Publié par la société des publications du Daily, une association étudiante de l’Université McGill
Edouard Louis Entrevue p. 12-13
Le mardi 9 septembre 2014 | Volume 104 Numéro 1
Reste en paix Tim Hortons depuis 1977
Éditorial
Volume 104 NumĂŠro 1
Le seul journal francophone de l’UniversitÊ McGill
rec@delitfrancais.com
McGill, encore un effort! Joseph Boju
Le DĂŠlit
Un enfant de huit ans Êcrit son premier livre Je ne l’invente pas, c’est Êcrit dans MyNews, Sur l’auguste portail que garde fort jalouse Minerva la moderne, qui doit être un peu ivre. Joie! Un article en français sur le site officiel! Voilà que nos prières sont entendues au ciel. OÚ m’emporte ce lien ? Ah?! Le journal MÊtro ! Je connais que trop ce bon folliculaire — DÊchetterie sans nom des rumeurs populaires — Et je l’exècre à fond car il le touche trop. Des vingt-quatre secondes que j’ai pu passer Dans cet infâme lieu, pas moins n’en a suffit À chacun de mes yeux, pour trouver — il suffit ! — Un verbe mÊprisÊ: participe passÊ. Au moins ces gens-là ont le goÝt de l’ensemble‌ Ils mettent l’harmonie dans la forme et le fond. Si les deux sont mauvais, c’est le cas, il me semble, Ils n’y voient pas de mal puisqu’enfin ils le font. Pendant que Le Devoir, le plus grand d’entre nous, S’Êchine à conjuguer le passif et l’actif (Pour n’en dire qu’un mot), il se faudrait que nous Nous divertissions et restions inactifs Devant tant de bêtise? Merci McGill, mais non. Ce journal restera bien fidèle à son nom. Le DÊlit, vieux roublard presque quarantenaire, Entre dès aujourd’hui dans une nouvelle ère. Sa maquette lÊchÊe par nos soins cet ÊtÊ Vous ouvre grand les bras, elle est repapiÊtÊe ! D’ailleurs, et puis pourquoi ne pas le proclamer? Ici vous êtes frères! Ici vous êtes sœurs! Et qui que vous soyez, Êtudiants, professeurs, Ces pages sont à vous, venez les rÊclamer.
RÉDACTION 3480 ,/ ŗ 0#-"ąŗ /, /ŗ ĊßÞ MontrÊal (QuÊbec) H3A 1X9 TÊlÊphone : +1 514 398-6784 TÊlÊcopieur : +1 514 398-8318 RÊdactrice en chef rec@delitfrancais.com Joseph Boju ActualitÊs actualites@delitfrancais.com LÊo Arcay Louis Baudoin-Laarman Culture articlesculture@delitfrancais.com Baptiste Rinner Thomas Birzan SociÊtÊ societe@delitfrancais.com Julia Denis Coordonnateur de la production production@delitfrancais.com Thomas Simonneau Coordonnatrices visuel visuel@delitfrancais.com CÊcile Amiot Luce EngÊrant Coordonnatrices de la correction correction@delitfrancais.com Any-Pier Dionne CÊline Fabre Webmestre web@delitfrancais.com Mathieu MÊnard Coordonnatrice rÊseaux sociaux rÊso@delitfrancais.com Gwenn Duval Contributeurs Julien BeauprÊ, Alexis de Chaunac, Gabriel Cholette, Arthur Corbel, Virginie Daigle, Mahaut EngÊrant, John Foley, Côme de Grandmaison, Isabelle GrÊgoire, Eva Martane, David Ospina, LÊo Richard, Djamila Saad Couverture CÊcile Amiot (montage) John Foley (photos) BUREAU PUBLICITAIRE 3480 ,/ ŗ 0#-"ąŗ /, /ŗ ĊßĀ MontrÊal (QuÊbec) H3A 1X9 TÊlÊphone : +1 514 398-6790 TÊlÊcopieur : +1 514 398-8318 ads@dailypublications.org PublicitÊ et direction gÊnÊrale Boris Shedov ReprÊsentante en ventes Letty Matteo Photocomposition Mathieu MÊnard, Lauriane Giroux, Geneviève Robert The McGill Daily coordinating@mcgilldaily.com Dana Wray
Conseil d’administration de la SociÊtÊ des publications du Daily (SPD) Juan Camilo Velzquez Buritica, Dana Wray, Joseph Boju
2 ĂŠditorial
L’usage du masculin dans les pages du DÊlit vise à allÊger le texte et ne se veut nullement discriminatoire.
Ĺ— Z&#.Ĺ— ÄĄ Ĺ— ĂťĂťÄƒĂźÄšĂžÄ€ĂşÄƒÄ˘Ĺ— -.Ĺ— */ &#ZĹ— & Ĺ— *&/* ,.Ĺ— -Ĺ— ' , #-Ĺ— par la SociĂŠtĂŠ des publications du Daily (SPD). Il encourage la reproduction de ses articles originaux Ă condition d’en mentionner la source (sauf dans le cas d’articles et d’illustrations dont les droits avant ĂŠtĂŠ auparavent rĂŠservĂŠs, incluant les articles de la CUP). L’Êquipe du DĂŠlit n’endosse pas nĂŠcessairement les produits dont la publicitĂŠ paraĂŽt dans ce journal. ImprimĂŠ sur du papier recyclĂŠ format tabloĂŻde par Imprimeries Transcontinental Transmag, Anjou (QuĂŠbec).
le dÊlit ¡ le mardi 9 septembre 2014 ¡ delitfrancais.com
ActualitĂŠs QuĂŠbec
actualites@delitfrancais.com
Un livre pour relancer le dĂŠbat
Pour son deuxième livre, Gabriel Nadeau-Dubois aborde la gratuitÊ scolaire. louis Baudoin-laarman
Le DĂŠlit
M
oins d’un an après la parution de son premier livre, Gabriel Nadeau-Dubois publie un nouvel ouvrage, Libres d’apprendre, en collaboration avec 15 intellectuels quÊbÊcois et avec la participation du politologue amÊricain Noam Chomsky. L’ex-porte-parole de la CLASSE continue dans la lignÊe du Printemps Êtudiant de 2012 en abordant la question de la gratuitÊ scolaire. Si son premier livre Tenir Tête (voir Le DÊlit du 22 Octobre 2013) Êtait plutôt un rÊcit du mouvement Êtudiant contre la hausse des frais de scolaritÊ, Libres d’apprendre se rapproche plus d’un ouvrage thÊorique sur la faisabilitÊ de la gratuitÊ scolaire au QuÊbec, ses
partisans et les obstacles auxquels elle fait face. Il en ressort que la gratuitÊ scolaire, en laquelle Gabriel Nadeau-Dubois et les quinze autres auteurs du livre croient fermement, est selon le livre un projet non seulement très faisable, mais qui par le passÊ Êtait beaucoup plus acceptÊ par la classe politique quÊbÊcoise. Une telle idÊe peut surprendre aujourd’hui alors que seul le parti QuÊbec Solidaire, qui ne pèse pas beaucoup dans la balance politique quÊbÊcoise, prône officiellement la gratuitÊ scolaire. Pourtant, comme il l’affirme dans son livre, jusqu’au dÊbut des annÊes 1970, la gratuitÊ scolaire à tous les niveaux faisait l’objet d’un large consensus au sein de la classe politique quÊbÊcoise. Le changement progressif d’opinion face à la question du financement
des universitÊs s’est opÊrÊ non seulement chez les hommes politiques, mais Êgalement dans l’ensemble de la sociÊtÊ quÊbÊcoise, influencÊe entre autres par les mÊdias. Un tel changement d’opinion s’explique, peut-on lire dans le livre, par la montÊe du nÊolibÊralisme comme système de pensÊe rÊgissant les Êconomies du monde et relÊguant l’idÊe de la gratuitÊ scolaire au statut de projet irrÊaliste et infaisable. Selon Gabriel NadeauDubois, les seuls acteurs sociÊtaires ayant soutenu la gratuitÊ scolaire du dÊbut à nos jours ont ÊtÊ les Êtudiants qui l’ont sans cesse mis de l’avant, que ce soit pour forcer le respect de promesses Êlectorales, rÊagir à leur abandon ou combattre des mesures restreignant l’accessibilitÊ aux Êtudes.
Un livre pour ouvrir un dÊbat Pourquoi publier un tel livre plus de 2 ans après l’annonce de l’indexation des frais de scolaritÊ par le Parti QuÊbÊcois de Pauline Marois et la fin de la grève Êtudiante? Selon l’ancien militant du Printemps Êtudiant: L’Êducation est une valeur importante et, malheureusement, au QuÊbec, on a totalement arrêtÊ d’en parler depuis 2012, dÊplore-t-il dans une entrevue avec Le DÊlit. En effet, après un sommet sur le financement de l’Êducation supÊrieure organisÊ par le PQ en fÊvrier 2012, la question Êtait demeurÊe en sursis. Les principaux acteurs Êtudiants s’Êtaient sentis lÊsÊs car la possibilitÊ de la gratuitÊ scolaire n’avait pas ÊtÊ abordÊe et la dÊcision du PQ d’indexer les frais de scolaritÊ avait ÊtÊ adoptÊe
sans consensus. L’objectif du livre est donc entre autres de relancer la discussion sur le type d’universitÊs que veulent les Êtudiant(e)s et la sociÊtÊ quÊbÊcoise. Quant au format d’un tel dÊbat, Gabriel Nadeau-Dubois croit en une consultation de tous les acteurs concernÊs qui pourrait se faire par exemple sous forme d’États gÊnÊraux. ÊnÊraux. L’idÊe L’idÊe des États gÊnÊÊnÊraux circule depuis longtemps au QuÊbec, affirme-t-il, ça ne rÊglerait Êvidemment pas tous les problèmes, mais c’est un bon point de dÊpart pour commencer les discussions. Dans un premier temps, l’important, c’est de faire le bilan. 
