Publié par la société des publications du Daily, une association étudiante de l’Université McGill
Le lundi 3 novembre 2014 | Volume 104 Numéro 8
Pour quelques arpents de neige depuis 1977
Volume 104 Numéro 8
Éditorial
Le seul journal francophone de l’Université McGill
rec@delitfrancais.com
Aux compagnons des Amériques
A
ujourd’hui lundi 3 novembre 2014, il est question de renégocier l’entente signée en 1978 entre la France et le Québec sur les frais de scolarités. De 2300 dollars par an, les frais de scolarité des étudiants français au Québec pourraient passer à 6300 dollars, ce que paient les étudiants des autres provinces du Canada. À l’image de l’essor fulgurant du nombre d’étudiants français au Québec ces dernières années – plus de 12 000 actuellement –, Le Délit est composé ce semestre d’une équipe éditoriale presque entièrement française. Une question de légitimité s’ofrait donc à nous, rendue plus criante et plus belle encore par la visite du Président de la République française au Canada. Quelles relations entretiennent le Québec et la France? Où en sommes nous dans cette coopération si singulière? Dans ce numéro hors-série, nous avons tenté d’interroger l’actualité de cette relation en allant rencontrer certains de ses acteurs. Notre réponse n’est pas exhaustive, loin de là, elle est un ensemble de points de vues, de propositions.
Nous sommes plus de 1500 étudiants de nationalité française à l’Université McGill. Nous y sommes venus pour apprendre, avec l’humilité de celui qui demande face à celui qui vend, avec l’humilité de celui qui désire face à celui qui possède. Et notre désir n’est pas étranger à la formule galvaudée du «rêve québécois», car bon gré, mal gré, nous en sommes tributaires. En 2012, au moment de la grève étudiante contre la hausse des frais de scolarité, bien des Français se sont engagés, conscients de l’importance de l’accès à l’éducation. D’autres n’ont pas fait le pas; ils n’avaient pas quitté la France des grèves pour la retrouver de l’autre côté de l’Atlantique, sans toutefois régler la question de Michelet: «Quelle est la première partie de la politique? L’éducation. La seconde? L’éducation. Et la troisième? L’éducation.» Au cœur d’une relation dont l’histoire est faite autant de raison que d’émotivité, la hausse à laquelle nous ferions face est justiiée par les mêmes arguments que ceux de 2012. À la célèbre «juste part» du gouvernement Charest, Madame la
ministre Saint-Pierre a simplement substitué «le sacriice» que nous devons tous faire et son «épaule à la roue» de circonstance. Conscient de la richesse des échanges – matériels et immatériels – entre le Québec et la France et navré de cette rhétorique populiste, Le Délit s’oppose à la renégociation souhaitée par le gouvernement libéral. On ne saurait conjuguer les relations entre nos deux nations au passé, elles sont un devenir; ce qui doit nous relier n’est pas simplement une «mémoire» mais une conscience historique, qu’il nous revient de transformer en conscience individuelle et civique. Le rôle qu’a joué, que joue et que jouera l’entente de 1978 ne saurait y être minimisé. Compagnon des Amériques, entends-moi bien, j’ai laissé mon messianisme à la frontière. Je t’écris au milieu d’un ballet diplomatique auquel je n’ai pas chapitre. Je suis sur ta place publique avec les miens, la poésie n’a pas à rougir de moi. J’ai su qu’une espérance soulevait ce monde jusqu’ici. Ce que je t’envoie, c’est ma reconnaissance. x Joseph boju
Le Délit
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L’usage du masculin dans les pages du Délit vise à alléger le texte et ne se veut nullement discriminatoire. Le Délit (ISSN 1192-4609) est publié la plupart des mardis par la Société des publications du Daily (SPD). Il encourage la reproduction de ses articles originaux à condition d’en mentionner la source (sauf dans le cas d’articles et d’illustrations dont les droits avant été auparavent réservés, incluant les articles de la CUP). L’équipe du Délit n’endosse pas nécessairement les produits dont la publicité paraît dans ce journal. Imprimé sur du papier recyclé format tabloïde par Imprimeries Transcontinental Transmag, Anjou (Québec).
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le délit · le lundi 3 novembre 2014 · delitfrancais.com
«Un département néocolonial» VIVRE. APPRENDRE. JOUER. TRAVAILLER.
Le professeur Bernadet répond aux questions du Délit à propos du milieu universitaire.
Arnaud Bernadet est professeur au Département de langue et littérature françaises de l’Université McGill depuis 2010. Ancien élève de l’École Normale Supérieure (Fontenay/Saint-Cloud), titulaire de l’agrégation de lettres modernes, il a enseigné en France à l’Université Paris 8, puis exercé comme maître de conférences à l’Université de Franche-Comté. Il est membre du groupe international de recherche Polart – poétique et politique de l’art. Spécialiste de Verlaine, ses travaux portent sur la théorie du langage et la théorie de la littérature, spécialement sur la poésie et le théâtre des XIXe et XXe siècles. En lien avec la notion de voix et d’oralité, il travaille actuellement à établir une anthropologie littéraire de la manière dans les œuvres de la modernité.
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e Délit: Quel regard portez-vous sur votre statut de professeur français au Québec? Arnaud Bernadet: «Mes chers compatriotes»… Ainsi posée, votre question est à tiroirs multiples. Elle oblige d’abord à inventer un point de vue sur soi, et par conséquent à penser sa place dans une société qui n’est pas la sienne à l’origine, plus encore ses rapports à une institution, l’université McGill en l’occurrence. État de rélexivité auquel, d’une manière générale, répugnent le savant et l’enseignant, double igure que recouvre la notion de «professeur d’université». À distinguer absolument d’un côté de l’intellectuel, de l’autre des fast thinkers qui paradent sur RadioCanada et CBC. Soit que ledit professeur éprouve un dédain profond pour ce genre d’interrogatoire, prompt à l’éloigner des si hautes abstractions de l’activité connaissante, soit qu’il laisse
tration, les petits rapports sur les agents «séditieux» qui auraient sévi sur le campus, etc. La suite est connue. En 1937, Horkheimer rappelait que la science et, par conséquent, le sujet de la connaissance ne se séparaient pas du processus de l’histoire et de ses tensions sociales, qu’ils participaient directement à des réalités économiques. La question se complique néanmoins, à un deuxième degré, par la situation (plutôt que le statut) du professeur comme étranger dans une université du Québec – elle-même singulière par son histoire et sa langue, ses valeurs culturelles et son ouverture résolument internationale. On occupe un bref instant le regard satirique des Persans de Montesquieu, non pas tant à l’endroit de la Belle Province (qu’il n’y a aucune raison d’épargner cependant) que de la France: là-bas – la paupérisation de l’université depuis 1968, un sous-
«L’Université McGill est un terrain expérimental du capitalisme cognitif.» à d’autres le soin de penser ce «statut», notoirement l’appareil académique dont il dépend, qui lui inance ses recherches ou qui le rétribue au quotidien pour ses cours. Servitude volontaire qu’ont bien révélé les événements du Printemps Érable, d’aucuns abdiquant alors leur sens critique élémentaire au seuil de la salle de classe – muets ou consentants par exemple devant l’appel à la délation autorisée par l’adminis-
inancement structurel aggravé par les réformes de 2007 (loi dite «LRU»), sa logique de plus en plus managériale inspirée par le modèle nord-américain mais doublée d’étatisme et d’autocratisme, ses retards en matière de culture numérique, le manque de moyens et d’encadrement des étudiants, notamment pour ceux qui sont en détresse sociale ou psychologique, des cursus uniformisés depuis le processus de Bologne
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LD: Que pensez-vous de la renégociation de l’accord bilatéral entre la France et le Québec sur l’éducation universitaire?
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ARNAUD BERNADET
(1991) mais de moins en moins exigeants (LMD, mastérisation), des atteintes continuelles aux libertés académiques, la bureaucratisation à marche forcée des professeurs, qui les détourne de leur recherche. Il serait naïf toutefois de croire que cette énumération ne contient que des diférences qui sépareraient la France du Québec voire du Canada. Si elles ont une histoire propre, ces deux sociétés obéissent comme toutes celles qui igurent répertoriées par l’OCDE à la logique dévastatrice du capitalisme cognitif (Academic Capitalism, voir sur ce point les travaux de S. Slaughter, G. Rhoades et C. Newield). Et l’Université McGill en est un terrain expérimental. À un troisième, et dernier niveau, la question prend une allure dramatisée. Car le professeur français au Québec y est d’abord professeur de littérature française dans un département de surcroît appelé Département de langue et littérature françaises (dans une université anglophone, ce qui ne manque pas d’être piquant). Et non simplement d’Études françaises, d’Études littéraires ou, monstre épistémologique, de Lettres et Communication (voyez l’Université de Sherbrooke, par exemple). Celui-là au contraire ressemble à s’y méprendre à un département de littérature française en France tel qu’on ne l’y trouvera plus d’ailleurs dans quelques décennies. Pour ceux qui nous regardent, l’intitulé est en efet un reliquat de colonialisme, et ce «département d’outre-mer» – si j’ose! – situé au Québec doit historiquement beaucoup à la «métropole» (à ce sujet, voir l’instructive histoire du DLLF établie par mes collègues Marc Angenot et Yvan Lamonde). S’il est temps assurément de le débaptiser tant il sent cette odeur de moisi qu’on respire dans les églises, en revanche, ce qui m’y plaît c’est que par-delà ses allures réactionnaires – indéniables –, j’y suis au contact de collègues et d’étudiants installés dans la pluralité des langues, des littératures, des cultures: «francophonies» du Sud et du Nord, littératures québécoise, acadienne, francoontarienne, littérature française d’Ancien Régime, moderne et contemporaine, pour ne rien dire de la sociolinguistique du français et du rôle pivot qu’y joue la traduction littéraire. En bref: un Département des littératures de langue française. C’est bien cela, non? DLLF? Pour quelques années, et malgré ce sinistre tableau, j’y aurai été heureux.
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AB: Ma réponse sera inversement très brève. Cet accord bilatéral a son histoire depuis l’entente de 1965, signée au milieu d’une période de croissance, et de mutations rapides des sociétés considérées. S’il (s’)inscrit (dans) une logique de coopération plus étendue, scandée par une série de conventions (1984, 1996, 1998, 2008), qui vise à favoriser la mobilité étudiante, la reconnaissance des diplômes, les thèses en cotutelle, les partenariats scientiiques entre laboratoires et équipes, le geste politique est bien entendu opportun: le lux (qui n’est pas encore alux) d’étudiants français en direction des campus québécois n’a cessé d’augmenter, même si l’on observe une nette asymétrie, regrettable, trop peu d’étudiants québécois comparativement essaient le chemin inverse. En outre, cette réalité doit être repensée à l’intérieur du processus des «mondialisations» (et non de la Mondialisation – au sens économiste du terme, couramment répandu). Car – toute proportion gardée – comme pour les échanges ERASMUS qui font des étudiants français et européens ceux qui inventeront l’Europe de demain, la mobilité transatlantique peut faire de nos étudiants – québécois et français, ensemble – ceux qui au milieu des Amériques inventeront l’Amérique francophone de demain. Reste à savoir quels principes gouvernent une telle renégociation, si elle se règle par avance sur l’évangile néolibéral, masqué derrière les belles
«La mobilité transatlantique peut faire de nos étudiants ceux qui inventeront l’Amérique francophone de demain.» et touchantes déclarations sur la langue et la culture qui unissent France et Québec – ce catéchisme dont Philippe Couillard et François Hollande sont deux adeptes (la gauche française actuelle rivalisant en la matière avec la droite (post-)sarkozyste). Car de quoi s’agit-il? De renforcer et d’améliorer un cadre existant de coopérations, en subordonnant la formation universitaire aux besoins immédiats du sacrosaint marché, et en transformant nos étudiants transatlantiques en demi-citoyens, ces nouveaux esclaves du Capital? Ou d’instaurer un libre échange des talents et des pensées de toutes disciplines pour créer dans l’un des espaces francophones un monde alternatif ? x Propos recueillis par baptiste rinner
Le Délit
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Regards (étudiants) croisés L’entente franco-québécoise, signée en 1978, permet présentement à 12 000 Français d’étudier au Québec au tarif québécois et à plus de mille Québécois d’étudier en France au tarif français. La renégociation de l’accord fait jaser des deux côtés de l’Atlantique. Le Délit vous rapporte les propos d’étudiants québécois en France et d’étudiants français au Québec.
