Publié par la Société des publications du Daily, une association étudiante de l’Université McGill
Le Délit est situé en territoire Kanien’kehá:ka non cédé.
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rec@delitfrancais.com
Après une tempête hivernale ayant compliqué les déplacements interrégionaux en fin d’année, 2023 s’est amorcée par une hausse remarquable des températures au Québec. Ce genre de dérèglements climatiques pourraient être de plus en plus fréquents dans les prochaines années, tout comme les tempêtes de neige pourraient s’intensifier, estime John Clague, professeur de géoscience à l’Université Simon-Fraser en Colombie-Britannique. Mais le fait d’observer autour de nous les phases de gel et de dégel suffit-il à rendre compte de la complexité du problème des changements climatiques ? Les fluctuations imprévisibles des températures au Québec ne sont que la pointe de l’iceberg, et les défis auxquels devront faire face l’ensemble des pays du globe pour s’adapter à la réalité climatique sont de plus en plus préoccupants.
La Convention des Nations Unies, ayant pour but de s’entendre sur un plan de protection pour la biodiversité (COP15), s’est clôturée le 19 décembre 2022 dernier avec l’adoption de l’ambitieux accord Kunming-Montréal. Plusieurs se sont montrés optimistes, y compris le président chinois de la COP15 Huang Rungiu, qui a qualifié l’entente d’« historique ». Plus près de nous, le ministre de l’Environnement du Canada Steven Guilbeault s’est réjoui que nous avions enfin notre « moment Paris ». Bien que l’Accord de Paris, signé en 2015 par près de 200 États membres, est en principe un pas dans la bonne direction en terme de coopération internationale pour la lutte contre les changements climatiques, il ne semble pas exercer une pression suffisante sur un pays comme le Canada. Celui-ci peine toujours à atteindre ses cibles de réduction de gaz à effet de serre (GES), même si son site gouvernemental indique qu’il aurait « respecté ses engagements de Paris au cours des sept dernières années ».
Inutile de tourner autour du pot : le fameux « tournant vert » sera probablement très peu viable d’un point de vue économique. Le secteur canadien des énergies fossiles devra faire
l’objet d’un désinvestissement massif lors des prochaines années, tout comme le secteur de l’exploitation minière devra être profondément reconfiguré, si l’on prétend pouvoir protéger la nature à la hauteur de nos ambitions.
Au même titre que la ratification de l’Accord de Paris par le Canada, l’adhésion à l’accord KunmingMontréal n’est en réalité qu’une étape préliminaire vers la mise en œuvre de mesures durables pour la préservation de la biodiversité, et plus largement pour la minimisation de l’impact des changements climatiques sur la planète. Si l’engouement autour d’une telle entente a le potentiel de raviver l’espoir collectif en matière de protection de la nature, il pourrait éclipser le besoin d’apporter des solutions concrètes au problème des changements climatiques. Ceux-ci touchent particulièrement les pays qui composent avec des risques accrus de sécheresses, d’insécurité alimentaire et de catastrophes météorologiques, et qui ne bénéficient pas suffisamment de soutien de la part des pays développés pour leur permettre de lutter efficacement contre les impacts immédiats des changements climatiques. Le Canada, quant à lui, ne peut prétendre contribuer à la cause environnementale planétaire sans apporter un soutien durable aux pays qui sont le plus dans le besoin.
Le Canada ne peut non plus devenir le bouc émissaire pour ses échecs environnementaux. Si les intérêts québécois ne sont pas directement représentés à un événement comme la COP15, cela ne devrait pas l’empêcher de participer à la limitation de la production des GES dans le pays, notamment à travers des obligations légales régissant ses compétences provinciales. Seul l’avenir nous dira si un accord comme celui de la COP15 répètera les failles de l’Accord de Paris, et si le Canada se servira de son adhésion à l’accord pour se targuer de ses avancées sur le plan environnemental. Mais l’avenir ne peut pas seulement nous être instructif : il doit nous inciter à prendre action dès maintenant pour empêcher que nos scénarios les plus pessimistes se produisent. x
Léonard smith Rédacteur en chef
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Le Délit (ISSN 1192-4609) est publié la plupart des mercredis par la
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La pénurie de main-d’œuvre se fait sentir.