Libres d’apprendre
Plaidoyer pour la gratuitĂŠ scolaire
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actualitĂŠs
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Campus
McGill mange local Le Marché Fermier de McGill se veut plus qu’un simple marché. Djamila Saad
L
e coup d’envoi de l’événement mcgillois a été donné le jeudi 4 septembre, sur l’allée principale du campus, pour sa sixième année consécutive. Jusqu’au 23 octobre, des marchands locaux et des agriculteurs du campus Macdonald se rassembleront tous les jeudis après-midi pour vendre fruits, légumes, viennoiseries et produits naturels aux étudiants. Sur le site Web du projet, les objectifs sont divisés en quatre axes: la communauté, la santé, l’éducation et le développement durable. Le marché local, au moyen de kiosques de vente, permet une interaction entre producteurs et acheteurs. En exposant aux passants leur processus de production et l’origine de leur entreprise, les commerçants partagent leur mode de vie avec la communauté mcgilloise. Par exemple, le producteur de thé Ochado, Norman, explique comment sa sœur et lui ont créé cette entreprise, il y a maintenant sept ans. Selon Natasha, une étudiante anciennement bénévole au marché, cette rencontre avec de nouvelles personnes et de nouvelles histoires est indéniablement un point positif de cet événement hebdomadaire. L’initiative permet également à la communauté du
centre-ville de découvrir les produits du campus Macdonald. Une agricultrice explique que ces produits sont presque entièrement cultivés par les étudiants. Selon elle, ce projet établit un «pont qui permet d’introduire les étudiants du centre-ville aux pratiques du second campus». L’événement permet aussi de sensibiliser la communauté universitaire à la cause des marchés locaux et de faire connaître des petits producteurs de la région qui manquent de visibilité. C’est le cas notamment de la boulangerie Aux gourmandises de Soulanges, invitée pour la troisième année consécutive au marché, qui œuvre à Montréal. Le Marché Fermier de McGill permet à cette entreprise de faire connaître ses viennoiseries et ses pains qui, selon son propriétaire Thierry Juvien, sont certifiés bio. Ainsi, les étudiants sont exposés à des commerces locaux qu’ils n’auraient probablement pas connus autrement. Quand éducation et plaisir se rencontrent Le Marché Fermier de McGill fait aussi la promotion d’une alimentation saine. À cet effet, un groupe d’étudiants en diététique, affiliés à l’organisme Healthy McGill, y présenteront chaque jeudi une recette rapide
et saine, élaborée sous les yeux des passants. Pour la première semaine, une sauce salsa aux fraises et aux jalapeños a été préparée sur place et offerte en dégustation. Dans le cadre de leur projet scolaire, les étudiants en diététique souhaitent ainsi démontrer que cuisiner soi-même est une excellente façon de se nourrir sainement. Le projet mcgillois vise entre autres à promouvoir et à rendre plus accessible l’alimentation locale et biologique auprès des étudiants. De ce point de vue, ce marché répond à un réel besoin de la communauté du centreville, où ces produits se font assez rares. Selon Natasha, les quelques marchés locaux ou biologiques de Montréal, situés à Atwater ou à Jean-Talon, sont assez loin du centre-ville, et peu abordables. Rassembler ainsi des produits locaux sur le campus est une façon de les rendre plus accessibles aux étudiants. La plupart des commerçants, dont les agriculteurs du campus Macdonald, assurent également que leur marchandise est produite en tenant compte de l’environnement et en limitant le plus possible la quantité de pesticides utilisés. Plus qu’un marché local, le Marché Fermier de McGill initie les étudiants à une alimentation locale, écologique et abordable.
cécile amiot
Entre l’académique et le militaire Demilitarize McGill publie un nouveau communiqué contre la recherche militaire. Eva Martane
L
’association étudiante Demilitarize McGill, qui vise à «mettre fin à la collaboration de McGill avec le militaire» a publié le 28 août dernier un communiqué intitulé «De la complicité de McGill dans la violence étatique à caractère raciste et la répression des luttes sociales». Le communiqué remet en cause certaines recherches scientifiques menées par McGill pouvant être utilisées dans un cadre militaire. L’Université ne participe pas directement aux conflits, explique l’article; néanmoins, elle en permet l’existence. Par exemple, General Atomics, une entreprise de défense réputée pour ses drones, bénéficie du programme CFD Lab R&D, qui se concentre sur la simulation de vols de drone. Ceux-ci sont alors massivement utilisés par la police canadienne et le minis-
4 actualités
tère de la Sécurité intérieure des États-Unis. Demilitarize McGill critique également les recherches axées sur l’analyse des réseaux sociaux. Par exemple, Derek Ruths, professeur d’informatique à McGill, vise dans ses études non seulement à comprendre les interactions sociales entre individus mais également à influencer ces relations en utilisant de façon pénétrante les réseaux sociaux: bien que ces recherches n’aient selon lui aucun but militaire, il a tout de même été invité à s’exprimer à une conférence organisée par l’armée américaine. Enfin, dans le communiqué du 28 août, Demilitarize McGill condamne l’enquête menée par Donald Taylor, professeur à McGill, portant sur la «propension» des jeunes Somali-Canadiens à «soutenir le terrorisme». Enquête présentée comme immorale d’une part, car il n’a pas été
fait mention aux personnes interrogées du véritable but de l’enquête, et partiale d’autre part, puisque l’enquête servirait à justifier les pratiques racistes de la police canadienne envers les Somaliens résidant au Canada. Selon un membre de Demilitarize McGill, «il est important de se pencher sur l’histoire de l’Université, qui a été complice d’actes relevant de la colonisation et de l’impérialisme. […] Il n’est donc pas rare que McGill conduise des recherches à des fins militaires». Une industrie très présente sur le campus Les liens entre l’Université et l’industrie militaire sont forts et vont au-delà de la recherche scientifique: recrutement sur le campus, opportunités d’emploi pour les étudiants diplômés, etc. C’est une relation donnant-donnant: le complexe militaro-indus-
triel profite d’une main d’œuvre à bas coût tandis que les universités peuvent «former les futurs travailleurs» tout en bénéficiant d’un financement public. Demilitarize McGill le concède: la fin du partenariat militaro-universitaire réduirait sans doute les opportunités d’emploi pour certains étudiants, notamment «au sein du Département de génie mécanique». De plus, les chercheurs de McGill «continuent souvent de travailler pour des entreprises comme Lockheed Martin, le fabricant des avions de chasse F-35, ou pour des agences gouvernementales, comme Recherche et développement pour la défense du Canada». Cependant, un autre membre de Demilitarize McGill explique: «Nous pensons que limiter la capacité des États à poursuivre leurs objectifs impérialistes et à tuer des populations est plus important que de garantir des opportunités d’emploi à
quelques individus», ajoutant que «les étudiants de McGill se porteront bien, même avec des possibilités d’emploi réduites; mais pas les populations ciblées par les attaques». Demilitarize McGill accuse donc l’Université de contribuer indirectement aux conflits via des programmes de recherche à vocation militaire, ce qui réduirait, selon l’Association, la liberté de recherche des scientifiques: le financement de la recherche donne en effet aux grandes firmes industrielles «un contrôle de facto sur les objectifs de recherche, en rendant les chercheurs universitaires dépendants [de leur soutien financier]». Le communiqué soulève un enjeu important: en conduisant des programmes de recherche en collaboration avec des firmes militaires, l’université s’inscrit-elle dans la politique impérialiste de certains pays, contribuant ainsi à accentuer les conflits?
le délit · le mardi 9 septembre 2014 · delitfrancais.com
Environnement
Mobilisation et justice climatique Des associations étudiantes promeuvent la People’s Climate March. Cécile Amiot
Le Délit
À
l’approche de ce qui pourrait être qualifié comme la plus grande manifestation de l’histoire concernant le changement climatique, plusieurs associations, dont l’Association des étudiants de l’Université McGill (AÉUM), le syndicat des étudiantes et étudiants à Concordia (CSU), 350.org, Divest Concordia et Divest McGill ont organisé une conférence mercredi dernier, le 3 septembre, à Concordia. Le but était de présenter la Peoples’ Climate March, prévue le 21 septembre prochain à New York. En vue du Sommet sur le climat du 23 septembre prochain organisé par le Secrétaire général des Nations Unies, Ban Ki-Moon, et auquel participeront les dirigeants mondiaux, des milliers de personnes se rendront en ville pour manifester. «Nous ne pensons pas que les dirigeants du monde font leur travail, alors nous avons décidé que les citoyens du monde devraient venir aussi», a déclaré Bill McKibben, un des intervenants les plus attendus à la conférence et fondateur de 350.org, une campagne en ligne visant à construire
un mouvement environnemental mondial. «Nous avons besoin d’un mouvement puissant et bruyant!». Les mots scandés par le People’s Climate Cantastoria résument bien l’idée de créer un phénomène de grande ampleur. Son organisation en faveur de la justice climatique parait massive, voire même écrasante, par son envergure, sa diversité, mais aussi par son but visant à créer un changement au niveau global. Toutefois, Shaina
Agbayani, une activiste féministe et pour la justice climatique de McGill, précise bien qu’il est important de reconnaitre les autres et leur diversité et de rendre le mouvement plus ouvert et plus accessible au niveau local. Elle parle de l’inégalité de l’impact du réchauffement climatique, plus destructeur dans l’hémisphère Sud (Global South), et de la difficulté à motiver les gens qui vivent loin de ces régions à prendre conscience de la nécessité et de l’urgence du
mouvement. Agbayani insiste sur l’importance de la reconnaissance, selon elle, des problèmes locaux et des besoins individuels qui en émanent dans le processus de création et de renforcement d’un mouvement pour la justice climatique. Cela permettrait, selon elle, d’avoir à la fois un engagement plus intense et un impact tangible au niveau local. De plus, elle ajoute que ce genre de mouvement inclut et reflète un éventail complexe d’autres problèmes touchant au
léo arcay
colonialisme, à l’immigration, et aux questions de race et de sexe. Un mouvement présent à Montréal La mobilisation locale face à un problème provincial, voire même national, est bien illustrée par la mobilisation d’étudiants de Concordia et de McGill et particulièrement par la participation de Divest McGill et Divest Concordia au sein du mouvement. Amina Moustaqim-Barrette, de Divest McGill, précise que «c’est notre génération qui doit agir […] et faire quelque chose car les politiciens et industries ne font rien». Le mouvement People’s Climate s’inscrit donc bien dans la prolongation de l’action de ces associations visant à débarrasser leurs universités respectives de leurs avoirs dans les compagnies de combustibles fossiles. Également présente à la conférence, Ellen Gabriel, une activiste autochtone des droits de la personne du territoire mohawk de Kanesatake qui milite aussi contre le plan de l’énergie de l’Est et du pipeline (Ligne 9) des sables bitumineux. Une marche est également prévue à Montréal le dimanche 21 septembre en solidarité avec celle de New York, à la place Dorchester.
