Publié par la société des publications du Daily, une association étudiante de l’Université McGill
Le mardi 21 septembre 2014 | Volume 104 Numéro 6
5 meufs trop sympas depuis 1977
Volume 104 Numéro 6
Éditorial
Le seul journal francophone de l’Université McGill
rec@delitfrancais.com
«L’itinéraire» du jour «Écart de langage est plus mortel que faux pas. Chuter laisse plaie guérissable, mais parler conduit au trépas.» Les Mille et Une Nuits, 177e nuit.
Joseph boju
Le Délit
A
près un début d’année plutôt satisfaisant, l’exécutif de l’AÉUM fera sa grande épreuve du feu ce mercredi 22 octobre à l’occasion de son Assemblée Générale — moment capital dans la vie d’un association étudiante. La séance promet d’être intéressante, on en veut pour preuve les nombreuses discussions déjà causées par les motions à l’ordre du jour. Et je dis bien à l’«ordre du jour», car sur son site l’AÉUM a traduit sa rubrique «agenda» par «itinéraire». Formule somme toute assez poétique pensions-nous, avant de lire les motions, avant de lire les motions, avant de lire les motions. On imagine un peu la scène: «Traduis-moi ça vite fait please, et n’insiste pas sur la qualité, personne ne les lira de toute façon». Mets-en! Ce que nous lisons dépasse l’entendement. Est-ce de la création littéraire? Va-t-on réellement «supporter la gratuité scolaire»? Quel est donc ce «power entre les deux partis impliqués»? Qui pourrait nous aider à «rechercher à la divulgation de ces relations de inancement»? Les hommes sont menés par les mots, ne l’oublions pas. Toute motion, tout amendement, tout texte de loi n’est rien d’autre que du langage. Comment voulez-vous travailler et voter sur des textes qui sont des traductions erronées, aboutissant pour la plupart à des contresens terribles? Comment peut-on accorder du crédit à une organisation qui bâcle ses propres motions? Il devient lassant de rappeler à nos apprentis politiciens que, bien qu’ils fréquentent la première université anglophone du Canada, ils habitent aussi dans une province francophone. Ce cher exécutif de l’AÉUM, qui se soucie tant des minorités, devrait se rappeler au plus vite que le français n’est pas une formalité de rigueur, mais une langue à part entière, avec ses règles et ses complexités. Nous avons par ailleurs le plaisir de lui apprendre qu’un Département de sa propre université — celui de langue et de littérature françaises — ofre un des meilleurs programmes de tra-
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duction de la province. Qu’il aille donc toquer à sa porte. Malgré le fait qu’elles soient littéralement torchées, l’équipe éditoriale du Délit s’est tout de même penchée sur le fond des motions proposées à l’ordre du jour de ce mercredi 22 octobre. «Motion concernant le support pour un campus sans développement de technologie militaires nocives» Le Délit ofre son soutien à cette motion, en ce qu’elle engage principalement une prise de position de la part de l’AÉUM en défaveur du développement de la recherche militaire à McGill et non un programme d’action précis. Il est à noter cependant que près de la moitié de l’équipe de rédaction s’est abstenu de voter en faveur de ce soutien. «Motion portant sur l’action sur les changements climatiques» Le Délit ofre son soutien à cette motion, ne voyant pas de problème au rattachement de l’AÉUM à la coalition des Étudiant(es) Contre les Oléoducs et persuadé du bienfondé de la création d’une politique eicace en matière de changement climatique par le Conseil législatif de l’AÉUM. «Motion appelant l’AÉUM à exprimer sa solidarité envers les peuples des territoires palestiniens occupés» Cette motion est bien entendu celle dont on parlera le plus. Le Délit y est défavorable. Il ne nous semble pas pertinent que l’AÉUM prenne position de cette manière dans le conlit israélo-palestinien. La formulation agressive et le manque de mesure de la motion nous ont inluencés dans ce choix. Qu’il soit clair cependant, pour les parapenseurs, que notre non-soutien n’est pas un positionnement en faveur d’un camp ou de l’autre. Si nous sommes entièrement en faveur du processus de paix, nous ne désirons être ni du mauvais, ni «du bon côté de l’Histoire», pour reprendre la formule de Dina ElBaradie, coordonatrice de la campagne pour le Oui. x
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Conseil d’administration de la Société des publications du Daily (SPD) Juan Camilo Velzquez Buritica, Dana Wray, Joseph Boju, Thomas Simonneau, Rachel Nam, Hillary Pasternak & Ralph Haddad.
L’usage du masculin dans les pages du Délit vise à alléger le texte et ne se veut nullement discriminatoire. Le Délit (ISSN 1192-4609) est publié la plupart des mardis par la Société des publications du Daily (SPD). Il encourage la reproduction de ses articles originaux à condition d’en mentionner la source (sauf dans le cas d’articles et d’illustrations dont les droits avant été auparavent réservés, incluant les articles de la CUP). L’équipe du Délit n’endosse pas nécessairement les produits dont la publicité paraît dans ce journal. Imprimé sur du papier recyclé format tabloïde par Imprimeries Transcontinental Transmag, Anjou (Québec).
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brève / campus Cécile amiot
La fin de la librairie McGill pour l’hiver 2016? joseph boju
Le Délit
L
a librairie oicielle de l’Université McGill, située au 3420 McTavish, devra céder son bâtiment à la faculté de gestion Desautels d’ici le semestre d’hiver 2016. La nouvelle a été conirmée samedi dernier par le vice-président à l’administration et aux inances Michael Di Grappa lors d’une conférence prononcée à l’occasion des «Retrouvailles» automnales. Dans un échange de courriel avec le Délit, Di Grappa mentionne le «besoin de s’étendre» de la faculté de gestion, faculté accueillant selon lui «2500 étudiants dans un bâtiment [le Pavillon Bronfman] qui a la capacité d’en accueillir 1500».
Une telle annonce met l’avenir du fameux bookstore en jeu. Quelle forme prendra la librairie de 2016? Sera-t-elle entièrement dématérialisée, avec la plupart des achats s’efectuant sur Internet? Aura-ton droit à une myriade de petites succursales rattachées chacune à sa faculté? Di Grappa airme que «la librairie va être relocalisée», mais que «pour le moment, nous ne savons pas où». Cette mesure, envisagée par l’administration depuis quatre mois environ, répond à un besoin de place, mais aussi de rentabilité. Dans un contexte de compétition accrue, déjà reconnu par un article du McGill Daily datant de 2010 («Setting the record straight on the bookstore», 4 février 2010) et de digitalisation du matériel d’enseignement, c’est un change-
ment structurel qui est imposé par l’administration à la librairie. Construite en 1990, la librairie de McGill a appartenu à la compagnie Chapters/Indigo jusqu’en mai 2003, après quoi elle a été rachetée par l’administration de l’Université par qui elle est depuis gérée, sans pour autant recevoir de inancement de sa part. Selon le même article du Daily, en 2010, la librairie reversait près de 375 000 dollars par an depuis trois ans au Bureau des études de la vie étudiante, somme utilisée pour soutenir inancièrement des étudiants. Rappelons aussi que les marges de proit que s’octroie le bookstore oscillent autour de 23%, quand la norme est de 35 à 40% sur le marché du livre en général. Les employés de la librairie de McGill n’ont souhaité faire aucun commentaire sur l’annonce. x
Nous recherchons des personnes atteintes d’ICHTYOSE pour participer à une étude de recherche sur un traitement topique approuvé qui a lieu à Montréal. Les participants recevront une somme de 300$ pour quatre visites. Communiquez avec derek.ganes@ganespharma.com
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actualités
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politique étudiante
Un conseil de l’AÉFA peu productif Après quatre heures et demie, seules trois de sept motions proposées aboutissent. louis baudoin-laarman
Le Délit
L
e conseil législatif bimensuel de l’Association des Étudiants en Faculté des arts (AÉFA) s’est clos après quatre heures et demie de délibération le mercredi 15 octobre, sans même que ses membres aient eu le temps d’aborder toutes les motions proposées. Le conseil a débattu, entre autres, sur la mise en place de mécanismes permettant d’assurer une plus grande responsabilité des membres de l’exécutif de l’AÉFA, ainsi que sur la possibilité de modifier le règlement relatif à leur rémunération. La motion visant à ce que l’AÉFA soutienne officiellement la campagne de syndicalisation des étudiants en 1er cycle de la Faculté des
arts employés dans un contexte académique (tuteurs, assistants aux professeurs, etc.) menée par l’Association des étudiants diplômés employés de McGill (AGSEM) n’a pas pu être abordée faute de temps. Le conseil, exceptionnellement long cette semaine, a été retardé par un atelier de formation sur l’équité organisé par le Bureau de l’Éducation en Équité Sociale et Diversité (SEDE) obligatoire pour tous les membres du conseil présents. Une heure et demie après le début du conseil, l’organe représentatif des étudiants de la Faculté des Arts a donc enfin pu commencer à débattre des sujets du jour. La vice-présidente aux affaires externes Lola Baraldi, en réponse à ceux qui suggéraient de faire un conseil en accéléré afin de
rattraper le temps perdu à cause de l’atelier, a rappelé que les décisions du conseil ne devraient pas être prises à la va-vite pour autant, car le conseil de l’AÉFA a «une responsabilité d’élus envers les étudiants de la Faculté des arts en ce qui concerne la prise de décisions qui les toucheront». Responsabilité de l’exécutif La motion sur la responsabilité de l’exécutif qui a été adoptée vise à mieux responsabiliser l’équipe de l’AÉFA à travers une panoplie de nouveaux règlements. L’idée est principalement d’assurer que l’exécutif soit plus à l’écoute des potentielles plaintes des conseillers siégeant au conseil, lesquels représentent diverses associations et départements
de la Faculté des arts. La motion prévoit entre autres qu’un procédé de plainte formel et anonyme soit créé pour les conseillers souhaitant se plaindre des pratiques d’un membre de l’exécutif de l’AÉFA, lequel devra y répondre au conseil suivant. Il est également prévu que les membres exécutifs du conseil publient leurs emplois du temps toutes les deux semaines afin de créer plus de transparence dans leurs actions. Rémunération de l’exécutif Quant à la motion sur la modification des règles de rémunération de l’exécutif de l’AÉFA qui avait été présentée par certains membres de l’exécutif, et qui a constitué le cœur du débat, elle a finalement été retirée par
la présidente de l’AÉFA Ava Liu après avoir été vivement critiquée par certains des conseillers présents. La motion visait à permettre aux membres de l’exécutif de l’AÉFA d’être rémunérés pour un maximum de 20 heures de travail par semaine, au lieu du maximum de 10 heures actuellement en vigueur. «L’AÉFA se voit alloué cet argent dans tous les cas, affirme Li Xue, la VP Finances, la question est juste de savoir si nous allons ne rien en faire ou l’utiliser pour payer les exécutifs.» Le représentant de l’Association des étudiants en philosophie (PSA) a quant à lui fait remarquer, apostrophant Mlle Liu, que «cet argent vous a été alloué, mais pas pour que vous soyez automatiquement rémunérés pour 20 heures de travail». x
campus
Du nouveau pour la planète Le projet de comité ad hoc pour le développement durable de l’AÉUM voit le jour. céline fabre
Le Délit
L
a présidente de l’Association des Étudiants de l’Université McGill, Courtney Ayukawa, l’avait promis lors de sa campagne, un message est venu l’annoncer dans la boite de courriel des étudiants membres de l’AÉUM: il existe désormais un comité étudiant ayant pour but de promouvoir le développement durable au sein de la communauté mcgilloise. La question environnementale est dans l’air du temps depuis que le poste de coordinateur du développement durable de l’AÉUM a été supprimé en automne dernier. Ainsi, ce comité semble avoir été créé pour le remplacer et l’améliorer en lui donnant une forme nouvelle. Dans le courriel que l’AÉUM a envoyé à tous les étudiants qu’elle représente, on peut lire que le comité ad hoc pour le développement durable «entreprendra des recherches sur les structures du développement durable au sein de plusieurs groupes étudiants et fera un rapport de recommandations réalisables et réalistes à l’AÉUM». Un programme ambitieux pour ce comité qui aurait pour but de tes des étucombiner les requêtes diants avec «les recherche des
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associations étudiantes ain de cibler les recommandations qui doivent être présentées au conseil de l’AÉUM», pour reprendre les mots de la présidente Courtney Ayukawa. Plus concrètement, elle explique au Délit que ce comité efectuera des sondages auprès d’étudiants du campus sous forme de courtes entrevues. D’autres idées d’actions telles qu’un forum ou un plébiscite sur le campus sont aussi en train d’émerger. Amina Moustaqim-Barrette, la VP externe de l’AÉUM, fait aussi partie du comité et résume son but en disant qu’il «donne la chance aux élèves de dicter à quel point le développement durable sera une priorité pour l’association dans les prochaines années». Bronwen Tucker, étudiante en sciences de l’environnement et membre de l’association Divest McGill, dit attendre de voir ce que l’action du comité apportera de concret. Elle espère qu’il permettra d’étendre le domaine d’intervention de l’AÉUM en matière d’environnement à un niveau sociétal qui ne concerne pas seulement les événements de l’AÉUM ou les rendements énergétiques de ses bâtiments. Elle espère aussi une meilleure intégration des aspects économiques et sociaux du développement durable au sein du portfolio écologique de l’AÉUM.