«J
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’ai été très attirée par le multiculturalisme et le dynamisme de [Montréal]. De plus, à mon avis, une institution d’études secondaires en France n’ofre pas le même cadre de diversité d’opportunités au niveau des implications parascolaires. Ici, quel que soit votre intérêt, il y a souvent une structure, un système de soutien et des connaissances institutionnelles en place qui vous permettent de l’explorer. […]. En tant que représentante étudiante sur l’AÉFA et l’AÉUM, et une des seules Françaises sur chaque conseil, je me dois de représenter adéquatement la communauté française et de me battre contre la hausse quel que soit mon point de vue personnel.» Lola Baraldi, Vice-présidente aux afaires externes de l’AÉFA, McGill
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’est dommage [la renégociation de cet accord]. […] Ce n’est pas au proit des universités. […] McGill et Montréal attirent les Français grâce à l’environnement bilingue qu’on y trouve, [et parce que] le Québec est un choix abordable. [En renégociant cet accord], les Français ne viendront plus, le Québec va perdre des gens.» Thibault Leyne, U1, Faculté de génie, Université McGill
’ accord entre le Québec et la France a facilité la procédure de visa, qui était tout de même vraiment compliquée à faire! J’aime aussi beaucoup le fait que je puisse garder mon assurance de la RAMQ en France sans avoir à souscrire à une assurance étudiante.» Stefany, Développement international et mondialisation, Sciences Po Paris
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es étudiants de mon lycée étaient venus à McGill et m’avaient recommandé l’Université. Les études au Québec représentaient la meilleure option inancière pour ce que c’était. Je n’avais pas envie d’être un fardeau [économique] pour ma famille. [La possibilité] d’étudier en anglais [est aussi] un avantage.» Elisa Sauvage, U4, Majeure en histoire de l’art, Université McGill
«J
’étais attiré en France par la possibilité de vivre en Europe et de voyager dans le continent, la réputation de Sciences Po et la culture française, particulièrement la nourriture… [Par contre] j’étais très surpris, honnêtement, par les prix en France. Je m’attendais à une vie européenne très chère, mais ce n’est vraiment pas le cas. Ceci est peut-être à cause du fait que Reims n’est pas une grande ville comme Paris.» Sam, U1, Majeure en Relations Internationales, campus de Sciences Po Paris à Reims
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e crois [que les relations Québec-France] sont bonnes, mais il y manque, je crois, d’un fort sentiment de fraternité. Les pays de la francophonie devraient se serrer les coudes de façon plus manifeste encore.» Maxime, Récemment diplômé, Lettres, Université Paris-Sorbonne (Paris IV)
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’un point de vue personnel, ça m’embête [l’augmentation des frais de scolarité]. Mais c’est injuste que les Canadiens paient plus que [les Français] qui n’ont aucune attache ici. Les Canadiens restent, c’est leur pays. [L’augmentation des frais de scolarité pour les Français] est juste pour les Canadiens.» Miki Larrieu, U3, Faculté de gestion, Université McGill
e manière objective il me semble concevable voire normal de devoir payer comme les Canadiens et non comme les Québécois […]. On reste malgré tout privilégiés par rapport aux autres pays et aux autres étudiants étrangers. D’un côté plus personnel, si cette augmentation vient à passer, j’ai peur que cela n’écourte mon aventure québécoise et peut-être m’empêche de continuer ma vie ici après... Les tarifs vont être chers, doubler carrément les frais d’un coup c’est énorme; cela va contraindre un grand nombre d’étudiants français à rentrer. […] Je comprends qu’il faille remédier au problème du déicit, mais il me semble que le Québec a besoin de l’immigration, et nous sommes une majorité à venir contribuer au développement de la province et à rester par la suite.» Margaux Gevrey, U1, Enseignement théâtral, UQAM
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’adore la culture de la “vie de quartier”[à Paris], avec le boulanger, le fromager, le boucher à deux pas de chez soi. Les restaurants sont en général exquis et je ne parle même pas des glaces, chocolats, desserts, etc.» Stefany, Développement international et mondialisation, Sciences Po Paris
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’Université [McGill] veut être internationale, mais elle met des barrières [aux étudiants étrangers]. […]. Les études en France sont beaucoup moins chères. Le seul accord qui permet une expérience internationale abordable [pour les Français], c’est celui avec le Québec. Sans accord, je ne serais pas ici. [La renégociation de l’accord] change la donne.» Charlotte Martin, U2, Majeure en sciences politiques, Université McGill
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outes les procédures administratives sont très compliquées et longues à faire. Il faut se munir de beaucoup de patience! La majorité des documents ne sont pas numérisés et ça complique la vie de tout le monde. Les bureaux ressemblent souvent à la caverne d’Alibaba.» Gabrielle, Récemment diplômée du master spécialisé en entrepreneuriat, HEC Paris
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i les frais de scolarité augmentent, […] cela rendra le Québec moins attractif et accessible. Les jeunes iront plutôt en Australie ou en Amérique du Sud. Vous stopperiez une manne dont vous avez aussi besoin. Je suis ier de vivre au Québec, ier de partager cette culture et surtout de la promouvoir quand je rentre en France pour voir ma famille. Je compte […] demander la résidence permanente en vue d’obtenir la nationalité pour rester vivre ici, de préférence à Montréal. Les chances d’avoir une bonne job sont bien meilleures, [les stages] sont bien mieux payés qu’en Europe et surtout on donne aux jeunes bien plus de responsabilités: on leur fait coniance.» Xavier Khan, U3, Administration des afaires, HEC Montréal
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Regards (professoraux) croisés L Yolande Cohen Yolande Cohen est Présidente de l’académie des Arts, des lettres et des sciences de la société royale du Canada.
es rapports universitaires entre le Québec et la France ont connu plusieurs phases, et je peux dire que depuis une dizaine d’années, ils se sont complètement inversés. En efet si dans les années 1970 et 1980, des jeunes québécois (moins souvent des québécoises) allaient étudier en France en grand nombre, ce mouvement s’est largement tari pour faire place aux étudiant(e)s françaises au Québec. On en compte un nombre croissant dans toutes les universités du Québec (près de 12 000 cette année), et surtout aux HEC et à l’Université de Montréal où ils constituent un groupe compact. Cette contribution de plus d’une
dizaine de milliers d’étudiant(e) s français à Montréal s’avère majeure et extrêmement enrichissante. Elle constitue à plusieurs égards une force de notre système d’éducation qui est devenu très attractif pour de nombreuses catégories d’étudiant(e)s. Toutefois, en contrepoint, il faut souligner que notre système est par ailleurs trop peu ouvert et internationalisé pour nos propres étudiant(e)s, qui malgré l’ofre de bourses de mobilité internationale très intéressantes (par le MRI en particulier), n’incite pas beaucoup de nos étudiant(e)s à voyager et à entreprendre des formations ailleurs. Dans ce contexte, la renégociation des accords bila-
téraux entre le Québec et la France devrait prendre en compte davantage cette nécessité d’établir des canaux mieux organisés d’échanges entre nos universités, de façon plus précise et coordonnée entre elles, pour que nos étudiant(e)s puissent davantage proiter des formations très diversiiées ofertes par l’éducation supérieure française. Pour l’instant, cela s’est avéré un vœu pieux, même si tout le monde de part et d’autre est conscient de la gravité des enjeux. Un des problèmes récurrents est la centralisation du système universitaire en France et sa très grande décentralisation (et même compétitivité) au Québec. x
pour la France. Il est clair cependant que les bénéfices retirés sont plutôt du côté français que québécois – moins d’étudiants québécois viennent en France car certaines années ont été très troublées, marquées par des grèves très dures (plus de cours pendant des mois, sans remplacement ni compensation). Il est clair également que le système coûte plus
cher au gouvernement québécois qu’au gouvernement français. Ceci étant, même si je comprends les contingences économiques et financières, je trouve essentiel de maintenir et développer les accords entre nos universités, qui aideront à une coopération culturelle importante pour le Québec dans le cadre d’un appui à la francophonie. x
n parle bien souvent de la France et du Québec comme des partenaires «naturels», et les rapports sont en efet excellents. Mais je suis dans une situation particulière car je suis un Québécois en poste en France, ce qui est beaucoup plus rare que l’inverse. Cela a certains avantages, notamment au niveau pédagogique. Les étudiants découvrent une autre approche de l’enseignement, plus «nord-américaine», et en général beaucoup moins hiérarchique. Et ils semblent assez demandeurs! Contrairement à ce qu’on entend parfois, il me semble important
de ne pas surestimer l’harmonie dans les manières de penser dans les sciences humaines et sociales à propos de plusieurs questions et enjeux. Les exemples sont évidents: laïcité, multiculturalisme, les implications de l’égalité, les revendications minoritaires, etc. Pour un chercheur en éthique et philosophie politique contemporaine formé à Montréal et Toronto comme moi, il est facile de constater que les rélexes « majoritaires » surgissent beaucoup plus aisément en France… Cela peut parfois être très frustrant, même si le contexte intellectuel est en général fort stimulant.
En ce qui concerne le développement de la recherche, il est bien sûr naturel pour moi de continuer à travailler avec mes collègues des universités québécoises. Cela dit, il y a des obstacles. Comme il y a si peu de Québécois ici, on ne peut pas vraiment profiter des antécédents, de réseaux déjà existants. Il est facile de constater, et cela est malheureux, que même les institutions qui pourraient favoriser la collaboration ne sont pas trop au courant de la présence de Québécois dans le réseau français de la recherche. x
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développés. J’ai quelques collaborations universitaires avec la France, mais je dirais que c’est moins facile que de gérer une collaboration avec les États-Unis. Par exemple il y a assez peu de possibilités de inancement de recherche en commun entre le Québec et la France, peu de bourses d’étudiants gradués spéciiquement pour de tels échanges. Un système de co-tutelle, assez commun entre universités européennes, pourrait aussi aider. Côté cursus étudiants, il y a quelques possibilités d’échanges entre universités, mais la structure très compliquée et fractionnée de l’enseignement universitaire français (entre universités, instituts, grandes écoles...) n’aide pas.
PF: J’aimerais qu’ils soient maintenus. Je suis, de cœur et de raison, favorable à tout rapprochement entre la France et le Québec. Les étudiants québécois y ont intérêt parce qu’ils leur permettent d’avoir accès au vaste réseau universitaire en France à coût modique, et par ailleurs le Québec bénéicie très certainement de la présence de jeunes français au Québec attirés notamment par leurs perspectives d’études (et qui ne viendraient probablement plus du tout si ces accords disparaissaient!). Plus généralement, la francophonie est amenée à prendre une place plus importante dans le monde dans les décennies à venir par simple efet démographique, et il me paraît important de renforcer les synergies existantes entre les pôles francophones que sont la France en Europe et le Québec en Amérique du Nord. x
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utre mes fonctions de professeur à la Sorbonne Nouvelle, j’ai été chargée des échanges inter-universitaires avec le Canada pendant huit ans. À ce titre, j’ai pu apprécier l’importance des relations entre le Québec et la France, l’ouverture que les accords procuraient aux étudiants des deux pays, l’augmentation des opportunités dans une période plutôt difficile
O Pierre-Yves Néron Pierre-Yves Néron est maître de conférences en éthique économique et sociale à l’université catholique de Lille.
e Délit (LD): Quel regard portez-vous sur ce statut singulier de professeur français au Québec? Paul François (PF): C’est un statut que j’apprécie. Le système universitaire québécois me paraît être un juste milieu entre le système des États-Unis et le système français, prenant un peu du meilleur des deux mondes, c’est-à-dire côté américain: l’organisation de la recherche, le cursus universitaire, le caractère vraiment «universel» de l’université; et côté français: le coût (relativement) modéré des études, un système de protection sociale, et le français comme langue locale!
