que cette vision
pas inféodé au buzz, internet peut apporter à l’art du reportage plus encore que ce qu’il lui a ôté. Certes, dans bien des médias, on exige des journalistes internet «une réactivité épuisante (…) la maîtrise professionnelle et les exigences du multimédia — au risque de tout faire sans talent —, l’éthique journalistique et la politique du clic. ». Mais des hommes et des femmes explorent un autre chemin. Loin d’une logique mercantile, ils prônent le retour à un reportage qui écoute les battements du monde, qui fait transparaître les injustices, les exploits, les échecs, et tout ce qui façonne le
cela un outil formidable, car à la puissance de l’écriture il permet d’allier des vidéos, photos et liens enrichissants. Le but de ces publications n’est cependant pas de se substituer aux agences de presse ou aux médias «traditionnels». Ils veulent raconter le monde en remettant à la page un genre qui n’a plus le temps d’exister: le grand reportage. Prendre le temps de trouver des sujets dignes d’intérêts et de les raconter avec force et justesse. Ce renouveau s’inscrit à la suite du très populaire «Snow fall», un article long format à la mise en page léchée qu’avait publié le New York Times. Ce long récit sur des skieurs surpris par une avalanche au contenu enrichi de photos et de vidéos avait connu un immense succès. La révolution est numérique
LuCe engérant
ne fait pas l’unanimité. Zlatan Ibrahimovic, cité dans 415 articles, déchaîne plus de passions que la secte Boko Haram, à laquelle 309 font référence. Le but de n’est pas ici de faire le procès de ces journaux. Il s’agit plutôt de présenter une alternative vivante et bien réelle à cette presse qui participe de moins en moins à l’élévation du débat journalistique.
dirigeants de la presse mondiale se trompaient en investissant à tour de bras dans les applications, les sites et les rédactions multimédias?» XXI propose, en tant que revue, une réponse partielle: pas de site internet, uniquement un journal «physique» financé par les achats et les abonnements. Mais d’autres possibilités existent. En effet lorsqu’il n’est
le délit · le mardi 16 septembre 2014 · delitfrancais.com
quotidien. De plus en plus de sites, tenant d’un journalisme «long format» s’escriment à ne pas capter la vie à travers des «tentacules numériques», des fils d’informations ou des communiqués prémâchés. Ils proposent de dévoiler un peu le quotidien tel que les gens peuvent le vivre en Birmanie, au Nigéria ou au coin de la rue. Ils racontent des histoires. Et Internet est pour
De nombreux sites, tant francophones qu’anglophones proposent de repenser la transmission de l’information. Souvent jeunes, ces médias souhaitent «réconcilier web et grand reportage», comme l’explique l’équipe éditoriale de Le quatre heure, un média long-format français. «Nous voulons surprendre et satisfaire la curiosité de lecteurs en mal d’histoires originales avec des sujets, des lieux et des personnages souvent en dehors du radar des médias mais qui révèlent des enjeux bien actuels». Parmi les nombreux tenants du web-journalisme long format, parlons de trois approches, qui s’intéressent à des sujets variés sans jamais sacrifier aux sirènes du buzz. L’Equipe Explore lancé par le quotidien français L’Equipe consacre de longs articles au sport, à ses légendes, ses exploits, ses difficultés. Le journal souhaite faire du «grand reportage numérique, interactif, multidimensionnel qui va à l’inverse des idées préconçues sur le web où l’information est nécessairement immédiate et périssable.» Contrairement à L’Equipe, Deca se consacre uniquement au journalisme long-format, et ne provient pas d’un média «classique». Un auteur présente chaque mois une histoire à propos d’une thématique, d’une région ou d’un groupe de personnes en particulier. Écrits uniquement par des journalistes primés (des vainqueurs du prix Pulitzer, du National Magazine Award etc.) et de diverses nationali-
tés, ces articles visent à donner une vision plus humaine de problèmes contemporains: la première histoire, «And the City swallowed them» («Et la ville les avala») est une plongée dans le monde du mannequinat en Chine, loin des podiums de Paris et de Milan. Partant du meurtre d’un mannequin canadien venu chercher la gloire en Chine, l’article (quoique plutôt à mi-chemin entre un livre et un article) peint à la manière d‘une enquête policière un tableau de Shanghai et de la Chine d’aujourd’hui. L’occasion de décrire l’urbanisation accélérée du pays, les aspirations des travailleurs les plus pauvres et l’envers de la haute couture grâce à des témoignages divers. Une autre histoire, parue en août, se penche cette fois-ci sur des problématiques liées à la nationalité et aux flux migratoires. Ulyces, successeur du site Ragemag, repose sur le même modèle économique que Deca: pour accéder à un article dans sa totalité il faut être abonné ou payer un certain montant par article. Point de gratuité donc; la qualité a un coût, pris en charge uniquement par les lecteurs. Les écrivains ne sont pas nécessairement des journalistes célèbres, mais plutôt des écrivains de toutes origines, simplement soucieux de raconter ce qui les entoure avec style et photographies à l’appui. Car le point commun entre ces trois publications est celui-ci: le texte n’est pas l’élément primant. Les photos et vidéos, l’enrichissement possible grâce internet donc, font partie intégrante du récit. Loin des formules stéréotypées imposées par la surcharge d’information, la forme est ainsi mise à l’honneur dans ces histoires. Tant dans la qualité de l’écriture et des photographies que dans la mise en page, qui se dévoile au fur et à mesure que le doigt fait défiler les pages. Chacun de ces sites utilise une interface soignée, visant à faciliter au maximum la navigation. Et les supports sont multiples: la lecture est possible sur un ordinateur mais aussi sur téléphone intelligent grâce à des applications spécifiques et, dans le cas de Deca, sur e-book. Le journalisme n’est pas mort donc. Loin des polémiques stériles, certains s’attachent encore à faire vivre l’esprit d’Albert Londres. Une forme de journalisme au long cours, qui nous rappelle qu’il existe une vie en dehors des mots clés.x
société
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points de vue lettre ouverte
Mauvaise récolte pour Première Moisson L’art du vrai! Ou plutôt, Redpath101: comment arnaquer les étudiants.
