Le Délit

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delitfrancais.com Publié par la société des publications du Daily, une association étudiante de l’Université McGill

Le mardi 11 mars 2014 | Volume 103 Numéro 18

Qui a branché la bouilloire? depuis 1977


Volume 103 NumĂŠro 18

Éditorial

Le seul journal francophone de l’UniversitÊ McGill

rec@delitfrancais.com

DĂŠlire ĂŠlectoral Camille Gris Roy Le DĂŠlit

I

l est difficile de dĂŠfinir ce qui est ÂŤhors-normeÂť sans risquer d’imposer, en contrepartie, une dĂŠfinition de ce que doit ĂŞtre la ÂŤnormeÂť. Le DĂŠlit ne souhaite en aucun cas tomber dans ce jeu dangereux de classification. Mais nous avons tout de mĂŞme voulu tenter le pari cette semaine, en vous proposant un cahier spĂŠcial sur le thème ÂŤhors-normeÂť. On s’avance peut-ĂŞtre en terrain glissant; mais on est en patins. Ainsi, les articles que nous vous proposons dans cette section du journal ont pour but d’explorer des initiatives un peu diffĂŠrentes, de prendre un autre angle sur l’actualitĂŠ en gĂŠnĂŠral. Un article sur les ÂŤĂŠcovillagesÂť, par exemple, c’est pour exposer une autre forme d’organisation, davantage liĂŠe au dĂŠveloppement durable. Un article sur la façon dont la mĂŠdecine se pratique dans le Nord du QuĂŠbec, au Nunavik. Un billet sur l’autogestion. Un point de vue sur l’itinĂŠrance. Une exploration de l’art souterrain‌ Ce cahier spĂŠcial, c’est l’occasion de se pencher sur certains mouvements alternatifs, sur des initiatives qui sortent un peu du ÂŤcadreÂť, soit parce qu’elles se revendiquent directement ÂŤhors-normeÂť, soit parce qu’on en parle si peu d’habitude, tout simplement. ********************** Parce que Le DĂŠlit aime bien quand mĂŞme, de temps en temps, rentrer dans la norme, on ne pourra pas s’empĂŞcher de dire aussi comme tout le monde un mot sur Pierre-Karl PĂŠladeau. L’annonce de sa candidature (on passera sur le petit jeu du ÂŤj’y va pas - j’y vaÂť) semble venir confirmer ce qu’on a pu constater depuis un moment dĂŠjĂ : le PQ, c’est un parti qui s’aligne Ă droite quand ça peut l’arranger, avec bien sĂťr la souverainetĂŠ en accessoire. Le PQ aime bien faire ami-ami avec le monde des affaires. Le PQ aime bien, en fin

de compte, exploiter le pĂŠtrole, rĂŠduire les services publics. Le PQ attire les candidats-vedettes de partout parce qu’il n’a pas de programme fort au fond, il s’adapte aux tendances. En fait, c’est drĂ´le comme tout le monde veut aller au PQ. Martine Desjardins, PKP, Lorraine Pintal, GaĂŠtan Barrette‌ Ah non, lui, c’est le PLQ‌ Mais bon avant c’Êtait la CA‌ Et puis, le PQ l’aurait appelĂŠ au bon moment, il y serait sans doute allĂŠ. Tout le monde veut y aller parce que c’est le parti qui permettra Ă chacun d’atteindre ses ambitions. Une somme d’individualismes plutĂ´t qu’une ĂŠquipe? C’est un grand remous, un grand brassage de printemps entre les candidats qui changent de bord ou qui font le saut. Quand on sait que fort probablement, le 7 avril prochain, on ne sera pas plus avancÊ‌ Seul QuĂŠbec Solidaire, qui a dĂŠnoncĂŠ la candidature de l’un des patrons les plus impitoyables des dernières annĂŠes, semble garder son cap dans cette histoire. Pas question d’alliance, pas question de participer au grand brassage. Mais pour en revenir Ă PKP: dans quelques annĂŠes, il serait bien premier ministre, peut-ĂŞtre. En attendant, il semblerait qu’il compte bien se frayer son chemin. S’il y va, il y va. En mĂŞme temps, pas question d’abandonner ses actions dans QuĂŠbĂŠcor. Conflit d’intĂŠrĂŞt Ă ĂŞtre Ă la tĂŞte de tous les principaux (et puissants) mĂŠdias de la province? Bizarre que tout le monde lui dise mais qu’il ne le voit pas. Peut-ĂŞtre qu’il devrait acheter Le DĂŠlit aussi? On voudrait bien nous aussi participer Ă la grand-messe. ********************* Les ĂŠlections, ça ne se passera pas qu’au provincial, mais aussi au niveau dĂŠlitial premièrement. Grand renouveau de printemps au DĂŠlit, qui ĂŠlira ce jeudi sa relève pour l’annĂŠe prochaine. Si ça vous intĂŠresse, parlez-en Ă l’Êquipe de rĂŠdaction! On attend vos candidatures jusqu’à cette nuit! [

RÉDACTION 3480 SVF .D5BWJTI CVSFBV #t MontrĂŠal (QuĂŠbec) H3A 1X9 TĂŠlĂŠphone : +1 514 398-6784 TĂŠlĂŠcopieur : +1 514 398-8318 RĂŠdactrice en chef rec@delitfrancais.com Camille Gris Roy ActualitĂŠs actualites@delitfrancais.com Alexandra Nadeau LĂŠo Arcay Arts&Culture artsculture@delitfrancais.com Thomas Simonneau Joseph Boju SociĂŠtĂŠ societe@delitfrancais.com CĂ´me de Grandmaison Coordonnateur de la production production@delitfrancais.com ThĂŠo Bourgery Coordonnateurs visuel visuel@delitfrancais.com CĂŠcile Amiot Romain Hainaut Infographie infographie@delitfrancais.com Vacant Coordonnatrices de la correction correction@delitfrancais.com Claire Launay Anne Pouzargues Webmestre web@delitfrancais.com Mathieu MĂŠnard Coordonnatrice des rĂŠseaux sociaux rĂŠso@delitfrancais.com Margot Fortin Collaborateurs Astrid Aprahamian, Émilie Blanchard, Antoine S. Christin, Marie de Barthes, Julia Denis, Philomène DĂŠvĂŠ, Gilles Dry, Gwenn Duval, Catherine Diggs, Luce EngĂŠrant, CĂŠline Fabre, Alexandre Gauvreau, Martin Girard, Étienne Gratton, Luce Hyver, AurĂŠlie LanctĂ´t, Annick Lavogiez, Francis Loranger, Anna Magidsen, Mathilde Michaud, Baptiste Rinner Couverture Journal: Romain Hainaut Cahier spĂŠcial: CĂŠcile Amiot BUREAU PUBLICITAIRE 3480 SVF .D5BWJTI CVSFBV #t MontrĂŠal (QuĂŠbec) H3A 1X9 TĂŠlĂŠphone : +1 514 398-6790 TĂŠlĂŠcopieur : +1 514 398-8318 ads@dailypublications.org PublicitĂŠ et direction gĂŠnĂŠrale Boris Shedov ReprĂŠsentante en vente Letty Matteo Photocomposition Mathieu MĂŠnard, Lauriane Giroux, Geneviève Robert The McGill Daily coordinating@mcgilldaily.com Anqi Zhang

Conseil d’administration de la SociÊtÊ des publications du Daily (SPD) Queen Arsem-O’Malley, Amina Batyreva, ThÊo Bourgery, Jacqueline Brandon, Hera Chan, Benjamin Elgie, Camille Gris Roy, Boris Shedov, Samantha Shier, Juan Camilo Velzquez Buritica, Anqi Zhang L’usage du masculin dans les pages du DÊlit vise à allÊger le texte et ne se veut nullement discriminatoire.

Les opinions exprimĂŠes dans ces pages ne reflètent pas nĂŠcessairement celles de l’UniversitĂŠ McGill.

2 Éditorial

Le DÊlit *44/ FTU QVCMJ� MB QMVQBSU EFT NBSEJT QBS MB SociÊtÊ des publications du Daily (SPD). Il encourage la reproduction de ses articles originaux à condition d’en mentionner la source (sauf dans le cas d’articles et d’illustrations dont les droits avant ÊtÊ auparavent rÊservÊs, incluant les articles de la CUP). L’Êquipe du DÊlit n’endosse pas nÊcessairement les produits dont la publicitÊ paraÎt dans ce journal.ImprimÊ sur du papier recyclÊ format tabloïde par Imprimeries Transcontinental Transmag, Anjou (QuÊbec). Le DÊlit est membre fondateur de la Canadian University Press (CUP) et du Carrefour international de la presse universitaire francophone (CIPUF).

[ le dÊlit ¡ le mardi 11 mars 2014¡ delitfrancais.com


UNE AUTRE FAÇON

D’ÉTUDIER. L’étudiant à la maîtrise en gestion de la faune et de ses habitats Martin Leclerc, lors d’un séjour de recherche au nord du Saguenay–Lac-St-Jean. Photo : Francis Taillefer

Diplôme d’études supérieures spécialisées (DESS) en gestion de la faune et de ses habitats & Formation de perfectionnement orienté vers la gestion et la protection des milieux naturels. & Cours pouvant être reconnus comme scolarité de maîtrise en gestion de la faune et de ses habitats.

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APPEL DE CANDIDATURES La Société des publications du Daily, éditeur du Délit et du McGill Daily, est à la recherche de candidat(e)s pour combler

ASSEMBLÉE GÉNÉRALE L’assemblée générale annuelle de la Société des publications du Daily (SPD), éditeur du McGill Daily et du Délit, se tiendra

mercredi le 26 mars au Leacock 26 à 17h30 Les membres de la SPD sont cordialement invités. La présence des candidats au conseil d’administration est obligatoire.

plusieurs postes étudiants sur son Conseil d’administration. Les candidat(e)s doivent être étudiant(e)s à McGill, inscrit(e)s à la prochaine session d’automne et disponibles pour siéger au Conseil d’administration jusqu’au 30 avril 2015. Les membres du Conseil se réunissent au moins une fois par mois pour discuter de la gestion des journaux et pour prendre des décisions administratives importantes.

Les candidat(e)s doivent envoyer leur curriculum vitae ainsi qu’une lettre d’intention d’au plus 500 mots à chair@dailypublications.org, au plus tard le mardi 25 mars à 17 h. La période de nomination commence le mardi 11 mars.

Pour plus d’informations, contactez-nous: chair@dailypublications.org

Vive les ours #appliquepourlesélectionsduDélit


CAMPUS

Études autochtones Un nouveau programme sera offert dès l’automne 2014. Gwenn Duval Le Délit

L

e projet d’offrir une mineure en études autochtones aux étudiants de McGill aboutit enfin. En effet, le programme sera ouvert dès la session d’autonome 2014. Cela fait depuis le début des années 2000 que certains professeurs et étudiants tentent de promouvoir l’enseignement des langues et de la culture autochtones, mais c’est tout récemment que l’initiative s’est concrétisée. Une session d’information s’était tenue le 25 septembre 2013 (Le Délit vol.103, no 4) après un forum consultatif en novembre 2012. C’est un projet de longue haleine qui voit finalement le jour, une revendication étudiante qui parvient à ses fins. Plusieurs groupes étudiants se sont impliqués dans le projet, en partenariat avec le journal KANATA (Communauté des études autochtones de McGill), afin de promouvoir la création du programme. Le coordonnateur du conseil exécutif de KANATA, Nicolas Magnien, a fourni de nombreuses informations au Délit. Bien que certains cours liés aux études autochtones étaient déjà offerts à McGill, ils n’étaient pas réunis sous un titre de programme. La création de la mineure permet aux étudiants qui le désirent d’acquérir une expertise en la matière et serait un premier pas vers une potentielle majeure. McGill est déjà en partenariat avec certaines communautés autochtones: un cours estival est offert sur le campus et dans la réserve mohawk de Kahnawake

Philomène Dévé (INTD 380). Certains professeurs mènent aussi des projets de recherche avec des communautés cries et inuit. C’est l’Institut des études canadiennes de McGill qui sera l’hôte du programme. L’administratrice en communication, Elisabeth Faure, annonce qu’un cours d’introduction aux études autochtones ainsi qu’un séminaire avancé sur l’histoire et le développement des lois

autochtones seront offerts à la session d’hiver 2015. La création de cette mineure rappelle la présence non négligeable de la communauté autochtone au sein de l’université, comme le rappelle l’organisation du «Pow Wow» annuel de McGill de la mi-septembre qui célèbre les cultures autochtones, ainsi que la publication annuelle du jour-

nal de KANATA planifiée pour le 3 avril 2014. Il y a aussi la First Peoples’House qui permet aux étudiants d’origine autochtone de trouver du soutien académique tout en restant liés à leur culture, et le Aboriginal Affairs Working Group qui se réunit cinq à six fois par an pour discuter des questions autochtones à McGill. Nicolas Magnien soutient qu’«il y a place à un changement de perspective sur le plan institutionnel par rapport aux questions autochtones. Cela va de la revitalisation culturelle de ces peuples à admettre la réalité des traumas individuels et collectifs qui sont le legs de la colonisation». McGill rejoint notamment les universités de Concordia, de Toronto (UofT) et de Colombie-Britannique (UBC) qui offraient déjà de tels programmes. Les démarches ont été longues, se sont heurtées aux processus administratifs, mais ont fini par en venir à bout. Les revendications ont été entendues: la mineure instaurée devrait permettre de combler un peu le manque d’enseignement sur l’histoire des peuples autochtones qui se fait sentir par plusieurs étudiants québécois. Les étudiants étrangers venus faire leurs études au Canada pourront choisir McGill pour y étudier les peuples autochtones, partie intégrante de l’histoire et du présent de ce territoire. Nicolas Magnien affirme que cette réalisation démontre que «McGill est une université qui peut tout à fait être de son temps et à l’écoute de la communauté», contrairement aux nombreux reproches qui lui ont été adressés au cours des dernières années. [

CAMPUS

Le temps de voter Référendum 2014: où placer l’argent des étudiants? Alexandra Nadeau Le Délit

C

’est le temps de l’année où les étudiants de McGill sont appelés à exprimer leur avis sur la politique étudiante. En effet, depuis bientôt trois semaines, le référendum de l’Association des Étudiants de l’Université McGill (AÉUM) invite ses membres à se positionner sur divers enjeux qui influenceront la prochaine année scolaire. Parallèlement, la course aux élections a été lancée pour divers départements et facultés mcgillois, ainsi que pour les postes à pourvoir à l’AÉUM. Aperçu des onze motions proposées, à voter jusqu’au 21 mars. Votez sur des nouveautés Organic campus, un service étudiant qui offre des produits biologiques aux mcgillois, propose de créer un frais étudiant optionnel de 22 sous par session, à partir de l’automne 2014. Ce revenu additionnel permettrait de continuer à offrir des produits abordables et à offrir des produits plus variés pour répondre aux diverses allergies. Il viserait aussi à rémunérer les gens

4 Actualités

qui travaillent à Organic campus comme bénévole afin d’être conforme aux normes du travail. Une autre motion vise à créer un nouveau frais optionnel, celui pour le Conseil des étudiants de première année de l’AÉUM. S’élevant à 50 sous par session, ce frais viserait à créer un Fond des étudiants de première année qui garantirait de meilleurs services et un meilleur suivi aux nouveaux étudiants mcgillois. Aussi, une motion est proposée pour mettre en place un frais pour l’immeuble du Centre universitaire, le bâtiment Shatner où se trouve l’AÉUM. Les frais pour faire fonctionner le Centre universitaire continuent d’augmenter, et l’AÉUM dit que s’il n’y a pas de nouvelle source de revenus, les services aux étudiants pourraient se voir diminués. Ce nouveau frais de 6,08 dollars par session pour les étudiants à temps plein serait obligatoire et serait indexé pour augmenter de 5.6% par an au début de la session d’automne à chaque année. Voter pour se désaffilier L’AÉUM propose de se désaffilier de la Table de concertation étudiante du Québec

(TaCEQ), association étudiante dont elle est membre depuis 2009. Depuis le départ de l’association des étudiants diplômés de l’Université de Sherbrooke, l’AÉUM dit que McGill devrait également quitter la TaCEQ, notamment en raison d’une future augmentation des frais d’adhésion et d’une discordance générale montante entre les principes des deux associations. Voter sur la défense de nos droits La Clinique d’information juridique à McGill (CIJM) propose deux motions: l’une consiste à savoir si la clinique doit continuer d’exister en maintenant ses frais obligatoires, l’autre à savoir si ces dits frais doivent augmenter afin de passer de 3,25 à 4,50 dollars par session. La CIJM offre de l’information, des services et de l’aide juridiques gratuits aux étudiants de McGill. Voter pour renouveler Plusieurs motions pour renouveler des frais déjà existants sont également sur la table. D’abord, on propose de renouveler les frais obligatoires de sports et loisirs de 10 dollars par étudiant et par session. Ensuite,

on propose de renouveler les frais optionnels de 8,50 dollars pour le Fonds des bourses pour l’accessibilité, puis les frais optionnels de deux dollars par session pour le Fonds des ambassadeurs de l’AÉUM. Finalement, on propose de garder les frais optionnels de deux dollars par session pour le Fonds pour la vie de campus de l’AÉUM et de renouveler le frais optionnel de 8,50 dollars pour le Fonds d’amélioration des bibliothèques de l’AÉUM. Débattez candidats! Comme mentionné auparavant, plusieurs candidats se présentent pour remplir diverses fonctions au sein de l’AÉUM. La liste de tous les candidats qui se présentent peut être trouvée sur le site Internet de l’AÉUM. La période de vote en ligne aura lieu du 14 au 21 mars, et les résultats seront annoncés le 21 mars. Afin de communiquer leurs diverses aspirations, les candidats tiendront un débat ouvert à tous le mercredi 12 mars à 18h, à la salle Madeleine Parent du bâtiment Shatner, une occasion de poser ses questions à ceux qui représenteront les étudiants de McGill pour la prochaine année scolaire. [

[ le délit · le mardi 11 mars 2014 · delitfrancais.com


MONTRÉAL

Femmes ou fĂŠministes? RĂŠflexion sur la nature du fĂŠminisme. Astrid Aprahamian Gwenn Duval Le DĂŠlit