Un réel impact? D’une façon plus globale, ce comité illustre la volonté qu’ont les étudiants de s’impliquer dans la défense de l’environnement et surtout, de trouver les moyens adéquats pour traiter des problèmes qui nous concernent tous. Avec la création d’un comité ad hoc pour le développement durable, le conseil de l’AÉUM prouve qu’il peut s’investir dans la recherche de nouveaux moyens, peut-être plus proches des étudiants dans cette voie-là. Par ailleurs, la création de ce comité impose de se questionner sur le rôle des étudiants sur la question environnementale. En efet, peuvent-ils vraiment peser dans ce débat? Pour Bronwen Tucker, l’activisme étudiant a eu un réel impact dans la discussion autour de nombreux sujets au cours de l’histoire. Elle ne voit pas pourquoi il devrait en être autrement dans le domaine de l’écologie. En revanche, pour ceux qui espèrent un constat précis sur l’action du comité pour le développement durable, il va falloir attendre. Pour l’instant, la présidente de l’association étudiante précise qu’il est diicile de mesurer l’eicacité de ce comité, cependant un bilan est prévu à la in du semestre. x
Mahaut Engérant
le délit · le mardi 21 septembre 2014 · delitfrancais.com
Semaine de sensibilisation sur les troubles mentaux Un certain nombre d’événements sur la santé mentale a eu lieu à Montréal cette année, notamment dans le milieu universitaire. Depuis 1990, diférents organismes, irmes et programmes gouvernementaux agissent pour améliorer les services sociaux et supprimer les préjugés autour des maladies mentales.
«Mon médecin, mon Dieu» Les troubles mentaux seraient excessivement médicalisés. catherine mounier-desrochers
éléonore nouel
C
’est le 10 du 10 à 10h10 que se sont rassemblées quelques dizaines de personnes à la place Émilie-Gamelin pour manifester contre la médicalisation excessive des troubles de santé mentale. Un nombre modeste de manifestants, mais un message lourd de sens: le besoin d’élargir le débat et les discussions, de sensibiliser la population aux méthodes alternatives aux médicaments. Les manifestants s’accordaient quant à la cause de la situation actuelle. «On a tendance à tout médicaliser, tout devient un problème de santé mentale et la solution, c’est les médicaments», conie avec ironie un manifestant. «Tu es diférent, t’as oublié ton traitement?», «Mon médecin, mon dieu», «Ton docteur le sait mieux que toi»: tels étaient les messages que l’on pouvait lire sur les pancartes des participants, démontrant l’approche humoristique prônée par le Regroupement des ressources alternatives en santé mentale du Québec (RRASMQ) pour l’événeénenement. Le nom de ce dernier étant «on lâche notre fou», les gens étaient incités à se vêtir de blanc et
d’un nez de clown. Plusieurs groupes se préoccupent de ce phénomène, particulièrement les membres du RRASMQ, qui agit à l’échelle provinciale. Leur mission vise à sensibiliser la population et à contrer la stigmatisation de la maladie mentale encore bien ancrée dans la pensée collective. Selon eux, les problèmes de santé mentale ne peuvent pas être assimilés à des coûts: c’est une réalité concrète avec des causes concrètes. «Tout n’est pas dans le DSM [Diagnostic
and Statistical Manual of Mental Disorders, ou Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux, un ouvrage américain de référence dans le milieu psychiatrique, ndlr]», mentionnait Robert Théoret, le responsable à l’action politique de l’organisation. Les membres du groupe airment que ce sont les industries pharmaceutiques et la psychiatrie qui sont les acteurs les plus inluents sur la scène médicale actuelle. Ensemble, ils imposent une conception des problèmes de
Bell pose sa pierre Bell fait don d’un million pour la santé mentale. Laurence Nault
Le Délit
L
a compagnie canadienne Bell vient d’ofrir un million de dollars à l’Université de Montréal et à l’Université McGill ain d’appuyer les programmes de soutien en santé mentale des deux établissements. Le don a été fait dans le cadre d’une initiative de Bell, le programme Bell Cause pour la cause. Une somme de 500 000 dollars sera remise à chacune des universités. McGill utilisera l’aide reçue pour inancer un tout nouveau projet, «le portail du mieux-être». Ce service accessible sur Internet aura pour but de permettre aux étudiants de recevoir un autodiagnostic rapide de leur condition psychologique et de les référer au service approprié sur le campus. Le portail devrait être fonctionnel à partir du printemps 2015. Le projet est une création d’un service de santé mentale auquel ont collaboré des étudiants de premier et de second cycles. Selon Logan Peaker, vice-présidente communication
au chapitre mcgillois de Jack.org, il s’agit d’une excellente initiative. Le groupe qui a pour objectif de combattre les préjugés autour de la maladie mentale voit d’une façon positive les eforts de McGill pour faciliter l’accès aux services de santé mentale. Le portail, en plus d’être un outil d’autodiagnostic, fournira des ressources pour les proches de personnes en détresse psychologique. Des conseils sur comment venir en aide à un proche ou aborder le sujet avec lui seront disponibles. Les étudiants pourront aussi y trouver des pages de conseils sur l’importance de l’activité physique ou du sommeil pour maintenir une bonne santé mentale. De son côté, l’Université de Montréal proitera du don pour inancer plusieurs nouveaux services ain de soutenir les étudiants en détresse. Ils seront principalement orientés vers les étudiants vivant une situation de stress, d’anxiété ou des problèmes de troubles de l’humeur. Par exemple, le centre de santé et de consultation psychologique ofrira des séances de groupes visant
le délit · le mardi 21 septembre 2014 · delitfrancais.com
la régulation émotionnelle. Par l’entremise de ce programme, Bell cherche à lutter contre la stigmatisation liée à la maladie mentale, améliorer l’accès aux soins, promouvoir la santé et la sécurité psychologique au travail et investir dans la recherche. Ce récent don n’est pas isolé. Depuis 2011, plus de 67,5 millions de dollars ont été distribués à diférents organismes communautaires, universités et centres hospitaliers en plus de campagnes de sensibilisation comme la journée Bell Cause pour la cause. Quand les chiffres parlent Selon l’Association médicale canadienne, 27% des Canadiens ont peur d’être en contact avec des personnes qui soufrent d’une maladie mentale grave et deux personnes sur trois soufrent en silence de crainte d’être jugées ou rejetées. Ces dernières années, le service de santé mentale de McGill a constaté une augmentation de 24% de nouveaux cas. x
santé mentale, une conception biomédicale et obtiennent le contrôle des solutions. Ces dernières années, nous avons assisté à une croissance phénoménale du nombre de prescriptions d’antidépresseurs au Canada, une situation qui inquiète le RRASMQ. «Pour eux [les industries pharmaceutiques], il y a un diagnostic et un médicament pour toutes les situations auxquelles l’individu et la société sont confrontés, que ce soit pour la tristesse, la gêne, le deuil, le stress, la violence ou des troubles d’apprentissage chez les jeunes» explique Nadia Parée, responsable des communications. Le problème d’une époque? James Falconer, professeur de sociologie à McGill mentionne, en entrevue avec Le Délit, l’importance de faire une distinction correcte entre la normalité et la patholo-
gie. Tout comme le mentionne le RRASMQ, il semble incorrect de dire que le taux de troubles dépressifs a toujours été aussi haut dans notre société. «Dire que ce qui justiie cette augmentation de diagnostics est uniquement notre capacité récente à détecter les dépressions n’ofre pas une explication complète de la situation» mentionne M. Falconer. Les organisateurs soulevaient à plusieurs reprises l’idée selon laquelle il est possible que le contexte social, économique et culturel génère des situations et des états qui perturbent la santé mentale. Par contre, la problématique demeure: «en donnant systématiquement des médicaments pour toutes les situations, [on] limite les recherches sur les causes non biologiques», rajoute M. Théoret. La santé mentale est un thème qui touche tout le monde, les étudiants universitaires y compris. À McGill, c’est une branche de Jack. org qui se dédie depuis deux ans à transformer la façon dont nous voyons la santé mentale. Leurs objectifs vont dans le même sens que les diverses organisations présentes, c’est-à-dire réduire les préjugés autour de la maladie mentale à l’aide de ressources et de soutien. Ils organiseront d’ailleurs une série de conférences avec des experts du domaine de la santé mentale sur des sujets tels que le stress lié aux examens et l’importance d’avoir un réseau de soutien. Une exposition d’art autour du thème de la santé psychologique sera d’ailleurs tenue plus tard cette année. x
Santé mentale sur le campus. léo arcay
Le Délit
À
l’occasion de la Semaine de sensibilisation à la maladie mentale, l’Université McGill s’est impliquée aux côtés de nombreux organismes. Cette année encore, la conférence Students in Mind, qui a eu lieu le dimanche 5 octobre, a souligné l’envergure des troubles mentaux dans le milieu universitaire. En effet, environ 40% des étudiants mcgillois interrogés pour des sondages du McGill Counselling Service ont déclaré avoir déjà souffert de dépression ou d’anxiété, et 10% ont déjà songé au suicide. Des experts de McGill étaient donc à la disposition des étudiants, tout au long de la semaine, pour
répondre à leurs questions et les conseiller. Le Délit a pu obtenir une entrevue avec Karen Hetherington, chargée de cours à l’École de travail social de l’Université. Son bilan est assez négatif: les initiatives en matière de santé mentale à McGill ne sont pas suffisantes. Il faudrait aller plus loin dans la prévention et la promotion de la santé mentale. Selon elle, les services proposés par McGill ne «devraient pas avoir les mêmes problèmes d’accessibilité que les services offerts par le secteur public». La plupart sont méconnus, ce qui est critiquable étant donné l’ampleur du problème. De toute la semaine, la sollicitation du Délit est la seule que Mme Hetherington ait reçue. x
actualités
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politique étudiante
Transparence: le défi de l’année pour l’AÉUM L’afaire Tariq Khan soulève des problèmes structurels de l’association. Youcef Rahmani
T
ariq Khan a décidé de mettre in à son procès contre l’Association Étudiante de l’Université McGill (AÉUM), information conirmée le 10 Octobre par la VP afaires externes de l’association, Amina Moustaqim-Barrette. Le comité d’élections de l’AÉUM avait décidé d’invalider la victoire électorale de Tariq Khan le premier avril dernier pour implication d’indi-
vidus extérieurs à l’AÉUM, fraudes quant aux dépenses de campagne et nuisance à l’esprit de justice dans la campagne et du processus de vote. L’étudiant avait contesté la décision auprès de la Cour supérieure du Québec en mai. Le McGillois avait demandé sa restitution au poste de président de l’association étudiante en attendant le verdict inal, une demande que la Cour a rejetée le 3 juin. Lors d’une entrevue avec Le Délit, Tariq Khan explique que la
raison principale de sa rétraction est inancière. Alors qu’il avait prévu un budget total de 28 000 dollars pour le procès, il a déjà dû débourser 30 000 dollars, et aurait payé jusqu’à 65 000 dollars pour terminer le procès qui devait avoir lieu dans quelques mois. En outre, Tariq Khan a indiqué que même s’il gagnait, ses dépenses n’auraient pas forcément été remboursées en totalité, et il aurait eu peu de chances d’être restitué au poste de président de l’AÉUM pour des raisons logistiques. En somme, cela ne valait pas le coup de continuer. Cependant, Tariq Khan assure que ce sacriice de temps et d’argent n’aura pas été en vain. Il airme que cette poursuite en justice aura révélé des faiblesses dans le fonctionnement de l’AÉUM, qui n’est, selon lui, toujours pas assez transparente dans ses agissements. Ainsi, il y aurait eu des abus de pouvoir et certains conlits d’intérêts passés inaperçus aux yeux du public, non seulement en ce qui concerne l’élection, mais aussi sur le plan de la structure de l’association. Conidentialité, intégrité et conlits d’intérêts
luce engérant
Questionnée au sujet de ces allégations, Amina MoustaqimBarrette, la VP afaires externes de
l’AÉUM, ne cache pas que «l’AÉUM doit s’améliorer au niveau de la transparence». Une des plaintes de Tariq Khan à l’égard du traitement initial de son dossier par le comité d’élection est qu’il n’avait pas eu accès au contenu des accusations dirigées contre lui par souci de conidentialité. Il pense que tout étudiant de McGill doit se demander dans quelle mesure l’AÉUM se réserve le droit d’invoquer une clause de conidentialité, clause dont l’usage reste très vaguement déini dans les textes oiciels. Moustaqim-Barrette nous assure toutefois qu’un comité de responsabilité et d’intégrité a été créé au sein de l’AÉUM ain de gérer ce genre de problèmes. Pour Tariq Khan, le problème est d’origine structurelle. Selon la constitution, le président de l’AÉUM a certaines prérogatives dans la gestion des comités chargés d’évaluer l’intégrité des élections. Cette répartition des tâches serait propice aux conlits d’intérêts, et l’association peut ensuite couvrir ces problèmes en faisant valoir la clause de conidentialité. Interrogée à ce sujet, Moustaqim-Barrette airme que l’AÉUM est ouverte à l’examen d’un tiers parti, légitime et crédible aux yeux des étudiants. «L’AÉUM n’a en principe rien à cacher aux étudiants», ajoute-t-elle.