Jan simonson
L
’arrivée du Première Moisson dans la cafétéria Redpath est loin d’être passée inaperçue. Derrière nous, loin derrière nous, sont les jours où nous n’avions qu’à descendre quelques étages pour pouvoir aller chercher un single-single et un donut qui, pour moins de cinq dollars, nous permettaient de survivre à une nuit blanche à McLennan. Avant toute chose, je veux reconnaître l’effort qu’a fait l’Université McGill en mettant à la disposition de ses élèves une nourriture plus saine et ce, à travers une entreprise fondée au Québec qui utilise en priorité des ingrédients issus de l’agriculture locale. Toutefois, il semblerait que le fossé soit grand entre ce que l’université pense que les élèves souhaitent, et ce que nous désirons réellement. Ce que nous pouvons trouver à Première Moisson est certes plus sain et savoureux que ce que son prédécesseur proposait, mais… À quel prix? Un coup d’œil rapide autour de moi m’a permis de me rendre compte que non, je ne suis pas le seul à refuser de payer 7,26$ pour un café moyen et une portion minime de salade de fruits. C’est ce genre de prix qui nous forcera à nous éloigner du campus (un problème surtout
l’hiver) pendant nos sessions d’études, ou à compter de plus en plus sur des initiatives étudiantes comme Midnight Kitchen. Ce problème d’accès à une alimentation bon marché ne vient pas seul. Nous prenions pour acquis la rapidité du service qu’offrait Tim Hortons, particulièrement en période d’examens. Nous n’aurions peut-être pas dû. Les queues étaient déjà longues lors de mes quelques visites à Première Moisson et ce, non pas à cause de l’achalandage légendaire de la cafétéria —nous ne sommes qu’en septembre— mais à cause de la lenteur et du manque de professionnalisme du personnel. Plus d’une fois, j’ai pu assister au spectacle d’employés savourant tranquillement leur café devant des queues sans fin; ou même celui d’une employée se plaignant de ne pas avoir le temps d’en boire un pendant son service. Il est difficile d’imaginer une attitude aussi détachée dans une succursale qui se trouve dans la bibliothèque la plus fréquentée d’une université de plus de 38 000 étudiants. Ce type de remarque a sûrement dû échapper à la plupart des étudiants qu’ils servent, puisque le personnel est très majoritairement francophone. Un effort qui parait louable à première vue, mais qui finalement fait émerger un autre problème. Alors que
Luce engérant
Montréal ne manque pas de maind’œuvre bilingue, le Première Moisson situé dans la cafétéria de la plus grande université anglophone du Québec, si! J’ai dû assister, par exemple, à un dialogue de sourds entre un étudiant anglophone qui ne demandait rien d’autre qu’un café filtre, et une employée incapable de lui expliquer qu’il ne se trouvait pas dans
la bonne file. Le Première Moisson de la cafétéria Redpath ne pose donc pas seulement un problème d’accès du point de vue financier, mais aussi du point de vue social: une des choses qui fait de l’Université McGill ce qu’elle est, c’est sa diversité. Malheureusement, cette diversité se trouve desservie par un service à peine bilingue et incompétent.
J’en appelle donc aux deux instances concernées, le Service de logement étudiant et d’hôtellerie de McGill et la compagnie Première Moisson, à effectuer le plus rapidement possible les changements nécessaires pour un meilleur accès à de la nourriture abordable sur le campus. Qu’ils n’oublient pas que les premiers clients de la succursale ce sont nous, les étudiants. x
opinion
Une souverainiste en Écosse Petites impressions d’un moment historique. Gabrielle beaulieu
à Edimbourg
A
près plusieurs mois d’attente, nous nous trouvons enfin à quelques jours du référendum écossais qui marquera fort probablement l’Histoire, et qui aura assurément des répercussions sur le Québec. N’ayant pas vécu le référendum québécois en 1995, je n’avais qu’une vague idée de ce qui m’attendait lors de mon voyage en Écosse. À ma grande surprise, cette campagne pour l’avenir d’un pays se fait plutôt discrète dans les rues achalandées d’Édimbourg. Certaines publicités incitant les citoyens à voter le 18 septembre parsèment les trottoirs, et quelques Édimbourgeois s’affichent avec audace aux fenêtres de leurs appartements, mais sans plus. On est bien loin des campagnes électorales québécoises (tous partis confondus) où une vaste partie du budget est consacrée à l’affichage exagéré
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société
de pancartes. Un bon point pour l’environnement et les finances de la campagne, mais mon cœur de souverainiste enthousiaste était tout de même un peu déçu. C’est finalement en parcourant les jolies rues de la capitale que j’ai obtenu quelques réponses. Étant une jeune étudiante plutôt dépendante d’Internet, je me trouvais dans un café Starbucks sur le fameux Royal Mile quand j’aperçus de l’autre côté de la rue un homme qui se promenait fièrement avec un carton «Yes Scotland» (c’est la campagne à la fois multipartite et non partisane pour le Oui au référendum sur l’indépendance de l’Écosse qui se tiendra le 18 septembre. Ce mouvement rassemble le Parti national écossais, le Parti vert écossais, le Parti socialiste écossais, et les autres groupes favorables à l’indépendance). Je l’abordai tout d’abord pour lui demander où les partisans du Oui pouvaient se procurer des macarons et des affiches.
Quelle ne fut pas ma joie quand j’appris qu’il travaillait justement pour la campagne du «Yes Scotland» et qu’il pouvait me fournir l’affiche dont j’avais besoin! Je pus discuter avec lui tout l’après-midi des enjeux de la campagne. Je recueillis son opinion ainsi que celle de plusieurs de ses collègues sur l’importance de se proclamer indépendant et de prendre ses propres décisions dans l’avenir d’un pays. Il m’apprit que le conseil de ville, avec l’appui des camps du Oui et du Non, avait décidé de ne faire aucun affichage dans la ville d’Édimbourg, mais il m’expliqua que dans les autres régions, particulièrement dans les Highlands, le camp du Oui était omniprésent. Il me confirma également que la campagne référendaire n’était pas simplement le mandat du SNP (Parti national écossais) et d’Alex Salmond (chef du SNP et Premier ministre de l’Écosse), mais qu’elle se révélait plutôt être un mouvement populaire qui avait pris
naissance dans la société civile et les petits groupes communautaires. En effet, plusieurs groupes s’affichent depuis des mois en faveur de l’indépendance de l’Écosse, tels «Scots Asians for Yes» («Les Asiatiques écossais pour le Oui»), «Women for Independance» («Les femmes pour l’indépendance») et «Labour for Independance» («Les travailleurs pour l’indépendance»). Dans l’autre camp, le Non profite aussi d’un mouvement bien ancré, celui du «Better Together» («Mieux ensemble»), qui reçoit l’appui de tous les partisans opposés à la séparation de l’Écosse du Royaume-Uni. Si les indépendantistes se dévouent corps et âme au projet, c’est avant tout pour obtenir l’autogestion de leurs finances, afin de mieux les répartir dans les mesures sociales, telles que l’éducation, la santé et les avantages sociaux. Il est bien difficile de subvenir aux besoins d’un peuple sans avoir un pouvoir total sur l’économie de la