D

&

’oĂš vient la peur de s’affirmer comme fĂŠministe? Pourquoi trouve-t-on, dans un mĂŞme mouvement, autant de branches et de diffĂŠrences? En lien avec ces thĂŠmatiques, un après-midi de rĂŠflexion intitulĂŠ ÂŤFĂŠminisme(s): divisĂŠs ou diversifiĂŠs?Âť a eu lieu au bar Notre-Dame-des-Quilles, le 8 mars dernier, lors de la JournĂŠe internationale des droits des femmes. Rassemblant douze femmes invitĂŠes Ă se prononcer en table ronde, l’ÊvĂŠnement a ĂŠtĂŠ organisĂŠ par deux collectifs cyber-fĂŠministes: Et les femmes? et Je suis fĂŠministe. La salle est pleine. Il y a une soixantaine de personnes dont une grande majoritĂŠ de femmes et on note une forte concentration de jeunes. InvitĂŠes Ă prendre la parole Ă tour de rĂ´le, Martine Delvaux, Jeanne Reynolds, Anne MignerLaurin, Camille Tremblay-Fournier, AurĂŠlie Lanctot, VĂŠronique Grenier, Widia Larivière, Marie-Claude Garneau, Anna-Aude Caouette, Tanya St-Jean, Sarah Labarre et Alexa Conradi ont exprimĂŠ leurs points de vue, avant tout en tant que femmes. Ă€ la question quelle est la place du fĂŠminisme dans votre quotidien?, elles ont eu des rĂŠponses variĂŠes, reflĂŠtant leur situation et le milieu dans lequel elles vivent: Ă chacune son fĂŠminisme et son implication. Sarah Labarre, jeune

chroniqueuse du blogue Urbania, assume le qualificatif de fĂŠministe hystĂŠrique qu’on lui a souvent adressĂŠ et dĂŠclare fièrement qu’elle est ÂŤune ostie d’enragĂŠeÂť. Cette enragĂŠe fait mention d’un courant, le ÂŤmasculinismeÂť, un contre-fĂŠminisme polĂŠmique, qui la laisse perplexe. Martine Delvaux, professeure au DĂŠpartement d’Êtudes littĂŠraires de l’UniversitĂŠ du QuĂŠbec Ă MontrĂŠal (UQAM), dĂŠclare qu’elle n’aurait pas choisi d’enseigner Ă l’universitĂŠ si elle n’avait pas ĂŠtĂŠ fĂŠministe. ÂŤDavid Gilmour peut aller se faire voirÂť, dit-elle en rĂŠfĂŠrence aux commentaires de l’auteur canadien qui affirmait ne pas vouloir prĂŠsenter des ĂŠcrivaines dans le cadre de son cours Ă l’UniversitĂŠ de Toronto. Elle dĂŠplore le sexisme intellectuel qu’on retrouve souvent dans le milieu acadĂŠmique, ainsi que la culture du viol sur les campus universitaires lorsque des professeurs profitent de la position d’autoritĂŠ qu’ils maintiennent sur leurs ĂŠtudiantes. Ses rĂŠflexions fĂŠministes, en tant que professeure de littĂŠrature fĂŠministe, se portent sur la place de la femme non seulement dans le milieu acadĂŠmique, mais surtout dans la littĂŠrature. ÂŤCombien de femmes parlent quand une femme parle? Écrire, c’est rĂŠsisterÂť. Une enseignante de philosophie au cĂŠgep de Sherbrooke, VĂŠronique Grenier, critique le manque de prĂŠsence fĂŠminine dans son domaine et, encore plus, de philosophes fĂŠminines enseignĂŠes dans des cours. ÂŤĂ€ l’univer-

sitĂŠ, on a vu un peu de Hannah Arendt. Des fois le trio [Simone] Weil, [Simone] de Beauvoir et Arendt, mais c’Êtait pas mal tout. On est cinq femmes sur trentecinq enseignants dans notre dĂŠpartementÂť, dit-elle. Au cours de la discussion, le manque de prĂŠsence de minoritĂŠs ethniques autour de la table ronde est soulevĂŠ par Alexa Conradi, prĂŠsidente de la FĂŠdĂŠration des femmes du QuĂŠbec. Par la suite, la question du fĂŠminisme homogène, du privilège de la fĂŠministe blanche, hĂŠtĂŠrosexuelle et bourgeoise, est revenue plusieurs fois. Une autre question a remuĂŠ l’assemblĂŠe, celle de la place des travailleuses sexuelles, souvent discriminĂŠes au sein du mouvement. D’après Anna-Aude Caouette, une des invitĂŠes, il faut laisser aux femmes le droit de s’autodĂŠterminer, de dĂŠcrier elles-mĂŞmes si elles sont exploitĂŠes plutĂ´t que de le faire Ă leur place sous un ĂŠtendard fĂŠministe. La diversitĂŠ des points de vue permet une dynamique qui rend possible l’actualisation du mouvement, et cela sans violence. ÂŤJusqu’à ce que les hommes et les femmes arrivent Ă l’ÊquitĂŠ et aux droits sociaux dans les milieux de l’Êducation, de l’emploi, du statut familial et de l’accès aux services de santĂŠ, il y aura toujours du travail Ă faireÂť, affirme Sarah Burns, professeure Ă McGill et coprĂŠsidente du Senate Subcommittee on Women. ÂŤPersonne, homme ou femme, ne doit se complaire dans la situation actuelleÂť, conclut-elle. [

UNE AUTRE FAÇON

D’ÉTUDIER.

Des infrastructures de haut niveau pour les passionnĂŠs de la mer . ! . "

ismer.ca

Luce EngÊrant / Le DÊlit [le dÊlit ¡ le mardi 11 mars 2014 ¡ delitfrancais.com

ActualitĂŠs

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ÉLECTIONS QUÉBEC 2014

33 jours de campagne

Premier aperçu de quelques enjeux des prochaines élections provinciales. Camille Gris Roy Le Délit

L

es électeurs québécois sont appelés le 7 avril prochain à élire les 125 députés qui les représenteront à l’Assemblée nationale. Après plusieurs semaines de rumeurs sur la tenue d’éventuelles élections provinciales au printemps, c’est finalement mercredi dernier, le 5 mars, que Pauline Marois a demandé au lieutenant-gouverneur de dissoudre le Parlement. La Première ministre a ainsi donné le coup d’envoi d’une campagne électorale qui durera trente-trois jours. Les élections ont été déclenchées malgré le projet de loi 3 du Parti Québécois (PQ), la Loi modifiant la Loi électorale afin de prévoir des élections à date fixe, adopté à l’Assemblée en juin 2013. Selon cette loi, les élections devaient avoir lieu tous les quatre ans, la prochaine ayant été programmée pour octobre 2016. Le texte dit cependant qu’un gouvernement minoritaire peut toujours déclencher des élections, en cas de blocage. «Le gouvernement a déposé un budget responsable, mais nos oppositions avaient déjà décidé de s’y opposer», a déclaré Pauline Marois lors de son discours du 5 mars dernier, justifiant ainsi le déclenchement des élections. Près d’une semaine après le lancement de la campagne, les partis dévoilent peu à peu leurs candidats dans chaque circonscription, ainsi que leurs différents thèmes de campagne.

PLQ: Ensemble, on s’occupe des vraies affaires

Pour ses premières élections générales en tant que chef du Parti libéral du Québec (PLQ), Philippe Couillard a choisi pour l’instant de miser sur l’emploi et le développement économique. Il s’est engagé à créer 250 000 emplois sur cinq ans – reprenant ainsi une promesse de son prédécesseur Jean Charest lors de la campagne de 2012. Le Plan Nord et les investissements dans les infrastructures sont toujours des points importants du programme du parti. Au cours de la première semaine de campagne, le PLQ a également présenté sa «stratégie maritime» pour mettre en valeur le fleuve Saint-Laurent. Lundi, Philippe Couillard annonçait aussi des coupures dans le secteur de l’éducation. pour faire des économies. Plus de 500 postes devraient ainsi être coupés sur cinq ans. Le PLQ propose également, plutôt que de proposer l’abolition des commissions scolaires, de recentrer le rôle du ministère.

QS: Je vote avec ma tête

Québec Solidaire (QS) a lancé une campagne qui se veut axée sur le «contenu» et les «idées», d’où le slogan choisi par le parti: «je vote avec ma tête». La plateforme du parti s’articule autour des trois phrases: «Un Québec libre», «Un Québec vert», «Un Québec juste». Cette année QS a recueilli plus de fonds de campagne et le parti se dotera d’un autobus, et misera davantage sur la publicité. Le parti prévoit déjà un plan de développement d’emplois et de logements sociaux. QS entend aussi par exemple maintenir les tarifs des garderies, et se positionne ainsi contre la proposition du PQ de les augmenter. Par ailleurs, Françoise David insiste sur la parité, appelle les autres partis à présenter davantage de candidates et demande à ce que le prochain conseil des ministres soit composé d’au moins 50% de femmes.

CAQ : On se donne Legault

Nouveaux défis cette année pour François Legault et son parti, la Coalition Avenir Québec (CAQ), qui a perdu plusieurs de ses candidats vedettes des élections de 2012, notamment Gaétan Barrette, désormais candidat pour le PLQ dans La Pinière, et Jacques Duchesneau, qui avait annoncé qu’il quittait la vie politique. La CAQ entend mener une «anti-campagne», avec comme priorités le contrôle des finances publiques et le déficit zéro dès l’année fiscale 2014-2015. Le parti prévoit un gel des emplois dans la fonction publique et une diminution des services. Vendredi dernier François Legault a annoncé qu’il souhaitait faire adopter une «charte des contribuables», pour limiter l’augmentation des taxes et impôts en fonction du coût de la vie. Le parti propose également, comme en 2012, l’abolition des commissions scolaires, une structure jugée trop chère et inutile. Dans le domaine de l’éducation, la CAQ maintient son intention d’instaurer un système d’évaluation annuelle des enseignants, mais abandonne toutefois le projet de rémunérer les professeurs en fonction de leur performance plutôt que de leur expérience.

PQ: Plus prospère, plus fort, plus indépendant, plus accueillant

Le gouvernement péquiste a pour but, avec ces élections, d’obtenir une majorité à l’Assemblée nationale. Sur les 125 sièges, il lui faudra en gagner 63. Pour cette campagne, Pauline Marois a adopté l’adjectif «déterminée», inscrit sur son autobus électoral. Pour le PQ, la campagne sera axée en partie autour des thèmes de l’identité et de l’économie. Le gouvernement maintiendra ses projets d’exploration pétrolière. Les compressions budgétaires et les hausses de tarifs d’électricité par exemple restent à l’ordre du jour. Le projet de Charte des valeurs reste au cœur des préoccupations du parti. La Première ministre a également annoncé la semaine dernière le projet de créer un «centre de recherche sur les crimes dits d'honneur et la lutte à l'intégrisme », suivant ainsi une proposition de la députée indépendante (anciennement libérale), Fatima Houda-Pepin. La question de la souveraineté, en tant que mandat premier du parti, sera abordée. Pour l’instant Pauline Marois n’a pas confirmé la tenue d’un référendum si son parti est réélu, mais le PQ compte dans un premier temps mener le projet d’un «livre blanc» sur l’avenir du Québec.

Revendications du municipal

Les élections provinciales sont également l’occasion pour les maires de la province de faire entendre leurs revendications. Dans un communiqué du 5 mars, l’Union des municipalités du Québec (UMQ) dit «profiter du déclenchement de la campagne électorale provinciale pour inviter les chefs des partis à débattre des enjeux municipaux». Parmi ces enjeux figurent «les infrastructures municipales, les régimes de retraite des employés municipaux, la modernisation du cadre législatif municipal par une Charte des municipalités et une nouvelle entente Québec-municipalités». À Montréal, le maire Denis Coderre, ainsi que le chef de l’opposition officielle, Richard Bergeron, entendent mettre l’accent notamment sur le projet de recouvrement de l’autoroute Ville-Marie (un projet que le Parti Québécois avait déjà rejeté).

Jeunes et élections

Parmi les «candidats-vedettes» de ces élections figurent deux des anciens leaders du conflit étudiant de 2012. Léo Bureau-Blouin, élu député péquiste aux dernières élections, se présentera à nouveau dans sa circonscription de Laval-des-rapides. Martine Desjardins fait elle aussi, cette année, apparition dans les rangs du PQ. Celle qui, au Sommet sur l’enseignement supérieur de février 2013, avait refusé de serrer la main de Pauline Marois, sera candidate dans Groulx. L’ancienne présidente de la Fédération étudiante universitaire du Québec (FEUQ), qui était pour le gel des frais de scolarité, adopte désormais une position plus nuancée. Elle a toutefois répété aux journalistes à plusieurs reprises la semaine dernière que son but premier reste «l’accessibilité aux études» et que le PQ avait avancé dans ce sens. Les jeunes seront-ils plus impliqués dans ces élections en général? Cette année, une nouveauté dans le processus d’élection devrait dans tous les cas faciliter le vote des jeunes: les étudiants pourront voter directement dans leur établissement d’enseignement. Dans un communiqué du 5 mars 2014, le Directeur Général des élections (DGE) annonce que «plus de 300 bureaux de vote seront ouverts dans environ 175 établissements d’enseignement». Le vote dans les cégeps et universités aura lieu le 28 mars et les 1er, 2, et 3 avril prochains. McGill fait partie des établissements qui ouvriront des bureaux de vote. Les détails sur le déroulement des élections à McGill n’avaient pas encore été dévoilés au moment de mettre sous presse. L’université a aussi confirmé lundi, dans un communiqué, que conformément à l’article 306 de la Loi électorale du Québec, tous les cours seront annulés le lundi 7 avril, jour officiel du scrutin. [

Autres partis

Le parti Option Nationale, né en 2011, entame cette campagne avec un nouveau chef, élu en octobre dernier, Sol Zanetti. La question de la souveraineté reste le projet principal du parti. Parmi les autres partis engagés dans la campagne, le Parti Vert du Québec, mené par Alex Tyrell, présentera un programme «écosocialiste».

Composition de l’Assemblée nationale avant la dissolution Romain Hainaut / Le Délit

6 Actualités

[ le délit · le mardi 11 mars 2014 · delitfrancais.com


MONTRÉAL

L’austerité? Non merci! Mobilisation montréalaise contre l’austérité. Céline Fabre Le Délit

L

a sortie de la station Mont-Royal, plus bruyante que d’ordinaire, a attiré l’attention de plusieurs médias, ainsi que la vigilance de voitures de polices qui sont venues surveiller une manifestation contre le nouvel agenda d’austérité des gouvernements fédéraux et provinciaux. Le soir du mardi 4 mars dernier, difficile de sortir de la station Mont-Royal sans passer à travers une foule de manifestants bien décidés à signaler leur présence. Bruits de casseroles et pancartes aux slogans militants, tout a été mis en œuvre pour renforcer leur

visibilité et attirer l’attention des passants. Vers 18h45, lorsque l’effectif du rassemblement est jugé satisfaisant, des activistes prennent la parole chacun leur tour et expliquent les raisons de leur venue. Ils dénoncent les conséquences des mesures d’austérité comme les coupures d’aides sociales, la privatisation dans le domaine public, les surprofits que certaines entreprises tirent du travail des immigrés ou encore le fardeau fiscal supporté par les plus pauvres: une longue liste d’exemples qui dépassent largement le cadre de l’austérité budgétaire. Marilyn, une étudiante de 19 ans, travaille avec des enfants en milieu défavorisé, et témoigne des répercussions de l’austérité dans le domaine de

l’éducation. «Je suis là plus pour eux que pour moi», explique-t-elle au Délit. Selon l’Association pour une solidarité syndicale étudiante (ASSÉ), 10% des enfants québécois sont élevés dans une famille qui dépend de l’assistance sociale, ce qui amplifie l’impact des coupures budgétaires sur cette part de la population. Comme Marilyn, de nombreux Montréalais mécontents, engagés ou tout simplement curieux, ne considèrent pas le froid comme une excuse valable pour ne pas se rassembler et réagir ensemble le long de l’avenue du Mont-Royal. Rodriguez est immigré, et il a décidé de quitter l’Espagne pour commencer une nouvelle vie ici, au Québec. Il a une feuille à la main, mais

Cécile Amiot / Le Délit

c’est aux autres manifestants que son regard s’adresse lorsque vient son tour de prendre le micro. «On pourrait dire que je viens du futur, du futur de l’austérité. Dans mon pays nous avons appliqué ces mesures depuis plus de quarante ans et je pourrais parler longtemps des conséquences sociales dont l’Espagne a souffert et souffre encore aujourd’hui». Cependant, il assure que s’il est présent ce soir c’est parce qu’il se sent concerné par le cas du Québec, notamment par la précarité du travail. Il va jusqu’à dire que le niveau de protection social des travailleurs est tel que les immigrés deviennent «esclaves de la compagnie qui les emploie». C’est donc au moyen de discours plus ou moins nuancés qu’une multitude de protestations sont énumérées les unes après les autres. Les manifestants ironisent sur l’idée d’un «déficit zéro» visé par le Parti Québécois, ainsi que le slogan «austérité = prospérité» qui semble vu comme une mauvaise farce. À en croire les témoignages, les conversations et l’attitude des gens présents, l’austérité n’apporte aucune solution aux impératifs sociaux, elle a plutôt tendance à les aggraver. Dans ce cas-là, qu’est-ce qui pourrait soulager les maux des familles québécoises après la crise économique de 2008, point de départ des mesures d’austérité? Francine, citoyenne engagée, voit l’austérité comme une «orchestration», un jeu entre les banques et les dirigeants qui ne résout pas la source du problème. Elle juge vital de se réorienter vis-à-vis des évasions fiscales en réformant le système d’imposition. Pour Stéphane Rousseau, il faut repenser le Québec dans son ensemble. «Personnellement je pense qu’on est rendu à un revenu de citoyenneté. Il est temps d’égaliser et de redistribuer la richesse, s’assurer que les malchanceux de la société ne sont pas démunis. À cause du manque de travail, il y a des gens qui n’ont plus de sens car ils ne sont plus en mesure de produire pour la société. Il faut se questionner sur le sens qu’on veut donner aux individus». [

OPINION

Un autre article sur la Charte Etienne Gratton Le Délit

A

près l’échec du Projet St-Laurent, le chef de la Coalition Avenir Québec (CAQ) François Legault fera vraisemblablement de sa Charte du contribuable l’enjeu central de sa campagne. Comme une bien maladroite réponse à la Charte des valeurs présentée par le Parti Québécois (PQ), cette charte serait le premier projet de loi d’un éventuel gouvernement caquiste. Il limiterait les hausses de taxes et impôts au carcan de l’inflation annuelle, exception faite des tarifs d’hydroélectricité, qui seraient versés au remboursement de la dette. Il faut ici bien comprendre la nature d’une telle «charte». Il ne s’agit pas d’une réduction d’impôts, ni d’une coupure dans les services. Il s’agit d’interdire toute prochaine taxe et de rendre virtuellement et perpétuellement nécessaire un État sans

cesse affamé. C’est imposer une certaine idéologie fiscale au-delà du mandat (im) possible d’un gouvernement caquiste. Cet instrument législatif priverait donc en théorie tout gouvernement subséquent d’importants leviers financiers utiles à pour se donner les moyens de ses ambitions. Bien avant que de donner un «répit» aux contribuables actuels, c’est une réelle taxe générationnelle que tente de vendre le chef caquiste en voulant un État aminci, privé de ressources pour la prochaine génération, sous prétexte des affres de celle-ci. Qui plus est, dans le contexte économique trouble qui est apparemment le nôtre, cette mesure peut sembler saine et responsable, mais elle réduit considérablement, en fait, l’éventail d’outils que posséderait un gouvernement pour gérer des finances sous pression. Si elles sont attrayantes sur papier, si elles présentent les attraits que certains semblent trouver à des colonnes de chiffres bien rangées, elles

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restent néanmoins naïves dans leur application à la réalité. Outre que de définir l’électeur comme un vulgaire portefeuille à deux pattes, sans autre préoccupation que la prévisibilité de leur budget, cette stratégie pourrait éventuellement être nuisible à François Legault, sur un plan stratégique. En effet, il concentre et limite ses interventions lors de la campagne électorale à des commentaires purement économiques, voire fiscaux. La CAQ n’a aucun apport utile et novateur dans les débats identitaires sur lesquels mise Pauline Marois. Qui plus est, l’interlocuteur naturel du PQ dans ces dossiers, le Parti libéral du Québec (PLQ), tentera lui-même de détourner le discours vers des thèmes économiques. François Legault est ainsi réduit par sa propre faute à un rôle impertinent de deuxième avis, commentateur distant des faits et gestes des deux prétendants «sérieux» à la primature.

