Le Délit

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SANTÉ MENTALE À MCGILL p. 4 et 5 Le mardi 21 janvier 2014 | Volume 103 Numéro 12

Bourgeois du printemps depuis 1977


Volume 103 NumĂŠro 12

Éditorial

Le seul journal francophone de l’UniversitÊ McGill

rec@delitfrancais.com

Tout dire... ou pas Camille Gris Roy Le DĂŠlit

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n aimerait mieux ne pas en parler, mais c’est vraiment dur de passer Ă cĂ´tĂŠ. La semaine dernière dans Le DĂŠlit, on admettait avec regret que la Charte des valeurs continuerait de faire encore et toujours les manchettes cette annĂŠe. Ce qui est ressorti de la première semaine des consultations publiques sur le projet de loi 60 est plutĂ´t consternant. Une commission taillĂŠe sur mesure pour Infoman Ă RadioCanada, qui avait prĂŠvu ÂŤdes heures de plaisirÂť. Du ÂŤbonbonÂť pour son ĂŠmission, en effet. Une vidĂŠo en particulier a très vite circulĂŠ sur internet cette semaine, et a suscitĂŠ beaucoup de rĂŠactions. C’est l’histoire de Madame Machin, qui raconte devant la commission ses vacances au Maroc, oĂš elle a ĂŠtĂŠ choquĂŠe de voir des gens ÂŤprierÂť, ÂŤĂ quat’ pattes su’ un tapisÂť. Le rapport avec le QuĂŠbec? Une soi-disant ÂŤcomparaisonÂť avec ce qui nous ÂŤattendraitÂť ici. Autrement dit, pas la peine de chercher ce qu’il y a de constructif dans ce tĂŠmoignage. En choisissant de donner la parole Ă absolument tous ceux qui voudraient s’exprimer, sans aucune sorte de ÂŤfiltreÂť ou de ÂŤprĂŠ-selectionÂť, Bernard Drainville a complètement dĂŠcrĂŠdibilisĂŠ cette commission (et se dĂŠcrĂŠdibilise encore plus lui-mĂŞme). La semaine dernière dans Le DĂŠlit, le professeur de droit Daniel Weinstock -signataire d’un mĂŠmoire prĂŠsentĂŠ Ă la commission- faisait part de ses doutes par rapport Ă ces consultations ÂŤcontradictoiresÂť, proposĂŠes par un gouvernement prĂŞt Ă tout entendre, mais qui ne ÂŤreculera pasÂť. Encore une commission gâchĂŠe alors. On part toujours avec une bonne intention: entendre toute la diversitĂŠ des points de vue, dĂŠbattre sur un projet qui ne fait pas l’unanimitĂŠ. C’est bien ça, la dĂŠmocratie‌ Mais la dĂŠmocratie, c’est aussi bien plus complexe que ça. Il s’agit d’appliquer un certain jugement, de faire preuve de responsabilitĂŠ. Si le gouvernement prĂŠtend s’attaquer aux intĂŠgrismes, aux extrĂŞ-

mes, il leur offre ici une formidable tribune pour s’exprimer. Le rĂŠsultat ressemble plus Ă une ÂŤthĂŠrapie de groupeÂť ou chacun serait invitĂŠ Ă dire de manière irrĂŠflĂŠchie et spontanĂŠe ce qu’il a sur le cĹ“ur. On a beaucoup parlĂŠ de cette affaire. Trop peut-ĂŞtre? Ce qu’on remarque, c’est que ce ne sont que les ĂŠvĂŠnements de ce type qui ressortent. On attire l’attention sur les points de vue sans intĂŠrĂŞt et au final, les points de vue constructifs se noieront dans une marĂŠe de discours. On parlera de la pluie et du beau temps. Et les journalistes devront rendre compte de tout cela. D’un autre cĂ´tĂŠ, on assiste aux chicanes de famille au sein du PLQ. On avait demandĂŠ Ă la dĂŠputĂŠe Fatima HoudaPĂŠpin de se ranger derrière la position de son parti sur la charte ou de partir. Elle est partie. Un bon point pour les dĂŠfenseurs de la charte? PlutĂ´t une succession d’enfantillages et de sujets frustrants. ********************** Un ancien ĂŠtudiant de Sherbrooke a reçu cette semaine une amende de près de 3800$ pour avoir organisĂŠ une manifestation et ÂŤoccupĂŠ la chaussĂŠeÂť. Selon l’article 500.1 du code de la sĂŠcuritĂŠ routière, sur lequel est basĂŠe la dĂŠcision de la cour municipale, ÂŤnul ne peut, au cours d'une action concertĂŠe destinĂŠe Ă entraver de quelque manière la circulation des vĂŠhicules routiers sur un chemin public, en occuper la chaussĂŠe [‌]Âť. La cour a donc tranchĂŠ le 16 janvier dernier; et visiblement, ça coĂťte cher, de manifester. Une grosse amende pour une seule manifestation et pour un seul individu. C’est ce que dĂŠnonce le ComitĂŠ des arrĂŞtĂŠs de Sherbrooke, qui soutient les jeunes qui devront aller en cour: le comitĂŠ parle du ÂŤcaractère repressifÂť de la dĂŠcision qui ÂŤmet la responsabilitĂŠ sur une seule personneÂť. Dans ce cas-lĂ , c’est en quelque sorte l’autre ÂŤextrĂŞmeÂť, peut-ĂŞtre? [

RÉDACTION 3480 SVF .D5BWJTI CVSFBV #t MontrĂŠal (QuĂŠbec) H3A 1X9 TĂŠlĂŠphone : +1 514 398-6784 TĂŠlĂŠcopieur : +1 514 398-8318 RĂŠdactrice en chef rec@delitfrancais.com Camille Gris Roy ActualitĂŠs actualites@delitfrancais.com Alexandra Nadeau StĂŠphany Laperrière Arts&Culture artsculture@delitfrancais.com Thomas Simonneau Joseph Boju SociĂŠtĂŠ societe@delitfrancais.com CĂ´me de Grandmaison Coordonnateur de la production production@delitfrancais.com ThĂŠo Bourgery Coordonnateurs visuel visuel@delitfrancais.com CĂŠcile Amiot Romain Hainaut Infographie infographie@delitfrancais.com Vacant Coordonnatrices de la correction correction@delitfrancais.com Claire Launay Anne Pouzargues Webmestre web@delitfrancais.com Mathieu MĂŠnard Coordonnatrice des rĂŠseaux sociaux rĂŠso@delitfrancais.com Margot Fortin Collaborateurs LĂŠo Arcay, Thomas Birzan, Sophie Blais, Émilie Blanchard, Gabriel Cholette, SĂŠbastien Daigle, Julia Denis, Robert Etcheverry, Sean Lee, Marion Malique, Ruth Malka, Charlotte Mercille, Mathilde Michaud, Louise MouliĂŠ, Laila Omar, Suzanne O’Neill, Esther Perrin Tabarly, Adrien Peynichou, Yves Renaud, Philippe Robichaud. Couverture Image: Romain Hainaut Montage: Romain Hainaut BUREAU PUBLICITAIRE 3480 SVF .D5BWJTI CVSFBV #t MontrĂŠal (QuĂŠbec) H3A 1X9 TĂŠlĂŠphone : +1 514 398-6790 TĂŠlĂŠcopieur : +1 514 398-8318 ads@dailypublications.org PublicitĂŠ et direction gĂŠnĂŠrale Boris Shedov ReprĂŠsentante en ventes Letty Matteo Photocomposition Mathieu MĂŠnard, Lauriane Giroux, Geneviève Robert The McGill Daily coordinating@mcgilldaily.com Anqi Zhang

Conseil d’administration de la SociÊtÊ des publications du Daily (SPD) Queen Arsem-O’Malley, Amina Batryeva, ThÊo Bourgery, Jacqueline Brandon, Hera Chan, Benjamin Elgie, Camille Gris Roy, Boris Shedov, Samantha Shier, Juan Camilo Velazquez Buriticia, Anqi Zhang L’usage du masculin dans les pages du DÊlit vise à allÊger le texte et ne se veut nullement discriminatoire.

Les opinions exprimĂŠes dans ces pages ne reflètent pas nĂŠcessairement celles de l’UniversitĂŠ McGill.

2 Éditorial

Le DÊlit *44/ FTU QVCMJ� MB QMVQBSU EFT NBSEJT QBS MB SociÊtÊ des publications du Daily (SPD). Il encourage la reproduction de ses articles originaux à condition d’en mentionner la source (sauf dans le cas d’articles et d’illustrations dont les droits avant ÊtÊ auparavent rÊservÊs, incluant les articles de la CUP). L’Êquipe du DÊlit n’endosse pas nÊcessairement les produits dont la publicitÊ paraÎt dans ce journal.ImprimÊ sur du papier recyclÊ format tabloïde par Imprimeries Transcontinental Transmag, Anjou (QuÊbec). Le DÊlit est membre fondateur de la Canadian University Press (CUP) et du Carrefour international de la presse universitaire francophone (CIPUF).

[ le dÊlit ¡ le mardi 21 janvier 2014 ¡ delitfrancais.com


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CAMPUS

TaCEQ en difficulté Référendum à l’Université de Sherbrooke: la place de l’AÉUM est questionnée au sein de la TaCEQ.

Sophie Blais Le Délit

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e regroupement national d’associations étudiantes dont fait partie l’Association étudiante de l’Université McGill (AÉUM) a un avenir incertain. Jusqu’à présent composée de quatre associations étudiantes, la Table de concertation étudiante du Québec (TaCEQ) pourrait voir ce nombre réduit de moitié. En effet, la population étudiante de deuxième et troisième cycle de l’Université de Sherbrooke est appelée à participer à un référendum ayant comme choix de continuer dans la TaCEQ ou de s’en désaffilier.

En entrevue avec Le Délit, Samuel Harris, le vice-président aux affaires externes de l’AÉUM, explique que ce référendum pose un enjeu important pour l’AÉUM. «Si REMDUS [le Regroupement des étudiants et étudiantes de maîtrise, de diplôme et de doctorat de l’Université de Sherbrooke] quitte la TaCEQ, la question suivante se pose: est-ce que ça vaut la peine pour l’AÉUM de rester dans la TaCEQ quand celle-ci sera seulement composée de deux autres associations?». Pour Samuel Harris, un départ d’un des membres de la table de concertation affectera la réputation et le fonctionnement de la TaCEQ, qui selon lui souffre déjà d’une mauvaise image. «Je ne

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vois pas comment la TaCEQ pourrait marcher sans la REMDUS». Selon ce dernier, l’Association étudiante de l’Université de Sherbrooke a été un allié important pour l’AÉUM, notamment dû au fait qu’elle s’est elle aussi positionnée contre la charte de la laïcité et qu’elle demande que les documents de la TaCEQ soient traduits en anglais, chose dont bénéficierait l’Association étudiante de McGill. Dans le cas où la REMDUS quitterait la TaCEQ, Samuel Harris recommanderait que l’AÉUM se pose la même question quant à son affiliation à la table de concertation étudiante. Selon lui, il n’y a pas de protocole établi concernant la ma-

nière dont l’AÉUM se désaffilierait, mais il recommande la voie du référendum, qu’il perçoit comme étant la manière la plus transparente. Quant à l’hypothèse d’une affiliation de l’AÉUM à une autre association étudiante, Samuel explique qu’il n’en voit pas parmi celles existantes qui conviendrait aux membres de l’AÉUM. Il recommanderait donc que l’AÉUM développe des rapports avec les regroupements étudiants, tels la Fédération étudiante universitaire du Québec (FEUQ) ou l’ Association pour une solidarité syndicale étudiante (ASSÉ), sans y être formellement liée. Le référendum de désaffiliation de la REMDUS se déroulera du 21 au 23 janvier. [

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QUÉBEC

La CREPUQ n’est plus Les dissensions entre les recteurs ont raison du front commun des universités québécoises. Margot Fortin Le Délit

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a nouvelle se tramait depuis plusieurs mois: la Conférence des recteurs et principaux des universités du Québec (CREPUQ) n’aura finalement pas survécu au schisme provoqué par le débat sur la hausse des frais de scolarité. L’organisation sera dorénavant connue sous le nom de Bureau de coopération interuniversitaire (BCI) et perdra entre autres sa fonction de représentation auprès du gouvernement. Le vice-principal aux communications et aux relations externes de l’Université McGill, Olivier Marcil, confirme au Délit que l’administration est à l’aise avec ce changement: «McGill a participé avec les autres universités à sa transformation. Essentiellement, la CREPUQ perd sa fonction de lobby envers le gouvernement. Aussi, plusieurs groupes de travail permanents sont abolis et sa gouvernance est restructurée. McGill ne voit pas cela de manière négative.»

Au delà de la transformation de la mission de l’organisme, ce changement de nom traduit certainement une volonté de fonder l’avenir de la coopération interuniversitaire québécoise sur de nouvelles bases. En fait, à en croire l’article de La Presse publié sur le sujet le 10 janvier dernier, il s’agit surtout d’effacer des mémoires les douloureux débats internes sur le sujet des frais de scolarité. Il faut savoir, à ce titre, que le conflit étudiant n’a pas semé la discorde qu’entre les étudiants. Il semble que les recteurs euxmêmes aient eu beaucoup de mal à atteindre le consensus sur la question et que les prises de positions de la CREPUQ irritaient certains recteurs au plus haut point. Bien que tous défendaient l’idée d’une certaine hausse des frais de scolarité, l’animosité de l’administration mcgilloise et d’autres universités à charte privée à l’égard des compressions du gouvernement péquiste n’était pas forcément bien reçue par le réseau des universités du Québec. Dans les faits, il semble que plusieurs universités – dont McGill – menaçaient

depuis plusieurs mois de claquer la porte, à l’instar de l’Université Laval. En effet, cette dernière faisait cavalier seul depuis son retrait retentissant de la CREPUQ en avril 2013. Son recteur Denis Brière déplorait alors la perte d’autonomie des universités et l’incapacité de la CREPUQ de défendre les intérêts de l’Université Laval. M. Brière traçait aussi une ligne de démarcation entre les établissements publics et les universités à charte privée, qui suivent un système un peu différents, comme l’Université Laval et l’Université McGill, dont les aspirations et la mission diffèrent. Tandis que les établissements du réseau des Universités du Québec (UQ) opèrent largement en région et attirent plutôt des étudiants de première génération, les universités à charte privée telles que McGill et l’Université Laval orientent davantage leurs activités vers l’excellence académique tout en cherchant à se maintenir dans le peloton de tête mondial au niveau de la recherche. Cette dernière ambition, bien que louable, est autrement plus onéreuse et force les universités à accroître constamment leurs revenus.