région. Puis, il ne faut pas oublier la question identitaire: tout comme le Québec et le Canada, l’Écosse et le reste du Royaume-Uni sont certes complémentaires, mais les Écossais ont une identité qui leur est propre. La campagne référendaire du «Yes Scotland» mise sur le fait que l’Écosse indépendante se tiendrait parmi les vingt pays les plus prospères au monde grâce à des finances publiques solides, à une industrie diversifiée et à d’importantes réserves de pétrole (selon des analystes du Financial Time). «L’indépendance, c’est ce que nous voulons tous dans nos vies, alors pourquoi notre pays ne pourrait pas être indépendant aussi? Après tout, l’Écosse est assez riche pour se le permettre!», entend-on sur une vidéo promotionnelle du «Yes Scotland». Ceci dit, nous verrons bien le 18 septembre sur quelle voie s’engage cette merveilleuse région qu’est l’Écosse. C’est un rendez-vous! x
le délit · le mardi 16 septembre 2014 · delitfrancais.com
économie entrepreneuriat
Apprendre à entreprendre Quand les étudiants se prêtent à la réinvention de l’enseignement entrepreneurial. cHARLES-ÉLIE LALY
Le Délit
L
’entrepreneuriat est un mot en vogue, souvent extirpé de son sens, cristallisant les espérances. Thibaud Maréchal, étudiant de U4 à la faculté Desautels, revient d’un accélérateur pour start-ups au Massachusetts Institute of Technology (MIT); Thomas Brag, lui aussi étudiant à Desautels, revient pour sa part d’une jeune pousse dans l’enseignement: l’Université Draper à San Francisco. En entrevue avec Le Délit, chacun livre son expérience de formation alternative, étonnante et pratique, ainsi que sa passion pour l’entrepreneuriat, au point de vouloir s’impliquer dans la réforme de son enseignement à McGill. Thibaud Maréchal a été sélectionné pour la première édition internationale du Global Founder Skills’ Accelerator (GFSA) au MIT. Il y a représenté le Canada avec ses coéquipiers: Timothée Guérin, Valentine Dessertenne, et Toby Welch-Richards. Pendant trois mois, ils ont rejoint treize équipes du monde entier dans un openspace sur le campus du MIT, afin de développer leur projet dans un cadre optimal, tout en bénéficiant d’une formation. Ce programme consiste en trois phases. Tout d’abord la formation théorique, puis les conseils et conférences d’entrepreneurs accomplis, et enfin, la mise en pratique, échelonnée par trois conseils d’administrations simulés mais réalistes, avant la présentation et le réseautage auprès d’universitaires et d’investisseurs potentiels. La formation théorique se déroule sur trois semaines et est intitulée: Les 24 Étapes de l’Entrepreneuriat. Elle définit selon Thibaud Maréchal: «un cadre possible d’agir, pas le seul, mais qui prouve son efficacité de manière empirique.» Fort de ce cadre, les étudiants profitent ensuite du récit des expériences d’entrepreneurs, se focalisant chacun sur l’un des quatre piliers de l’entrepreneuriat: le client, le produit, le modèle d’affaires (définition de la valeur ajoutée de l’entreprise) et la gestion d’équipe. Thibaud en tire deux leçons principales: «savoir vendre son idée est essentiel», et «plus qu’une idée, les investisseurs parient sur une équipe». En d’autres termes, «l’entrepreneur vend du vent; une vision, une passion, une équipe». Il s’ensuit un rythme effréné de 10 à 12 heures de travail par jour
pour la phase de finalisation du projet. Tout est mis en œuvre pour intensifier cette expérience, depuis le financement par McGill des frais de vie, jusqu’à l’impulsion dynamique de mentors du MIT. Les collaborations et le partage d’informations entre les équipes augmentent
richissime spécialiste du capital risque Tim Draper, aux nombreux contacts dans la Silicon Valley —, pour sa première édition, en 2012, avant d’y retourner comme assistant pédagogique l’année suivante. D’une durée de huit semaines et avec un coût de $9 500, il s’agit d’un
rythme de trois par jour, les conférences forment l’essentiel du programme. Elles font office de cours, mais de manière moins formelle: à taille humaine (40 étudiants), principalement par questions-réponses, et le tout dans des poufs poires.
Luce engérant
considérablement leur productivité. Selon Thibaud Maréchal, «partager son idée autour de soi, c’est obtenir un retour; encore une fois, il s’agit d’améliorer son discours de vente ». Et au-delà de tels enseignements profonds, il situe la richesse de cette expérience dans la multitude de savoirs acquis et de détails rencontrés, que seule la mise en pratique permet. Thomas Brag est allé à l’Université Draper — fondée par le
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programme exclusivement éducatif, bien que les liens créés impactent le monde professionnel et que certaines activités soient pour le moins atypiques. Les activités principales y sont les cours de programmation, les conférences de cadres et entrepreneurs de la Silicon Valley, et les excursions. L’ambiance est entretenue par Tim Draper, personnage haut en couleurs, célèbre entre autres pour ses cravates kitsch. Au
L’enseignement à Draper se fait par «la sortie forcée de sa zone de confort», selon Thomas Brag. En effet, depuis le karaoké pour les plus réservés, en passant par l’excursion de cinq jours aux allures de camp de survie, jusqu’à l’égorgement de poulets pour se sustenter, l’Université tire son inspiration du scoutisme et de la rigueur militaire. L’absence de formalité côtoie ainsi le dépassement de soi. Les heures de tempslibre sont dédiées à la mise en pra-
tique. Les équipes de cinq, formées dans le souci de la diversité (origine, sexe, présence d’un développeur confirmé) se lancent pour la plupart dans un projet de start-up, marque de l’aboutissement. Thomas Brag diagnostique en revanche un manque de temps consacré à «la digestion, la réflexion sur les expériences», et trop peu de contact avec le pan accélérateur de start-up (à la manière du GFSA au MIT) également présent à l’Université. Mais il assimile l’identification de ces problèmes à celle d’opportunités, à savoir leurs résolutions. Comme le décrit avec humour Thibaud Maréchal: «un entrepreneur, c’est quelqu’un de très sympa; il passe son temps à résoudre les problèmes des autres.» Thomas Brag se prononce en faveur d’un rapprochement de McGill avec Concordia, puisqu’il avance que toute start-up présente en ligne doit être au moins constituée d’un développeur, d’un gestionnaire et d’un designer; ce dernier cursus étant absent à McGill. Il veut également agir à travers un projet de «site collaboratif pour entrepreneurs», basé sur l’entraide et de retours faisant office de parrainages; un projet qui s’affranchirait ainsi des distances. Quant à Thibaud Maréchal, sa participation active au Centre Dobson pour l’Entrepreneuriat (l’organisateur de la Coupe Dobson) lui permet d’agir pour la promotion de l’esprit d’entreprise et la facilitation de sa mise en application. Ainsi, il compte étendre, par des ateliers notamment, l’écho du Centre qu’il décrit comme un «catalyseur de créativité inter-facultés». Allons-nous vers un changement rapide de l’entrepreneuriat à McGill? Vers un enseignement pratique et ouvert à tous ceux qui en auraient l’âme? C’est le dénominateur commun et ce à quoi les deux étudiants s’attèlent avec ardeur. x
économie
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Culture articlesculture@delitfrancais.com