Tariq Khan estime également que plus d’un tiers des votes ont été ignorés lors de la dernière élection, puisque les étudiants qui lui avaient donné leur vote n’ont pas pu choisir un nouveau candidat après que sa candidature a été invalidée. En efet, le règlement de l’AÉUM à l’égard de l’invalidation d’un élu soutient que la personne arrivée en seconde place aux élections accède automatiquement au poste. À cet égard, Moustaqim-Barrette nous informe que l’association étudiante a décidé de revoir certains règlements, en sollicitant notamment l’expertise de conseillers juridiques. Le directeur général des élections de l’AÉUM, Ben Fung, nous a fait part d’une nouvelle façon de voter qui pourrait être mise en place: le vote préférentiel. Ainsi, on voterait en hiérarchisant les diférents candidats pour chaque poste, ce qui légitimerait la succession du second candidat. L’AÉUM montre une volonté de redresser son image quelque peu ternie auprès des étudiants par le biais de réformes concernant ses règlements et son intégrité en général. De son côté, Tariq Khan veut proiter de l’assemblée générale de l’AÉUM qui se tiendra le mercredi 22 octobre pour rendre publiques des informations plus détaillées concernant certaines pratiques de l’association. x
montréal
Préserver l’ordre à tout prix Montréal dépense 110 000 dollars pour défendre le règlement P-6. Louis Baudoin-Laarman
Le Délit
D
es documents dévoilés sur Internet la semaine dernière ont révélé que la Ville de Montréal a engagé la irme privée Bélanger Sauvé Avocats pour défendre en justice le règlement P-6, actuellement l’objet de poursuites judiciaires pour inconstitutionnalité lancées par le militant Jaggi Singh et le professeur de Cégep Julien Villeneuve, plus connu sous le nom d’Anarchopanda, pour la gratuité scolaire. Le Règlement sur la prévention des troubles de la paix, de la sécurité et de l’ordre public ainsi que l’utilisation du domaine public ou règlement P-6, avait été adopté au printemps 2012 alors que les manifestations contre la hausse des frais de scolarité étaient à leur apogée. Le règlement prévoit entre autres que les organisateurs dévoilent à l’avance l’heure, le lieu et l’itinéraire des cortèges de manifestants. P-6 interdit également le port de masques ou de foulards cachant le visage lors de rassemblements.
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C’est pour ce motif que Julien Villeneuve avait été arrêté en 2012, alors qu’il manifestait dans son costume de panda, qui est devenu un des symboles des manifestations étudiantes de 2012 et dont la tête qui dissimulait son visage a depuis été conisquée par le Service de Police de la Ville de Montréal (SPVM). Afaire spéciale, frais spéciaux Depuis l’adoption du règlement, plus de 1000 personnes ont été arrêtées pour avoir enfreint le règlement P-6 d’une manière ou d’une autre, la plupart desquelles se sont vues imposées une amende de 500 dollars pouvant grimper jusqu’à 3000, en cas de récidive. Jaggi Singh et Anarchopanda ont donc depuis tenté de faire valoir l’inconstitutionnalité du règlement à la Cour supérieure du Québec. Pour l’occasion, la Ville de Montréal a engagé la irme privée Bélanger Sauvé Avocats au lieu d’un avocat de la mairie de Montréal, car, selon le dossier décisionnel de la Ville, le départ de l’avocat de la mai-
rie responsable du dossier a rendu l’option d’un contrat à l’externe plus logique. L’avocat en charge du dossier ayant été promu à un autre département, Montréal ne pouvait pas se défendre adéquatement. Dans le dossier on peut lire: «Dans les circonstances, vu le manque de ressources au sein de la Division du droit public, il est impossible d’assurer adéquatement ce mandat». La Ville de Montréal a donc déboursé 40 000 dollars pour l’affaire Jaggi Singh et 70 000 dollars pour l’afaire Julien Villeneuve à la irme Bélanger Sauvé. Les deux hommes ont reçu plusieurs fois des contraventions pour infraction au règlement P-6, et les contestent au même titre que le règlement lui-même. Julien Villeneuve ne conteste que certains articles du règlement, alors que M. Singh attaque son intégralité. Depuis la fuite des documents révélant les frais de justice dépensés par Montréal dans ces afaires, Jaggi Singh et Julien Villeneuve ont émis un communiqué sur ce qu’ils perçoivent comme un gaspillage des fonds publics pour défendre
un règlement injuste. «Après avoir dépensé des sommes ridicules pour détenir et judiciariser des personnes qui n’ont que marché dans la rue ain d’exprimer leur opinion sur divers sujets, la Ville de Montréal se retrouve incapable de gérer les conséquences de son propre règlement et doit engager une irme externe à grand coût» airme M. Villeneuve dans le communiqué.
«Ce n’est ni à la cour ni à l’Hôtel de Ville que P-6 sera vaincu, mais dans les rues, alors que des groupes communautaires qui organisent des manifestations continuent de déier ouvertement le règlement P-6, et le rendent inapplicable par leur résistance» ajoute M. Singh, avouant ainsi quelque part le peu d’espoir qu’il a de voir sa contestation en justice aboutir. x luce engérant
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québec
Printemps 2015 contre l’austérité Un comité étudiant s’organise contre les compressions budgétaires 2014-2015. Léo Richard
C
’est au Centre SaintPierre, dans le quartier du Village, que se sont retrouvés syndicats et étudiants luttant contre l’austérité et pour les droits syndicaux, le jeudi 9 octobre 2014. Ils se sont réunis sous une même bannière: le Comité Printemps 2015. Le rendez-vous a été donné à 19 heures dans une grande bâtisse de la rue Panet. Une cinquantaine d’étudiants (la plupart en science politique) sont présents. Il y a aussi une poignée de personnes sans emploi plus âgées, le Comité Printemps 2015 ayant pour but de ne pas être une organisation strictement étudiante. Ce comité est organisé depuis la réunion du premier Comité Printemps 2015 qui a été luimême organisé à la suite des mandats adoptés par l’Association Facultaire Étudiante des Sciences Humaines de l’UQAM (AFESH) et l’Association Facultaire Étudiante de Science Politique et Droit de l’UQAM (AFESPED). Cependant, la très grande majorité des participants a bien précisé venir à titre personnel même s’ils font partie de multiples associations étudiantes ou syndicats. L’événement Facebook décrit l’initiative comme «une réunion destinée à l’organisation et à la planification des activités de l’ensemble du Printemps 2015, elle permet des discussions élargies et la coordination des comités locaux». Après le premier point à l’ordre du jour où chaque participant à la conférence est invité à décliner son identité, les modérateurs passent à un «état des lieux» au niveau syndical et au niveau des mobilisations contre l’austérité dans la région montréalaise. La plupart des interventions portent sur les suppressions de chargés de cours, ce qui a pour conséquence de réduire l’offre de cours (qui touche surtout les sciences sociales) mais aussi leur qualité. Une membre de l’Association of Graduate Students Employed at McGill (AGSEM) intervient: elle rappelle tout d’abord la coupe de cent chargés de cours l’année dernière. Elle souligne en particulier que l’AGSEM a revendiqué une augmentation de postes et d’heures d’enseignements par individu. Les syndicats d’auxiliaires étudiants ont été en grève deux fois et ont réussi à obtenir des concessions de la part de l’administration. Elle annonce donc une grève probable le semestre prochain. Les principales conclusions de la réunion concernent le rôle et le fonctionnement du Comité Printemps
2015 ainsi qu’un objectif qui est de «s’organiser et se donner les moyens de s’organiser». Ras-le-bol Le Comité Printemps 2015 souhaite le lancement d’une campagne contre l’austérité qui s’articule autour de deux axes: le premier concerne la lutte contre l’austérité en santé, en éducation et dans les services sociaux. Le deuxième concerne les droits syndicaux (lutte contre la réouverture des conventions collectives, l’attaque contre les régimes de retraites et contre les lois spéciales). Il souhaite entre autres que le discours de la campagne pose le problème de l’austérité, «non pas comme une fatalité mais bien comme un projet idéologique de démantèlement des services publics». Enfin, le comité souhaite que ces revendications soient posées comme un ultimatum au projet d’austérité et comme une menace d’une grève reconductible en 2015. Cette réunion semble s’inscrire dans une tendance assez large d’un ras-le-bol à l’égard des compressions budgétaires qui touchent les universités québécoises. Jean-François Nadeau, journaliste au Devoir, parle de «coups de marteau déguisés en politique publique» dans un article datant du 6 octobre. Le 15 octobre 2014, le président de la Fédération étudiante universitaire du Québec (FEUQ), Jonathan Bouchard, a dénoncé la nouvelle série de compressions dans les budgets 2014-2015 en cours dans les universités qui seraient victimes des choix du gouvernement libéral dans un communiqué de presse. Le même jour, la Fédération québécoise des professeures et professeurs d’université (FQPPU) réclame la levée des compressions et du gel des effectifs pour «éviter un désastre assuré». Cette dernière souligne que les mesures d’austérité contre les universités mettent en péril la viabilité et la qualité des programmes universitaires, entrainant une réduction de l’encadrement pédagogique ainsi qu’une suppression de cours et de services aux étudiants. Cette levée de boucliers contre les coupures dans les universités (allant jusqu’à 172 millions de dollars selon M. Bouchard) s’inscrit donc dans un mouvement général d’opposition contre les mesures d’austérité dans les milieux syndicaux. Beaucoup d’étudiants présents à la réunion du 9 octobre ont prévu de se rendre à la manifestation contre les mesures d’austérité du 31 octobre prochain
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lancée par la Coalition opposée à la tarification et à la privatisation des services publics. Le Comité Printemps 2015 confirme à ce jour la venue de plus
de 14 000 participants sur son site Internet. La mobilisation semble être forte du côté des syndicats et, comme l’indique le nom de leur comité, ils n’hési-
teront pas à lancer un nouveau «Printemps» de manifestations en cas de poursuite de la politique actuelle par le gouvernement. x
luce engérant
brève
Un outil pour évaluer l’impact du Plan Nord. Any-pier dionne
Le Délit
L
a principale et vice-chancelière de l’Université McGill, Mme Suzanne Fortier, le recteur de l’Université Laval, M. Denis Brière, le recteur de l’Institut national de la recherche scientifique (INRS), M. Daniel Coderre, et le ministre de l’Énergie et des Ressources naturelles et ministre responsable du Plan Nord, M. Pierre Arcand, ont annoncé, le mercredi 15 octobre dernier, la création de l’Institut nordique du Québec, qui coûtera trois millions de dollars sur trois ans. Le Plan Nord est un projet ambitieux initié par Jean Charest en 2011 pour développer, selon lui, «le potentiel économique, minier, énergétique, social, culturel et touristique du territoire [nordique de façon]
responsable et durable». Cet institut de recherche interdisciplinaire mettra à profit le savoir de chercheurs des universités Laval et McGill et de l’INRS, en plus de faire appel aux «connaissances traditionnelles» des communautés du Nord, soutient M. Denis Brière. Selon Madame Fortier, «l’Institut servira de carrefour intégrateur aux chercheurs des universités fondatrices ainsi qu’aux représentants du secteur privé». Cette initiative s’inscrit dans le cadre du projet de relance du Plan Nord que le gouvernement Couillard rendra public en novembre ou en décembre. Le ministre Arcand admet que «le niveau de connaissance du territoire» ne permet actuellement pas de développer le «plein potentiel» du Nord dans le plein respect de l’environnement et des communautés nordiques. Malgré
cette méconnaissance du territoire et l’impact environnemental qu’un projet d’une telle envergure implique, le gouvernement fait miroiter des profits estimés à 80 milliards de dollars d’investissements publics et privés dans les 25 ans à venir et attend 14 milliards de dollars de retombées d’ici 2036. Dans le dossier Cacouna, un projet de forage dans le Bas St-Laurent, les enjeux environnementaux ne semblent pas avoir pesé lourd dans la balance face aux retombées économiques promises. La Cour Supérieure du Québec a ordonné en septembre la suspension des activités de forage de TransCanada, donnant ainsi raison aux groupes environnementaux qui remettent en question la légitimité du permis que le ministre de l’Environnement avait accordé à la compagnie pétrolière. x
actualités
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Société
enquêtes
societe@delitfrancais.com
matilda nottage
Retrouver le Nord Les régions du Nord québécois et canadien, mines d’or professionnelles. any-pier dionne
Le Délit Que l’on souhaite y faire carrière ou simplement y acquérir une précieuse expérience de travail, le Nord québécois et le Nord canadien recèlent d’occasions en or pour les étudiants et les nouveaux diplômés. Le Délit tente de faire la lumière sur les nombreuses opportunités professionnelles qu’ofrent ces territoires éloignés. Tremplin professionnel En entrevue avec Le Délit, l’étudiant mcgillois Jean Picotte, qui a efectué un stage comme coordonnateur des ressources humaines au ministère de la Justice du Nunavut, et Alexandre Burelle, ex-Mcgillois qui est présentement ingénieur junior de production minière pour Glencore Mine de Matagami (une ville située au nord du Québec en Jamésie), vantent tous deux le Nord comme tremplin professionnel. Outre les salaires plus élevés que la moyenne, l’autonomie et les possibilités d’avancement rapide attirent de nombreux travailleurs avides de faire avancer leur statut professionnel en accéléré. Jean Picotte souligne qu’un nouveau diplômé qui entreprend sa carrière au gouvernement du Nunavut, par exemple, «commence en milieu de carrière [plutôt] qu’au bas de l’échelle» dès son entrée en fonction. Alexandre Burelle mentionne qu’après une année seulement en poste, il est déjà «une des personnes les plus expérimentées [de son] département».
