Éditorial
rec@delitfrancais.comL’espace qu’on occupe
Gabrielle Genest Rédactrice en chefDès notre plus jeune âge, nous sommes con ditionné·e·s à avoir peur d’être gros·se. L’ubiquité de la grossophobie – cet ensem ble des attitudes et des comportements hostiles qui stigmatisent et discriminent les personnes grosses – semble indélogeable au sein de notre société obsédée par (et conçue pour) la minceur.
L’expérience quotidienne des personnes grosses dans l’espace public est profondément aliénante en raison d’un refus collectif de tenir compte de leur réalité. L’exemple par excellence de l’inadaptation sociétale aux corps gros est celui des sièges d’avion. Le voyage aérien est souvent une expérience agonisante pour les personnes grosses. Dans son livre What We Don’t Talk About When We Talk About Fat, l’activiste amér icaine anti-grossophobie Aubrey Gordon explique en détail l’irritation, le ressentiment, voire même la rage que peuvent exprimer les personnes minces lorsqu’elles sont confrontées à la présence d’un corps gros dans le siège d’avion voisin. Comme tant d’autres éléments de l’espace public (des cabines de toilettes publiques en passant par les bancs de classe extrêmement étroits de Strathcona 236), les places d’avion ne sont pas conçues pour les personnes grosses, qui se retrouvent souvent obligées de débourser des centaines de dollars pour un siège additionnel.
Ces dépenses supplémentaires sont une contrainte de plus pour la situation économique des personnes grosses, généralement plus précaire que celle des personnes minces, notamment en raison de la discrim ination en matière d’emploi à laquelle elles sont con frontées. En effet, les personnes grosses – surtout les femmes – ont moins de chances d’être engagées, sont moins bien payées, travaillent plus d’heures et sont considérées moins qualifiées que les personnes minces.
La discrimination qu’endurent les personnes grosses doit être considérée de manière intersectionnelle, puisqu’elle se conjugue à d’autres systèmes d’op pression. Par exemple, les personnes grosses qui dénoncent les violences sexuelles genrées qu’elles subissent sont régulièrement confrontées à de l’in crédulité ou à des commentaires selon lesquels elles auraient apprécié les avances de leur agresseur. Aussi récemment qu’en 2017, un juge de la Cour du Québec se permettait de commenter le poids d’une victime dans une affaire d’agression sexuelle et de conjecturer que l’agression était peut-être la première fois qu’un homme s’intéressait à elle. La validation de l’identité de genre des personnes trans est également assujettie aux aléas de la gros sophobie. En effet, malgré le fait que l’indice de masse corporelle (IMC) est un outil largement incomplet, arbitraire et même complètement inapplicable à certains groupes racisés, les per sonnes trans qui souhaitent obtenir une chirurgie de réassignation sexuelle doivent maintenir leur IMC sous un certain seuil – un obstacle souvent insurmontable et injustifié qui empêche ces per sonnes d’avoir accès à des soins de santé adéquats.
Malgré ces réalités, la discrimination sur la base du poids n’est pas inconstitutionnelle au Canada ni au Québec. En effet, le poids ne compte pas parmi les motifs de discrimination prohibés au sens de l’article 15 de la Charte des droits et libertés ni de l’article 10 de la Charte des droits et libertés de la personne. Au Québec, si une personne grosse sou haite contester la discrimination qu’elle subit, elle doit rattacher son traitement injuste et arbitraire à un motif de discrimination énuméré, comme son genre ou un handicap. Or, ces pistes alternatives ne peuvent englober l’ensemble des cas de discrimina tion fondée sur le poids, car cette dernière est vécue par des personnes de tous genres et de poids variés.
L’acceptabilité sociale de la grossophobie, nourrie par la désinformation et les préjugés, explique que la discrimination sur la base du poids ne soit générale ment pas prohibée au sens de la loi. Selon une étude de l’Université Harvard, les biais grossophobes explicites ont diminué plus lentement que les autres formes de biais explicites au cours des 10 dernières années, et, alors que toutes les autres formes de biais implicites ont régressé, les biais grossophobes implicites ont augmenté. Cette croissance des perceptions hostiles à l’égard des personnes grosses est largement tributaire de la croyance erronée que le poids est un élément de notre corps que nous pouvons tous·tes modeler, si nous y mettons suffisamment d’efforts. L’argument abonde alors dans le sens suivant : si, contrairement à l’orientation sexuelle ou à l’origine ethnocul turelle, le poids est un choix, pourquoi les personnes grosses auraient-elles droit aux mêmes protections que les membres d’autres groupes marginalisés?
Or, la recherche démontre que le poids ne peut être changé de façon durable au gré de nos envies ; il est réducteur de plaider que de manger moins et de boug er plus permettrait aux personnes grosses de devenir minces. En plus du rôle que jouent la génétique et les facteurs socio-économiques dans notre poids, l’échec à long terme quasi-systématique des diètes et régimes alimentaires réfute la théorie selon laquelle les personnes grosses maintiennent leur surpoids simplement parce qu’elles seraient paresseuses.
Et même si elles choisissent leur surpoids, en quoi la décision des personnes grosses de disposer de leur corps comme elles l’entendent nous donne-t-il le droit, en tant que société, de priver ces individus de leur droit à l’égalité? De leur droit à la dignité humaine?
La discrimination basée sur le poids est déjà prohibée à quelques endroits, dont en France et au Michigan. Au Québec, un changement législatif permettrait de rendre justice aux personnes victimes de traite ments différentiels négatifs en raison de leur poids. Il nous revient toutefois collectivement de lutter contre le conditionnement grossophobe qui nous a été inculqué afin de cesser de conjuguer la déshu manisation et le mépris quotidiens aux structures d’oppression que nous tentons de déconstruire. x
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Actualités
actualites@delitfrancais.comUn don pour la recherche en astrophysique
McGill reçoit 16 millions de dollars de la Fondation familiale Trottier.
Vallières ActualitésLe 21 novembre dernier, l’Uni versité McGill a annoncé un don de 16 millions de dollars à l’Institut spatial Trottier, auparavant appelé l’Institut spatial de McGill. La Fondation familiale Trottier a fait don d’un montant total de 26 millions de dollars, répartis entre l’Université McGill et l’Université de Montréal. Le
changement de nom de l’Institut a été annoncé en même temps que le don, en reconnaissance du soutien de la famille Trottier à la recherche en astrophysique à McGill.
Créé en 2015, l’Institut spatial Trottier est un centre de recherche interdisciplinaire qui rassemble des chercheur·se·s et des étudiant·e·s dans divers domaines comme l’as trophysique, les sciences planétaires et atmosphériques et l’astrobiologie.
«
Un grand honneur »
Victoria Kaspi, directrice de l’Institut Spatial Trottier et pro fesseure de physique à l’Université McGill, nous affirme : « C’est un grand honneur. C’est une recon naissance de tout notre travail. Ça témoigne d’une appréciation pour l’astronomie et l’astrophysique, mais aussi d’une compréhension qu’il faut des ressources pour mener ce type de recherche à un niveau global. » Selon la Pre Kaspi, le don permettra de financer la construction d’un nouvel édifice qui comprendra des bureaux pour les chercheur·se·s de l’Institut, prévue pour la fin de l’année 2024. Il permettra également de financer diverses ressources pour les étudiant·e·s et chercheur·se·s post-doctoraux·les de l’Institut et de les soutenir dans leurs projets de recherche.
Dans un discours prononcé lors de cet événement, Christopher Manfredi, principal intérimaire de
l’Université McGill, s’est montré tout aussi optimiste. « C’est un grand jour pour nos deux universités, mais aussi pour Montréal », a-t-il affirmé. « Grâce au support visionnaire de la Fondation familiale Trottier, l’Ins titut est en passe de devenir un chef de file mondial dans le domaine de la recherche sur l’espace », a-t-il ajouté.
Une bonne nouvelle pour les étudiant·e·s
Vishwangi Shah est étudiante à l’Institut spatial Trottier, où elle réalise sa maîtrise en physique sous la supervision de la Pre Victoria Kaspi. Elle accueille l’annonce de ce don avec beaucoup d’enthousiasme : « Je trouve que c’est incroyable! Cela
pourra donner l’opportunité à des étudiant·e·s de partout dans le monde de venir contribuer à la recherche fantastique qui se passe à l’Institut. [...] J’ai très hâte de voir les dévelop pements scientifiques que cela pourra apporter. » Elle souligne également que ce don aura un impact positif sur beaucoup d’étudiant·e·s aux cycles supérieurs en leur donnant l'op portunité d’obtenir du financement supplémentaire pour leur recherche. Selon l’étudiante, il est important de financer la recherche dans le do maine spatial, puisque cette dernière « apporte énormément de nouveaux développements technologiques [...] qui peuvent être utiles dans d’autres domaines, comme les communica tions ». « Mais surtout, nous sommes curieux de savoir ce qu’il y a dans l’espace. Qu’est-ce qui nous a créés?
D’où venons-nous? Où irons-nous?
Ce sont des questions que nous nous sommes toujours posées. Financer la recherche spatiale pourrait nous permettre d'assouvir cette curiosité », conclut-elle.X
À la recherche de la vie sur Mars
Entrevue avec Lyle Whyte, professeur et chercheur en microbiologie à McGill.
Professeur au Département de sciences des ressources naturelles de l’Université McGill et chercheur à l’Institut spatial Trottier de McGill, Lyle Whyte est spécialisé dans le do maine de la microbiologie. Il mène notamment des recherches dans l'Arctique canadien. Cet été, son équipe a publié un article sur une découverte qui pourrait aider à la recherche de la vie sur Mars.
Le Délit (LD) : Quelle définition pouvez-vous nous donner de l’as trobiologie ?
Lyle Whyte (LW) : C'est une branche des sciences plané taires. Elle devient particuliè rement utile lorsqu’on parle des rovers qui atterrissent sur Mars pour y chercher de la vie, ou des orbiteurs qui se rendent sur Jupiter. Prenons l’exemple de Mars : nous savons qu’il y a environ quatre milliards d'années, cette planète était plus chaude et plus humide qu’elle ne l’est maintenant, ce qui signifie qu’il y avait probablement de l'eau à sa surface. Nous savons qu’il a dû se passer quelque chose pour causer un échappement atmosphérique. À la suite de cet événement, Mars aurait commencé à devenir de plus en plus froide et sèche; et depuis environ deux milliards d'années, elle l’est complètement. Nous ne
connaissons pas de micro-orga nismes terrestres qui pourraient survivre sur la surface de la pla nète Mars, mais nous pouvons envisager des écosystèmes mi crobiens qui pourraient habiter sous sa surface, dans des endroits froids et salés où l’on pourrait trouver de l'eau liquide.