ÉvÉnement
«Je parle pour garder ouverte la parole» Soirée rétrospective en avant-première du Festival international de la littérature. joseph boju
Le Délit
T
ous les poèmes et les chansons l’affirment, il n’est pas de plus bel âge que celui de nos vingt ans. Occasion pour le Festival international de la littérature (FIL) de lancer avec éclat sa vingtième édition, jeudi dernier, à l’auditorium de la Grande Bibliothèque de l’UQAM. Étaient présent un certain nombre d’incontournables de la vie littéraire montréalaise: écrivains, poétesses, metteures-en-scènes, chanteurs, danseuses et sages aux cheveux blancs. Tout ce monde rassemblé pour célébrer «notre
grande fête des mots», selon celui de Michelle Corbeil, directrice générale et artistique de l’événement. Au long de la soirée, divers acteurs du festival se succèdent donc sur scène pour parler de leur expérience du FIL et de leur attachement à la littérature. Lucien Bouchard, l’ancien Premier Ministre et Président d’honneur de cette édition, est le premier à monter. Il rend fort bien l’hommage dans un éloge du livre et de la lecture aussi éloquent qu’inattendu. Le livre subversif, dangereux, qui nourrit la liberté individuelle aussi bien que la libido, c’est de celuilà que se réclame M. Bouchard. Quand d’autres ministres n’en font
point l’éloge, lui, le bâtisseur de la Grande Bibliothèque, proclame: «Le livre n’est pas un passe-temps, c’est une façon et même une raison de vivre». Avant d’ajouter, solennel: «Il faut construire des bibliothèques et les emplir de livres». S’ensuivent des performances de Chrystine Brouillet, Présidente du FIL, commentant un tableau comme le veut l’exercice «de la couleur des mots», et de Chloé Sainte-Marie, chantant Gaston Miron puis récitant un poème du regretté Bruno Roy où ce vers résonne avec tant de justesse: «Je parle pour garder ouverte la parole». Car c’est de cela qu’il s’agit, garder ouverte la parole, la trans-
mettre tout en sachant l’accueillir différente, ce à quoi le FIL tient beaucoup. On en veut pour preuve l’émouvant récital de poésie inuit ou encore la lecture de cet extrait de Jacques Roumain qui rappelle une fois de plus le lien si fort entre Québec et Haïti. La différence vient aussi dans la forme. Il n’est nulle part question de littérature au sens strict du terme. Thomas Hellman, ancien McGillois par ailleurs, nous le rappelle sciemment son tour venu; un banjo à la main, il chante les mots du poète Roland Giguère avec une force enivrante. Plus tard, c’est Marie Chouinard, la grande chorégraphe et directrice de compagnie,
qui propose quelques-uns de ses poèmes, non sans mouvement. Et l’on pourrait continuer ainsi longtemps, car près de 4000 écrivains et artistes ont défilé au FIL depuis sa création, et la soirée rétrospective en avait invité plusieurs. S’il fallait, pour finir, ne parler que d’un seul, ce serait de Gilles Vigneault. Au moment de clore les festivités, on appelle le géant sur scène et il monte, authentique, pour chanter une de ses chansons, accompagné de sa fille. En entrevue avec Le Délit, la même simplicité l’habite pour expliquer ce que représente le FIL: «Une manifestation qui touche à l’ADN de la Culture». Le ton est donné. x
Exposition
Ut pictura poesis
De la couleur des mots: 20 écrivains, 20 œuvres au Musée des Beaux-Arts. GWENN duval
Le Délit
M
ichelle Corbeil, la directrice du FIL, a approché vingt écrivains complices du festival et leur a donné la consigne d’écrire un court texte de fiction en s’inspirant d’une œuvre de la collection permanente du Musée des Beaux-Arts de Montréal (MBAM).Ils ont chacun récité leur création au Musée le samedi 13 septembre au cours d’une visite. L’événement fait écho à celui qui s’était déroulé il y a dix ans au Musée d’art contemporain, où sept écrivains avaient alors été invités. En dépit de la reconnaissance nationale dont jouissent certains des auteurs conviés, tous font preuve d’une humilité qui donne une ambiance intime à l’événement. La visite, dynamique, nous entraine à travers les dédales du MBAM, à commencer par le pavillon des arts asiatiques où nous attend Robert Racine, un habitué de l’art visuel. La suite nous précipite devant Tristan Malavoy, l’actuel chef de section Livres et Arts visuels à l’hebdomadaire Voir, qui raconte l’hiver avec son père en prenant appui sur une motoneige. Après une petite allusion à la célèbre madeleine proustienne, il conclut avec: «un fils et un père filant sur des neiges éternelles, avec un goût de sucre sur les lèvres.» Le public
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Culture
est conquis, dans le cocon du musée, l’échappée est un succès. Dans le pavillon Claire et Marc Bourgie, qui a pour objet l’art québécois et canadien, neuf écrivains occupent les galeries. Suzanne Jacob s’attarde sur une sculpture qu’elle rebaptise «Le vaisseau de bronze», représentant trois femmes en fuite. Elle porte, dans sa fiction, une réflexion sur l’humanité, la volonté et la création. Là où l’Histoire se mêle à l’art, la poétesse s’ancre le temps d’un instant. Du même artiste, Marc-Aurèle de Foy Suzor-Coté, l’écrivaine Perrine Leblanc, absente lors de l’événement, a choisi une peinture qu’elle nomme «l’heure bleue», pour l’occasion. Elle s’approprie la voix du modèle, amante du peintre, dont elle raconte l’amour et l’envie de tout détruire avec des mots qui attendrissent les spectateurs.
Pour rester dans le cadre théâtral, Robert Lalonde enchaîne avec une «pirogue de guerre indienne» par Emily Carr. Puis, Michel Tremblay, le célèbre dramaturge québécois, donne vie au personnage d’une jeune fille occupée à attacher son soulier. Il nous parle du quotidien de la demoiselle et de ses préoccupations avec le ton à la fois doux et incisif que nous lui connaissons. Devant «Dryden» de Serge Lemoyne, c’est notre professeur
de la mort, on connaît la chanson. La recette infaillible fait rire de bon cœur le public. Entre fiction et réalité Le prochain écrivain, Rodney de Saint-Éloi, a opté pour Basquiat. Il porte son adresse au peintre dans une tournure épistolaire empreinte de tendresse et d’amitié. Le thème de la résistance résonne sous la frustration qu’on devine canalisée
Du lyrisme au théâtre Sur les chemins de la modernité, Chrystine Brouillet a, elle aussi, décidé de prendre position à l’intérieur de la peinture. Dynamique adepte des romans policiers, c’est une véritable scène qu’elle joue devant le tableau qui représente une femme dos à sa porte, tenant la poignée. Qu’y-a-t-il derrière ? Ça, elle ne le dira pas; ou peut-être que si mais alors sans le vouloir parce que c’est un terrible assassinat.
Cécile amiot
au Département de Langue et Littérature Françaises de McGill, Alain Farah le fameux, qui déclame vingt-neuf petits aphorismes, puisque c’est le numéro porté par L’honorable Ken Dryden lorsqu’il défendait le but au hockey. En plus de profiter de l’occasion pour émettre un discours sur la peinture et le sport, Farah parle de sa mère,
par l’art. Louise Bombardier, pour sa part, fait fort: elle s’inspire de sources historiques pour parler d’un tableau d’Édouard Vuillard. La vie et l’œuvre du peintre sont racontées; la place de sa sœur, muse asservie, est discutée. Louise Bombardier déclare elle-même: «c’est un vrai téléroman artistique!»