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En efet, compte tenu de la faible population des territoires nordiques, les diplômés universitaires originaires de la région ne suisent pas à combler les besoins, et la «pénurie de maind’œuvre qualiiée» qui en résulte, selon Alexandre Burelle, permet aux jeunes de se tailler une place de choix dans les rangs d’une organisation. Le professeur Jim Howden, aujourd’hui directeur du programme d’éducation des Premières Nations et des Inuits au Département d’études intégrées en éducation (Departement of Integrated Studies in Education) à l’Université McGill, a commencé sa carrière comme enseignant au secondaire en 1980 à Salluit (un village nordique du Nord-duQuébec), avant d’occuper les postes de directeur puis de consultant pédagogique: un cheminement accéléré que les besoins criants dans la commission scolaire de la région ont rendu possible. Dans divers domaines, les opportunités abondent pour les récents diplômés même sans expérience professionnelle, conirme Jean Picotte; mais il faut faire preuve de débrouillardise et de polyvalence, et surtout être prêt à accepter la diférence, soutient le professeur Howden. «Superboom» d’ opportunités Le «superboom» qui découle du Plan Nord lancé en 2011 ne s’essoule pas. Beaucoup d’emplois ont été créés et de nouveaux s’ajouteront à la liste pour les années à venir. Alexandre Burelle
conirme que l’industrie minière en particulier regorge d’opportunités attrayantes. L’ex-mcgillois a d’ailleurs eu l’opportunité d’efectuer un stage dans le Nord dans le cadre de ses études en génie minier, ce qui lui a permis de décrocher ensuite un emploi permanent dans la région. Les gouvernements des trois territoires embauchent également de jeunes diplômés universitaires. Jean Picotte airme qu’il est relativement facile d’obtenir un emploi relié à ses études: le gouvernement du Nunavut, par exemple, cherche présentement à pourvoir des postes dans les secteurs de la santé, de l’environnement, de l’éducation, des inances et de la justice. Le Département d’études intégrées en éducation de l’Université McGill a un partenariat avec la Commission Scolaire Crie (Cree School Board) qui ofre la possibilité aux étudiants de faire un stage d’enseignement dans une communauté crie ou inuite. En plus des postes à combler en enseignement, les commissions scolaires qui desservent le Nord emploient des travailleurs de soutien. La commission scolaire Kativik par exemple — qui compte 14 écoles sur le territoire du Nunavik — recrute présentement pour des postes de conseillers pédagogiques, coordonnateur du soutien scolaire, cuisinier, magasinier, secrétaire, technicien en administration et traducteur inuktitut. Les stages restent toutefois diiciles à obtenir dans la plupart des domaines, notamment à cause
de la «pénurie de logements», indique-t-on chez Solutions Nursing, une entreprise québécoise de formation, de recrutement et de placement de personnel inirmier. Cette situation fait gonler les prix et rend diicile l’hébergement de stagiaires à court terme. Toutefois, les candidats qui postulent à un emploi permanent bénéicient souvent du soutien de l’employeur pour le logement. La commission scolaire Kativik, par exemple, propose un «logement subventionné pour un loyer de 120$ à 228$ par mois électricité et chaufage inclus», tandis que l’entreprise qui emploie Alexandre Burelle l’héberge «dans une maison appartenant à la compagnie en échange d’une déduction salariale très modeste». Lors de son passage à l’émission Tout le monde en parle le 5 octobre dernier, le ministre des Ressources naturelles Pierre Arcand a rappelé que «le Plan Nord est avant tout un déi d’infrastructures»; il reste qu’on trouve des ofres pour tous types d’emplois et de qualiications qui rejoignent tous les candidats «motivés et prêts» à vivre l’aventure du Nord, airme Yannick Plante, président d’Alizés RH (partenaire du portail d’emploi Job Nord Québec). Rester? Certains prennent la route du Nord dans l’optique de gagner une longueur d’avance dans leur carrière grâce à l’autonomie, aux responsabilités accrues et aux possibilités d’avancement rapide ofertes pour ensuite revenir dans leur région
natale et obtenir de meilleurs postes. Mais d’autres choisissent de s’y établir et d’y faire carrière. Dans tous les cas, un séjour professionnel dans une région nordique se prépare. Il faut généralement poser sa candidature tôt, mais surtout, comme le souligne Jean Picotte, il faut prendre le temps de s’informer sur la région et sur les conditions de vie et de travail, question de se faire une idée réaliste de l’expérience envisagée. Les excellentes conditions de travail et les salaires compétitifs peuvent être aveuglants, mais le froid, l’isolement et souvent même l’absence de routes terrestres, le manque de lumière en hiver et, au contraire, l’excès de lumière en été, en rebutent plus d’un. Il faut également prendre en considération l’éloignement des proches. Toutefois, Alexandre Burelle souligne l’accueil chaleureux de sa communauté d’adoption, des gens «ouverts et sociables»; et Jean Picotte mentionne la présence d’un réseau de jeunes professionnels qui organise des activités sociales chaque semaine dans la capitale du Nunavut, ce qui permet de tisser de nouveaux liens. Pour nos trois témoins du Nord, la simplicité de la vie, la liberté qu’ofrent les grands espaces et la beauté des paysages vierges, en plus des nombreuses activités de plein air, sont autant d’attraits séducteurs. Alexandre Burelle avoue que le Nord n’est «clairement pas […] pour tous», et qu’il importe donc «d’être honnête avec soi-même» et de bien peser le pour et le contre avant de se lancer dans l’expérience.x
le délit · le mardi 21 septembre 2014 · delitfrancais.com
La place du patient, le rôle du médecin Des spécialistes montréalais s’interrogent sur la diférence entre soigner et guérir. gwenn duval
Le Délit
D
ans le serment d’Hippocrate, que prêtent tous les médecins lorsqu’ils entrent officiellement dans la profession en Occident, on peut lire: «Dans toute maison où je serai appelé, je n’entrerai que pour le bien des malades.» Profession prestigieuse, la médecine est aujourd’hui définie comme «science et art du diagnostic, du traitement et de la prévention des maladies humaines» par l’Office québécois de la langue française. Chaque définition offre une conception différente du rôle de médecin. De l’homme au service des Hommes au scientifique combattant la maladie, du soigneur antique au guérisseur moderne; comment le métier de médecin a-t-il évolué pour en arriver à ce qu’il représente aujourd’hui? Les textes des médecins d’Égypte ancienne, des Hébreux ou de Chine n’ayant pas été conservés, on attribue traditionnellement les débuts de la profession à la Grèce du siècle de Périclès (5e av. J.-C.). À McGill, dans le cours de «La santé et le guérisseur dans l’Histoire occidentale» («Health and the Healer in Western History») on apprend que c’est d’abord à Athènes qu’il aurait été possible pour des médecins de vivre des revenus de cette pratique qui, ainsi, se professionnalisait. Le serment d’Hippocrate, auquel on attribue encore aujourd’hui une grande importance morale, aurait été rédigé à peu près à cette époque. Graham Shipley, dans l’ouvrage The Greek World (Le Monde grec), affirme que la médecine, encore plus que les autres sciences, était étroitement liée au contexte politique et culturel et rappelle toutefois la vocation humaniste liée à la profession, peut-être un peu amplifiée dans le célèbre serment. Il a d’ailleurs été sérieusement remis
en cause par certains historiens comme David Wooton dans Bad Medecine (Mauvaise Médecine). Un métier de statut Il semble que le point charnière de la médecine se situe dans la relation entre les patients et les médecins. Le métier ne se dissocie pas d’une forme certaine de prestige, qui, aux yeux de certains, est fortement problématique. Marc Zaffran, romancier et essayiste mieux connu sous le nom de Martin Winckler, qui a été médecin de famille et en santé des femmes en France de 1983 à 2008, a accordé une entrevue au Devoir le 14 octobre dernier dans laquelle il déclare: «C’est une profession de statut, une élite autoproclamée!». Le problème que soulève l’auteur de l’essai Le patient et le médecin paru en septembre aux Presses de l’Université de Montréal est la contamination de la relation de soin par une mise en place d’un rapport de force. Selon Marc Zaffran, l’un des problèmes se situe dans le fait que «se poser en sauveur, c’est se présenter, sinon comme tout-puissant, du moins comme plus puissant que le commun des mortels», écrit-il au chapitre intitulé «Du pouvoir médical» de son essai. Profession de prestige, la médecine a ses revers que les patients subissent parfois. Cependant, on ne peut réduire la vocation humaniste de la médecine aux problèmes de rapports de force. Certaines complexités sont liées aux changements du rôle des médecins au gré des circonstances de leur pratique. Soins ou science de la guérison? En entrevue avec Le Délit, Michel Duval, l’un des membres fondateurs de l’équipe
de soins palliatifs pédiatriques du CHU Sainte-Justine, explique la différence entre soigner et guérir, et l’évolution de ces principes au cours des dernières décennies. Comprenons ici soigner comme apaiser le patient et guérir comme délivrer le patient en faisant cesser sa maladie. Il affirme, «on guérit une maladie, on soigne un patient, c’est une distinction primordiale dans l’exercice de la profession. Pendant longtemps, la médecine ne permettait que très peu de guérisons; elle a commencé à être véritablement efficace au milieu du 20e siècle, avec l’arrivée de la vaccination et des antibiotiques. À partir de ce moment, les maladies ont commencé à être massivement guéries et la médecine a adopté une approche plus scientifique, s’écartant du soin. La génération de médecins qui a étudié dans les années 1980 apprenait le métier de technicien de la guérison plutôt que celui de soignant. C’est à ce moment que le SIDA fait son apparition et entraîne une prise de conscience de l’impuissance de la médecine. C’est un moment charnière pour la remise en question de la médecine comme science de la guérison». Se développent alors les soins palliatifs (des traitements qui n’agissent pas directement sur la maladie, mais qui visent à soulager le patient). Ainsi, après avoir pu se transformer en guérisseurs grâce aux progrès scientifiques du siècle dernier, les médecins se retournent depuis peu vers leur rôle de soigneur. Du côté anglo-saxon, le pionnier des soins palliatifs, Balfour M. Mount, avait déjà entrepris, dès 1970, au Centre universitaire de santé McGill, une étude faisant un état des lieux
de la fin de vie. Cette branche de la médecine est, selon le docteur Duval, le réinvestissement des soins qu’il manque au «technicien de la guérison». La pratique des soins palliatifs porte des intentions beaucoup plus humbles que celles prêtées aux anciens sauveurs tout-puissants.
«On guérit une maladie, on soigne un patient.» Au 21e siècle, les médecins se confrontent aux limites de la guérison garantie. Des patients atteints de maladies incurables séjournent pendant longtemps dans les hôpitaux. Certains d’entre eux sont des personnes âgées auxquelles il faut prodiguer des soins sans espoir de guérir une maladie, d’autres sont de jeunes gens qui ne pourront pas s’en sortir ou bien dont la maladie très grave sera transformée en une maladie simplement grave. Le docteur Duval donne l’exemple d’«une leucémie mortelle qui, après une greffe de moelle, laisse au patient une maladie immunitaire sévère.» Certaines maladies ne se guérissent que partiellement et mettent en évidence l’importance de ne pas oublier de prendre soin des malades. Concilier éthique et progrès scientifique
gramme «Whole Person Care» («Traitement de toute la personne») à McGill, proposant l’enseignement d’une discipline tournée vers l’empathie, la compassion et les objectifs d’une médecine de la personne et non plus uniquement des maladies. À l’Université de Montréal, un programme de partenariat de soins et de services entre les intervenants et avec le patient existe depuis 2008. Le guide d’implantation du programme indique qu’«il ne s’agit plus uniquement de prescrire, ni même d’informer ou de tenir compte des besoins du patient. Il s’agit [plutôt] de l’impliquer dans son processus de soins, de l’accompagner dans le développement de ses propres compétences et connaissances afin qu’il puisse prendre des décisions éclairées relativement à son traitement et à ses soins et d’augmenter progressivement sa capacité d’autodétermination». La dichotomie entre les scientifiques qui guérissent et les humanistes qui soignent ne semble pas être l’essence immuable de la médecine. Pour preuve, les nouveaux programmes mis en place sont autant de tentatives pour faire cohabiter les deux approches dans un même mouvement de progression vers une médecine plus à l’écoute des patients. Cela malgré les progrès scientifiques qui tendent, dans certains cas, à dépersonnaliser les rapports humains. x
À Montréal, l’enseignement évolue et se tourne aussi vers le soin. En 2007, le Docteur Balfour M. Mount crée le pro-
LISA ELNAGAR
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société
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Points de vue opinion
Servir et protéger? Suite au regain des agressions dans les taxis, la réaction du SPVM fait debat. Chloé francisco
U
ne jeune montréalaise a été agressée par un chaufeur de taxi en in de semaine dernière. C’est le 17e incident de ce type cette année. Selon Ian Lafrenière, le commandant du Service de Police de la Ville de Montréal (SPVM), interviewé par Le Devoir, en 2013, 29 agressions sexuelles ont été reportées par des passagères et trois chaufeurs ont été arrêtés. Sachant que seulement une minorité de victimes dépose une plainte, ces chifres ont de quoi inquiéter. Mais outre cette vague d’agressions, ce sont surtout les recommandations du SPVM qui ont fait débat. Les autorités conseillent aux jeunes femmes de ne pas prendre un taxi seule et de «limiter leur consommation d’alcool et rester en contrôle». Il est bien connu que lorsqu’on a bu il est préférable de prendre sa voiture, ou de rentrer seule à pied au milieu de la nuit… La majorité des médias s’indigne de ces recommandations qu’ils jugent sexistes et accusent la police de blâmer à tort les victimes. Pour d’autres, ces consignes relèvent simplement du bon sens. Ils soutiennent que dans un monde parfait les femmes devraient être
libres de circuler comme elles veulent; mais qu‘étant donné la réalité il faut s’adapter. Aujourd’hui les femmes s’adaptent déjà: elles prennent un taxi car il s’agit de l’option la plus sécuritaire pour elles. Mais si l’on pousse ce raisonnement à l’extrême, «s’adapter» équivaudrait à ne plus rentrer en taxi, ne plus sortir de chez soi sans être accompagnée (d’un homme), et il ne nous resterait plus qu’à rester cloitrées chez nous le samedi soir. Nous avons atteint ici les limites de notre capacité «d’adaptation aux risques». Au lieu de nous focaliser sur ce que devraient faire les victimes, il serait temps de se retourner et d’examiner ce qui ne va pas de l’autre côté: du côté des agresseurs, du côté des services d’ordre et de sécurité – qui sont censés protéger les citoyennes au lieu de leur laisser la responsabilité de leur sécurité – , du côté des discours ambiants qui considèrent cette situation comme une réalité injuste mais inévitable. Des recommandations comme celles du SPMV détournent l’attention du vrai problème: au lieu de se demander comment prévenir les agressions eicacement et condamner leurs auteurs, on se concentre sur les eforts à faire de la part des victimes.