LD : Quel est le but de vos re cherches?
LW : La plupart de nos recherches sont effectuées à la Station de recherche arctique de McGill (MARS) qui se trouve sur l'île Axel Heiberg [au Nunavut, ndlr]. Nos recherches se concentrent sur des questions comme : « Quelles sont les limites de températures froides dans lesquelles peut survivre la vie microbienne sur cette pla nète? » ou « Quels sont les effets des micro-écosystèmes sur les émissions de gaz à effet de serre provenant du réchauffement ra pide de certains environnements, notamment le pergélisol ? ». La planète Mars et les lunes Europe et Encelade [lunes de Jupiter et de Saturne respectivement, ndlr] sont les principales cibles de la recherche de la vie extraterrestre dans notre système solaire, et sont également connues pour leurs en vironnements glaciaux. Ainsi, les microbes que nous trouvons dans l'Arctique canadien nous guident
dans la recherche de la vie dans ce type d’endroits.
LD : Grâce en partie à vos re cherches, pensez-vous qu’il serait un jour possible de trouver de la vie sur Mars?
LW : En tant que scientifique, je suis formé pour être neutre et ob jectif. Il y a environ quatre mois, nous [le groupe de recherche du Pr Lyle Whyte, ndlr] avons publié un article révélant une décou verte faite sur l'un de nos sites, une source saline très froide dans l’Arctique canadien, appelée Lost Hammer Spring. Elle contient de l’eau liquide extrêmement salée, et c’est un environnement anaéro bique, c’est-à-dire qui ne contient aucun oxygène. Lorsque nous avons effectué ces recherches, nous avons découvert quatre ou cinq groupes de micro-organismes qui, selon nous, pourraient exister sur Mars, vivant sur Terre dans cette source saline très froide et sans oxygène. Une découverte de plus pour répondre à cette ques tion, sans doute!
LD : De 2013 à 2018, vous avez participé à la mission ExoMars de l’Agence Spatiale Européenne, une mission qui a pour but de chercher des traces de vie sur Mars. Quel a été votre rôle au sein de ce projet international?
LW : J’ai notamment fait partie du groupe de travail sur la sé lection du site d'atterrissage du rover . Cette mission a réuni 25 scientifiques du monde entier. Nous devions évaluer les meil leures propositions pour l’atter rissage du rover sur Mars afin d’avoir la meilleure chance de trouver de la vie.
LD : À votre avis, pourrait-on bientôt voir un humain poser un pied sur Mars?
LW : Tout ce que je peux vous dire, c’est qu’avoir des êtres humains à la surface de Mars va grandement améliorer les re cherches scientifiques. Ce sera probablement votre génération
qui ira sur Mars, donc si vous en visagez d'y aller, il reste encore du temps pour candidater!
LD : Petite question cinéma pour finir : Seul sur Mars avec Matt Damon, ça vous paraît réaliste?
LW : Oui, c'est un film de très bonne qualité! Si vous comparez avec tous les films qui ont été faits pour recréer une mission vers Mars, c'est probablement le meilleur en termes d'exactitude. À l'exception du dénouement, bien sûr. Mais la partie du film qui a lieu à la surface de la pla nète me semble assez réaliste. x
Propos recueillis par Thibaud Colin
«
C’est un grand jour pour nos deux universités »
Christopher Manfredi
COP27: atténuation et réparations
Négociations concernant l’objectif climatique et les mécanismes de financement pour pertes et préjudices.
Alexia Leclerc Éditrice ActualitésLa Conférence des Nations unies sur les changements climatiques (COP27) s’est tenue du 6 au 18 novem bre 2022 à Charm el-Cheikh en Égypte. Cette conférence ras semble les pays signataires de la convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques qui a été établie lors du Sommet de la Terre à Rio en 1992. Elle est un lieu de discussions où les pays tentent de s’entendre sur les grands principes de la lutte contre les changements climatiques, ainsi que de créer des mécanismes et prendre des engagements con crets à cet effet, explique le Dr Sébastien Jodoin, professeur agrégé à la Faculté de droit de l’Université McGill et titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur les droits humains, la santé et l’environnement.
Principaux enjeux
Selon le Dr Jodoin, deux thèmes principaux sont ressor tis de cette COP : «Le premier thème consiste à déterminer comment être plus ambi tieux dans la lutte contre les changements climatiques, et le deuxième thème est le débat sur les dommages et pertes causés par les changements climatiques », résume-t-il.
Le premier thème s’inscrit dans l’objectif d’atténuation des changements climatiques, c’està-dire dans la réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES). Cet objectif avait déjà été établi lors de l’Accord de Paris en 2015. Il avait été déter miné durant ce dernier que les pays devraient prendre des mesures plus ambitieuses pour atteindre leurs cibles de réduc tion de production de GES, afin de limiter le réchauffe ment climatique planétaire à 1,5 °C par rapport aux niveaux préindustriels. Cependant, il n’y pas eu de nouvelle cible établie depuis la dernière COP à Glasgow en 2021.
Il a toutefois été question d’abandonner certaines sources d’énergie comme le charbon, le pétrole et le gaz naturel et même d’établir une date pour arrêter leur exploitation et leur production. À cet effet, Tuvalu, nation insulaire du Pacifique Sud, a appelé à adopter le Traité de non-prolifération des combustibles fossiles qui est soutenu par plus de 70 villes, 100 lauréat·e·s du prix Nobel, 3 000 scientifiques et 1 800 organisations de la société civile, le Vatican, l’Organisa
tion mondiale de la santé, la Nouvelle-Zélande et le TimorOriental. Le Parlement européen avait aussi voté une résolution appelant à la mise en place de ce traité en octobre dernier. Ce mécanisme international vise à mettre fin à toute nouvelle exploration et production de combustibles fossiles et à élimi ner progressivement la produc tion existante pour atteindre la cible climatique mondiale de 1,5 °C. Cependant, la COP27 s’est conclue sans engagments pour éliminer progressivement les combustibles fossiles.
matiques subis par les pays les plus pauvres. L’entente consiste entre autres à débloquer un fond « pertes et préjudices » pour les pays les plus touchés par les changements climatiques.
Le Canada
En ce qui concerne les engagements du Canada par rap port à l’atténuation des change ments climatiques, le gouver nement n’a pas révisé sa cible de réduction des émissions de GES en vue de la COP27. En effet, le cabinet du ministre de l’Envi ronnement et du Changement
« Le premier thème consiste à détermin er comment être plus ambitieux dans la lutte contre les changements clima tiques, et le deuxième thème est le débat sur les dommages et pertes causés par les changements climatiques » Dr Sébastien Jodoin
Le deuxième thème est celui des réparations, qui consiste à déterminer la mise en place d’un mécanisme de finance ment des pays industrialisés pour les pays en voie de dével oppement, afin de réparer les pertes et dommages causés par les changements climatiques. La question d’adopter ou non une telle mesure est un débat qui perdure depuis des décen nies, explique Dr Jodoin. Par exemple, la proposition selon laquelle les mécanismes de financement pour compenser les pertes des changements climatiques devraient être liés à des mesures de réduction de GES plus strictes est contro versée. La COP27 s’est conclue avec l’adoption d’une résolution sur la compensation des dégâts causés par les changements cli
climatique du Canada, Steven Guilbeault, a fait savoir que la cible de réduction des émis sions de gaz à effet de serre d’ici 2030, qui se situe entre 40 % et 45 %, rehaussée en avril 2021, restera la même. Pour le Dr Jodoin, ces cibles sont insuff isantes : « C’est décevant qu’il n’y ait pas plus ambition». En revanche, « ce qu’on voit aussi surtout au niveau du Canada, c’est que plusieurs fois, on s’est donné des cibles qui n’étaient pas réalistes et qu’on n’avait pas les plans pour les attein dre », ajoute-t-il. Donc, selon le Dr Jodoin, le Canada a opté pour des cibles plus modestes, mais qui sont soutenues par des plans plus réalisables que par le passé. « Évidemment, le mieux, ce serait des cibles ambi tieuses et des plans pour les
atteindre, et c’est possible », conclut-il. Greenpeace McGill partage également ce constat dans un commentaire transmis au Délit : « Pour une action réel lement bénéfique pour le monde, il est indispensable de débarass er le monde de sa dépendance aux combustibles fossiles ».
Dans le cadre de la COP27, le Canada, avec les États-Unis, s’est cependant engagé à élim iner 75% des émissions natio nales de méthane produites par les secteurs des combustibles fossiles comparé aux niveaux de 2005 d’ici 2030. Toutefois, le Canada a refusé de soutenir l’appel à la non-prolifération des combustibles fossiles. « Que le Canada ne veuille pas s’engager à ça, ça n’a aucun sens. Peut-être que ça reflète l’influence des lobbys du pétrole », affirme Dr Jodoin. Par ailleurs, la COP27 a vu une augmentation du nom bre de lobbyistes pétroliers présents, selon des chiffres compilés par l’ONG Global Witness. Le pavillon du Canada, une première pour le pays dans le cadre de la COP, a organisé à cet effet trois événements impliquant des représentants de l’industrie des énergies fossiles.