La visite se termine sur «l’œil» de David Altmejd, artiste à nul autre pareil dans le domaine de la sculpture montréalaise. L’écrivaine Monique Proulx nous parle de l’ange transpercé qui fait office de figure de proue au bâtiment Bourgie du Musée des Beaux-arts, sur la rue Sherbrooke. Contrainte et liberté d’expression Finalement, les réponses artistiques à la commande révèlent des modes d’expression saisissants. Si certaines tonalités se font écho, ce n’est certes pas sur le mode de la répétition. Les styles cohabitent, se répondent par moments, mais semblent plutôt permettre une différenciation tant sur le fond que la forme. L’impression qui se dégage de la visite rappelle le parcours de l’ascenseur de verre de Roald Dahl; chaque œuvre du musée recèle d’un potentiel imaginatif sans bornes et la présentation aiguille l’approche du spectateur sur le sentier de la fiction. Par ce samedi pluvieux, il eût été difficile d’être plus au chaud que dans l’univers de ces grands de la littérature québécoise pour profiter d’un superbe survol de la période dans laquelle nous sommes inscrits. Mordus de lettres ou simples adeptes des musées, il est encore temps d’aller s’imprégner des textes qui seront affichés jusqu’au 21 septembre. x
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THéâtre
La splendide rentrée du Prospero «C’est fou ce qu’un regard posé sur vous peut vous ébranler.» ANNe Cotte
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u milieu d’un décor dépourvu d’artifices, Paul Van Mulder, auteur de Solitude d’un acteur de peep-show avant son entrée en scène nous livre le texte tristement poétique d’un homme qui se met à nu. Assis sur une chaise, les mains tremblantes mais le regard débordant de rancœur et criant à l’injustice, cet être aliéné dans un monde qui va trop vite nous témoigne de son quotidien. Par hasard engagé comme acteur de peep-show (spectacles à caractère érotique ou pornographique, NDLR), il nous dévoile à la manière de confessions ses mésaventures tout en nous faisant part des peurs qui l’obsèdent et de ses rêves d’un ailleurs serein. «Pourvu qu’elle m’aime», nous confie doucement cet homme plein de désirs. À à travers lui, nous, spectateurs, vivons sa première histoire d’amour avec passion mais également le déchirement et la douleur insoutenable qui s’ensuivent. Nous vivons ses efforts maladifs pour ressembler à un autre, pour paraître anonyme. À notre tour, nous nous sen-
tons trompés, utilisés, humiliés et nous ressentons au plus profond de nous cette crise du langage, celle des individus qui se croisent mais qui ne s’arrêtent jamais. «C’est fou ce qu’un regard posé sur vous peut vous ébranler», nous avoue cet homme, les yeux étincelants. Exprimant dans ce texte la précarité du travail et la solitude qu’un être peut ressentir dans une ville, on trouve un homme modeste qui existe par notre regard. Un homme qui, par son vécu, a perdu tout espoir en la bonté humaine, et qui parvient à nous affirmer haut et fort «Maintenant, c’est terminé. Vous pouvez me supplier pour un peu de tendresse… j’en ai plus rien à foutre. Vous pouvez crever devant moi…» Et pourtant, malgré cette colère et cette violence qui le ronge, on ne peut s’empêcher de voir en lui une candeur et une authenticité infinie. À la manière du Petit Prince, il s’agit d’un homme qui cherche seulement quelque chose à apprivoiser, un ami qui assouvirait sa solitude et ne chercherait pas à tricher. On note aussi des similitudes avec le personnage d’une pièce de Bernard-Marie
Koltès, La nuit juste avant les forêts, dans laquelle un homme débite un flot de paroles pour tenter, en vain, de communiquer avec autrui. Si le personnage de Saint-Exupéry a choisi un mouton, notre acteur rêve d’un grand chêne au milieu d’un jardin fleuri. Écœuré d’avoir été trompé et utilisé comme un objet, il trouve en la nature son refuge secret; plus personne ne peut lui porter atteinte. La description de son jardin, durant laquelle Paul Van Mulder hausse la voix considérablement, est sans doute un des passages les plus touchants de cette pièce. On retrouve un enfant qui s’isole dans un monde qui lui est propre: son île, au milieu de son lac, près de son chêne, au milieu d’une multitude de fleurs colorées. Enfin, il est heureux. On retrouve aussi en lui deux figures conflictuelles: celle du jeune adolescent, prêt à tout pour être pris en considération, et celle de l’homme qui a peur à tout moment que son corps l’abandonne. En effet, la lampe que l’acteur fait osciller devant nous dans les interludes musicaux peut nous rappeler ce phénomène du temps qui
Gracieuseté du THéâtre prospero
passe et qui, pourtant, ne chasse pas toutes les inquiétudes. Lorsque la douce musique Hope There’s Someone d’Antony & The Johnsons atteint nos oreilles pour clôturer cette pièce, avec ses mots d’espoir qui flottent toujours autour de nous, on ne peut s’em-
pêcher de vouloir crier à notre tour ce manque de tendresse que l’on rencontre quotidiennement. À travers ce texte d’une sincérité à en couper le souffle, Paul Van Mulder nous bouleverse et nous donne soif d’exister, tout simplement. x
sœurs qui passent leurs journées à tricoter en espérant que le temps leur revienne. En attendant, dans la salle de bain, ces deux personnages se transforment en champions de boxe internationaux qui jouent leur prochaine victoire dans la tête
aimerait partir à la découverte du monde! Diesel pourrait peut-être rentrer dans une roulotte! Oui, une roulotte ferait l’affaire pour ce grand homme imaginaire et ces deux âmes errantes. Shatzy achète donc une roulotte. Une roulotte jaune, pourquoi pas. Ces niveaux de narration enchevêtrés sont fidèles à l’œuvre de Baricco et témoignent de la nécessité chez les personnages de se raconter des histoires pour s’en sortir. En ressort une grande histoire de tendresse entre Gould et Shatzy, chacun brisé à leur manière, qui trouvent dans leur relation un réconfort et un autre à qui se livrer dans toute leur vérité. On applaudira Paul Ahmarani pour sa fabuleuse interprétation d’un petit gars pas comme les autres qui vit dans un monde bien à lui. Mention spéciale aux trois autres acteurs, le duo Gabriel Doré et Paul-Patrick Hébert qui font état de leur palette de jeu en interprétant de multiples personnages, enchaînant mimiques et gags burlesques; sans oublier la ravissante Geneviève Beaudet qui habite la pièce par sa présence et sa générosité. Un spectacle splendide, comme dirait Shatzy. À aller voir absolument, jusqu’au 27 septembre! x
City, ou raconter des histoires pour s’en sortir. SCARLETT REMLINGER
Le Délit
C