Propos Recueillis par Baptiste Rinner et Thomas Birzan
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LD: Que pensez-vous des rapports Québec-France en matière universitaire ? PF: Dans mon domaine, ils demanderaient à être fortement
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LD: Que pensez-vous de la renégociation des accords bilatéraux?
Annie Ousset-Krief Annie Ousset-Krief est docteur ès lettres et maître de conférences à l’Université de la Sorbonne Nouvelle.
Paul François Paul François est professeuradjoint au Département de physique à l’Université McGill.
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sources: délégation générale du québec à paris; unesco; le délit.
La coopération Prix d’une poutine classique chez Frite Alors!: 7$
Nombre d’immigrants français arrivés en 2o13: 4156
Nombre de bixis disparus ou volés pour 5430 vélos (Montréal et rive-sud): 140
Prix moyen d’une baguette en boulangerie: 2,30$
. . .
30 000 Québécois employés par 303 entreprises françaises au Québec
repères chronologiques
documentation: Céline fabre & Louis Baudoin-Laarman
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le délit · le lundi 3 novembre 2014 · delitfrancais.com
campus
Manfredi plaide au conseil de l’AÉFA Le doyen propose de nouveaux frais pour l’orientation et les stages. Louis Baudoin-Laarman
Le Délit
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e conseil législatif bimensuel de l’Association Étudiante de la Faculté des Arts s’est déroulé le 29 octobre en présence du doyen de la Faculté des arts, Christopher Manfredi, invité par la présidente Ava Liu pour parler de nouveaux frais potentiels destinés à inancer le Bureau de stages de la Faculté des arts (AIO). Les motions débattues après la présentation de M. Manfredi portaient entre autres sur le soutien de l’AÉFA à la campagne de syndicalisation de l’Association des étudiants diplômés employés à McGill (AGSEM), ainsi que sur le renouvellement du Fonds pour les emplois étudiants de la Faculté des arts et sur la modiication des règlements sur l’équité. Lors de sa présentation, M. Manfredi a expliqué aux membres du conseil que les deux problèmes actuels de l’AIO étaient sa taille réduite par rapport à la faculté, ainsi que l’annulation du programme du ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport (MELS), due aux récentes compressions budgétaires. En efet, ce ministère provincial subventionnait jusqu’à récemment une partie du budget de l’AIO, et a décidé de couper le programme de placement des étudiants en milieux
de travail. «Je risque de ne plus avoir d’argent l’année prochaine pour gérer le programme», commente M. Manfredi. Ain de combler ces nouveaux vides, le doyen de la Faculté des arts propose une approche en deux temps. Tout d’abord, il souhaite créer une «mini-campagne» pour créer une dotation destinée à inancer l’AIO. L’objectif étant de cinq millions de dollars, il voudrait imposer une nouvelle contribution étudiante de 1,50 dollars par crédit par étudiant, soit 45 dollars par an par étudiant à temps plein. M. Manfredi souhaite également faire une levée de fonds pour les 3,5 millions restants. Parallèlement, le doyen souhaite imposer une autre contribution étudiante de 0,75 dollar par étudiant, celle-ci destinée à payer pour le inancement direct de l’AIO. La contribution serait donc de 67,50 dollars par an par étudiant à temps plein, et représente la première phase du projet, qui doit s’étendre sur cinq ans. La deuxième, prévue pour 2020, vise à convertir la contribution à l’AIO en une contribution permanente renommée Arts Advising and Career Services Fee (cotisation pour le conseil d’orientation et le service de planiication de carrière de la Faculté des arts, ndlr). Celle-ci permettrait, selon
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M. Manfredi, de passer de quatre à huit conseillers de faculté, de trois à cinq conseillers aux étudiants, et de trois à quatre employés administratifs. M. Manfredi compte donc demander aux étudiants de la Faculté des arts de voter pour ces nouveaux frais, et commente que: «Nous pouvons élever ce programme sur des fonds très solides au cours
des cinq prochaines années et ne plus jamais avoir à nous en inquiéter.» Ce discours n’est pas sans rappeller celui du vice-principal Anthony Masi qui avait annoncé le 27 octobre lors de sa tribune sur la situation inancière de McGill que «quand les premières coupures sont arrivées il y a quelques années, on a fait avaler la pilule très tôt» (Le Délit, 28 octobre 2014).
Au sujet de la dotation de l’AIO, le v.-p. aux afaires sociales Kyle Rohani a demandé au doyen si «une partie des fonds seront utilisés à des ins immorales ou dangereuses pour l’environnement», rappelant que cela violerait la constitution de l’AÉFA. M. Manfredi lui a suggéré «de demander aux membres du Conseil des gouverneurs». x
Tempête constitutionnelle à l’AÉUM. Léo Arcay
Le Délit
L
a Commission juridique de l’AÉUM a récemment reçu deux plaintes qualiiant certaines procédures de l’association d’inconstitutionnelles. Démission de Ben Fung et David Koots Le directeur des élections de l’Association Étudiante de l’Université McGill (AÉUM) Ben Fung et son adjoint David Koots démissionnent de leurs postes. Alexei Simakov, étudiant de troisième année en Arts, s’était plaint auprès de la Commission juridique de l’AÉUM que le renouvellement des contrats des deux hommes cet
été — directement par le Comité exécutif, et sans processus d’élection — était contraire à la constitution de l’Association. Le Comité exécutif, quant à lui, nie cette interprétation de la constitution. MM. Fung et Koots ont déclaré que leurs démissions respectives étaient volontaires. Exerçant actuellement les mêmes positions en intérim, ils se présenteront à nouveau lors des prochaines élections. La date en est encore inconnue. Motion sur la solidarité aux peuples palestiniens Lors de l’Assemblée Générale du 22 octobre, la motion avait été reportée indéiniment avant même d’avoir été débattue. Une pétition anonyme invalidant cette décision
a été déposée la semaine dernière et acceptée par la Commission juridique de l’AÉUM. Selon elle, l’Assemblée Générale n’a pas respecté la constitution de l’AÉUM. Selon l’article 5.4n du règlement I-5, «les membres présents à l’Assemblée Générale doivent avoir l’opportunité de débattre et d’amender chaque résolution». Elle accuse également l’AÉUM de ne pas avoir déinit clairement ce que «reporter indéiniment» incombe, en vertu du droit des étudiants à participer à la politique du campus sans avoir à maîtriser des termes techniques. Une plus claire explication aurait pu inluencer ce débat sur la nécessité de débattre. La remise en question de la validité du report ouvre la porte à une nouvelle discussion de la motion. x
actualités
I
campus
Nouvelle v.-p. interne à l’AÉFA Entretien avec Roma Nadeem. thomas cole baron
esther perrin tabarly
Le Délit
L
’Association Étudiante de la Faculté des Arts (AÉFA) tenait la semaine dernière les élections de son nouveau VicePrésident aux afaires internes. Roma Nadeem, la seule candidate, a été élue à 87.5 % (632 voix) contre 7.5 % (90). Le Délit a pu obtenir une entrevue. Le Délit (LD): Quelles raisons t’ont poussées à t’engager au sein de l’AÉFA? Est-ce un intérêt particulier pour la politique, ou l’impression d’un certain manque dans le système actuel? Roma Nadeem (RN): La raison pour laquelle j’ai postulé est […] que je sentais de par mon expérience avec l’administration de l’Université et avec le comité [d’équité de l’AÉUM] que mon proil collait au poste. En fait, j’avais presque postulé plus tôt cette année pendant la saison régulière des élections, mais je venais d’obtenir une place en tant que floor fellow à la résidence Royal Victoria College. J’avais peur de trop en faire. Mais quand le poste de v.-p. interne s’est libéré en Septembre, j’ai réalisé que mon emploi du temps n’était pas si chargé que cela, et que c’était quelque chose que j’aimerais beaucoup faire. Je suis constamment à l’écoute des besoins des étudiants de première année, et j’ai réalisé qu’à travers l’AÉFA je serai capable d’y répondre, et de les amener au premier plan de la discussion. LD: Avec ton parcours et ta
personnalité, que penses-tu pouvoir apporter au poste? RN: Durant ma première année, je présidais le Conseil de ma résidence, Carrefour Sherbrooke, et cela m’a amenée à assister au Conseil Inter-Résidentiel ainsi que le Conseil des Résidences Universitaires. Je faisais oice de liaison avec un grand nombre d’étudiants, ce qui m’aidera dans mes contacts avec les groupes étudiants pour l’AÉFA. Pendant ma deuxième année, je travaillais pour le bureau du Logement Étudiant et des Services d’Hospitalité. Là, mes fonctions étaient essentiellement administratives et organisationnelles […]. Il est important d’être organisé pour être v.-p. interne, parce que c’est un poste qui implique beaucoup de gestion. Je pense que mon enthousiasme, ma passion et mon énergie seront bénéiques au programme et j’ai hâte de commencer à travailler dans ce conseil. Je fais une majeure en Psychologie […], et je pense que c’est un plus pour ma sensibilité visà-vis des besoins des personnes avec qui je travaillerai, ainsi que pour être présente et compréhensive. LD: Quel est ton programme, sur quoi comptes-tu te concentrer? RN: Le v.-p. interne doit faire le lien entre les diférents groupes étudiants, et je pense qu’il est très important pour eux de se sentir soutenus. Concrètement, mon soutien auprès du Comité des événements et des activités académiques pour les étudiants de première année (FEARC), du conseil environnemental de l’AÉFA (AUSec) et du
comité d’équité de l’AÉFA prendra la forme de mises à jour régulières ain de m’assurer qu’ils disposent de ce dont ils ont besoin, ainsi que d’assister à leurs réunions, pour pouvoir répondre directement à leurs questions sur l’AÉFA. Quant au soutien envers les départements, j’ai l’intention de commencer par des entretiens personnels avec leurs représentants, pour comprendre ce qu’ils attendent de l’AÉFA. Aussi, je compte faciliter des lux directs de communication, ain qu’ils se sentent assez à l’aise pour me contacter dès qu’ils en ressentent le besoin […], et être très joignable. Je garderai un contact régulier avec tous les groupes étudiants, par courriel et par un bulletin hebdomadaire pour les départements, avec des informations concernant les activités et positions de l’AÉFA. LD: Tu étais la seule candidate pour ces élections. Qu’est-ce que tu ressens par rapport à cela? RN: Je pense que la position de v.-p. interne est souvent peu attrayante parce qu’elle sous-entend beaucoup d’organisation et de travail administratif, ce qui ne ressemble pas au rôle typique de l’étudiant politicien. Je suis heureuse que cela m’ait permis d’obtenir le poste sans diiculté. Je sais que je serai idèle au poste, mais je crains que dans la perspective des étudiants, cela donnera l’impression que j’étais la seule disponible, et cela donne une fausse image du travail de l’AÉFA… J’espère pouvoir changer ce point de vue, et prouver que je veux vraiment être une excellente v.-p. interne! x
McGill encore au premier rang La Faculté de médecine de l’Université rafle les honneurs. Julien Beaupré
Le Délit
C
’est le 30 octobre dernier que le fameux magazine canadien Maclean’s lançait son 23e palmarès annuel des universités du Canada. L’Université McGill s’est pour la neuvième année consécutive hissée en tête de la catégorie médicale/doctorat. Arrivée comme un baume après la récente chute au Times Higher Education World University Rankings (de la 35e à la 39e position), et de concert avec le prix Nobel de physiologie ou médecine récemment codécerné à John O’Keef, ancien doctorant de l’université, la nouvelle rassure la fierté mcgilloise. À chaque année, le magazine Maclean’s prépare un numéro spécial dédié au domaine universitaire canadien. Les 49 universités listées sont passées au peigne fin, évaluées et classées dans
II actualités
le palmarès selon plusieurs catégories. La catégorie doctorale/ médicale agit pour récompenser les universités aux programmes et recherches doctorales les plus variés en même temps que les meilleures écoles de médecine. La méthode est à la fois vaste et pointilleuse. Maclean’s se targue de n’utiliser que les statistiques publiques les plus récentes et utilise des critères tels que le nombre et la valeur des distinctions et des prix décernés aux étudiants-chercheurs, les distinctions décernées aux facultés même, les fonds disponibles aux services aux étudiants et aux bourses, la qualité et la quantité du contenu des bibliothèques et la réputation générale des universités. C’est donc à ce total de données que McGill doit sa première place, terminant devant l’Université de la ColombieBritannique (UBC) et celle de Toronto (UofT). Elles voient
ainsi leurs positions respectives inchangées par rapport à l’an dernier, à l’instar, d’ailleurs, des sept premières positions du palmarès. Une autre reconnaissance Au même moment, un chercheur au doctorat en génétique humaine de l’Université McGill, Juan Pablo Lopez, s’est vu attribuer le prix de l’étudiant-chercheur étoile du mois d’octobre remis par le Fonds de recherche du Québec – Santé (FQRS) pour ses travaux sur la dépression. Spécifiquement attribué pour un article paru dans Nature Medicine le 7 juillet 2014, le prix valorise son projet de recherche, sous la tutelle du docteur Gustavo Terecki, qui s’inscrit dans une plus large perspective visant à «mettre en évidence les biomarqueurs de la réponse aux antidépresseurs.» x