luce engerant
Une réaction plus appropriée aurait été de trouver des solutions pour améliorer la sécurité des passagers à l’intérieur même de la voiture de taxi. Montréal n’exige pas encore la vériication des antécédents criminels de ses chaufeurs de taxi, contrairement à Vancouver, Halifax ou Edmonton; malgré une demande du Bureau du Taxi pour l’application de la loi stipulant qu’aucune personne avec des antécédents criminels ne peut détenir de licence. Une autre réponse utile aurait été, par exemple, d’installer des caméras dans les taxis. Une mesure bientôt obligatoire annoncée par le maire Denis Coderre en juin dernier.
Mais le problème se situe audelà des réactions pratiques. À une plus grande échelle, nous devrions nous demander: pourquoi des chaufeurs pensent pouvoir agresser leurs jeunes passagères en toute impunité? C’est en partie car nous sommes entourés de discours comme celui du SPVM, qui répandent l’idée qu’il est de la responsabilité des femmes de ne pas tenter leurs agresseurs. Si l’on en vient à considérer que prendre un taxi seule relève d’un comportement inconscient et dangereux, c’est qu’il y a un dysfonctionnement dans notre raisonnement et notre normalisation des risques. Changer ces discours et ne plus entretenir la culture du viol est certes un processus plus
long, plus complexe, pour lequel nous n’avons pas de consignes toutes faites et qui contraste avec les recommandations pragmatiques et immédiates des autorités. Mais c’est aussi le seul moyen d’endiguer ce problème eicacement. Adapter son comportement aux risques, aussi injustes soient-ils, paraît certes censé et eicace dans l’immédiat. Cependant sur le long terme il n’est plus possible d’exiger des victimes qu’elles s’adaptent indéiniment et qu’elles restreignent leur liberté, sans par ailleurs s’attaquer aux causes de ces risques. Ces causes, rappelons-le, ne sont pas le comportement des victimes, mais le système qui encourage celui des agresseurs. x
McTavish: À quand la fin? L’inquiétante lenteur des travaux. mathilde fronsacq
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es feuilles des arbres jaunissent et tombent les unes après les autres, les averses sont de plus en plus fréquentes, tandis que les rayons du soleil deviennent de moins en moins puissants et que les températures ne cessent de baisser. Cela ne peut signiier qu’une chose: l’automne est en train de se retirer pour laisser place à l’hiver. Le cycle des saisons est en marche, il est naturel, sans surprise, et certains ne prêtent alors pas attention au drame qui se proile: cette année, les choses sont diférentes. Cette année, la rue McTavish ressemble à un champ de bataille et depuis le mois de septembre nous nous escrimons à faire de grands détours pour contourner les nombreux obstacles éparpillés tout le long de la rue.
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société
Déjà en septembre c’était assez pénible de devoir prévoir au moins cinq minutes pour simplement traverser la rue, alors imaginez ce qu’il en sera en hiver. Imaginez la neige qui tombe et qui vous aveugle, le vent glacial qui vous empêche d’avancer et le verglas qui rend la chaussée dangereusement glissante alors que vous essayez de remonter la rue McTavish au mois de décembre. Efrayant, non? Je dois avouer que lorsque j’ai vu les constructions sur la rue McTavish pour la première fois, j’étais convaincue que l’administration de McGill avait gentiment pensé à nous et nous ofrait, pour Noël, un beau tunnel souterrain sous la rue McTavish jusqu’au bâtiment Stuart Biology (oui, j’étais une nouvelle étudiante assez naïve en septembre). Pour ce merveilleux raccourci, j’étais prête
à supporter les bruits, la poussière et les détours des constructions. Puis j’ai appris qu’il n’y aurait pas de tunnel souterrain (soupir): les travaux étaient simplement là pour réparer les vieux tuyaux d’eau défaillants, qui avaient causé les inondations de 2012 et 2013. Mais je ne me suis toujours pas révoltée. Après tout, il valait mieux endurer encore quelques semaines de travaux si cela pouvait prévenir de nouvelles inondations et surtout m’éviter d’être la prochaine «flood girl» (cette étudiante mcgilloise emportée par les lots des inondations sur McTavish en 2013, et dont la cote de popularité ne faiblit pas sur les réseaux sociaux). Maintenant c’en est trop. Je me rends compte que j’ai été bien assez indulgente à l’endroit des travaux de la rue McTavish. Vous pouvez appeler ça de la naïveté, de l’innocence, de la bêtise
ou de la connerie, il n’empêche qu’aujourd’hui j’ai envie de dire tout haut ce que tout le monde pense tout bas et de faire savoir à l’administration à quel point les constructions sur McTavish sont une nuisance pour les étudiants, et que cela ne va cesser d’empirer avec l’approche de l’hiver. J’ai envie de parler des migraines causées par le bruit des travaux qu’on entend en permanence même pendant nos conférences dans le bâtiment Leacock, de ces ouvriers qui nous donnent l’impression d’être des criminels lorsque nous voulons traverser leur chantier sur les passages piétons improvisés, de ces tuyaux, ces planches et ces poteaux sur la rue McTavish qu’il faut éviter tous les jours. Je me plains aujourd’hui ouvertement des travaux de la rue McTavish parce que je n’ai pas envie qu’un énième report de la in
des constructions soit annoncé, et qu’on se retrouve au mois de décembre avec la rue McTavish toujours barrée. Il est facile de s’imaginer que le chantier serait ensuite ralenti, voire arrêté à cause de la neige, puis pendant la période des fêtes. Donc tout ce que je demande à McGill comme cadeau pour Halloween (prenons la première fête qui vient, je ne pense pas pouvoir patienter jusqu’à Noël), c’est simplement une rue McTavish normale, sans bulldozers, sans bruits de tôle et de machines, sans ouvriers qui crient et surtout sans barrières qui nous empêchent de traverser la rue le plus rapidement et eicacement possible. Je suis prête à renoncer à mon «tunnel McTavish» qui me tenait pourtant à cœur, si je peux traverser la rue en moins de deux minutes avant la première neige!x
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économie
europe
Entrer en économie de marché La Slovénie: «le bon élève des pays des Balkans». Olivier Pasquier
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a Slovénie? Ça doit se trouver quelque part en Europe! Difficile de localiser cette petite économie sur une carte. Seulement, le cas slovène démontre parfaitement le passage d’une économie planifiée à une économie de marché. Alors, commençons par une brève révision géographique et historique. La Slovénie est un pays situé sur le continent européen, entre l’Italie et la Croatie, dans le prolongement des Alpes autrichiennes, et bordé par la mer Adriatique. Ce petit pays de 20 273 km2 et peuplé de seulement 2 millions d’habitants suscite peu d’intérêt sur la scène mondiale et, pourtant, son potentiel est énorme. Le pays acquiert son indépendance de la Yougoslavie le 25 juin 1991 avant de rejoindre l’Union Européenne (UE) le 1 mai 2004 (puis d’adopter la monnaie européenne en 2007). Entre temps se joue un changement considérable puisque le pays passe d’une économie planifiée à une économie de marché. Très vite, la croissance économique arrive avec un PIB (Produit Intérieur Brut) qui grimpe de 3 à 7% par an entre 1993 et 2008. S’ensuit un taux de chômage faible avoisinant les 6% avant la crise (l’un des plus faibles de l’UE), une industrialisation rapide et un pays qui passe rapidement de statut d’emprunteur à celui de contributeur de la Banque Mondiale. De plus, l’entrée dans l’Union Européenne a permis au pays de bénéficier des fonds de développement FEDER (235 millions d’euros de fonds en 2004) donnant la possibilité au pays de consolider son économie et ses infrastructures. La crise questionne Cependant, la crise financière de 2008 n’épargne pas la Slovénie. Leur PIB est parmi ceux qui ont baissé le plus dans la zone OCDE en 2009 (-8% environ); soit une chute monumentale. Malgré un bref espoir de reprise en 2010 (+1.2%) et 2011 (+0.6%), le pays repart sur une pente régressive en 2012 (-2.3%), confirmée en 2013 (-1.6%). À cela s’ajoute un chômage de 10.9% en 2013, bien audessus des années d’avant crise. L’époque glorieuse d’une forte croissance semble révolue et le pays fait actuellement face à de nombreux problèmes: le déficit
du système des retraites, un système universitaire de bon niveau mais une durée trop longue et une dépendance criante face aux énergies fossiles. Assurer le financement des retraites La part des retraites dans le PIB devait passer de 11% en 2010 à 20% en 2060 mais une réforme exigée par l’UE et engagée par
(7 ans en moyenne contre 3 pour la Grande-Bretagne). La cause? Les taux de réussite sont bas par rapport aux autres pays de l’UE. Une réforme en cours prévoit de restructurer les financements des études avec des frais et prêts associés annexés sur le revenu des foyers pour d’une part augmenter les revenus, et d’autre part rendre le système plus équitable. Ce léger endettement des étudiants les rendrait plus
Mais le pétrole et le gaz occupent une place non négligeable. Le nucléaire représente 35.1% de la production énergétique (une source nécessitant un apport d’uranium de l’étranger). Ces trois dernières ressources n’étant pas extraites sur place, le pays dépend des cours du baril pour sa production énergétique. L’énergie semble donc causer des problèmes, sachant que le pays s’est engagé à intégrer 20%
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Alenka Bratusek (ex-présidente du gouvernement avant de céder sa place le 18 septembre 2014 à Miro Cerar) prévoit que ce taux soit de 18% en 2060. L’objectif est donc de permettre au pays de rétablir l’état de ses finances publiques pour atteindre un équilibre budgétaire, très impacté durant la crise. En 2009, année noire sur le plan économique, le déficit des administrations publiques atteint 5.9% du PIB. Ainsi, l’OCDE proclame que «la crise a révélé d’importantes faiblesses dans l’économie slovène».
réceptifs aux signaux du marché du travail pour leur permettre d’achever plus rapidement leurs études. Une politique qui permettra également une diminution des dépenses publiques en ces périodes d’économies budgétaires. Une amélioration en vue donc, qui viendrait ajouter au marché du travail du personnel qualifié, permettant un bon entretien des infrastructures et un fonctionnement de l’appareil industriel encore plus performant. Passer à l’hydroélectrique
La réforme de l’éducation supérieure La Slovénie possède un atout de taille: une main d’œuvre de bon niveau. Mais au-delà d’un bon système universitaire, les étudiants slovènes mettent trop de temps à terminer leurs études, freinant l’arrivée des jeunes sur le marché du travail. L’OCDE classe le pays comme celui de l’UE où la durée des diplômes universitaires est la plus longue
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Cependant, nulle industrie ne peut exister sans énergie! La clef du développement économique est donc un approvisionnement énergétique bien géré, stable et compétitif. Aujourd’hui, une large part de la production électrique provient des énergies fossiles (36.1%). Cela inclut principalement le charbon, ressource peu coûteuse à exploiter et abondante dans les sols slovènes, quoique très polluante.