’est avec l’adaptation du roman City d’Alessandro Baricco que le théâtre Prospero ouvre sa programmation de la saison. Une pièce dans laquelle on témoigne de la vie de Gould (Paul Ahmarani), un enfant de 13 ans, génie de son époque, déjà élève dans une université prestigieuse et abandonné par ses parents. Il fera la rencontre de Shatzy (Geneviève Beaudet), une jeune femme pleine de rêves d’enfants, lorsqu’un soir il décide d’appeler le service d’assistance téléphonique d’une entreprise de sondage où elle travaille pour prévenir la standardiste qu’un dénommé Diesel (Gabriel Doré) et son ami Poomerang (PaulPatrick Hébert) pourraient venir l’étrangler avec le fil du téléphone. Attention: ils ont l’air méchant, mais ils sont gentils! Comprenant bien qu’il doit s’agir de deux personnages issus tout droit de l’imagination de l’enfant au bout du fil, la belle Shatzy décide de converser longuement avec cet être dont la créativité l’émeut. Licenciée par son supérieur pour avoir été trop bavarde (Le temps, c’est de l’argent), Shatzy
retrouvera Gould pour son goûter d’anniversaire au restaurant du coin, où cette nouvelle amitié prendra enfin forme. C’est là que Gould, qui faisait croire à son père que sa nourrice était muette pour expliquer l’absence d’une deuxiè-
et d’imagination. Ils nous ouvrent les portes de leur monde pour nous raconter leurs fantasmes. Plusieurs niveaux de narration apparaissent alors. Nous sommes projetés dans un western mystérieux, histoire racontée par Shatzy,
Lynn PouLIN
me voix au téléphone, demande à Shatzy de devenir sa nourrice. C’est un monde d’amour, d’amitié, de partage et de rire qui s’ouvre à ces deux nouveaux amis. Shatzy, l’adulte enfant et Gould, l’enfant adulte, sont pleins de rêve
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dont c’est le rêve de faire un western. Le temps s’est arrêté dans un village du Far Far West suite à une malédiction qui s’est abattue sur la région il y a 34 ans, 11 jours et 6 heures. Tout à coup Poomerang et Diesel deviennent de vielles
de Gould, assis sur les toilettes. Mais ce n’est pas toujours évident d’être Diesel qui, trop grand pour prendre le bus, la voiture, le train ou même l’avion ne peut pas partir à l’aventure comme il le voudrait. Et puis il n’y a pas que lui qui
Culture
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Concert
La jeunesse éternelle à l’OSM L’orchestre symphonique de Montréal ouvre sa 81ème saison avec Berlioz. Émilie Blanchard
Le Délit
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ucien Bouchard, président du conseil d’administration de l’OSM, a ouvert le concert du 10 septembre en résumant le succès de la dernière année ainsi que les points marquants de la programmation 2014-2015, qui s’annonce prometteuse. Entre autres, en première nord-américaine, Kent Nagano dirigera L’Aiglon, un drame musical inspiré de la vie du fils de Napoléon. De grands invités sont attendus, dont les pianistes Lang Lang et Boris Berezovsky et le chef d’orchestre Zubin Mehta pour la Troisième symphonie de Mahler. Finalement, le premier acte de Valkyrie de Wagner terminera la saison au mois de mai. Roméo et Juliette de Berlioz, jouée pour la dernière fois par l’OSM en 1985, est un excellent choix pour entreprendre une nouvelle année sous le thème de la jeunesse éternelle et pour permettre à l’Orchestre de continuer dans sa lignée de rendre la musique plus accessible au grand public. Alors, quoi de mieux qu’une adaptation de l’histoire des deux amants
Antoine Saito
les plus connus de la littérature anglaise. Les amateurs de la pièce de Shakespeare risquent d’être déçus. Il ne s’agit pas d’une adaptation symphonique de l’œuvre, mais plutôt d’une adaptation musicale (avec et sans chœurs) très libre des grandes parties de la pièce. Les voix faisant surtout de la mise en contexte, il est donc essentiel que les musiciens transposent la
richesse expressive, le drame, les émotions et le romantisme derrière l’histoire originale. La première partie met l’histoire en contexte et présente la rivalité Capulet-Montaigu. On retiendra un divin duo entre la mezzo-soprano française Clémentine Margaine et le harpiste Jennifer Swartz, ainsi que l’excellente performance des violoncellistes du début à la fin.
La deuxième partie est quasi exclusivement orchestrale et représente un défi d’interprétation pour les musiciens, qui doivent mettre en musique les sentiments derrière le texte mythique de Shakespeare. Une mention spéciale doit être faite au hautbois Theodore Baskin pour son Roméo solitaire et mélancolique juste avant de rencontrer sa Juliette au bal. La scène d’amour, pièce de ré-
sistance de la symphonie, est réussie. Léger bémol: une petite erreur s’est glissée dans le programme et la troisième section de cette partie, la Reine Mab, a été oubliée. Néanmoins, elle fut exécutée merveilleusement avec beaucoup de légèreté et de délicatesse. C’est dans la troisième partie que l’émotion et le drame tant recherchés sont à leur paroxysme. La dernière partie de la symphonie débute avec le cortège funèbre de Juliette et se termine avec la réconciliation des deux familles. Le baryton français Nicolas Testé, qui a déjà chanté Roméo et Juliette avec l’Opéra d’Amsterdam, est clairement le plus solide des vocalistes. Sa voix est puissante et se disperse merveilleusement bien dans la maison symphonique. Son interprétation du Frère Laurence est juste, moralisatrice et forte. Tout au long du concert, Maestro Nagano était particulièrement passionné dans la direction de ses musiciens. Les transitions entre les différentes parties de l’œuvre ainsi que les changements de nuances ont été bien exécutés. C’est de bon augure pour la saison qui s’amorce.x
cinéma
Métro Manila, l’exode brutal Sean Ellis réalise un thriller exotique aux couleurs froides et à l’accent philippin. Céline fabre
Le Délit
M
etro Manila, c’est l’histoire d’un homme et de sa famille, contraints de quitter les rizières de la campagne des Philippines pour trouver de quoi vivre plus décemment dans la ville de Manille, capitale en laquelle ils placent tous leurs espoirs. L’exode rural est un thème courant que s’est ici approprié le cinéaste britannique afin de nous livrer un réel questionnement sur la nature de l’Homme lorsqu’il est confronté au pire. On assiste en effet à la désillusion progressive d’Oscar (Jake Macapagal), de Mai (Althea Vega) et de leurs deux filles qui cumulent les ennuis, passent du squat d’un immeuble tenu par des contrebandiers au sol humide des bidonvilles; le tout sans même trouver de quoi se nourrir convenablement. Une des premières choses qui frappe lorsqu’on est plongés dans les rues de Manille, c’est la rudesse avec laquelle S. Ellis dépeint cette mégalopole: l’honnêteté d’Oscar et
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Culture
gracieuseté du cinéma du parc
la naïveté de sa famille contrastent de façon presque caricaturale avec l’injustice et les codes dont ils se retrouvent prisonniers et qu’une phrase du film résume habilement: «Ne parle pas, tu n’as aucune voix dans ce monde.» Il semble alors n’y avoir aucune issue pour la famille Ramirez, jusqu’au jour où Oscar
intègre un commissariat de police, engagé par un directeur au sens de l’humour inquiétant. Enfin, le jeune couple voit sa situation se stabiliser et leur quotidien semble se rapprocher des espoirs qu’ils avaient nourris jusqu’ici. Mais en réalité, c’est là que les vrais ennuis commencent.