Dans un communiqué publié le 4 décembre dernier dans le McGill Reporter, l’administration mcgilloise annonçait que le Bureau d’intervention, de prévention et d’éducation en matière de violence sexuelle (OSVRSE), la ressource principale de l’Université McGill en matière de support aux survivant·e·s de violences sexuelles, serait fermé jusqu’à nouvel ordre. Le Bureau était déjà fermé de manière intermittente depuis le mois d’octobre 2022 en raison du manque de personnel.
l’Association étudiante de l’Université McGill ( Sexual Assault Centre of McGill Students’ Society ) demeure ouvert et accessible à tous·tes.
L’OSVRSE a pour objectif d’apporter un soutien gratuit à tout membre de la communauté mcgilloise ayant été victime de violences sexuelles ou de genre au sein du campus de McGill ou en dehors. Ses activités incluent des lignes de support et d’écoute pour les survivant·e·s, de l’assistance dans le processus de dépôt de plainte ainsi que
« Le Bureau se serait vu obligé de fermer ses portes lorsque la charge des responsabilités administratives serait devenue trop lourde à porter pour un·e employé·e seul·e »
Les opérations de soutien aux survivant·e·s de l’OSVRSE ont été transférées aux gestionnaires de cas du Bureau du doyen à la vie étudiante, dont les membres ont reçu une formation spécifique portant sur la situation des survivant·e·s de violences sexuelles. Les survivant·e·s auront également un accès prioritaire à des rendez-vous au Centre de bien-être ( Wellness Hub,tdlr) de l’Université pendant cette période. Le Centre pourviolencessexuellesde
des campagnes de prévention et de sensibilisation.
La pénurie de main-d’ œuvre à blâmer
L’OSVRSE opère habituellement grâce à deux employé·e·s, soit un·e conseiller·ère en intervention ainsi qu’un·e conseiller·ère éducatif·ve, qui se divisent les responsabilités relatives à la gestion des cas et aux activités de prévention du Bureau. Au mois d’août 2022, un·e des em -
ployé·e·s a dû quitter son poste, ne laissant qu’un·e seul·e employé·e permanent·e pour assurer la gestion du Bureau.
Le Bureau se serait vu obligé de fermer ses portes lorsque la charge des responsabilités administratives serait devenue trop lourde à porter pour un·e employé·e seul·e, selon des sources transmises en entrevue au Délit.
L’OSVRSE a d’abord fermé pour une période temporaire de deux semaines en octobre 2022, avant de fermer à nouveau au mois de novembre pour une durée indéterminée. Bien que l’administration mcgilloise ait fait part à l’AÉUM de son intention de rouvrir le Bureau pour la nouvelle année, aucune date précise n’a encore été communiquée au moment d’écrire ces lignes.
Confusion chez les étudiant·e·s
Contacté par Le Délit, Kerry Yang, vice-président aux affaires universitaires de l'Association étudiante de l’Université McGill (AÉUM), nous a informé que l’AÉUM a reçu certains retours d’étudiant·e·s pour qui la fermeture de l’OSVRSE avait été source de confusion. « Le site internet [de l’OSVRSE, ndlr] n’étaitpasparticulièrement clair,etcertain·e·sétudiant·e·s nesavaientpasoùallerouqui contacter,cequiestunedifficultésupplémentairepour les survivant·e·s de violences sexuelles (tldr) », déplore-t-il. « Les res-
« Certain·e·s étudiant·e·s ne savaient pas où aller ou qui contacter, ce qui est une difficulté supplémentaire pour les survivant·e·s de violences sexuelles »
Kerry Yang, VP aux affaires universitaires de l’AÉUM
sourcesn’étaientpasaubonendroit,etlesexplicationsn’étaient pasclairementvisibles.Ilya aussieudesproblèmesavec leslignestéléphoniquesde l’OSVRSEquinedirigeaientpas les étudiants vers les ressources appropriées », explique-t-il.