Plusieurs intervenant·e·s et organisations, dont Environmental Defence, Climate Action Network Canada et Indigenous Climate Action, ont demandé que le Canada annule les événements et ceux subséquents. Greenpeace McGill se dit par ailleurs insatisfait des engagements du Canada : « Le Canada s’est incliné devant les entreprises de combustibles fossiles malgré les tentatives de se présenter comme l’un des leaders de la transition verte. »
Une pièce du casse-tête
« Les COP rappellent chaque année que le changement cli
matique est un fardeau pour nous tous tes et que les respons abilités doivent être assumées par tous les pays dans une dynamique de coopération », rappelle Greenpeace McGill. Dr Jodoin rappelle également que la COP27 n’est qu’une partie des pistes de solutions. Étant donné que les décisions et les engagements pris par les pays lors de ces négociations ne sont pas contraignant, il faut rela tiviser son importance dans la lutte contre les changements climatiques. « La plus grande différence apportée par la COP, c’est que les pays comme la Chine et les États-Unis ont des plans climatiques beaucoup plus ambitieux qu’il y a 10 ans », explique Dr Jodoin. Il note que la plupart des décisions importantes se font au niveau des provinces, des capitales nationales, ainsi que des villes, qui peuvent mettre en place les transformations nécessaires.
Capacitisme environnemental
Dr Jodoin a d’ailleurs publié un rapport qui anal yse les politiques climatiques canadiennes, (on en compte environ 85 aux niveaux fédéral, provincial et municipal). Son équipe de recherche a démon tré que la très grande majorité de ces politiques n’incluent pas de mesures concrètes pour consulter les personnes en sit uation de handicap, ni ne pro posent de solutions en terme de réduction de GES ou de mesures pour assurer la résilience cli matique, c’est-à-dire la capacité des populations à s’adapter aux changements climatiques. Dr Jodoin explique qu’aujourd’hui, au Canada, les trois quart des personnes qui meurent d’événe ments climatiques extrêmes (comme les canicules), sont en situation de handicap. Cela démontre que ces personnes sont plus vulnérables aux changements climatiques. Ainsi, Dr Jodoin explique que le développement de solutions pour réduire les GES qui ne prennent pas en compte les besoins différenciés des per sonnes handicapées renforcent les barrières qu’elles vivent.
Pour Dr Jodoin, c’est la sec onde édition de la COP ou les organisations de personnes handicapées sont présentes en grand nombre, mais beaucoup de travail reste à faire pour que les négociations soient inclusives pour les personnes en situation de handicap et que les décisions intègrent réellement leurs besoins : « les mêmes défis qu’on retrouve au Canada, on les retrouvent aussi au niveau de la COP ». x
McGill accueille un nouveau princi-
H.
Hugo Vitrac ContributeurLLe 14 novembre dernier, le Conseil des gouverneurs a annoncé la nomination du Pr H. Deep Saini au titre de principal et vice-chancelier de McGill. Il succèdera à Christophe Manfredi, qui occupe le poste de principal par intérim depuis le départ de Suzanne Fortier en août dernier. Le Pr Saini entamera son mandat de cinq ans le 1er avril prochain.
La candidature du Pr Saini
Pr Saini a grandi en Inde, où il a complété une maîtrise en sciences à l’Université d’agriculture de Punjab. Il dispose d’une longue expérience en matière de gestion universitaire. Il a auparavant occupé le poste de président et vice-chancelier de l’Université Canberra en Australie et est actuellement président et vicechancelier de l’Université Dalhousie en Nouvelle-Écosse. Ayant vécu près de 20 ans à Montréal, il maîtrise le français et l’anglais et dispose d’une connaissance approfondie de la société québécoise dans laquelle McGill évolue, a souligné l’admi
Campus Béatrice Vallières Éditrice ActualitésDeep Saini prendra la relève de Suzanne Fortier.
nistration de l’Université McGill dans un communiqué de presse.
La candidature du Pr Saini a été approuvée à l’unanimité par le Conseil des gouverneurs, sur recommandation du comité consultatif formé en janvier der nier après l’annonce du départ de Suzanne Fortier. Ce comité était composé de 14 membres issus de la communauté étudiante, du corps professoral, du Conseil des gou verneurs, et de consultants privés de l’entreprise Perett Laver. Les critères de sélection ont été publiés en juillet dernier à la suite d’une consultation de la communauté étudiante. Ces derniers compre naient notamment la volonté d’ac croître le rayonnement de l’Uni versité, l’engagement en matière d’équité, de la diversité et de l’in clusion (EDI), et de réconciliation.
Les problèmes auxquels le futur principal sera confronté
Le Délit a contacté le Pr Richard Gold, professeur à la Faculté de droit de McGill et membre du comité consultatif. Il nous a exprimé son optimisme
vis-à-vis de la future gouvernance du Pr Saini et son espoir que ce dernier travaillera à restaurer la confiance au sein de l’Université. Dans un échange par courriel avec Le Délit, il a écrit : « Je vois beaucoup de promesse dans ce choix [ ...] Le Pr Saini est engagé en faveur de l’équité et de la diver sité et considère que l’Université s’appuie sur son passé, tout en cher chant à apporter des changements pour répondre aux besoins et aux possibilités du 21 siècle. » Il a aussi souligné que ce dernier « attache beaucoup d’importance à la trans parence [...] et est engagé en faveur de la réconciliation ». Toutefois, Pr Gold a pointé du doigt le pro blème du « manque de confiance régnant au sein de l’administra tion », que le future principal devra confronter selon lui « avec une plus grande ouverture et engage ment auprès des étudiants, ensei gnants, personnel et diplômés ».
Le Délit s’est aussi entretenu avec Kerry Yang, Vice-Président des Affaires universitaires de l’Asso ciation étudiante de l’Université McGill (AÉUM) et membre du comité consultatif. Il nous a fait
part de sa confiance vis-à-vis de la capacité du Pr Saini à relever les problèmes de l’Université : « Il devra montrer que l’administra tion est réellement réceptive aux commentaires des professeurs et des étudiants, et qu’elle souhaite s’améliorer en s’appuyant sur la communauté étudiante et le
corps professoral ». Le Pr Saini a selon lui les qualités pour répondre à ces problèmes : « C’est [...] quelqu’un qui a une vraie compréhension des enjeux d’EDI et des questions autochtones. Il semble également accessible et prêt à répondre aux préoc cupations des étudiants. »x
Des gazouillis qui sèment la zizanie
Désinvestissement McGill s’inspire de Twitter Blue pour une action militante.
Dans une série de gazouillis publiés le 15 novembre dernier sur Twitter, un compte avec le nom d’utilisateur de l’uni versité McGill a annoncé son « plan ambitieux de désinves tissement ». « McGill sera une institution sans énergie fossile à 75% d’ici 2075 », peut-on lire dans un des messages publiés. Le compte, appelé « @mcgil luni », est en réalité un coup de publicité du groupe activiste étudiant Désinvestissement McGill ( Divest McGill ), qui milite depuis 2012 pour que l’Université montréalaise retire ses investissements dans le secteur des énergies fossiles. Désinvestissement McGill emboîte ainsi le pas aux nom breux internautes qui se sont fait passer pour des célébrités ou des corporations dans la foulée du lancement de Twitter Blue par le nouveau propriétaire du réseau social, Elon Musk.
Chaos et désinformation
En octobre dernier, le mil liardaire sud-africain a acheté
Twitter pour la somme faramineuse de 44 mil liards de dollars amé ricains. « L’oiseau est libre », a-t-il tweeté le 27 octobre, en référence à sa promesse de « redon ner aux utilisateurs de la plateforme leur liberté d’expression ». Cherchant à augmenter les revenus du réseau social, Elon Musk a annoncé le 9 novembre der nier le lancment de Twitter Blue , un abonnement mensuel payant permettant aux utilisateur·rice·s du réseau social d’obtenir le convoité crochet bleu moyennant des frais de huit dollars par mois. À l’ori gine, le « crochet bleu » avait pour objectif d’indiquer qu’un un compte était « officiel », un statut qui ne pouvait être obtenu que suite à une vérification réa lisée par l’équipe de Twitter.
Marie Prince | Le Délit « Même si notre message se présente sous la forme d’une satire, nous le con sidérons comme une diffusion de la vé rité plutôt que de la désinformation »
appartenir à la compagnie pharmaceutique améri caine Eli Lilly publiait: « L’insuline est mainte nant gratuite », préci pitant la chute de près de 5% de ses actions et causant une perte estimée de 15 milliards de dollars américains à la compa gnie. Après trois jours de chaos sur la plateforme, Twitter a suspendu son programme d’abonnement.
fausses informations et incité à la violence dans le contexte de l’insurrection de janvier 2021.
Non, McGill ne désinvestit pas des énergies fossiles
Dès le lancement de Twitter Blue , certain·e·s internautes ont saisi cette opportunité pour usurper l’identité de person
Désinvestissement McGill
nalités célèbres ou de corpo rations, se faisant passer pour leurs comptes officiels grâce à leur crochet bleu acheté. Rapidement, des groupes acti vistes ont emboîté le pas. « Ce n’est pas parce que nous tuons la planète qu’elle ne va pas nous manquer », a publié un faux compte vérifié se faisant passer pour la compagnie pétrolière anglaise BP. Dans la même veine, un faux compte vérifié semblant
Le scénario de la semaine dernière vient renforcer certaines inquié tudes liées au rachat de Twitter par le propriétaire de Tesla et de SpaceX en ce qui a trait à l’augmentation de la circulation de la désinfor mation sur la plateforme, qui compte plus de 200 000 millions d’utilisateur·rice·s. Elon Musk, qui se présente comme « cham pion de la liberté d’expression », a par ailleurs révoqué la suspen sion permanente de l’ancien pré sident américain Donald Trump de la plateforme, d’où il avait été banni pour avoir répandu de
Contacté par courriel par Le Délit, Désinvestissement McGill nous a confirmé avoir été inspiré à créer le compte Twitter @mcgil luni en voyant cette vague d’acti visme satirique sur le réseau social. Le groupe activiste mcgillois décrit sa démarche comme l’utilisation de « l’humour pour exposer les motifs absurdes de raisonnement et de prise de décision de l’admi nistration de McGill en ce qui concerne les investissements dans les combustibles fossiles, la sup pression de l’activisme étudiant, la mesure des prix, la lutte contre les syndicats et plus encore ». Questionné quant au risque de répandre de la désinformation, Désinvestissement McGill nous a répondu : « Bien que cela puisse être un risque, les communications officielles de McGill diffusent de la désinformation depuis des années. [...] Même si notre message se présente sous la forme d’une satire, nous le considérons comme une diffusion de la vérité plutôt que de la désinformation. » x
«
Il devra montrer que l’administration est réellement réceptive aux commen taires des professeurs et des étudiants »Kerry Yang Marie Prince | Le délit
Quand le sport tacle la politique Société
renée rochefort ContributriceAvec le début de la Coupe du monde, le Qatar accueille les délégations interna tionales pour un mois de football captivant. Après une cérémonie d’ouverture avec Morgan Freeman et Jungkook du groupe de K-Pop BTS, l’atmosphère au stade semble avoir manqué le but. La 22e édition de la Coupe du monde de football est sans doute le spectacle sportif le plus attendu de l’année 2022. Cette édition aura lieu entre le 20 novembre et le 18 décembre. Cependant, l’attention mondiale ne se porte pas uniquement sur les matchs. En effet, les débats éthiques remplissent les journaux. Plus d’une dizaine de pays man ifestent leur opposition contre ce choix d’hôte controversé. Je vous invite donc à retrac er, avec moi, le chemin qui a mené à « Qatar 2022 ».