luce engérant
le délit · le lundi 3 novembre 2014 · delitfrancais.com
Montréal
brève / campus
Contre l’austérité
AÉCSUM et austérité. léo arcay
Le Délit
Rassemblement pour dénoncer les restrictions économiques du gouvernement. Inès chabant
L
es mesures d’austérité du gouvernement libéral de Philippe Couillard ont été contestées par environ 50 000 manifestants – chiffre avancé par les organisateurs – dans la manifestation qui a eu lieu près du bureau du premier ministre, au croisement des rues Sherbrooke et McGill College, vendredi 31 octobre à 11h. C’était le deuxième rendez-vous dans la lutte contre l’austérité depuis la manifestation organisée par l’Association pour une solidarité syndicale étudiante (ASSÉ) le 3 avril dernier. Plus de 15 000 sympathisants avaient alors dénoncé le projet de hausse du coût des études universitaires au Québec. Ce projet n’a finalement jamais vu le jour. La manifestation avait une allure dynamique malgré le sentiment général de désenchantement, voire de méfiance. Aux sons de percussions, de rap et de reggae, se déploient des pancartes aux slogans allant du
femmes du Québec (FFQ) sont autant d’associations hétéroclites présentes devant les bureaux de la HSBC lors du rassemblement, offrant un large spectre de la société québécoise en marche. Tandis que les manifestants
La classe moyenne qui est «toujours la seule à se serrer la ceinture, pour des mesures idéologiques que l’on fait passer pour du nécessaire – l’austérité»
qui est «toujours la seule à se serrer la ceinture, pour des mesures idéologiques que l’on fait passer pour du nécessaire – l’austérité». Pendant ce temps les quelques 32 policiers du Service de police de la ville de Montréal (SPVM) sont postés de l’autre côté de la rue, à l’attente d’ordres leur permettant de mettre en vigueur le règlement P-6 (voir article du Délit «L’ordre audessus de la paix» édition du 28.10.2014) afin d’avorter le rassemblement considéré comme illégal. En effet, les organisateurs n’avaient pas donné leur itinéraire aux autorités, ayant de surcroit bravé le règlement vestimentaire, puisque en cette journée d’Halloween, beaucoup sont déguisés et masqués pour cette double occasion. Si les agents sont calmes et se tiennent à l’écart, aucun d’entre eux ne veut se prononcer sur la démonstration. Un à un ils prononcent des phrases similaires: «on fait notre travail» et «on attend les ordres pour agir, tranquilles, voilà tout». emma combier
L
sitaires à travers la province se coordonnent et [fassent] campagne commune. On va faire du lobbying à travers la FUQ [Fondation de l’Université du Québec, ndlr] qui est notre porte-voix au niveau provincial. Aussi, au conseil de la semaine prochaine, on va faire passer une motion pour inciter l’AÉCSUM à participer à la manifestation du 29 novembre.
’Association étudiante des cycles supérieurs de l’Université McGill (AÉCSUM) a condamné, durant son Assemblée Générale du 22 octobre, les mesures d’austérité imposées par le gouvernement provincial sur les institutions académiques. Bien qu’elle n’ait pas participé aux manifestations de vendredi dernier, l’association compte bien prendre position dans les semaines, voire les mois qui viennent. Entrevue avec Julien Ouellet, le vice-président aux afaires externes.
LD: Et une grève ? JO: Il faut voir comment ça s’annonce au niveau des autres grandes associations [de la FUQ]. Si grève il y a, il faut que ça soit concerté; on ne peut pas être seuls dans notre coin.
Le Délit (LD): Pourquoi l’AÉCSUM n’a-t-elle pas participé aux récentes manifestations à Montréal contre l’austérité? Julien Ouellet (JO): Pour certaines raisons, notamment le fait que seulement une semaine nous séparait de la manifestation, j’ai préféré me prononcer contre […], et l’AG est allée dans ce sens. L’autre clause [de la motion] était que le comité exécutif de l’AÉCSUM allait se donner les moyens pour combattre l’austérité. Ce que j’aimerais, c’est faire en sorte que les associations étudiantes et les administrations univer-
LD: Comment penses-tu que les corps administratifs de McGill ou d’autres universités se positionnent par rapport à l’austérité? JO: J’imagine qu’on est assez unanimes – les associations étudiantes et les administrations – pour dire que les coupures dans les fonds universitaires sont quelque chose qui ne peut pas se passer. On peut se coordonner sur le message et les moyens qu’on peut utiliser pour faire comprendre au gouvernement […] que c’est nuisible à la province et à notre futur économique et culturel. x
brève / canada
Projet de loi C-44. Catherine Mounier-Desrochers
C’est lundi dernier, à la Chambre des communes que Steven Blaney, le ministre fédéral de la sécurité publique, a déposé son projet de loi C-44 concernant des mesures d’action pour lutter contre le terrorisme. Cette proposition qui devait être ironiquement déposée mercredi 22 octobre, journée de la fusillade à Ottawa, a comme objectif d’accorder d’avantage de pouvoirs à la GRC ainsi qu’au Service Canadien du Renseignement de Sécurité (SCRS). Ce que M. Blaney qualiie de «première étape» contient plusieurs éléments d’importance, dont une facilitation du partage d’information avec les agences étrangères ainsi qu’une plus grande capacité d’application des mesures de révocation de citoyenneté. Le gouvernement Harper avait déjà prévu dans son agenda
de renforcer les mesures actuelles, mais les récents attentats risquent d’accélérer la suite des choses : «il est clair que nous devons aller de l’avant avec d’autres mesures et nous allons procéder avec célérité», a déclaré le ministre Blaney. Malgré le récent élan de solidarité entre les chefs observé au Parlement à la suite des évènements de mercredi passé, l’opposition demande une certaine prudence. Le NPD préconise des consultations avec de nombreux experts avant d’adopter des projets de loi de la sorte, tandis que les libéraux prônent la mise en place d’un comité parlementaire permanent pour se pencher sur le sujet. Certains s’inquiètent que la récence des évènements de la semaine dernière ait un impact considérable sur la suite des choses et qu’il est important de s’assurer que les mesures n’entravent pas les libertés civiles des canadiens. x
lence policière par exemple) aucune arrestation n’a eu lieu. Ce choix donne lieu à un questionnement: le SPVM a-t-il reçu l’ordre de ne rien faire étant donné l’ampleur du mouvement social? Pour Camille Godbout, porte-parole de l’ASSÉ, il est bon de faire savoir au gouvernement «[qu’]
il doit s’attendre à un automne chaud et chargé». Un forum sur le même thème a lieu aujourd’hui à l’Université du Québec à Montréal (UQÀM) et d’autres journées d’action contre l’austérité auront lieu les 3, 6, 12 et 27 novembre pour des journées d’action contre l’austérité. x
Le Délit
spécifique: «handicapés citoyens de seconde classe» et «sauvons les centres d’éducation populaires» au populaire: «groupes sociaux en colère contre vos mesures austères». L’ASSÉ, la Confédération des syndicats nationaux (CSN), le Centre de réadaptation en déficience intellectuel et en troubles envahissants du développement (CRDITED), Divest McGill, la Fédération des
scandent l’éternel: «Crions plus fort pour que personne ne nous ignore»; Louise Boulanger, militante de la CSN dit avoir «perdu toute confiance en ce gouvernement qui a fermé la porte sur la classe moyenne» soulignant surtout que «les aides sociales sont en train de mourir». Gabriel, professeur en philosophie au Cégep de St-Jérôme, se prononce lui aussi sur la classe moyenne
le délit · le lundi 3 novembre 2014 · delitfrancais.com
À 11h54 le cortège se mobilise et marche vers l’est sur la rue Ste-Catherine. Vers 13h45 la démonstration s’arrête. Certains groupes, cependant, continuent de défiler jusqu’à 15h, après quoi ils se dispersent dans les stations de métro avoisinant Ste Catherine. Contrairement aux derniers rassemblements d’envergure (celle du 15 mars contre la vio-
actualités
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politique québécoise
Recherche chef de parti - temps plein Actualité de la course à la cheferie au Parti québécois. Astrid Aprahamian
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es membres du Parti québécois (PQ) seront invités à voter en mai 2015 pour l’élection d’un nouveau chef, l’ex-première ministre Pauline Marois ayant démissionné de son poste après sa défaite dans la circonscription de Charlevoix le 7 avril dernier. La période de mise en candidature a débuté le 14 octobre. Il faut récolter 20 000 dollars et 2000 signatures de 50
circonscriptions (sur 125) pour être candidat oiciel au premier tour. Retour sur les parcours et idées des candidats et potentiels candidats. La défaite du PQ aux élections générales de 2014 était son pire résultat depuis 1970. Le parti n’a réussi qu’à récolter 25,38% des voix et a perdu son gouvernement face au Parti libéral du Québec (PLQ) de Philippe Couillard. On a souvent plaidé, autant à l’intérieur du PQ que parmi ses adversaires,
luce engérant
IV
actualités
que la Charte des valeurs québécoises, proposée par le ministre des Institutions démocratiques du temps, Bernard Drainville, était la cause de cette défaite, de même que le manque de cohérence et l’instabilité au sein du parti. Pour l’instant, il y a cinq personnes qui ont oicialisé leur intérêt dans la course à la cheferie en allant chercher leur billet de candidature. La députée de Vachon et ex-ministre des Ressources naturelles, Martine Ouellet, promet, si elle est élue à la tête du parti, un référendum dès le premier mandat d’un futur gouvernement péquiste. Bernard Drainville, député de Marie-Victorin au cœur de la controverse de la Charte lors des dernières élections, pense qu’une issure s’est créée entre les Québécois et son propre parti. Selon lui, le PQ doit se réconcilier avec ses électeurs ain de gagner la bataille du souverainisme au Québec. Enin, Jean-François Lisée, député de Rosemont, a publiquement annoncé sa candidature hier, à l’émission Tout le monde en parle. Il ira chercher son bulletin de candidature aujourd’hui même. Dans son nouveau livre Le Journal de Lisée, il propose sa vision de l’indépendance: une transition en partenariat avec le fédéral, plutôt qu’en opposition, une monnaie propre, une politique de défense autonome et le maintien du
Québec dans la plupart des organisations militaires dont le Canada est membre aujourd’hui. Les autres candidats en voie de devenir oiciels sont Pierre Céré, porte-parole du Conseil national des chômeurs et chômeuses, et Alexandre Cloutier, député du Lac-Saint-Jean. Le premier, candidat dans la circonscription Laurier-Doiron aux élections provinciales de 2014, veut mettre l’accent sur la justice sociale et les droits sociaux, écrivant sur le site de sa campagne, pierrecere.org: «Il est hors de question de laisser l’actuel gouvernement libéral de M. Couillard et associés disloquer ce que nous avons construit avec autant d’eforts.» Cloutier, de son côté, airme que le PQ a besoin de sang neuf. «Le Parti québécois ne peut se contenter d’être, dans huit mois, une copie carbone de ce qu’il est aujourd’hui», lance-t-il au quotidien Le Devoir. Il veut également que le PQ cesse la politique sectorielle ain de rejoindre toute la population québécoise. Atypique D’autres candidats ont exprimé leur intérêt dans la cheferie, sans encore avoir été cherché de billet de candidature. Le plus populaire d’entre eux, récoltant 53 % des appuis parmi les sympathisants péquistes d’après un sonda-
ge de Léger Marketing, est Pierre Karl Péladeau, ancien président et chef de la direction de Québecor et député de Saint-Jérôme. Tout nouveau au PQ, il n’y a fait son entrée qu’au début des élections provinciales de 2014 et sa candidature n’a pas été sans controverse , notamment à cause de ses positions sur les lockout durant sa direction à Québecor. D’autre part, certains membres de l’Assemblée nationale, dont le premier ministre Philippe Couillard, se demandent si ses actifs et son inluence médiatique au Québec ne poseront pas de problèmes d’éthique ou de conlits d’intérêts quant à ses interventions en politique, allégations que M. Péladeau a qualiié de «ridicules» en conférence de presse. Ses idéologies politiques, toutefois, restent obscures, même pour ses propres collègues au PQ: «On connaît peu M. Péladeau d’un point de vue politique, on le connait mieux comme dirigeant de Québecor», admet la députée Martine Ouellet. Compte tenu du nombre de candidats et de leurs divergences d’opinions, une chose est certaine: peu importe le résultat, le parti devra réorganiser ses idées. Tous les candidats, même les moins populaires, ne se sentent pas intimidés par la course à la cheferie. «Le bon dernier peut toujours inir bon premier», airme Alexandre Cloutier dans Le Devoir. x
le délit · le lundi 3 novembre 2014 · delitfrancais.com
en chiffres Prix d’une poutine classique chez Frite Alors!: 6,90€ Prix moyen d’une baguette en boulangerie: 0,90€
Nombre de vélibs disparus ou volés pour 23600 vélos (région parisienne): 8000
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11 000 Français employés par 110 entreprises québécoises en France
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le délit · le lundi 3 novembre 2014 · delitfrancais.com
hors-série québec france
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Dans le domaine de l’éducation Bilan des premiers temps d’une coopération particulière.