L’incohérence de la CAQ avec la réalité politique québécoise – et canadienne – est pourtant beaucoup plus fondamentale. Son message politique est condamné à tomber dans l’oreille d’un sourd. Sondage après sondage, étude après étude, depuis 1945, les Canadiens et particulièrement les Québécois croient en la nécessité d’un – et désirent un – gouvernement jouant un rôle actif dans la société. Toute la rhétorique, édulcorée certes, empruntée à la droite fiscalement conservatrice de l’Ouest canadien (ou américain) ne réussit donc pas à rejoindre une part suffisante de l’électorat. C’est donc un moyen que François Legault tente de nous vendre comme une fin en soi: le fétichisme de l’équilibre budgétaire. Heureusement, cette approche ne trouve pas la résonance que lui voudraient les caquistes. Continuons de vouloir, donc, pour la CAQ, l’impertinence qui a été jusqu’à maintenant sa marque de commerce. [

Actualités

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CHRONIQUE

Prétentions et tofu fumé Julia Denis | Une chronique qui ne mâche pas ses mots

Société

societe@delitfrancais.com

LE RÉGIME HIPSTER. À MONTRÉAL nous connaissons bien ce fléau qui place les pauvres âmes dans mon genre en situation d’infériorité. Le site Internet Buzzfeed qui occupe notre temps de figurants en cours me l’a affirmé: je ne suis pas une hipster, selon un quizz poussé sur les différents aspects de ma personnalité. J’ai même réitéré en répondant aux questions de «Êtesvous cool?», la réponse fut un NON orné d’une photo de Teckel en gilet. Je ne suis donc pas de ceux qui s’habillent mieux, qui «clubbent» mieux, qui «mixent» mieux, qui

8 Société

pédalent mieux, qui se tatouent mieux, qui décorent mieux et qui évidemment mangent mieux. Mais étant toujours en quête de l’excellence culinaire je me suis donc attelée à comprendre quel est ce régime qui rend la barbe si douce. Lancée dans ma découverte de ce nouveau monde gastronomique, je me suis aventurée dans les contrées les plus sombres du Plateau Mont-Royal, j’ai même poussé mon convoi jusqu’à Brooklyn avant de finalement me perdre dans la jungle de Tumblr. Et ce fut entre un hachis parmentier purement végétarien enrichi au quinoa et un tiramisu soja-café local équitable bio - sans sucre, sans ajout, sans gluten, sans gras - que j’ai compris. Ces chemises à carreaux barbues n’ont rien inventé. Le hipster agrémente simplement des recettes bien connues d’un goût mi-amer miacide: celui qui nous donne l’impression de manger sain. Les études portées sur la consommation de soja dans notre alimentation révèlent qu’il présente un danger sur notre système endocrinien. Or, quand nous retrouvons son arrière-gout végétalement triste au détour d’un «smoothie» au gazon et sirop d’agave, nous ne pouvons nous empêcher de penser que ce sacrifice des papilles est un bienfait pour le reste de notre corps. La gastronomie hispster ne serait alors qu’un simple effet marketing, une illusion bien trop travaillée pour être couronnée de

la «coolitude» suprême. Un nouveau style qui préfère les plats esthétiques prêts à être publiés sur Instagram avec les noms d’ingrédients les plus saugrenus en commentaire; plutôt que d’offrir de l’émotion et de la gourmandise. Finalement j’éprouve presque une certaine compassion pour cette

tribu en crise qui cherche une identité pour notre génération: nos grands-parents se libéraient et mangeaient frais, nos parents se rebellaient et s’approvisionnaient de nouveautés mondialisées, quant aux hipsters actuels ils ont créé l’uniforme de l’originalité et s’étouffent à coup de tofu fumé. [

Romain Hainaut / Le Délit

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CHRONIQUE

Les petits cailloux

Aurélie Lanctôt | Les genres en question

LE WEEK-END DERNIER, À L’OCcasion de la Journée internationale des femmes, on m’a demandé de quelle manière j’intégrais mes convictions féministes à mon travail, à mes études, à mes projets en général. J’ai réalisé qu’avant toute chose, c’est dans la quotidienneté que se manifestent le plus mes efforts féministes. Terrain, il faut l’avouer, où le sexisme est particulièrement difficile à combattre du fait qu’on le remarque trop peu. Pourtant, rien ne justifie qu’on baisse la garde, même dans l’intimité. Pour tout dire, j’ai souvent l’impression que c’est à travers les rapports informels et personnels qu’on observe le sexisme enraciné le plus profondément. Celui qui se manifeste lorsque, entre amis, entre collègues ou même entre amoureux, on passe du bon temps et que les langues se délient. Que la vigilance baisse d’un cran. Lorsque pour un instant, plus rien n’est politique – voudrait-on croire. Lorsqu’on soupe entre amis et que les filles finissent – pour une raison obscure, à se sentir plus concernées par la vaisselle et le service que les convives masculins, et que personne ne le souligne. Lorsqu’au restaurant, on apporte systématiquement

l’addition à Monsieur. Je m’amuse de l’air gêné du serveur lorsque je vais régler, mais au fond c’est lassant. Lorsqu’avant d’aller à la piscine, mine de rien, je prends cinq minutes de plus sous la douche pour me raser les jambes –question d’hygiène. Je me demande d’où est venue cette idée que, s’épiler les poils des tibias, c’était

plus hygiénique. C’est absurde. Mais c’est ce qu’on nous dit. Allez savoir. Mais reste que la peur de passer pour «malpropre» l’emporte, bien souvent. Lorsque je me perds sur un chemin que j’emprunte pour la cinquième fois et qu’on me gratifie d’un «haha, t’es tellement une fille»…

«Ce n’est pas grave», qu’on se dit souvent. Histoire de s’exonérer de la responsabilité de résister, même dans les petits gestes du quotidien, à la pression genrée qu’on trouve partout. Ce n’est pas grave, qu’on se dit, puis pas un mot. Faut pas «faire chier», faut pas gâcher l’ambiance. En effet, ce n’est pas «grave». Sauf que se taire, c’est faire un choix; et c’est faire un choix bel et bien politique. Ça, il ne faut pas l’oublier. La résistance féministe, lorsqu’on s’y met, doit être immanente. Elle s’exerce sur tous les fronts, sous la couette comme au travail ou dans l’espace public. Et si on est tenté de croire la sphère privée apolitique, n’oublions pas que cette dépolitisation ne sert certainement pas les femmes, mais le statu quo. C’est pourquoi les choix, même anodins, comptent. Se taire, ou «obéir», ou «faire comme tout le monde», c’est rajouter chaque fois un petit caillou du côté statu quo de la balance. Alors lorsqu’on me demande comment j’intègre le féminisme à mon travail, à mes rapports interpersonnels, à ma sexualité; bref à ma vie en général, je dis souvent que c’est avant tout en osant dire le sexisme. En disant «non», et «je m’en fous» de ce qu’on «attend» de moi et ma féminité. Je n’ai rien à prouver, avec ma féminité. Je ne devrais pas avoir quoi que ce soit à prouver. Il faut également résister à la tentation d’«euphémiser» son féminisme, lorsque le contexte y semble hostile. S’il faut oser dire le sexisme, il faut également oser dire le féminisme. Je ne suis pas «humaniste», pas «pour l’égalité», pas «féministe mais pas frustrée» – juste féministe. Souvent frustrée, d’ailleurs. Mais, surtout, avec plein de petits cailloux dans mon sac à dos, prête à les ajouter un par un à notre côté de la balance. [

La vidéo précédemment citée explique également que la chaîne de télévision colombienne NTN24, qui couvrait les événements se déroulant au Venezuela, a été mise horsligne. Le 12 février, selon le site internet Caracaschronicles.com, la diffusion de photos sur Twitter dans le pays n’était plus possible. Il y a donc un strict contrôle des moyens de communications, utilisé pour des motifs politiques. De plus, Internet, auquel l’accès est faible, et la télévision câblée (à laquelle, selon Le Monde, seulement 53% des habitants du pays ont accès) n’ont qu’un impact qui reste limité dans le pays. L’attitude des médias internationaux dans ce conflit interne est également à surveiller. Les grands journaux mondiaux sont restés quasiment muets au début de cette crise: elle n’avait par exemple fait ni la une du New York Times ou du Washington Post. Le non-traitement de cette crise peut cependant avoir aussi des conséquences pratiques, liées à la sécurité des journalistes: certains ont été blessés ou menacés (selon caracaschronicles.com). De nombreux reproches ont été faits en particulier aux médias américains pour leur manque d’intérêt vis-à-vis de cette crise. Mais ne peut-on pas considérer que l’intérêt de ceux-ci est corrélé aux intérêts de la

nation américaine? L’Ukraine est un pays hautement stratégique, que le vieil ennemi russe cherche à «reprendre», et un pays aux portes de l’Europe. Les velléités d’expansion soviétique sont donc directement menaçantes pour les États-Unis (pour des raisons stratégiques, idéologiques et économiques). Alors que le Venezuela, un pays résolument anti-américain, est a priori moins attrayant pour les médias. De plus, comme l’explique le Washington Post, plus un événement est éloigné, plus il faut qu’il soit spectaculaire pour capter l’attention du public: en Ukraine, on chiffre les morts en centaine, alors qu’au Venezuela, ils n’étaient encore «qu’»une dizaine. Ainsi une mort ukrainienne est vue comme un acte barbare du président russe, un sacrifié sur l’autel de la démocratie et de la liberté, tandis qu’au Venezuela cela choque relativement moins. Mais doit-on modeler l’information en fonction des intérêts ou attentes du public? Trop de crises, de révoltes, sont passées sous silence pour de simples questions de demande. Mais l’information n’est pas un produit comme les autres. Elle est à la base des décisions politiques, économiques, et à ce titre doit être, dans la mesure du possible, exhaustive dans un monde démocratique. [

OPINION

Dans l’angle mort Côme de Grandmaison Le Délit

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epuis le 12 février 2014, la journée de la jeunesse dans le pays, le Venezuela a été secoué par des vagues de contestations, violemment réprimées par le gouvernement de Nicolás Maduro. Les étudiants ont débuté ces révoltes dans les principales villes du pays afin de réclamer plus de libertés, plus de sécurité (le Venezuela ayant enregistré plus de 16000 meurtres en 2012, selon le ministre de l’Intérieur Néstor Reverol), et un accès plus facile aux produits de premières nécessités; des conditions de vie décentes, somme toute. Tout d’abord, c’est plutôt au travers des réseaux sociaux que l’opinion internationale a été mobilisée: ainsi la vidéo «What’s going on in Venezuela in a nutshell» («Ce qu’il se passe au Venezuela en bref») a été vue près de trois millions de fois et partagée sur les réseaux sociaux en masse. Dans ce court reportage, l’étudiante vénézuélienne en Floride qui l’a réalisé fait un exposé des faits appuyé par un appel à une mobilisation internationale. Cette vidéo a été diffusée dans la continuité de l’éveil des consciences débuté notamment sur twitter. En effet d’après le site

topsy.com, les termes «Venezuela protests» ou «Caracas protests» ont été mentionnés dans 109851 tweets entre le 8 février et le 10 mars. À titre de comparaison, les termes «Ukraine protests» ou «Kiev protests» n’avaient été mentionnés qu’à 62173 reprises sur la même période, explique le Washington Post (article du 24 février: «Amid the coverage of Ukraine, is a crisis in Venezuela being ignored?» - Au milieu de la couverture de l’Ukraine se cache-t-il une crise au Vénézuela? ndlr). Mais le terme «maidan», du nom de la place centrale de Kiev, a été mentionné à 127745 reprises lors des trente derniers jours. Ainsi le Venezuela est bien présent sur les réseaux sociaux, bien que moins que l’Ukraine. L’asymétrie entre la version officielle des faits et ce qui est dit sur les réseaux sociaux est d’abord locale: au Venezuela les grandes chaînes et les journaux sont contrôlés par le gouvernement pour la plupart. Par exemple Nicolás Maduro a repris la pratique du «cadenas» instaurée par Hugo Chavez, qui consiste en de longs monologues présidentiels imposés à la télévision publique. Et justement, lors du dernier, le président de la république bolivarienne du Venezuela a indiqué que les médias internationaux faisaient le jeu de l’opposition «fasciste», comme le rapporte Le Monde le 21 février.

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Société

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Arts&Culture artsculture@delitfrancais.com

CONCERT

Enchanté! The Frisky Kids réchauffent la Casa del Popolo. Photographies par Cécile Amiot / Le Délit Joseph Boju Le Délit

C

omment faire du rock en 2014? Alex Turner croit qu’il n’y a pas trente-six façons, la sienne est la suivante: quand il récupère un prix à la Cérémonie des BRIT Awards, le chanteur des Artic Monkeys fait l’éloge de l’astre volage qu’est le rock’n’roll avec l’insolence due à son rang et finit par briser son micro dans le délire général. C’est une question d’attitude. De l’attitude? De l’allure plutôt. Enfin peu importe, le 28 février dernier, quand les Frisky Kids sont finalement montés sur la scène de la Casa del Popolo, c’est de cette attitude ou de cette allure-là dont on souhaite parler. Mais avant cela il nous faut revenir au début du concert. Saluer la prestation du premier groupe, Myles From Home et les cheveux longs de son chanteur – car il faut le souligner, durant leur passage rien ne bouge dans la salle mis à part ses cheveux. La connexion entre les membres du groupe laisse en effet à désirer: peu de regards complices, un mur entre la scène et le public, l’énergie du chanteur ne peut décidemment compenser le morne des autres musiciens, pourtant qualifiés. Est-ce la faute au style entrepris? (Du folk entre Glen Hansard et Mumford and sons). Quoi qu’il en soit, une séance de teambuilding s’impose! Le second groupe à monter sur scène, Apache Kingdom, fait preuve d’une cohérence déjà bien plus visible, celle du style vestimentaire. Cela ne fait pas un pli: la coupe «Mile End», des barbes faussement mal taillées et des lunettes de circonstance, sans oublier les chemises en jean et des pantalons certainement un peu serrés. Ajoutez à cela que les deux chanteurs/guitaristes se ressemblent comme deux gouttes d’eau, le tableau est parfait! Cela n’empêche, les deux telecasters sonnent admirablement et l’on reconnaît bien vite que les phrases musicales sont construites et réfléchies, un peu comme celles que l’on peut trouver chez Phoenix et consort. Le groupe va même pousser le côté branché jusqu’à utiliser un vocodeur «Korg», afin de modéliser avec style ses fins de morceaux. On pourrait arguer que tout cela manque d’âme, cela ne manque néanmoins pas d’unité si on les compare à leurs prédécesseurs! Qu’on cesse de s’impa-

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tienter, l’âme est en route, et rien ne saurait l’arrêter. Les Frisky Kids montent en effet sur scène, sous les applaudissements nourris des connaisseurs et les regards curieux des novices. Et il y a de quoi susciter de la curiosité! Figurez-vous trois hommes en noir, la dégaine des Blues Brothers, les mélodies quelque peu naïves des Beatles et l’énergie que peuvent avoir à revendre trois musiciens venus à Montréal dans l’unique but de «faire de la musique», vous avez les Frisky Kids: Matisse Gill, Cal Um, et Alexandre Parmentier. En fait, c’est peu dire que leur démarche est curieuse, elle est surprenante, frappante, ahurissante. Cognitivement, trois bonhommes habillés en chemise-cravate-veston noir et blanc venant chanter du rock, aujourd’hui, c’est impensable. Pour les novices dans la salle, c’est donc ce qu’on appelle communément une agréable surprise. Après des présentations rapides, le trio débute sa performance sur le titre «Metro Romance». C’est un spectacle très prenant, et la Casa del Popolo se réchauffe rapidement sous l’effet des pieds et des mains du public. Les Frisky Kids délivrent des paroles badines entonnées avec entrain, à une, deux et parfois trois voix, quand ce n’est pas toute la foule qui les reprend. Les titres se suivent et ne se ressemblent pas, chacun d’eux valant néanmoins aux interprètes des grimaces et des transes tout à fait à propos. Si le bassiste et chanteur Matisse possède lui aussi des lunettes de circonstance, celles-ci volent bien vite à terre tant il est surexcité quand il joue. «All the girls» déclenche l’action. La toute nouvelle «On my way» sert, entre autres, de plat de résistance, et la singulière «Rooftops» clôt les festivités. L’allure dont on a pu parler plus haut se retrouve enfin, l’âme, l’énergie, la cohérence, tout est là! Les Frisky Kids délivrent un véritable concert de rock, dans lequel on se sent happé, un de ces concerts où l’on commence par gentiment dodeliner de la tête en rythme et où l’on finit – sans s’en être aperçu – par danser comme le dernier des zigotos au milieu de la foule. Écumant la scène montréalaise depuis un peu plus d’un an, les Frisky Kids sont devenus des musiciens aguerris qui délivrent des prestations plutôt impeccables, et cela même s’il ont changé à l’instant de batteur, remplaçant le talentueux Matt Grant pour le non moins talentueux Alexandre Parmentier.