d’énergies renouvelables dans la consommation énergétique globale d’ici 2020 dans le cadre de la réduction des gaz à effets de serres. Le pays possède une ressource très largement marginalisée: l’énergie hydroélectrique (26.1% dans la production électrique). Or les Alpes slovènes sont propices à de nombreux sites et cette source d’énergie est en pleine croissance (+10.2% en 2011-2012). Les Alpes slovènes, encore enclavées par endroits, sont peu exploitées et le pays est l’un des rares au monde ayant le potentiel permettant de produire 100% de son électricité grâce aux barrages. De plus, une mine de charbon, de par sa haute automatisation, emploie peu de main d’œuvre pour assurer son fonctionnement. Un barrage, unité de production de haute technicité, requiert de nombreux ouvriers et ingénieurs pour assurer une production optimale. Un argument de taille dans le cadre de la création d’emplois et de la lutte contre le chômage. Une piste à développer donc, sans oublier
l’argument économique: aucune dépendance au cours du brut et du gaz, indépendance énergétique et une contribution positive au climat de la planète. Vers la réindustrialisation L’économie slovène s’est progressivement «tertiarisée» depuis l’indépendance en 1991. En 2013, les services représentaient 65.9% des emplois avec une croissance de 1.3% par an. La croissance du secteur industriel est de 1.9% en 2013 et sa contribution à l’emploi est de 31.6% (avec une moyenne de 28.7% pour l’UE). Le pays semble se diriger vers une réindustrialisation. Cependant, la Slovénie peine encore à produire des biens à haute technicité, ce qui permettrait d’exporter des produits finis à forte valeur ajoutée et de contribuer à rééquilibrer son déficit commercial de 1.22 milliard d’euros en 2008. Il semblerait donc qu’il faille rééquilibrer les secteurs d’activités, à l’avantage de l’industrie de pointe.
au-delà d’un bon système universitaire, les étudiants slovènes mettent trop de temps à terminer leurs études La Slovénie a réussi à sortir rapidement de son statut de pays communiste. Malgré la crise de 2008 et ses conséquences, nombreux sont les atouts du pays (faible démographie, bonne situation géographique) qui permettent d’envisager un retour de la croissance et un développement «vert» envié par ses voisins. Le petit état slovène a à sa tête, en la personne de Miro Cerar, un «euro-phile» convaincu, qui souhaite se rapprocher des institutions de Bruxelles et qui a su créer les bases d’une industrie performante et équilibrée. Il semblerait que le pays ait de beaux jours devant lui et que «le bon élève des pays des Balkans» (comparé à une Serbie ravagée par la Guerre du Kosovo et une Croatie dépendante du tourisme) soit une appellation méritée. x
économie
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Culture articlesculture@delitfrancais.com
exposition
gracieuseté du mbam
L’expressionisme s’invite à Montréal Le Musée des beaux-arts de Montréal dévoile une exposition exceptionnelle. arthur corbel
Le Délit
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e mardi 7 octobre, devant une foule de journalistes, Nathalie Bondil, directrice et conservatrice en chef du Musée des Beaux-arts de Montréal (MBAM), a dévoilé l’exposition tant attendue «De Van Gogh à Kandinsky», qui retrace la naissance de l’expressionisme. Détaillant les liens artistiques entre l’Allemagne et la France de la Belle Époque, de 1900 à 1914, l’exposition permet de comprendre les origines d’un mouvement qui marquera l’Europe tout au long du 20e siècle. Timothy O. Benson, conservateur du Robert Gore Rikind Center for German Expressionist Studies au LACMA (Los Angeles County Museum of Art), à qui l’on doit en grande partie cette exposition, le dit lui-même: «La nature de l’expressionisme est compliquée, même pour moi qui suis censé être expert en la matière». Tentons de la comprendre.
Cette exposition est l’un des plus beaux rendezvous artistiques montréalais du moment Les relations artistiques franco-allemandes sont alors très fortes, comme le symbolise «l’académie Matisse», un des principaux
lement une des caractéristiques de l’expressionisme allemand. Cette libération se ressent aussi dans l’esthétique du «Brücke», comme dans les tableaux de Kirchner, un des artistes les plus importants du mouvement, très présent dans cette exposition. Un grand travail sur la libération de la forme apparaît également dans ces deux groupes. Après ces premières salles déjà remplies de chefs-d’œuvre, la déinition de l’expressionisme semble s’éclaircir un peu. Les magniiques Faaturuma de Gauguin, Académie bleue de Matisse, Le Corsage rayé de Vuillard, et un autoportait de
la sphère, le cône, le tout mis en perspective, soit que chaque côté d’un objet, d’un plan, se dirige vers un point central.» C’est le point de départ du mouvement: en travaillant les formes géométriques, les artistes ne se doivent plus de représenter la réalité comme ils la voient: c’est la libération de la forme. Sous l’impulsion d’artistes présents en France, comme Picasso et Braque, le cubisme prend une importance capitale sur la scène picturale, et, par extension, culturelle. L’exposition présente de magniiques œuvres issues de ce mouvement, notamment un
Alexis de chaunac
Le premier achat d’un tableau de Cézanne a été fait par un musée allemand!
L’influence du postimpressionnisme La première salle permet au visiteur de visualiser le contexte historique du mouvement: des photographies montrent le Paris de la Belle Époque, en pleine efervescence culturelle et artistique grâce à l’Exposition universelle de 1900. Dans les salles suivantes, l’inluence du postimpressionnisme est tout de suite soulignée. Ce style assez lou est déini par les mouvements qui ont suivi l’impressionnisme, qui en ont divergé et qui s’y sont parfois opposés. On compte comme représentants importants Gauguin, Cézanne, mais surtout Van Gogh. Ces artistes, tous représentés dans l’exposition, ont eu une grande importance en Allemagne. Un exemple marquant: le premier achat d’un tableau de Cézanne a été fait par un musée allemand! En efet, Hugo von Tschudi, directeur de la Nationalgalerie de Berlin, procède à cet achat en 1897.
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Culture
jusqu’ici. Grâce à l’organisation instructive de l’exposition, le visiteur comprend clairement comment quinze années ont pu mener à ces ultimes chefs-d’œuvre (Au Délit, coup de cœur pour Sans titre, Improvisation III). Inluencé par les mouvements qui l’ont précédé, Kandinsky (créateur de la première œuvre considérée comme abstraite, en 1910) superpose les lignes et les couleurs de façon beaucoup plus libre qu’au début du siècle, ce qui donne lieu à des tableaux très puissants. Le visiteur peut alors beaucoup mieux comprendre la déinition théorique de l’expressionisme, dont le jeu sur les formes et les couleurs déforme la réalité, permettant d’exprimer des sensations de manière expressive, beaucoup plus forte.
creusets artistiques franco-allemands. Il ne faut alors pas s’étonner que, sous l’inluence du postimpressionnisme, deux mouvements se développent en même temps: le fauvisme en France, dont Matisse est le chef de ile, et «Die Brücke» («le pont») en Allemagne, le premier grand mouvement expressionniste outre-Rhin. Le fauvisme est notamment marqué par la libération de la couleur, qui est éga-
Van Gogh, méritent une attention toute particulière parmi ces premières toiles. Cubisme, libération de la forme et naissance de l’abstrait Les salles suivantes mettent les cubistes à l’honneur. Qu’est-ce que le cubisme? Le 15 avril 1904, Cézanne dit à Emile Bernard: «Traitez la nature par le cylindre,
Picasso, et la superbe Tour Eifel de Robert Delaunay. Le cubisme afectera les deux mouvements cités précédemment, mais également un nouveau, créé sous l’impulsion de Wassily Kandinsky, le «Blaue Reiter» («Le Cavalier bleu»). Les œuvres de Kandinsky, exposées plusieurs fois dans les dernières salles, sont particulièrement intéressantes pour comprendre le chemin parcouru
Cependant, l’exposition arrive à sa in, tout comme cette période de foisonnement artistique. Après la montée d’un fort nationalisme allemand, porté par des personnalités comme l’artiste Carl Vinnen, l’opinion se divise. Les œuvres françaises sont à la fois adulées par une partie de la population, et sévèrement rejetées par une autre. Le point d’orgue de cette profonde animosité est évidemment le 3 août 1914: l’Allemagne déclare la guerre à la France. Mais que cette triste conclusion ne décourage surtout pas de se rendre à cette exposition, qui reste, sans aucun doute, l’un des plus beaux rendezvous artistiques montréalais du moment. x
le délit · le mardi 21 septembre 2014 · delitfrancais.com
théâtre
«Ah Dieu! que la guerre est jolie» Quand le Player’s Theater rend hommage aux soldats de 14-18. Joseph boju
gracieuseté du players’ theatre
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a Der des Ders — neuf millions de soldats morts et presque autant de civils — voilà le sujet que s’est choisi le Player’s Theater pour le deuxième spectacle de sa saison théâtrale. La pièce, intitulée Oh, What a Lovely War tombe à pic. Nous célébrons en effet cette année le centenaire de la première boucherie internationale du 20e siècle. Le sujet est vu, revu, épuisé. Tous les héros ont parlé, et pour preuve, on est même passé aux animaux. Après le Cheval de Guerre de Michael Morpurgo nous est venu le chien au Collier Rouge de Jean-Christophe Rufin. Au milieu des hommages cependant, il reste un éternel inconnu, c’est le soldat. Irlandais, Français, Prussien, Canadien ou Anglais, il est le personnage principal de cette pièce. Autour de lui gravitent officiers, généraux, maréchaux, munitionnettes, vendeurs d’armes et autres acteurs de la Guerre Totale. C’est pour lui que la metteure en scène anglaise Joan Littlewood prit
la décision en 1963 de monter une pièce à partir de chants et de situations authentiques des tranchées. C’est pour lui qu’une dizaine de Pierrots, boutonnés et fraisés selon la règle, prennent cette semaine d’assaut les planches, sous la direction de Connor Spencer. La troupe est joviale, attachante et festive. Le spectateur a à peine le temps de s’installer
qu’ils jouent et chantent déjà, accompagnés de trois musiciens. Un des Pierrots s’avance, il semble être le chef d’orchestre. On l’appelle Annie, comme dans la vraie vie ses amis l’appellent Annie Neil Choudhury. Avec l’exubérance due à son rang, il lance le spectacle — une série de saynètes de la Première Guerre mondiale, tirées de faits réels et rythmée par autant de chants
d’époques (des traditionnels du 20e siècle parodiés par les soldats). Tout est dit, ou presque: l’assassinat de François Ferdinand; le fol engrenage des alliances; la mobilisation; le front et l’arrière; l’enrichissement des uns et la misère des autres; l’incompréhension; la folie; le non-sens et la mort. On passe d’un camp à l’autre avec la rapidité d’un coup de Lee Enfield Mark III. Des cubes en bois, disposés ça et là, permettent de créer les décors nécessaires. Le rythme est bon, la performance est juste et l’on rigole avec ces pitres. On se moque allègrement de la situation, du caractère des peuples, allégorisés avec l’excès qu’il convient. Mention toute spéciale à la France, représentée par une Clara Nizard d’un snobisme et d’une arrogance inégalables et inégalées. Il faut dire qu’elle y va fort aussi, se prenant carrément à jouer en français dans cette pièce anglaise. Pardonnons-la, car elle n’est pas la seule; bientôt, c’est de l’allemand qu’en entend! Et c’est là toute la force de Oh, What a Lovely War: mélanger
les langues, les situations et les tonalités. Au second acte tenez, le satirique prend de la profondeur. Lors de la fameuse trêve de Noël 1914, les Anglais répondent de leur tranchée à la «StilleNacht» allemande par un joyeux «Christmas Day in the Cookhouse». Le feu reprend, plus grave que jamais, les Pierrots nous font dérailler. Peut-on rester de marbre lorsqu’on entend «Adieu la vie», chanson contestataire des mutins français de 1917? «Ah Dieu! que la guerre est jolie/Avec ses chants ses longs loisirs», Apollinaire avait tristement raison d’en médire. Puisque l’Histoire s’écrit, puisqu’elle est le fruit d’un discours officiel, justifiant toutes les incohérences et les atrocités — discours martelé dans les salles de classe jusque dans nos assemblées. Alors «Oh, What a Lovely War» joue un rôle capital. Comme Les Croix de Bois de Roland Dorgelès, comme C’était la guerre des tranchées de Jacques Tardi, elle permet de faire revivre la mémoire anonyme de milliers d’hommes dont le seul souhait était de rentrer à la maison. x
Le monstre en nous Le TNC présente Monster, véritable prouesse de mise en scène et d’interprétation. myra Sivaloganathan
Le Délit
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e Tuesday Night Café a dévoilé son premier spectacle de l’année, Monster, au Morrice Hall cette semaine. Ce projet est le fruit de deux ans de discussions et d’explorations, tandis que la production a commencé depuis seulement un mois. Laura Orozco et Dilan Nebioglu — les deux metteures en scène — se sont rencontrées en première année d’université, et partagent un grand intérêt pour les problématiques qui entourent la santé mentale. Avec ce spectacle, elles explorent les épreuves d’une jeune personne, mais aussi l’influence des parents sur la construction et le développement identitaire de leurs enfants. Monster emploie un ton noir et un humour pince-sans-rire. Adam, le narrateur, raconte les histoires de Janine, Mr. Boyle, Joe, Ron, Tina, Al, et de plusieurs autres. Chaque histoire traite d’un thème sombre et troublant, un fils qui assassine son père, un ancien toxicomane
georgia gleason
qui rechute, un homme isolé qui, enfant, fût maltraité, pour citer quelques exemples. Laura Orozco incarne à elle seule tous ces personnages de manière formidable, et c’est peu dire. La représentation d’Adam — un
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personnage traditionnellement masculin — en femme ajoute une nuance supplémentaire au spectacle. Orozco s’assoit en se recroquevillant, ses sourcils créent des rides, elle bouge ses bras d’une manière à la fois subtile et
emphatique tout en parlant. Certains moments de la représentation tranchent et secouent le public. Le combat de Joe, le toxicomane qui rechute, contre son addiction est cinglant de brutalité. Après un verre, c’est