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e Délit (LD): La signature de l’entente de coopération du 27 février 1965 constitue un précédent historique pour le Québec qui, de facto, inaugure sa participation au forum diplomatique international. Seraitil possible de surestimer l’importance de ces accords dans la «francisation» de la conscience nationale québécoise? Qu’estce qui se dégage, pour vous, des répercussions identitaires de la coopération? Samy Mesli (S. M.): D’une part, ce qu’il faut constater c’est que la signature est bel et bien historique: il s’agit du premier accord signé par le gouvernement du Québec avec un interlocuteur étranger. C’est la base sur laquelle va reposer la paradiplomatie québécoise – paradiplomatie, c’est-à-dire les relations internationales des entités subnationales comme les provinces canadiennes, les länder allemands, etc. D’autre part, cette signature est à la base de la coopération entre la France et le Québec. Les premiers organismes bilatéraux sont d’abord mis en place à partir de la coopération en éducation; ils se diversiieront ensuite. Assurément, la coopération a contribué à la réalisation de politiques linguistiques au Québec. Un cas mérite d’être évoqué: la signature des accords Bourassa-Chirac en décembre 1974, qui va permettre l’implantation du programme «francisation des ateliers et laboratoires scolaires». C’était quelques mois après que Bourassa a décidé d’adopter la célèbre «loi 22» pour la francisation des milieux professionnels. Quel était le constat de Gaston Cholette, qui dirigeait à l’époque l’��ce l’��ce québécois de la langue française? C’était que dans les domaines techniques, la plupart des employés travaillaient en anglais, que toute la littérature technique était en anglais! L’objectif du gouvernement québécois était alors d’aller chercher une expertise en France, en important des termes francophones. Ainsi, 1 836 professeurs et administrateurs scolaires québécois ont bénéicié d’un stage en France dans le cadre des accords Bourassa-Chirac, soit environ 20% de professeurs de l’enseignement technique au Québec – chifre non négligeable. LD: Aux débuts des échanges, il était surtout question d’une formation que la France ofrait au Québec: les instituteurs, enseignants, cadres ou ingénieurs français partaient former les Québécois tandis que ces derniers étaient plutôt reçus en stagiaires. La cooptation des accords de 1965 serait-elle sous-tendue plus par une politique latente d’assimilation (on pense au «Les Français du Canada» gaulliste) que par une volonté de coopération paritaire? S. M.: Est-ce que de Gaulle avait vraiment une politique d’assimilation ou des visions oserais-je dire annexionnistes quant au Québec? Non; la France n’avait plus les moyens de rayonner à l’international si ce n’est que par la coopération. Dans ses toutes premières années, il y a eu une volonté de la France
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d’aider le Québec en lui faisant proiter de son expertise en éducation, là où les besoins étaient criants – le Québec, en 1965, était demandeur dans le domaine de l’éducation. Rappelons-nous que le ministère de l’Éducation du Québec a été créé un an plus tôt! En 1964, c’est une tâche immense à laquelle s’attaque Paul Gérin-Lajoie. �n réforme l’éducation secondaire, on créé les polyvalentes, les cégeps (qui ouvrent en 1967),
SAMY MESLI
S. M.: Cela se fait d’initiative en initiative, mais très rapidement. À partir de 1973, on met sur pied des projets intégrés qui sont décidés par les universités. Par contre, au début, il y avait efectivement ce sentiment de besoin, d’urgence auquel la France a répondu pour soutenir les réformes et le développement du système scolaire au Québec. Je pense notamment aux jeunes coopérants militaires, les Volontaires de Service National Actif qui ont été 1500 à venir enseigner dans les universités québécoises parce qu’on créait des départements entiers. Il y avait quatre ou cinq profs, trois ou quatre coopérants… et c’est par là qu’on a mis sur pied des départements! Question de mettre les choses en perspective, il est intéressant de noter que bien des modèles de la coopération France-Québec ont été copiés sur ceux de la coopération franco-allemande. L’��ce franco-québécois pour la jeunesse a été créé sur le modèle de l’��ce franco-allemand pour la jeunesse, par exemple. Le fait de s’inspirer de l’Allemagne – et de Gaulle a été le pilier de ce rapprochement – démontre l’importance qu’a pu avoir le Québec dans la pensée des dirigeants français. LD: Le Québec, homologue de l’Allemagne? On comprend que la coopération franco-québécoise ne se soit pas développée sans générer un certain inconfort à Ottawa. Par exemple, vous relevez un incident diplomatique. Lorsque Jean Lipkowski, en visite diplomatique à Québec en 1969, refuse de se rendre
Auteur de La coopération franco-québécoise dans le domaine de l’éducation: De 1965 à nos jours (2014, Septentrion). Titulaire d’un doctorat de l’Université Paris-VIII et de l’Université du Québec à Montréal (UQÀM), Samy Mesli enseigne au Département de science politique de l’UQÀM. Auteur de nombreux articles scientiiques sur les relations internationales du Québec et du Canada, il a également codirigé un ouvrage sur Hector Fabre, premier représentant diplomatique du Québec à Paris. l’Université du Québec (qui ouvre en 1969); l’enseignement en maternelle était squelettique… les réformes à mener étaient colossales. À cette période, le Québec avait un besoin considérable de main d’œuvre et d’expertise; c’est vers la France qu’il s’est naturellement tourné. Celle-ci avait une oreille très attentive – c’est le cas de de Gaulle, bien sûr – aux demandes du Québec. S’il est vrai que dans les premières années, il est plutôt question d’une action de la France, force est de constater que ce mouvement va s’équilibrer, particulièrement dans le cadre du programme de jeunes maîtres où là, ce sera vraiment une volonté du paritaire – du poste pour poste. Ce ne sera pas long avant que l’unilatéralisme devienne un bilatéralisme institutionnalisé. LD: Avec la situation de départ, je ne peux pas m’empêcher d’imaginer un «King-Kong» français tenant sa belle québécoise sans défense en afrontant les «avions» de l’assimilation anglophone! Combien de temps cette institutionnalisation du bilatéralisme a-t-elle pu prendre?
hors-série québec france
aussi à Ottawa, Trudeau le qualifie «d’insolent». Pompidou reçoit la dépêche et, froissé, émet un communiqué qui se termine par «Jusqu’à nouvel ordre, nous ignorons Monsieur Trudeau». Hormis les histoires de bouderies passagères, comment s’est développée la complexité des relations tripartites que ces accords posent entre Paris, Ottawa et Québec? S. M.: �ttawa n’a jamais vraiment accepté – surtout avec le combat Trudeau-Lévesque – que Québec ait des relations diplomatiques distinctes avec Paris. Celle-ci entretient des relations indépendantes avec �ttawa et avec Québec. Pour Trudeau, cela est hérétique, contraire au droit international. Dans la genèse des accords de 1965, �ttawa n’avait pas mis de barrières puisqu’il se négociait en même temps un accord culturel franco-canadien. Dans la tête des représentants fédéraux, il était clair que l’entente France-Québec n’entrerait o�ciellement en vigueur qu’avec la signature France-Canada. Tout cela s’est fait au grand jour. Raymond Bousquet, ambassadeur de France à �ttawa, appelle le ministère des Afaires extérieures à �ttawa en
leur disant qu’il négocie un accord avec le Québec pour faciliter les échanges d’enseignants, ce à quoi �ttawa répond «pas de problème». Au départ, ça c’était vu uniquement comme un accord technique négocié entre fonctionnaires. �r, �ttawa n’a jamais réussi à contrôler la coopération franco-québécoise, et Paris a toujours maintenu une cloison étanche dans ses activités avec Québec et le reste du Canada. Ce n’est qu’en 1984 avec le gouvernement de Brian Mulroney que les tensions au sein du triangle Paris-Québec�ttawa vont s’apaiser. Mulroney reconnait o�ciellement la relation particulière du Québec vis-à-vis la France, ouvrant ainsi la porte à sa participation au sein du sommet des chefs de la Francophonie en 1986, dossier enlisé depuis 15 ans. LD: Encombrante chicane! Dans l’actuel, le président Hollande est de passage au Canada ain, entre autres, de renégocier les modalités de cette coopération en éducation. Vous pourrez assurément approfondir cette question lors d’une conférence le 3 novembre 2014, mais quant au futur, sauriez-vous commenter brièvement la pertinence de cette coopération? S. M.: Le Québec et la France y gagnent d’entretenir des liens de coopération; ils ont gagné par le passé et ils y gagnent encore aujourd’hui. C’est un partenariat dynamique et innovant, tout à fait branché sur les enjeux actuels. En plus de témoigner d’un très bon bilan par le passé, ça reste quelque chose de très – je ne dirais pas capital, mais très nécessaire pour le Québec. Au plan politique et diplomatique, la France demeure le principal partenaire du Québec. S’il est vrai que le nombre toujours plus élevé d’étudiants venus de l’Hexagone à s’inscrire dans les universités québécoises peut susciter des polémiques, le Québec est une terre d’immigration. Les Français débarquent, et s’y sentent souvent très bien. Encore une fois, le Québec ne doit pas oublier l’intérêt de sa relation avec la France, et les acquis réalisés sur la scène internationale. C’est primordial. Il s’agit désormais de s’appuyer sur les fondements de cette relation et d’explorer les besoins et les complémentarités des deux sociétés pour qu’elles adoptent, ensemble, de nouvelles avenues pour leur coopération bilatérale. x philippe robichaud Le Délit
le délit · le lundi 3 novembre 2014 · delitfrancais.com
Une afaire de com’ Le Délit rencontre Philippe Holl, publicitaire spécialisé entre le Québec et la France.