Chercheur à l’Institut de recherche et d’informations socio-économiques (IRIS), Eric Martin suit la situation de près et interprète ce nouveau développement comme un signal de plus de l’avancée de la «mentalité commerciale» chez les gestionnaires d’universités, qui sont de plus en plus conditionnés à produire des retombées économiques immédiates plutôt qu’à accorder au savoir et à la réflexion une valeur intrinsèque. Interrogé par le Délit sur un potentiel amoindrissement du rapport de force entre l’Université McGill et le gouvernement en vertu du changement de vocation de la CREPUQ, Eric Martin ne se fait pas d’illusion: «Il n'y a pas de solidarité entre les universités. Elles ont intériorisé le jeu de la concurrence. Les grandes universités jouent du coude à l'international. Les petites universités sont reléguées au second plan. […] Les universités devraient développer un «rapport de force» contre ce conformisme, contre ce modèle et l'idéologie capitaliste qui les sous-tend. Mais ne retenez pas votre souffle.» [

CAMPUS

«Respect, transparence et honnêteté» Ollivier Dyens s’exprime lors du Conseil législatif de l’AÉFA. Alexandra Nadeau Le Délit

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’est avec un message d’ouverture au dialogue et d’écoute envers les différentes associations étudiantes mcgilloises qu’Ollivier Dyens, vice-recteur exécutif adjoint (étude et vie étudiante) en fonction depuis septembre 2013, a entamé le premier Conseil législatif de 2014 de l’Association Étudiante de la Faculté des Arts (AÉFA) de McGill le 15 janvier. Après l’adoption de l’ordre du jour, Ollivier Dyens s’est adressé aux étudiants et départements présents au conseil. «L’idée est de créer le meilleur système de soutien», a-t-il exprimé. Pour l’année à venir, Dyens a présenté quatre initiatives que McGill aimerait réaliser. D’abord, l’université doit promouvoir davantage un mode de vie sain sur le campus, par exemple en offrant plus de services liés à la santé mentale. Ensuite, McGill veut continuer de donner des outils aux étudiants pour qu’ils développent leurs capacités en dehors des salles de classe, et également s’assurer qu’il y ait un continuum dans l’apprentissage afin qu’il ne s’arrête pas dès la sortie de la salle de classe. Finalement, Dyens a annoncé que McGill tenterait peut-être de revoir la formule de la semaine Frosh, et également de proposer une meilleure façon aux étudiants de vivre leur semaine de relâche, pour que celle-ci soit moins axée sur la fête et la consommation élevée d’alcool. Dyens a invité les étudiants à continuer à «mettre au défi» l’administration, a précisé que «99% de ce que [l’administration] fait n’est pas confidentiel, et que 99% de ces dossiers peuvent être partagés [avec les

4 Actualités

Laila Omar / Le Délit étudiants]», et qu’il tient à «s’asseoir avec [les étudiants] et à partager ces dossiers». Meilleurs services de santé mentale Au sein de la population étudiante, il semble y avoir une insatisfaction par rapport aux services offerts sur la santé mentale à McGill, comme l’a soulevé une étudiante lors du conseil. Pourtant, dans un courriel envoyé la semaine dernière aux médias de McGill, Doug Sweet, le directeur des communications internes de McGill, annonçait que les services en santé mentale se sont améliorés au sein de l’université. Il explique que la liste d’attente pour ces services était de 270 personnes à la même période l’année dernière, et que cette année, cette liste totalise seulement 56 personnes, grâce à une augmentation de budget et au support de divers groupes. C’est aussi ce qu’Ollivier Dyens a soutenu en réponse à cette étudiante lors du conseil. Dyens a toutefois dit que 160 personnes étaient sur la liste d’attente à pareille date

l’année dernière. Il a reconnu que McGill est une large bureaucratie, et qu’il peut s’avérer difficile pour les étudiants de savoir où chercher de l’aide ou obtenir des services. McGill tentera de nouvelles initiatives par rapport à la santé mentale sur le campus, comme des tests personnels pour évaluer sa propre santé mentale, ou encore la création d’une application pour téléphone qui permettrait de localiser les services offerts à McGill, qui serait un système intelligent et qui détiendrait un volet questions/réponses utiles pour les étudiants. «La santé mentale est le point final d’un énorme processus», dit Dyens lors du conseil. «C’est un problème qui est créé par la pression infligée aux étudiants à l’université». Ollivier Dyens est d’avis qu’il faut s’attaquer au problème à la base en le prévenant le plus tôt possible. Motions et référendum Le Conseil législatif de l’AÉFA a voté en faveur de toutes les motions proposées à l’or-

dre du jour. Les plus notables: la motion pour que l’AÉFA continue de soutenir financièrement le fond pour l’accès aux étudiants autochtones, la motion pour amender le budget de l’AÉUM afin que 100 dollars soient ajoutés pour la tenue d’une rencontre spéciale à l’hiver, et, finalement, la motion pour qu’un pot luck se tienne après les conseils de l’AÉFA, motion qui a soulevé le plus de discussion lors du conseil. Deux questions qui seront soumises au référendum de l’AÉFA en hiver ont également été votées. Les étudiants seront donc invités à se positionner sur un amendement à la constitution de l’AÉFA afin que les membres du Comité exécutif de l’AÉFA qui démontrent un besoin financier puissent recevoir une rémunération pour leurs fonctions. De plus, un autre amendement à la Constitution sera proposé afin de nommer un représentant du Comité de l’engagement communautaire des arts. [ Calendrier et annonce 22 janvier : Town hall de la Faculté des arts sur les «people, process and partnership» (PPP) 21 au 30 janvier : événement «Work your B.A.» (conférences sur les carrières) 5 février : Assemblée générale de l’Association Étudiante de l’Université McGill (AÉUM) Nouvel horaire du Bar des arts: suite au vandalisme commis en octobre dans le bâtiment, le Bar des arts sera sous peu ouvert de 17h à 20h au lieu de 16h à 21h.

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CAMPUS

Épidémie de diagnostics Les Sceptiques du Québec dénoncent les «surdiagnostics» Léo Arcay Le Délit

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ne cinquantaine de personnes ont assisté, le lundi 13 janvier, à la conférence proposée par l’Association des sceptiques du Québec au Centre Saint-Pierre. L’invité de cette soirée était

Romain Hainaut / Le Délit

Fernand Turcotte, professeur au département de médecine sociale et préventive de l’Université Laval. Il observe une impressionnante augmentation de patients diagnostiqués de diverses maladies graves au cours du dernier quart du 20e siècle, or cette hausse de diagnostics ne correspond pas au taux de décès associé à ces maladies. L’explication réside dans le «surdiagnostic», c’est-à-dire le diagnostic donné à une personne qui n’en a pas besoin. On en distingue deux types: la détection d’une maladie qui n’aurait jamais été détectée et qui n’aurait pas affecté l’état de santé du patient, comme certains cancers bénins; ou bien le faux positif, jugement médical déduisant à tort l’existence d’une maladie. En plus d’être inutiles, ces diagnostics appellent les gens à utiliser beaucoup plus de traitements lourds et à consommer des médicaments aux effets secondaires indésirables, voire nuisibles. On citera les diarrhées chroniques dans le cas du traitement du cancer du colon, par exemple. Selon le professeur Turcotte, les médecins sont irrésistiblement amenés à dispenser un traitement plutôt qu’à ne rien faire en cas de doute, malgré les risques d’une telle décision. En effet, il explique que notre culture occidentale pousse à la médicalisation systématique de toute souffrance, malgré le manque de connaissance concernant de nombreuses maladies. De plus, les médecins sont soumis à la pression du gouvernement, comme ça a été le cas lors de la pandémie de grippe H1N1, et des lobbys

pharmaceutiques qui ont un grand intérêt à vendre un maximum de médicaments et de vaccins. Enfin, le système judiciaire actuel est conçu de telle sorte que les médecins ont tendance à «surdiagnostiquer» leurs patients pour éviter les poursuites. «Il arrive que des médecins soient poursuivis pour n’avoir pas prescrit un test, par exemple, même quand [celui-ci] est inutile, mais il est rarissime que l’on poursuive un médecin qui a prescrit un test inutile», remarque le professeur Turcotte. Il explique que, s’il fait partie des rares individus à se lever contre ce phénomène, c’est parce que les médecins manquent d’informations fiables, puisque la plupart des sources sont «corrompues». Les données de recherche sont souvent inaccessibles, constate-t-il. Lors d’une entrevue avec Le Délit, le conférencier approfondit sa critique en parlant d’une corruption qui atteint selon lui des sommets. «Il y a de plus en plus d’articles de recherche qui sont rédigés par les départements de marketing des [industries] pharmaceutiques. On met comme auteurs des vedettes de la profession, […] ceux qu’on appellent les ‘’leaders d’opinions”. C’est scandaleux! Par exemple, récemment, l’étude Jupiter, qui visait à refaire une virginité aux statines [médicaments utilisés pour baisser la cholestérolémie, ndlr], a eu recours à des vedettes canadiennes, dont des stars montréalaises de [l’Université McGill]. Mais aujourd’hui, on sait que ces gens-là n’ont rien fait d’autre que des prêts de noms.

Auraient-ils été payés pour faire ça? On a dans nos rangs des mercenaires». Une position controversée Pierre-Paul Tellier, directeur du Service de santé pour les étudiants de McGill, avance au contraire qu’il existe une grande quantité de sources d’informations fiables, même si certains sites Web sont douteux. Il concède toutefois que «le secteur de la santé étant très dynamique et changeant, il est difficile pour un médecin d’être au courant de toutes les nouvelles mises à jour». Pour le docteur Christian V. Zalai, professeur à la Faculté de médecine de McGill, le danger est surtout dû au fait qu’une loi oblige les médecins à faire passer des tests et des dépistages aux patients avant de poser un diagnostic. Puisque ces tests doivent être effectués de toute façon, certains médecins ont tendance à se fier avant tout aux résultats et à ne pas prêter suffisament d’attention aux symptômes décrits. Les médecins peuvent ainsi manquer de discernement face au cas auquel ils ont affaire et diagnostiquer à tort un problème qui n’aurait pas eu besoin d’être réglé par des médicaments. «Parfois, les médecins ne veulent pas consacrer beaucoup de temps et d’efforts à écouter leurs patients», explique le docteur Zalai. Selon lui, le cœur du problème réside plus dans la législation que dans la pression des lobbys pharmaceutiques, ce qui expliquerait pourquoi «au Québec, par exemple, le surdiagnostic n’est pas aussi répandu qu’aux États-Unis». [

CAMPUS

Santé mentale étudiante Conférences «Bridge the Gap»: lever le tabou sur la détresse mentale. Charlotte Mercille

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rganisée par des étudiants, pour des étudiants, l’initiative canadienne Unleash The Noise a présenté le lundi 20 janvier la première conférence de la série «Bridge the Gap» à McGill. L’événement sans précédent sur le campus vise à établir un pont entre ceux ayant déjà souffert d’une maladie mentale et le reste de la communauté, dans un effort commun de sensibilisation. La conférence a porté sur la dépression majeure et le suicide. Les conférenciers étaient deux professeurs au département de psychiatrie de l’Université McGill, le docteur Gustavo Turecki, directeur du Groupe d’études sur le suicide de McGill et du Programme sur les troubles dépressifs de l’Institut universitaire en santé mentale Douglas, ainsi que le docteur Simon Young. Derrière Unleash the Noise Unleash The Noise est avant tout un sommet sur l’innovation en santé men-

tale organisé par The Jack Project qui réunit chaque année à Toronto plus de 200 étudiants venant de 40 universités et collèges situés partout au Canada. Le nom de la rencontre explique à lui seul la vision du mouvement: un concert de voix unies sous une même bannière pour discuter librement des principaux enjeux entourant la santé mentale. À travers ces séminaires, Unleash The Noise espère implanter des programmes efficaces dans les établissements post-secondaires du pays afin de créer une perspective plus éclairée sur les troubles mentaux chez les jeunes d’aujourd’hui. Ce rendez-vous transcanadien est entièrement inspiré et géré par un groupe d’étudiants âgés d’entre 15 et 24 ans. Parmi eux, Katrina Bartellas, étudiante à McGill, a eu la chance d’assister à la première édition du sommet l’année dernière. L’expérience l’a poussée à fonder avec sa collègue Lucie Langford une branche Unleash the Noise propre à McGill. Pour elle, la série de conférences «Bridge the Gap» souhaite véhiculer un «message de persévérance et d’humilité».