vie étudiante
Bar homophobe dans le Village? L’association étudiante de l’UdeM défend un de ses étudiants. Léo Richard
U
n videur du bar Le Saint Sulpice du Quartier Latin a décidé d’expulser deux étudiants de l’UdeM qui s’embrassaient dans la cage d’escalier du bar, le vendredi 29 août. L’incident, qui a eu lieu lors d’une soirée organisée par l’association des étudiantes et étudiants en médecine de l’UdeM (AÉÉMUM), a causé une vive réaction de la part de la Fédération des Associations Étudiantes du Campus de l’Université de Montréal (FAÉCUM). Depuis, Maurice Bourassa, propriétaire du Saint-Sulpice, s’est expliqué devant la presse et l’ «affaire» semble être close. Cependant, cette expulsion a éveillé les esprits et continue d’interroger la communauté étudiante. Un des deux individus impliqués est Gabriel Dion, étudiant en médecine. De l’aveu même de l’étudiant à RadioCanada, «il y a avait eu beaucoup
d’alcool toute la journée» et il était «bien éméché» lors de cette soirée. «Ne voulant pas déranger», il a décidé de s’isoler dans une cage d’escalier, bientôt rejoint par le deuxième étudiant. Selon le propriétaire du bar, les deux jeunes hommes étaient étendus «dans une position horizontale» dans la cage d’escalier de secours. M. Bourassa semble mettre en avant le «comportement inadéquat» qui a été synonyme d’expulsion du bar pour les deux jeunes étudiants. Selon lui, des couples hétérosexuels ont aussi été mis à la porte du bar pour des comportements similaires et l’expulsion de l’étudiant en médecine n’a rien à voir avec son orientation sexuelle. On peut penser que le fait que les deux jeunes hommes se soient trouvés dans une cage d’escalier de secours semble avoir été un motif aggravant, puisque cela pose un problème de sécurité. La FAÉCUM a répondu à cette expulsion par la voix de son secrétaire général, Vincent
le délit · le mardi 9 septembre 2014 · delitfrancais.com
Fournier Gosselin, qui a déclaré que «ce comportement homophobe est tout simplement inacceptable». L’association étudiante a tout de suite apporté son soutien à Gabriel Dion. Lors d’une entrevue avec RadioCanada, Vincent Fournier Gosselin déplore l’expulsion assez «cavalière» des agents de sécurité ainsi que les «commentaires déplacés» de ces derniers. Ce sont ces indices qui ont mis la puce à l’oreille de la FAÉCUM. Cette dernière a alors réagit rapidement par le biais des médias et a exigé des excuses et des explications de la part du bar Le Saint-Sulpice. Toujours sur Radio-Canada, le secrétaire général indique que c’est le premier incident du genre dont il entend parler. Il rappelle que la FAÉCUM travaille de concert avec l’UdeM pour faire en sorte que les événements qui se passent dans le campus et autour du campus soient organisés de manière sécuritaire et agréable.
luce engérant
Le gérant s’est excusé publiquement et a réaffirmé que Le Saint Sulpice est ouvert à toutes les orientations sexuelles. La FAÉCUM s’est dite satisfaite de la réponse du bar.
Néanmoins, il est à noter que c’est le deuxième cas de «portier homophobe» au Québec après qu’un incident similaire a eu lieu au Boudoir Lounge le 10 août dernier.
actualités
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politique
«On a vu trop d’abus» Le NPD veut protéger les stagiaires. Léo Arcay
Le Délit
E
n juin dernier, la députée fédérale Laurin Liu, du Nouveau Parti Démocratique (NPD), a déposé le projet de loi C-620. Il prévoit la mise en place de mécanismes allouant aux stagiaires les mêmes droits qu’aux autres employés, tout en empêchant les entreprises de leur donner les mêmes tâches que ceux qui occupent des postes rémunérés. L’objectif du NPD serait, selon un article publié par La Presse le 18 juin, que «le statut de stagiaire retrouve son sens. […] Les stages doivent d’abord profiter aux stagiaires, ils doivent inclure une formation.» Le Délit a pu obtenir une entrevue avec la parlementaire Liu. Le Délit: Quelle est la situation actuelle des stagiaires au Canada ? Laurin Liu: On estime qu’il y a de 150 000 à 300 000 stagiaires qui travaillent présentement au Canada, mais on n’a aucune certitude [car les employeurs ne sont pas tenus de les déclarer, ndlr]. Il y a aussi le problème du chômage chez les jeunes qui a atteint des sommets ces dernières années. Il a atteint 14 % l’année passée.
LD: Que contient exactement le projet de loi ? LL: Le projet de loi a pour but d’établir une certaine protection pour les stagiaires dans la loi fédérale. Cela s’applique à tous les stagiaires qui travaillent dans tous les domaines règlementés par le gouvernement fédéral, notamment dans l’éducation, le secteur bancaire et les transports. Il y a deux parties. La première partie établit des protections essentielles, comme [la règlementation des heures de travail], celle contre le harcèlement sexuel, et celle autour des travaux dangereux; des protections déjà offertes aux employés rémunérés. La deuxième stipule que le stagiaire doit [bénéficier d’] une formation qu’il aurait pu recevoir dans un contexte académique. L’employeur ne peut remplacer des postes rémunérés par des stages non-rémunérés. Le stagiaire ne peut pas effectuer le même travail que les employés rémunérés. LD: N’avez-vous pas peur qu’une telle protection fasse chuter la demande de stagiaires, privant ainsi de nombreux étudiants de l’opportunité d’un stage en entreprise ?
LL: Pas du tout ! Le problème, c’est que les stagiaires sont […] victimes du cheap labor (travail bon marché, ndlr). Ce n’est pas le but des stages. L’objectif d’un stage, c’est de fournir à l’étudiant une première expérience de travail, une formation qu’il ne peut pas recevoir dans le cadre scolaire. Mais ce n’est pas censé fournir aux employeurs
des travailleurs qu’ils ne sont pas obligés de rémunérer. C’est essentiel que la règlementation soit modifiée. Il faut que les stages bénéficient surtout aux stagiaires ! On a vu beaucoup trop d’abus. LD: La cause que vous défendez est-elle soutenue par des corps étudiants ?
LL: Au cours de l’été, on a reçu le soutien de plusieurs associations étudiantes, surtout dans l’Ouest, notamment l’Alliance Canadienne des Associations Étudiantes (ACAÉ), la Fédération Canadienne des Étudiants et Étudiantes (FCÉÉ), la Fédération Étudiante Collégiale du Québec (FECQ), le Regroupement Étudiant FrancoOntarien (RÉFO) et la Canadian Intern Association (Association Canadienne des Stagiaires, ndlr), et aussi l’appui d’autres intervenants. J’ai senti un [engouement] pour ce projet de loi. On voit aussi que les entreprises commencent à sentir qu’il y a de plus en plus de pression pour offrir des stages rémunérés. J’espère, après le projet de loi, que la conversation continuera, que l’on puisse, en tant que pays, trouver des solutions pour aider les jeunes travailleurs. C’est la moindre des choses ! Bien que la date ne soit pas précisément fixée, la loi C-620 sera débattue à l’automne. Le gouvernement actuel étant conservateur, le projet de loi aura besoin, selon Laurin Liu, d’une réelle mobilisation de la communauté civile et des sympathisants du NPD pour pouvoir être adopté.
paux du réservoir d’eau de la rue Penfield. Après un tel incident, la ville de Montréal a décidé de remplacer toute la tuyauterie adjacente, laquelle passe, pour le malheur des étudiants, tout le long de la rue McTavish. Le chantier qu’un tel changement implique a déjà per-
turbé la tenue de la foire commerciale annuelle, qui a finalement eu lieu dans le stade Molson sous l’égide de Discover McGill. Les travaux, commencés en avril 2014 et prévus actuellement jusqu’à octobre, ont pris du retard à cause de la pause demandée par McGill
durant les examens de fin d’année et la remise des diplômes. En limitant l’accès à la rue McTavish et en particulier au bâtiment de l’AÉUM, ils risquent de diminuer l’envergure des événements qui y sont organisés; espérons donc qu’ils soient complétés à temps.
luce engérant
brève
McTavish en travaux. louis baudoin-laarman
Le Délit
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ne nouvelle année, un nouveau projet de construction sur le campus… Beaucoup se souviennent de l’incident qui avait causé l’inon-
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dation en hiver 2013 de la rue McTavish et d’une partie de la rue Sherbrooke. L’incident, largement relayé sur les réseaux sociaux, en particulier la vidéo montrant une étudiante se faisant emporter par le courant, avait été provoqué par la rupture d’un des tuyaux princi-
le délit · le mardi 9 septembre 2014 · delitfrancais.com
Réforme du régime de retraite? Les fonctionnaires devront payer la moitié des cotisations. Julien Beaupré
À
la mi-juin, le gouvernement libéral du Québec déposait son projet de loi 3, pour réformer les régimes de retraite des employés municipaux. Celui-ci implique entre autres que les fonctionnaires devront payer une plus grande part des cotisations. La nouvelle a eu l’effet d’une bombe dans le milieu, divisant, grossièrement, les syndicats et les fonctionnaires d’une part, les élus municipaux et le gouvernement libéral de l’autre. De par sa nature complexe, le sujet demeure obscur pour la population malgré une large couverture médiatique. Chaque municipalité du Québec possède ses propres régimes de retraite pour chacun de ses corps (cols bleus, société de transport, etc.). Tous sont à prestations déterminées. Selon l’entente, un montant fixe est assidûment déposé dans la caisse de retraite. L’employé en assume une partie, la municipalité l’autre. Ces cotisations assurent à l’employé qu’il recevra une somme annuelle fixée à l’avance durant la totalité
de sa retraite. Cette somme est indexée, chaque année, au coût de la vie. Le régime assure aux retraités de recevoir leur rente, que l’employeur en ait les moyens ou non. Gérer le déficit des caisses de retraite Les syndicats parlent de 2 milliards de dollars et le gouvernement de 3,9 milliards. On apprend, sur le blogue économique de Gérald Fillion, que sur les 154 régimes dont les données sont disponibles sur les 170 visés par la loi, 55 % possèdent présentement moins de 85 % de l’argent qu’ils devront verser aux retraités. Le gouvernement de Pauline Marois parlait d’un système en santé à 85 % et plus. Sauf qu’en dessous de 100 %, il y a un manque. De plus, l’espérance de vie qui augmente et le vieillissement de la population font craindre au gouvernement l’accroissement dudit déficit. Les retraites seront plus longues et plus nombreuses tandis que la quantité de travailleurs va décroître. La Loi 3 veut ramener tous les régimes de retraite munici-
paux du Québec, en santé ou non, sous une seule loi. Elle fixerait la contribution des deux partis à 50/50. Les fonctionnaires actuels cotisent bien moins. Elle veut aussi ramener les cotisations des régimes à 18 % de la masse salariale (20 % pour les policiers et pompiers). Finalement, la loi garantit les rentes promises aux retraités actuels, avec toutefois la possibilité d’interrompre l’indexation en cas de difficulté jusqu’à ce que la situation se rétablisse. Ce qui choque les syndicats, c’est que le gouvernement revient sur des ententes déjà signées. «On n’a rien volé (nous)», prônent les fameux autocollants collés sur les voitures de police et dans les métros. Marc Ranger, porte-parole de la Coalition syndicale pour la libre négociation (CSLN), dans un entretien accordé au blogue finance de Yahoo Québec, parle d’ «une loi extrême [qui] traite tous les régimes de retraites comme s’ils étaient au bord de la catastrophe.» Toujours selon lui, seulement 10 à 12 régimes seraient en difficulté. Le reste va «très bien ou relativement bien» et les «déficits sont en train de se résorber».