Restructuration en vue pour l’OSVRSE
Dans son communiqué du 4 décembre dernier, l’administration mcgilloise indiquait également que le Bureau d’intervention, de pré-
Kerry Yang partage l’avis que les événements de l’automne 2022 ont fait ressortir l’importance d’augmenter la capacité du Bureau. « McGillessayed’améliorersagestiondelasituation actuelle,quin’apasététrès facilepourlesétudiantes », reconnaît-il. Le Bureau du Doyen à la vie étudiante et l’AÉUM ont tous deux collaboré avec l’administration mcgilloise pour trouver des solutions aux problèmes posés par la fermeture. Malgré la confusion ressentie par certain·e·s étudiant·e·s lors
« La récente pénurie de main-d'œuvre a [...] mis en évidence la nécessité de mettre en œuvre le réaménagement prévu du Bureau »
Frédérique Mazerolle, agente des relations avec les médias de l’Université McGill
vention et d’éducation en matière de violence sexuelle est en cours de « restructuration » telle que prévue par un plan sur cinq ans établi en collaboration avec un·e consultant·e externe. La reconfiguration du bureau ferait passer son nombre d’employé·e·s permanent·e·s de deux à cinq. À l’équipe s’ajouteraient ainsi un·e second·e conseiller·ère en éducation, un·e directeur·rice associé·e et un·e coordinateur·rice administratif·ve.
Contactée par courriel par Le Délit, Frédérique Mazerolle, agente des relations avec les médias de l’Université McGill, indique que « la récente pénurie de main-d'œuvre a non seulement retardé l'élaboration de ce plan en faveur d'une concentration sur le soutien et l'éducation des survivant(e)s, mais a également mis en évidence la nécessité de mettre en œuvre le réaménagement prévu du Bureau ».
de la session d’automne, Kerry Yang se montre plutôt optimiste par rapport au futur de l’OSVRSE. « Lesprochainessemainesseront trèsintéressantespourlefuturde l’OSVRSEetlaréussiteounonde sa restructuration », conclut-il.
Lespersonnesquicherchentdu soutientencequiatraitàlaviolencesexuelleàMcGillpeuvent contacter directement le Bureau dudoyenàlavieétudiantepar courriel(deanofstudents@mcgill. ca)oupartéléphone(514-3984990),oucontacterleCentre pourviolencessexuellesde l’Associationétudiantedel’UniversitéMcGill(SAMCOMSS).
Pourdusoutienimmédiat,ilest possibledecontacterlaligne d’écouteprovincialesurlaviolencesexuelle(1-888-933-9007/ 514-9339007). x
béatrice vallières Editrice Actualités
La COP15 pour la biodiversité s’est tenue du 7 au 19 décembre à Montréal.
Du 7 au 19 décembre dernier a eu lieu à Montréal la Conférence internationale sur la biodiversité (COP15), organisée par la Convention des Nations Unies sur la diversité biologique. L’événement réunissait les délégations de 196 pays sur la question de la protection de la biodiversité. Un accord qualifié d’« historique » par Steven Guilbeault, ministre canadien de l’Environnement et du Changement climatique, a été conclu le 19 décembre, mais a été largement critiqué pour son manque de vision et d’ambition par certaines délégations et groupes de la société civile. En parallèle de la COP15, l’Université McGill s’est engagée pour la protection de la biodiversité en signant l’engagement Nature Positive.
Au terme de 12 jours de négociations, les délégations mondiales se sont arrêtées sur 23 cibles pour endiguer la perte de biodiversité. Le « 30 pour 30 » a été l’une des mesures phares de cet accord, appelé Kunming-Montréal. Les 188 pays signataires se sont engagés à protéger 30% des terres, eaux intérieures et océans d’ici 2030. À l’heure actuelle, cette protection ne concerne que 17% des aires terrestres et 10% des aires marines. Les pays signataires ont également établi comme objectif la réduction des subventions gouvernementales néfastes à la biodiversité de 500 milliards US$ par an, et la diminution du gaspillage alimentaire de moitié pour 2030.