[ le délit · le mardi 21 janvier 2014 · delitfrancais.com

Une mobilisation étudiante importante Avec un premier exposé déjà à guichet fermé, l’engouement pour la cause est évident, au grand plaisir des organisateurs. «Il semble y avoir un besoin d’en parler et de s’informer sur le campus. Il y a déjà plusieurs personnes qui nous contactent non seulement pour assister aux activités, mais aussi pour s’impliquer. C’est notre devoir en tant qu’organisateurs de créer de telles opportunités pour permettre aux gens d’offrir leur aide», comme l’explique Katrina en entrevue avec Le Délit. Selon elle, le projet vise surtout à attiser les échanges d’idées et à promouvoir l’ouverture d’esprit: «pour changer la culture du campus, il faut y aller pas à pas et cela n’arrive pas du jour au lendemain. Il y a beaucoup d’étudiants qui ont besoin d’un refuge et qui veulent se confier à quelqu’un. L’enjeu de la santé mentale est peu répandu, au point d’être le tabou de pratiquement toutes les familles. Il faut donc une étincelle pour provoquer et nourrir les interactions, et cet événement est censé l’incarner. Puisque tout le monde est affecté de près ou de loin, je veux que notre initiative

soit la pierre angulaire pour un campus sain de corps comme d’esprit.» Dans la foulée de l’étincelle Outre les causeries organisées, le comité étudiant pour la santé mentale dont Katrina fait partie élabore actuellement une politique générale ainsi qu’un plan d’action s’échelonnant sur cinq ans. De plus, un poste de coordonnateur en santé mentale à l’Association Étudiante de la Faculté des Arts (AÉFA) serait en voie d’être créé. Pour ce qui est des prochaines rencontres, plusieurs sujets sont déjà envisagés, tels que les troubles d’apprentissage, les troubles alimentaires, ainsi qu’une table ronde sur l’enjeu de la santé mentale dans les pays en voie de développement. En somme, Katrina s’attend à un avenir prometteur suite à l’impact de la conférence de lundi: «la conférence va susciter la réflexion et nous nous attendons à ce que les gens veuillent rester après celle-ci. Je crois que si j’avais un conseil à donner à quelqu’un qui [y a assisté], ce serait de ne pas se gêner pour partager ses propres impressions.» [

Actualités

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CAMPUS

Froid, consommation d’énergie, écologie Comment une université comme McGill est-elle chauffée l’hiver? Camille Gris Roy Le Délit

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’hiver à McGill, ce sont environ 225 bâtiments étendus sur près de 850 000 m² qui doivent être chauffés. L’Université McGill étant située à Montréal, l’une des villes les plus froides en Amérique du Nord et où l’hiver dure longtemps, de nombreux défis sont à relever pour mettre en place un système de chauffage efficace et écologique. Le Délit a fait des recherches sur les projets de consommation d’énergie l’hiver à McGill.

«L’université visait une baisse de consommation d’énergie de 14% pour 2012-2013, et souhaite atteindre une économie annuelle de 6 millions de dollars d’ici 20142015.»

Un peu de chaleur Il existe à McGill deux grands organes chargés des questions d’énergie en général: l’unité de gestion des services d’utilité et de l’énergie, et le bureau du développement durable. Les deux offices travaillent en étroite collaboration. Le rôle de l’équipe de gestion des services d’utilité et de l’énergie est de «surveiller l’utilisation de l’énergie et d’élaborer des programmes pour réduire la consommation d’énergie, et maximiser l’efficacité des réseaux d’utilité publique de l’université», selon leur site Internet. Un programme qui suit principalement le Plan quinquennal (2010-2015) de gestion de l’énergie adopté par l’université il y a près de quatre ans. Ce plan rassemble une série de projets de développement durable et d’économie d’énergie. L’université visait une baisse de consommation d’énergie de 14% pour 2012-2013, et souhaite atteindre une économie annuelle de 6 millions de dollars d’ici 2014-2015. À côté, le bureau du développement durable de McGill met en place des projets et initiatives pour faire de McGill un campus durable, comme le McGill Energy Project auquel ont participé des étudiants. Pour ce qui est du programme de chauffage à McGill, Denis Mondou, directeur de l’unité gestion des services d’utilité et de l’énergie, explique au Délit que McGill a adopté un système de chauffage de réseau: «plutôt que d’envoyer du gaz ou de l’électricité dans chacun des édifices, on envoie de la chaleur, de la vapeur; cela fonctionne depuis une centrale thermique, à partir de chaudières à vapeur alimentées au gaz naturel.» C’est donc principalement sur le gaz que repose le système. Chauffage inégal? L’université étant très grande et composée de bâtiments divers, il est difficile de gérer efficacement la consommation de chacun des édifices. De plus, certains bâtiments sont anciens et donc ont un moins bon rendement énergétique. Ainsi, certaines salles de classe semblent parfois «surchauffées» et d’autres «sous-chauffées» l’hiver. Par exemple, une salle au sous-sol

du Pavillon Morrice met beaucoup de temps à se réchauffer et la température reste autour de 12° à 14°C le matin, en période de grand froid. «Les bâtiments et leurs systèmes sont très complexes […], les problèmes existent et certains sont récurrents», admet Jérôme Conraud, gestionnaire de l’énergie à McGill. Pour expliquer ces écarts de chaleur, monsieur Conraud mentionne en effet la vétusté des bâtiments, et surtout, aussi, l’exposition au soleil, difficile à gérer. Il explique alors au Délit que les bâtiments sont «zonés afin de pouvoir contrôler des pièces similaires - par exemple toutes les pièces sur la façade nord, toutes les pièces sur la façade sud, toutes les pièces au centre, etc». Le plan quinquennal prévoit également une «revue des systèmes mécaniques des principaux pavillons sur le campus afin de les optimiser, tant au niveau de leur performance énergétique qu’au niveau du confort des occupants». Énergie en direct Pour surveiller au jour le jour ces inefficacités dans la consommation d’énergie, l’université a créé le «tableau de bord énergétique de McGill» , un outil en ligne qui permet de voir et comparer la consommation d’énergie des différents bâtiments de l’université, en temps réel. Le tableau fonctionne grâce au logiciel Pulse, qui communique avec les compteurs d’énergie de l’université puis transmet et analyse les données. Cette semaine par exemple, on peut constater que le bâtiment Shatner (dans lequel les bureaux du Délit se situent) a enregistré depuis sept jours une baisse de 17% en consommation d’énergie. En revanche, on peut voir que la bibliothèque McLennan aurait augmenté sa consommation de 21%. La plateforme offre une série de statistiques; mais au-delà des chiffres, le système a-t-il fait ses preuves? Selon Jérôme Conraud, l’outil est bel et bien utile. «Ce n’est pas le logiciel qui identifie les problèmes, mais plutôt les humains, [une équipe d’experts], qui l’utilisent qui identifient lesdits problèmes», précise-t-il au Délit. «Les économies ne sont pas tout le temps faciles à chiffrer du fait de la multiplicité des projets d’économie d’énergie et autres à McGill, mais nous estimons que nous avons économisé environ 230 000 dollars en 2012-2013 et 300 000 dollars en 20132014 grâce au tableau de bord». Pour régler ces problèmes d’écarts de chaleur, l’université pourrait aussi tenter d’appliquer des solutions «ponctuelles» (comme un système de plaques pour couper le froid dans certaines fenêtres, par exemple). Denis Mondou, cependant, ne se dit pas convaincu par ces méthodes à court-terme. «On est beaucoup sollicités; par exemple quelqu’un est venu nous proposer une membrane à appliquer sur les fenêtres qui devrait créer la solution idéale – mais c’est sans tenir compte du coût d’installation et des conséquences qui pourraient en découler – par exemple, des plaques dans les fenêtres réduiraient la luminosité et il faudrait alors consommer plus d’électricité». L’approche choisie par McGill est donc, selon monsieur Mondou, une approche «systémique,

mais pas non plus une approche globale, qui a tendance à éviter des problèmes pointus». Le but est de prendre du recul pour analyser les problèmes. Repenser les murs À plus long terme, il s’agit également de revoir la construction des bâtiments -surtout pour les chantiers futurs-, pour optimiser la consommation et éviter les pertes d’énergie. C’est un des projets du bureau du développement durable. Par exemple, un des bâtiments à McGill, la Maison Lady Meredith (situé au coin de la rue Peel et de l’avenue des Pins), a été restaurée de manière à optimiser la consommation d’énergie, à la fois l’hiver lorsqu’on utilise le chauffage et l’été l’air conditionné. Le système adopté, un système «d’échange géothermal», comme l’indique le site Internet du bureau du développement durable, permettrait d’économiser jusqu’à 40% sur les coûts annuels de chauffage et de climatisation.

«Pour l’instant, en matière

de consommation d’énergie dans les universités québécoises, McGill est mal positionnée. Elle s’inscrit au 18e rang... sur 18»

Projets et ambitions Pour l’instant, en matière de consommation d’énergie dans les universités québécoises, McGill est mal positionnée. Elle s’inscrit au 18e rang... sur 18e. Mais Denis Mondou rappelle qu’il y a beaucoup de facteurs à prendre en compte dans la

comparaison. «Dans notre cas, on a un parc immobilier qui a une variété assez incroyable et la nature des activités est assez énergivore: la recherche par exemple, requiert l’installation d’un important système de ventilation». Denis Mondou se dit cependant optimiste: «la bonne nouvelle, évidemment, c’est qu’on ne peut qu’aller de l’avant. On a un agenda très agressif, une approche stratégique et dans ce senslà l’Université McGill se démarque.» Le directeur affirme que les objectifs du plan quinquennal seront atteints dans les délais. McGill a d’ailleurs reçu un prix en 2012 pour son «Système intégré de gestion de l’énergie», au Gala Énergia de l’Association québécoise pour la maîtrise de l’énergie. Il semble néanmoins que, dans la communauté mcgilloise, peu soient au courant de ces avancées. Parmi des étudiants interrogés par Le Délit en vue de l’élaboration de cet article, peu considèrent McGill comme une université «verte». Les initiatives étudiantes en matière de développement durable sont toutefois de plus en plus nombreuses (par exemple, les initiatives de l’Association Étudiante de l’Université McGill), et le bureau du développement durable inclut les étudiants dans ses programmes de gestion d’énergie. Au final, si McGill a encore un long chemin à parcourir, le programme pour le système de chauffage et la consommation d’énergie en général est bien établi et ambitieux. [ * images tirées du tableau de bord du site web de McGill

Illustation et infographie: Romain Hainaut / Le Délit

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[ le délit · le mardi 21 janvier 2014 · delitfrancais.com


SPORT

Sotchi, les Jeux de la polémique Du 7 au 23 février, c’est dans la petite ville russe de Sotchi, entre la Mer Noire et le massif du Caucase, qu’auront lieu les Jeux olympiques d’hiver. Esther Perrin Tabarly Le Délit

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vec un budget de plus de 50 milliards de dollars, les Jeux de Sotchi seront les plus coûteux de l’histoire. Pourtant, les Jeux d’hiver engendrent habituellement moins de dépenses que ceux d’été, qui accueillent plus d’athlètes et nécessitent plus d’infrastructures en raison de ses quarante-cinq épreuves contre une quinzaine pour ceux d’hiver. Toutefois, pour ces épreuves hivernales, les Russes sortent le grand jeu. Deux sites sont en préparation; un premier parc olympique avec un stade, deux palais des glaces, une aréna et un centre de curling. Le second site alpin accueillera entre autres les compétitions de ski alpin, de ski de fond, de luge, de bobsleigh et de skeleton. Les deux sites comprennent bien évidemment un village olympique chacun. Rien que la construction du stade olympique, avec son dôme de verre qui offre aux spectateurs une vue sur les montagnes, a couté un milliard de dollars. De plus, on rapporte que l’organisation des jeux a requis l’aménagement de 30 000 nouvelles chambres d’hôtel, la rénovation de près de 240 installations, la construc-

tion de 1000 kilomètres de routes et de nouvelles lignes de chemin de fer, ainsi que l’adaptation de l’aéroport au trafic aérien international. Le géant russe se met en scène de façon grandiose. «Cherchez l’erreur!», dénonce Romain Roult, professeur à l’Université du Québec à Trois-Rivières, dans un article d’Actualités UQAM: «des médias russes rapportent qu’entre 30 et 50% des fonds publics auraient été détournés.» En plus du scandale économique, les Organisations non gouvernementales (ONG) comme Amnistie Internationale accusent le manque d’engagement des commanditaires contre les «lois anti-gays», ainsi que «[le non respect du] droit du travail russe, les discriminations et les attaques contre la liberté de la presse», comme l’énumérait Minky Worden de Human Rights Watch dans un communiqué de presse de novembre dernier. Amnistie multiplie ses actions de campagne contre la violation des droits humains en Russie: une pétition à l’attention du président Poutine circule par exemple sur Internet. À McGill, le club Amnistie Internationale «tiendra des sessions de signature de pétitions durant la période olympique pour profiter de l’attention qui sera portée sur la Russie à ce mo-

ment là», comme le signale Clara Wilson, sa Vice-présidente aux finances. McGill à Sotchi Sur une autre note, certains athlètes de McGill auront l’opportunité de participer aux Jeux en février au sein de l’équipe féminine de hockey Parmi nos trois athlètes sélectionnées, Charline Labonté a déjà participé aux Jeux trois fois (à Salt Lake City en 2002, Turin en 2006 et Vancouver en 2010). Catherine Ward a été médaillée d’or à Vancouver, et, pour Mélodie Daoust, c’est une première sélection olympique. «C’est un rêve devenu réalité», a-t-elle déclaré au McGill Athletics Magazine. Comme le dit Jill Barker, responsable des communications pour McGill Athletics and Recreation, et éditrice de leur magazine: «on est très fiers, et puis c’est toujours marrant de regarder les Jeux et de reconnaître quelqu’un». En plus des trois athlètes, au moins quatre autres mcgillois partiront à Sotchi, dont l’entraîneur Mike Babcock qui préparera l’équipe olympique canadienne de hockey, et trois administrateurs. «On a le soutien de McGill», affirme Jill Barker. Ils sont optimistes et confiants face aux Jeux. [