tout le spectacle qui devient plus fluide: Orozco parle plus vite, et ses gestes deviennent de plus en plus dramatiques. Elle évoque parfaitement l’expérience et l’impression qu’une ivrogne lambda pourrait nous donner. De la même façon, la musique, jusqu’alors entrainante et festive, se fait lente, segmentée, électronique. Adam, par contre, n’est pas d’accord: il pense que les films noirs nous émanciperaient du marché capitaliste qui échappe à notre contrôle puisqu’ils nous donnent la liberté de penser. De plus, nous aimons et apprécions l’humour pince-sans-rire. Ces films, et ces actions motivées par la revanche, plaisent à nos côtés obscurs, à notre pulsion de mort. Adam nous humilie, nous indigne. Il nous confronte avec la réalité. De cette façon, Monster fait ressurgir les questions que nous écartons et négligeons. Elle nous fait nous questionner notre nombrilisme et notre perpétuelle quête de bien, en nous confrontant à des personnages fragiles aux marges de notre société. x
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Ballet
Un ballet historique Paquita fait ses premiers pas sur la scène de la salle Wilfrid-Pelletier de la Place des Arts. Léa Bégis
Christophe pele
Le Délit
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a Place des Arts reçoit une visite prestigieuse: après 47 ans d’absence, le Ballet de l’Opéra national de Paris est de retour à Montréal pour une représentation haute en couleurs de Paquita, ballet créé le 1er avril 1846 et reconstitué par le chorégraphe et ancien danseur français Pierre Lacotte, en 2001. «Inviter le Ballet de l’Opéra national de Paris était au sommet de ma liste des choses à accomplir au cours de ma carrière», révèle Gradimir Pankov, directeur artistique des Grand Ballets canadiens et initiateur du projet. Ce spectacle est d’autant plus unique que l’Opéra est la seule compagnie du monde à danser ce ballet, qui n’a pas été vu intégralement depuis plus d’un siècle. Ballet historique donc, chorégraphié par Joseph Mazilier sur une musique d’Edouard-MarieErnest Deldevez à sa création à l’Académie Royale de Musique de Paris, puis remanié par Marius Petipa et mis en musique par Ludwig Minkus au Bolchoï Kamenny de Saint-Pétersbourg en 1882. Ce ballet-pantomime qui rompt avec les thèmes oniriques du «ballet blanc» enchante Théophile Gautier qui en fait la critique à sa création. Le livret s’inspire dans son intrigue et sa structure d’une nouvelle de Miguel
de Cervantes, La Gitanilla, publiée en 1613. Remis au goût du jour, le sujet rend gloire aux conquêtes napoléoniennes du Premier Empire et répond aux sensibilités de l’époque, alors marquées par les voyages des peintres et des écrivains français en Espagne. Teintée de cette «couleur locale», la mise en scène de 1846 satisfait le besoin d’«exotisme» des spectateurs de l’époque, en présentant une Espagne romantique et poétisée. Fidèle au modèle d’intrigue romanesque du 19e siècle, Paquita raconte l’histoire d’une jeune femme sauvée de la mort par une troupe de gitans espagnols. La
visite du campement par la famille d’Hervilly, dont le père est venu surveiller le monument élevé à la mémoire de son frère assassiné au même endroit, font se rencontrer Lucien, ils du général d’Hervilly, et Paquita, qui danse pour les visiteurs français. Le jeune hussard tombe amoureux d’elle qui repousse avec regrets ses avances, s’estimant de condition trop modeste pour prétendre à un aristrocrate. Réussissant à déjouer un odieux complot d’assassinat imaginé par Inigo – le chef des gitans, amoureux du personnage éponyme et jaloux de Lucien –, Paquita est invitée au bal des Hervilly où elle est
chaleureusement remerciée par Lucien. Les coupables sont dénoncés et la jeune femme découvre qu’elle est de haute naissance en reconnaissant le portrait de l’oncle de Lucien comme étant le même que celui de son médaillon, ofert par son bienfaiteur. Paquita peut maintenant épouser son hussard et devient ainsi sa cousine (rassurons-nous: l’action a lieu durant le Premier Empire). Malgré la complexité physique et technique de Paquita (surnommé «pas qui tuent» par les danseurs), le ballet est à la hauteur du prestige de la compagnie et des attentes des spectateurs montréa-
lais. La danseuse étoile Amandine Albisson au pas léger danse le rôle-titre tout en conservant de la force musculaire, ce qui rappelle les mots de Gautier en décrivant les danseuses espagnoles de l’époque: «(...) et cependant, au moment venu, des bonds de jeune jaguar succèdent à cette langueur voluptueuse, et prouvent que ces corps, doux comme la soie, enveloppent des muscles d’acier». Albisson reçoit les acclamations d’un public enthousiasmé suite à une série de tours sur elle-même d’une virtuosité époustoulante. Josua Hofalt (Lucien d’Hervilly), fait preuve d’une extrême souplesse, donnant l’impression de rebondir sur la scène. Les deux danseurs forment donc un duo remarquable, partageant une grande complicité dans leurs mouvements et leur jeu –particulièrement durant les pas de deux– d’une inesse d’exécution rehaussée par la somptueuse musique de l’orchestre. Les costumes rivalisent de beauté, jouant sur les contrastes pour distinguer les Espagnols des Français avec des couleurs vives et des tissus texturés. Fidèle à la tradition, la mise en scène est digne des gravures de la première représentation du 19e siècle et, le temps d’un ballet, les spectateurs montréalais se sont presque crus à l’Académie Royale de Musique le soir du 1er avril 1846. x
Opinion
Postféminisme ou préféminisme? Le dernier essai de Patricia Smart sur l’écriture féminine: la figure de Nelly Arcan. noémy vallières éminisme: «Mouvement militant pour l’amélioration et l’extension du rôle et des droits des femmes dans la société.» (Larousse) Être étudiante, ça veut dire énoncer son choix d’études comme un test de personnalité. Fièrement, je réponds aux gens que je fais une spécialisation en littérature française et une mineure en Women Studies. La première fois, j’ai été surprise du malaise que j’engendrais: «Du féminisme? Ben là, on a pu besoin de ça nous autres. Les femmes dominent déjà les hommes, enyway.» Pas besoin de spéciier que oui, on a encore besoin du féminisme. Que des humains naissent avec des vagins et sont tués par les mains de leur mère. Société misogyne oblige. Que l’excision, les «crimes d’honneur» ou, moins dramatiquement, l’iniquité salariale
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Culture
sévissent toujours. Et j’en passe en maudit. Le 24 septembre 2009, Nelly Arcan s’est suicidée. Dire qu’on aime lire Nelly Arcan, c’est souvent se faire répondre: «ah oui, ça parle de putes, écrit par une pute.» C’est ici que ça m’intéresse. La coalition entre littérature et féminisme. Elle n’a pas écrit sur la «putasserie», pour reprendre Nelly, mais sur la nécessité encore criante du féminisme. J’aurais pu choisir d’autres auteurs. J’ai choisi celle-là pour son succès à la fois fort et partagé. À coups de mots vindicatifs, elle a réanimé ce mot dont la signiication s’est déformée. Féminisme: domination des femmes sur les hommes (aucun dictionnaire). Avec Putain, Folle et À ciel ouvert, Nelly Arcan raconte la femme au moyen de la iction et, surtout, de l’autoiction. Dans toutes ses facettes, ses beautés et ses
horreurs. Elle construit des univers ancrés dans notre réalité. Les personnages marchent dans nos rues, respirent le même air ensoleillé que le nôtre, croisent probablement les mêmes cyclistes. Elle raconte, à coups de mots-qui-font-mal, à quel point la pornographie, la chirurgie esthétique et l’obsession de soi sont devenues des truismes. De «tête vide» à «sale catin», j’aurai tout entendu sur cette auteure. Deux champs culturels en guerre contre elle: le champ commercial totalement épris de cette femme fragile, au décolleté assumé, aux yeux lascifs et au sourire intimidé. «Belle» objet de vente. Comme en témoigne sa poitrine enlée sur la couverture de Folle. Et de lèautre coté, le champ littéraire, qui boude la phrase forte, probablement en raison de ce succès commercial et de son choix de posture auctoriale, soit celle d’une femme objet. Or, justement, lire ses textes, c’est réléchir sur la féminité
«poupée». C’est ce que décrit avec tant d’amertume Isabelle Fortier, la femme sous Nelly Arcan. Ce nom qui désigne son corps, ses chirurgies, sa prostitution. C’est une identité douloureuse, avec ses cassures et ses fêlures, la rupture avec la Vierge Marie. C’est donner au public une vraie identité, humaine, dans toute sa complexité. C’est parler de féminisme en portant un décolleté et en parlant de sexe. C’est dénoncer la femme-objet en jouant la femme-objet. Si nous vivions réellement dans une ère post-féministe, alors Nelly aurait pu parler de son livre sans qu’on accuse son décolleté. On aurait jugé son texte en parlant de l’humain, d’Isabelle Fortier, non pas de la jolie chair. Pourquoi le mot «féminisme» fait-il si peur? En quoi réclamer l’égalité est-il menaçant? Sommes-nous donc en train de reculer? À lire Marie Darrieussecq, Nelly Arcan, Simone de Beauvoir,
Vicky Gendreau, etc., oui. À voir le succès infernal d’un livre tel que Cinquante nuances de Grey, ou d’une chanson telle que Blurred Lines, dans lesquels la femme est simplement, et seulement, beauté. Dénigrer l’œuvre de Nelly Arcan, n’est-ce pas justement cracher sur ce qu’elle pointait du doigt? Nelly était le produit d’une société aussi douloureuse et tourmentée qu’elle. Mais elle a quand même gagné la bataille sur un point: elle ne niait rien. Malgré la tristesse totale que j’éprouve suite à la réaction violente face au phénomène Arcan, je suis rassurée quant à la littérature. Les corps agonisants ne font peur à personne. x
De Marie de l’Incarnation à Nelly Arcand Patricia Smart Éditions du Boréal Montréal, 2014, 432 p.
le délit · le mardi 21 septembre 2014 · delitfrancais.com
musique
Trente fois Audiogram La maison de disque québécoise soule ses trente bougies avec une œuvre d’anthologie réussie. virginie daigle
Le Délit
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e 4 septembre 1984, la maison de disque Audiogram naissait par la réalisation de l’album Nouvelles d’Europe de Paul Piché. Cet automne, la maison de disque a décidé de célébrer en grand avec un album de reprises: 30 artistes qui réexplorent en mode minimaliste une chanson marquante de leur carrière. Cet exercice permet de constater avec énormément de plaisir à quel point la maison de disques indépendante a su, au cours des dernières décennies, garnir le paysage musical québécois d’œuvres phares et d’artistes essentiels. Le tout dans un nombre impressionnant de styles et d’envergures différents. La couverture noire de l’album aiche une sobriété élégante: un simple micro d’enregistrement, un seul point de départ vers tant de chemins diférents. Chaque artiste a également été ilmé lors de sa performance en studio, dans une mise en scène simple en noir et blanc. Tout ce dépouillement esthétique vient mettre une chose en évidence:
une multitude de sons et d’images a fourmillé au sein d’Audiogram, et ce par ces chansons qui sont un bonheur à découvrir ou à redécouvrir. Les vidéos, toutes disponibles sur le site Internet de la maison de disques, valent chacune le détour, que ce soit pour regarder Jean Leloup dialoguer avec un chien en porcelaine, Marc Déry pêcher de la truite avec sa guitare, Salomé Leclerc en femme-orchestre, ou tout simplement pour admirer la virtuosité dont fait preuve chacun des interprètes de l’album. Au final, le concept est particulièrement bien réussi. Audiogram offre ici un superbe document d’anthologie dans lequel les artistes se sont prêtés au jeu avec nostalgie, émotion ou ludisme, afin de repeindre brièvement une partie du panorama musical québécois. Quelques coups de cœur bien personnels: «Fin octobre, début novembre» d’Isabelle Boulay: Parce que l’on est désormais bien ancré dans cette période de l’année où le gris et la noirceur peuvent devenir étoufants. Et si une chose peut
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parvenir à nous sauver de l’inévitable dépression saisonnière, je me dis que c’est bien la voix assurée et mélancolique de la magniique Isabelle Boulay qui décrit la solitude de Montréal qui sévit durant cette période de l’année. «Johnny Go» de Jean Leloup: Sur une note relativement (peu) pertinente, je tiens à dire que je suis très contente
de voir Jean Leloup participer à cet album, parce que ça faisait longtemps qu’on ne l’avait vu nulle part et que des fois j’ai peur que Jean Leloup soit juste parti à jamais pour élever des scorpions au Mexique sans nous le dire. Il me semble que ça serait son genre, et je ne suis pas prête à vivre dans un Québec où Jean Leloup n’est pas. Mais il y est, il joue encore de la guitare, et me voilà rassurée. «Les coloriés» d’Alex Nevsky: C’est une formule désormais assurée gagnante que de reprendre un succès pop acoustiquement et de façon sentie, et Alex Nevsky s’en tire extrêmement bien, seul au piano, pour livrer son texte d’une belle poésie et à la mélodie si accrocheuse. C’est une reprise qui tombe à point si l’on commençait à se lasser de sa version radio qui a connu un succès délirant ces derniers temps. «Le feu sauvage de l’amour» de Rock et Belles Oreilles: Bien franchement, je vous mets au défi de ne pas vous sentir un tant soit peu plus heureux en écoutant les harmonies de ce succès légendaire du groupe RBO. De plus, on y constate que les solos de gazou
sont présentement en train de faire un retour en force sur la scène musicale, vous m’en voyez ravie. «Libérez-nous des libéraux» de Loco Locass: Les téléchargements de cette chanson avaient grimpé en flèche lors du retour en majorité des libéraux au printemps passé, et en l’honneur de cette reprise, le groupe de rap québécois en a retravaillé une portion des paroles afin de répondre au goût (ou dégoût) politique actuel. Un petit bonjour passé à Françoise David et voilà une mise à jour très appréciée, sur un rythme et un message toujours aussi efficaces. «De cara a la pared» par Yves Desrosiers et Mara Tremblay: Respectivement à la guitare et au violon, les deux artistes rendent un hommage touchant à la prodigieuse chanteuse Lhasa De Sela, morte il y a quatre ans. Pièce instrumentale parmi l’océan des voix dans l’album, cette reprise sans paroles vient décrier la terrible perte pour le monde musicale que fut la disparition de Lhasa. Une belle façon de souligner par la musique le silence de la mort. x
chronique
Se pencher pour ne pas fléchir Gwenn Duval | Petit cours d’écriture à l’usage de tous.