De plus, avec les cibles cinq et neuf, les pays signataires s’engagent à « respecteretprotéger l’usage traditionnel et durable [de la biodiversité, ndlr] par les populations autochtones (tdlr) ». En effet, les populations autochtones, représentant 5% de la population mondiale, assurent la gestion de territoires où l’on trouve 80% de la biodiversité mondiale.
La dernière COP pour la biodiversité, qui avait eu lieu au Japon en 2010, s’était soldée par un échec, aucun des objectifs annoncés n’ayant été mené à terme. L’arrivée à un accord lors de la COP15 répondait à des alertes urgentes de la communauté scientifique prévenant que nous serions en train de vivre la sixième extinction de masse. En effet,
entre 1970 et 2018, la faune sauvage a chuté de 69% en moyenne, et plus d’un million d’espèces sont aujourd’hui menacées d’extinction.
La question du financement de l’accord a été source de conflits. Les délégations ont convenu d’une contribution des pays développés de 20 milliards US$ par an d’ici 2025 et de 30 milliards US$ par an d’ici 2030 au fond pour l’environnement mondial (FEM) des Nations Unies. La délégation camerounaise a qualifié cet accord de « fraude », tandis que celle de
Ambrine Lambert, une étudiante mcgilloise en sciences politiques et développement international qui s’est rendue à l’un de ces événements parallèles organisé par Youth Climate Lab. Les étudiants réunis en groupes ont discuté sur la question de l’éducation climatique, thématique présente dans les cibles 16 et 21 de l’accord Kunming-Montréal. Il s’agit « d’améliorer notre rapport à l’environnement par l’éducation », nous a expliqué Ambrine. Un point de désaccord rencontré lors des discussions étudiantes a
« Les 188 pays signataires se sont engagés à protéger 30% des terres, eaux intérieures et océans d’ici 2030. À l’heure actuelle, cette protection ne concerne que 17% des aires terrestres et 10% des aires marines »
l’Ouganda a dénoncé un « coup d’État ». Ces pays demandaient un financement plus important, et à l’instar de la République Démocratique du Congo, la création d’un fond indépendant du FME, dont les principaux dépositaires sont la Chine, l’Inde, l’Indonésie et le Brésil.
La COP15 a aussi été l’occasion de faire entendre la voix des jeunes sur la question de la préservation de la biodiversité lors d’événements annexes. Le Délit s’est entretenu avec
été le « problème d’universaliser l’éducation » environnementale.
Interrogée sur l’aboutissement de la COP15, Ambrine a souligné que l’accord représente un « pas révolutionnaire pour la biodiversité », mais a déploré « l’absence de mécanismes de suivi » des 23 cibles de l’accord et une « temporalité qui manque d’urgence » face aux menaces pesant sur la biodiversité. Ambrine a aussi dénoncé le « manque de synergie » entre la COP15 sur la biodiversité et la COP27 sur le climat organisée en Égypte en novembre
dernier. En effet, alors que cette dernière avait réuni des chefs d’États du monde entier, la COP15 n’a accueilli aucun président ou premier ministre à l’exception de Justin Trudeau.
Tout au long de la COP15, de nombreuses manifestations contre sa tenue ont eu lieu dans le centre de Montréal . Des centaines de protestataires étaient réunis le 9 décembre, arborant des banderoles « Pour la biodiversité, contre la COP » pour dénoncer l’« hypocrisie » de la COP15. Au sein de McGill, la COP15 a fait l’objet d’une résolution de l’Association Étudiante de l’Université McGill (AÉUM), prenant position contre sa tenue.
Contacté par Le Délit, Divest McGill a accepté de nous livrer sa lecture de l’accord KunmingMontréal. « Nous souhaitons que cet accord apporte des avancées sérieuses pour la préservation de la biodiversité, mais l’histoire de ces conférences nous rend sceptiques (tdlr) », nous a confié Divest McGill, avant de critiquer les « conséquences néfastes » que pourraient avoir certains objectifs. « Des mesures comme celles-ci [30 pour 30, ndlr] ont historiquementlégitiméla saisie de terres autochtones et d’autres violations des droits humains », souligne le groupe activiste environnemental.