luce engérant
De l’indignation à la manifestation Dans la foulée des manifestations, l’hôtel de ville de Montréal a été saccagé par une dizaine de mécontents, le 18 août, devant des policiers qui ont préféré enquêter après plutôt que d’agir sur le coup. Il est à noter que le Syndicat des employés municipaux de la ville de Montréal (SFMM), sur son site Internet, parle d’un incident «malheureux [qui] ternit l’image des employés municipaux». Outre les autocollants, d’ailleurs décriés par certaines mairies, les fonctionnaires peuvent arborer des vêtements tape-à-l’œil. À Montréal, une centaine de policiers sont aussi mys-
térieusement tombés malades le 26 juillet. Reste à voir ce que nous réserve le «grand dérangement» promis par le CSLN, une journée de mobilisation massive prévue en cas d’un refus de négociation par Québec. Le gouvernement, qui demeure ferme, a ouvert une commission parlementaire le 20 août 2014. La commission mène présentement des consultations particulières ainsi que des audiences publiques. On sait aussi qu’un projet de loi similaire visera bientôt les employés universitaires du Québec. Il est donc possible que les manifestations gagnent les universités, dont McGill.
Un pas en arrière dans la législation sur la prostitution Des associations représentant les travailleuses du sexe s’opposent au projet de loi C-36. Louis baudoin-Laarman
Le Délit
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’est ensemble et dans les locaux de l’association Stella, l’amie de Maimie, que plusieurs associations qui représentent des travailleurs et travailleuses du sexe ont décidé de faire entendre leur mécontentement face au projet de loi C-36, lors d’une conférence de presse organisée le 5 septembre. Étaient présents des représentants d’Action Santé Travesti(e) s et Transsexuel(le)s du Québec (ASTT(e)Q), de Rézo, projet travailleurs du sexe, de l’Association Québécoise pour la promotion de la santé des personnes utilisatrices de drogues (AQPSUD), de Stella, l’amie de Maimie et Viviane Namaste, professeure à l’Université Concordia. Ce que déplorent particulièrement ces associations est le manque de consultation dont le gouvernement a fait preuve lors du débat de loi. Pour AnnaAude Caouette, de Stella, l’amie de Maimie, «l’esprit du projet de loi ne reconnaît absolument pas les 30 ans de lutte des travailleuses du sexe du Canada». Le projet de loi C-36, ou Loi sur la protection des collectivités et des personnes victimes d’exploitation, sur lequel débattra le comité sénatorial entre le 9 et le 11
septembre, est en fait une série de modifications apportées aux articles du Code criminel du Canada relatifs à la prostitution. Après qu’il ait été décidé par la Cour suprême que les anciens articles portaient atteinte aux droits et libertés des travailleurs et travailleuses du sexe et qu’ils aient été décrétés nuisibles pour la sécurité de ces derniers, le projet de loi C-36 a été déposé en juin 2014. Tout d’abord, ce projet renforce l’arsenal juridique des procureurs face aux clients en criminalisant l’achat de services sexuels dans tout espace public où des moins de 18 ans seraient susceptibles de se trouver, c’està-dire quasiment partout. Les clients accusés pourraient donc, selon la décision du juge, se voir condamnés à payer une amende allant de 500 à 2 000 dollars, et même une incarcération pouvant aller jusqu’à 5 ans. Selon Frank Suerich-Gulick de l’ASTT(e)Q, «en criminalisant les clients et les tierces parties, la loi créerait un climat de peur dans lequel il serait plus difficile pour un travailleur ou une travailleuse du sexe d’accéder à de l’aide lorsqu’elle est victime de violences». En effet, si les clients craignent une arrestation, la prostitution tend à se déplacer vers des quartiers plus sensibles où le risque de violences
le délit · le mardi 9 septembre 2014 · delitfrancais.com
sur les travailleuses du sexe est accru. Pour Claude Poisson, de Rézo, projet travailleurs du sexe, le déplacement et l’isolement des travailleuses du sexe dû à sa criminalisation fera en sorte que ces dernières «ne seront plus capables de négocier une relation sexuelle égalitaire et sécuritaire», citant comme exemple le port du préservatif et le choix des clients. Le projet de loi C-36 rendrait également illégale la communication par les travailleurs du sexe visant à offrir des services ainsi que la communication des clients dans tout endroit, public ou privé, avec pour objectif de recevoir des services sexuels. La publicité pour les services sexuels, quant à elle, serait illégale sur toute forme de support, exception faite des travailleuses du sexe offrant leurs propres services. Enfin, le projet de loi criminalisera le proxénétisme et le fait de «bénéficier d’un avantage matériel» de la prostitution, et sans pour autant beaucoup changer la législation existante, les pénalités en seraient augmentées. Si les modifications des lois relatives à la prostitution apportées par le projet C-36 relèvent pour beaucoup de changements de formulation plus que de modifications majeures, Viviane Namaste rappelle «l’importance
de discuter de ce sujet sans nuances et sans ambigüités». Tous les représentants des associations des travailleurs et travailleuses du sexe s’entendent sur le fait
que la criminalisation de la prostitution conduit toujours à la précarisation de la condition des travailleurs et travailleuses du sexe.
Mahaut engérant
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Cécile, talentueuse photographe, repart pour une année de plus avec le Délit. Venue de Vancouver, elle connaît le Canada aussi bien que la pelouse de l’OAP. Toujours en quête d’idées artistiques transposables dans un cadre journalistique, elle est prête à se mettre en danger pour ramener la vérité mise en image. À part ça elle poursuit pour la troisième année, son étude approfondie des Sciences Politiques, du vin et des olives.
Vos nouv
Thomas Birzan est en troisième année à McGill, où il termine une spécialisation en littérature française. Outre ses brillantes études, ce membre de la diaspora aixoise à Montréal se consacre à sa grande passion, la danse contemporaine. Très au fait de la scène montréalaise, Thomas est à sa place au Délit en tant que coordinateur de la section Culture.
Céline est cordiale, élégante, lettrée — du moins on pourrait commencer son acrostiche comme ça. Est-ce une coïncidence si son homonyme était lui aussi un génie de la langue française? Notre nouvelle coordonatrice de la correction voyage jusqu’ au bout de la grammaire et de la conjugaison, la nuit au Délit. De jour, son tempérament calme et tempéré cache une incroyable tempête académique: elle étudie imparablement l’histoire de tous les continents! Qui sait ce qui se cache d’autre sous sa frange bombée?
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Rinner, Rinner, Rinner. Étudiant en littérature française, Baptiste Rinner est mû par un étrange et inextinguible besoin de culture. Ses deux amours: La Recherche du temps perdu et les chaussettes à pois. Éclectique, en somme; tout ce dont a besoin le Délit.
C’est lors d’un échange étudiant à Varsovie qu’Any-Pier Dionne a découvert les joies du journalisme. De retour à Montréal, «nostalgique d’être loin de chez soi», elle s’est d’abord timidement impliquée dans Le Délit avant de se joindre à l’équipe en tant que coordonnatrice de la correction cette année. Rêveuse, elle passe ses temps libres à inventer son futur entre deux romans québécois. Gwenn Duval, étudiante en traduction, lettres françaises ainsi que sciences atmosphériques et océaniques, elle ne manque pas de culot: s’occuper du Web alors qu’elle ne jure que pas l’encre, il faut dire qu’elle est toujours prête à la lever … l’ancre! le délit · le mardi 9 septembre 2014 · delitfrancais.com
eaux déliites
Jeune homme sans mélancolie, brun comme un soleil d’Italie, Joseph est un de ces étudiantsjournalistes qui ne s’arrêtent jamais. En quatrième année de Lettres françaises et hispaniques, le bonhomme n’est pas avare de bons mots et encore moins de commentaires lorsqu’il s’agit d’éditer votre texte. On m’a dit que c’était un catholique de gauche, il faudrait vérifier. Ce qui est certain, c’est qu’il est le rédacteur en chef du Délit pour l’année 2014-2015.
Après avoir œuvré dans les coulisses du Délit et sur le podium de Café Campus, Julia a finalement quitté la section twerk pour s’occuper cette année des affaires de société. Cette section étant au centre — tant physiquement que spirituellement — du Délit elle a affirmé être prête à sacrifier sa deuxième année de Sciences Politiques pour s’y consacrer. Outre sa quête éperdue de collaborateurs dans tous les amphithéâtres, son premier fait d’armes a consisté en la suppression de la feature. le délit · le mardi 9 septembre 2014 · delitfrancais.com
«Yo», dit-il. Léo est cette année éditeur aux actualités pour le flamboyant Délit! Aventurier, investigateur, mais aussi critique et sarcastique, il ne vit que pour ravir vos cortex avec des nouvelles toutes fraîches et des opinions qui le sont presque autant. Cultivant une passion pour les animaux étranges, l’humour noir et la bonne bière, il peut être étonnant ou inquiétant. Passez le voir au bureau les lundis soir, vous pourrez parler d’articles ou de n’importe quel autre sujet avec lui!
C’est avec l’accent bristish que l’on prononce son nom: Luce, ou celle qui a passé une bonne partie de sa vie en Angleterre avant de poursuivre sa route Outre-Atlantique. Cette année, au lieu de s’investir dans le club d’aviron, elle a eu l’audace de se lancer dans l’illustration du Délit. Non, en effet, elle n’a pas froid aux yeux.