Un choix d’hôte controversé
Le Qatar n’est certainement pas une nation avec une grande histoire sportive. Au football, le pays est davantage reconnu pour ses tentatives de naturaliser des joueurs étrangers que pour la qual ité de son programme. Sa sélection comme hôte peut donc paraître surprenante. Pourtant, dans les dernières décennies, le pays s’est vu attribuer les droits d’hôte pour de nombreux événements sportifs tels que les Jeux asiatiques de 2006, le Championnat du monde masculin de handball de 2015 et les Championnats du monde de natation de 2024. Le Qatar avait notamment déposé sa candida ture pour les Jeux olympiques de 2020 (qui ont finalement eu lieu au Japon), pour le Championnat du monde d’athlétisme de 2019 et la Coupe du monde de football de 2022, deux grandes victoires pour le pays. En tentant de gag ner les droits d’accueillir ces événements, la nation cherche à acquérir ce qui s’appelle la « puis sance douce (soft power) », une stratégie politique où un pays cherche à accroître son prestige mondial avec la promotion de sa culture à travers des médiums comme le sport (en opposition à la puissance forte, hard power, qui repose sur une dominance par la force économique ou poli tique) afin de pouvoir exercer une influence sur d’autres nations.
Les problèmes de cette Coupe du monde remontent aux circon stances dans lesquelles le choix du Qatar comme hôte a eu lieu. En effet, lorsqu’on accueille le plus
societe@delitfrancais.comgrand spectacle sportif au monde, il faut passer par des enquêtes d’éthique. Des investigations ont rapporté que des pots-devin ont été versés en échange de votes avant le scrutin en 2010. La semaine dernière, Sepp Blatter, l’ex-président de la FIFA (Fédération internationale de foot ball association), a même dénoncé le choix du Qatar comme hôte. Dans sa critique, Blatter men
d’hôte deviennent une march andise vendue aux enchères au lieu d’une évaluation holistique de chaque candidature soumise.
Les nombreuses vio lations du Qatar
Ce Mondial est aussi critiqué pour les violations des droits humains des ouvriers qui con struisent les infrastructures. Les chantiers qataris auraient pris la vie d’environ 6 500 ouvriers entre 2011 et 2021 selon une enquête menée par The Guardian. De plus, Amnestie Internationale recense de nombreuses violations des droits des travailleurs au Qatar. Toute cette mauvaise public ité décrédibilise le sport et va à l’encontre de ses valeurs.
antique. Il me semble donc étrange que la FIFA veuille encourager la séparation du sport et de la politique. Si la FIFA maintient sa position sur la politique dans le sport, la fédération ne devrait pas être surprise des critiques qui viennent avec ses choix.
Les fédérations nationales sentent la transgression de leurs valeurs et dénoncent le Qatar pour ses violations des droits humains. Le choix du Qatar divise les amateurs de football. Les fans LGBTQ+ se retrouvent en position difficile puisque la posture du Qatar visà-vis de leur sexualité crée une atmosphère inhospitalière. Le sport joue souvent un rôle unifi cateur, et pourtant les tourments éthiques nuisent terriblement à l’accomplissement de ce rôle.
monde. Nous avons donc une pause forcée de ces ligues. Ces dernières n’étaient pas satisfait es de ce changement d’horaire. Cette édition représente aussi la dernière opportunité de gloire pour de nombreux talents générationnels - Messi, Ronaldo, Lewandowski, Suárez, Modrićqui approchent de la quarantaine. Est-ce l’heure pour l’un d’entre eux de lever le trophée? Pour Messi ou Ronaldo, une victoire pourrait régler le débat entre les deux joueurs pour le titre du meilleur joueur de tous les temps. La victoire d’une de ces figures légendaires pourrait ser vir de fin théâtrale pour clôturer une carrière exceptionnelle. Les intrigues pour ce Mondial sont nombreuses, en partic ulier pour le Canada qui joue sa première Coupe du monde depuis 1986. La blessure récen te d’Alphonso Davies inquiète beaucoup malgré sa disponibil ité pour le premier match du Canada contre la Belgique le 23 novembre dernier.
Dernières réflexions
tionne que le pays est trop petit et que l’ancien président français Nicolas Sarkozy lui a indiqué sa forte préférence pour la candida ture du Qatar. Il questionne s’il existe un conflit éthique puisque le nouveau président de la fédération, Gianni Infantino, réside au Qatar. La corruption remplit l’historique de la FIFA. L’affaire Fifagate en 2015 avait secoué le monde spor tif. Le choix du Qatar contribue à la suite d’une série de choix douteux de la FIFA. On observe l’influence indéniable de son caractère avare sur sa décision. C’est avec une grande tristesse que je constate la dégradation du processus du choix d’hôte pour les événements sportifs. Les droits
Toutefois, le Qatar reste inflex ible face aux critiques et refuse de s’adapter. Il affirme qu’il ne changera pas ses coutumes pour la Coupe du monde. L’homosexualité dans la nation est criminelle et punie par des amendes, la prison ou la mort. La nation invite les participants et leurs fans à tolérer leur intolérance et attire donc des plaintes de nombreuses fédéra tions nationales de football.
La FIFA vient de publier une lettre demandant aux équipes d’éviter les messages politiques pendant le tournoi. Le message est simple : taisez-vous et dribblez. Cependant, il faut se demander si nous devons accepter les positions d’un autre pays même si celles-ci enfreig nent nos valeurs personnelles. L’histoire du sport et de la poli tique remonte au début des Jeux olympiques à l’époque de la Grèce
Des questions portant sur le football lui-même
Finalement, alors que le Mondial se déroule normale ment en été, cette édition a lieu en novembre sur une durée rac courcie de 29 jours à cause de la chaleur. Les températures au Qatar dépassent les quarante degrés en été, mais seront encore dans la haute vingtaine en novem bre. Les saisons des ligues profes sionnelles - la Série A, la Premier League, la Liga MX - se déroulent aussi au mois de novembre, et s’alignent avec la Coupe du
Ainsi, nous voyons comment les préparatifs pour le tournoi au Qatar sont inondés de vio lations des droits humains et d’un scandale de corruption. Sur le plan sportif, cette Coupe du monde représente le crépuscule d’une génération glorieuse de footballeurs. Ce sera peut-être l’occasion de voir la révélation du futur du sport. Pourtant, il est difficile de s’immerger dans l’al lure magique du football quand un nuage de controverse flotte au-dessus du stade. La critique du Qatar n’est pas orientaliste, elle s’attaque aux violations des droits humains et au manque de passion des Qataris pour le foot ball. Avec tant de discussions sur des sujets qui ne sont pas en lien avec le football, l’héritage de cette Coupe du monde 2022 sera-t-il autre chose que le football? Nous aurons la réponse dans quelques années, mais je soupçonne qu’elle sera davantage en lien avec la situation au Qatar qu’avec le football lui-même (à moins que le Mondial soit sensationnel). De mon côté, j’espère que la FIFA apprendra de cette édition et approchera ses prochaines décisions d’hôte avec plus de transparence. Les droits d’hôte devraient aller à une nation pas sionnée par le sport. J’espère que le tournoi sera tout de même plein de moments mémorables.
En septembre dernier , le centre d’aide Interligne a annoncé qu’il ne serait plus en mesure de procurer ses services d’écoute et d’inter vention nocturnes en raison de manque de financement. L’organisme, qui se dit « chef de file en matière d’aide et de renseignements à l’intention des personnes de la diversi té sexuelle et la pluralité des genres », était une ressou rce indispensable pour plus d’une dizaine de milliers de Québécois·es. La ligne télépho nique offrait une écoute qui pouvait sinon comprendre, du moins entendre, les confidenc es d’un groupe social dont les difficultés ne sont pas toujours accueillies à bras ouverts. Pour la communauté 2SLGBTQIA+, la coupure des lignes nocturnes d’Interligne représente la fin d’un lieu qu’iels pouvaient rejoindre à tout moment, la
Les espaces résonnants
L’importance et la différence des espaces sûrs.
diennes comme l’Université de Toronto et l’Université Queen’s, a pris l’initiative d’accommoder des espaces physiques désignés « sûrs » à divers endroits sur son campus. Le terme a également pris de l’ampleur pour décrire : « des rassemblements inoffen sifs de personnes partageant les mêmes idées qui acceptent de s’abstenir de toute moquerie ou critique afin que chacun puisse se détendre suffisamment pour explorer les nuances [d’un sujet, ndlr] », selon la journaliste Judith Shulevitz du New-York Times. Ainsi, une rencontre de personnes souhaitant parler de leurs problèmes avec l’alcool, à l’abri de préjugés péjoratifs asso ciés à l’alcoolisme, constituerait un autre type d’espace sûr.
D’autres parlent de créer des universités qui seraient entière ment des espaces sûrs. En effet, Frederick M. Hess et Brendan Bell, deux chercheurs spécial isés en éducation, proposent la création d’une université ayant
« L’adaptation du terme “espace sûr” et son appropriation par d’autres groupes entraîne des défis et des questionnements »
fin d’un endroit où iels avaient la liberté de se sentir à l’aise avec leur identité et de partag er leur expérience, la fin d’un instant à l’abri des jugements et des regards dédaigneux ; c’est la fin d’un espace sûr.