En effet, l’objectif de protéger 30% des terres et océans d’ici 2030 pourrait passer en partie par un système de conservation-forteresse, transformant des aires terrestres ou marines
en sanctuaires naturels interdits à l’humain, expulsant ainsi les communautés vivant sur place, expliquait Fiore Longo, responsable de recherche pour l’organisation non gouvernementale Survival International au journal Libération
Le 8 décembre dernier, l’Université McGill, à l’instar de 117 universités à travers le monde et 11 au Québec, a signé l’engagement Nature Positive. Lancé par l’Université d’Oxford et le programme des Nations Unies pour l’environnement afin de coïncider avec le début de la COP15, cet engagement souligne l’importance du rôle des universités dans la protection de la biodiversité. Contactée par Le Délit, Frédérique Mazerolle, agente des relations avec les médias de McGill, a accepté de nous expliquer ce que cet engagement signifie pour l’Université. « En adhérant au mouvement, les universités québécoises reconnaissent [...] qu’elles ont une responsabilité au regard de la crise de la biodiversité et, surtout, qu’elles font partie des solutions », nous a écrit Mme Mazerolle. L’engagement Nature Positive de McGill, qui s’inscrit dans la stratégie climat et développement durable 2020-2025 de l’Université, vise à « intégrer la durabilité dans tous les secteurs clés de l’Université ». McGill devrait publier sa stratégie officielle pour la biodiversité en 2023, afin d’accroître le financement de recherches et projets liés à la biodiversité.
Interrogé sur l’engagement
Nature Positive de l’Université, Divest McGill n’a pas hésité à le qualifier de « présentationtrompeusedel’Universitécomme étantprogressisteetrespectueuse de l’environnement. ». Pour eux, les prises de position et les programmes de l’Université en faveur de la protection de la nature « sont debonsprojetsenapparence, maisilssontloinderespecter l’engagementdel’Université enversunevéritable“nature positive” », prenant pour exemple le refus de l’université de « désinvestirdesénergiesfossiles,ignorant lesdommagesenvironnementaux etsociauxinfligés» malgré les demandes répétées du groupe. x
hugo vitrac Éditeur Actualités
L’année 2022 aura été très chargée, autant sur la scène internationale qu’au sein de la communauté étudiante de McGill. En ce début du mois de janvier, Le Délit remet ses compteurs à zéro. Pour démarrer cette nouvelle année en beauté, la section Actualités vous propose une rétrospective de ses 10 nouvelles les plus marquantes de l’année 2022.
Un accord « historique » qui déçoit tout de même.
Natacha Papieau ContributriceEn décembre dernier, tous les yeux étaient rivés sur notre métropole qui a accueilli un nombre record de délégué·e·s pour une Convention sur la diversité biologique (CBD) des Nations Unies. D’abord prévue à Kunming en Chine mais reportée en raison de restrictions sanitaires, la deuxième partie de la 15 e Conférence des parties sur la biodiversité, la COP15, a permis l’adoption d’un nouveau cadre sur la protection de la biodiversité. L’accord Kunming-Montréal présente quatre objectifs et 23 cibles, ainsi qu’une série de documents connexes quant à leur mise en œuvre et au suivi des progrès réalisés.
Dans son rapport sur la biodiversité et les services écosystémiques, l’IPBES (Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques) indique que 85% des zones humides, 75% de la surface terrestre et 66% des environnements marins sont considérablement altérés ou perdus. Une part importante de la perte de biodiversité est due à des pratiques commerciales non durables financées par des banques et des investisseurs et est alimentée par une demande croissante de la production mondiale. Il faut rappeler qu’une grande partie de notre économie repose sur les ressources naturelles : plus de 44 000 milliards de dollars de création de valeur économique annuelle, soit plus de la moitié du PIB mondial, dépendent des services fournis
« La cible de 30% de protection d’ici 2030 au niveau mondial est la principale raison de célébrer l’accord Kunming-Montréal, même s’il n’est pas parfait »
par la nature. Les parties devaient donc proposer des cibles à la hauteur de ces enjeux.