Cécile Amiot / Le Délit

ENTREVUE

Une crédibilité à tout prix Alain Létourneau analyse le rôle des universitaires dans les médias aujourd’hui. Théo Bourgery Le Délit

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fin de crédibiliser leurs articles et chroniques, les médias ont tendance à se tourner vers les universitaires, réputés dans leur domaine pour obtenir de l’information. Si ces derniers semblent être dénués de tout conflit d’intérêt et aptes à répondre à toutes les questions, Alain Létourneau, professeur de philosophie et d’éthique appliquée à l’Université de Sherbrooke, explique dans l’ouvrage «L’universitaire et les médias» (paru en janvier 2013) dont il est le directeur, que les choses ne sont pas si simples. En entrevue avec Le Délit, il explique que la participation des universitaires dans les médias peut devenir une «contrainte». Le Délit: Vous utilisez le terme «contraignant» lorsque vous parlez d’interventions médiatiques. En quoi répondre aux questions des médias est une contrainte pour les universitaires? Alain Létourneau: Supposons qu’un journaliste appelle un universitaire à 11 heures du matin, c’est souvent pour un topo en direct deux heures plus tard. S’il accepte de participer, le professeur est donc obligé de se contraindre aux délais prévus et en même temps de récupérer la documentation requise […], ce qui peut demander du travail et

du temps. Comme le professeur d’université est quelqu’un qui travaille sur le long terme, tandis que l’équipe de journalistes doit sortir quelque chose tous les jours, le tempo [entre les deux groupes] diffère, au point de ne pas toujours être associable. LD: À cause de ces délais contraignants, y at-il un risque de la part des médias de faire de la désinformation, ou de la fausse information? AL: Il y a deux étapes. La première est l’intervention du professeur, qui va chercher à mettre de la nuance dans ses propos et ses réponses au journaliste. Cependant, ce dernier va seulement disposer d’un usage restreint dans sa chronique ou son article; il est donc possible que les réponses du professeur soient résumées en deux lignes. Résultat, quand le professeur lit ça, son propos risque d’être mal compris, ou pris hors contexte. Ce qui a été retenu d’une longue entrevue court donc le risque de ne pas être représentatif des véritables idées de l’universitaire en question. LD: Vous parlez d’autorité qui se créée en faveur des universitaires; et c’est ce que les médias semblent rechercher. Cela veut-il dire que l’article devient automatiquement plus pertinent lorsqu’un universitaire intervient? AL: Le journaliste aura tendance à se tourner vers l’universitaire pour avoir plus

[ le délit · le mardi 21 janvier 2014 · delitfrancais.com

d’informations, même si un bon journaliste ne doit en aucun cas se limiter aux universitaires. Ce dernier ne doit lui offrir qu’une vision décontextualisée, plus générale, d’un problème d’actualité […]. Il y a un processus de crédibilisation qui intervient du côté des médias. L’universitaire, quant à lui, par le fait d’être cité, connaît une confirmation ou un établissement de son autorité. D’une part l’article est validé par l’intervention d’experts; d’autre part, l’universitaire établit sa crédibilité auprès d’un public plus large. […] LD: Il y a une croyance de la part des journalistes comme quoi les universitaires ne souffrent d’aucun conflit d’intérêt, et donc peuvent offrir une vision complètement objective sur un enjeu. Est-ce vraiment le cas? AL: Si vous interviewez le porte-parole d’une entreprise lambda, la qualité de l’information ne sera pas la même que si vous parlez à une source complètement détachée du problème. En ce sens là, le recours aux universitaires permet donc d’éviter le problème du conflit d’intérêt. Qui plus est, il y a certains bénéfices pour l’universitaire: lui et l’université gagnent en visibilité. De plus, une intervention médiatique peut créer des contacts entre le professeur en question et des gens intéressés par sa recherche; cela peut donc contribuer à faire avancer le monde de la recherche.

LD: La relation entre les médias et les universitaires, s’il doit y en avoir une, sert-elle à se rapprocher, ou du moins à créer des liens avec le corps étudiant? AL: Certainement, et il serait intéressant de faire une étude sur le sujet.Il existe déjà de nombreuses relations entre les corps professoraux et les médias étudiants, et c’est une excellente chose. LD: Il y a un débat récurrent dans la sociologie des genres qui indique que beaucoup moins de femmes sont sollicitées par les médias que les hommes. Interviewer une femme affecte-t-il la crédibilité de l’article? AL: Il s’agirait de faire enquête auprès des médias eux-mêmes. En tant que professeur d’université, je constate seulement qu’il y a de plus en plus de grandes chercheuses. En revanche, leur nombre reste relativement limité […]. Lorsqu’un poste de professeur est ouvert, sur trente dossiers reçus, seuls quatre sont des femmes. La voilà la réalité. […] Je ne crois pas qu’il y ait une grande distinction entre femmes et hommes universitaires; les médias recherchent des personnes reconnues dans leurs domaines, peu importe le sexe. Évidemment, une plus faible distinction se fera dans le monde anglo-saxon, où se trouve une majorité des chercheuses. […][

Actualités

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Société

TRIPTYQUE

societe@delitfrancais.com

Posséder, révéler, créer. Voici les trois mots les pl Côme de Grandmaison Le Délit

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epuis sa création, Internet a toujours été un espace de liberté et de création à part, qui a profondément modifié notre rapport à la propriété -comme en témoignent les téléchargements toujours plus nombreux- mais aussi à la liberté d’expression et à la création (les événements «hackathons» -contraction des mots « hack» et «marathon»- en sont un parfait exemple). Vol ou promotion ? Le téléchargement illégal est évidemment une préoccupation pour les gouvernements et les acteurs culturels (que ce soient les artistes, les maisons de production, ou encore les distributeurs) qui connaissent

site de P2P sur internet) et 2011. Parmi les 64 personnes interrogées par Le Délit, 48% reconnaissent télécharger illégalement des séries, musiques ou films une fois par semaine ou plus. Le piratage a donc un impact direct dans l’économie, puisque selon l’IPI le montant de la perte engendrée par le téléchargement illégal dans la seule industrie musicale serait de 12,5 milliards de dollars au sein de l’économie américaine. De plus, cela supprimerait directement 70 000 emplois. Cependant, si l’impact économique du piratage semble effectivement désastreux, hormis pour les fondateurs de sites de téléchargement comme Megaupload ou The Pirate Bay, il n’est pas lié au simple téléchar-

Romain Hainaut des difficultés financières croissantes. Ainsi le film Le Hobbit: un voyage inattendu a été téléchargé 8 400 000 fois sur via le logiciel de partage Peer 2 Peer (P2P) Bit Torrent (P2P, technologie permettant l’échange direct de données entre ordinateurs reliés à Internet, sans passer par un serveur central, selon la définition du dictionnaire Larousse). En comparaison, sur les 16 semaines suivant la sortie du DVD/Blue-Ray le nombre de ventes de ce film aux États-Unis était de 4 509 474, selon le site internet The Numbers.com. Outre le cinéma, le piratage porte également un sérieux coup à l’industrie du disque: d’après le think tank Institute for Policy Innovation (IPI) les ventes de musique ont diminué de 53% aux États-Unis entre 1999 (arrivée de Napster, le premier

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gement illégal. En effet selon Julien Cadot, rédacteur en chef de la rubrique «Science, Technologies et Futur» au média numérique indépendant français Ragemag, le problème est aussi lié au fait que les compagnies de production n’ont pas su s’adapter à l’explosion d’internet, ont tenté d’appliquer leur modèle économique coûte que coûte, alors que «face à une situation nouvelle, il s'agit plutôt d'inventer de nouveaux modèles économiques pour soutenir la création et les médiateurs». De plus, il ne faut pas oublier que les emplois supprimés dans l’industrie culturelle sont aussi le résultat de l’essor de plateformes légales comme YouTube, Spotify ou encore Deezer. Mais l’impact culturel est-il réellement négatif? En effet, on peut penser que le

[ le délit · le mardi 21 janvier 2014 · delitfrancais.com

piratage laisse uniquement sa chance aux grosses productions qui ont les moyens de couvrir les pertes liées au vol. Mais que penser alors des artistes qui proposent leurs morceaux en téléchargement gratuit, ou même leur album? En d’autres mots, qui créent un nouveau modèle économique pour la distribution de leur produit, s’adaptant au public plutôt que d’essayer de lui forcer la main. On se souvient que le groupe britannique Radiohead avait proposé à prix libre le disque In rainbows en 2007. Les internautes pouvaient alors choisir le prix d’achat de l’album, que ce soit 0 ou 100 dollars. Dans ce cas le groupe avait proposé une alternative efficace au piratage, en proposant de manière attractive mais légale sa musique. D’autres artistes ont eu des attitudes plus subversives, en allant jusqu’à encourager le piratage: en 2008, le groupe Nine Inch Nails s’est séparé de son label et a proposé son album Ghosts I-IV gratuitement sur son propre site internet, encourageant les internautes à le distribuer sur des réseaux de P2P. En parallèle le groupe a proposé des coffrets «Deluxe» à 300 dollars, des DVDs et vinyles, et a finalement réalisé plus de 1,6 millions de dollars de profits. Ainsi, le piratage a assuré une large promotion pour ces artistes, tout en contribuant à propulser les ventes de supports musicaux «enrichis» (plus attrayant qu’un fichier MP3 ou un simple CD). Cependant, d’autres artistes refusent de se verser dans la séduction et adoptent une posture très dure à l’égard du téléchargement. C’est par exemple le cas de Bono, du groupe U2, qui dénonçait le piratage dans une tribune du New York Times le 2 janvier 2010: «Une décennie de partage et de vol de fichiers musicaux a montré à l'évidence que ceux qui en souffrent sont les artistes [...], précisément les jeunes auteurs compositeurs de chansons qui ne peuvent pas vivre de la vente de places de concerts et des ventes de tee-shirts». Les gouvernements vont évidemment dans le sens de Bono, puisqu’au Canada, le piratage en ligne est un délit puni par la Loi sur le Droit d’auteur et le Code criminel. Les pirates peuvent être punis par cinq ans d’emprisonnement et 20 000 dollars de dommages et intérêts (par œuvre contrefaite) au maximum. Cela va à l’encontre de l’avis de 40% des personnes interrogées par Le Délit, qui estiment que tout ce qui est mis sur internet appartient au public. Réinventer la transparence Comme l’ont montré WikiLeaks ou Edward Snowden (à l’origine du scandale Prism, sur la National Security Agency, NSA), les gouvernements n’interviennent pas sur Internet uniquement pour contrôler le piratage. Ils cherchent aussi à contrôler les données privées, et éventuellement à censurer les citoyens (en Chine par exemple). Dans les domaines de la liberté

d’expression et de la transparence absolue, Internet a ses détracteurs, mais aussi ses héros, motivés par un idéal de démocratie absolue. Julian Assange, le fondateur de WikiLeaks, ou Aaron Swartz, un programmeur de génie et l’un des premiers «hacktiviste» sont les chefs de file de ce mouvement citoyen. En entretien avec Le Délit, Jessika-Kina Ouimet, ancienne co-directrice d’Open Media McGill, nous explique que le libre accès à l’information pour lequel se sont battues toutes ces personnes (jusqu’à en mourir, dans le cas Aaron Swartz, qui avait rendu public des travaux universitaires en s’introduisant dans la base de données de la plateforme académique JSTOR) est la condition nécessaire pour une réelle

«égalité des voix». Open Media, dont une antenne existe à McGill, est une organisation qui vise à «promouvoir l'intérêt des étudiants dans les médias, les politiques des technologies de l'information et des communications au Canada». L’ancienne co-directrice précise que le site cherche à révéler et à contrebalancer l’asymétrie qui existe entre le niveau d’information des citoyens et les décisions réelles des dirigeants politiques. Par exemple, on peut trouver sur leur site un article utilisant les documents de WikiLeaks concernant les négociations sur le Partenariat Trans-Pacifique, qui implique douze pays et va révolutionner le commerce mondial. Celles-ci avaient été tenues secrètes jusqu’à ce que WikiLeaks publie le texte de cet accord le 13 novembre dernier (voir l’article «Internet, un espace menacé» dans


NUMERIQUE

lus à même de définir notre utilisation d’Internet

Le Délit, vol 103 num. 10), estimant que cette décision ne devait pas rester dans l’ombre. À ce propos, Julian Assange a déclaré le 13 novembre, sur le site de WikiLeaks: «Si vous lisez, écrivez, publiez, pensez, écoutez, dansez, chantez ou inventez; si vous produisez ou consommez de la nourriture ; si vous êtes malades maintenant ou le serez un jour, le Partenariat Trans-Pacifique vous a en ligne de mire». Ainsi WikiLeaks a un engagement large, militant, contre toute forme d’omnipotence gouvernementale et en faveur du droit à la vie privée pour les internautes. 70% des personnes interrogées par Le Délit, considèrent, comme WikiLeaks, qu’Internet ne devrait pas être régulé par les gouvernements.