Les 35 000 appelants d’Interligne témoignent de l’importance des espaces sûrs. Cette importance est appuyée par la présence d’un grand nombre d’autres services d’écoute comme The McGill Nightline et Tel-Aide qui s’offrent à n’importe qui. Les espaces sûrs permettent à toute personne, indépendamment de son identité, de trouver un endroit où elle se sent à l’aise.
L’évolution d’un terme
Le terme « espace sûr » (safe space) est né et a grandi avec la lutte pour l’acceptation et l’émancipation de la commu nauté 2SLGBTQIA+ au cours des années 1970. D’abord utilisé pour désigner des endroits où les couples homosexuels pouvaient se rassembler pour prendre un verre, se tenir la main, danser et s’embrasser, les espaces sûrs étaient des lieux de refuge qui leur permettaient d’exprimer et de vivre leur identité sans crainte de représailles des préjugés soci aux et politiques de l’époque. De nos jours, le terme a évolué et est repris par différents groupes, idéologies et institutions. Par exemple, l’Université McGill, aux côtés d’autres universités cana
un penchant pour la droite con servatrice, un espace sûr au sein duquel des conservateurs pourraient « approfondir des questions et des sujets qui ne correspondent pas à l’orthodoxie progressiste ». « Nous avons besoin d’un incubateur où les jeunes intel lectuels prometteurs pourraient poursuivre leurs recherches sans être contraints de se conformer à l’idéologie dominante », expli quent-ils au New York Magazine. La notion, née dans le contexte de l’émancipation des droits de la communauté homosexuelle, est donc appropriée par ceux qui historiquement se sont opposés à cette émancipation. Cette appro priation illustre bien le besoin de tels endroits pour toute per sonne peu importe son identité ou ses opinions politiques.
« La technologie est devenue à la fois un remède aux crimes les plus insidieux contre l’humanité et un moy en de les perpétrer »
Ronald Niezen, professeur d’anthro pologie à McGill.
Un nouvel espace
La révolution Internet n’aura pas été sans impact sur les espaces sûrs. La cyberintimidation était déjà ubique alors même que les plateformes digitales n’avaient pas encore tous les outils pour modérer le contenu partagé. Les trolls lacéraient leurs dissidents, ne ménageant pas leurs propos et se cachant derrière un avatar ano nyme pour infliger du tort depuis leurs claviers. Alors se sont créés des espaces à l’abri de ces trolls ; des blogues et des forums modérés où des utilisateurs se retrouvaient pour parler de leurs intérêts. Des communautés pour tous types de passionnés se sont ainsi formées : des amateurs de musique coréenne jusqu’aux compétitions de gifles, en passant par les obsédés du des sin animé pour enfant Ma Petite Pouliche (My Little Pony). Les forums et les réseaux sociaux ont permis à des individus de rejoin dre d’autres utilisateurs pour discuter de sujets pour lesquels ils ne se sentaient pas confortables de parler avec leur environnement immédiat. Pour certains, ces com munautés servaient même de ref uge, un espace sûr au sein duquel ils pouvaient être à l’aise, comme en témoigne un rapport publié par TheGovLab : « Les groupes en ligne sont des organisations contempo raines importantes qui peuvent générer un impact et procurer à leurs membres un fort sentiment de communauté et d’appartenance.»
À priori, les espaces sûrs d’In ternet ne semblent pas soulever d’importants enjeux éthiques. Tandis que certains les critiquent par peur qu’ils enfreignent leur liberté d’expression, il est import ant de se rappeler que ces espaces sont des refuges, des endroits écartés où des individus peuvent s’isoler d’un discours et d’idées qui pourraient être énoncés dans un autre environnement. Pourtant, l’adaptation du terme « espace sûr » et son appropriation par
d’autres groupes entraîne des défis et des questionnements.
La chambre d’écho
Prenons l’exemple d’une personne convaincue que la terre est plate. Intimidée et dénigrée par ses contem porains, elle cherche refuge dans les recoins de la Toile et se trouve hébergée dans une communauté d’autres sceptiques et amateurs de théories du complot. Sur ces plateformes, cette personne a l’opportunité de converser avec d’autres qui compren nent ses rationalisations et qui sympathisent avec ce qu’elle ressent lorsqu’elle est moquée pour ses croyances. Pourrait-on dire que cette communauté est un « espace sûr »? Si on se permet de considérer que cette croyance est fondamentale pour la personne, au point d’être inséparable de son identité, cet environnement n’at-il pas tous les traits que nous accordons lorsque nous voulons définir un espace sûr? Dans un hypothétique pas trop éloigné de la réalité comme celui-ci, il devient apparent que les espaces sûrs peu vent avoir des conséquences nuis ibles sur le développement d’une personne, et, par extension, sur la société. Pourtant, une commu nauté comme celle des platistes est plus souvent caractérisée comme étant une « chambre d’écho » qu’un espace sûr. Quelle différence faire entre ces deux termes?
selon la personne recluse. L’image d’une personne vivant dans le soussol de ses parents pour arpenter les recoins les plus sombres de la Toile vient facilement à l’esprit. La deuxième circonstance est la conséquence de la progression des
« Pourtant, une commu nauté comme celle des platistes est plus souvent caractérisée comme étant une “chambre d’écho” qu’un espace sûr »
valeurs sociales. L’espace sûr gran dit, il prend de l’envergure pour se confondre avec l’espace public. Nous pouvons prendre comme exemple les premiers espaces sûrs. Alors que dans les années 1960 les couples homosexuels devaient se rassembler dans des lieux souterrains afin d’éviter le harcèlement, ces couples peuvent maintenant vivre leur sexualité dans un espace public avec très peu de crainte au Canada (selon PEW, 85% des Canadiens pensaient que l’homosexualité devrait être acceptée par la société en 2019).
Je propose que la chambre d’écho n’est qu’une extension d’un espace sûr. Si l’espace sûr est un endroit dans lequel on se réfugie pour s’ex primer sans peur de jugements et de réprimandes, cet espace devient une chambre d’écho dans deux circonstances. La première est le résultat d’une volonté individuelle : l’isolement volontaire permet de ne s’exposer qu’à des environnements qui sont considérés comme sûrs
Cette deuxième circonstance impli que que l’espace public peut être une chambre d’écho, et quoiqu’il ne l’est pas pour un bon nombre de sujets, il l’est pour certains. Par exemple, la société québécoise du 21e siècle est une chambre d’écho en ce a trait au règlement de comptes par un duel au pistolet. Le terme « chambre d’écho » mérite sa connotation négative parce qu’il est souvent associé aux com plotistes et à leurs propos extrêmes, mais une société qui fait écho au respect de la loi ne saurait se valoir la même connotation. x
Que faire? Telle était la ques tion qu’un révolutionnaire russe posait il y a déjà 120 ans. Transposons-la, aujourd’hui, à l’espace québécois afin de voir si une seconde révolution se dessine ici tranquillement. Un Oui plus grand que celui qui s’est passé à McGill dernièrement se dessine-til au Québec?
La réponse est loin d’être évidente, mais tentons une brève — très brève — analyse du temps long en poli tique québécoise.
Retournons rapidement en 2014 pour parler de la chute du Parti québécois. Le poing en l’air de Péladeau à la figure de Marois. En un mot comme en dix, le PQ de Marois a erré ; il a laissé Philippe Couillard du Parti libéral du Québec définir sa cause pre mière à sa place : celle de l’indé pendance du Québec.
Une dernière fois, François Legault a décidé de s’obstiner. Et le temps lui a donné raison. Il s’est fait élire majoritaire en 2018.
Aujourd’hui, le premier ministre François Legault est franche ment bien installé à l’Assemblée nationale du Québec depuis la dernière élection générale de la
Que faire?
Réflexions d’un souverainiste.
province. Si bien installé qu’on lui reproche l’arrogance et le manque d’humilité. Soit.
Mais ces critiques me perdent lorsqu’on s’amuse à comparer François Legault à Maurice Duplessis pour son invocation de la clause nonobstant, entière ment constitutionnelle d’ailleurs, et qu’on lui reproche d’avoir un agenda caché pour la souveraine té. Ce serait manquer de sérieux à mon avis. Nommons un chat un chat : la Coalition avenir Québec n’est pas le parti qui réalisera l’in dépendance du Québec.
La CAQ est une coalition d’an ciens péquistes et libéraux qui se sont rendus compte que leurs chimères identitaires post-1995 ne servaient plus le Québec. Il aura fallu trois élections à l’an cien ministre péquiste pour ga gner son pari. Peut-être François Legault était-il fâché en 2014, mais il est resté, et force est de constater que le temps lui a donné raison. Son ancien parti est tombé à son avantage en 2018.
Si bien que l’institution li bérale a perdu des plumes, d’importantes même. La valse impossible à laquelle s’est livrée Dominique Anglade a fini par la faire trébucher.
En ce sens, l’élection générale de 2022 était impertinente, elle nous confirme ce que nous savions déjà : sans l’appui manifeste des anglo phones, les libéraux provinciaux ne feront rien de pertinent.
D’autant plus lorsqu’une force politique portée par le mouvement nationaliste de gauche de Québec solidaire souffle sur le Québec.
Rajoutons que Collin Standish et son Parti canadien du Québec ont aboyé, en campagne électorale, un arrogant « Take Back Quebec » qui n’est pas sans rappeler l’Equality Party de Robert Libman. En vain.
Au moins, ce dernier était un homme digne qui a tenu tête au PLQ de Bourassa et qui a remporté son pari en faisant élire quatre sièges en 1989. On peut toujours dire qu’il aura été opportuniste, mais il aura néanmoins eu raison de Bourassa.
Prochainement, les mauvaises langues s’amuseront à nous faire la grimace des trois sièges péquistes. Nous le savons. Jouons le jeu.
Les quatre prochaines années seront névralgiques pour la cause du pays du Québec. Sachons, à notre tour, être à la hauteur des opportunités qui se présenteront.
LAURA TOBON | le délit
Surtout, ne sous-estimons pas l’élection de Paul Saint-Pierre Plamondon, un ancien de McGill soit dit en passant, dans CamilleLaurin. Montréal a besoin du Parti québécois. L’Assemblée nationale du Québec et le français ont besoin du Parti québécois.
J’étudie à McGill depuis moins d’un trimestre, et depuis, mes convictions souverainistes se sont renforcées. Il est parfois lourd de ne pas se faire répondre un simple « bonjour », « merci » ou « s’il vous plaît » à Montréal.