« Les dynamiques de pouvoir NordSud continuent de diviser alors que chaque État tente de défendre ses intérêts personnels »
Malgré ses failles, le cadre adopté contient des éléments concrets comme la protection et la gestion effective d’au moins 30% des terres et des océans d’ici 2030, le fameux 30x30, un objectif de restauration de 30% des écosystèmes dégradés ainsi que la réduction des subventions gouvernementales néfastes de 500 milliards de dollars par an. L’accord conclu respecte aussi les droits et savoirs des peuples autochtones, octroie la participation « pleine et entière » des femmes dans les prises de décisions liées à la biodiversité et exige de rapporter l’impact du secteur privé sur la biodiversité.
Avec ce nouveau cadre mondial, les parties reconnaissent qu’il est urgent de freiner la destruction des écosystèmes et d’inverser le déclin de la biodiversité. En effet, le taux d’extinction actuel est des dizaines à des centaines de fois supérieur à la moyenne des 10 derniers millions d’années – et il s’accélère. Toutefois, les parties ont-elles su répondre à l’ampleur du défi et faire preuve d’une réelle ambition pour la prochaine décennie?
Le cadre sur la biodiversité a fait l’objet de multiples rencontres. En juin dernier, le cadre brouillon avait plus de 1800 crochets, c’est-à-dire des mots ou phrases qui ne font pas l’objet d’un consensus auprès des parties. Plusieurs séances de travail ont permis de simplifier le texte et de réduire ce chiffre à un peu plus de 900 avant le début de la COP15 à Montréal. Cela dit, cela représentait encore 80% du texte sujet à débat. Trois jours avant la fin des négociations, il restait
encore plus de 700 crochets sur lesquels s’entendre. Ce manque d’ambition et de volonté de la part des délégué·e·s a été dénoncé par le G lobal Youth Diversity Network lors d’une action éclair en face d’une salle de négoces.
Plusieurs pays en développement, à l’initiative du Brésil, ont aussi quitté la rencontre dédiée au financement du cadre mondial. Ils exigeaient que les pays du Nord Global investissent de façon plus significative afin de donner au Sud les moyens de financer les initiatives de protection et de verdissement de leur économie à hauteur d’au moins 100 milliards de dollars par an. Selon eux, le Nord a presque fait dérailler l’accord en refusant de considérer les demandes et propositions du Sud, alors que les pays développés jouent un rôle éminent dans la crise de la bio -
« Le précédent cadre adopté à Aichi en 2010 était venu à échéance en 2020, et aucune de ses cibles n’avait été atteinte. Avec des objectifs « peu chiffrés » et sans indicateurs standardisés, il était difficile d’encourager les efforts de protection et d’en suivre les progrès »
diversité et ont des moyens plus élevés pour y pallier.
Pour d’autres délégations, comme celle du Canada, ce seraient plutôt les négociateurs·rices du Brésil qui ont fait preuve de mauvaise foi. Plusieurs les accusent de représenter les intérêts du président sortant, Jair Bolsonaro. Pourtant, le président élu, Luiz Inácio Lula da Silva, soutient la demande de financement plus élevé dans une lettre adressée au Secrétariat de la CBD. Ici, comme pour d’autres sujets de négociations, les dynamiques de pouvoir Nord-Sud continuent de diviser alors que chaque État tente de défendre ses intérêts personnels.
La COP15 a tout de même pu démontrer qu’il pouvait y avoir une saine collaboration entre des pays dont les intérêts sont très différents sur la scène internationale, comme le Canada et la Chine. Cela montre que des canaux de communication ouverts peuvent permettre d’élever l’ambition générale face aux défis actuels tels que la protection de la biodiversité. Certain·e·s diront toutefois que plusieurs pays n’ont pas été entendus : la République Démocratique du Congo avait émis des réserves lors de la séance à huis clos sur l’adoption du cadre, mais en l’absence d’objection formelle, la série d’accords a été approuvée par voie de consensus.