Romain Hainaut Cependant, ce militantisme peut sembler manichéen pour certains: on pourrait penser qu’il y a un certain déséquilibre entre le droit à la vie privée pour les citoyens opposés à la transparence absolue pour les gouvernements. Jessika-Kina Ouimet nous explique qu’il est logique qu’il n’y ait pas de secret d’état, car le gouvernement agit au nom des citoyens, et leur appartient donc: il ne doit sa légitimité qu’aux individus qu’il représente, et brise le contrat social en occultant une partie de ses décisions. Julien Cadot du média Ragemag explique au Délit qu’il «pense surtout que dans notre monde très opaque, ces lanceurs d'alerte [Assange, Snowden…] rétablissent ponctuellement un équilibre, ou un semblant d'équilibre. Ce qu'il manque peutêtre, c'est un équivalent de WikiLeaks ou de

Snowden appliqué à l'économie et à la finance. Je pense qu'en creux, ces révélations qui concernent les pouvoirs politiques nous permettent d'entrevoir à quel point des boîtes noires se forment dans les instances dirigeantes actuelles - et à quel point l'opacité devient la règle, alors qu'elle devrait être l'exception». Il voit derrière ces actes une réelle réflexion positive, constructive. Ce ne sont pas selon lui le produit d’impulsions irraisonnées: «c'est un acte [la révélation de secrets d’état] ambigu et très fort symboliquement: c'est le moment où le citoyen accepte de trahir (au sens militaire strict) son état parce qu'il estime que cet état ne sert pas les intérêts des autres citoyens, comme cela doit être le cas en république». Cependant, bien qu’il soit partisan de la transparence, préalable nécessaire à l’accomplissement réel de la démocratie, de la gouvernance citoyenne, il estime logique que les États conservent certains secrets, à l’inverse d’Open Media: «On considère qu'un état est garant de la sécurité de ses citoyens et, dans l'exercice de cette protection, peut posséder des éléments confidentiels qui nuiraient au pays et à ses citoyens, civils ou militaires, s'ils étaient découverts». Mais il ajoute: «là où l'on franchit une limite, et c'est comme cela que l'entendent beaucoup de lanceurs d'alerte, c'est au moment où l'État cache soit des informations qui mettent en danger la sécurité ou la vie privée de leurs citoyens ou des citoyens d'autres pays, soit des informations qui mettraient à mal sa propre légitimité». Les nouveaux créateurs Hors de toute considération politique, Internet est aussi un espace de création exceptionnel. De nombreuses jeunes entreprises («startups») se sont développées autour et grâce au web. Dans les milieux étudiants, outre ces entreprises, plus «institutionnalisées», les étudiants peuvent se muer en «hackers», afin de participer à des «hackatons» dans le but de créer des logiciels, des applications, ou toute sorte de produits nécessitant des lignes de codes. Ces «hackathons» sont très populaires dans les universités nord-américaines, puisque les plus gros, comme celui organisé par l’Université de Pennsylvanie, réunissent parfois plus de 1000 hackers. Mohamed Adam Chaieb, membre exécutif de Hack McGill, le club de hackers de McGill créé en août 2013, précise que le terme hackers doit être dissocié de l’image dissidente et destructrice qu’il véhicule. Dans le cas de Hack McGill le terme désigne plus une «sous-culture», de gens qui souhaitent mettre leurs idées en pratique rapidement, grâce à leur compétences en informatique. Bien loin donc des «Anonymous» ou de la «Syrian Electronic Army». Lors des «hackathons», les hackers concrétisent leurs idées, ou celles d’entreprises ou personnes venues les aider.

Ainsi, quelqu’un qui souhaiterait créer un logiciel de Design spécifique peut s’associer à des hackers lors d’un «hackathon» afin de produire un «hack». Un «hack» est un produit non fini, un premier jet, car les «hackathons» sont des compétitions dans lesquelles les participants disposent d’un temps limités (entre 12 et 48 heures). À la fin de celui-ci, les équipes ayant réalisé les meilleurs «hacks» reçoivent des prix, pouvant se chiffrer en milliers de dollars. Par exemple lors de «McHacks (le «hackathon» organisé par McGill les 22 et 23 février prochains), il y aura 30 000 dollars de prix en jeu. Mais les intérêts économiques dépassent les simples récompenses: les entreprises sponsorisent ces évènements (et en organisent parfois, comme

avaient créé lors d’un «hackathon» une application permettant de placer deux téléphones intelligents côte-à-côte, puis de faire passer des photos de l’un à l’autre d’un simple mouvement du doigt sur l’écran vers l’autre téléphone. Cette idée a ensuite été développée, complétée (et forcément complexifiée, car de nouveaux paramètres rentraient en jeu), puis a été mise sur l’Apple Store (il s’agit de Mover). Les «hackathons» sont basés sur un principe de solidarité très fort: ils sont gratuits, ouverts à tous, même à ceux n’ayant pas une forte expérience dans le domaine du «hacking», la nourriture est fournie. «Tout le monde est le bienvenu», nous explique Mohamed. De plus les «hackers» disposent d’un réseau social, Github, sur

Romain Hainaut c’est le cas de LinkedIn) car cela leur permet de dénicher des talents, de bénéficier des idées qui germent lors de ces journées, mais aussi d’avoir des retours sur leurs produits: Mohamed Adam Chaieb explique, par exemple, Microsoft pourrait avoir envie de sponsoriser un «hackathon» non seulement pour que des gens développent des applications pour le téléphone de Windows (le Windows phone) mais aussi pour voir les possibilités qu’offre son interface, ainsi que ses limites. Si les «hacks» ne sont pas des produits finis, il arrive cependant que l’idée soit ensuite développée pour aboutir à une application ou un logiciel utilisable par le grand public. Ainsi deux développeurs du Massachusetts Institute of Technology

lequel ils partagent leurs programmes, se rencontrent et forment des équipes. C’est donc la solidarité au service de la création. Cette dernière peut être orientée, vers la musique (le Hack Music Day), ou les jeux vidéos par exemple, ou bien encore vers un support en particulier. C’est aussi cette spécialisation qui peut attirer des sponsors. Ces rendez-vous sont donc forts d’un potentiel immense et placés sous le sceau de la créativité. Ainsi, Internet est un espace en perpétuel mouvement, au sein duquel s’entrechoquent les idéologies, et qui redessine notre rapport à l’autre, à l’autorité, à la créativité et à la propriété. Pour le meilleur et pour le pire.[

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CHRONIQUE

Gorge profonde Julia Denis | Une chronique qui ne mâche pas ses mots

BOUCHE, CHAUD, MORDRE, LANgue, délicieux, avaler, piquant, sucer, liquide, lèvres… En voilà une sémantique lubrique! Même si aujourd’hui les mots-clés sont bien plus crus, ce vocabulaire semblerait tout de même être lié au champ lexical de la sexualité. Cependant, en reprenant

nos esprits échauffés par ce déballage érotique, ce lexique pourrait aussi être celui d’un bon plat de pâtes arrabiata. Si, si, relisez! Seuls les simples d’esprits ne changent pas d’avis. Et c’est sur le lien ambigu entre ces deux plaisirs animaux que s’est développé le phénomène «FoodPorn» (entendez Pornographie Culinaire). Pour ceux que le travail universitaire a trop longtemps éloigné des écrans, reconnectez-vous sur Twitter, Tumblr, Facebook et autres paradis artificiels! Tapez-y «FoodPorn»; et «Youporn» perdra ses lettres de noblesse. Un chanceux pourra y admirer un brownie-cheescake aux Oreos sur lequel coule avec grâce un fil de caramel qui vient se perdre dans un nuage de crème fouettée. Orgasmique! On ne peut que dénombrer la quantité de points communs entre ces deux purgatoires du net: l’excitation de l’image, ces petits détails qui vous donnent l’eau à la bouche, le besoin pressant de goûter réellement à ce plaisir, la montée de tension avant de se jeter dessus et de le dévorer, ce «elle est trop bonne» marqué en commentaire (pour une tarte au chocolat fondant ou une actrice X à l’apogée de sa vulgarité). Or, quand on sait qu’une femme américaine sur trois préfèrerait abandonner le sexe plutôt que sa nourriture préférée (d’après le site Today.com), on comprend que ce n’est pas que sur Google que cette concurrence fait rage. Une telle rivalité des tentations n’est pas si choquante. Luxure et gourmandise jouent bien dans la même cour des péchés capitaux (comme nous l’a

démontré notre bar étudiant Gert’s avec ses événements d’il y a deux semaines, «Week 101»). Mais je suis personnellement une fervente militante pour la paix et l’équité. J’ai donc choisi de revenir à une philoso-

phie d’équilibre des plaisirs. Ainsi je vous invite pour 2014 à suivre mon sentier vers l’harmonie et le bonheur: ne vivons plus d’amour et d’eau fraîche mais plutôt de sexe et de bonne bouffe![

Romain Hainaut/Le Délit

CHRONIQUE

Désobéissez Mathilde Michaud | Retour dans le temps

DÉSOBÉISSANCE CIVILE OU NON? La question est posée. Devrionsnous nous opposer par l’action à la décision du gouvernement du Québec, advenant qu’il choisisse d’adopter le projet de loi 60, mieux connu sous le nom de la Charte des valeurs? Dans lequel cas, quelle est notre légitimité à agir ainsi? Antoine Robitaille, dans son article Projet de loi 60 et désobéissance - Irrecevable

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(Le Devoir, 14 janvier 2013), laisse entendre que c’est la solution envisagée par la Commission Scolaire English-Montréal (CSEM) et l’Université Concordia. Même si de tels propos ont été retirés deux jours plus tard dans un article Erratum (En désaccord, mais pas en rébellion – Le Devoir, le 16 janvier 2013), il n’en reste pas moins que le bal est lancé. Oui ou non, devrions-nous désobéir civilement à notre gouvernement? On ne peut répondre à cette question sans faire un bref retour sur la première définition qui fut donnée à ce terme par Henry David Thoreau, poète philosophe américain, dans son essai La Désobéissance civile publié en 1849. Selon lui, la désobéissance civile n’est rien de moins que la suite logique de l’objection de conscience. Si vous êtes contre la guerre que prône ou bien supporte votre gouvernement, ne payez pas les impôts qui lui sont relatifs, dit-il, soyez en accord avec votre conscience, c’est la meilleure façon d’agir justement. De la même manière, il ne croit pas que la justice passe nécessairement à travers les lois, car celles-ci sont l‘œuvre de la «majorité» et peuvent être injustes. Dans ce cas, pourquoi devrions-nous y obéir? Il conclut par une critique de cette fameuse majorité, cette opinion publique à laquelle nous faisons sans cesse appel.

Après tout, dit-il, la raison pour laquelle nous permettons à une majorité de régner «ne tient pas tant aux chances qu’elle a d’être dans le vrai, ni à l’apparence de justice offerte à la minorité, qu’à la prééminence de sa force physique». Il s’agit donc plus d’un appel au respect de notre conscience qu’à une révolte ouverte et violente contre toute forme d’autorité. Cette définition a été utilisée depuis lors dans de multiples combats, que ce soit en Inde pour se défaire de l’impérialisme anglais ou aux États-Unis pour abattre le système ségrégationniste. Le Québec en a lui aussi eu son lot et nous pourrions même dire qu’il en a été le précurseur. Nous pouvons effectivement retracer la désobéissance civile aussi loin qu’à la résistance des Canadiensfrançais aux campagnes de conscription britanniques des années 1775-1777. Papineau est, lors des révolutions de 1837-1838, le précurseur de la désobéissance civile au Québec, ajoutant à ses tentatives pacifiques et légales de réforme du système, une série d’actes considérés illégaux par le pouvoir anglais, soit le boycott des produits d’importation, l’importation de contrebande ainsi que la ruée sur les banques pour y retirer ses avoirs. C’est, depuis lors, entré dans la tradition de ne pas se plier aux décisions gouvernementales

pour lesquelles nous aurions objection de conscience: résistances à la conscription de 1914-18; à celle de 1939-45; blocus de la base militaire de La Macaza en 1964, un geste antimilitariste mieux connu sous le nom de l’Opération Saint-Jean-Baptiste; ou encore Henry Morgentaler qui refusa de se plier à la loi contre l’avortement et avorta des femmes venant de tous les coins du pays et même des États-Unis. C’est dans la continuité de cette tradition que nous vivons depuis trois ans une période d’effervescente désobéissance au Québec. Ravivée avec force par le printemps étudiant, elle ne semble pas se tarir alors que les uns après les autres, les groupes se lèvent pour contester la charte. Après la menace des quatre candidats à la mairie de Montréal, en octobre 2013, de se rendre devant les tribunaux si adoption il y avait, quel est le prochain pas pour les citoyens qui ne veulent pas voir celle que l’on nomme «la charte de l’intolérance» appliquée au Québec? La désobéissance civile? Si on suit les conseils de Thoreau, c’est la seule chose qui semble acceptable: suivre sa conscience. En effet, «si, de par sa nature, cette machine, [le gouvernement], veut faire de nous l’instrument de l’injustice envers notre prochain, alors je vous le dis, enfreignez la loi».[

[ le délit · le mardi 21 janvier 2014 · delitfrancais.com


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THÉÂTRE

«Parker parti, parti par coeur» Le drame du Théâtre Complice. Thomas Simonneau Le Délit

«M

a plus grande peur, la pire horreur dans ce monde où nous en sommes abreuvés, c’est la lobotomie du cœur. L’insensibilité à tout, et tout d’abord à l’autre, à tous les autres. A force d’en prendre – et Le Souffleur de verre se situe dans un monde où tout ce qu’on nous annonce comme horreur environnementale, tout ce qui nous pend au nez comme catastrophe géopolitique est arrivé – à force d’en prendre donc, terminé. Blocage. On n’en prend plus. Ca coince et ca dérape, ca a dérapé.» Ici gisent les mots de l’auteur et metteur en scène du Souffleur de verre, Denis Lavalou, annonçant, sans équivoque, l’ambiance de cette pièce, mais aussi poignante et, quelque part, poétique. Cette dernière, montée à l’Espace Libre du 14 janvier au 1er février, vient célébrer les vingt ans du Théâtre Complice, compagnie montréalaise ayant pour mandat principal l’élaboration de «projets évoquant dans le sourire, l’absurde ou le drame, la perte de repères des sociétés et des humains d’aujourd’hui». L’apocalypse C’est en 1998 et grâce au roman de Trevor Ferguson, Train d’enfer, que Denis Lavalou trouve l’inspiration pour l’écriture de cette pièce. Une phrase notamment - «ils montaient vers le nord dans le noir de la nuit, et si l’on peut encore donner un sens au mot prière, je suis certain qu’au volant de sa vieille Dodge, Parker priait» – retient l’attention de l’auteur et marque la ligne directrice du Souffleur de verre. À partir de celle-ci et pendant la quinzaine d’années qui nous sépare d’aujourd’hui, il écrit de courtes répliques donnant petit à petit vie à la pièce. Une vie cependant fragile car le Souffleur est avant tout le reflet d’une apocalypse étrangement réaliste et de ce fait, d’autant plus troublante. L’intrigue prend place dans une maison isolée et sombre, où survivent douze archétypes: le patron, la savante, la commère, la sourde, la mère, le fils, entre autres. À part pour Jeanne, victime régulière de crises physiologiques non-identifiées, l’identité des personnages reste inconnue, leur passé flou et leur futur macabre. Leur monde est celui de la peur, de la tristesse. La sécurité les obsède. Lorsqu’un des membres de la communauté annonce son départ, les autres s’insurgent et s’affolent. Les injonctions «Reste!», «Prends

donc un verre», «Ne pars pas!» fusent d’un bout à l’autre de la salle. Il se rassoit. La fluidité des répliques et la consonance des émotions des protagonistes dépeignent un organisme malade, un système social dépérissant et courant à sa propre perte.

laise dans la salle. Et pour cause, plus cette fiction progresse, plus on oublie que c’en est une. Cette intemporalité, qu’elle soit dans l’œuvre elle-même ou dans les messages qu’elle porte, est un des attributs-clé du Souffleur de verre.