L’histoire ne se répète jamais, mais il arrive parfois qu’elle
bégaye. La prochaine fois (et peut-être la dernière) semble se profiler dans un horizon encore brumeux, mais certain.
La dernière volonté des souverai nistes est désormais à conserver ; il ne faudra ni la presser, ni l’aban donner. On connaît le dicton : avant l’heure ce n’est pas l’heure, après l’heure ce n’est plus l’heure. Il ne nous reste plus qu’à être d’une obstinée patience. Cette démarche est, à mon sens, celle que nous devons suivre. Ne lâ chons rien. x
XAVIER LÉVESQUE Contributeur
Résultat du référendum d’existence de la Société des publications du Daily
La SPD, The McGill Daily et Le Délit se réjouissent du résultat de ce référendum d’existence, tenu auprès de la communauté étudiante au baccalauréat. Avec 67,7% d’appui, nous sommes honoré·e·s de pouvoir continuer à servir les intérêts de la population étudiante.
Nous souhaitons vous remercier de ce soutien clair aux médias étudiants indépendants et à la création d’une vie étudiante plus vibrante. Les conseils éditoriaux du McGill Daily et du Délit souhaitent également souligner le travail incroyable des éditeurs et éditrices ainsi que des contributeurs et contributrices, sans qui la couverture des enjeux étudiants ne serait pas possible. Soyez assuré·e·s que nous continuerons de fournir autant d’efforts pour les cinq prochaines années!
Au cours des derniers jours, plusieurs nous ont demandé si les cycles supérieurs pouvaient aussi participer au vote. La réponse est oui, à l’hiver 2023, sous le référendum général de PGSS. Vous aurez alors l’occasion de vous prononcer sur notre existence.
Nous tenons finalement à vous inviter à contribuer à nos journaux. En tant que membres, vous pouvez nous soumettre vos propositions et sujets d’articles ou bien nous envoyer des créations artistiques originales. Nous sommes une plateforme d’expression pour tous et toutes ; venez faire entendre votre voix!
Longue vie au Daily ! Longue vie au Délit !
En solidarité,
NATACHA PAPIEAU
Présidente du Conseil d’administration de la Société des publications du Daily
GABRIELLE GENESTRédactrice en chef, Le Délit
ANNA ZAVELSKYCoordinating Editor, The McGill Daily
vie nocturne
Attention : DANGER Agathe Nolla ContributriceCe soir, j’ai rendez-vous sur Sainte-Catherine, à huit heures. Je m’y rendrai pour huit heures et demie. Je ne vou drais pas être la première arrivée. Je ne connais aucun des hôtes. J’habite sur l’avenue du MontRoyal Est. Ça me prend presque trente-cinq minutes pour m’y rendre, plus dix pour compter mon arrêt à la SAQ, et cinq autres en réserve. Je pars à 19h20. Je longe Saint-Laurent, puis Sherbrooke, puis Sainte-Catherine. Le soleil est déjà couché depuis deux heures, mais les rues sont bien éveillées. Scrupuleusement, je mate les piétons du regard et j’imagine leur soirée. Un groupe de jeunes étudiantes universitaires qui res semblent à des Américaines d’une sororité. Elles gloussent, s’excla ment, s’arrêtent pour prendre des selfies de groupe. Elles vont sûre ment rejoindre une amie qui les héberge avant qu’il soit l’heure de se rendre en boîte. Sur Sherbrooke, un binoclard dans la trentaine qui racle le trottoir de ses yeux. Son menton enfoncé dans sa gorge, je me dis que malgré ses corrections, il peine à voir le monde qui l’en toure. Il rentre sûrement d’une longue journée de travail durant laquelle il a été malmené par son patron. Sur Sainte-Catherine, une bande d’hommes quinquagénaires qui fument à l’entrée d’un bar. Mon regard croise celui d’un des hommes. Il me sourit, en levant son sourcil gauche. Nos joues rougissent simultanément : les miennes sont peintes d’angoisse, et les siennes réagissent peut-être au froid. Peut-être sont-elles em preintes de fierté voire même de sadisme provoqué par l’idée d’avoir intimidé une jeune fille seule dans la rue. Suis-je une plaisanterie ou une proie? Il est 20 h10 et pour l’instant, je me sens protégée par les piétons spectateurs. Si je crie, ils sauront m’aider. Si je crie, je serai sauve.
Je suis la deuxième arrivée dans l’appartement. Je rencontre l’hôte et l’hôtesse, puis le premier invité, ma connaissance. Suite à de brèves présentations, je retire mon man teau et mes bottes d’hiver pendant que mon ami me sort une bière réfrigérée. Les six yeux se rivent sur mon accoutrement : un jean sale et large tenu par un lacet brun au lieu d’une ceinture et un pull à capuche vert kaki imprimé d’une enseigne de basket-ball qui m’est absolument inconnue. Pour briser le silence, l’hôtesse me demande si j’aime le basket. « Je l’ai eu à la fri perie ». Ma réponse est suivie d’un hochement de tête compréhensif qui semble vouloir dire « ah
vienocturne@delitfrancais.comLa marche est genrée
OK », comme si cette informa tion expliquait la raison de mon style déplacé.
L’ambiance est quelque peu dé sagréable. Alors, je descends dis crètement une bière. Puis, mon ami m’en ouvre une autre pour m’encourager à me détendre da vantage, preuve de compassion et d’amitié. Je lui renvoie un sourire reconnaissant, mais la conversa tion démarre difficilement. Je me rends aux toilettes avec mon sac. Rapidement, je me change dans la tenue de soirée : une élégante robe bleu marine qui couvre l’entièreté de mes jambes au profit de mon dos et de ma poitrine. En pénétrant le salon, j’ai de nouveau droit à une observation minutieuse de mes habits. « Ça aussi, tu l’as acheté à la friperie, » me demande mon ami, critique de mon subterfuge. Avec cette robe et mon maquillage, je trouve le juste équilibre entre la sensualité et l’élégance. Je ne suis ni pute ni prude.
La porte d’entrée s’ouvre et se referme pour laisser remplir la salle de ses invités. Les femmes hétérosexuelles complimentent ma robe et me demandent où elles peuvent s’en procurer une, alors que les hommes hétérosexuels me complimentent. Ils m’offrent des qualités banales. Je leur semble intéressante, drôle, aimable, bonne compagnie. Et tout cela suite à quelques échanges de répliques vides. Parfois je reçois des com pliments au détriment des autres invitées présentes. D’après ces hommes, hypnotisés par mon corps, je suis plus intelligente et plus cultivée que les autres femmes de la soirée. Cela doit se savoir rien qu’en regardant mon décolleté. De nombreuses fois, les étudiants se proposent de m’offrir un verre. Je nourris leur fantaisie. Ils se croient protagonistes d’un film hollywoo dien, cherchant à m’impressionner avec du flirt plagié. Évidemment, je ne refuse pas. Cela m’épargne le trajet aller et retour, entre le balcon et la cuisine, pour aller me cher cher une Belle Gueule. Pendant la soirée, j’ai évidemment le droit à des cigarettes gratuites.
Au fur et à mesure que l’alcool en vahit l’atmosphère, les filtres so ciaux des gentlemen de mon entou rage s’effritent, laissant passer des gestes opportuns et des remarques hautaines. Des mains d’hommes s’agrippent à mes hanches, d’autres réchauffent mon dos dénudé. On me dit que je suis magnifique, splendide, hypnotisante, sexy, érotique, grossière, chaudasse. Les propos et les regards s’inten
sifient. Après la galanterie vient la dominance. Un invité passe son propos autour de mon cou de telle sorte à ce que sa main caresse in nocemment mon sein. Je me tais. Puis, il la pose franchement sur ma poitrine, et je m’excuse pour aller aux toilettes. Je ne retourne pas sur le balcon, en tout cas pas à côté de lui. Je sais que rien de plus grave ne peut arriver. Il est encore 23h40. Mes alliés sont prêts à me défendre. Je sais qu’il y a dans la salle des hommes et des femmes bienveillants. Je ne devrais pas avoir peur. Après une bière, je retourne dans le harem d’homme pour fumer de nouveau. Je note que l’ambiance est moins aisée, car lorsque je demande une cigarette, seuls trois des cinq volontaires habituels me tendent leur paquet. J’allume ma cigarette et j’inter romps leur conversation. « Vous habitez loin d’ici ». C’est une ruse simple, les laissant croire qu’un d’entre eux me ramènera ce soir. Leurs réponses m’importent peu. Tout ce que je sais, c’est que je suis introduite dans le groupe en tant que juge suprême qui désignera librement celui qui sera le plus mé ritant de mon corps. De nouveau, je suis au centre de la conversation et je m’y plais.
Peut-être que j’ai déjà ignoré un acte d’agression ou de harcèlement par mégarde ou par peur. Si c'était le cas, la honte s’est chargée d’effacer toute trace de cet anti-héroïsme.
Je pense à cette réplique dans la série Fleabag. La protagoniste an nonce honteusement : « Je pense que je ne serais pas si une grande fé ministe si j’avais de plus gros seins. » Alors, je me dis la même chose, je pense que si j’étais moins belle ou moins sensuelle, j’aurais plus de raisons d’être une féministe.
Il est 2h25. Un valeureux candidat est déjà rentré. Je m’apprête à jouer mon meilleur tour : l’évasion. Je prétexte un appel important et quitte le balcon. Avant de sortir de l’appartement, je dérobe une der nière bière en guise de compagnon de route, mes chaussures, mon manteau et mon sac. Dans l’ascen seur, j’ouvre précipitamment mon sac pour sortir mon déguisement. J’enfile mon vieux jean et mon pull, en plus de mon manteau d’hiver. Je suis intégralement couverte. Il est tard à Montréal et pour rentrer chez moi, je me déguise en homme. Sur Sainte-Catherine, j’aperçois deux femmes abordées par un groupe de trois hommes. Je m’ar rête et observe discrètement la scène. J’attends pour voir si mon aide est nécessaire. Les hommes fi nissent par continuer leur chemin. Je n’ai jamais eu à intervenir dans des situations similaires. Ou du moins, je ne suis jamais intervenue.