Oscar prend peu à peu conscience que l’endroit où il se rend chaque matin n’est qu’un des tentacules d’un système brigadier dont il est maintenant complice. À ce stade de l’intrigue, S. Ellis parvient à captiver notre attention jusqu’au bout et nous rend complètement victimes des mouvements de caméra qui
nous transportent d’un danger à l’autre. Désormais, la complexité de la situation à laquelle Oscar doit faire face donne de la profondeur au personnage qui apparaissait peut-être trop simplet et crédule lors des premières scènes du film. Il a compris que dans ce monde corrompu, l’honnêteté ne paye pas ; c’est par d’autres moyens que l’on peut espérer obtenir ce que l’on veut. En suivant l’évolution d’un personnage fondamentalement bon face à la tentation du vice, Sean Ellis teste les limites de l’humanité. Est-il possible de conserver un semblant de sensibilité dans un monde où il n’est justement plus possible de distinguer le bien du mal ? La fin du film donne une réponse possible à cette équivoque. D’ailleurs, elle représente probablement une des plus belles prouesses du scénariste (incomparable avec la fin plutôt médiocre de Cashback, 2004) et nous redonne l’espoir qu’autre chose que ce système révoltant a des chances de triompher. Bien que lourd soit le prix à payer. x
le délit · le mardi 16 septembre 2014 · delitfrancais.com
concert
Bohème synthétique
Le MRCY Block Party réunit les vedettes de la musique pop alternative à Laval. Virginie daigle
Le Délit
L
aval, un frais après-midi d’automne dans un stationnement du second campus de l’Université de Montréal. Les adeptes de musique alternative (lire: ce qui n’est pas Katy Perry) se regroupent tranquillement devant une scène qui exhibe fièrement son identité toute techno-contemporaine: #MRCY2014. Au sein de la foule on arbore soit la tuque, soit la barbe, ou mieux encore, les deux. Parmi la pléthore de foodtrucks présents sur le lieu, on est libre de choisir le produit alimentaire qui nourrit le mieux son corps, sa conscience ou son fil instagram: à savoir, un sloppy joe, une poutine végétalienne ou un gâteau au fromage frit. On ne consomme pas énormément d’alcool, vu son prix prohibitif des plus efficaces, bien que l’on puisse voir circuler de temps à autre une bouteille furtive qui ne contient pas du jus de pomme. Le prix d’excellence du consommateur revient toutefois à la jeune femme fumant nonchalamment
une cigarette électronique dont les émanations sont clairement celles de la marijuana. La cigarette électronique: un achat versatile. Une autre option consiste aussi à se diriger vers l’épicerie la plus proche pour s’y procurer de l’alcool à un prix raisonnable (lire: Pabst Blue Ribbon) qu’on consommera en vitesse avant de retourner sur les lieux du spectacle. Une fois les besoins du corps assouvis, les oreilles peuvent se régaler d’une programmation bien fournie: les groupes locaux Thus Owls et Caravane ouvrent le bal vers 15h avec leur musique respective, l’une aux accents mélancoliques, l’autre d’un rock modernisé et assumé francophone. S’en suit ensuite l’artiste Foxtrot, appelée à la dernière minute afin de remplacer Sky Ferrera. Accompagnée d’un synthétiseur, de quelques percussions et d’une seule musicienne — une joueuse flegmatique et énigmatique de cor —, la chanteuse profite de cette occasion de dernière minute pour présenter à un autre public son univers musical aux beats puissants. Le groupe montréalais les Barr Brothers s’est ensuite produit
sur scène, diffusant une mélancolie folk et maitrisée, idéale pour des adieux à l’été dans la fraicheur d’un coucher de soleil. À la tombée de la nuit, vient le tour de Death From Above 1979, duo punk-rock torontois à la composition intéressante. En effet, le groupe est formé d’un batteur-chanteur et d’un bassiste, musiciens trop souvent relégués à l’arrière-plan. Les deux parviennent à enflammer la foule avec des jaillissements déchainés de métal, des solos électrisants et des interpellations en français à la foule dont un mémorable: «La dernière fois que j’étais à Laval, c’est quand mon grand-père est mort pis on est allé faire du bowling et manger de la poutine… Vous êtes vraiment fins d’applaudir que mon grand-père est mort.» Puis un des joueurs les plus attendus de la soirée fait son entrée: le mythique et obscur (oui, c’est possible) groupe américain Neutral Milk Hotel. Retentit alors la musique festive d’une vraie bande de déjantés aux allures de personnages sortis des bois, entre le conte de fée et la bande de motards: trompettes, chandails de
laine «hipstériques», guitare sertie de flocon de neige. Plusieurs de leurs chansons se sont prolongées dans des vibrations entrainantes aux limites du transcendantal pour la foule déjà électrisée. Puis vient le moment majeur de la soirée, l’arrivée du groupe Metric sur scène. Toute l’attention se concentre sur le personnage évanescent de la chanteuse Emily Haines, sorte de nymphe blonde du rock, qui exsude une fragilité émotionnelle contrastant avec l’aplomb des hymnes de rock électronique dans lesquels elle s’exprime. Le groupe reprend plusieurs de ses succès populaires dont «Help I’m Alive», «Dead Disco» et «Stadium Love» alors que les éclairages inondent la scène de roses et jaunes incandescents qui alternent avec des effets surréalistes de noir et blanc et l’inévitable stroboscope. La soirée se termine dans l’émotion lorsqu’avant d’entamer sa chanson «Breathing Underwater», la chanteuse fait une de ses rares interpellations à la foule pour lui dire : «It’s important to be okay.» «I just need to remember to be okay»,
s’est-elle répété à elle-même à mivoix après un instant. Puis, comme il est conventionnel de le faire en fin de spectacle, la foule se joint au groupe pour entamer le refrain à l’unisson qui a faibli progressivement pour finir accompagné seulement d’une guitare et d’un torrent de voix implorant «Is this my life?». Puis le groupe s’éclipse sans faire de rappel, indifférent à la clameur de la foule pour encore un peu davantage. «They were right when they said we should never meet our heroes» avait-on chanté seulement quelques secondes plus tôt. Autre note discordante en fin de soirée, les participants à l’évènement étaient nombreux à s’être rendus à Laval en métro sous l’impression que «La STL offrira[it] le transport gratuit à toutes les personnes qui auront leur billet en main», comme le précisaient les nombreuses annonces de l’événement. Faux: les fameux détenteurs de billets se sont retrouvés coincés par centaines dans la station Montmorency pendant un bon moment. Façon désagréable de terminer une soirée autrement magique. x
cinéma
Pas brilliant, Dimwittie
L’apparente redécouverte d’une trilogie cinématographique. Miruna Craciunescu
Le Délit
M
ieux connu pour avoir incarné l’inspecteur Clouseau dans La Panthère rose (1963), c’est dans la peau d’ Hector Dimwittie que Peter Sellers fit ses débuts dans cette série de courts-métrages issus d’une collaboration entre Lewis Greiffer (Dr. Who, Danger Man) et Mordecai Richler. Or bien que le personnage de Dimwittie préfigurait déjà certains traits de caractère qui firent de Clouseau l’une des figures les plus appréciées des séries policières jusqu’à sa récente interprétation par Steve Martin (2006), force nous est de constater que la postérité réserva à ces deux anti-héros un sort bien différent. En effet, la médiocrité qui fit de Dimwittie une sorte d’Homer Simpson britannique de l’aprèsguerre ne mit guère en valeur les talents de Sellers, ce qui explique peut-être pourquoi ce qui fut conçu à l’origine comme une série de dix épisodes finit par être converti en trilogie. Et pourtant, en dépit d’un rythme un peu lent et d’un scénario qui ne privilégie guère les punchs, ces courts-métrages ne sont pas dépourvus de qualités que l’on s’attend à retrouver dans
l’écriture d’un auteur de la trempe de Richler. Prévisible jusque dans ses chutes, son humour évite néanmoins la facilité des gags et parvient à présenter une critique de la société de consommation à peine voilée sous les commentaires ironiques d’un narrateur dont la forte présence demeure l’une des caractéristiques les plus intéressantes de la trilogie. Qu’il s’agisse des efforts ridicules d’un vendeur qui s’efforce en vain d’obtenir autant de succès que son beau-frère ou bien de l’insomnie d’un employé qui craint de perdre son emploi en exigeant une augmentation de salaire à l’instigation de sa femme, Dimwittie offrait sans doute à ses contemporains un miroir à peine distordu du nouveau système de valeurs qui triomphait durant les Trente Glorieuses. C’est d’ailleurs pour cette raison que l’absence de remise en question fondamentale de ces valeurs dans la société contemporaine — laquelle n’en reste pas moins ancrée sur le triangle travail-famille-plaisir — font de ces courts-métrages un «trésor de l’histoire du film» aux dires du festival de film de Niagara Bill Marshall, lequel introduisit pour la première fois la trilogie Dimwittie au Canada au mois de juin.