Aussi, à l’instar de la foule à la fin du concert, criant «Frisky! Frisky! Frisky!» pour déclencher le fameux bis, nous n’en demandons que d’avantage du talentueux trio. Cela tombe bien, ils ont déjà annoncé leur prochaine date de concert, ce sera le vendredi 2 mai au BarFly sur St Laurent. En attendant cette période lointaine qu’aucun d’entre nous n’est certain d’atteindre sain et sauf, on vous recommande chaudement

d’écouter le rock’n’roll de ces messieurs là. «Yeah that rock’n’roll… It seems like it’s fading away sometimes… but it will never die. And there’s nothing you can do about it.» « Ouais ce rock’n’roll… on a l’impression qu’il disparaît de nos jours… mais il ne mourra jamais. Et vous ne pouvez rien y faire. » (Traduction libre, ndlr) (Alex Turner, Cérémonie des BRIT Awards 2014) [

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CHRONIQUE

Justification des études littéraires Gilles Dry | Rhétorique culturelle

Analyse de bribes d’informations prises par-ci par-là à McGill, dans des cours, dans des conversations, de gens cultivés et brillants, professeurs, fascinés par la chose intellectuelle. QUAND JE LIS UN ROMAN, J’AI l’impression d’accomplir une bonne action, un peu comme quand j’aide une mamie à traverser la rue. J’ai l’impression de faire quelque chose qui me dépasse et qui donc me grandit. Souvent, après une séance de lecture personnelle (entre 30 et 60 pages), je me sens vraiment bien, alerte. Je sais que je viens de faire travailler mon cerveau, et

que c’est bien. Je crois que c’est pour ça que j’ai décidé d’étudier la littérature, pour me sentir bien dans mes études. Je ne me sens décidément pas bien. Récemment dans un cours que je ne nommerai pas, l’enseignante annonça qu’elle allait nous faire voir un extrait de L’Idiot situé tardivement dans le roman mais que ce n’était pas grave pour ceux qui ne l’avaient pas lu, car, évidemment, on ne lit pas Dostoïevski pour l’histoire! Nous reçûmes cette exclamation, dite comme une vérité générale, par un rire narquois et approbateur, nos yeux pétillaient de fierté. Pauvre lecteur qui n’a rien compris! J’étais bien heureux d’avoir eu la flemme de lire avant ce cours, j’aurais perdu mon temps. Ça tombe bien, la première phrase du syllabus du cours est que «l’on ne peut pas assimiler la littérature de manière passive». On ne peut pas assimiler la littérature de manière passive. Ça me rappelle quelque chose. Oui, l’enseignement de la littérature. Pourtant, annoncer d’entrée que l’on ne «peut pas», c’est un peu se justifier avant même d’avoir commencé, comme quand on débute une phrase par «franchement», ce qui suit va être nécessairement problématique. Il faut donc justifier l’enseignement de la littérature? Allons-y! D’abord, quelle différence y-a-t-il entre la littérature, les sciences politiques, l’histoire et le reste de ce que l’on appelle

les «sciences humaines», du coup? Si tout ce que l’on fait c’est étudier des textes parce qu’on est incapable de comprendre quoi que ce soit par soi-même, c’est tout mettre sur le même niveau. On renforce ses capacités d’analyse, qu’on lise Hobbes ou Tolstoï. Tout de même, à la base, la lecture d’un roman ou d’un traité philosophique ne se fait pas de la même façon. Il y a l’engagement du lecteur, qui se met instinctivement dans la peau du personnage qui parle. Platon (philosophe), qui mettait en scène sa philosophie en dialogues (littérature), l’avait bien compris. Malheureusement au bout d’une dizaine de dialogues avec toujours le même héros qui en plus on le sait bien, va mourir à la fin, ce n’était pas très engageant. Et puis il avait toujours raison Socrate, pas trop moyen de s’identifier à lui, même quand il perd son procès, on a plus l’impression que c’est Athènes qui perd qu’autre chose. On sent que pour Platon c’était un sacrifice trop dur de faire de la littérature pour nous faire bouffer de la philosophie. Pourtant, trêve de plaisanteries, il y a une part de vérité quand on entend que l’histoire d’un roman n’est pas nécessairement ce qu’il y a d’important: tout le monde connaissait la fin du Nouveau Testament et pourtant sa lecture a toujours déclenché pas mal de passions. Je sais ce que le critique va me répondre: on peut mettre ça sur le dos

de l’absence de choix de lecture à l’époque. L’analogie marche aussi avec la remarque sur la passivité: les gens se ruaient à l’église pour qu’on leur explique le bouquin, un peu comme nous qui allons étudier à l’université. Hélas, même à cela on peut argumenter qu’ils ne savaient pas lire alors il fallait bien qu’on leur explique le bouquin. Ensuite c’est devenu une tradition alors on n’allait quand même pas changer la formule sous prétexte qu’on pouvait tous lire la Bible chez soi bien au chaud. Finalement, on va surtout à l’église plus pour le côté social de rencontrer des gens qui partagent la même passion, unis dans l’amour du Christ (ou juste pour se mettre à genoux). Étudier la littérature est nécessairement problématique car on doit se taper sermon sur sermon pour profiter de ce qui compte vraiment: rencontrer des gens qui comme nous aiment la littérature et donc nous ressemblent. Et si pour cela on doit lire Vies Minuscules et nous faire dire que telle phrase est «si belle» et telle tournure «si bien trouvée», eh bien taisons-nous, et gardons nos réflexions sur Michon pour la pause après le cours. Et puis si à la fin de mes études je n’ai pas de travail, j’aurai peut-être au moins trouvé un compagnon de route.

teau d’Apostrophes, l’émission littéraire de Bernard Pivot, pour présenter son premier livre, Au régal des vermines, un pamphlet qui incarne parfaitement le thème de l’émission du jour, «Les mauvais sentiments». Dès l’introduction, les rires condescendants et moqueurs des invités se font entendre, les propos du jeune Nabe sont vites tournés en dérision. Un faux télégramme d’un cadre du Front National est lu en direct, félicitant l’invitation de Nabe, assurément envoyé par un coquin cherchant à décrédibiliser notre jeune écrivain, qualifié de toutes parts d’antisémite. Bref, il se met tout le plateau à dos, voit son livre se faire descendre par des confrères ayant à peine lu les premières pages, retenant deux-trois passages choquants, passant à côté de l’ironie majuscule de ce premier cri littéraire. En prime, Nabe se fait tabasser après l’émission par Georges-Marc Bénamou, à l’époque président de SOS Racisme, et se fait traîner en justice par la LICRA. Avouez que ça fait beaucoup pour un seul livre. Et depuis, les jugements de la doxa sur Nabe suivent la même ligne: sans avoir lu une seule de ses pages, le plus clair de

la sphère médiatico-culturelle juge son œuvre en la rapprochant, dans les thèses, aux écrits de Rebatet, aux pamphlets de Céline, au Journal de Léon Bloy, bref en faisant passer Nabe pour un fasciste, au sens nébuleusement politique du terme. Nabe est assurément fasciste, mais un fasciste artistique, qui se rapproche dans sa conception du surhomme nietzschéen. Nabe est un illuminé qui aveugle le troupeau de sa lumière, qui sème ses suiveurs pour paraître seul dans sa mystique, bien entouré par certains génies de la littérature, du jazz, qu’il admire. C’est un diariste de premier rang, un rieur, un poète-mage, une plume de génie dédaigné par l’actualité culturelle, mais que l’éternité artistique retiendra peut-être. On pourrait poursuivre le panégyrique sur des pages entières, mais je dépasse déjà sur mon allocation de cinq cents mots. Je voudrais laisser la conclusion à Marc-Édouard Nabe, auteur d’un des plus beaux zeugmas de la littérature française: «J’ai couru à la première librairie, je suis tombé sur le Journal de Léon Bloy et à la renverse, pour le restant de l’éternité.» [

Je suis célibataire, à la recherche d’amis, et joignable au 438-929-8982. Merci. [

«Sésame, ferme-là!» Baptiste Rinner | Les oubliés de la littérature

JE TRICHE UN PEU. L’ÉCRIVAIN qui m’intéresse aujourd’hui n’est pas un oublié de la littérature française, mais un ignoré. Je n’ose prononcer son nom dans les colonnes de ce respectable journal, de peur de voir ma chronique de cette semaine censurée. Comme il le dit lui-même,

«[son] nom est un gros mot, [...] c’est l’Anti-Sésame. “Sésame, ferme-là!”» Je peux me permettre le rapprochement, son destin littéraire est semblable à celui de Lucien Rebatet, qu’il admire par ailleurs, et qui a fait l’objet d’une chronique antérieure, comme le lecteur assidu et attentif de ma petite série aura remarqué. Leur première publication a fait scandale –Rebatet a posteriori, dans le camp des perdants, Nabe dans le feu de l’actualité, en pestiféré. Nabe? Mince, je n’ai pas résisté, excusez-moi l’injure, il aurait été difficile de me taire. Marc-Édouard N***, donc, le plus grand ignoré de la littérature française! Je ne vous parle pas d’un obscur écrivain tapi dans sa tanière qui range ses manuscrits dans un tiroir. Je retiens un sens particulier du verbe «ignorer», c’est «mépriser quelqu’un, ne pas y faire attention». Pourtant il en fait du bruit, le petit MarcÉdouard, trop peut-être, beaucoup trop. Tout commence par un scandale dont on a parlé ad nauseam, et je vais en rajouter une couche. Je brode. On est en 1985. Marc-Édouard Nabe est invité sur le pla-

Tisse ta toile au Délit! Deviens coordonnateur web, en envoyant ta candidature avant mercredi 12 mars 2014 à rec@delitfrancais.com [le délit · le mardi 11 mars 2014 · delitfrancais.com

Arts & Culture

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DANSE

Un ballet urbain éloquent Kyle Abraham met en mouvement la jeunesse afro-américaine avec précision. Mathilde Michaud Le Délit

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onnaissez-vous la réalité des quartiers afro-américains de Pittsburgh, ou encore de New York? C’est une réalité trop souvent éclipsée par les médias de masses, bien qu’elle englobe une bonne part de la population nord-américaine. C’en est une qui, au tournant des années 1960, a été durement frappée par les phénomènes de gangs, par la pauvreté, le trafic de drogues et le sida. C’est dans cette réalité qu’a grandit le jeune chorégraphe et danseur Kyle Abraham et c’est précisément celle-ci qu’il a voulu reproduire à travers la dernière œuvre de sa compagnie Abraham.in.motion, Pavement. S’inspirant de deux œuvres majeures de la culture afro-américaine du dernier siècle, le film Boyz N The Hood de John Singleton et le livre de W.E.B. Du Bois The Souls of the Black Folks, Pavement cherche à dresser une chronologie de la culture noire moderne. Abraham puise par ailleurs dans son éducation musicale classique et propose un surprenant mélange de ballet contemporain et de danse urbaine qui, loin d’être simplement superposés, se rejoignent en un ensemble des plus naturels. Ainsi transparaît une attitude purement urbaine au travers d’une gestuelle très académique, une opposition qui se fait aussi sentir dans ses choix musicaux. Se côtoient effectivement

opéra, coups de feux et sirènes de police, un mélange qui, sans déplaire, est pour le moins surprenant. «J’aime le fait de les [coups de feux et sirènes] opposer à des voix de contre-ténor lyriques évoquant celles des castrats», explique-t-il en entrevue avec La Presse (Kyle Abraham, Légende urbaine- 1er mars 2014). L’originalité de l’œuvre d’Abraham vient aussi de la conjugaison de différentes formes d’arts. Théâtre, musique, danse, arts visuels: «quand je regarde la danse, je la vois plus comme de l’art visuel que comme un art de performance», explique-t-il au Devoir (Les urbanités fragmentées de Kyle Abraham– 1er mars 2014). En effet, plus qu’un spectacle, c’est plutôt un tableau qui nous est dépeint à travers la performance des sept danseurs. Un tableau de la vie de sept jeunes expérimentant les différences raciales et la turbulence de cette jungle qu’est la vie sociale urbaine américaine. On peut être à maintes reprises frappé par l’authenticité qui ressort du propos de Pavement. C’est donc sans surprise qu’on apprend qu’il s’agit en fait d’un travail basé sur les expériences vécues par chacun des danseurs, dont Kyle Abraham, expliquant ainsi la teneur plus émotionnelle qu’athlétique de cette performance – bien qu’on puisse être plusieurs fois impressionné par la fluidité et l’amplitude qui émane de l’étrange mélange stylistique présenté.

Steven Schreiber Fascinant et surprenant, le spectacle présente des ensembles visuellement très intéressants. Le spectateur peut cependant rester surpris du manque de fini qui semble envelopper les mouvements des danseurs. Effet collatéral du background urbain de la composition ou manque d’attention au détail? Cela semble difficile à définir, mais l’œil du danseur dans l’auditoire aura été écor-

ché par les pieds non pointés qui contrastent tant avec l’impressionnante gymnastique des danseurs. C’est tout de même une composition particulièrement éclatée et expressive qui nous est présentée par la compagnie Abraham.in.motion, laquelle nous promet d’ailleurs une nouvelle production, la troisième en ligne, dans un avenir très proche. [

CINÉMA

Bon vent, Miyazaki Le dernier film de Miyazaki revisite un pan de l’histoire nationale. Émilie Blanchard Le Délit

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e réalisateur japonais Hayao Miyazaki, pionnier de son art, a annoncé que Le vent se lève serait son dernier long métrage. Il s’inspire du roman éponyme de Tatsuro Hori et raconte l’histoire romancée de Jiro Horikoshi, un ingénieur en aéronautique passionné et surdoué qui a conçu les avions Mitsubishi A6M, largement utilisés par l’armée japonaise et les kamikazes durant la deuxième guerre mondiale. Le film débute avec un rêve de Jiro, alors enfant, dans lequel il rencontre son idole: l’ingénieur en aéronautique italien Giovanni Battista Caproni. Celui-ci conseille au jeune garçon, qui rêve de devenir pilote mais doit y renoncer à cause de sa mauvaise vision, de construire des avions. Ses rencontres avec ce personnage, toujours oniriques, seront parfois des indices prémonitoires sur l’histoire à venir. Plus important encore, on y aborde un des thèmes principaux du film, à savoir: quel est le prix à payer pour voir ses plus beaux rêves se réaliser? Jiro, un homme bon et généreux, rêve de construire des beaux avions. Toutefois, il doit travailler sur un projet en sachant fort bien que l’armée utilisera son œuvre comme machine de guerre et meurtrière. Le vent se lève se base et fait référence à plusieurs reprises au vers: «Le vent se lève!

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…il faut tenter de vivre!» de Paul Valéry tiré de son célèbre poème «Le cimetière marin». Ainsi, le vent tient un rôle primordial tout au long du film. Dans les années 1930, le Japon est dans une période difficile: grande dépression et épidémie de tuberculose, sans oublier les tensions générées par la guerre qui approche. Alors, le vent peut apporter autant de merveilles que de catastrophes. Entre autres, il est au cœur des grands moments que vivent le protagoniste et Naoko Satomi, celle qui deviendra sa femme. Un film d’animation, et plus particulièrement une œuvre de Miyazaki, se visionne différemment de tout autre genre de cinéma. En effet, le réalisateur nippon dessine chaque image à la main et la qualité y est splendide. Certains paysages et images ressemblent à s’y méprendre à des tableaux impressionnistes ou encore à des photographies. Dans un même ordre d’idée, à une époque où les films sont de plus en plus tournés a l’aide d’écrans verts et ont recours à des effets spéciaux plus vrais que nature, il est intéressant de voir ce que l’animation peut faire. Un bel exemple est la façon dont Miyazaki s’y prend pour représenter le tremblement de terre dévastateur de KantĿ de 1923, qui est tout simplement géniale. Le vent se lève en premier, puis c’est au tour de la terre de gronder et enfin le chaos prend toute la place, de façon impressionnante.

Gracieuseté de Walt Disney Pictures La musique, composée par Joe Hisaishi, fidèle collaborateur de Miyazaki, est très intéressante, car on y retrouve deux thèmes majeurs d’inspirations distinctes. D’un côté, il y a de la musique aux accents italiens, lors des rencontres du protagoniste avec Caprioni. L’autre thème majeur est plus mélodramatique et est présent lors des scènes entre Jiro et Naoko. Dans un thème comme dans l’autre, la musique est délicate et constitue un accompagnement à l’histoire, pour créer un tout très poétique. Pour information, dans la version anglaise, le personnage de Jiro est doublé par l’ac-

teur américain Joseph Gordon-Levitt, ce qui est un choix intéressant. Sa voix est à la fois mûre, sobre et jeune, de sorte qu’il suit bien le personnage au-delà d’une décennie, sans toutefois prendre trop de place et conserver ainsi toute l’attention sur les images. Le vent se lève est un chef d’œuvre cinématographique et artistique mélangeant merveilleusement bien les genres de film historique, romantique et de guerre. Même les plus sceptiques du cinéma d’animation seront charmés et éblouis par tant de finesse et de poésie. C’est magnifique et Miyazaki tire ainsi sa révérence en beauté. [

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CRITIQUE

Écoute en deux temps Réflexions sur un album de David Giguère. Annick Lavogiez Le Délit

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asablanca, nouveau disque de David Giguère lancé le 4 mars dernier au Club Soda de Montréal, est le récit d’une rupture tumultueuse: «ceci est la (sic) représentation de deux personnes qui n’ont jamais réussi à exister (ensemble)» (incipit de l’album). Sombre, poignante, la thématique est émouvante: quête de soi, de l’autre, relation en crise, échos d’un parent disparu, crise identitaire… C’est une véritable plongée dans la tête d’un homme blessé que nous propose ce jeune artiste de vingtcinq ans. Retour sur une écoute en deux temps d’un album qui gagne à être découvert progressivement. La déception En écoutant pour la première fois l’album de David Giguère, Casablanca, que j’attendais depuis plusieurs semaines avec un enthousiasme sans doute démesuré après avoir découvert l’artiste par hasard en glanant des chansons d’Alex Nevski sur Youtube, j’ai été un peu déçue par son rythme langoureux, presque répétitif et ses paroles aux métaphores pas toujours glorieuses. La première chanson rendue publique, «La pornographie», était pourtant pleine de promesses, avec un son enlevant, des paroles poétiques, pimpantes et bien écrites. Peut-être que vu les heures d’attente et la qualité de la première chanson, la barre était trop haute pour le reste de l’album. Peut-être aussi que j’ai mal écouté, ou que j’obéissais inconsciemment à l’adage populaire qui stipule que toutes les premières fois