L’œuvre Sur le plan artistique, le Théâtre Complice fait preuve d’un grand savoir-faire à plusieurs niveaux. La mise en scène est simple mais efficace: les personnages sont attablés face à nous, porteur d’un même regard vitreux. Les costumes et la musique plongent la salle dans une atmosphère totalement lugubre, laissant un public d’autant plus perplexe lorsqu’un silence glacial, terrifiant, se fait à la fin de la pièce. Selon les propos de Denis Lavalou recueillis par La Presse le 16 janvier dernier, «c’est une construction dramatique musicale. C’est un chant choral à 13 voix beaucoup plus qu’une pièce de théâtre.» Effectivement, le Souffleur possède un répertoire complexe, où les dialogues nous parviennent de manière à la fois harmonieuse et décousue. Cette distorsion du langage, dernier élément identitaire de cette communauté, couplée au désespoir de protagonistes pourtant lucides, nous choque, nous dérange. D’une certaine manière, la pièce va chercher la confrontation avec son public et créer un ma-

les idées. Il y a une épidémie d’opinions qui finissent par devenir des vérités...»

[le délit · le mardi 21 janvier 2014 · delitfrancais.com

«Il n’y a pas de suite dans

L’intemporel Au-delà des thèmes et des portraits humains délivrés par le Souffleur, son aspect intemporel se décline aussi par la critique de notre ère, de ses travers et de ses défauts. Selon le même article de La Presse, Denis Lavalou compare la pièce et les réseaux sociaux de manière générale: «il y a des paroles, mais il n’y a pas de concrétisation de ces paroles. Il n’y a que des mots vides. Il n’y a pas de suite dans les idées. Il y a une épidémie d’opinions qui finissent par devenir des vérités… Il faut prendre conscience de tout cela». Et pour cause, la maltraitance du langage est bel et bien un point primordial de la représentation. Tout le monde cause, juge et déclare mais personne ne s’écoute, ne s’apprécie réellement. Dans la même

lignée, Lavalou s’interroge sur les révolutions au Maghreb, «qui ont été propulsées par les réseaux sociaux mais qui n’ont abouti à rien, qui ont en fait mené à une nouvelle dictature par la prise du pouvoir par l’armée, et à la remontée des intégrismes religieux. Peut-être que ça aura des impacts positifs à long terme, mais pour l’instant, c’est nada. C’est effarant.» Sans être une œuvre à portée strictement politique, le Souffleur de verre mène tout de même à l’interrogation personnelle et collective. Loin d’être moralisatrice, elle nous confronte, nous, citoyens, aux enjeux sociaux de notre temps. Cependant, l’arrivée inattendue d’un étranger dans cette petite communauté recluse est peut-être bien porteuse d’espoirs et signe d’une ouverture sur le monde extérieur, qui ne se limite, heureusement, pas seulement aux tragédies mises en lumière par le Souffleur. À vous, chers lecteurs, et, éventuellement, futurs spectateurs, de voir. [

Le souffleur de verre Où: L’Espace Libre 1945, rue Fullum Quand: Jusqu’au 1er février 2014 Combien: 25$

Gracieuseté de Robert Etcheverry

Arts & Culture

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THÉÂTRE

«Quand une femme règne...» Marie Tudor fait son retour au Théâtre Denise-Pelletier. Joseph Boju Le Délit

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’était il y a douze ans. Gilles Pelletier mettait en scène le drame en prose du père Hugo dans le théâtre Denise-Pelletier, théâtre qu’il avait lui-même fondé en 1964 avec Françoise Graton et Georges Groulx. Depuis le 15 janvier 2014, c’est une autre Marie Tudor qui prend le relai, dans une habile mise en scène de Claude Poissant. Pourquoi remettre du théâtre de répertoire en scène? Simplement parce que cela vaut mieux que de ne pas le mettre en scène du tout! Reprenant le mot d’Italo Calvino: «un classique est un livre qui n’a jamais fini de dire ce qu’il a à dire». Nous ne prendrons pas trop de risque en disant que Victor Hugo n’aura jamais fini, lui non plus, de dire ce qu’il a à dire. Londres, 1553. La reine d’Angleterre, Marie Tudor (Julie Le Breton) est une femme crainte et respectée. Comme amante cependant, elle est quelque peu malmenée par un godelureau répondant au nom de Fabiani (Jean-Philippe Perras). Ce dernier, objet de toutes les jalousies car favori de la souveraine, est victime d’un complot dans lequel la reine se trouvera impliquée. Ce complot c’est la pièce, l’amour d’une femme en est la clé. Malgré une scène d’ouverture tâtonnante et statique, le drame se met en place à la fin de la première journée pour finalement nous tenir en haleine jusqu’au dernier coup de cloche. L’intrigue, plutôt alambiquée, se déplie avec aisance sous la musique de Philippe Brault, assurant aussi bien les transitions que le soutien mélo-

Robert Etcheverry dique de scènes entières. Les onze comédiens se voient alors obligés de nous révéler leurs talents de musiciens et de chanteurs, notamment lors d’une majestueuse scène de cortège funèbre où un chœur d’hommes entonne une sorte de chant grégorien à faire pâlir d’effroi n’importe quelle assemblée. Marie Tudor est admirable de cruauté. Ingénieuse, elle a presque toujours un coup d’avance et cette malice là, Julie Le Breton la fait ressortir avec élégance et dynamisme. Fabiani est quant à lui vil et insidieux, agréablement détestable, notamment face au génial Simon Lacroix, dans le rôle de

l’homme juif. Tout cela se déroule dans un inquiétant clair-obscur où l’éclairage tantôt frontal, tantôt latéral rend compte -à la manière des personnages et de leurs caractères- de l’intrigue sous bien des angles. Après la musique et les lumières, on ne sait lesquels complimenter le mieux, des costumes ou des décors, car les deux agrégats servent si bien le propos qu’on est dans cette Angleterre comme dans un rêve d’enfance, la tendresse en moins. Les deux étages de jeux sont très efficaces: le premier avec ses arcades offre la cachette si nécessaire au complot, tandis que le second, un

couloir surplombant l’arrière-scène, permet les solennelles scènes de procession et d’annonces au peuple. Les costumes pour leur part, sont modernes mais non moins réussis. On admire les pantalons et la cape du sinistre Simon Renard (David Savard) même si on s’étonne un peu devant la seconde robe de la reine et son bas pailleté. Gilbert, l’homme du peuple -l’humanité en marche- est assez bien rendu par David Boutin. Son amoureuse au titre déchu, Jane, est quant à elle, intéressante, car d’un début hésitant elle va faire un spectacle épouvantable et charmant, qui aurait de quoi rendre la reine jalouse, si celle-ci n’était déjà la reine. La femme de pouvoir est immense, car elle est confrontée à ses faiblesses amoureuses. La pertinence d’une telle vision est aujourd’hui problématique, mais un problème est une bonne chose dit-on. Nous connaissons tous les mœurs honteuses des présidents français, qu’en est-il des Marois, des Merkel et des Bachelet? La salle ne s’esclaffe plus aussi insolemment lorsque Simon Renard ressort le mot de François Ier: «Souvent femme varie/Bien fol est qui s’y fie». Cela dit, sur l’ensemble de la pièce, le rire du spectateur ne tombe pas toujours au «meilleur moment», mais peu importe au fond, le rire du 21e siècle vaut bien celui d’un autre. [ Marie Tudor Où: Théâtre Denise-Pelletier Quand: Jusqu’au 12 février Combien: 27$

CONCERT

Vous avez dit Quartettsatz? L’ensemble Jean Cousineau joue Schubert au Gesù. Sébastien Daigle

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imanche dernier, à l’Espace Aline-Letendre de l’Église du Gesù, l’ensemble Jean Cousineau interprétait deux morceaux de Franz Schubert: le quatuor no. 12 en do mineur, D. 703, communément appelé le Quartettsatz, et le quintette à deux violoncelles en do majeur, D. 956, publié à titre posthume. De ces deux œuvres importantes pour le répertoire de musique de chambre, la première est inachevée, constituée d’un seul Allegro assai, et la seconde s’avère la dernière pièce écrite par le compositeur, deux mois à peine avant son décès. Pour un troisième concert de la série des Dimanches en musique, MarieClaire Cousineau, la directrice de l’école Les Petits Violons, ainsi que les autres

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Arts & Culture

membres de l’ensemble à cordes en livraient une interprétation brillante. Le Quartettstatz, pour deux violons, un alto et un violoncelle, a été composé en 1820. Bien que seul le premier mouvement en soit complété (quelque quarante mesures d’un second mouvement ont été ébauchées), et qu’elle semble avoir été délaissée par le compositeur, cette pièce comporte de telles richesses que Brahms, un autre grand représentant de la musique romantique allemande, décide de la récupérer et de la faire jouer en public en 1867. Ce quatuor se démarque des autres compositions de l’artiste par la complexité de ses thèmes, d’ailleurs nombreux, et par une curieuse absence de lyrisme - Schubert est notamment reconnu pour ses lieder - et s’inscrit ainsi dans une veine plus beethovénienne. Marie-

Claire Cousineau, au violon, est parvenue à en faire une interprétation très expressive, ce qui n’est pas sans difficulté pour une œuvre plus rythmique, aux mélodies moins chantantes. On aurait aimé cependant que le violoncelle ressorte davantage. Pour le deuxième morceau, l’équilibre entre les différents musiciens, auxquels s’est ajoutée une violoncelliste, s’est rétabli. On note d’ailleurs un très bel échange entre les violoncelles et le premier violon qui, dans l’adagio du quintette, se répondent en pizzicati, tantôt doux, tantôt sonores. Cette dernière œuvre du compositeur, écrite en 1828, est souvent considérée comme l’une de ses musiques de chambre les plus raffinées. Des thèmes plus simples, brillamment développés, la caractérisent, et on lui reconnaît un lyrisme plus épanoui, propre à Schubert.

Il convient de dire quelques mots sur la belle initiative du violoniste québécois Jean Cousineau, à l’origine de l’ensemble qui porte aujourd’hui son nom. En 1965, après avoir constaté l’insuffisance des structures d’enseignement du violon à Montréal, il décide de fonder l’école Les Petits Violons. Rapidement, son institution gagne en importance, et quelque dix ans plus tard, en 1974, il regroupe ses étudiants les plus avancés afin de former l’ensemble professionnel des Petits Violons. Dès lors, le groupe voyage et donne des concerts au Canada et à l’étranger. Aujourd’hui, la fille ayant pris le relais du père, ce bel ensemble à cordes continue de se produire un peu partout. Le prochain concert avec, au programme, Bach, Mozart et Vivaldi, aura lieu au Gesù le 16 février et il faudra y aller, sans compter que c’est gratuit. [

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DANSE

CINÉMA

«Un méchant clash» DBC Manuel Roque s’imimisce dans l’espace urbain.

«Le quoi?»

Philippe Robichaud Le Délit

–T

Thomas Birzan Le Délit

I

N SITU loc. adv. - Dans son cadre naturel, à sa place normale, habituelle. Découvrir des diamants in situ, dans la roche même où ils s’étaient formés. Heure de pointe au métro Place des Arts en ce jeudi 16 janvier: un homme parmi tant d’autres, regard greffé sur l’horizon et casque sur les oreilles, traverse le centre culturel George-Émile Lapalme. Il ne s’aperçoit pas qu’il marche sur le plateau d’In Situ, dernier projet du chorégraphe Manuel Roque, alors allongé à quelques centimètres de lui. Derrière cette image en apparence anodine se cache en réalité la majeure partie du propos de la pièce: réexplorer l’éternelle friction opposant espace de vie et espace de représentation qui, comme le rappelle le chorégraphe au Délit, demeure malheureusement «un méchant clash, surtout pour la danse contemporaine».

«J’avais envie d’essayer autre chose, une proposition vraiment simple: juste un corps dansant dans l’espace.»