Si je faisais partie des « moches, des vieilles, des camionneuses, des frigides, des mal baisées, des imbaisables, des hystériques, des tarées, de toutes les exclues du grand marché à la bonne meuf » de Virginie Despentes, je riposterais sûrement plus souvent contre les remarques déplacées et sexistes des hommes qui me séduisent. Moi je profite de ma beauté et ma sen sualité, et puis, pour ne pas subir le revers de la médaille, je me cache. Il est presque 3h. Je suis sur SaintLaurent, à quelques centaines de mètres de mon appartement. Il m’est devenu difficile de repé rer des femmes alliées en cas de danger. D’abord, je lève rarement mon regard pour observer. J’ai peur de croiser accidentellement le regard d’un autre homme, qu’il me sourie, et que nos joues rou gissent. Mais là, si je crie, je ne suis plus sûre d’être sauvée. Et aussi, il n’y a plus de femmes. Les rues sont contrôlées par des hommes, des meutes d’hommes ivres. À présent, j’ai peur, et rien ne peut me rassurer. Alors, j’accélère la cadence, mais pas trop, afin de ne pas me faire repérer. Je deviens légèrement paranoïaque. Je me souviens d’un conseil d’une fémi niste, d’une des féministes moches qui subit sa condition de femme au lieu d'en jouer avec comme moi. Elle m'a dit qu’il fallait que les femmes apprennent à se battre, qu’elles aient des techniques de lutte, qu’elles fassent peur aux hommes, pour leur montrer que les femmes aussi pouvaient être violentes. Elle faisait des arts martiaux. Moi j’ai toujours refusé de me muscler les bras. J’avais peur de perdre mes formes fémi nines. Pour me défendre, je me souviens que j’ai une bouteille de verre dans ma poche, et puis que j’ai toujours mes jambes. Dans ma poche, je m’agrippe désespérément au manche de la bouteille. Et je marche, vite.
J’enfonce les clés dans la serrure. Je cours dans les escaliers. Je suis chez moi. x
« Ils se croient protagonistes d’un film hollywoodien, cherchant à m’im pressionner avec du flirt plagié »
La rue : un espace où les hommes prennent trop de place.ALEXANDRE GONTIER | LE DÉlit Louis Ponchon Éditeur Culture
C’est l’un des rares points de vue de Montréal qui puisse rivaliser sur le plan de « l’image clichée » avec le panorama de la ville depuis le belvédère du Mont-Royal. Il s’agit de la murale intitulée Tower of Songs , un portrait géant du chanteur Leonard Cohen réalisé par les artistes El Mac et Gene Pendon (avec l’organisme MU) en 2017 sur l’ancien bâti
En grand et en beau!
Comment la murale a conquis Montréal.
car, sous le couvert de démoc ratiser l’art, la prolifération des murales sert un projet urban istique et touristique précis.
Un peu d’histoire
La murale, comme produc tion centrale de l’art urbain, s’est essentiellement dévelop pée au 21 e siècle, bien qu’elle ait des origines nettement plus anciennes : certains y voient un retour de l’art de la fresque tel que pratiqué à la Renaissance,
« La murale est fondamentalement démocratique car laissée à la vue, au jugement et à la réflexion de tous. Elle incite les passants à s’interroger, à interagir avec l’œuvre »
ment Salada en surplomb de la rue Crescent. Coiffé d’un cha peau et la main portée au cœur comme s’il faisait une déclara tion d’amour à la ville qui l’a vu naître, l’artiste a sans doute reçu là son plus bel hommage.
Les murales sont partout à Montréal. Présentes à chaque coin de rue, elles tapissent chaque impasse, habillent chaque dent creuse et se multiplient dès que l’on prend un peu de hauteur. Elles font partie de l’âme de la ville, lui confèrent une identité particulière de jeunesse, de dyna misme culturel, et affichent avec fierté son esprit urbain. Au-delà d’embellir le paysage montré alais, les murales participent de la renommée internationale de Montréal en apposant le précieux tampon « urban, artsy , cool » sur sa carte à jouer dans le grand jeu du tourisme mondial
d’autres l’influence directe du muralisme mexicain des années 1920, lui-même inspiré de l’art pré-colombien, dont Diego Rivera fut l’un des plus émi nents représentants. Dans tous les cas, il ne faut pas voir dans la murale une forme améliorée du graffiti (qui se situe aussi au cœur de ce qu’on nomme aujourd’hui l’« art urbain »), mais plutôt un dérivé artistique de la publicité comme on la pratiquait au 19 e siècle avec des réclames peintes sur un pan de mur et souvent de grand format, voire monumentales.
À Montréal, comme dans d’autres villes d’Amérique et d’Europe, la murale surgit à partir des années 1970. Elle est pratiquée par des artistes qui revendiquent leur volonté de peindre sur des sur faces plus libres et de sortir l’art des musées, des galeries et des
collections privées ; ils vont à contre-temps d’un phénomène d’enfermement de l’art moderne (qui se transforme progressive ment en ce qu’il est aujourd’hui : un art très largement exclusif, préempté par une élite). Les premières murales, réalisées par des artistes qui préfèrent garder l’anonymat, portent ainsi sur des thèmes populaires ou poli tiques et traduisent des reven dications sociales - comme Diego Rivera critiquait les développements de l’industrie capitaliste dans ses fresques.
Vers un tourisme culturel
À l’heure actuelle, Montréal compte plus de 1000 œuvres de rue, dont l’immense majorité sont des réalisations légales approu vées par la mairie. Il s’agit d’un moyen simple et peu coûteux d’augmenter la valeur cul turelle et esthétique de la ville, qui ne brille pas nécessaire ment par l’harmonie ou le raf finement de son architecture. Cela entre dans la perspective non seulement d’une rénova tion urbaine, qui profite aux résidents, mais surtout d’un développement du tourisme culturel à Montréal, qui cher
che à s’affirmer depuis au moins une trentaine d’années comme la métropole des arts et de la cul ture d’Amérique du Nord. Et le pari semble réussi, puisque pas moins d’un touriste sur quatre dit aujourd’hui venir à Montréal par intérêt culturel. De nom breux « parcours de murales », qui donnent à admirer les plus belles productions de la ville, sont ainsi proposés aux touristes.
Parmi les auteurs les plus récur rents et les plus reconnus de murales, on peut citer les suiv ants. D’abord, l’organisme à but non lucratif MU dont les artistes ont la mission de faire de la ville un « MUsée à ciel ouvert » en parsemant ses rues d’œuvres picturales : ils ont notamment signé le portrait-hommage de Leonard Cohen ou l’intriguant Le Regard de Mono Gonzalez (2017).
Il y a aussi l’agence LNDMRK, fondatrice de la galerie Station 16 Éditions, le « QG » de l’art urbain montréalais, sise boulevard Saint-Laurent (soit le Louvre de la murale, moins le toit), mais aussi à l’origine du festival interna tional MURAL depuis 2012 et d’au moins 85 créations dans la ville dont celles de l’artiste Dalkhafine. Très prolifique, l’agence a fait de la réalisation de fresques urbaines son fonds de commerce. En 2020, la directrice de LNDMRK, Saraid Wilson, affirmait par ailleurs que le but de l’entreprise était d’offrir un « pont aux marques et aux entreprises qui tentent d’atteindre leur public cible par l’intermédiaire du parfait artiste, créant ainsi un écosystème dura ble qui soutient la croissance de l’espace artistique urbain en pour suivant notre quête de démocra tisation de l’art contemporain ».
Autrement, parmi les œuvres les plus admirées de la ville, il faut citer la sublime Norma and the blue herons (2018, rue Drolet) de Tristan Eaton, la très expres
sive Jackie Robinson (2007, Boul. St-Laurent) du collectif AShop ou encore l’ingénieuse peinture Comme un jeu d’enfants (2015, Av. Papineau) de Julien Malland, dit SETH.
Une captivante poésie
Signe de la place particulière de la murale dans le cœur des Montréalais, la ville organise tous les ans plusieurs festivals spéci fiquement dédiés à cette pratique artistique. Le plus important d’entre eux est le Festival MURAL qui a fêté ses dix ans d’existence au mois de juin 2022. Ses organ isateurs défendent l’art urbain comme un art à part entière, aussi intéressant que les autres, voire davantage parce qu’il fait preuve d’une grande capacité d’adaptation (à l’environnement, aux surfaces disponibles), et parce qu’il est fondamentale ment démocratique, laissé à la vue, au jugement et à la réflexion de tous. Il doit inciter les pas sants à s’interroger, à interagir avec l’œuvre, à la question ner et à questionner la société dans laquelle ils vivent, comme lorsqu’une murale dédiée au mouvement Black Lives Matter est apparue sur l’avenue SainteCatherine en juillet 2020.
Mais les murales restent bien sûr avant tout des œuvres artistiques dont, comme l’écrivait l’auteure Irène Frain, « la poésie quotidi enne piège et captive durable ment le regard du citadin ». x
Mars, planète Terre des autres
Retour sur Viking de Stéphane Lafleur.
Léonard Smith Coordonnateur de la production Sophie ji Éditrice CultureDans Viking (2022), dernier long-métrage de Stéphane Lafleur, cinq personnes sont sélection nées pour une mission spéciale sur Terre visant à résoudre les problèmes relationnels de cinq astronautes améric ain·e·s parti·e·s s’établir sur Mars. Pour ce faire, chaque participant·e de la mission terrienne a accès au dossier détaillé de l’astronaute avec lequel il·elle entretient une affinité de caractère particu lière, ce qui lui permet de se représenter mentalement le profil psychologique de son alter ego parti en mission. Ils·elles sont alors envoyé·e·s dans un bunker en plein désert afin de reproduire mimétique ment l’isolement des astro nautes en cabine martienne.
« Sommes-nous condamné·e·s à interpréter l’existence des autres à travers le filtre de nos propres biais émotifs et cognitifs? »
Identification entre le soi et l’autre
En apprenant qu’il fera par tie de l’équipe de soutien sur Terre, David tient à imiter les moindres faits et gestes de son homologue américain John. Comme chacun·e des autres participant·e·s, il reçoit, au réveil, une note lui signalant l’humeur de John - humeur qu’il doit revêtir tout au long de sa journée en adoptant des dis positions mentales similaires. Si cette manière de se glisser dans la peau d’un·e autre fait écho à toute interprétation de rôle au cinéma, faire corre spondre ses propres attitudes avec celles d’autrui peut être compris plus largement comme une réflexion sur la solitude constitutive de l’expérience humaine. L’identification à l’autre n’est-elle pas le fruit d’une fantasmagorie fortu ite plutôt que d’un véritable processus d’empathie?