Laurence BAZ Morais sont ratées. Toujours est-il que mon premier contact avec Casablanca était un peu teinté de tristesse: aucune toune ne sortait du lot, le ton était un peu trop constant, les découvertes musicales trop discrètes. J’attendais une dizaine de chansons aussi poétiques que «Permettez-moi» et aussi rythmées que «Encore», issues de Hisser haut, premier album enchanteur de Giguère, sorti en 2012. Mais je me suis retrouvée avec Casablanca face à un album aux allures adolescentes, immatures, et, de surcroît, rose. Appartenant moi-même à la génération texto-réseaux sociaux, j’ai eu du mal à apprécier le caractère pas très original d’un album qui surfe sur la vague du temps présent, avec une couverture toute de Facebook et d’iPhones ornée. En lisant quelques entrevues de l’artiste afin de comprendre d’où venait son disque, je me suis retrouvée face à un personnage

vivant dans l’urgence de la création: «pendant deux ans, je n’avais pas écrit du tout parce que j’étais trop occupé à tourner, c’est juste cet été que les douze tounes ont débarqué. Au départ, c’était uniquement des petits textes improvisés, écrits rapidement, que j’ai ensuite retravaillés et fignolés. L’important, c’était de tout faire ça dans un court laps de temps pour m’éviter trop de questionnements» (sorstu.ca, le 6 mars 2014). Une urgence qui se ressent parfois dans la réalisation de l’album, qui contient tout de même une coquille dans l’incipit! Ceci étant dit, il paraît que l’habit ne fait pas le moine, et qu’il faut toujours persévérer au-delà des apparences, alors… Le talent Une fois ma probable mauvaise foi ravalée, j’ai pris le temps de feuilleter le livret,

de réécouter chaque chanson une dizaine de fois pour bien les comprendre, les assimiler, apprendre à les aimer. Parce qu’il m’a finalement rapidement semblé que cet album appelait de multiples écoutes, une attention prolongée, une patience adaptée. Et voilà que soudainement, alors que le rose de la couverture brûlait encore quelque peu mes yeux (on ne se refait pas), j’ai compris l’humour des messages textes un peu niais et jamais distribués qui décorent la première page du livret «bb j’t’ai écrit un mail je t’aime» «je t’aime bb, tu me manques déjà aussi», «criss que jtm». J’ai commencé à m’attarder sur les rythmes lents, épurés, aux quelques mots bouillonnants qui vont plutôt bien avec le fond électro-pop. Malgré un œil encore critique sur quelques paroles un peu bancales, j’ai découvert le léger rythme enivrant de certaines chansons avec plaisir. Et pour couronner l’expérience, le lancement du 4 mars dernier au Club Soda m’a permis de voir l’énergie et la bonne humeur contagieuses de Giguère, ainsi que son plaisir certain à conquérir la scène. Les chansons semblaient plus rock dans la pénombre de la salle de concert, et malgré des éclairages bien trop insistants et agressifs, je me suis quelque peu réconciliée avec l’œuvre et son créateur. Ainsi, après de nombreuses écoutes, j’apprécie maintenant la douceur et la sensibilité de Casablanca. Si l’album me semble toujours manquer d’un peu de recul, la voix de David Giguère est sans conteste exceptionnelle, son plaisir de jouer incontestable et le résultat, minimaliste, mais talentueux, passera moins inaperçu qu’il ne me semblait à la première écoute. [

Encyclopédie crue des désirs Eric-Emmanuel Schmitt ébranle les personnages de son dernier roman par des mots d’amour anonymes. Marie de Barthes Le Délit

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près avoir vu Hôtel des deux mondes qui a dû en convertir plus d’un à la foi, lu Oscar et la dame rose qui m’a fait revisiter toute ma vision de la vie et de la fragilité, et voyagé à travers les âge et les nuances de la féminité en lisant La femme au miroir, je n’ai pas hésité à débourser 33 pièces pour poser avec satisfaction le dernier pavé d’Eric Emanuel Schmitt sur ma table de chevet. Seulement voilà, je suis déçue. Schmitt nous invite dans l’intimité d’une dizaine de couples et célibataires, tous riverains de la place d’Arezzo, une place de Bruxelles envahie par la présence incongrue de perroquets et de perruches; un microcosme où le lecteur est installé comme au théâtre. C’est alors qu’un petit élément agitateur entre en jeu. Un infime imprévu, pas plus gros qu’un bout de papier, littéralement. Un mot d’amour anonyme: «Ce mot pour te signaler que je t’aime. Signé: tu sais qui.» Tous les foyers en reçoivent une copie, et voilà que les quotidiens sont bouleversés. Mais qui est donc ce «tu sais qui»? L’un a

Anna Magidsen / Le Délit peur d’être aimé et veut déménager, l’autre a peur que son mari l’ait lu et découvre sa liaison. Un autre suppose automatiquement que le mot vient de sa mère, ayant tellement peu confiance en son pouvoir de séduction, et un dernier, pensant qu’il vient de son amour interdit, court sonner à sa porte.

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Chacun interprétant le message à sa façon, et y répondant selon sa capacité à aimer et se laisser aimer. C’est ainsi que l’auteur nous fait un inventaire de toutes les relations de couple et préférences sexuelles jamais connues. Une encyclopédie un tantinet érotique et sans

préambule. Voilà donc que François-Maxime de Couvigny, bon père de famille catholique, tout à fait propre sur lui et très calme au foyer, s’en va en forêt pour aller donner une branlette à un jeune inconnu, puis rentrer tranquillement chez lui expliquer à son fils – qui lui demande pourquoi on traite un de ses camarades de «pédé» – que c’est parce que «ces pauvres gens ne sont pas normaux». Un autre, Zachary Biderman, fait venir des putes de luxe dans son bureau pour décompresser, en les faisant passer pour des représentantes d’organismes de charité. Et Hyppolyte, le jardiner beau comme un dieu, n’a malheureusement d’yeux que pour une femme disgracieuse. Pour finir, aucun des couples ne colle vraiment bien, et toutes les amours sont insatisfaisantes. Je ne retrouve plus l’espoir vibrant qui habite normalement les personnages de Schmitt, je ne me sens plus aussi bousculée dans mes a priori. Et pourtant je continue à lire jusqu’à ce que mes yeux soient secs. Et si j’étais simplement gênée et désillusionnée par la réalité des couples du roman? Et si ma tolérance était trop limitée? Ah, il est fort ce Schmitt. [

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ENTREVUE

Bertrand Tavernier,

Jeudi dernier, au détour d’une salle de cinéma, Le Délit a rencontré par hasard le réalisateu Quai d’Orsay, lequel retrace les aventures d’un jeune chargé de langage d’un ministre des Af internationale. La filmographie de Tavernier, pour le moins extensive, serait trop longue à pr campagne, Dans la brume électrique ou L’Horloger de Saint-Paul, Bertrand Tavern

Joseph Boju Le Délit

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e Délit: Cette rencontre est vraiment inopinée, puisque je suis en train de lire ce livre de Pierre Encrevé, intitulé Conversations sur la langue française et à la question «Quelle est la dernière fois dans l’histoire où le français a été entendu de manière universelle?», Pierre Encrevé répond, je cite: «C’est très proche: aux Nations Unies en janvier 2003, quand Dominique de Villepin, alors ministre des Affaires étrangères, faisait entendre en français la voix de l’universel sur le refus de la guerre, excepté comme ultima ratio, avec en arrière-plan le projet de paix perpétuelle cher aux Lumières. Applaudi dans la salle, écouté dans le monde entier, il réinscrivait ce jour-là la langue française dans son image enviable de langue parlant pour tous les hommes et non pas d’abord pour la ou les nations où elle est établie.» Bertrand Tavernier: Ah oui! Je trouve que c’est une très bonne description. Moi c’est ce que j’ai ressenti quand j’ai entendu ce discours. C’est tout à fait juste! LD: Est-ce que ce discours, avant même d’avoir eu la bande dessinée Quai d’Orsay entre les mains, vous avait appelé, poussé à monter un projet? BT: Ce discours m’avait marqué puis je l’avais oublié, et c’est en lisant le premier tome de la bande-dessinée Quai d’Orsay, où il n’y a pas ce fameux discours, que j’ai voulu l’adapter. Et d’ailleurs dans ma tête c’était vague, je me disais «le discours de l’ONU», ce qui est faux, car il s’agit du discours prononcé devant le Conseil de sécurité, ce qui n’est pas la même chose, il est beaucoup plus restreint que celui devant l’Assemblée générale. Les auteurs m’ont ensuite dit que le discours serait dans le second tome, j’ai répondu: «peu importe, moi je veux juste ça, je voudrais adapter le premier tome, avec le discours.» Pour moi c’était capital, avant même de commencer à travailler sur le scénario, je savais que j’avais ça comme fin de film. LD: Comment s’est déroulée la rencontre avec Antonin Baudry, le scénariste de la bande-dessinée? BT: Il y a d’abord eu une première rencontre à New York où je devais le convaincre d’accepter les droits et la manière dont je voyais sa bande dessinée. Mon idée d’adaptation devait aussi lui convenir. Ensuite, on s’est revu pendant les discussions sur les droits d’achats avec Dargaud. C’est moi qui ai acheté les droits

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avec ma société et après je suis allé voir Pathé, une fois qu’on avait l’accord avec les auteurs et les droits de la BD. Enfin, quand on a commencé à travailler avec lui et Christophe Blain (le dessinateur de la BD) ça a été idyllique! Je ne me souviens pas d’un désaccord ou d’un problème sur le scénario, la seule mésentente qu’on a eue concernait la musique. Je n’avais pas envie de mettre du Metallica… LD: Parce que le héros écoute, en effet, beaucoup de Metallica dans cette BD… BT: Et moi j’aime pas Metallica! J’ai une culture différente alors on a essayé avec du Led Zeppelin. Tout d’abord la musique de Metallica ne m’est pas très sympathique et puis j’avais vu que récemment ils s’étaient conduits de manière assez étrange, en vendant leurs droits à des dictateurs. En dehors de ça, je pense surtout que c’était une musique qui était difficile à mixer sur du dialogue. C’est un son qui phagocyte un peu la voix humaine et j’aimais mieux le style Led Zeppelin, plus inventif musicalement. Mais les droits étaient tellement chers qu’on s’est dit «fabriquons un truc!» J’ai donc contacté Bertrand Burgalat, un musicien très doué, une espèce de musicien prodige qui a décidé de revenir à un rock tout à fait acoustique. Il a pris un chanteur qui avait été une star en France, Joël Dayde, celui qui chantait «Mamy Blue», un tube à l’époque. Tout ça pour dire que le seul désaccord, ça a été sur Metallica! Je pense désormais avoir une bonne oreille pour savoir ce qui va, ce qui colle avec une comédie. En l’occurrence, un Metallica dans les scènes de l’appartement les auraient rendues lourdes.

Je pense que c’est une actrice de génie, elle transformait tout! On lui donnait un petit truc. Paf! Elle en faisait quelque chose de formidable.

«J’ai trouvé étrange que

Thierry n’ai pas eu de nominations, mais je suis tellement rompu aux errements de ce genre de récompenses...»

LD: Vous êtes content, j’imagine, pour la récompense de Niels aux Césars. BT: Bien sûr. J’ai trouvé étrange que Thierry n’ait pas eu une nomination, mais je suis tellement rompu aux errements de ce genre de récompenses…

Je pense qu’il y a beaucoup de gens dans la profession qui ne voient pas les choses qui sont réellement créatrices. Ils s’arrêtent à des apparences. Que Robert Redford n’ait pas eu de nomination pour Seul en mer est sidérant. Je ne dis pas qu’il gagne, mais ne pas être nominé, tout de même! Et que l’on donne l’Oscar à Cate Blanchett qui fait un numéro d’actrice, un truc ultra facile, un numéro d’hystérique… Ce que font Amy Adams, Jennifer Lawrence, en revanche, est beaucoup plus sur le fil du rasoir. Et puis Reese Witsherpoon, elle était prodigieuse dans Mud où elle tenait un rôle secondaire. Donc j’ai été un peu triste, je pense que Thierry est tellement exceptionnel qu’il méritait une nomination, mais

LD: Y a-t-il eu un moment particulièrement bon ou mauvais durant ce tournage? BT: Il y a eu un moment entre Niels Arestrup et François Perrot qui a été un moment de bénédiction. François Perrot, qui fait le père du Ministre, m’avait foutu la trouille en arrivant de très mauvaise humeur et en disant qu’il ne voulait pas faire le film. Cependant, dès qu’on s’est mis à tourner, il a été complètement génial! Et il me proposait des choses différentes à chaque prise! Donc j’en ai fait pas mal, parce qu’en plus, il faisait des fautes de raccord, parfois il oubliait son chapeau ou sa canne. Je disais à Niels: «je suis désolé, je m’excuse, on reprend, il faut que je puisse passer de l’une à l’autre.» Et il m’a répondu: «mais moi je suis au spectacle! Je pense que François Perrot est le plus grand acteur français!» Et puis les scènes avec Thierry Lhermitte; ses répliques avec Raphaël Personnaz; tous les moments avec Anaïs Demoustier, c’était un bonheur absolu.

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rencontre improbable

ur français Bertrand Tavernier, de passage au Québec pour la promotion de son dernier film ffaires étrangères français alors qu’une crise similaire à celle de l’Irak chamboule la diplomatie résenter. Avec plus d’une quarantaine de films a son actif, dont les excellents Dimanche à la nier - pilier du cinéma français - a bien voulu répondre aux questions improvisées du Délit.

bon, j’ai moi-même eu le César de la musique avec Autour de minuit (1986) alors qu’il y avait très peu de musique originale (rires), donc je me dis que les gens ne savent pas! Alors que Philippe Sarde, quand il fait une partition comme celle de la Princesse de Montpensier (2010), il ne l’a pas et ça va à quelqu’un qui a fait douze notes! LD: C’est vrai que ce sont des codes difficiles à déchiffrer, surtout quand on n’est pas du milieu! BT: Surtout quand on demande à des gens de s’exprimer sur des sujets qu’ils ne connaissent pas! Pour les décors, si vous faites un film historique, comme disait Alexandre Trauner, «si je fais un film qui se passe à Versailles, je

suis sûr de remporter le César! Et pourtant moi je leur ai mis des tabourets, les gens récompensent Mansard mais pas moi! Le travail le plus créatif pour un décorateur – là où on va voir s’il a du talent – c’est quand il doit construire une chambre d’hôtel anonyme». C’est ça qui est le plus difficile. LD: Est-ce que vous avez des idées arrêtées sur vos prochains projets? BT: Non, je voudrais faire un documentaire sur le cinéma français, un film personnel. Mon point de vue sur ce que j’ai connu du cinéma français, les gens que j’ai croisés, les trucs qui m’ont amusé. Ce serait un film un peu ludique, pas du tout universitaire. Par exemple, je sais qu’il y a un épisode où je voudrais parler

d’un film qui s’appelle Les Mémoires de la vache Yollande (1951), qui est un titre qui m’a intrigué il y a quarante ans et qui m’intrigue encore aujourd’hui, au point de me demander comment est-ce que des gens ont pu se réunir autour d’une table et se dire «Les mémoires de la vache Yollande, putain ça va marcher!». Donc je voudrais montrer une minute et demie de ces Mémoires de la vache Yollande, comme ça ma curiosité sera comblée et je pourrai enchaîner en disant que le cinéma français a été riche en nanars, en films extravagants. Il y a pleins de films comme ça avec des répliques idiotes et je voudrais faire un florilège de celles-ci. C’est contre ce corpus de films, de vaudevilles militaires comme Debout là-dedans! (1935) ou J’arrose mes gallons (1936), qu’il y avait des cinéastes comme Julien Duvivier qui essayaient de faire La Belle Équipe (1936) ou Pépé le Moko (1937), ils devaient se battre contre cette masse de films imbéciles. Il y avait une dictature de l’imbécillité qui était quand même très formidable!

«Le cinéma a toujours

été une bataille, comme n’importe quoi dans l’art d’ailleurs.»

LD: Peut-on dire qu’elle est toujours présente, cette dictature de l’imbécillité? BT: Toujours! Le cinéma a toujours été une bataille, comme n’importe quoi dans l’art d’ailleurs! C’est valable dans les bouquins comme dans la musique. C’est une bataille entre – je ne dirais pas du tout le commerce et l’artistique, parce qu’il y a des œuvres commerciales qui sont admirablement artistiques, c’est idiot de dire que c’est une bataille entre le cinéma d’auteur et le cinéma commercial. C’est une bataille entre l’intelligence et la bêtise, entre des gens qui n’ont pas d’exigence et des gens qui en ont. Une bataille entre des gens qui ont une idée forte du public, qui pensent que celui-ci est relativement intelligent, et les autres.

Romain Hainaut / Le Délit

[ le délit · le mardi 11 mars 2014 · delitfrancais.com

LD: Alors vous êtes ici en tournée au Québec, est-ce que vous pourriez nous dire un mot sur sa production cinématographique? BT: Dallas Buyer’s Club est un film très intéressant! Vallée est un cinéaste qui a beaucoup de talent. J’ai bien aimé Crazy (2005), un tout petit peu moins Café de Flore (2011) mais il y a plein de cinéastes qui ont du talent ici! J’avais aimé certains films de Philippe Falardeau, La Moitié gauche du frigo (2000); Louis Bélanger et Gaz Bar Blues (2003); Post mortem (2000); il y a une vraie force dans le cinéma québécois, dans ses ac-

teurs. Il y a eu des cinéastes comme Denys Arcand, à une autre époque Gilles Carles, mais pleins d’autres! Claude Jutra et Mon oncle Antoine (1971); Francis Mankiewicz; je pense que le plus beau film québécois c’est peut-être Les Bons Débarras (1980). C’est un cinéma qui arrive à survivre, à avoir une vitalité. Il y a des moments où des gens et des institutions mettent en péril la machine. Quand il y avait des politicards à la tête de la SODEC (Société de développement des entreprises culturelles) ou Radio-Canada –des gens qui ne sont pas pour le cinéma mais pour garder leurs postes– je pense que cela faisait souffrir le cinéma québécois. Il y a eu heureusement des changements et tout d’un coup ils sortent de bons films et on découvre des réalisateurs qui ont du talent. Il y en a qui ne tiennent pas, comme Lauzon, qui est mort trop tôt, mais c’est un cinéma que je suis. LD: Selon vous quelle posture devrait adopter un réalisateur français aujourd’hui? BT: Il doit faire ce qu’il a envie de faire sans se préoccuper de la mode. Il doit tenir compte des problèmes qu’il affronte, savoir qu’il y a un public qu’il faut arriver à dompter, un public impatient, souvent ignorant, il faut en tenir compte, il faut savoir tout cela. Il faut se dire: «si j’ose ça, qu’est-ce que je leur donne comme dessert? Comment estce que je peux les avoir, sans faire de compromis?» Mais ce n’est pas une posture, il faut être soi-même.

«Comment être réalisa-

teur? C’est d’abord avoir des projets qui sachent parler du monde.»