Puisqu’il a suivi la double trajectoire du cirque (le prestigieux cirque Eloïze) et de la danse (la compagnie Marie Chouinard), Roque est bien conscient de l’articulation complexe qui réunit et divise performance et spectacle. «Il y a un gros effort à faire dans le développement du public, dans sa sensibilisation», nous explique-t-il avec raison. 2014, c’est l’ère de l’instantanéité de l’événement. C’est donc aussi l’heure de la survivance du spectacle, qui se doit d’être accessible au plus grand nombre, tout en se déictisant, en étant profondément ancré dans l’ici et le maintenant. Alors, dans cet interstice plus qu’étroit et paradoxal, Manuel Roque danse. Comme l’écrivait déjà Rainer Maria Rilke: «Danser? C’est la vie de nos astres rapides prise au ralenti.» La chorégraphie de Roque, simultanément épurée et risquée, nous rappelle qu’en danse, le mouvement est souverain. In Situ explore une poétique de la résonance quasi-arachnéenne où la scène serait toile et la danse, vibration. Tissés en réseaux, les mouvements du danseur ne prennent sens que les uns par rapport aux autres et dans leur éclosion retardée. Loin de l’horizontalité de la ligne verte qui se situe, rappelons-le, à quelques pas de la scène, Roque nous offre une gestuelle concentrique. Loin de la logique routinière des passants qui traversent la Place des Arts pendant sa performance, Roque propose la réappropriation du corps à d’autres fins qu’utilitaires, un spectacle dans lequel le danseur semble être tout aussi témoin de sa danse que le public qui l’observe. Pour le dire simplement tout en paraphrasant Béjart, Manuel Roque «donne l’impression au public d’improviser et d’inventer la chorégraphie: c’est à cette seule condition qu’elle est intéressante». In Situ, cousin éloigné de certaines pièces d’Akram Khan (on pensera

notamment au solo Nameless), est une œuvre qui évolue à équidistance d’un idéal d’immobilité et d’une nécessité biologique du mouvement. On a tendance à l’oublier: la danse contemporaine, comme on le voit peut-être trop souvent, n’a pas le droit d’éjecter le mouvement. Elle doit, au contraire, se glisser humblement en dessous. Manuel Roque nous le rappelle: «en général, les propositions In Situ sont très conceptuelles. […] J’avais envie d’essayer autre chose, une proposition vraiment

[ le délit · le mardi 21 janvier 2014 · delitfrancais.com

simple: juste un corps dansant dans l’espace.» Il nous le rappellera encore les 12, 13 et 14 mars. Bis repetita placent. [

In Situ Où: Métro Place des Arts Quand: Prochaines performances en Mars Combien: Gratuit

Photographies par Cécile Amiot / Le Délit

’as vu le film de Jean-Marc Vallée en lice aux Oscars? – Le quoi? – Tu sais, le truc avec Matthew McConaughey, Dallas Buyers’ Club? Le mec prononce Maffue MacCognaheille. – Ah, lui? Avec Jean-Marc Vallée? Des images de C.R.A.Z.Y. refait en mode comédie romantique me viennent à l’esprit; ça ne me donne pas envie de voir le film. – Ouais, j’te dis, c’est vraiment bien à ce qu’il paraît… une espèce de film qui n’y va pas par le dos de la cuiller… y’a même Jennifer Garner dedans! Le duo bombe-hollywoodienne et sexiest-man-alive-de-People-magazine-en-2005 me fait penser à The Wedding Planner avec Jennifer Lopez. «Aïe». À How to Lose a Guy in 10 Days avec Kate Hudson. Wah. À Failure to Launch avec Sarah Jessica Parker. «Raaahhh». J’vais t’en faire, moi, un Failure to Launch et je ne launcherai pas mon corps vers un endroit où je verrai un autre film avec Maffiou MaqueConlehaie, bon. Pas envie. – Ça vient quand même de rafler tous les prix possibles – Screen Actors’ Guild, Golden Globe, TIFF, tout ce que tu veux, six nominations aux Oscars, rien de moins – et surtout pour la performance de Mac…ah-pis-d’lamarde… tu vois de qui je parle. Ma curiosité est piquée, du moins par l’emphase qu’accordent les sourcils de mon interlocuteur lorsqu’il prononce le mot «six». – C’est une histoire hyper grinçante; un redneck, petite star de rodeo au Texas, homophobe à bloc; il fume comme une cheminée, abuse de drogues et d’alcool, joue tout ce qu’il peut jusqu’à s’en faire casser la gueule, baise tout ce qui a un pouls… – Attends, alors McMarde, il est pas blond, bronzé et insipide dans ce film-là? – Du tout! Un regard pénétrant à t’en faire frissonner. Et du coup, son personnage de redneck –d’ailleurs tout maigrichon, il a perdu 20 kilos pour le rôle –apprend qu’il a le SIDA et qu’il lui reste trente jours à vivre. De fil en aiguille, il finit par se trouver une façon de rester en vie en montant une opération d’importation de médicaments avec un Jared Leto en travesti. À l’époque, tout ce que l’hôpital pouvait lui offrir, c’était des doses trop fortes d’AZT, drogue expérimentale et très nocive, mais dont la vente profitait aux compagnies de pharmaco. Tout ce qui pouvait aider n’était dispo qu’à l’international et n’était pas approuvé par la FDA. – C’est un documentaire ou quoi? – Bah, y’a quand même un bon côté based on a true story, mais combatif. T’en apprends plein sur la situation des sidatiques au Texas dans les années 1980, les traitements alternatifs comme le DDC et le Peptide T, les combats légaux qui se sont menés, les préjugés par rapport aux sidatiques à l’époque, à l’homosexualité… non, j’te dis, c’est du consistant. – Et pis Vallée, là-dedans ? – Il rend ça bien crade, il choisit de filmer dans de vrais trailer parks, de vrais enclos de rodeo… à la Nouvelle-Orléans. Il ne nettoie rien; tout est dégueu à souhait. Ça rajoute un sens d’instantanéité qui cadre bien avec sa caméra nerveuse et le scénario – de Craig et Melisa quelque chose – vraiment… urgent. Ça urge; c’est génial. Du beau boulot, mais j’te dis: le tout repose sur les épaules maigrelettes de Mc… [

Arts & Culture

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THÉÂTRE

Icare moderne Représentation pluridisciplinaire du mythe d’Icare. Ruth Malka

L

e mythe est ce qui traite d’un caractère intrinsèque à l’humanité et qui, de ce fait, possède une dimension intemporelle. Ainsi en est-il du mythe grec d’Icare. Dans le but de se sauver de Crête et de retourner à Athènes, Dédale attache à son dos et à celui de son fils Icare des ailes de sa fabrication qui tiennent grâce à de la cire et leur permettront à tous deux de s’envoler. Avant de quitter la terre, Dédale donne l’ordre à Icare de ne pas trop s’approcher du soleil. Mais il est bien trop tentant pour le fils de transgresser l’ordre paternel et d’aller voir de plus près cet astre rendu fascinant par l’interdiction. C’est alors que la cire qui maintenait les ailes d’Icare commence à fondre à proximité du soleil et que celuici chute dans l’étendue d’eau qui portera son nom, la mer icarienne. Alors que la Grèce ne nous a laissé ce mythe que sous la forme de narrations, trois amis, Michel Lemieux, Victor Pilon et Olivier Kemeid, décident de lui donner la forme d’une pièce de théâtre digne des tragiques grecs tout en étant ancrée dans le 21e siècle. Le Théâtre du Nouveau Monde donne à voir un spectacle pluridisciplinaire, où tous les effets spéciaux propres à notre civilisation sont au service de l’expression de la réécriture contemporaine des rapports de force qui s’exercent dans toute relation père-fils en même temps qu’est conservé le schéma tragique grec avec Noëlla Huet qui, en coryphée, chante des stasimon en grec ancien rythmant les épisodes. Le Dédale d’aujourd’hui, interprété par Robert Lalonde, est un architecte de renom dont la réussite matérielle n’empêche pas la ruine intérieure. Tandis qu’Icare, joué par Renaud LacelleBourdon, est un jeune homme rêveur qui cherche à parcourir le monde pour découvrir de nouvelles cultures et essayer de se construire intérieurement en sortant de l’univers de béton paternel. La pièce est marquée par la dialectique de la construction et de la destruction. Le père organise l’espace extérieur et érige des tours, essayant d’oublier que sa femme s’est suicidée parce qu’atteinte d’une maladie mentale, elle sentait qu’elle pouvait être un danger pour son époux et son fils. Quant à Icare, dont l’enfance fut marquée par la distance instaurée par Dédale qui ne voulait pas lui confier le secret de la mort de sa mère, il tente de bâtir sa vie alors qu’elle repose sur un non-dit. Dédale veut donner forme au monde extérieur pour ne pas voir que c’est son intériorité qui s’effrite alors que son fils, par ses rêves et ses voyages, veut se laisser former par ce monde extérieur afin de construire son être sur l’histoire en ruines dont il est le produit. Tout se passe comme si le spectateur était introduit dans les pensées de Dédale et assiste avec lui à son débordement de souvenirs. Grâce aux techniques contemporaines et au génie de Lemieux et de Pilon, l’épouse de Dédale, jouée par Pascale Bussière, un ancien élève assassiné par jalousie, interprété par Maxime Denommé, et Icare enfant, incarné par

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Arts & Culture

Loïk Martineau, apparaissent sous forme d’hologrammes. Le fait que ces acteurs soient sur scène sous un mode virtuel renforce l’idée que les absents sont présents dans l’esprit de Dédale, montrant que celui-ci est submergé par leur image, les rendant vivants à ses yeux tout en étant invisibles à ceux d’Icare adulte qui s’inquiète pour son père et réalise que tout ne lui a pas été conté. Tous les arts ont été mis au service de la représentation des rapports qu’entretiennent Dédale et Icare. Outre les hologrammes et les chants du coryphée, Renaud Lacelle-Bourdon exprime l’étouffement et le désir de libération du fils vis-à-vis de son père par une gracieuse maîtrise de la danse: il enchaîne lors de certains passages des chorégraphies sur

fond musical représentant un noyé tentant de remonter à la surface ou un lutteur se démenant contre son adversaire. Les sentiments des personnages sont également représentés sur scène et dans la périphérie de la scène par la rétroprojection d’images. Ces effets cinématographiques, qui apparaissent en arrière-plan mais aussi jusqu’au niveau des poulaillers tant côté cour que jardin, s’accordent avec les paroles des personnages: lorsque Dédale parle de son chagrin, c’est une tour qui s’écroule; et quand Icare parle de cosmologie, des étoiles brillent dans un ciel noir. Dans cette version contemporaine du mythe icarien, les ailes que le père offre à son fils sont les mensonges relatifs à la mort de sa femme. Au lieu de dire

à Icare que sa mère s’est donnée la mort pour le protéger, Dédale l’a fait grandir en lui faisant croire qu’elle avait souffert d’un cancer. Le père pense que son mensonge protègera à son tour son enfant, il ne se rend pas compte que, pendant sa chute, Icare, perturbé par les fantômes holographiques qu’il ne voit pas et auxquels parle Dédale, demandera à savoir la vérité, à regarder le soleil en face. Une vérité qui tuera Icare, un soleil qui le brûlera parce que, d’un coup, toute l’identité qu’il avait bâtie sur un mensonge, toute la distance parcourue grâce à ces ailes artificielles s’effondrent. Victor Pilon affirme ainsi à Luc Boulanger pour La Presse le 11 janvier: «si on cherche toute sa vie un secret enfoui, lorsqu’on le trouve, sa lumière est aussi fulgurante qu’un soleil.» Tous les arts, théâtre, cinéma, chant, danse, ainsi que la conjonction de la tragédie grecque et de l’utilisation des techniques modernes, permettent aux spectateurs de vivre pleinement une catharsis. Les rapports père-fils, mais également la communication, le non-dit, le mensonge, la formation de soi, sont autant de thèmes qui donnent à réfléchir après la pièce. «Que l’on se souvienne de mon ascension fulgurante et non de ma descente funeste. Ne me tuez pas une seconde fois en me résumant à une chute», dit Icare après avoir vu le soleil. [

Icare Où: Théâtre du Nouveau Monde 84, rue Sainte-Catherine, Ouest Quand: Jusqu’au 8 février 2014 Combien: 40$

Photographies par Yves Renaud [ le délit · le mardi 21 janvier 2014 · delitfrancais.com


THÉÂTRE

Je me souviens?

Un professeur d’histoire retraité aux prises avec la mémoire d’une société.