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e Délit: Qu’est-ce qui vous a mené à cette forte spécialisation en créant CH&C? Philippe Holl: J’ai découvert le Québec parce que je me suis marié avec une Montréalaise, et j’ai fait des allers-retours depuis 25 ans. Cette idée, qui me trottait dans la tête depuis assez longtemps, a vu le jour il y a quatre ans, parce qu’on a commencé à parler de croissance canadienne durable, avec un rapport de l’OCDE qui table sur 2,5% de croissance du PIB par an jusque 2050. Et je m’étais rendu compte que beaucoup de Français se font de fausses idées sur le Canada. Ils pensent que tous les Québécois les aiment, les admirent, les respectent. Ce qui est parfois vrai mais le côté «maudits français» est totalement oublié; de même que le «je me souviens» n’est pas anodin. […] Ainsi, pas mal de marques françaises pensent s’exporter au Québec en se disant que ce sera facile, que puisqu’ils parlent notre langue, on n’aura pas besoin d’adapter notre publicité. Ce qui est une aberration. Montréal est en Amérique du Nord; sa culture est nord-américaine.
LD: Est-ce que les Québécois s’attendent plus à s’adapter dans les communications en allant en France? Et est-ce que votre chifre d’afaires se fait dans ce sens? P.H.: Il se fait principalement dans le sens Québec-France, ou Canada-France. Nos trois plus gros clients sont canadiens. Toutes les grosses compagnies françaises (L’Oréal, Lafarge, Ubisoft, etc.) sont déjà là depuis longtemps. De toutes manière, les très grosses compagnies font appel à leur propre réseau de communication globale, ou à des agences internationales comme par exemple Publicis. C’est logique qu’ils ne fassent pas appel à nous. On travaille donc surtout avec des grandes compagnies au Canada, et des PME [petites et moyennes entreprises] en France. Excepté l’année dernière: on a accompagné Unilever avec le lancement de la moutarde Maille au Canada. La problématique pour s’implanter au Canada c’est que très peu d’agences locales couvrent tout le pays. C’est soit le Québec, soit le Canada anglophone. LD: En quoi peuvent consister, vos services conseils? P.H.: Il y a d’abord les relations publiques. Par exemple, sur huit millions de Québécois, environ six millions ont un compte en banque chez le Mouvement Desjardins [client majeur]. C’est une situation de quasi monopole qui n’a pas de pendant en France. Ils se sont implantés à Paris il y a deux ans, mais absolument personne ne les connaît; voire on les confond avec un site de jardinage en ligne. Il y a donc un travail de notoriété à faire. Et après un réseau à mettre en place avec la diplomatie canadienne
et québécoise en France. Il faut tirer parti de relations en place, comme les jumelages Montréal-Lyon et QuébecBordeaux. Dans toutes les régions françaises, il y a un engouement certain avec le Québec; il faut surfer sur cette volonté, et les suivre dans leur développement économique! Enin, il y a toute une stratégie de communication à mettre en place; selon la inalité: soit du digital, soit de la télé, soit de la presse. On crée le contenu le plus souvent, ou pour les grands groupes québécois on se cantonne à adapter leurs campagnes existantes. Il y a des expressions qui ne sont pas exploitables ici [en France]!
et historique, mais beaucoup va changer avec l’accord de libre-échange Canada-Union Européenne. LD: Est-ce que vous vous attendez à un fort impact sur vos afaires? P.H.: Oui, ça va être avec un accélérateur. Je ne connais pas tous les détails mais j’y voit des points positifs. […] On attend des éléments concrets pour 2015. Voici ce qu’on dit aux entreprises françaises qui cherchent des points de croissance. Ils se sont tournés vers les BRICs [Brésil, Russie, Inde, Chine]. Mais ouvrir au Québec, c’est une facilité et une stabilité incomparables. Est-ce qu’on
LD: Quel a été un de vos succès, qui illustrerait une coopération franco-québécoise? P.H.: Plus que notre apport [aux clients], je pense aux grandes entreprises, qui en elles-mêmes sont un accélérateur dans les deux sens. Par exemple, l’ouverture de Desjardins à Paris n’est pas insigniiante, c’est un geste fort qui va aider le tissu économique dans les deux sens. Les grands groupes n’ont besoin de personnes; par contre les PME qui vont en bénéicier sont celles qui au total contribueront le plus à l’emploi et aux échanges. […] LD: Est-ce que vous vendez le Québec comme une porte vers les États-Unis? P.H.: Montréal, pour moi, c’est la porte d’entrée sur l’Amérique du Nord; de même que Paris sur l’Europe. Pas Londres. […] Si l’on veut envahir l’Europe, il faut passer par la France, géographiquement et culturellement.x
Les chifres des relations économiques Québec-France: 3,7 milliards de dollars – Le montant des échanges commerciaux Québec-France en 2013 35 000 dollars US PPA – Le PIB par habitant au Québec et en France en 2011 selon le pouvoir d’achat. Le niveau de vie est donc similaire.
PHILIPPE HOLL Philippe Holl a confondé il y a quatre ans et est aujourd’hui PDG de CH&C, agence de communication spécialisée dans l’accompagnement de irmes françaises implantées au Québec et vice versa. LD: Est-ce que les diférences culturelles sont un frein aux échanges? Notamment, commerciaux? P.H.: Non, ce n’est pas un frein. C’est toujours riche d’échanger avec des gens qui ont des méthodes diférentes. L’avantage pour le monde des afaires c’est que les systèmes juridiques québécois et français sont très proches. Ce n’est pas le code Napoléon mais c’est dans l’esprit. Par contre, le vocabulaire dans le système inancier est très diférent. […] Donc on doit parfois mettre les clients en relation avec des avocats ou le Mouvement Desjardins. […] J’entends d’ailleurs des gens qui disent que c’est long d’ouvrir une entreprise au Canada, ce qui est complètement faux; et en France ça va très vite aussi.
LD: Pour les aspects réseaux et conseils, en quoi est-ce que vous diférez des délégués commerciaux [accompagnateurs des entreprises dans les chambres de commerce]? P.H.: Demandez aux entreprises françaises ce qu’elles pensent d’Ubifrance [Agence française publique pour le développement international des entreprises]. Ils donnent des états du marché, ce ne sont pas des commerçants.
LD: Les échanges entre la France et le Québec restent modérés. La France n’est que le quatrième partenaire commercial du Québec, et le Québec a dix fois plus d’échanges avec les États-Unis. Est-ce un ilon viable? P.H.: Les échanges sont importants [3.7 milliards CAD en 2013]. Bien sûr, il y a un plan géographique
LD: S’il fallait donner un conseil à une entreprise québécoise et à une entreprise française pour le commencement d’une relation d’afaires? P.H.: Pour les Français: qu’ils apprennent l’anglais, soient plus gentils et plus modestes. Les québécois: moins modestes, moins gentils. (Rires)
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préfère sept points de croissance avec un risque? Ou 2.5 sur les cinquante prochaines années? […] Denis Coderre expliquait en visite à Paris que les affaires à Montréal, c’est comme arriver à Dorval plutôt qu’à JFK [aéroport de New York]: c’est plus simple.
4e – La place de la France comme partenaire commercial avec le Québec, avec 2,3% des exports et 3,3% des imports en 2011 (à comparer avec les Etats-Unis 67 et 30%). 2e – La place de la France comme investisseur au Québec, soit des liens plus directs, notamment dans l’aéronautique, les technologies et l’agroalimentaire. 43% – La part des échanges franco-canadiens qui se faisaient avec le Québec, alors que la Belle Province représente 19,5% du PIB du Canada. 45 & 27% – Les parts des exports dans les PIB québécois et français respectivement. AECG – Accord économique et commercial global, le traité de libre échange entre le Canada et l’Union Européenne a été conclu le 26 septembre 2014. Charles-Elie Laly
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Marseille-Montréal Le festival ActOral rapproche l’Hexagone et la Belle-Province.
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e Délit (LD): Comment s’est imaginé et matérialisé ActOral? Hubert Colas: La genèse d’ActOral est liée au lieu que j’ai créé à Marseille dans un premier temps. En réalité, ça se pose comme ça: je suis plutôt un auteur-metteur en scène, j’ai une compagnie, des artistes avec qui je travaille, des acteurs, et j’ai pris un lieu à Marseille qui était un lieu de travail. Et je me suis dit que ce lieu-là, j’allais le partager avec d’autres artistes, que j’allais en inviter d’autres, puisque je ne vais pas l’utiliser douze mois sur douze. Ce qui m’intéresse, ce sont les écritures contemporaines. Ce que je voyais, c’est que les écritures contemporaines de théâtre sont très figées dans un certain protocole d’écriture de formes. Et ce qui m’intéressait à Marseille, c’était de comprendre quels espaces de rencontres y seraient pertinents. Je m’intéresse à la poésie, à la poésie sonore, aux formes transversales d’écriture, donc je voulais plutôt inviter des écrivains d’une manière générale. Il s’agissait d’arrêter de penser les clivages entre littérature et théâtre, d’arrêter de dire que le théâtre est un sous-genre littéraire; on va dire ce sont des auteurs à part entière. Donc j’ai invité un certain nombre d’artistes. Chemin faisant, on a bien vu que ça a créé des mélanges, des formes, des inspirations. Du coup, j’ai continué à faire ça, on a commencé par trois-quatre jours, c’était essentiellement les artistes en résidence, puis on est passé à quatre-cinq. On appelait ça «Rencontres» au départ, et puis après, ce qui était intéressant, c’était d’inviter des artistes qui ne sont pas écrivains mais qui travaillent sur des écritures. Je me suis dit qu’il y avait les écritures scéniques, donc je me suis dit qu’il fallait inviter ces genslà. J’ai finalement de plus en plus ouvert sur cela et créé des maillages entre des chorégraphes, des plasticiens, des cinéastes, des dramaturges, des poètes sonores, et le champ d’ActOral s’est ouvert comme cela. Nous interrogeons les écritures dans tous les domaines artistiques. LD: Comment ActOral s’est-il transformé en un pont culturel entre Marseille et Montréal? HC: ActOral est né de ma compagnie, Diphtong. D’abord je suis quelqu’un du service public, j’ai l’impression d’être né là-dedans, avec l’idée qu’une société est une société de partage, donc c’est un acte politique sans revendications politiques… mais c’est un acte politique. Je viens ici pour présenter un spectacle de ma compagnie qui s’appelle Kolik, et on se rencontre avec Danièle de Fontenay, on parle, je lui raconte toutes mes activités, et elle me dit:
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«Mais pourquoi tu n’organiserais pas un ActOral à Montréal?». Je réfléchis, je m’enthousiasme à cette idée-là et puis je lui dis que ce serait formidable que ce ne soit pas simplement Actoral qui vienne à Montréal mais qu’il s’agisse d’une collaboration franco-québécoise et que ces artistes puissent voir et se voir. Pour moi c’est une vraie collaboration entre ces deux continents qui n’est pas simplement pour affi-
propose autant à Marseille qu’à Montréal, c’est d’aiguiser la curiosité du public, des artistes, de trouver des espaces-temps possibles. Comme le disait Julien Gosselin à son spectacle, ça créé une brèche dans le temps de travail qui lui est offert et dans lequel il va avoir un vrai temps de recherche, d’ouverture et de pensée. LD: Avez-vous remarqué des similitudes entre les artistes qué-
HUBERT COLAS Hubert Colas est auteur, metteur en scène et dramaturge. En 1998, il crée à Marseille la compagnie Diphtong . Il crée en 2002 le festical ActOral, qui a pour but d’interroger les écritures scéniques et contemporaines. L’édition 2014 du festival est le fruit d’une collaboration avec l’Usine C de Montréal et fait d’ActOral un splendide pont culturel transatlantique. cher ce qui se passe au Québec et en France mais bien pour que ces artistes se rencontrent, partagent des temps, discutent ensemble, pas forcément collaborent mais en tous cas se regardent, se voient, s’appréhendent, et que tout ceci produise du sens, des rencontres et un déplacement. Au même titre que l’on pourrait dire qu’il doit y avoir un déplacement du public, dans les formes que l’on propose. On a tendance, dans notre société, à créer de la consommation spectaculaire où les gens doivent savoir ce qu’ils vont voir. Je crois qu’avec Actoral, ce que l’on
«C’est ça qui me paraît essentiel dans l’art, d’aller vers ce que l’on ne connaît pas.»