La cible de 30% de protection d’ici 2030 au niveau mondial est la principale raison de célébrer l’accord Kunming-Montréal, même s’il n’est pas parfait. Si la France a déjà atteint cette cible, la grande majorité des pays en sont très loin. Par exemple, le Canada a encore du chemin à faire : seuls 13,5% de la zone terrestre et 13,9% de la zone marine sont protégés à travers le pays. Il reste à déterminer quelles seront les actions concrètes du fédéral quant à sa mise en œuvre et dans quelle mesure les communautés locales seront impliquées. Le suivi et la surveillance des progrès (ou détériorations) seront clés, et la société civile jouera un rôle primordial pour s’assurer que le tout soit réalisé de façon éthique et respectueuse.
Le précédent cadre adopté à Aichi en 2010 était venu à terme en 2020, et aucune de ses cibles n’avait été atteinte. Avec des objectifs « peu chiffrés » et sans indicateurs standardisés, il était difficile d’encourager les efforts de protection et d’en suivre les progrès. Le nouveau cadre a tout de même moins d’objectifs chiffrés que souhaité initialement : « réduire progressivement » ou « augmenter significativement » telle ou telle pratique, c’est bien beau, mais comment déterminer ce qui est significatif ou progressif? C’est une déception de voir les mêmes erreurs, responsables en partie de l’échec du précédent cadre, se reproduire. Heureusement, ce n’est pas le cas de tous les objectifs, mais d’une certaine manière, mettre des chiffres peut aussi amener son lot de questions : si l’on protège ou régule les pratiques de 30%, que se passe-t-il avec les 70% restants?
Parmi les annonces phares, le Secrétariat de la CBD a mandaté le Fonds pour l’environnement mondial (FEM) d’établir un nouveau fonds pour soutenir la mise en place du cadre mondial. On y prévoit aussi la mobilisation, d’ici 2030, d’au moins 200 milliards de dollars par an en financement lié à la biodiversité, provenant tant du secteur public que du secteur privé. En effet, l’objectif de protection de 30% des territoires terrestres et marins d’ici 2030 engendrerait des coûts astronomiques qui ne pourraient être uniquement soutenus par les gouvernements. Toujours est-il que ces 200 millions restent nettement insuffisants pour combler le déficit de financement actuel de la biodiversité, évalué à 700 milliards de dollars par an.
« ‘‘réduire progressivement’’ ou ‘‘augmenter significativement’’ telle ou telle pratique, c’est bien beau, mais comment déterminer ce qui est significatif ou progressif? »
Sur le plan des actions gouvernementales, la cible 18 consiste à « éliminer, supprimer progressivement ou réformer les incitatifs, y compris les subventions nuisibles à la biodiversité [...] en les réduisant substantiellement et progressivement d’au moins 500 milliards de dollars américains par an d’ici 2030 ( tldr ) ». Actuellement, plus de 1800 milliards de dollars d’argent public sont octroyés chaque année en subventions pour des pratiques
néfastes pour la biodiversité. La plus grande portion est accordée à l’industrie pétrolière, suivie de près par le secteur agricole. Le libellé traitant explicitement des subventions de pratiques non durables accordées à l’agriculture et à la pêche a toutefois été supprimé. Pourtant, ces deux secteurs font partie des principaux moteurs de la perte de biodiversité dans le monde. Où est donc passée l’ambition des gouvernements?
«
Si près de la moitié des entreprises ont pris des engagements pour la nature, seulement un tiers d’entre elles ont mis en place des mesures pour les respecter au cours de la dernière année »
Les entreprises font leur entrée officielle à la COP15
Constat similaire du côté du milieu des affaires. En 2019, les institutions financières ont investi plus de 2600 milliards de dollars dans des secteurs responsables de la destruction des écosystèmes. Les investissements dans les industries pétrolière, minière, forestière et agricole – des industries de plusieurs milliards de dollars – encouragent ces dernières à accroître leurs propres activités, au détriment des écosystèmes, de la biodiversité et des populations locales. Si ces industries continuent d’être financées par le public et le privé, sans conditions et sans transparence, elles ne changeront pas leurs pratiques et comportements destructeurs. Leur présence à la COP15 est vivement critiquée, et avec raison, considérant leur responsabilité dans la crise de la biodiversité et leur lobbying agressif pour apporter de fausses solutions.