C
ette semaine, si le cœur vous en dit de me suivre des yeux, nous partirons ensemble en quête de sources de rélexions. Il est beau de prendre plume sans sujet, de se laisser aller au délire poétique dont je vous parlais la dernière fois, mais il me semble que ce serait restreindre beaucoup les caractéristiques de la substance écrite. D’ailleurs, le délire poétique me
servira de sujet. Vous pourrez vous en apercevoir, j’en userai jusqu’à la moelle sans jamais en atteindre l’abstraction: c’est que je ne cherche pas à me défaire de la matérialité de ce monde! Il faut, avant toute chose, trouver un thème. Je ne suis pas ici en ennemie, faisant de «La Problématique» ma profession de foi. Quoiqu’il en soit, il faut une intention derrière un texte. Attention, l’intention considérée dans son acceptation la plus étendue, il nous faut donc considérer l’homophone «intension» —de grâce, qu’on me permette de reprendre les idées déjà énoncées. Je conseille aux non-initiés de se référer à la chronique précédente «Apprentie plume». Il faut donc un projet dont on a, ou l’on cherche à avoir, une compréhension rigoureuse. J’ajoute ici qu’elle ne me semble être possible que par l’entremise d’une approche aussi multiple que l’esprit peut l’envi-
le délit · le mardi 21 septembre 2014 · delitfrancais.com
sager. Les points de vue sont intarissables: quand il n’y en a plus, il y en a encore. Plusieurs méthodes permettent d’en arriver à un texte construit, luide et astucieux. Avant d’en exposer quelquesunes, je tiens à préciser qu’il est de la plus haute importance de n’avoir peur de se tromper. Bien que la plume puisse être une arme, Napoléon la craignait: «l’encre tuera la société moderne»; elle est avant tout à sa place dans l’exercice de la rélexion. L’une des méthodes les plus répandues est de s’atteler à une question et de tenter d’y répondre en puisant dans les dires d’autrui pour ensuite cogiter avant de se livrer au processus de rédaction. En confrontant les points de vue, il se produit parfois des amalgames d’où peuvent émerger des conceptions nouvelles. En additionnant les thèses, on n’arrive que très rarement à un résultat
mathématiquement viable (en règle). Souvent, les équations éclairent des opérations distinctes, bien que reliées par une compatibilité jusqu’alors insoupçonnable. La contradiction s’est déjà vue garante de l’invention. Einstein en a fait la superbe, et non moins dangereuse, démonstration: la lumière possède les caractéristiques d’une particule en plus d’avoir celles d’une onde. En découle le célèbre E=mc2 et la théorie de la relativité, résolvant l’impasse scientiique du 20e siècle. La lumière était jusqu’alors catégorisée comme une onde et l’on ne pouvait considérer qu’elle possède aussi les caractéristiques d’une particule. Le carcan typologique empêchait les rélexions d’aboutir, il fallait se pencher autrement sur le problème. Notez ici qu’une autre question se soulève d’elle-même, mettant en scène le savant Henri Poincaré
qui fait l’objet d’une controverse à propos de la découverte de la théorie de la relativité. Physique, politique, mathématique, image médiatique et littérature se réunissent autour du sujet, je vous laisse y songer. Ain d’épancher un instant votre soif de savoir, voici un énoncé de source quasi sûre (La Science et l’Hypothèse): «Ainsi l’espace absolu, le temps absolu, la géométrie même ne sont pas des conditions qui s’imposent à la mécanique; toutes ces choses ne préexistent pas plus à la mécanique que la langue française ne préexiste logiquement aux vérités que l’on exprime en français», signé: Poincaré. L’écriture, en plus d’être le germe, le levain et le pain de la rélexion, est un prisme par lequel les lumières jetées sur notre univers contemporain se décomposent, se difusent et se reforment dans les esprits. D’où l’importance de savoir composer. x
Culture
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architecture
Traduire l’Histoire Found in Translation: Palladio-Jeferson exposée au Centre Canadien d’Architecture. thomas simonneau
Le Délit
S
omme toute, l’historien de l’architecture Guido Beltramini ne s’est pas trompé en choisissant la Belle Province, et plus particulièrement, le CCA, pour accueillir cette nouvelle exposition. En efet, celle-ci retrace l’interprétation du langage architectural de l’Italien Andrea Palladio opérée par Thomas Jeferson quelque cent cinquante années plus tard aux Etats-Unis. Imaginée comme «une véritable narration visuelle», pour reprendre les termes de conservatrice en chef de l’établissement Giovanna Borasi, l’exposition met en perspective le patrimoine légué par ces deux architectes à travers une série de photographies entre 2012 et 2014 par Filippo Romano, co-comissaire de l’exposition entre 2012 et 2014. S’ajoute à la projection des clichés une présentation de deux ouvrages rares appartenant à la collection du CCA: un exemplaire d’I Quattro Libri dell’Architettura (1570) d’Andrea Palladio, accompagné de sa première traduction en anglais, The Architecture of A. Palladio (1721), par Giacomo Leoni.
C’est précisément grâce à cette traduction que Jeferson, alors ambassadeur des Etats-Unis auprès de la France, découvre le travail du maître Palladio. Persuadé de tenir entre ses mains une traduction parfaite des Quattro Libri, il profère: «Palladio est la Bible!», sans même avoir visité le moindre bâtiment de l’architecte italien. Il utilisera la traduction inidèle de Leoni, modiiée ain de correspondre aux goûts baroques contemporains, pour dessiner, entre autres, les plans de l’université de Virginie, construite à partir de 1817. Ce léger «quiproquo architectural» raconte ainsi l’histoire de la transmission des principes palladiens dans le contexte social, politique et économique de l’Amérique du Nord du XVIIIe siècle, alors en pleine quête identitaire. En ce sens, la portée politique de cette interprétation, certes erronée, par l’architecte et homme d’État américain Jeferson n’est pas négligeable. Au-delà de la qualité artistique de l’œuvre de Palladio, il est important de noter que ce dernier venait d’une République –celle de Vénétie– et que l’Italie symbolisait alors le socle de la culture occidentale dans le domaine de l’architecture. La recherche d’une certaine forme de légitimité permettant de justiier l’existence
même d’une nouvelle démocratie en Amérique explique probablement l’engouement du président Jeferson envers le palladianisme. Quoiqu’il en soit, les photographies de Romano mettent en lumière la résilience et le caractère indémodable de l’architecture de Palladio malgré les changements de contextes, de fonctions, de climats, ainsi que les erreurs de traduction. En ce qui concerne sa forme, cette exposition –située dans la salle octogonale du CCA– intrigue par son aspect minimaliste mais ne laisse que peu de place à l’information et à la transmission du savoir. En efet, les livres, trop précieux, ne sont pas disponibles à la lecture et la projection des photographies n’est pas légendée, alors même qu’il est diicile de diférencier les œuvres palladiennes de celles de Jeferson. On notera cependant la qualité de l’agencement visuel entre les diférents clichés, permettant ainsi des comparaisons intéressantes, autant sur le plan esthétique qu’intellectuel. Enin, Found in Translation: Palladio-Jeferson nous rappelle que, quelque part, l’architecture est le miroir d’une civilisation; et de toutes les ironies qui contribuent à la déinir. Un discours que nous ne connaissons que trop bien, ici, au Québec. x
La Villa Foscari d’Andrea Palladio, Vénétie, Italie, 2012. © Filippo Romano
Capitole de l’État de Virginie par T. Jeferson, États-Unis, 2014.© Filippo Romano
cinéma
Monica chez les irrésistibles Québécois Une conférence de presse sur le prochain film de Guy Édoin. gwenn duval
cécile amiot
Le Délit
À
ceux qui s’interrogent sur la cause du changement brusque de température mercredi dernier, il convient de conier que Monica Belluci était de passage à Montréal pour le tournage de Ville-Marie, le nouveau ilm de Guy Édoin. Le Délit a eu la chance d’assister à la conférence de presse donnée en cet honneur en présence des comédiens Pascale Bussières, Aliocha Schneider, Patrick Hivon et Louis Champagne. Il n’est pas nécessaire de rappeler la présence du réalisateur et de la belle Italienne, elle n’est que trop palpable. Nous entrons dans l’arène, cachée au fond d’un couloir de l’hôtel Reine-Élizabeth. Plus de dix trépieds attendent la vedette et les photographes, indénombrables, gesticulent pour se rapprocher de la table où les conférenciers vont bientôt s’assoir. Ça y est, ils arrivent, les lashs crépitent sans intimider une seconde les vedettes. La période de questions s’amorce immédiatement après celle des photos pour Monica, les autres
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Culture
participants attendent un peu avant de pouvoir s’exprimer. Elle latte tout de suite son public: «Je ne peux pas ne pas aimer le cinéma québécois», ou encore: «Guy m’a donné un des plus beaux rôles de mon parcours.» C’est la première fois qu’elle vient à Montréal, elle y trouve les gens «ouverts et généreux». L’équipe se dit très soudée, les acteurs se louangent les uns les autres. Pour Guy Édoin, un fantasme se réalise à l’écran avec «Monica et Pascale, deux charismes qui vibrent dans les mêmes zones». Il airme aussi avoir «braillé comme
un bébé» en les voyant jouer ensemble. Ce n’est pas non plus pour déplaire au jeune Aliocha que de jouer le ils de la Belluci. En plus de partager l’écran avec une célébrité, il raconte comment toute son appréhension s’est apaisée lorsqu’il lui a parlé au téléphone pour la première fois: «sa voix, d’une douceur exceptionnelle, m’a tout de suite rassuré». Les ambulanciers du ilm, Louis et Patrick, sont un peu moins à l’aise. Patrick ira jusqu’à dire «Je sais pas ce que je fais ici, j’me sens tout p’tit». Les conférenciers croient avant tout au travail d’équipe: «Le
star-system, ça n’existe pas, c’est le jeu d’une journée, le tapis rouge» airme Monica Belluci. Une journaliste la questionne: «Vous ne pensez pas être une star?» Elle répond que «les choses qui se créent sont des coïncidences». Si élégamment enrobées dans son accent italien, ses paroles se reçoivent sans qu’aucun n’essaye de la contredire. Les deux femmes ne s’incommodent pas des questions par rapport à leur âge. Pascale Bussières trouve que les rôles qu’on lui propose sont plus intéressants et qu’elle y fait preuve de plus d’audace. Elle déclare
que «c’est bien de vieillir dans ce métier-là». Monica Belluci, dans un sourire, fait savoir qu’elle n’est pas touchée par la diminution de propositions pour des rôles avec le temps qui passe. Guy Édoin, qui n’en révèle pas trop à propos du scénario de Ville-Marie, annonce quand même que Montréal y est un personnage à part entière. L’intention est de porter une rélexion sur le cinéma et les milieux hospitaliers avec une touche hollywoodienne. «Je me suis fait vraiment plaisir», déclare-t-il. À en croire notre Cléopâtre, le scénario vaut le détour; alors que le réalisateur tente de répondre à une question à propos de la façon dont il a réussi à avoir Monica Belluci dans son ilm, elle lui prend le microphone des mains pour s’écrier doucement et en toute volupté: «Mais enin, Guy, tu m’as envoyé un scénario sublime, je l’ai lu en quatre jours.» Le scénario a beau être un ingrédient essentiel, la bellissime trouve aussi l’inspiration dans la petite famille qui s’est composée: «J’ai vu six yeux magniiques et j’ai plongé dedans et boum! J’ai joué.» x
le délit · le mardi 21 septembre 2014 · delitfrancais.com