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bécois et les artistes français dans l’approche de ces écritures hybrides et intermédiales ? HC: C’est vrai que, par moments, j’ai pu voir des points de convergence entre certains artistes. Nicolas Quentin et Thomas Ferrand, esthétiquement et aussi dans un champ du «non-spectacle»-spectacle, parce que Nicolas Quentin c’est du nonspectacle mais c’est du très-spectacle. Pour Thomas Ferrand, c’est la même chose. Donc il y avait un pont là, entre ces deux artistes, qui se sont aussi rencontrés, Thomas Ferrand est allé en résidence ici, Nicolas est venu en résidence en France. Et donc il y a eu une sorte de porosité des formes. On a des gens qui réfléchissent par rapport à leur création de façon très intuitive sur une réaction au monde sans en faire un discours préalable. On a affaire à une sorte d’intelligence extrêmement difficile du sens, puisqu’elle ne cherche pas à se maîtriser au moment où elle se produit. C’est vrai qu’il y a des formes, on est tous dans le spectacle vivant, dans la littérature, mais au même titre que j’aurais envie de dire qu’en France on ne peut pas analyser les
«On a une langue qui est la même, et on a une musicalité diférente.» spectacles en disant que ce sont des spectacles français, – je refuse cette catégorisation là –, je ferais pareil entre l’échange entre les Québécois et la France. Mais je peux voir qu’esthétiquement il y a un certain nombre de choses qui se rejoignent, d’ouverture, des pensées. On a une langue qui est la même, et on a une musicalité différente. Cette rencontre-là, on va pas dire qu’elle est poétique, ce serait désuet de dire une chose pareille, mais malgré tout il y a quand même quelque chose de l’ordre d’un déplacement poétique de l’écoute qui m’intéresse avec le Québec. Quand vous avez un artiste québécois qui vient en France et qui s’exprime, il y a forcément quelque chose au niveau de l’écoute qui est différent. Mais c’est comme nous quand on arrive ici et que – (rires) j’vais dire des conneries hein – au lieu d’avoir des souris dans la rue on a des écureuils. Il y a quelque chose qui fait que notre regard, notre façon de se sentir vivant n’est pas tout à fait pareille. C’est comme une renaissance, une reconnaissance de sensibilité ouverte qui se fait. Un artiste quand il travaille, c’est finalement comment il déploie sa capacité d’écoute de lui-même et de ce qui l’entoure pour produire quelque chose. Le public dans une salle, quand on l’invite à entendre quelque chose qu’il ne connaît pas, c’est ça qu’on lui demande: plus on ira dans cette direction-là, plus le public sera sensible à des propositions de lieux ou d’artistes sans les connaître. Et c’est ça qui me paraît essentiel dans l’art, c’est d’aller vers ce que l’on ne connaît pas. LD: Justement, alors que l’on connaît bien la culture française au Québec, la France ne semble pas être ouverte à la culture québécoise. HC: Je sais pas, je n’ai pas analysé cela. Je pense que la France a un complexe de supériorité. Tout simplement, je pense que c’est làdessus que ça se joue. Sur comment la France se pense depuis tout temps comme étant le fleuron des arts, par rapport à la Suisse, à la Belgique, au Québec. Je pense que l’on a cette idée-là de nous, mais elle n’est même plus pensée, elle est très instituée, dans le corps des gens. x thomas birzan
Le Délit
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Le canard transatlantique Le Délit rencontre L’Outarde libérée, le webzine franco-québécois.
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e Délit (LD): L’Outarde libérée existe depuis février 2013. Un événement particulier a-t-il provoqué sa création? Nathalie Simon-Clerc (N.S-C): C’est né sur un coup de tête parce que nous, les journalistes français au Québec, on a un peu de mal à trouver une job à cause de notre accent, au moins dans ce qui est audio. L’idée était de faire un portfolio au départ pour continuer d’écrire, se faire connaître et ne pas perdre notre patte journalistique. Finalement, comme on nous reprochait d’être trop ancrés dans la réalité française, nous avons décidé de faire quelque chose qui parlerait de l’actualité franco-québécoise et puis également des Français au Québec. On est devenu un catalyseur de la communauté française au Québec. LD: On peut lire, dans l’«À propos» de votre site internet, que vous proposez «un regard croisé pour rendre compte de l’actualité des Français au Québec et des réussites québécoises en France.» Vous soulignez la réussite québécoise avec Xavier Dolan et Bombardier. Un acteur et une entreprise québécoise, alors que pour la France au Québec, vous écrivez: «La vie associative française est riche, les réussites économiques sont prestigieuses et les étudiants français arrivent toujours plus nombreux.» Ne trouvez-vous pas que l’opposition entre spécificité d’un côté et généralité de l’autre dénote un échange qui n’est pas réciproque? N.S-C: Il y a plusieurs éléments. L’échange n’est pas réciproque; rien qu’au niveau des étudiants, il y a dix mille étudiants français qui viennent étudier au Québec chaque année contre mille Québécois qui vont en France. La relation est déséquilibrée, d’où la remise en cause des frais de scolarité par le gouvernement du Québec. Nous n’avons pas grand monde en France pour couvrir l’actualité québécoise. Or, elle est très riche, nous avons de très bonnes relations avec la délégation générale du Québec à Paris qui est extrêmement dynamique. C’est un axe de développement, nous voulons faire la même chose qu’ici: trouver des étudiants-journalistes inissants qui veulent bien couvrir l’actualité québécoise en France. LD: Nous avons lu, dans votre récent article «François Hollande en visite oicielle au Canada début novembre», »,, que «des indiscrétions obtenues par L’Outarde Libérée, ont révélé que les discussions entre la France et le Québec, concernant la révision des frais de scolarité des étudiants français sont au point mort. La révision ne sera pas prête pour la rentrée de septembre 2015, et la signature d’un accord, que l’on voulait rendre publique à l’occasion de la visite du président Hollande, est loin d’aboutir.» Que pensez-vous de cet accord sur les frais de scolarité? Avez-vous une position éditoriale par rapport à cette question? N.S-C: Le principe est de ne pas avoir de position éditoriale, de garder une stricte neutralité. La seule excep-
tion que j’ai faite c’était juste après les élections consulaires, où j’ai publié un éditorial cinglant parce que, manifestement, il y avait des disfonctionnements qui étaient dus à un mauvais positionnement de la loi. Sinon on n’a pas de position éditoriale, ni par rapport à ça, ni par rapport aux autres problèmes. LD: Donc vous n’avez pas non plus de position éditoriale par rapport aux échanges bilatéraux? Nous avons lu la lettre ouverte de plusieurs partis politique à propos de l’AECG (Accord économique et commercial global) dans la section tribune, qu’en est-il?
tion des Français au Québec? Pourriezvous m’indiquer ce qui diférencie, selon votre point de vue, intégration et assimilation? N. S-C: C’est encore une très bonne question. Je dirais que là, j’ai une position éditoriale. Intégration, oui; assimilation, jamais. Bien sûr, il faut s’intégrer. Ça veut dire appréhender la culture québeco-américaine d’ici. Il y a une image du Français arrogant, qui est partiellement fausse. Je crois que la menace qui peut être perçue provient du fait qu’il y a des diférences de comportement. La confrontation, chez nous, ce n’est pas se chicaner mais plutôt faire avancer des
NATHALIE SIMON-CLERC Rédactrice en chef de L’Outarde libérée, établie depuis plus de 10 ans au Québec, diplômée en gestion d’entreprise de Paris-Dauphine et en journalisme de L’Université de Montréal, elle est membre de l’association des journalistes indépendants du Québec (AJIQ) et de la fédération professionnelle des journalistes du Québec (FOJQ). N.S-C: Nous ofrons une tribune à tous ceux qui veulent écrire sur des sujets qui sont dans notre ligne éditoriale pourvu que cette tribune soit d’intérêt public, évidemment. LD: Les Français arrivent massivement au Québec, certains pour s’installer déinitivement, d’autres pour étudier puis repartir. À quel public vous adressez-vous plus particulièrement? N.S-C: Alors, ça c’est une très bonne question. Idéalement, on souhaite s’adresser aux deux. Mais j’ai remarqué qu’on a du mal à capter le public étudiant qui vient un an, deux ans, trois ans maximum. Je pense qu’on n’a pas traité les bons sujets les concernant. En revanche, c’est un axe de développement dans l’année qui vient. LD: Quels sujets, pensez-vous, pourraient les intéresser? N.S-C: Les frais de scolarité, les activités dans des bars, les sujets culturels, les problèmes de logements, les sujets qui sont relayés sur les réseaux sociaux étudiants. Je vous promets que dans l’année qui vient, on va s’adresser à eux. LD: Ne craignez-vous pas qu’un tel journal se pose comme frein à l’intégra-
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idées. Mais il faut s’adapter, c’est la clé de tout, il faut comprendre la culture d’ici pour ne pas être perçus comme arrogants, comme des gens qui arrivent en terrain conquis. On a plein de choses à apprendre et à apporter au Québec, mais gardons notre spéciicité de Français; ce n’est pas refuser l’intégration, bien au contraire. Je ne crois pas que nous soyons un frein à l’intégration, on traite beaucoup l’actualité franco-québécoise, ce que les médias français ne font pas. Il y a beaucoup de choses qui se passent en échange franco-québécois dans tous les domaines: étudiants, culturels, économiques. Être bien intégré dans une société d’accueil, c’est ne pas oublier qu’on est Français, c’est participer à la vie locale, c’est participer aux élections, c’est aller s’inscrire au Consulat. Plusieurs cultures, c’est une richesse, c’est complémentaire. LD: Pour rebondir là-dessus, la description de L’Outarde Libérée stipule: «Journalistes franco-québécois, nous vivons au Québec depuis plusieurs années, car nous portons cette terre francophone d’Amérique dans notre cœur.» La langue et la terre, est-ce que cette position ne risque pas d’être perçue comme presque colonialiste? Comment se défaire de l’image
ambivalente du Français au Québec, entre le bon cousin et l’envahisseur? N.S-C: Ah! On est au cœur du problème. Moi je me déinis comme franco-québécoise, parce que d’abord j’ai les deux citoyennetés. Qu’on ne me demande pas de choisir, c’est un peu comme choisir entre son père et sa mère. J’ai choisi de vivre ici, ce n’est pas par hasard. En revanche, je n’ai pas oublié la terre de France. Le Québec, c’est un bout de terre francophone en Amérique, et je n’ai pas dit terre française en Amérique parce qu’en France, on fait souvent l’amalgame. Pour ne rien vous cacher, en début de semaine j’étais au Consulat, on avait un brieing avec l’Élysée sur la visite de François Hollande et le mec de l’Élysée un moment nous dit: «Ah mais vous au Québec, c’est presque la France.» Non! Le Québec ce n’est pas «presque la France». Le Québec, c’est un bout d’Amérique qui parle français et qui se bat depuis des centaines d’années pour continuer de parler français. Ce n’est pas du colonialisme, c’est juste que «je me souviens d’où je viens». Si on a une petite pierre à apporter à l’édifice québécois, c’est par la défense de la langue et la culture française. On ne se pose pas comme des néo-colonisateurs mais simplement comme des gens qui se souviennent qu’on vient de la même terre. LD: Comment fonctionne plus précisément votre journal, en termes de difusion, inancement , etc.? N.S-C: Notre magazine repose sur une plateforme web, l’écrit et l’utilisation de multimédias relayés par les médias sociaux. Je crois beaucoup à Twitter et nous devrions l’utiliser beaucoup plus, mais on a un problème de disponibilité parce qu’on est tous bénévoles. Je crois que dans le journalisme web, chacun doit inventer son propre modèle économique. Nos axes de développement sont les suivants: demandes d’aides à nos parlementaires qui ont une oreille attentive à notre journal; très bonnes relations avec les autorités consulaires et diplomatiques, l’ambassadeur nous donne des entrevues et nous tient informés, nous lui en sommes gré. Nous avons aussi en vue de permettre à des étudiants inissants en journalisme d’avoir leur première tribune et leur premier espace de publication, ce qui n’est pas aisé, a fortiori pour des étudiants français. Nous pensons aussi faire de la vidéo promotionnelle et également vendre des espaces de publicité. LD: Vous comptez, à long terme, rester un journal de bénévoles? N. S-C: Non, l’objectif, c’est de rémunérer les journalistes, même les étudiants inissants. Toute peine mérite salaire. Notre objectif à moyen et long terme, c’est aussi de développer encore plus la vidéo et puis d’être présents en télé-web, d’avoir une chaîne privée, de faire une émission hebdomadaire avec une université, par exemple. x gwenn duval
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«J’aurais essayé de bloquer ça» Entretien avec un ténor du PLQ sur la renégociation de l’entente d’éducation de 1978.