LD: Je voulais plutôt aller vers «Comment être réalisateur en 2014?» pour être franc… BT: Comment être réalisateur? C’est d’abord avoir des projets qui sachent parler du monde. L’autre chose c’est de vraiment prendre son temps et travailler sur les scénarios. Travailler, travailler! On s’aperçoit qu’il y a des films qui n’aboutissent pas parce qu’il y a eu une certaine fainéantise dans le scénario. Moi je crois qui si j’ai une force, et Dieu sait si j’ai une grande liberté au tournage, c’est que je fais un très long travail sur le scénario. Il ne s’agit pas de «verrouiller» un scénario, un scénario doit laisser au contraire une liberté de ton, qui ne soit pas dominé par l’intrigue, mais il y a des moments où on se dit: «mais si les gens avaient travaillé trois semaines de plus ils auraient pu resserrer certaines choses, ne pas faire une scène explicative, éviter une voix off.» Je trouve que c’est le manque de travail sur le scénario qui est le plus frappant dans certains films. [

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CONCERT

Au cœur du lyrisme allemand Le NEM offre une exaltante interprétation de Winterreise de Hans Zender. Francis Loranger Le Délit

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e Musée des beaux-arts, sous les auspices de la fondation Arte Musica, consacra récemment un inspirant programme au cycle lyrique Die Winterreise (Le voyage d’hiver) du compositeur Franz Schubert, un chef d’œuvre du romantisme allemand inspiré d’un recueil éponyme du poète Wilhelm Müller. S’étalant sur quatre jours, il comprenait trois versions musicales différentes, l’œuvre originale de Franz Schubert (1827), la version de chambre de Normand Forget (2007) et la réinterprétation orchestrale de Hans Zender (1993), deux conférences du philosophe Georges Leroux intitulées «Le Voyage d’hiver dans l’histoire de la composition musicale» et «The Place of the Winter Journey in Schubert’s Work» ainsi qu’une captation filmique du concert «Christoph Prégardien et Menahem Pressler interprètent Schubert: Voyage d’hiver» (2012) par Pierre-Martin Juban. La musique des trois versions s’appuie sur le même livret de Wilhelm Müller, formé de vingt-quatre lieder, qui narre le cheminement d’un amant évincé, désabusé, à travers la campagne hivernale, froide et sauvage. Sa poésie simple et poignante aborde les thèmes romantiques de l’errance, du rejet, de l’isolement, de la désolation, de la souffrance intérieure, de l’amour malheureux, de la nature tantôt consolatrice et tantôt adverse, de la folie et de la mort. Le philosophe Georges Leroux, auteur d’un essai consacré au cycle schubertien, en résume judicieusement la poétique: «Chaque lied présente les avancées et les défaites d’une conscience en exil. S’il s’agit d’un voyage, chaque étape constitue une forme d’épreuve: de la scène d’adieu, en pleine nuit, qui ouvre le cycle, en passant par toutes les figures de l’espoir et de la désillusion, du courage et de l’abattement, du souvenir heureux à l’angoisse, le cycle progresse douloureusement jusqu’à la scène finale, où le voyageur rencontre un musicien de rue qui lui présente l’exemple d’un dépouillement serein.»

La pièce la plus audacieuse et déroutante du programme, Schuberts «Winterreise»: Eine komponierte Interpretation du compositeur et chef d’orchestre allemand Hans Zender, était interprétée dans l’intimité de la salle Bourgie par le ténor britannique Rufus Müller accompagné du Nouvel ensemble moderne (NEM), sous la baguette enchantée de Lorraine Vaillancourt, sa fondatrice et directrice artistique. Cet orchestre de chambre, en résidence à l’Université de Montréal depuis sa fondation en 1989, se spécialise dans la musique contemporaine. Il propose des œuvres exigeantes servies par une démarche rigoureuse, un «répertoire nourri aux classiques du XXe siècle [qui] reflète la variété des esthétiques actuelles, s’ouvre à la musique de tous les continents et consacre une place importante à la création». La performance offrait au public un voyage hivernal à travers l’histoire des formes, la tradition lyrique et la littérature romantique, un voyage à la fois textuel, par le récit lyrique du cheminement de l’amant malheureux dans la campagne désolée, et musical, par les chatoiements mélodiques d’une pièce à l’harmonie mouvante. Hans Zender propose une interprétation très personnelle du cycle schubertien se rapprochant d’une variation sur un thème. Il transpose la partition originale pour piano et voix en une partition pour orchestre de chambre et voix comprenant, outre les instruments usuels, une harpe, une guitare et trois machines à vent. Cette nouvelle instrumentation et la personnalité du compositeur confèrent à la pièce une tonalité radicalement différente. Pour qualifier le travail de récriture de Hans Zender, cette «interprétation composée» comme il la nomme, Lorraine Vaillancourt recourt à l’image architecturale: «c’est un peu comme introduire la modernité dans un édifice patrimonial, préserver tout en inventant»; «ses interventions, soigneusement composées, arrivent à magnifier le matériel de base… le poussent encore plus loin»; cette entreprise réussit à «charrier toutes les émotions de l’original, musique et texte confondus.»

Chez Schubert, la mélodie simple et solennelle, parfois froide ou distante, soutient uniment la poésie, la rehaussant ou s’effaçant au besoin. Chez Zender, la musique s’ajuste de plus près au texte; la mélodie erratique reflète le récit mais prend des libertés avec lui, voire interfère avec la voix narrative. Elle évoque le mouvement des émotions qui fluctuent entre l’affliction et l’espoir, les noirs tourments de l’âme qui succèdent à l’émerveillement devant la majesté de la nature. Plus concrète aussi, elle reproduit les bruissements naturels et humains évoqués dans le livret, que négligeait la partition plus abstraite et constante de Schubert. Ainsi, dans «Im Dorfe», les tonalités grinçantes suggèrent le cliquetis des chaînes, tandis que le tumulte final évoque l’aboiement des chiens; la partition de «Der stürmische Morgen» restitue le bruissement et le vacarme de la tempête ; les cordes frottées et les machines à vent simulent l’effet de la poudrerie et de la rafale de «Mut» (“Fliegt der Schnee mir ins Gesicht”, “Gegen Wind und Wetter”). La récriture moderne ponctue le récit de dérapages sonores. Dès les premiers lieder, des timbres inusités, des effets dissonants surgissent: de brusques crescendos et décrescendos, l’amplification de la voix par un microphone, l’alternance entre une mélodie apaisée puis virulente bouleversent la narration. «Die Post» voit une débauche musicale couvrir la voix qui articule les accents tragiques de «mein Herz». La mélodie allègre et entraînante de «Täuschung» évoque en des teintes chaudes la lumière dansante et aimable du poème. De nettes réminiscences de la version originale poignent à l’occasion. Dans l’onirique «Frühlingstraum» qui assimile le retour du printemps à celui de l’amante, après une ouverture plutôt classique, une fulgurance moderne resplendit brièvement, puis se résorbe dans une forme classicisante mais déconstruite. Par moments déroutante, la musique de Zender s’accorde parfaitement aux états d’âme du wanderer solitaire. La recomposition innove aussi sur le plan scénique. Au début de la performan-

ce, les vents sont dispersés dans la salle; ils entrent successivement en scène à mesure que la partition les sollicite, rejoints finalement par le ténor. Tout au long de la pièce, les musiciens circulent discrètement, jouant depuis le pourtour du parterre ou depuis l’arrière du balcon, où sont disposés des lutrins. Cette occupation sonore de l’espace confère une couleur et une profondeur à l’interprétation. Le concert s’achève sur l’exténuation de la mélodie après la disparition du chanteur. Rufus Müller et le Nouvel ensemble moderne livrèrent une interprétation sensible, juste et délicate de la Winterreise de Hans Zender, à laquelle le public enthousiaste réserva une ovation méritée. Malgré ses efforts constants et son enviable réputation internationale qui le porte sur les plus prestigieuses scènes du monde, le Nouvel ensemble moderne peinait ces dernières années à sensibiliser le public montréalais à la musique contemporaine. Le déménagement d’une partie de ses concerts à la salle Bourgie, plus modeste et centrale que la salle ClaudeChampagne, semble lui avoir insufflé une seconde vie en attirant un nouvel auditoire. Comme le déplore en effet Lorraine Vaillancourt, «notre propos (musique contemporaine), notre résidence à l’université (symbole d’élitisme) et notre situation géographique (Outremont… en haut de la côte) ne font que nourrir tous les clichés qui veulent que la musique contemporaine soit inaccessible!»; l’inscription du concert dans le cadre d’un événement organisé par le musée permet de démentir ce préjugé. La directrice artistique précise toutefois que le «port d’attache [du NEM] reste l’Université de Montréal». Les mélomanes pourront entendre le Nouvel ensemble moderne à l’occasion de son «Concert de la relève» à Montréal le 3 avril, de la série le «Conseil des arts de Montréal en tournée» les 14, 23 et 24 avril, de son atelier annuel «À la rencontre du NEM» le 3 mai et enfin de son «Grand concert anniversaire» le 9 mai à la Maison symphonique. [

Photographies par Martin Girard

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[ le délit · le mardi 11 mars 2014 · delitfrancais.com



CAMPUS

L’école de la norme La déconstruction des stéréotypes en question. Margot Fortin Le Délit

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es têtes dirigeantes des «manifs pour tous» contre le mariage entre conjoint(e)s de même sexe en France ont un nouveau cheval de bataille. En effet, une partie de la droite française se mobilise activement contre l’enseignement de la «théorie du genre» aux jeunes enfants français dans les écoles. C’est le gouvernement socialiste qui avait annoncé, en octobre 2013, avoir l’intention d’implanter un programme de sensibilisation à l’égalité homme-femme et aux stéréotypes de genre dans toutes les écoles françaises dès la rentrée 2014. Au Québec, l’expression «théorie du genre» n’est pas connue. La raison est simple: selon une enquête publiée dans le quotidien français Le Monde le 28 janvier dernier, cette théorie qui met bien des Français en émoi est essentiellement une invention de ses détracteurs. En effet, des groupuscules hostiles au gouvernement socialiste de François Hollande l’accusent de vouloir éliminer des cursus scolaires la notion de sexe biologique et l’ensemble des responsabilités et des attentes qui sont associées à l’homme et à la femme, ce qui, selon eux, nuirait au bon développement individuel des enfants. En réalité, ce qu’une partie de la droite française qualifie de «théorie du genre» correspond plus ou moins à une tentative d’amoindrir les disparités entre la construction sociale du rôle de la femme et celle du rôle de l’homme. Cette théorie tend à éliminer les stéréotypes associés au genre et à permettre à chaque enfant une pleine réalisation de ses aspirations profondes. Or, l’idée de l’existence d’un genre construit socialement et distinct du sexe biologique circule déjà depuis les années soixante, et fait de plus en plus consensus dans les milieux académiques occidentaux. À titre d’exemple, l’Association américaine de psychiatrie (APA) a récemment retiré le «trouble de l'identité de genre» de son Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux. Qui plus est, le concept de «genre» est reconnu et validé par l’Organisation mondiale de la santé. Selon la définition qui figure sur son site Internet, le «genre» sert à «évoquer les rôles qui sont déterminés socialement, les comportements, les activités et les attributs qu'une société considère comme appropriés pour les hommes et les femmes». Selon le site Internet de l’Observatoire de la théorie du genre, un organisme associé à la droite française et qui prétend rejoindre plus de 500 000 personnes, «le fondement de [la théorie du genre] consiste à nier la réalité biologique pour imposer l’idée que le genre “masculin” ou “féminin” dépend de la culture, voire d’un rapport de force et non d’une quelconque réalité biologique ou anatomique». Le concept de «genre», pour ses détracteurs, est donc en soi un nouveau paradigme inventé de toute pièce et voué à remplacer le sexe biologique dans le dessein plus large de voir la culture triompher sur la nature. La «théorie du genre» que décrie une frange de la droite française – avec en tête de file le président de l’Union pour

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un Mouvement Populaire (UMP) JeanFrançois Copé– n’est donc ni une «théorie», ni une nouveauté. Comment, alors, peut-on expliquer ce déchirement soudain d’une bonne partie de la classe politique française à ce sujet? Le combat pour le maintien des normes Au cours de la mobilisation contre le mariage pour tous en France, en 2013, des têtes dirigeantes du mouvement avaient entrepris de lever le voile sur ce qu’ils considéraient être une entreprise structurée du gouvernement socialiste visant à déconstruire l’identité sexuelle des jeunes enfants en leur enseignant à ignorer la réalité de leur sexe biologique. C’est dans un climat de suspicion que la ministre française des droits des femmes Najat Vallaud-Belkacem a mis à l’essai l’«ABCD de l’égalité», un programme éducatif dont l’objectif est de promouvoir l’égalité entre les hommes et les femmes à travers la déconstruction des stéréotypes de genre dans les écoles. Au sein des réseaux qui s’étaient mobilisés pour les «Manifs pour tous», des rumeurs concernant le contenu de ce programme se sont répandues comme une traînée de poudre. Les 24 et 27 janvier dernier, certains parents français ont donc choisi de garder leurs enfants à la maison afin de leur éviter d’être soumis à l’«ABCD de l’égalité», prétextant craindre que celui-ci ne favorise le développement de troubles de l’identité chez leurs enfants. École, norme et citoyenneté En France comme au Québec, la réflexion autour de l’enseignement de la question du genre et de l’identité est intimement liée aux statistiques alarmantes concernant le taux de suicide et de détresse psychologique chez les jeunes, un phénomène de plus en plus documenté grâce aux travaux des chercheurs Michel Dorais et Line Chamberland de la Chaire de recherche sur l’homophobie de l’Université du Québec à Montréal.

Vu l’intensité de la mobilisation française en réponse à une initiative somme toute assez modeste du gouvernement français, il semble bien que ceux qui souhaitent assister à la mise en place d’une stratégie plus approfondie de sensibilisation dans les écoles françaises risquent d’attendre encore un moment. Genre québécois Le ton acrimonieux de la mobilisation contre le mariage pour tous et contre la sensibilisation aux stéréotypes de genre dans les écoles en a surpris plus d’un de ce côté-ci de l’Atlantique. Force est tout de même de constater que les écoles québécoises n’ont pas du tout de mandat clair pour aborder la question avec leurs élèves. En effet, les initiatives en la matière sont largement laissées à la discrétion des écoles par le gouvernement. Bien que le Plan d’action gouvernemental de lutte contre l’homophobie 2011-2016 du gouvernement du Québec comporte une foule de mesures visant à sensibiliser les directions d’établissements scolaires «aux réalités vécues par les jeunes de minorités sexuelles», aucun contenu éducatif concret pour les salles de classe n’est imposé aux écoles. Gabrielle Bouchard, coordonnatrice du soutien entre pairs et défenses des droits «Trans» au Centre de lutte contre l’oppression des genres confirme cette information en entrevue avec Le Délit: «en fait, il n’y a même plus de cours de sexualité […] Jusqu’à récemment, il y avait un cours. Au moins il y avait quelque chose.» Dépendamment de l’intérêt des écoles pour la question, les bénévoles du Groupe de recherche en intervention sociale (GRIS) sont parfois invités dans le but de démystifier la bisexualité et l’homosexualité auprès des étudiants. Selon la directrice générale du GRIS-Montréal Marie Houzeau, les formations s’adressent à des jeunes entre 10 et 25 ans. Les formations abordent cependant l’expression du genre davantage que l’identité du genre proprement dite: «les écoles seraient sans doute moins réceptives,

en effet. Cependant, on assiste de plus en plus a des transitions sociales en milieux scolaires et certains intervenants scolaires sont avides d’outils pour pouvoir aider ces jeunes dans leur cheminement», affirme Mme Houzeau au Délit. Zacharry-David Dufour est conférencier dans les écoles du Québec. Sur invitation des établissements scolaires, il s’entretient avec les jeunes sur le thème des stéréotypes de genre et de l’identité sexuelle en abordant sa propre transition: «pour être honnête, la majorité des individus que je rencontre sont très positifs à mon égard. Disons que je brise l’image qu’ils s’étaient fait d’un transsexuel», mentionne-t-il au Délit. Si son objectif est de briser des tabous. Zacharry-David connaît aussi l’importance pour les jeunes qui se reconnaissent dans son histoire d’avoir accès à des ressources et à des modèles positifs. «Je crois que si je n’avais pas eu accès aux ressources et à l’aide que j’ai reçues, je serais soit mort ou encore je serais loin d’être la personne que je suis», confie-t-il. Ce bref examen de l’état des lieux confirme que la sensibilisation en milieu scolaire au Québec dépend largement de la détermination des établissements scolaires en question. Incidemment, certains jeunes sortent de l’école avec une plus grande sensibilité aux enjeux, tandis que d’autres entrent dans la vie citoyenne sans jamais avoir abordé la question. Si les approches gouvernementales québécoises et françaises de sensibilisation en milieu scolaire sont différentes à plusieurs égards, de nouvelles levées de boucliers sont à prévoir des deux côtés de l’Atlantique pour résister à une transition de l’égalité juridique des minorités sexuelles vers une égalité sociale. Entre temps, comme en fait foi le travail acharné de groupes comme les GRIS du Québec et le Centre de lutte contre l’oppression des genres, la société civile jure plus que jamais de mener la vie dure à la norme. [

Luce Engérant / Le Délit

Le Délit – Cahier Spécial – 11 mars 2014


MONTRÉAL

Sortir de la rue Gouvernement, municipalités et associations contre l’itinérance. Léo Arcay Le Délit

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ls étaient environ 30 000 à vivre dans les rues de Montréal en 1998, lorsque les dernières données sur l’itinérance ont été recueillies. Aujourd’hui, personne ne connaît vraiment l’ampleur du problème. Ce qui est sûr, c’est que des milliers de personnes restent sans-abri et abandonnées à des conditions de vie précaires. Les profils sont très divers: femmes, jeunes, personnes atteintes d’une dépendance à l’alcool, aux drogues ou au jeu, de troubles physiques et mentaux. Selon Manon Dubois, directrice du développement et des communications à la Maison du Père, un des principaux organismes montréalais d’aide aux sansabri, les causes seraient principalement le manque de logements sociaux, l’insuffisance de l’aide sociale, la précarité de certains emplois et le trop faible encadrement des victimes de déficience mentale. Un certain nombre d’organismes, comme la Maison du Père, l’Accueil Bonneau, le journal L’Itinéraire ou encore la Mission Old Brewery interviennent au quotidien auprès des personnes itinérantes de Montréal. Ils proposent des services d’aide allant de la distribution de repas et de vêtements à la réinsertion professionnelle en proposant des contrats, en passant par l’hébergement ou encore l’encadrement psychosocial. Selon certains, lutter contre l’itinérance est de la responsabilité de tous. «On a du soutien [du public] et des entreprises, explique Madame Dubois. Le gouvernement doit s’occuper de l’itinérance mais c’est aussi au niveau de la société qu’il doit y avoir une implication».