Louis Baudoin-Laarman est étudiant en syndicalisme de combat, avec une mineure en management pour pouvoir travailler à Wall Street. Dans son temps libre, il se passionne pour la protection de l’environnement et admire Stephen Harper pour sa position sur les sables bitumineux. Accessoirement, il est éditeur de la section Actualités et vous promet cette année un journal intègre, sans contradictions et sans incohérences.
Que dire? Ce n’est pas dans mon habitude de l’avoir dans la poche, j’aime plutôt la tirer. Je déteste me la mordre ou me la brûler. J’apprécie celle de boeuf et la donne rarement au chat. Pas besoin de vous le dire en chinois, vous savez tout sur moi. Bon et sinon je m’occupe de la prod’ cette année. Thomas
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Société Opinion
societe@delitfrancais.com
Tueurs en serie
Dès l’instant où l’on en prend conscience, notre perspective change à jamais. leo arcay
Le Délit
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es humains se sont réduits les uns les autres en esclavage. Ils ont de tout temps tué sauvagement leurs congénères. Pour beaucoup, nous essayons d’apprendre du passé pour éviter que ces injustices ne se reproduisent, par respect pour la vie. Il demeure que nous restons des tueurs en série. À une échelle inimaginable, nous cautionnons de manière continue le meurtre de millions d’êtres sensibles et conscients: les animaux que nous élevons pour leur chair, leur cuir, et pour notre divertissement. Par besoin de rentabilité, on les entasse dans des compartiments ridiculement trop petits, en proie au stress, à la dépression et à la maladie. N’ayant ni le temps ni l’envie de décrire cette horreur, je renvoie mes lecteurs à l’excellent documentaire Earthlings de Shaun Monson. Cette exploitation est foncièrement illégitime, puisqu’elle provient d’une quête de plaisir et non de la satisfaction d’un besoin. Il est parfaitement possible de rester en bonne santé sans manger aucun élément d’origine animale et en adaptant son alimentation en conséquence. Certains y prennent goût; d’autres non. Peu importe, le critère du plaisir ne justifie pas le choix de conserver une alimentation “carniste” (c’est-à-
dire, qui fait de la consommation de viande une chose éthique) . De même, nous pouvons survivre sans porter de cuir, sans visiter de zoos, cirques, et autres parcs à thème. Mill écrivait, dans De la Liberté, que chaque individu ne peut être légitimement empêché par la société de faire ce qui lui plaît, dans la mesure où il ne concerne pas autrui. Manger une merguez, cela ne tient pas du domaine de la vie privée: il y
a quelqu’un dans votre assiette! Le problème intrinsèque à ce meurtre de masse industrialisé, c’est, comme l’écrivait Hannah Arendt à propos de la Shoah, la «banalité du mal». Nous avons le pouvoir de supprimer une vie en dégainant une carte bancaire. Difficile de se sentir coupable! On dit souvent que l’humanité deviendrait majoritairement végétarienne si chacun devait abattre les animaux qu’il con-
sommait. Nous avons été élevés dans un paradoxe: l’apprentissage de la compassion pour l’animal parallèlement à la normalisation de l’élevage nourricier. Mais en changeant de perspective, on se rend compte que chaque dollar déboursé pour l’exploitation animale, quelle qu’en soit sa forme, engendre la souffrance et la mort. La satisfaction d’un plaisir gustatif ou esthétique justifie-t-elle un tel massacre?
alexis de chaunac
Ce ne sont que des animaux. Mais vous n’êtes que des humains! Votre douleur ne pèse pas plus dans la balance que la leur; et votre plaisir ne vaut pas plus que le leur. Bien qu’elles soient différentes, ce sont des formes de conscience, capables de ressentir des émotions et des sensations, au même titre que vous. Que l’on soit bien d’accord, je ne mets pas tous les animaux sur un pied d’égalité. L’animal humain a pu s’imposer comme l’espèce dominante grâce à des capacités cérébrales supérieures. Mais notre intelligence ne nous confère-t-elle pas justement une responsabilité? Puisque nous sommes capables d’éprouver de la compassion, nous sommes probablement la seule espèce à pouvoir penser au bienêtre des autres formes de vie. Nos facultés sont un outil aussi efficace pour détruire que pour créer. Il est donc du devoir de l’être moral de permettre à chaque animal, humain ou non, de satisfaire ses besoins primaires, de jouir de plaisirs simples et d’éviter la souffrance. La différence entre le lion et vous, c’est que vous pouvez choisir de préserver la vie. La différence entre la gazelle et la vache, c’est que la vache ne connaît qu’une vie de servitude et de souffrance pour le simple plaisir égoïste de celui qui paye pour la manger. La différence entre le lion et vous, c’est que vous pouvez réfléchir, faire des choix, et inventer dès aujourd’hui un monde plus juste.
lettre ouverte
Lettre d’un citoyen zélé à Mr Yves B***** Un moyen pour apaiser les troubles entre les Gens de Lettres et le gouvernement.
M
onsieur Yves Bolduc, Je ne regarde point d’un œil aussi désintéressé que vous l’imaginez peutêtre votre querelle avec le milieu de l’éducation au Québec; milieu pour lequel vous êtes inévitablement — quoiqu’inespérément — une figure clé. J’aime la vie: je ne suis pas assez mécontent de ma famille, de mes amis, de ma chance et de moi-même pour la mépriser. Je veux donc vivre. Du moins tant que je continuerai d’être heureux. Mais point de vrai bonheur pour celui dont l’esprit n’a pas la possibilité de s’exercer continuellement. Il ne s’agit pas de le délasser, ou encore pis, de le contraindre à tâcher «d’être soumis à pouvoir faire de la lecture», comme vous dites, mais bien de lui offrir les moyens de se créer et se récréer.
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Aussi n’est-ce pas sans quelques regrets que je me laisse gagner par l’idée qu’on est au Québec en terre où un «livre» n’est pas, comme le disait Todorov, un outil qui «permet à chacun de mieux répondre à sa vocation d’être humain», mais plutôt un synonyme de «passe-temps». En ces temps supposément austères où nos édiles pointent plus rapidement du doigt les institutions académiques que le lucre questionnable des soidisant «créateurs d’emplois», je me retourne instinctivement vers les instances (supposément) responsables de la santé des écoles, question d’entendre ce qu’elles envisagent. Eh quoi! N’est-ce donc pas assez d’être éreinté par la menace d’une culture d’entreprise hégémonique? Faut-il encore avoir autour de soi des gens acharnés à ne point s’entendre et à se contredire?
Je tente d’illustrer cela, en revenant sur vos paroles. Déjà votre célèbre mot, livré candidement: «Il n’y a pas un enfant qui va mourir de ça et qui va s’empêcher de lire, parce qu’il existe déjà des livres [dans les bibliothèques]. […] J’aime mieux qu’elles achètent moins de livres. Nos bibliothèques sont déjà bien équipées. […] Va dans les écoles, des livres, il y en a [des livres].» Puis, encore vous, «postgaffe»: «Ce qui est bien important pour moi, c’est de me consacrer au projet actuel: avoir un bon apprentissage chez nos jeunes, la lecture c’est important». La contradiction à laquelle je souhaite vous rendre sensible est celle entre ce que votre excuse dénote: mettre en place un «bon apprentissage chez nos jeunes», et ce que votre absence de réflexion publique laisse transparaître. Dans
le gouffre qui existe entre les deux déclarations, vous démontrez non pas l’activité d’un esprit qui pense, mais plutôt celle d’un esprit qui se fait dire quoi penser. Le simple fait de prononcer une déclaration comme «la lecture, c’est important» ne rend pas la conviction réelle. Ainsi, je vous lance un défi: si vous comprenez vraiment comment «la lecture, c’est important», pourquoi ne pas coucher la chose sur papier? Certains auront pu soutenir par leurs actions que séduire une portion d’électorat s’accomplit à coup de «Je respecte et je supporte [insérez votre intérêt ici]». Harper en kippa saute à l’esprit; c’est le célèbre Paris vaut bien une messe. Cependant, les paroles creuses sont, et resteront, les ennemis de ceux que vous avez récemment offensés. Jouer avec un système éducatif, ça demande
des devoirs. Et il semble qu’il vous manque au moins un TP sur vos opinions pédagogiques. De grâce, méditez la phrase de Juvénal «Semper ego auditor tantum?»(«Dois-je toujours être spectateur?» ). Au lieu de rester spectateur du monde des livres, avec lequel vous entretenez publiquement un rapport trouble, pourquoi ne pas travailler à être le héraut du lettrisme, partie intégrante des missions de vos ministères? Vous pourriez entreprendre ce projet en délaissant la langue de bois pour démontrer la valeur d’une langue déliée. Dans l’attente de vous lire — ou, le cas échéant, de vous voir démissionner — je reste votre très humble et très obéissant serviteur. Un citoyen zélé
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Culture
Arts visuels
Montréal, cette mécène
articlesculture@delitfrancais.com
Lancement de la Rack galerie. Arthur corbel
Un projet ouvert
uelques mois après le décès de la mécène montréalaise Lilliane Stewart, la ville, toujours en deuil, n’est cependant pas en reste dans le domaine des arts.
Le principe d’espace culturel rapproche le public des œuvres de la galerie. Mais le projet est aussi très ouvert du point de vue des arts. Magalie, également à l’origine du choix des artistes, se félicite de rassembler tous les styles: «Dès ce soir, nous présentons de la photographie retravaillée, du transfert d’images, de l’acrylique… Il y en a pour tous les goûts!» En effet, des travaux en noir et blanc, à l’air old school de Marylise Julien, aux instruments de musique décorés de John Lantier, jusqu’aux décors exotiques de Paul-André Larocque, la variété des genres semble évidente. Ce dernier ainsi que son agent Nicolas sont d’ailleurs complètement satisfaits du résultat. «L’agencement est très bien géré», félicite l’agent, «Paul-André cherche de la visibilité au Québec et à l’international. L’espace Notre-Dame est une bonne opportunité pour la partie québécoise du projet.» Ce projet est d’ailleurs bien en place. Monsieur Larocque a déjà exposé des œuvres en Australie ainsi qu’en Europe, et voit son agenda complet jusqu’en juin. «J’ai besoin de voyager», confirme l’artiste.