Suzanne O’Neill Gabriel Cholette Le Délit

«E

t le pire dans tout cela, c’est que j’ai une assez bonne mémoire.» C’est ainsi que se défend Édouard (Guy Nadon), ancien professeur d’histoire, lorsqu’il passe à une grande émission de télévision pour commenter sa maladie qui lui fait progressivement perdre la mémoire. Édouard, c’est le personnage au cœur de la pièce de François Archambault, Tu te souviendras de moi, montée au Théâtre de la Licorne sous la direction de Fernand Rainville (associé au Cirque du Soleil), du 14 Janvier au 22 Février. Somme toute, pour un analyste fier et, surtout, orgueilleux, ce qu’il dit est vrai: demandez à Édouard de réciter les plus beaux chants d’Homère, les hauts faits des guerres ayant marqué l’humanité ou simplement la meilleure technique pour

séduire l’une de ses jeunes étudiantes, il s’en rappelle! C’est de nommer le nouveau conjoint de sa fille, se rappeler du départ de sa femme ou se souvenir s’il a bien déjeuné qui est bien plus difficile. Et pour tout le monde autour de lui, c’est tout un défi de s’habituer à ces trous de mémoires. La pièce débute in media res alors que Madeleine (JohanneMarie Tremblay), sa femme, délègue la garde d’Édouard à sa fille, Isabelle (MarieHélène Thibault). Elle a besoin d’une pause. Elle ne peut plus supporter les crises de son mari. Dans la salle de la Licorne, on pouvait entendre les murmures d’une plainte: «Voyons! C’est pas si difficile que ça!» Enfin, c’est peut-être un peu plus ardu qu’on le pense: lorsqu’Édouard demande pour la deuxième fois le nom du nouveau conjoint de sa fille, on rit, c’est drôle. «Michel? Non, Patrick.» À la troisième,

quatrième, cinquième fois qu’Édouard pose la même question de façon tout à fait sérieuse, on commence à comprendre… «Michel?» Des scènes entières se répètent de façon totalement identique, un procédé de génie de François Archambault pour recréer les périples de l’Alzheimer. La maladie affecte tout le monde, pas seulement la femme du sexagénaire. Pour Isabelle, c’est de voir son père oublier complètement l’excellente soirée passée en sa compagnie qui l’attriste. Pour Bérénice (Emmanuelle Lussier Martinez), la fille du nouveau conjoint d’Isabelle, c’est presque toute la mémoire d’une génération qui disparait, un bon Édouard lui apprenant que René Lévesque était plus qu’un homme qui tentait de cacher sa calvitie en plaçant ses derniers cheveux du côté sur le dessus du crâne. La performance d’Emmanuelle Lussier Martinez, dans le rôle d’une jeune idéalis-

te accrochée à son cellulaire, est brillante et nous fait presque oublier combien elle incarne un personnage stéréotypé. Une belle révélation cette Emmanuelle, qui a un parcours à point: diplômée de l’école supérieure de ballet contemporain de Montréal, on l’a aussi vu dans les parcs de Montréal avec le Théâtre de la Roulotte. C’est avec elle qu’on voit se déployer le thème de la perte de mémoire du cas individuel à une problématique sociale et générale. Le texte de François Archambault fait sourire, est touchant, intime, bousculant. À voir pour prouver qu’une blague est toujours plus drôle la troisième fois. «Michel?» [ Tu te souviendras de moi Où: Théâtre La Licorne Quand: Jusqu’au 22 février Combien: 22$

CINÉMA

Telle mère, telle fille Mauvaise fille présenté au cinéma Impérial dans le cadre du Festival Cinémania. Emilie Blanchard Le Délit

M

auvaise fille est adapté du roman éponyme de l’écrivaine Justine Lévy, lui-même retenu pour le prix Goncourt en 2009. Elle est la conjointe de Patrick Mille, et la fille de l’écrivainphilosophe Bernard-Henri Lévy et de sa première épouse, le mannequin Isabelle Doutreluigne, décédée en avril 2004. Le roman et le film sont une chronique d’autofiction sur la relation mère-fille entre Louise (Izïa Higelin) et Alice (Carole Bouquet), alors que la première est enceinte et que la seconde est en rémission d’un cancer qui rechute. Même si cette grossesse devrait être un moment de réjouissance pour toute la famille (elle l’est pour cinq bonnes minutes), Louise le vit avec beaucoup de stress, de culpabilité et d’angoisse à cause du cancer de sa mère, qui fut une piètre figure parentale. C’est vrai, Alice n’a pas été une bonne mère. Elle négligeait sa fille, faisait la fête et consommait beaucoup d’alcool et de drogues, laissant ainsi sa fille livrée à elle-même. Le père de Lucie (Bob Geldof)

est une rock star internationale qui n’était pas là pour elle, à cause de sa carrière. De ce fait, la grossesse de Louise lui rappelle tous ses mauvais souvenirs d’enfance et l’amène à se questionner: saurais-je être une bonne mère alors que ma propre mère était totalement incompétente et mon père, absent? Les divers retours en arrière dans l’enfance de Louise sont intéressants, mais la transition, et parfois même la pertinence, entre ces scènes et le reste du film n’est pas toujours évidente. En ce qui concerne le scénario, coécrit par Lévy et Mille, il respecte la part d’autofiction et est très réaliste, malgré quelques écarts par rapport au livre. Il apporte aussi beaucoup d’humour sur un sujet tout sauf comique. Il aurait été intéressant que le film pousse un peu plus loin la réflexion psychologique et les conséquences d’une enfance «rock ‘n roll» sur un rôle parental ultérieur. Du côté des interprétations, Bob Geldof surprendra plusieurs par la qualité de son français oral. Il parait naturel en père absent, qui fait tout ce qu’il peut pour sa fille et fait preuve de créativité pour améliorer cette situation familiale

[ le délit · le mardi 21 janvier 2014 · delitfrancais.com

compliquée. Carole Bouquet est sans doute la plus attachante des mères indignes. Égocentrique et immature, celle-ci arrive à peine à se sentir coupable de ses multiples gaffes parentales, mais sa part d’humanité est omniprésente. Izïa Higelin, fille du chanteur Jacques Higelin, en est à son premier rôle au cinéma. Avant de jouer dans Mauvaise fille, Higelin était la chanteuse du groupe Izïa, avec lequel elle a remporté quelques Victoires de la musique. Toujours dans le thème de l’autofiction, elle interprète la fille d’un chanteur; on la trouve absolument charmante, attachante, explosive et magnifiquement théâtrale. On éprouve de l’empathie pour ce personnage qui a tellement souffert de sa propre mère qu’on comprend sa crainte, sa peur et son stress à l’idée de devenir mère à son tour. Son interprétation lui a d’ailleurs valu le César du meilleur espoir féminin en 2013. Mauvaise fille est une affaire de famille dans tous les sens du terme. L’aspect autofiction et réaliste du film, en plus d’une interprétation très intéressante et explosive de Izïa Higelin, font de ce film un projet agréable à visionner. [

Romain Hainaut / Le Délit

Arts & Culture

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DOCUMENTAIRE

D’un monde à l’autre Gael García Bernal présente son dernier docu-fiction à Montréal. Louise Moulié

L

a première diffusion au Canada du documentaire Who is Dayani Cristal ?, de Gael García Bernal, acteur, cinéaste et militant mexicain (reconnu pour ses rôles dans Diarios de un motocicleta ou Amores perros) et Marc Silver, cinéaste américain, a eu lieu le 23 novembre dans le cadre des Rencontres Internationales du Documentaire à Montréal (RIDM). Gael García Bernal était présent pour répondre aux questions après la séance. L’histoire commence sous le soleil du désert d’Arizona, quand un homme est retrouvé mort sous un arbre par une équipe de douaniers. Cet homme c’est Dilcy Yohan. Comme à la plupart des migrants illégaux, il lui avait sûrement été recommandé de ne transporter aucune pièce d’identité sur lui. La seule marque distinctive que porte cet homme ce sont les mots «Dayani Cristal» tatoués sur son torse. Sur plus de 2000 corps retrouvés à la frontière du Mexique et des États-Unis depuis le début du siècle, près de 700 n’ont pas encore été identifiés. En suivant l’investigation du cas Dayani Cristal, Gael García Bernal et Marc Silver tentent de retracer le périple de cet homme, commencé au Honduras au mois de juin 2008. Plus encore, Who is Dayani Crital? critique surtout la bataille des ÉtatsUnis contre l’immigration, bataille qui a déjà fait des milliers de morts. Néanmoins,

Marion Malique ce film demeure un documentaire unique ayant pour mission de raconter une histoire vraie en partant d’un mystère: l’identité et l’histoire de Dilcy Yohan, l’homme au tatouage dont il est question. Pour ce film, Silver et García Bernal innovent et décident de combiner fiction et documentaire. C’est ainsi que se chevauchent les images du périple improvisé de Gael García Bernal -qui suit Dilcy Yohan, du cœur du Honduras jusqu’à son lieu de mort- et celles des entrevues avec les équipes d’enquêteurs des deux côtés de la frontière.

Une touche de fiction, avec un personnage auquel le spectateur pourrait s’attacher, était nécessaire pour traiter de ce sujet; il fallait éviter le documentaire exclusivement politique. Ce jeu de théâtre et d’improvisation auquel Gael se prête avec beaucoup de talent a aussi permis aux réalisateurs de franchir la barrière qui sépare souvent le journaliste du sujet. Une attaque contre les Américains? Non. Un appel à la coopération? Oui. Les réalisateurs proposent de rendre plus humaine la question de la migration, qui demeure un tabou politique. À la fron-

tière entre le Mexique et les États-Unis, la construction du fameux mur n’a pas arrêté le flot des migrants. Le nombre d’immigrants illégaux aux États-Unis a, au contraire, augmenté de 27% entre 2000 et 2009. Cependant, le nombre de migrants morts avant d’atteindre leur destination a aussi augmenté: passer le mur est plus facile que de passer la douane à d’autres points de passage, mais la traversée du désert qui s’ensuit s’avère être mortelle pour beaucoup. Selon Gael García bernal, il reste une solution à trouver. À la question «pourquoi ce film?», Gael García Bernal répond: «aujourd’hui, le système économique dans lequel nous vivons pousse à la migration». Des millions de personnes sont forcées de quitter leurs pays à cause de la mondialisation de l’économie qui les laisse sans métier ou sans terre. Néanmoins, alors que cette dernière a permis le libre mouvement des biens et des services, l’immigration, soit le libre mouvement des personnes, continue à être vue comme un crime pour beaucoup alors qu’elle est en réalité essentielle au bon fonctionnement de ce système économique. Au final Gael García Bernal et Marc Silver critiquent la criminalisation des migrants. Ceux-ci partent de chez eux en tant que héros, arrivent à destination en tant que criminels, et ceux qui, comme Dilcy Yohan, n’atteignent pas leur but, reviennent chez eux, dans une boîte en carton. [

CONCERT

Vibrations internationales À l’Alizé, en compagnie de Myles Stone et Smalltalk. Adrien Peynichou

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n cette fin de semaine enneigée, un doux parfum de rêve et d’ambition se dégage du bar de l’Alizé. L’établissement de la rue Ontario accueillait, samedi et dimanche, la compétition «Showcase 2014», orchestrée par Landmark Events. Cette organisation de développement de talents artistiques ne revendique qu’un objectif: permettre aux jeunes talents de la scène locale de se produire devant des représentants de l’industrie musicale et, si leur performance le leur permet, de faire un premier pas dans le milieu. C’est dans un décor de briques rouges et de rideaux de velours noir que s’enchaînent les passages des groupes montréalais. L’énergie dans la salle est palpable ce samedi soir et nombreux sont les membres du public venus encourager les musiciens. Parmi les groupes à l’affiche ce soir se trouvent Smalltalk et Myles Stone, deux formations d’étudiants mcgillois aux parcours intimement liés. Tout commence en septembre 2011 dans les longs couloirs de «New Rez». Samuel, bassiste fraichement débarqué de l’ile de Trinité-et-Tobago, saisit sa guitare acoustique et parcourt les étages de la résidence en jouant dans l’espoir de trouver des

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semblables. Le stratagème se révèle efficace puisque Julien, guitariste français, pointe la tête par l’ouverture de sa porte. Les jams s’enchaînent et, de fil en aiguille, Julien va présenter deux de ses amis à Samuel: Dany et Anthony. Ces derniers, qui arpentaient ensemble la scène rock de Beyrouth depuis 2008 sous le nom de «Limelight», étaient justement à la recherche d’un bassiste afin de lancer un projet à Montréal. C’est ainsi qu’est né Myles Stone, dans le hall d’une résidence étudiante. Julien, désireux de poursuivre sa collaboration musicale avec Maxime, un de ses amis de lycée, se lance de son côté à la recherche d’un chanteur et d’un batteur. Suite à quelques changements de personnel, la composition actuelle du groupe se précise avec l’intégration de Nicolas, d’origine libanaise, et Tyrone, Canadien, à la batterie. Aujourd’hui encore, ces deux groupes aux nationalités variées continuent de collaborer étroitement, notamment pour l’enregistrement et le mixage de nouvelles compositions. Smalltalk monte sur scène vers huit heures et quart. Le concert, qui démarre sur les accords enflammés de la composition de circonstance «New Show», envoûte rapidement l’assemblée grâce à l’énergie que le groupe dégage. La performance se poursuit avec trois autres morceaux, alternant des solos

de guitare empreints de blues et des lignes de basse attaquées en puissance, qui ne sont pas sans rappeler quelques influences punk rock, comme le laisse suggérer le t-shirt à l’effigie de The Clash de Maxime, le bassiste. Tyrone, le batteur, garde le tempo d’une force tranquille sans oublier d’accentuer les montées en puissance grâce à quelques breaks bien placés. Nicolas, la voix du groupe, délivre les paroles d’un ton puissant qui sait rester mélodieux. Une fois la performance terminée, le public conquis entonne «Smalltalk» en cœur. L’objectif est atteint et le groupe accède au deuxième tour de la compétition. Quelques heures plus tard, c’est au tour de Myles Stone de monter sous les feux des projecteurs. À ce stade de la soirée, nombreux sont ceux qui ont déserté la salle de l’Alizé, sans avoir anticipé la performance qui allait se dérouler sur scène. Ce samedi est, en effet, l’occasion qu’ont choisi les membres de Myles Stone pour partager, pour la toute première fois, quelques extraits de leur dernier album baptisé Ocean. Au cours des vingt-cinq minutes de leur concert, Dany, Anthony, Karim et Samuel nous plongent dans une atmosphère de rock aérien portée par des mélodies harmonieuses et langoureuses qui mettent en valeur le chant, dans la tradition immortelle des Beatles et de Pink Floyd.

Le set se termine trop vite et nous laisse, en conclusion, fier d’appartenir à une communauté universitaire où la diversité du corps étudiant et l’effervescence de talents musicaux se rencontrent pour donner vie à de telles vibrations. [

Sean Lee

[ le délit · le mardi 21 janvier 2014 · delitfrancais.com


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