le délit · le mardi 16 septembre 2014 · delitfrancais.com
Plusieurs bémols viennent tempérer une telle affirmation, dont le moindre n’est certes pas la piètre qualité du son et de l’image dans la troisième pellicule. En effet, tout comme le court-métrage précédant qui
vantait les mérites de l’insomnie, Cold Comfort (que l’on pourrait traduire par: Les avantages d’un rhume) se présente comme la parodie d’un message de propagande visant à populariser certaines pratiques ou compor-
tements. En dépit des variations dans le contenu, la répétition du procédé se révèle décevante, d’autant plus que le personnage de Dimwittie s’efface de plus en plus d’un court-métrage à l’autre. Dommage. x
Culture
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théâtre
Un anniversaire vertigineux Pour célébrer ses trente ans, le Théâtre de l’Opsis s’installe à l’Espace Go. Noor daldoul
Le Délit
C
ette semaine, Le Délit s’est rendu à l’Espace Go pour assister à la première représentation en langue française du Vertige. Plus que la promesse d’un ancrage historique au temps de la dictature stalinienne, l’aveu du caractère autobiographique de la pièce nous permet d’adopter une autre sensibilité face à l’histoire qui nous est racontée. Toute la force d’une œuvre autobiographique, qu’elle soit littéraire, cinématographique ou théâtrale, réside dans sa redéfinition de la relation entre l’auteur et le destinataire. Elle crée entre eux, par eux et pour eux, un écrin d’émotion et d’intimité, cimenté par la pureté qui émane du vrai. Le Vertige nous offre une immersion au temps des purges staliniennes à travers l’histoire autobiographique d’Evguénia Guinzbourg. Inspirée du premier tome de ses mémoires publié en 1967, la pièce retrace les différentes étapes de son arrestation et de son emprisonnement, entre 1935 et 1939. Elle qui était membre active du parti communiste et professeure d’histoire à l’Université de Kazan se retrouve prisonnière politique, faussement accusée de «terrorisme trotskyste». En prison, elle rencontre d’autres
Marie-claude hamel
femmes, communistes, socialistes ou sans-parti, et écoute leurs récits empreints d’incompréhension et de fatalisme. Au cœur de cette pièce se dessine un combat entre deux vérités. D’un côté, la vérité du parti communiste. Entre faux témoignages, manipulation et torture, le parti crée sa propre réalité. Puis, il y a ces femmes, coupables de tout et surtout de rien. «Vous m’accusez de quelque chose que je n’ai pas fait?», demande Evguénia au camarade inspecteur. Face à l’absurdité de
cette situation, il y a le désespoir, la colère, l’humour aussi. Malgré des différences, ces femmes vont alors s’unir pour défendre une même vérité. Elles condamnent la machine répressive qu’était devenu le parti communiste à la fin des années 1930, elles se battent pour leur dignité de femme et d’être humain, elles se rebellent face à un autoritarisme réprimant les droits les plus fondamentaux d’expression et de liberté de pensée. Ce ressentiment collectif est inspiré du questionnement suivant: «Si tout le monde
a trahi la même personne, est-ce qu’on ne pourrait pas supposer que c’est elle qui nous a tous trahis?» Le plus difficile pour les spectateurs de notre âge, sans aucun doute, c’est l’identification aux personnages, aux émotions. Ne connaissant des purges staliniennes que des faits résumés par un professeur d’histoire, il semble difficile de ne pas se contenter de sa position de spectateur. C’était sans compter la nuance dont fait preuve la pièce. Dépassant le devoir de mémoire d’une œuvre historique,
Le Vertige brille par sa leçon d’humanisme. En effet, la réflexion sur le genre humain tapisse les murs de cette œuvre. Un humanisme empreint de féminisme bien sûr, défendu avec force et résilience par la vingtaine de femmes qui habitent la scène et si bien résumé par une des prisonnières: «Nous les femmes, nous survivons à tout!» Le génie qu’a cette pièce de convaincre les plus jeunes provient indéniablement de ses comédiens. Le dramaturge Jean Anouilh disait: «Le texte, au théâtre, c’est encore ce qu’il y a de moins important.» C’est dire qu’il faut des comédiens de génie pour assurer une nouvelle temporalité à ce récit. S’il faut souligner la performance de Louise Cardinal, malmenée, enfermée, rebelle aussi, il faut également parler de tous les autres. Ces femmes, victimes et prisonnières, révolutionnaires et désillusionnées, amantes et mères. Ces hommes, sous-bêtes, bourreaux manipulateurs, «humains qui ont cessé d’être des hommes». Enfin, il faut remercier ces moments de grâce: l’humour noir si rafraichissant de la grande Ania; le chant captivant de Carolla, l’Allemande qui a fui Hitler; les yeux brillants de Lydia, doyenne de la troupe… Assurément, Le Vertige doit son succès à la performance touchante et juste de ses comédiens. x
Documentaire
«Jésus, tu me manques» L’heureux naufrage moral du Québec.
Philippe Robichaud
Le Délit
«O
n est quand même dans la seule époque où quand un garçon de quinze ans demande à son père: “Quel est le sens de la vie?”, le père se tait.» L’observation troublante d’Éric-Emmanuel Schmitt donne le ton du film. La problématique du documentaire formaté pour la télévision de Guillaume Tremblay et de sa femme Xavie JeanBourgeault s’inspire de l’idée que le Québec est aux prises avec une dérive morale depuis la Révolution tranquille. En agissant sur sa colère contre l’Église catholique et en la chassant de son quotidien, la Belle Province aurait en quelque sorte jeté le bébé avec l’eau du bain. Suite au déclin de la religion au Québec, il s’installe progres-
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Culture
Gracieuseté d’Ovizion
sivement un vide existentiel qui éveille chez nombre de gens un appétit spirituel grandissant. Où donc tenir la première du film? Dans une église, bien sûr. Prenant la forme d’une longue conversation candide, L’heureux naufrage propose une réflexion
aux antipodes du didactisme. Le film pallie les divergences des personnalités sollicitées en adoptant un ton personnel, en posant des questions intimes. «Si le propos devenait trop évangélisateur, on délaissait l’entrevue. Pareillement pour celles qui n’étaient que dans
l’intellect. Ce qu’on voulait, ce n’était que des messages venant du cœur», confie Noémie JeanBourgeault au Délit. L’honnête travail de recherchiste du défunt Éric Wingender, en quête de «ceux qui ont parlé de spiritualité en public dans les dix dernières années», présente les opinions d’un éventail de personnalités allant de Ginette Reno à Denys Arcand, de Jonathan Painchaud à André ComteSponville. Bémol cependant: le film, dont le réalisateur se dit l’ennemi de tout bête dogme, s’appuie essentiellement sur un défilement de figures présentées comme garantes d’autorité. En d’autres mots, pas de M. Tout-le-Monde. Qui plus est, un je-ne-sais-quoi de nombriliste transparaît dans le choix sans doute inconscient de personnalités blanches, franco-centriques, adultes et pour la plupart éduquées.
Quoi qu’il en soit, la pertinence de la réflexion amorcée excuse les lacunes méthodologiques de la réalisation, qui ne sont lacunes que pour ceux qui auraient aimé se réchauffer auprès d’un plus vaste brasier théologique. Tout comme les propos des intervenants, le film luimême est éminemment personnel, sincère. Après tout, le voyage spirituel de chacun ne peut commencer que de là ou l’individu se situe; ainsi, L’heureux naufrage se lit comme le journal intime de deux voyageurs s’arrêtant aux gîtes qu’ils croisent au fil de leur recherche. x
L’heureux naufrage
Église Saint-Jean-Baptiste Diffusion en décembre heureuxnaufrage.com
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