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À la new-yorkaise Murs de brique, public branché… L’espace Notre-Dame et la Rack galerie ouvraient leurs portes cette semaine. L’allure de loft new-yorkais est frappante dès l’entrée. Magalie, jeune femme responsable de la galerie et à l’origine du concept, apporte un petit bout de la Grosse Pomme en plein cœur de Montréal. En collaboration avec Ariane, à la tête de l’espace culturel, elle lance un projet qui a pour objectif d’apporter de la visibilité à des artistes encore méconnus du grand public. «J’aime découvrir des talents, explique-t-elle, leur donner une plateforme. Là est tout l’intérêt de la combinaison galerie/ espace culturel. Je ne veux pas que la galerie soit un endroit froid. Pendant les concerts et autres évènements organisés par Ariane, le public aura accès aux œuvres. Les deux projets s’alimentent entre eux.»
«Je me vois comme un oiseau dans un bateau» avoue-t-il, le sourire aux lèvres. Justement tatoué d’oiseaux et de bateaux tout le long de ses bras, ce fils de marin n’a pas peur de montrer sa différence. «Je suis atteint du THADA (trouble d’hyperactivité avec déficit de l’attention)», ajoute-t-il. «Ma tête est un permanent chaos ordonné. Mes œuvres me permettent de recoller les morceaux.» Un public conquis Un mot semble se présenter très clairement après cette première soirée: atypique. Pour le décor, pour le passage d’instruments décorés aux peintures très fortes d’Ani Müller, pour le projet. Cette première soirée montre le choix de Magalie et Ariane: celui d’un pari. Et la première partie de ce pari semble réussie. En effet, les éloges sont nombreux: «Voir des jeunes se lancer dans un projet comme ça, de façon aussi créative, c’est vraiment génial» s’exclame une visiteuse. Mais d’autres vont encore plus loin: «C’est formidable! La combinaison des artistes me plait car elle est très intéressante. En plus, l’endroit est vraiment très beau.» À la question «êtes-vous susceptible de revenir?», toutes les per-
isabelle grégoire
sonnes interrogées ont répondu de manière positive. Le désir d’accessibilité des deux organisatrices semble donc assouvi pour cette première soirée. Mais le
plus gros est encore à venir avec les futurs événements culturels au cœur de la promotion de cette nouvelle place artistique. Un endroit à surveiller, assurément.
Architecture
Sur les pavés, le foin
Retour sur un épisode de l’histoire de la Commune de Paris au CCA. Thomas SimoNneau
Le Délit
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our celles et ceux qui sont familiers avec le quartier environnant la place Vendôme à Paris, l’idée même d’y installer un tas de fumier en son centre a tout d’irréel et de grotesque. C’est pourtant précisément ce qu’il se passe en 1871, lorsque le nouveau gouvernement de la Commune, sous l’impulsion du peintre Gustave Courbet, vote la démolition de la colonne de Vendôme. Restaurée par Napoléon III en 1863, celle-ci a pour vocation de célébrer la puissance militaire bonapartiste. Pour ce faire, les communards installent un monticule de foin, de déchets et de fumier afin d’amortir la chute et de protéger les bâtiments alentour. Cet acte éminemment politique visant à éradiquer toute allusion au bonapartisme est actuellement
présenté au Centre Canadien d’Architecture, avec pour principal objectif son historicisation ainsi qu’une réflexion sur le projet architectural, la ville et la démocratie. Commissionnée par l’américain David Gissen, historien et théoricien de l’architecture, l’exposition apporte une perspective historique au mouvement Occupy de 2011, alors que ses participants se référaient déjà à leurs ancêtres les communards. Tous deux nés d’une contestation face à un régime répressif, ces mouvements se caractérisent tout particulièrement par l’espace urbain dans lequel ils évoluent. Les stratégies d’occupation spatiale de la Commune visaient ainsi les monuments architecturaux, symboles des puissances sociopolitiques gouvernant une société à un moment donné. Pour paraphraser Mirko Zardini, directeur du CCA: «Cette exposition repose sur un objectif plus
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large du Centre Canadien d’Architecture qui consiste à étudier les environnements politiques et les problématiques sociales au sein desquels l’architecture opère. […] C’est sous cette forme pionnière d’intervention urbaine que l’architecture sert non seulement de moyen de commémoration, mais également de révélateur d’une certaine conscience politique.» En salle jusqu’au 28 septembre prochain, «Le monticule de Vendôme» rassemble de nombreuses photographies et gravures appartenant au CCA et documentant cet épisode historique. Cette dernière intrigue par sa clarté, son originalité ainsi que son humour particulier, côtoyant habilement les subtilités de l’absurde. Effectivement, une pétition à l’intention de la Ville de Paris ayant pour but de reconstituer ce monticule, ne serait-ce que pour un temps, attend le visiteur à l’entrée.
Gracieuseté du CCA
Culture
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Littérature
« J’ai conçu ce livre comme Edouard Louis était de passage cet été à la Belle-Province. Le Délit a sauté sur l’occasion pour rencontrer l’auteur d’En finir avec Eddy Bellegueule, livre révélation de cette année.
Pour rejoindre la question, si moi j’entendais autant ces histoires, c’est que j’étais astreint du côté de la féminité. Non, je ne crois pas que l’écriture soit sexuée. J’ai horreur du concept d’écriture féminine que développe par exemple Hélène Cixous. On me dit parfois que pour Cixous, l’expression féminine, c’est Jean Genet. Mais ça n’enlève rien au caractère violent de ce propos. Eddy, on savait bien que c’était un homme. Mais on lui disait «tu es une gonzesse», ça n’enlève rien au potentiel normatif de cette phrase. Que l’écriture soit sexuée… non, je ne le crois pas. On est évidemment en tant qu’homme ou femme marqué par certaines choses. C’est une question très difficile (rires).
Thomas Birzan
Le Délit
L
e Délit: Vous avez dirigé un ouvrage aux Presses Universitaires de France dans lequel a écrit, entre autres, Annie Ernaux. Dans L’écriture comme un couteau, Ernaux déclare: «J’ai l’impression que l’écriture est ce que je peux faire de mieux, dans mon cas, dans ma situation de transfuge, comme acte politique et comme don.» Votre livre aussi est-il un don? Edouard Louis: Oui, j’ai conçu ce livre comme une sorte de don que je ferai de mon histoire aux exclus. Je pourrais dire que j’écris pour les dominés, pour les femmes, les homosexuels, les juifs, pour les Noirs, pour les minorités ethniques quelles qu’elles soient. En effet, si Annie Ernaux m’a marquée dans l’écriture de ce livre, c’est avant tout par cette conception politique qu’elle défend la littérature: elle ne défait jamais une exigence littéraire d’une exigence politique. Ce que je crois, c’est que plus loin on va dans le travail littéraire, plus loin on va dans l’exigence politique et dans l’aspect subversif. On pourrait dire que le travail littéraire consiste à déplacer les perceptions, à transformer les catégories de perceptions, les façons de voir le monde, à ne pas faire pléonasme avec le monde. D’autant plus à une époque où la littérature est parfois dans un état un peu déstabilisant, malheureux. LD: Vous dédiez votre livre à Didier Eribon. En finir avec Eddy Bellegueule commence par un crachat et une insulte. Dans Réflexions sur la question gay, l’incipit d’Eribon indique également que «tout commence avec une insulte». Comment le travail académique d’Eribon a-t-il influencé votre travail littéraire? Quel rapport le narrateur de votre livre entretient-il avec l’injure? EL: L’injure est, pour Eddy, l’acte fondateur. C’est ce qui va l’astreindre à une place dans le monde social. La vie est composée d’une multitude d’interpellations: «tu n’es qu’un crouille, tu n’es qu’un pédé, qu’un Noir, qu’une
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Culture
femme». L’injure, c’est ce qui va fonder Eddy, le limiter à ça. Tout cela va le définir, son rapport aux autres, son rapport au monde. Je dis à un moment aussi que, lorsque l’on n’avait plus à manger, j’avais plus faim que les autres et plus froid que les autres parce que mon père me disait «tu es une gonzesse». Je suis toujours agacé par les gens qui, quand je me revendique comme gay, me disent «tu n’es pas que ça». Il y a des gens qui sont contraints à n’être que ça. Tout comme les parents d’Eddy sont astreints à leur pauvreté tout
le temps. C’est mon identité. Il en va de même pour l’insulte, qui fabrique Eddy. Et donc la deuxième question qu’il faudrait se
«Il faut que la littérature déterritorialise ses références» poser, c’est la question de Sartre: l’important n’est pas ce qu’on fait, mais ce qu’on fait de ce qu’on a
fait de nous afin de pouvoir créer des lignes de fuite. LD: À la page 22, vous écrivez: «Ma grand-mère, qui elle aussi transmettait les histoires de famille (toujours le rôle de la femme), me l’avait raconté.» Pensez-vous que l’acte narratif, et par extension l’acte d’écrire, soit un acte sexué? EL: D’abord, dans cette enfance, dans ce village que je décris, le rôle des femmes, c’est celui de parler, de transmettre les histoires familiales, du village.
LD: Auriez-vous quelques remarques à ajouter sur vos influences? EL: Didier Eribon commente dans son dernier livre cette belle phrase d’Assia Djebar qui dans un de ses romans écrit: «Je suis née en 1830 lorsque la France a colonisé l’Algérie.» Et Didier Eribon se demande à partir de ça: «Mais quand suis-je né? Où est mon histoire?» Je pourrais dire que je suis né en 1969 à Stonewall, et donc dans cette histoire que je me choisis il y aurait en effet toutes les influences que sont Annie Ernaux, Didier Eribon, Thomas Bernhard pour le fait de vouloir écrire la violence sans la métaphoriser et Marguerite Duras pour sa puissance politique. Une chose dont on ne parle pas beaucoup, c’est que la littérature est souvent très centrée sur elle-même. J’aimerais qu’on me demande ceux qui m’ont influencé hors de la littérature. J’ai été autant influencé par Faulkner que par Jane Birkin, Jonas Kauffman, les films de Xavier Dolan ou des frères Dardenne, Gus van Sant. Je veux réussir à dire les choses comme ils le disent. On ne s’interroge pas assez sur ça en littérature. En fait, les influences hors du champ sont déterminantes, c’est aussi par là qu’on peut renouveler la littérature: il faut qu’elle déterritorialise ses références.