Les élus retroussent leurs manches Québec a annoncé, dans son dernier budget, la construction de 3250 logements sociaux, dont 500 réservés aux itinérants. Cette première mesure s’inscrit dans un cadre plus large, la Politique nationale de lutte à l’itinérance, qui vise également à intervenir en matière de services de santé, de services sociaux, d’éducation, d’insertion sociale et professionnelle. La politique du gouvernement Marois est très bien reçue par la plupart des organismes caritatifs dans ce domaine. «C’est un bon pas en avant [de la part d’un] gouvernement qui

semble s’intéresser de plus en plus à cette cause-là, qui ne veut plus dissimuler mais vraiment résoudre le problème», se réjouit Dorian Keller, adjoint aux communications et relations de presse du journal L’Itinéraire. Manon Dubois, de la Maison du Père nuance toutefois cet enthousiasme: «il n’y a pas encore d’injection de fond, [ni] d’action. On est en attente.» Le nouveau maire de Montréal, Denis Coderre, semble par ailleurs concerné par le problème de l’itinérance, la plaçant comme une de ses priorités. Il avait annoncé, en janvier dernier, vouloir débloquer une part de son budget

Cécile Amiot / Le Délit

à cet effet et a été un des instigateurs de la résolution du gouvernement québécois. Créer une conscience à McGill L’événement annuel 5 Days for the Homeless [5 Jours pour l’Itinérance, ndlr] a lieu cette semaine dans 26 universités à travers tout le Canada. Lancé en 2005 à l’Université d’Alberta, cet événement amène ses participants à vivre cinq jours sur le campus dans des conditions similaires à celles des itinérants (dormir dehors, pas d’accès aux douches, pas d’argent ni de nourriture) tout en assistant aux cours de façon régulière. Ils doivent par ailleurs sensibiliser les étudiants et le corps universitaire, ainsi que lever des fonds pour des charités locales. La campagne mcgilloise soutient cette année les associations Dans la Rue et Chez Doris, la première étant spécialisée dans l’itinérance des jeunes, et la seconde dans celle des femmes. «On n’essaye pas seulement de lever des fonds pour une cause mais de vivre la cause. […] Ça nous donne beaucoup d’attention et d’impact, explique Jonathan Bacon, directeur des promotions de 5 Days for the Homeless à McGill. [Bien que les situations ne soient pas comparables], après cinq jours, on a quand même une idée de ce que c’est d’être dans la rue. Ça change vraiment les gens». Il affirme que les étudiants, comme les autres, ont de quoi se sentir concernés. «J’ai fait du bénévolat un peu partout et j’ai rencontré des itinérants qui me ressemblaient beaucoup en quelque sorte, qui ont juste été malchanceux à une époque de leur vie, insiste-t-il. L’itinérance, ça peut arriver à tout le monde, même aux étudiants qui vont à McGill». [

«Sans patron ni souci» La gestion en dehors du cadre. Antoine S. Christin

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utogestion: «Gestion (d’une entreprise, d’une collectivité) par ceux qui y travaillent. Autogestion d’un hôpital, d’une usine », Petit Robert de la langue française, 2008. Cette phrase que l’on retrouve sur le site Internet de la coopérative Touski, située sur la rue Ontario dans le quartier Hochelaga-Maisonneuve, résume bien le fonctionnement de ce café de quartier: on y retrouve un système horizontal, où le pouvoir décisionnel repose sur l’Assemblée générale. Roxanne, cuisinière et serveuse au Touski, explique que ce système horizontal fait en sorte que tous les employés se

partagent entre eux les différentes tâches à effectuer quotidiennement. Que ce soit pour l’entretien, la confection des plats ou l’emploi de nouveau personnel, les employés du Touski se divisent le travail en participant à plusieurs comités, en dehors de toute hiérarchie. «On s’implique aussi dans la vie de quartier. Le Touski, c’est un café de quartier: on essaie d’animer la culture du quartier avec des spectacles (le Touski offre gratuitement son espace aux musiciens qui viennent y jouer, ndlr), il y a des expositions de peintures et de dessins à chaque mois, nos locaux sont disponibles pour les réunions d’autres associations du quartier et nous offrons une salle de jeux pour les enfants. À l’entrée

on trouve des journaux politisés et des pamphlets concernant différentes activités politiques», explique-t-elle au Délit. Toujours dans le quartier HochelagaMaisonneuve, cette fois sur la rue Valois, se trouve La Déferle, un «espace qui se veut un lieu ouvert où toutes et tous pourront se sentir à l’aise», comme on peut le lire sur leur site Internet. La Déferle est un espace social anarchiste qui tente d’être le plus autonome possible pour offrir un lieu de discussion, de réflexion et de transmission de connaissances. On y retrouve des brochures que l’on achète au prix que l’on désire ainsi qu’une bibliothèque à la disposition de tous. Plusieurs événements (soupers potluck, visionnement de documentaires,

spectacles, etc.) sont proposés à chaque mois et sont financés par les contributions volontaires des participants. La Déferle est un lieu pour se réunir, partager et tisser des liens. Comme l’a fait remarquer Roxane lors d’une entrevue avec Le Délit, «ce qui fait la force de l’autogestion, c’est que tout le monde s’implique, tous mettent la main à la pâte». À McGill, le nouveau café Le Nid, pour les étudiants et géré par les étudiants, peut être considéré comme un exemple d’autogestion. La distribution des pouvoirs n’est toutefois pas horizontale, mais il n’en demeure pas moins que l’idée est de mettre la gestion entre les mains des étudiants. [

Romain Hainaut / Le Délit

Le Délit – Cahier Spécial – 11 mars 2014

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éboussolée À

l'aube des prochaines élections provinciales, la santé s'annonce être un thème de second plan derrière la priorité qu’est l’économie pour tous les partis. Rares sont les précédents gouvernements qui ont su réaliser des changements marqués dans l’amélioration des services de santé à la population. C’est probablement la raison expliquant pourquoi aucun ne s’est encore aventuré à promettre la lune qu’il ne saura pas offrir. Même si des progrès plus tacites ont été opérés, il reste que le système de santé à Montréal fait piètre figure en ce qui concerne la disponibilité des services aux usagers. Or, ce système n’est pas le seul à opérer dans la province. Focus sur la santé de brousse. Mais où? Le Nunavik, dans la région administrative du Nord du Québec, est le territoire le plus septentrional de la province. Aujourd'hui encore, la population prépondérante du territoire est inuit, mais les «hommes du Sud» sont de plus en plus nombreux à faire, eux aussi, de la toundra arctique leur paysage quotidien. Parmi ces adoptés, la majorité est venue chercher du travail, car la région vit, malgré les apparences, une croissance démographique marquée. En effet, une étude gouvernementale récente (Portrait de santé Nuvanik: Conditions démographiques et socioéconomiques) démontre que la population qui y vit se veut l'une des plus fertile du pays, le taux de fécondité étant de 3,2 enfants par femmes, comparativement à près de 1,6 enfants par femme pour le reste du Canada. De plus, 34% des habitants du Nunavut sont âgés de moins de quinze ans, une pyramide démographique nettement inversée à celle du Québec où la population vieillit sans cesse. Sans surprise, donc, cet élan populationnel a dû être accompagné d'une bonification des services au cours des dernières années, expliquant donc en partie les courants migratoires des gens venus du «Sud». À Puvirnituq, hameau de 1500 âmes aligné au coin du 60e parallèle et de la Baie d'Hudson, un avion cargo vient approvisionner quotidiennement la coopérative, où l’on vend de

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e au contact des Inuits.

Alexandre Gauvreau Le Délit

la nourriture, des vêtements, des meubles, des voitures, des accessoires de chasse et des peaux d'animaux en plus du matériel nécessaire à la confection de survêtements d'hiver. Cette même coopérative sert aussi de bureau de poste, de banque, de compagnie de câble et de téléphone cellulaire. Ce même avion sert aussi à fournir une autre petite épicerie. Sinon, un paquebot vient une fois à l’année pour les objets de trop grande taille pour l’avion. On trouve aussi à PUV (la ville de Puvirnituq) une école, un aréna, un poste de police, une église, un hôpital à un étage, un département de la protection de la jeu-

nesse à deux étages, près de 500 adresses et un aéroport. À 4 kilomètres à l'est du village, le service d'eau qui pompe la rivière, et à 5 kilomètres à l'ouest, le dépotoir. C’est dans ce contexte limité en ressources et même en connexion Internet rapide que doit fonctionner le personnel de l’hôpital de PUV. L’hôpital est formé d’une section dite apparente à un Centre Local de Service Communautaire (CLSC), où se fait la médecine de première ligne et, de l’autre coté de l’hôpital, on trouve le «département», l’unité des patients admis. On trouve ici quelques éléments de base, un rayon X, un laboratoire,

une machine d’échographie, un électrocardiogramme. Toutefois, les six autres villages de la côte de l’Hudson sont, eux, dépourvus d’hôpital et doivent donc envoyer par avion tous patient requérant des soins médicaux urgents ou avancés à Puvirnituq. À l’hôpital, les investigations rudimentaires peuvent être menées, mais toujours est-il que les urgences chirurgicales, comme la crise d’appendicite par exemple, doivent elles être à leur tour transférées en avion directement à Montréal. Les médecins sur place sont tous médecins de famille, mais exercent ce qu’on appelle de la «médecine de brousse». C’est-àdire, bien plus que de la médecine de famille traditionnelle mais avec moins de ressources. Quelques spécialistes viennent à tour de rôle donner des consultations ou réaliser des chirurgies électives, et ils restent généralement une semaine. Ici, les infirmiers et infirmières sont en charge de la première ligne au «sans rendez-vous» et sont donc en mesure de voir les patients généralement sans l’avis d’un médecin. Ils prescrivent des médicaments pour les cas d’apparence non compliquée et allègent ainsi la structure habituelle de l’administration des soins. Perspective différente sur la santé La docteure Joanie Tremblay-Pouliot, qui travaille à l’hôpital de Puvirnituq à temps plein, croit que les services sont en fait plus accessibles de cette manière qu’au Sud. «Je pense qu’on rejoint davantage les gens ici lorsqu’ils ont besoin d’être vus qu’à Montréal, malgré les ressources limitées». Ainsi, elle trace l’opposition entre avoir des ressources abondantes et dispendieuses et ne pouvoir les offrir qu’à certaines personnes, versus des moyens limités mais disponibles. Il va sans dire que tout cas qui n’est pas simple ou qui ne répond pas au traitement initial est vu par les médecins, comme le sont tous les patients admis à l’hôpital. Mais est-ce la seule différence avec la médecine du Sud? « J’ai trouvé un sens à la médecine ici, une façon de m’y épanouir, que j’ai jamais eu au Sud», ajoute la docteure Tremblay-Pouliot, en référence à l’échange enrichissant qu’elle réussit à obtenir avec ses patients. En effet, il ne suffit pas d'une simple

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Médecine Réflexions sur la médeci Photographies d’Alexandre Gauvreau / Le Délit offre d'emploi aux portes de l'Arctique pour plier bagages et faire dos à la vie douillette et dolente des villes sans regret. D'entre tous, les travailleurs du Nord ont dû puiser la motivation du départ ailleurs que dans l'unique intérêt de l'emploi; il ne faut pas oublier que dans ces villages isolés, toutes les avenues sont des cul-de-sac qui s'interrompent sur des horizons déserts. «À la fin de mes études, j’étais décidée à reprendre un parcours universitaire, je ne me retrouvais pas dans la médecine que l’on pratique à Montréal. Et ici, […] je me suis retrouvée». «Ici les gens sont honnêtes, il vont te le dire s’ils ne prennent pas leur prescription, ils ne mentent pas sur leurs habitudes de vie, ne te feront pas croire qu’ils ont envie d’arrêter de fumer». Là-bas, comme ailleurs, il faut savoir interagir avec ses patients. Toutefois, tous les médecins ne savent pas nécessairement comment aborder la culture inuit, car, la médecine préventive, les Inuit n’y croient pas vraiment. Il n’est pas rare, au centre de santé Inuulitsivik (celui qui sauve la vie), d’entendre quelqu’un dire «I don’t take pills» («je ne prends pas de pilules», ndlr). Ils trouvent parfois ironiquement maladif le besoin de comprimés pour prévenir, ce qui amène au dialogue. La docteure y voit là un défi, elle aime l’apport sincère de ses patients et se prête au jeu. Mais même la médecine «tout court» est remise en question par les Inuits, ce qui parfois conduit au désastre et explique un peu sans doute leur espérance de vie largement en dessous de la moyenne nationale. En effet, ils s’opposent régulièrement à des traitements que l’on jugerait essentiels, argumentent et quittent même parfois l’hôpital contre l’avis du médecin, dans un état de santé précaire qui, le plus souvent, a tôt fait de les ramener se plier à notre vision de la santé, au grand dam de leur fierté à tout rompre. Pourquoi tant de différences? Mary, conservatrice du musée d’Inukjuak, est une Inuit qui a toujours vécu au Nunavik. «J’étais à PUV depuis un jour, ça m’a semblé un an» dit-elle en revenant en avion de Puvirnituq vers le village voisin, à trente minutes de vol. «Je ne sais pas pourquoi, dès

que je suis sortie de l’avion à Puvirnituq, j’ai eu ce sentiment de ne pas être la bienvenue», indique-t-elle alors qu’elle fait visiter son musée. «Quand nous étions jeunes, ma sœur et moi devions aller aux écoles résidentielles fédérales. […] Je me rappelle encore, nous n’avions pas le droit de parler inuktitut, mais seulement anglais, et quand nous disions quelque chose dans notre langue le professeur nous frappait avec sa règle ou nous punissait», explique-t-elle en référence à son expérience de jeunesse à Puvirnituq, où elle a été déracinée de sa famille, envoyée dans un autre village en pensionnat avec sa sœur. Elle n’oublie pas comment cette ville lui a réservé un pénible sort. Toutefois, cette histoire n’est pas spectaculaire parmi les Inuits: tous ceux qui sont aujourd’hui sexagénaires l’ont vécue. Ils font partie de ces Inuits dont la culture a été dérobée, ceux qui ont

Le Délit – Cahier Spécial – 11 mars 2014

vu leurs villages électrifiés, leur langue soumise, ceux qui ont vu par la suite débarquer des Blancs venus s’excuser du passé. Mais on n’efface pas le passé. «Ce sont de tellement mauvais souvenirs», ajoute-t-elle. C’est avec ce bagage difficile que Mary a eu l’intérêt du poste au musée d’histoire culturelle d’Inukjuak, où sont exposés des éléments des mœurs et coutumes ancestrales inuit, qu’elle n’a elle-même pas tous connus. «Quand j’ai commencé à travailler ici, je pleurais souvent, me rappelant à quel point mes ancêtres travaillaient dur et étaient courageux. C’est pour ça que c’est important pour moi, parce qu’aujourd’hui nous n’avons pas d’igloos, mais des maisons avec l’électricité, et je veux que les enfants comprennent comment c’était pour leurs arrières-grands-parents, et comme tout a changé». Heureusement pour elle, elle voit aujourd’hui la vie différemment,

en perspective. «Mais j’imagine que c’est ainsi que j’ai appris à parler anglais […] Je suis contente de connaitre cette langue maintenant», dit-elle avant d’ajouter «I wish I could speak French!» Ainsi, ce n’est pas inconcevable de voir les Inuits réticents à nos idées encore aujourd’hui, même si celles-ci apparaissent mieux intentionnées que dans le passé. Néanmoins, l’histoire de ce peuple et les difficultés qu’il rencontre aujourd’hui à s’orienter dans la modernité sont intimement liées à notre perpétuelle envie, au Sud, de se mêler de la façon dont ils devraient mener leur vie. Bien sûr, nous croyons maintenant que les actes que nous posons sont plus louables que ceux des écoles résidentielles, car nous avons leur santé à cœur – et ils le sont sans doute. Mais la santé, n’est-ce pas d’avantage ce que l’on en fait qui compte? [

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CHRONIQUE

Ton arc-en-ciel en noir et blanc Mathilde Michaud | Retour dans le temps TOUT LE MONDE EN PARLE. LA communauté homosexuelle est au centre de l’actualité internationale depuis au moins deux ans. Les manifestations contre l’homoparentalité en France, les lois pour le mariage aux États-Unis, et puis Sotchi et la Russie. À chaque fois, on se dit qu’il fait bon vivre au Québec. Ne nous leurrons cependant pas, il n’en a pas toujours été ainsi et beaucoup reste à faire. De clandestinité à liberté 1969, c’est l’année où l’homosexualité a été retirée du code criminel canadien. Ça peut sembler loin, mais à cette époque, mes parents avaient déjà dix ans. 1977, plus d’une centaine de personnes sont arrêtées à Montréal pour avoir été dans une «maison de débauche» qui s’avère en fait être un bar gay: le Truxx. C’est suite à cette arrestation que la population gay se lève et demande l’ajout de l’orientation sexuelle aux motifs interdits de discrimination dans la charte des droits et libertés, chose qui leur est accordée la même année par le gouvernement provincial. Si de telles avancées ont été possibles, elles trouvent leurs fondations dans une longue période de répression de la population homosexuelle du Québec. La Loi sur la «grossière indécence, est adoptée en 1890 par le gouvernement canadien. S’ajoutant

à la criminalisation de la sodomie déjà en vigueur, elle permet la poursuite en justice d’un homme considéré avoir commis une «grossière indécence» avec un autre homme. Entre sa mise en application et 1907, en moyenne quatre hommes par année sont arrêtés pour y avoir dérogé. De même, en 1975, et ce malgré la décriminalisation de l’homosexualité, la Loi sur les maisons de débauche, est adoptée. Si elle vise officiellement à assainir la qualité de vie à Montréal, son but principal est en fait de réduire la présence de saunas et de bars gay en vu des jeux olympiques de 1976 – ça vous rappelle quelque chose? – et de justifier les arrestations de ceux qui les fréquentent. Les années 1950 et 1960 voient effectivement une recrudescence des arrestations de masse dans les établissements à clientèle majoritairement homosexuelle. C’est ainsi que plus de 300 individus, dont 37 transsexuels, sont arrêtés lors de fiançailles entre deux hommes qui se donnaient au Lion D’or en mars 1950. La réponse ne se fait cependant pas attendre. On voit dès le début des année 1970 l’apparition des premiers organismes politiques, dont le Front de libération des homosexuels (FLH) qui, en 1971, met sur pied le premier centre communautaire gay, dans le but de rassembler la communauté autrement que par l’alcool. Effectivement, depuis son apparition, autour de 1920, la communauté s’était majoritairement regroupée autour des premiers bars ouvertement gays, et c’est la disponibilité de tels espaces publics qui permet l’essor de la communauté homosexuelle. C’est à présent le temps d’un mouvement politique qui, à force de pétition, de congrès et de manifestations arrivent, en 2002, à faire accepter l’union civile au Québec et en 2005 le mariage pour l’ensemble du Canada. Les gays à l’avant-plan, les lesbiennes derrière la caméra Si la communauté prend sa place dans la ville, notamment à travers son quartier, le village, qui devient, au tournant du XXIe siècle un centre névralgique culturel à Montréal, la représentativité des différents