Sommes-nous condamné·e·s à interpréter l’existence des autres à travers le fil tre de nos propres biais émotifs et cognitifs?
Ces questions sont posées dès
les premières scènes du film de Lafleur, notamment lorsque David et sa collègue doivent résoudre un problème technique à l’extérieur du bunker tout en feignant d’être irrité·e·s l’un·e par l’autre, conformément au conflit entre les deux astro nautes leur étant associé·e·s sur Mars. La réception et l'in terprétation des informations provenant de Mars surviennent dans un décalage constant. Cela donne lieu à des scènes absurd es où chaque personnage ne peut se fier qu’à demi-mot à ce que l’autre dit, étant donné que David peut parler en son nom ou prendre la parole en tant que John, l’astronaute qu’il incarne. À l’échelle de l’équipe de soutien sur Terre, chaque petite querelle interfère avec le but véritable de la mission, censée être orientée vers l’apport de pistes de solu tions en vivant par procuration pour les véritables astronautes.
Imaginer le réel
Le public se trouve lui-même fourvoyé dans son incapacité
« C’est l’imagination et le rêve qui cimen tent la cohésion entre les membres Viking et ceux·elles sur Mars »
à déterminer si ce qui lui est présenté est réel ou est l’objet d’une mise en scène. En effet, les deux instigateur·rice·s de la mission de simulation sur Terre, Jean-Marc et Christiane, four nissent des informations visant à façonner la manière dont les participant·e·s interagissent entre eux·lles et avec le monde extérieur. Aucun contact inter personnel ni possibilité d’inter action directe ne relie les astro nautes sur Mars à leur double de la mission Viking sur Terre.
Comme les membres de la mis sion Viking n’ont jamais ren contré leur alter ego astronaute, il·elle·s peuvent seulement se faire une idée de l’identité de ces astronautes à travers certaines représentations fragmentées de ceux·lles-ci, tels les cartons matinaux, l’idée qu’il·elle·s auraient des personnalités similaires à leur double Viking, les portraits des astronautes accrochés dans les chambres, et un cartable d’informations personnelles. C’est l’imagina tion et le rêve qui cimentent la cohésion entre les membres Viking et ceux·lles sur Mars, afin que les « inconnu·e·s » sur Mars puissent devenir leur « homologue », un processus qui souligne l’aspect performatif des relations interpersonnelles. L’idée que l’identité soit une performance constante est à son comble dans Viking . En plus de la mission qui a pour but de
mettre en scène ce qui se passe sur Mars en sommant les cinq protagonistes de jouer le rôle de l’astronaute qui leur a été assigné·e, des situations factices jouant avec la vie « réelle » des membres de Viking sont créées. La limite entre ce que les per sonnages considèrent comme étant leur véritable identité et ce qui est performé est alors remise en question, et l’imagination finit par reprendre le dessus, ce
« L’idée que l’iden tité soit une per formance constan te est à son comble dans Viking »
qui soulève la possibilité que les identités soient en fait constru ites par un engagement constant avec l’imagination, découlant à la fois des représentations col lectives et individuelles. Dans cette perspective, la distinction claire entre ce qui est « réel » et ce qui ne l’est pas est décon struite ; l’identité devient ellemême une performance, basée sur une projection collective de ce que nous acceptons de con sidérer comme étant « réel ».
De plus, les membres de l’éq uipage Viking n’ont accès à aucun moyen de communication
Lafleur demeure
directe avec le monde externe, que ce soit avec les astronautes sur Mars ou leurs proches dans leur vie avant la mission. Comme toute communication avec les autres passe par l’in termédiaire de Christiane et Jean-Marc, l’équipe Viking est alors condamnée à se plier à la vision du monde de ces derni er·ère·s, les metteur·euse·s en scène de la mission terrienne.
«
Le tour de force du longmétrage de Stéphane Lafleur demeure dans l’idée de créer avec brio un film sur l’espace sans que les protagonistes n’aient jamais véritable ment accès à cet au-delà.
Les dialogues sont teintés d’une simplicité agréable, et arrivent tout de même efficacement à aborder nombre d’enjeux con cernant la séparation entre le soi et l’autre, l’imagination, l’iden tité et la médiatisation de la communication. Pour la majorité d’entre nous, l’espace demeure un endroit seulement accessible à travers la projection de notre imagination, c’est-à-dire l’im age que nous nous créons de cet endroit. Viking nous rappelle cela, tout en soulignant qu’ac céder à l’espace seulement à travers l’imagination et le rêve est peut-être bien suffisant.
Viking est présentement à l’affiche au Cinéma Beaubien et au Cinéma Moderne. x
« Le tour de force du long-métrage de Stéphane
dans l’idée de créer avec brio un film sur l’espace sans que les pro tagonistes n’aient jamais véritable ment accès à cet au-delà »
Les dialogues sont teintés d’une simplicité agréable »
Du ciseau au syndrôme U-Haul
Se réapproprier les clichés lesbophobes grâce au théâtre.
Camille matuszyk Coordonnatrice de la correctionAssise au 5e rang de la salle de théâtre d’Espace libre, je secoue la tête au rythme d’I kissed a girl de Katy Perry puis de 1950 de King Princess qui résonnent dans la petite salle et nous mettent immédiatement dans l’ambiance. Je suis là sans trop savoir à quoi m’attendre mais curieuse de découvrir ce que me réserve Ciseaux par la compagnie Pleurer Dans’ Douche, dont la pu blicité annonçait une réflexion sur la sous-représentativité des per sonnes s’identifiant comme femme dans le milieu 2SLGBTQI+ et une réappropriation des clichés lesbo phobes. Et c’est étonnée, puis ravie, que j’ai découvert cette compagnie et leur spectacle.
Du syndrome U-Haul à la tarte aux poils, tous les stéréotypes lesbiens y passent, remaniés avec humour par les deux comédiennes, Geneviève Labelle et Mélodie-Noël Rousseau. Elles sont toutes deux cofondatrices de la compagnie et notamment connues depuis 2016 pour leurs pièces féministes et leurs performances en drag kings. Sous les applaudissements et les cris du public autorisé à s’exprimer (après tout, pourquoi s’empêcher de faire du bruit lorsque c’est le but même de la pièce?), les deux femmes chantent, dansent et rejouent
ligne de fuite
certains évènements majeurs de l’histoire lesbienne à Montréal.
Habillées d’une combinaison pailletée semi-transparente, elles se couvrent parfois sous d’autres déguisements suivant leurs scènes.
Ainsi, lorsqu’elles apparaissent tra vesties, l’une en policier et l’autre en homme, en dansant sur YMCA de Village People, je me surprends à vouloir me lever pour les rejoindre.
Elles viennent en réalité d’aborder les violences policières et notam ment de la descente très connue au Truxx, un bar gai des années 70, qui a entraîné l’arrestation d’une centaine d’hommes et a été le point de départ des premières manifes tations pour la cause 2SLGBTQI+ à Montréal. Le sujet est lourd et contraste durement avec la danse et les rires qui lui succèdent, mais c’est la manière qu’elles ont choisie pour faire passer leur message (et ça fonctionne très bien!).
En effet, si le ton est humoris tique et que l’entièreté du public (ou presque) sourit, la critique sous-jacente est claire. Celles qui se considèrent comme femmes dans la communauté et la lutte 2SLGBTQI+ sont sous-représen tées. S’il existe des archives vidéos et photographiques de l’histoire gaie, dont Pleurer Dans’ Douche se sert pour une partie du spectacle, il n’existe en revanche aucune trace visuelle de la lutte lesbienne, ou du moins aucune accessible à
marie prince | Le Délit
tous. En effet, les deux comédiennes nous dévoilent en avant-première quelques images choisies parmi les centaines d’heures d’archives compilées par le collectif Amazones d’hier, lesbiennes d’aujourd’hui, jusque-là gardées secrètes pour préserver les identités de celles qui y apparaissent. Les archives sont inexistantes, et les comédiennes font avec. Elles expliquent qu’elles ont pris l’initiative d’aller discuter avec des femmes francophones concernées par le sujet et font usage des enregistrements de leurs entre
tiens. Se succèdent alors les voix de Safia Nolin, Monique Giroux et Manon Massé, parmi plusieurs autres, qui viennent donner leur avis sur le sujet.
De plus, lorsqu’elles affichent sur un grand écran la carte interactive des rues de Montréal montrant l’évolution de l’existence des bars dédiés à la communauté 2SLGBTQI+ au cours des années, j’apprends avec stupeur qu’il n’en existe aucun qui soit exclusive ment lesbien.
Les courbes de Milton
Sasha Prévost ContributriceLorsque je sors de la salle, pendant qu’une majorité du public danse encore sur la scène aux côtés de la troupe, je suis pleine d’espoir. L’avenir porte les couleurs de cette pièce et de ce public joyeusement bruyant. Bien que la sous-représen tativité soit toujours d’actualité, j’ai bon espoir que, grâce à des pièces comme Ciseaux, ce ne sera bientôt plus le cas.
Retrouvez Ciseaux de Pleurer Dans’ Douche à l’Espace libre du 15 no vembre au 3 décembre.x
Ligne de fuite.
Deux poumons verts liés par la trachée, cœur en fond, cerveau au sommet, membres tordus désaxés, peau abîmée parfois gelée, cheveux-lu mains rigides pieds cubiques visage fleuri souvent livide cellules par milliers millions toutes identiques, dans leur différence.
Deux poumons parfois verts souvent blancs membres asphaltés cheveux arborés-cents discipline visage jamais identique brutalisme orthopédique cellules fragmentées toutes anarchiques, dans leur concert.
Deux poumons tantôt vivants souvent morts, visage pieds disciplinés cheveux respirants jamais identiques cellules composantes toutes originelles, toutes exceptionnelles.
Deux poumons des cellules essentielles. x