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e Délit (LD):Vous avez été un étudiant français au Québec à l’Université de Montréal et à McGill, un étudiant du Québec en France, un professeur à l’UdeM, un homme politique québécois impliqué dans les questions d’éducation et de francophonie; comment avez-vous perçu l’évolution de la relation franco-québécoise en matière d’éducation? Henri-François Gautrin (H.-F. G.): Dans notre relation d’éducation il y a eu un grand changement. Dans les années 1960, quand on a passé les accords d’éducation entre la France et le Québec, il y avait beaucoup plus d’étudiants du Québec qui étudiaient en France, que de Français qui étudiaient au Québec, particulièrement au niveau des deuxième et troisième cycles. La situation a évolué. J’ai été professeur de physique mathématique pendant 30 ans à l’UdeM. Les Français c’était occasionnel, pas systématique. Actuellement si vous regardez, c’est inversé. C’est pourquoi certaines personnes veulent remettre en question cet accord qu’on a passé à l’efet d’avoir une équivalence de coûts. LD: Justement, en parlant de cette inversion de tendance et de la remise en question des accords bilatéraux, pensezvous que cet échange est construit en défaveur des étudiants québécois en France? H.-F. G.: En France on ne paye pas les études, sauf dans les grandes écoles privées. Et elles ne sont pas seulement payantes, elles sont sur concours. Vous n’arrivez pas rue Saint-Guillaume [Sciences Po Paris, ndlr] comme ça! Et puis d’une part il y a eu une perte de prestige, et de l’autre, les deux grandes sources de bourses au Québec ont restreint considérablement les possibilités d’aides pour étudier à l’étranger. LD: Denis Vaugeois [historien, homme politique ayant œuvré dans l’éducation, et premier directeur général des relations internationales du Québec de 1970 à 1974] a airmé, en parlant des étudiants français au Québec, que «ces étudiants ne sont pas un problème, c’est plutôt un investissement. […] Ce sont des candidats extraordinaires à l’immigration. Ils sont bien formés et s’intègrent parfaitement. Au fond, c’est le Québec qui est gagnant». Que pensez-vous de l’intérêt pour le Québec de cette coopération sur l’éducation? H.-F.G.: Oui absolument! Il a parfaitement raison! Et ça ne s’applique pas forcément qu’aux Français, ça s’étend à tout le monde. D’où l’intérêt que McGill a, du fait d’avoir autant d’étudiants de l’extérieur. Les étudiants étrangers sont les meilleurs ambassadeurs que vous pouvez avoir pour le Québec. C’est un investissement important car la formation, ce n’est pas seulement les cours que vous suivez, mais aussi les gens avec qui vous interagissez. Et, voyez-vous, la communauté européenne l’a compris avec le programme Erasmus. Et le fait que vous puissiez avoir des gens de pays diférents, de milieux diférents, c’est un plus dans votre formation. C’est le lead qu’on doit avoir comme principe
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pour défendre ces accords: les étudiants français ici au Québec bénéicient aux petits québécois dans la mesure où ils permettent la diversiication de la culture. LD: En vous entendant parler, on a l’impression que vous ne voyez ces jeunes que comme ayant vocation à venir étudier, enrichir le modèle d’éducation québécois, mais pas forcément s’intégrer et rester travailler.
Alors les Français qui ne jouent pas le jeu de l’intégration ça arrive, c’est arrivé, ça arrive de moins en moins. Car ils sont de moins en moins capables de pouvoir critiquer les gens ici. Ce n’est pas tout de savoir manier le verbe, il faut avoir quelque chose derrière le verbe! (rires) LD: Certains comptent donc revenir sur cette coopération bilatérale en matière d’éducation. Le chef du Parti libéral québécois, Philippe Couillard, a défendu pen-
Henri-François Gautrin Député PLQ de Verdun pendant 25 ans et ancien ministre québécois, Henri-François Gautrin est arrivé de France au Québec à 14 ans. Il a étudié à l’UdeM, à McGill puis en France avant de devenir professeur de physique à l’UdeM. H.-F.G.: Alors là c’est complétement faux! Je ne suis plus au cabinet [du premier ministre québécois] aujourd’hui, mais dans nos discours d’il y a deux ans encore on voulait faciliter l’immigration des gens qui avaient un diplôme d’université québécoise. Nous avons une société qui vieillit vite, très vite. Alors les gens de votre génération vous êtes ce qu’on essaye d’attirer. Comme en France, on a réussi à inléchir notre indice de fécondité un peu mais on n’est pas encore rendus à un renouvèlement complet des générations. L’apport de l’immigration est important si vous voulez maintenir ce renouvèlement. Alors l’avantage d’avoir quelqu’un qui a étudié ici c’est d’avoir quelqu’un qui s’intègre beaucoup plus facilement. Les gens de votre génération venant d’un pays développé comme la France c’est quelque chose qui va être de plus en plus intéressant à faire venir et conserver dans un pays. LD: Mais justement on reproche parfois aux Français d’ici de mal s’intégrer à la société québécoise, à cause d’un certain problème colonialiste mal réglé, d’une tradition messianique, d’une prétention culturelle. H.-F.G.: Très franchement je ne crois pas. Je pense indubitablement que ce sont eux qui s’intègrent le mieux. Statistiquement, les vagues d’immigrations françaises sont toujours importantes et constituent un apport constant. Et vous n’avez pas ici de ghetto français!
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dant sa campagne aux dernières élections provinciales que les étudiants français devraient payer autant que les étudiants des autres provinces canadiennes (ce qui «porterait de 2300 à 6300 dollars le coût moyen d’une année de premier cycle» selon Le Devoir). Il suggérait que la situation actuelle représente un réel manque à gagner. Qu’en pensez-vous? H.-F.G.: Ce serait une erreur de modiier ainsi ces accords! Quand les gens ont un droit acquis, il est plutôt diicile de le leur retirer. C’est un très mauvais message que vous envoyez. Les efets économiques seraient probablement mineurs. Faire augmenter les frais de 4000 dollars ce n’est pas énorme. On est de l’ordre de quatre-cinq millions. Si vous jouez sur des budgets d’éducation, c’est relativement mineur. LD: D’un côté l’ancien premier ministre français François Fillon disait en 2008 qu’il y a en chaque Français «un rêve québécois». Et de l’autre, Charbonneau disait au lendemain de la guerre, en 1947, que le Québec ne comptait pour les Français qu’en temps de crise. Pensezvous que ces étudiants français se pressent dans les universités québécoises et tiennent tant à ces accords, car ils voient un rêve dans le Québec, ou plutôt une solution à leur crise française? H.-F.G.: Pour beaucoup de Français, le seul gouvernement uniquement francophone hors de France reste quand même le Québec. C’est le seul pays dans
lequel les gens peuvent venir sans problème de langue. Et ils peuvent retrouver la même chose: être à Québec et voir un boulevard Henri IV. LD: C’est donc un rêve pragmatique? H.-F.G.: Oui. Malgré tout, une langue reste un élément de communauté. LD: Aujourd’hui, comment voyezvous l’avenir de la relation franco-québécoise pour l’éducation universitaire? H.-F.G.: Non seulement nous avons besoin de maintenir cet échange mais nous devons aussi insister sur la reconnaissance des diplômes. L’accord que nous avons passé récemment en 2007 (sous le cabinet de Charest), pour que dans les métiers protégés par une corporation il y ait possibilité d’équivalence. Le discours oiciel était de dire: «on va avoir la possibilité de faire valoir son diplôme et travailler d’un pays à l’autre». Vous savez nous les politiciens on a toujours tendance à faire des discours par rapport à la réalité. Cette mesure ne fonctionne pas encore tout à fait, avec la réticence des corporations ou encore la question pas si évidente des éléments d’éthique. Il faut l’améliorer. Mais il y a un côté sousjacent à mon sens, il y a un lien direct entre ce principe de libre circulation des diplômés et celui de la formation. LD: Et c’est un lien qui entraine quoi? H.-F.G.: Qui devrait maintenir en quelque sorte le statut privilégié que peuvent avoir les Français. Car cet accord pour les professions a seulement été passé avec les Français. Ça reste donc une relation privilégiée au niveau des professions, donc ça devrait maintenir une relation privilégiée au niveau de la formation. LD: Bon, sincèrement, pensez-vous qu’elle va passer cette mesure pour que les étudiants français payent plus cher leurs frais universitaires au Québec? H.-F.G.: Très franchement, le problème c’est que je ne suis plus là, parce que j’aurais essayé de bloquer ça. Je sais qu’actuellement on cherche des sous partout, mais cette mesure c’est priver les Québécois d’un avantage. Si on souhaite supprimer cet avantage, il faut que le débat soit fait ici, au Québec, par les Québécois. Ça ne peut pas être à François Hollande de décider de ça. LD: C’est quand même un accord bilatéral… H.-F.G.: Oui, mais ce que je veux dire, c’est que l’avantage qu’on retire de ces accords, c’est aux jeunes Français de le démontrer. LD: Vous pensez que la population québécoise le voit, ce fameux avantage? H.-F.G.: Non, très franchement non [répété quatre fois]. Le monde universitaire est tellement loin, la population ne se rend pas compte. Il faut que certaines personnes qui sont éduquées soient en mesure d’en être les porte-paroles. x Julia denis
Le Délit
le délit · le lundi 3 novembre 2014 · delitfrancais.com