Romain Hainaut / Le Délit groupes compris dans cette dite communauté n’est pas des plus égalitaire. En effet, dès le début du XXe siècle, une scission s’opère entre gays et lesbiennes, autant géographiquement que dans les luttes. Des organismes différents les représentent, ils ne se regroupent pas dans les mêmes quartiers. Mais présenter la chose aussi simplement serait oublier tout l’historique qui entoure les luttes de l’un et l’autre de ces groupes. Petit exercice de mémoire. Autre que Sappho, célèbre poétesse grecque de l’Antiquité qui exprime très explicitement son amour des femmes dans ses poèmes, êtes vous en mesure de nommer une seule lesbienne ayant vécu avant le XXe siècle? Ou même, avant 1950? À l’opposé, il nous semble plutôt facile de retracer le parcours homosexuel masculin au cours du temps. Sans s’attarder à l’homosexualité bien connue des Grecs de l’Antiquité, nous pourrions parler de Louis XIII, ou encore du comte de Buckingham, qui sont tous deux soupçonnés d’avoir entretenus des relations avec des hommes. Si l’homosexualité masculine n’était pas acceptée, elle fut pour le moins reconnue comme existante de tout temps. Pouvons-nous en dire autant du lesbianisme? Le concept, ou identité, lesbien apparaît officiellement au tournant du XXe

siècle. Et encore là, son utilisation est plutôt restreinte. La raison de cette «invisibilisation» de la communauté homosexuelle féminine? Elle vous paraîtra peut être simpliste à première vue: le patriarcat. Je m’explique. L’apparition d’une division du travail interne à la famille, dans laquelle la femme, maîtresse de la maison, a comme objectif principal de vie le bienêtre des enfants et de son mari, a très longtemps mis un frein à l’imaginaire collectif. Effectivement, si la société considère la femme comme principalement dédiée à son rôle familial et comme simplement capable de le remplir, comment pourraitelle considérer que celle-ci puisse avoir d’autres passions, une autre femme par exemple? L’apparition tardive de l’identité lesbienne dans l’imaginaire collectif retarde donc, de facto, son acceptation. Encore aujourd’hui, bien que plutôt bien acceptée dans les grands centres québécois, la communauté lesbienne reste beaucoup moins visible que celle des gays, autant sur la scène politique, artistique que sociale. Un autre effet de l’institution patriarcale dans les relations entre ces deux groupes? Dans tous les cas, si nous pouvons nous consoler en nous comparant – à la Russie par exemple – la lutte commencée par le FLH est loin d’être terminée.[

OPINION

Premier pas Léo Arcay Le Délit

A

lors que la cause environnementale commence, peu à peu, à intégrer les mœurs et à s’habiller de modernité, on pense de moins en moins aux écolos comme des communautés hippies autosuffisantes et isolées. Mais c’est oublier un nombre conséquent d’«écovillages», maisons écologiques et autres fermes expérimentales, répandus partout à travers le monde et notamment au Québec. Ils respectent tous, à divers degrés (nécessité oblige) un certain nombre de principes: réduire au maximum leur empreinte écologique grâce aux technologies non-polluantes, à l’agriculture biologique et au recyclage; participer à une nouvelle forme de développement économique et durable

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et transmettre aux futures générations, par une vie communautaire active et un mode d’éducation approprié, leurs valeurs sociales et écologiques. Concrètement, cela les mène à construire leurs habitations avec des matériaux non-polluants, à privilégier les modes de transports verts et les énergies renouvelables tels que les panneaux solaires photovoltaïques, ou encore à ajouter des cours liés à la protection de l’environnement aux programmes scolaires. Une proportion considérable de ces microcosmes écologiques, comme la Cité Écologique de Ham-Nord ou encore le projet d’éco-hameau de Rawdon, au Québec, sont gérés par des institutions et une administration qui leur sont propres. Elles encadrent une prise de décision démocratique, des pratiques de gouvernance

et même, dans certains cas, la création d'une monnaie locale. Plus on cherche, plus on s’aperçoit que ces projets sont nombreux, mais aussi que beaucoup de personnes et familles indépendantes de quelconque projet vivent dans les mêmes conditions et avec les mêmes objectifs: zéro émission carbone, zéro déchet, respect de la nature et autosuffisance alimentaire et énergétique. «Oui mais, vivre comme cela, ça coûte cher et puis ça isole et puis…»: faux! Les réseaux d’«écovillages» émergent sur tous les continents et essayent de plus en plus de se connecter les uns les autres. Le Réseau d’Écovillages Mondial [Global Ecovillage Network, en anglais] par exemple a pour but de favoriser le partage de connaissances entre de tels projets dans le monde entier, et notamment entre les pays en développement. Sur le site Internet de leur sec-

tion Afrique, on peut lire: «les écovillages sont une solution aux problèmes majeurs de notre temps; la planète atteint les limites de la croissance, et nos vies manquent souvent de sens.» La destruction des environnements physiques et spirituels sont mises côte à côte. Si les communautés écologiques sont aujourd’hui hors norme, nous aurions tous intérêt à ce qu’elles ne le soient plus. Leur généralisation pourrait impliquer, à terme, une possibilité de parler vraiment de développement durable. Chaque citoyen serait inséré dans un contexte l’obligeant légalement et moralement à respecter son environnement, tout en lui faisant comprendre les bienfaits de cette structure par l’éducation. Le devenir de cet écosystème est la responsabilité de chacun; nous sommes tous des ambassadeurs de la race humaine.[

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ARTS VISUELS

Des illusions réelles Perpendiculaire de l’horizon de Mathieu Cardin: illusion d’optique à la Nuit blanche. Catherine Diggs & Gwenn Duval Le Délit

L

e 1er mars dernier, la 11e édition de la Nuit blanche battait son plein. C’était l’occasion pour les festivaliers de profiter des multiples activités proposées pour la clôture de Montréal en lumière. C’était aussi le moment rêvé pour nombre d’artistes d’ouvrir en beauté le festival d’Art Souterrain qui s’étend jusqu’au 16 mars. L’agitation traditionnelle de la Nuit blanche se répand dans les sous-sols de Montréal; avec ce festival particulier, le public est amené à découvrir une multitude d’œuvres contemporaines tout au long d’un parcours qui va de la Place des Arts jusqu’au complexe des Ailes, en descendant jusqu’au Centre de commerce mondial de Montréal. C’est précisément dans ce bâtiment que Mathieu Cardin, artiste émergent, finissant sa maîtrise en Arts Visuels à l’Université Concordia et candidat à la bourse Bronfman, expose La perpendiculaire de l’horizon. Le public s’y arrête en masse, se déplace autour de l’installation et interroge les médiateurs culturels. «Alors, de quel côté est l’illusion?» demande un spectateur. L’œuvre se décompose en deux parties: une scène domestique assez banale d’un côté, avec un tableau accroché au dessus d’une cheminée, accompagné d’une fausse plante dans un vase, une statuette de soldat spartiate et deux lampes Ikea. De l’autre côté de ce mur apparaît une maquette qui s’inscrit en fait dans le cadre du tableau et en réalise la contenance. En d’autres termes, le paysage qui semble être représenté dans le cadre est, en fait, minutieusement installé à l’arrière du mur en trois dimensions, proférant un effet saisissant. Pour Mathieu Cardin, il n’y a pas un côté qui relève plus de l’illusion que l’autre. Rendre accessible l’envers du décor au spectateur, ce n’est pas lui offrir le réel, c’est juste lui proposer plusieurs expériences qui peuvent sembler, a priori, incompatibles. Le jeu de perspective n’est pas figuré, il est littéral. Le signifié et le signifiant se confondent. Guidé par l’idée de rendre accessible au spectateur ce qui ne lui était pas, il reproduit le foyer de ses parents et donne une nouvelle profondeur à la peinture de son enfance. L’horizon devient accessible, le paysage est déconstruit puis reconstruit par l’accumulation des objets et le flou s’installe entre le «ici» et le «là-bas». «Pourquoi il y a un canard sous la maquette?» demande une petite fille à son père qui reste dubitatif. Plusieurs objets qu’on ne peut pas voir dans le tableau sont disposés derrière le mur de façon intrigante. L’artiste explique qu’il y a simplement plus que ce que le cadre permet de voir. Par son approche artistique qui mélange spontanéité et stratégie, il laisse les spectateurs incertains face à la compréhension qu’ils peuvent avoir de l’œuvre. Si quelques motifs se répètent et font référence les uns aux autres, d’autres ont l’air tout à fait hétéroclites et relèvent,

effectivement, de l’improvisation. Toutefois, le cadre de l’exposition d’Art Souterrain ne permet pas à Mathieu Cardin d’exposer son œuvre dans sa totalité. Pour avoir accès à l’intégralité de l’installation Reality Sucks, le rendez-vous est à la galerie d’art contemporain Parisian Laundry située au 3550 rue Saint-Antoine Ouest. L’exposition actuelle, Collision, réunit six artistes émergents choisis par Jeanie Riddle, la propriétaire de la galerie. En descendant dans la cave du Parisian Laundry, le visiteur se retrouve projeté dans l’œuvre de Mathieu Cardin: un univers hyperréaliste dans lequel imaginaire et réalité se confondent, générant un sentiment de malaise et de fascination chez le public qui ne sait plus distinguer ce qui est réel de ce qui est construit, entre ce qui lui semblait a priori familier et qui lui devient, ici, étranger. La première pièce est presque vide, il y a une serpillère qui semble tenir debout d’elle-même et un immense miroir. Même si son premier instinct peut être de penser qu’il s’est trompé d’endroit, le visiteur réalise, en s’engouffrant davantage dans cette cave étrange, que cette dernière a été totalement investie au profit de l’installation de Mathieu Cardin. Il s’agit donc plus d’une expérience déconcertante que d’une simple exposition pour le spectateur, qui parcourt physiquement l’œuvre plutôt que de l’observer à distance, comme il l’aurait fait dans une galerie traditionnelle. Le miroir à l’entrée du parcours force par ailleurs le spectateur à confronter son reflet, lui rappelant qu’il fait partie de l’œuvre dont le message fondamental se base sur la citation des Ecclésiastes qui ouvre le traité philosophique de Jean Baudrillard, Simulacres et Simulation, publié en 1981: «Le simulacre n’est jamais ce qui cache la réalité –c’est la vérité qui cache qu’il n’y en a pas. Le simulacre est vrai». En effet, pour Mathieu Cardin, le but n’est pas de présenter un produit fini mais plutôt de permettre à son public d’accéder aux coulisses de son processus de création. Ces coulisses ne sont pourtant ni complètement réelles, ni complètement fictives puisqu’elles ont sont à la fois soigneusement disposées et soumises au passage des visiteurs. Pour accéder à la grande pièce où se trouve l’œuvre dont La perpendiculaire de l’horizon est un échantillon, il faut passer par ce qui semble être une conciergerie. C’est tant à s’y méprendre que l’artiste a confié au Délit qu’il a vu le concierge venir s’y laver les mains. Une fois dans cette grande salle illuminée, dont il a fallut découvrir la mystérieuse entrée, le spectateur fait face à un champ de construction artistique. Des planches de bois, une maquette de paysages et d’autres objets insolites composent l’espace, faisant référence les uns aux autres et multipliant les mises en abîme. Au centre de la salle, on retrouve la même scène domestique que dans La perpendiculaire de l’horizon, mais ici, elle est clôturée par quatre murs blancs et donc rendue inaccessible au public. Un trou dans le mur et une échelle appuyée sur celui-ci sont les deux uniques angles de

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vue –des vues d’ensemble– sur ce qui semble être le produit fini de l’exposition. Tandis qu’il a directement accès à la maquette du paysage, le visiteur est maintenu à distance du cadre contenant l’illusion de la peinture. Cela crée un effet d’inversion entre le «ici» du salon et le «là-bas» du paysage, entre ce qui est

accessible et ce qui ne l’est pas mais qui devrait l’être. Mathieu Cardin a une vision: celle qu’ «il n’y a pas de distinction entre la fiction et le réel car la réalité n’est qu’une construction. Elle n’est que ce que la majorité a accepté comme telle. Il suffit de le réaliser pour tout faire changer.» [

Mathieu Cardin

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Le plus de ...

Finance verte Côme de Grandmaison Le Délit

Joseph Boju Le Délit

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degrees investing initiative» est un projet créé en 2012 avec un but simple: financer le développement durable tout en garantissant des revenus aux investisseurs. Cette initiative vise à rassembler des acteurs économiques, financiers et universitaires afin de promouvoir les énergies «propres» dans les indices (regroupement de plusieurs sociétés dans lesquels les gestionnaires de portefeuilles investissent). Pour l’instant les flux d’investissements sont majoritairement dirigés vers les industries polluantes (notamment les géants de l’énergie) qui occupent les plus gros indices. L’association veut mettre en avant un changement pragmatique, qui va dans le sens du marché. Alexandre Jorius, stagiaire chez «2 degrees investing initiative» explique ainsi que «les régulateurs gouvernementaux posent des règlementations sur le secteur qui font que les risques concernant les indicateurs polluants sont de plus en plus importants, et que les investisseurs vont devoir se diversifier [pour continuer à engendrer des profits]». Afin de convaincre les gestionnaires de portefeuille d’investir dans les énergies vertes, l’association se base sur deux arguments. Le premier, c’est que les risques de litiges auxquels sont confrontées les entreprises polluantes sont croissants, ce qui engendre des coûts pour les entreprises et donc limite les profits pour les investisseurs. Le second concerne l’amortissement des investissements. En effet, sur le long terme, les entreprises polluantes sont sujettes à des durcissements des lois, et des équipements qui auraient promis de bons retours sur investissement risquent de devenir inutilisables plus rapidement que prévu, ce qui, encore une fois, limiterait les retombées positives pour les investisseurs. Ainsi, cette initiative écologique vise à ôter le brouillard autour des petits indices regroupant les énergies durables, au travers d’études mettant en avant les profits réalisables grâce à l’énergie propre: en effet, comme le dit Alexandre Jorius, «le secteur des énergies renouvelables croît tout autant que le secteur des énergies polluantes». Et, à terme, «2 degrees investing initiative» pense même à collaborer avec les créateurs d’indices pour les modifier afin qu’ils couvrent toute l’économie et incluent dans les gros indices des «énergies vertes».[

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authier de Costes, sieur de La Calprenède, de Toulgou et de Vatimény, fait partie de ces personnages de l’histoire de la littérature que l’on place avec un certain plaisir dans la case des énormes, au sens le plus rabelaisien du terme, quand ce n’est pas dans celle des inconnus. Né en 1609 au château de Salignac, dans ce sud-ouest français où tous les villages ont des noms finissant en –gnac, Gauthier de Costes, sieur de choses, fait comme la majorité des cadets gascons de son temps et monte à Paris pour se rapprocher de la cour. Doté d’un talent de conteur hors pair, il se fait un nom en écrivant des pastorales à la façon d’Honoré d’Urfé et quelques tragédies méritoires. Si, jusqu’ici, une telle brève vous étonne de son impertinence, patientez s’il vous plaît, car cet étrange personnage du XVIIe détient un record des plus impressionnant. À Paris donc, Gauthier de Costes, ayant pris pour surnom «La Calprenède», connaît un certain succès qui lui vaudra une demande assez incongrue: sa seconde femme, supposément nommée D’Arnoul de Drague, lui impose d’inscrire dans leur contrat de mariage une clause obligeant l’auteur à finir de composer sa tragédie Cléopatre tant elle était férue des ouvrages de son amant. Cette fameuse Cléopatre lui vaudra d’ailleurs quelques commentaires élogieux des hommes de son temps, dont la mère Sévigné, Boileau et La Harpe, mais cette pièce est aussi et surtout à l’origine de la fameuse expression «fier comme Artaban», lequel est, vous vous en doutez, l’un des personnages du drame, dont les traits étaient probablement un peu tirés. Seulement l’indécence ne s’arrête pas là, notre homme manque de tuer une première fois en 1663 d’une manière vraiment pittoresque alors qu’il voulait montrer son adresse et tir et que son mousquet lui éclata au visage. La seconde fois fut la bonne, et pas n’importe laquelle! On prétend que six mois plus tard, c’est un coup de tête de son cheval qui mit fin à ses jours, bien que l’on porta longtemps le chef sur sa dragueuse de femme. Enfin, voici le temps venu de délivrer le précieux sésame, tenezvous! La Calprenède a écrit et publié plus de douze mille pages dans sa vie. Douze mille pages! Pour qu’on en retienne trois mots seulement, était-ce bien la peine de se donner tant de mal? [

Vers une culture plus permanente Alexandra Nadeau Le Délit

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a permaculture consiste à vivre en équilibre avec la nature, en produisant le moins de déchets possible et en réutilisant divers matériaux déjà utilisés pour se créer un milieu de vie. La société de consommation actuelle tend à créer des utilisateurs-jeteurs, et la permaculture préconise une philosophie plus durable, où l’autosuffisance des humains et des écosystèmes est mise de l’avant. Le but est de recréer un système vivant dont toutes les parties sont utilisées pour son

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bon fonctionnement et sa survie. Par exemple, on pourra récolter l’eau de pluie pour alimenter le réseau sanitaire d’une maison, créer un jardin où les diverses semences se complémentent pour s’enrichir mutuellement, ou encore créer un mur de maison constitué de bouteilles de plastiques recyclées. À diverses échelles dans le monde, plusieurs initiatives de permaculture sont prises, que ce soit afin de rendre une petite agglomération autosuffisante, ou d’intégrer des techniques de permaculture dans le mode de fonctionnement des villes. Au Québec, plusieurs ateliers sont offerts pour développer des techniques qui cor-

respondent à cette culture. Des fermes québécoises commencent à intégrer cette approche dans leur fonctionnement, et même de petites communautés tentent de se tourner vers l’autosuffisance. D’ailleurs, l’Université McGill offre depuis janvier des ateliers de permaculture aux intéressés qui veulent en apprendre davantage à ce sujet. Deux fois par mois, jusqu’en avril, le campus Macdonald se fait l’hôte de nombreuses activités. Divers thèmes sont abordés, comme la permaculture sociale et la permaculture en climat nordique. «C’est quelque chose qui a tellement de valeur et de futur, car ça propose des solutions

aux problèmes de la société actuelle. Par exemple, par rapport à l’environnement, ça propose une manière de produire des aliments de manière durable tout en faisant la promotion des écosystèmes. C’est un peu comme travailler avec la nature plutôt que de travailler contre elle», explique Camila, ancienne étudiante de McGill qui a participé aux ateliers du «Mac Campus». Elle dit aussi que c’est une manière de rencontrer des gens qui ont les mêmes intérêts, d’avoir un échange d’idées et d’avoir du soutien pour des projets. «Quand on assiste à ces ateliers, c’est très énergisant. C’est une boîte à surprises de solutions». [

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