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un appel à la révolte » C’est aussi pour ça que la sociologie universitaire meurt en France, parce qu’elle est devenue une discipline qui se réfère, en grande partie, seulement à ellemême. LD: Comment pensez-vous votre arrivée à l’acte de l’écriture? Comment s’articule-t-elle avec votre situation de transfuge? EL: Le monde d’Eddy Bellegeule, c’est un monde où les livres n’existaient pas, la littérature encore moins. On était dépossédés du savoir, de la possibilité d’essayer de se penser. Il reste beaucoup d’Eddy Bellegeule en moi. La sociologie et la psychanalyse ont très bien dit ça. Peutêtre que s’il reste quelque chose d’Eddy Bellegueule, ce serait justement cette conception qu’a Annie Ernaux de la littérature comme insurrection permanente. C’est cette conception de la littérature contre la littérature, ou contre une certaine image de la littérature. Ce que j’ai voulu montrer dans le livre, en réfléchissant sur le thème des transfuges, c’est qu’on a toujours un peu l’impression, — et d’ailleurs Bourdieu emploie le mot — que les transfuges seraient des miraculés. Dans son texte autobiographique, l’Esquisse pour une auto-analyse, Bourdieu ne raconte pas comment et pourquoi il aurait pu quitter son milieu, comme si ça allait de soi. Ce que j’ai voulu montrer, dans En finir avec Eddy Bellegueule, c’est que la fuite était toute aussi déterminée que les non-fuites: que le transfuge de classe ce n’est pas quelqu’un qui serait plus intelligent que les autres, c’est une idée insupportable, dégoutante, de penser que je suis plus intelligent que ma sœur, quelque chose que je ne veux pas penser, que je ne peux pas penser, auquel je ne crois pas. LD «Ce n’est pas moi qui ai renié mon milieu, c’est mon milieu qui m’a renié.» EL Exactement. La trajectoire du transfuge est tout aussi déterminée que celui qui ne fuit pas. Il y a presque des conditions de la volonté de fuir. J’ai essayé de penser cela, et puis d’écrire ce livre un peu comme une archéologie de la volonté. Qu’est-ce qui fait qu’on veut, qu’on ne veut pas, qu’est-ce qui fait qu’on ne peut même pas avoir l’idée de vouloir? En fait cette volonté qu’a Eddy de partir, elle
est construite, elle est fabriquée. Une sorte d’histoire de la volonté, de ce qui permet la volonté, c’est quelque chose auquel je tenais beaucoup. Contre les discours racistes, classistes, qui consistent à dire «ce sont des feignants qui ne veulent pas, qui ne travaillent
pas à l’école». LD: Le Front National a
« Q u’e s t- c e qui fait qu’on ne peut même pas avoir l’idée de vouloir? » réalisé un score-choc aux élections européennes. Vous parlez dans votre livre du racisme, des «bougnoules», de la xénophobie. Comment expliquez-vous ces résultats électoraux? EL: Oui… Un score qui me bouleverse, qui me bouleverse de tristesse. Quand j’ai vu ça tout à l’heure, j’étais vraiment dans un état de choc. Vous voyez, je n’arrive pas à comprendre ça. J’ai toujours été très marqué par une
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phrase de Marguerite Duras qui disait quelque chose comme: «au fond, être de droite ou d’extrême droite, qu’est-ce que ça peut vouloir dire, à part de la stupidité.» Quand on voit la violence du monde, l’exclusion, la pauvreté, la misère, comment est-ce qu’on
peut être de droite? LD: Quand on la voit, et a fortiori quand on la vit… EL: Oui. Il y a aussi ce mécanisme terrible qui fait que les dominés reproduisent leur propre domination. Être de droite n’est synonyme que de stupidité, rien d’autre. Vous voyez quand, dans le livre, Eddy dit «pédé», quand il essaye d’être normal. Ce score du Front National met cela en avant, mais aussi le fait que la plupart de ces gens qui ont voté pour le FN ont voté pour le FN parce qu’ils avaient l’impression — à juste titre — qu’on ne parle pas d’eux, des classes sociales, de la misère, que tout ça a disparu du discours politique… et du discours littéraire. Ce livre était aussi un coup contre ça, pour parler de ces vies que, dès que vous les évoquez, on vous taxe de misérabilisme, de pathos.
LD: Ou, comme, certains éditeurs, d’exagération? EL: Vous savez, une des grandes modalités, presque un invariant dans l’histoire du discours conservateur, c’est l’argument de l’exagération. Christa Wolf, dans son roman Trame
d’enfance, explique que lorsqu’on annonce l’ouverture des camps de concentration dans les journaux en Allemagne, tout de suite l’on dit que «c’est exagéré». Sayad aussi, pour la torture en Algérie. Dire «c’est exagéré» serait comme une mobilisation conservatrice contre la réalité de la violence du monde, contre toute la violence qui fait la vie. Et donc pour moi c’est ce qui s’est passé aussi. Et parce qu’on vous taxe d’exagération et parce qu’on en parle si peu qu’à force ça finit par disparaitre, et donc on le croit. LD: Votre livre est en phase de traduction… EL: Dans ce livre pour moi la volonté politique était inséparable de la volonté littéraire. Je trouve donc formidable que le livre soit traduit. J’ai conçu ce livre comme un appel à la révolte. D’ailleurs, il a été interdit en Russie, où il a été considéré
comme de la propagande homosexuelle. LD: Pensez-vous qu’une traduction pourra retranscrire justement ce langage, dont vous vous dites, à la page 82, las de restituer? EL: Il le faut! Les deux premières traductions paraissent en Italie et au Kosovo. En effet, mon éditeur qui parle italien couramment l’a relu et parfois le traducteur corrigeait la syntaxe incorrecte alors que c’est l’enjeu même du livre. Il faut être très prudent à cet égard-là. Quand j’ai commencé le livre, j’allais voir ma mère avec un magnétophone, comme un sociologue. Je me souviens que je rentrais chez moi et que je retranscrivais. Un jour, j’ai envoyé à mon meilleur ami ces retranscriptions et il m’a dit «mais on ne comprend pas, on ne comprend rien»; c’était une syntaxe décousue, une syntaxe dominée, incohérente. Et du coup ce langage, pour être plus proche de la vérité, il a fallu, comme au cinéma, produire des effets de réel. Je ne voulais pas que ce soit un langage de dominant sur celui des dominés. Comme celui de Céline qui a écrit des livres magnifiques, mais qui serait un point de vue de bourgeois sur la langue des dominés. LD: Pensez-vous qu’un public différent, par exemple du sud des États-Unis d’Amérique, puisse s’identifier à votre transfuge? EL: Oui, je crois, j’en suis sûr. Parce que tous les pays du monde sont structurés en classes sociales. On veut nous faire croire le contraire, on nous dit qu’elles ont disparu. C’est une sorte d’invariant, l’exclusion, la domination et la violence. C’était aussi l’enjeu du livre de dire que l’homophobie n’est pas la même chose ici qu’ailleurs, que c’est un invariant qui peut prendre des formes singulières selon le milieu dans lequel elle se déploie. L’idée de l’universalité, c’est une drôle d’idée pour moi, mais en tout cas ce qui serait presque universel, ce serait la domination, elle existe partout. C’est pour ça que je pense qu’il y a une traductibilité. Quand je lis Faulkner, je n’ai rien à voir avec les paysans du Mississippi, mais dans les discours qu’il donne à entendre, je retrouve des expériences, des émotions, des affects, des colères, des joies.
Culture
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LITTÉRATURE
La vérité sur l’affaire Harry Quebert «Personne ne sait qu’il est écrivain. Ce sont les autres qui le lui disent.» Gwenn duval
Le Délit
R
emporter le prix de la Vocation BleusteinBlanchet, le Grand Prix du Roman de l’Académie et le Prix Goncourt des Lycéens 2012, est-ce suffisant pour se savoir écrivain? La vérité sur l’affaire Harry Quebert de Joël Dicker s’est vendu à plus d’un million d’exemplaires. Rejoignant le rang des bestsellers, le polar à prétention littéraire se présente comme une petite brique d’environ 600 pages, retraçant le parcours de Marcus Goldman, un écrivain à succès,
confronté au syndrome de la page blanche et contraint de rédiger un roman pour répondre à la pression exercée par son éditeur. Dans ses entrevues promotionnelles, Joël Dicker se défend d’un rapprochement autobiographique avec l’écrivain de son livre. Tout de même, l’évolution du personnage dans la sphère littéraire permet l’élaboration d’un discours sur les enjeux de l’écriture et du statut d’écrivain, le tout saupoudré de réflexions incisives sur la société américaine. Pour résumer brièvement ce dont il est question parmi ces pages sans pour autant en dévoi-
ler l’intrigue, Marcus Goldman décide de recontacter son professeur d’université, Harry Quebert, auquel il doit sa passion pour l’écriture. Connu à travers les États-Unis pour son roman Les origines du mal, Harry Quebert invite son ancien élève à le rejoindre dans sa propriété au bord de l’eau, située dans la ville d’Aurora au New Hampshire. Survient alors le drame: Harry Quebert est accusé du meurtre sordide de Nola Kellergan, survenu trente ans auparavant. Il est arrêté et emprisonné. Marcus Goldman décide de trouver les preuves qui innocenteront son professeur bien-aimé
tout en saisissant là le sujet qui lui manquait pour écrire son prochain roman. Aussi courageux qu’Hercule Poirot, Marcus interroge tous les habitants de la petite ville qui se révèlent être tourmentés par leurs secrets. Moins malin que Colombo, il a tendance à se mettre dans des situations trop délicates pour être réalistes. Les pages se tournent d’elles-mêmes sous les rebondissements, les découvertes et le tâtonnement d’un écrivain qui tente de suivre les trente-et-un conseils de son professeur, lesquels sont rapportés à chaque début de chapitre et que Joël Dicker prétend n’avoir pas suivi.
Finalement, malgré le fait que Dicker entre de plain-pied dans le polar, il semble n’avoir qu’un orteil en littérature. Les thèmes soulevés questionnent la différence entre l’écriture journalistique et la fiction pure. On retrouve aussi, mise en évidence, l’ancienne dualité entre l’auteur et son œuvre, l’importance de la figure de l’auteur, la perception des lecteurs; en bref, la réception du chef-d’œuvre dans la société contemporaine. Un roman correct pour survoler ces problématiques sans trop y plonger, tout en se laissant porter par une enquête trépidante.
Cécile Amiot
CINÉMA
La face sombre de l’arc-en-ciel
Projeté en clôture à Cannes, Zulu dresse un portrait sévère de l’Afrique du Sud. Côme de Grandmaison
Le Délit
A
près avoir réalisé, entre autres, les deux adaptations de Largo Winch, Jérôme Salle entre sur un terrain plus politique en proposant un film policier ayant pour cadre l’Afrique du Sud post-apartheid. Deux enquêteurs — un alcoolique, grand séducteur et blanc (Orlando Bloom) et son comparse plus sérieux, noir, au passé torturé (Forest Whitaker) — cherchent une explication à un meurtre particulièrement violent. Dans la ville de Capetown une jeune étudiante blanche a été massacrée à main nue… Basé sur le livre Zulu de Caryl Férey, le
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Culture
scénario débute donc de manière relativement classique. Mais la force du film émerge tandis que l’enquête progresse. Car les deux protagonistes, d’abord sur les traces d’un simple tueur, vont réaliser qu’ils s’attaquent à une organisation extrêmement puissante, soutenue par un adversaire particulièrement dangereux en Afrique du Sud: le passé. C’est en cela que Jérôme Salle réussit à faire plus qu’un film policier banal: il parvient à saisir les difficultés d’un pays encore traumatisé par l’expérience de l’apartheid. Les images montrent distinctement le fossé qui sépare noirs et blancs sur les plans économique et social. Les lieux de résidence sont un
indicateur parmi d’autres: dans les «townships» (bidonvilles), peuplés d’enfants errants, vivent les noirs, tandis que les blancs sont isolés dans de luxueuses villas. L’évocation d’un événement du passé d’Ali Sokhela (Forest Whitaker), victime de la barbarie raciste durant l’apartheid, vient accentuer cette division et soulève une question sous-jacente dans tout le film: comment vivre en paix avec ses bourreaux? Comment faire pour que la réconciliation ne soit pas qu’une affaire légale mais également, pour reprendre les termes de Nelson Mandela, «un processus spirituel (…) qui ait lieu dans le cœur et dans l’esprit des individus?»
De cette division, cette incapacité à être vraiment ensemble et donc à construire ensemble, naît une insécurité gigantesque. Les victimes sont les habitants des bidonvilles, transformés en zones de non-droit par les gangs à la tête de multiples trafics. Cette faillite de l’Etat à protéger ses citoyens s’exprime par la voix du père de la jeune fille découverte morte, mais aussi à travers l’attitude du chef d’un gang, qui semble avoir sur son territoire plus de pouvoir que la police. Ainsi, malgré la chute de l’apartheid et la quasi sanctification de Mandela, la nation arcen-ciel semble bien terne dans ce film au suspense maîtrisé… Certains passages alourdissent
cependant la trame, comme la relation d’Orlando Bloom avec son fils, destinée à humaniser le personnage. De plus, l’histoire est basée sur une violence extrême, qui écarte peut-être celle plus quotidienne, plus cachée, que de nombreux Sud-africains subissent. En cela le film Mon nom est Tsotsi, Oscar du meilleur film étranger en 2006, avait peut-être capturé avec plus de justesse l’état d’esprit des habitants des townships. Des habitants tributaires d’un passé lourd semblant jeter à leur destin un mauvais sort. Le même que celui gravé dans la chair d’une des victimes de Zulu: «Bazokhala», un mot zoulou signifiant «nous les ferons pleurer».
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THÉÂTRE
Un NoShow en pleine face Le théâtre peut-il continuer à tout prix? Gabriel cholette
Le Délit
L
e NoShow (François Bernier, Alexandre Fecteau, Hubert Lemire, Maxime Robin et la collaboration des acteurs) est bâti sur des prémisses intéressantes: le théâtre peut-il exister à tout prix? Nous voulons démocratiser le théâtre et faciliter son accessibilité pour que tous puissent y assister. C’est ce que fait le NoShow qui est a priori sans coût d’entrée. Le NoShow innove quant aux autres pièces présentées au Québec. À l’entrée des spectateurs, on demande à tous de payer le montant qu’ils trouvent convenable pour assister à la pièce. Dans les prix préétablis, on rappelle que 0$, comparativement, c’est comme si l’on allait voir la «messe du dimanche». La liste des prix monte par petits bonds, jusqu’à 125$ qui est aussi le prix d’un «billet d’un match de hockey professionnel». «The show must go on.» C’est cette célèbre expression scandée dans la langue de l’argent qui agit comme lien unificateur de la pièce. Si le NoShow récolte des milliers de dollars, c’est parfait: on pourra monter les scènes imaginées par le collectif Nous sommes ici et le Théâtre DuBunker. Lors de la représentation du 3 septembre, 1900$ ont été récoltés, à peine assez pour 3 acteurs rémunérés à 200$ par soir. C’est qu’il ne reste pas grand-chose après avoir payé tous les frais de location de salle, d’éclairage, d’entretien, etc. À 1900$, la pièce sera montée, mais on coupera les acteurs en trop qui n’auraient pas pu être payés à juste prix. C’est ainsi que le NoShow innove: face aux coupes budgétaires, le théâtre doit se réinventer, trouver des solutions. Certains acteurs en remplacent d’autres, on joue avec ce que l’on a. Surtout, on saisit l’occasion pour parler de la situation difficile des jeunes artistes. Les acteurs qui restent sur scène prennent la parole pour une myriade de jeunes qui suffoquent dans la même situation. Le NoShow ne tabouise pas le manque d’argent comme il a souvent été fait: le spectacle parle de l’argent et, surtout, du manque d’argent dans le fond — les fonds — et dans la forme. On craint cependant que cette pièce politisée ne fasse changer l’opinion négative du peuple québécois sur le métier de la scène. Car l’art qui parle d’art n’attire pas les foules de tous les milieux: à un moment dans le non-spectacle, on demande à tous les spectateurs de se lever pour faire un petit sondage «socio» maison. On dit à tous ceux qui travaillent dans le milieu de l’art de s’assoir et plus
de 80 % des spectateurs s’assoient. 80 % de la salle est donc déjà consciente des déboires des acteurs. Lorsque les acteurs sur scène critiquent la foule de n’avoir payé que le deuxième plus petit montant sur la liste de prix proposés (16$ comme le prix d’un film au cinéma), on se demande si l’on s’attaque vraiment à la bonne personne. Le NoShow profite bien néanmoins de sa posture critique et tente de comprendre comment intéresser et faire déplacer un Québec régi par le système du divertissement et ses productions à coup de millions pour la télévision et le cinéma. C’est donc une tentative de réinventer le théâtre qui nous est présentée, un théâtre qui met au cœur la proximité du spectateur et des acteurs qui forment, ensemble, une communauté. Les acteurs parlent au public, interagissent avec lui et questionnent ses attentes. Tout ça dans le but de bâtir un nouveau théâtre dans lequel tous pourraient trouver quelque chose. Si quelques explorations hors du cadre traditionnellement théâtral sont maladroites, c’est le rire très fort du public qui reste et qui donne espoir de voir le Show continuer malgré toutes les intempéries.
David ospina
Opening Night Le Théâtre des Quat’sous fait son cinéma. Viginie Daigle
Le Délit
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l fait partie de la tradition du cinéma de créer de grands films à partir de pièces de théâtre, que l’on pense à Twelve Angry Men, les nombreux Roméo et Juliette existants, ou plus récemment encore August : Osage County. Avec Opening Night, le Théâtre de Quat’sous entreprend le pari difficile d’exécuter l’inverse: on adapte ici le film du même nom de John Cassavetes pour la scène. Transposée au théâtre, la pièce fonctionne selon le mécanisme de mise en abyme par excellence: le théâtre dans le théâtre. On y raconte l’histoire de la mise en scène d’une pièce qui vient d’être bouleversée alors qu’une adolescente de 17 ans, admiratrice éperdue de l’actrice principale, se fait mortellement frapper par une voiture devant le théâtre. À partir de ce moment, l’actrice Myrtle Gordon, interprétée par Sylvie Drapeau, se trouvera hantée par cette mort,
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symbole morbide de la jeunesse et de ses promesses infinies. Cette jeune fille pétrifiée dans l’âge par sa mort rappellera cruellement à Myrtle son propre vieillissement, sujet qu’elle se trouve forcée d’aborder dans la pièce dans laquelle elle joue. Toute la pièce repose sur la performance de Drapeau, sur sa capacité à exécuter de façon convaincante la folie grandissante et l’hystérie paranoïaque, le tout avec un pathétisme qui ne tombe pas dans le ridicule. Le jeu est somme toute époustouflant et spectaculaire, alternant entre des poses de femme maîtresse de son art et sûre de son influence sur les autres, à des tortillements de gamine capricieuse et irascible, puis de véritables hurlements de damnés. Autour de Myrtle évolue tout un petit écosystème théâtral, cruellement dépendant de la performance de l’actrice sur scène. La distribution est sobre et efficace: Muriel Dutil interprète le rôle de l’auteure de la pièce dont il est question,
d’une façon qui bien que solide, semble effacée et sans vrai poids devant les enjeux plus violents de la pièce. Stéphane Jacques joue le rôle du metteur en scène prêt à tout pour obtenir les résultats lucratifs escomptés de son actrice. Agathe Lanctôt joue sa femme, également actrice, qui dans une scène émouvante habille Myrtle pour sa performance, en se reléguant docilement au deuxième plan devant le malheur dévorant et sublime de son ainée. Les autres acteurs dans le rôle d’acteurs sont Sacha Samar et Mani Soleymanlou, les deux n’étant d’aucune aide à la situation de Myrtle, l’un par son cynisme qui vire à l’exaspération, et l’autre par son admiration déplacée pour l’actrice qui ajoute une touche d’humour au tableau d’ensemble. JadeMăriuka Robitaille interprète quant à elle l’adolescente morte, dont le visage angélique et mutin contraste avec effets par les images de violence et de sexualité que Myrtle projette sur ce cadavre ambulant.
La sobriété des décors, de simples panneaux pivotants et quelques fauteuils, fait en sorte que l’on est incessamment rappelé au lieu qu’est la scène. L’univers du théâtre devient ici un univers cauchemardesque, son sol sombre inéluctable devenant peu à peu le réceptacle de toutes les hantises de l’actrice principale, mais aussi de celles de ses coéquipiers acteurs et régisseurs qui dépendent l’un de l’autre afin d’affronter tant bien que mal le monstre grondant qu’est le public. Malheureusement une finale trop rapide et une conclusion nébuleuse empêchent de se laisser totalement emporter par cet effet vertigineux de miroir que souhaite produire la mise en abyme. Quoi qu’il en soit, la production fait montre d’un talent assez exceptionnel pour entraîner le public d’un niveau à l’autre de son histoire. On en ressort fasciné par le travail d’acteur et certainement inquiété par ses démons.
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