Les entreprises et institutions financières se disent malgré tout prêtes à favoriser les initiatives avec des retombées positives pour la nature. Une journée dédiée à la réconciliation de la finance et de la biodiversité a abouti à un plan d’action pour aligner les investissements au cadre mondial et transformer le paysage financier en un espace plus inclusif et bénéfique aux initiatives qui protègent et régénèrent les écosystèmes dégradés.
150 institutions financières appelaient d’ailleurs les parties présentes à la COP15 à adopter
un cadre ambitieux qui établirait un mandat clair pour l’alignement des flux financiers avec la préservation de la biodiversité mondiale.
« En 2019, les institutions financières ont investi plus de 2600 milliards de dollars dans des secteurs responsables de la destruction des écosystèmes »
Ces institutions demandaient aussi des lignes claires quant à l’évaluation et à la divulgation des impacts et dépendances liés à la nature pour passer d’un paysage de divulgation actuellement fragmenté vers un langage com-
mun mondial de divulgation financière liée à la durabilité. Cependant, les parties ont retiré le caractère « obligatoire » des exigences de divulgation pour les grandes entreprises et multinationales dans la cible 15. C’est une opportunité manquée, dont les conséquences ne sauraient être correctement mesurées. En effet, si près de la moitié des entreprises ont pris des engagements pour la nature, seulement un tiers d’entre elles ont mis en place des mesures pour les respecter au cours de la dernière année.
Tout au long des documents approuvés, est soulignée la nécessité de favoriser les contributions pleines et efficaces des femmes, des jeunes, des organisations de la société civile, et particulièrement des peuples autochtones et des communautés locales. Considérant que les terres habitées par les peuples autochtones contiennent 80% de la biodiversité mondiale restante, les droits et savoirs des communautés locales et autochtones doivent être au centre des considérations et des efforts de protection.
reconnaissance mais pas de protection pour les communautés autochtones
Les COP accordent de plus en plus de place à la société civile, particulièrement aux groupes de femmes, aux groupes de jeunes, ainsi qu’aux communautés locales et autochtones, qui peuvent assister aux plénières. Même en dehors des négociations formelles, leur participation est une opportunité d’échanger sur leurs expériences avec d’autres groupes, de s’entretenir avec les délégué·e·s, et d’augmenter leur visibilité et leur traction auprès des décideurs·euses.
Malheureusement, ici comme ailleurs, la protection des droits autochtones laisse à désirer, et plusieurs demandes des communautés n’ont pas été retenues dans l’accord final. Si l’objectif du 30x30 a réussi à s’imposer, il a été dépouillé des critères qui auraient exclu les activités nuisibles au sein des zones protégées. Les communautés autochtones sont plus à risque d’en faire les frais : accaparements de terres, perturbation des pratiques traditionnelles, déplacement des communautés, la liste est longue.
La violation des territoires autochtones se produit notamment en Amérique latine. Les compagnies minières canadiennes, qui représentent 50% à 70% des activités du secteur de la région, sont responsables de multiples violations envers les communautés locales en plus de la destruction environnementale, comme l’acquisition frauduleuse des terres, le déplacement forcé des communautés, les morts violentes des opposant·e·s aux projets, et l’absence de consentement préalable, libre et éclairé des communautés. Des militant·e·s vont jusqu’à se déplacer au Canada pour dénoncer ces actes illégaux et tentatives d’intimidation. La violence envers les défenseur·e·s du territoire, particulièrement les membres des peuples autochtones, révèle également la vulnérabilité des communautés aux expulsions en raison de l’absence de protection adéquate dans la législation nationale.
Compte tenu de la longue et sombre histoire de l’exploitation minière canadienne, on pourrait s’attendre à ce que le Canada respecte pleinement ses obligations internationales en matière de droits de la personne. Mais comment demander le respect des droits autochtones à l’international quand le pays ne les respecte même pas au sein de ses frontières? Rappelons que si le Canada reconnaît le rôle primordial des gardiens autochtones, notamment avec le Fonds de la nature, et investit dans les initiatives autochtones de conservation, il continue d’autoriser et financer des projets destructeurs comme des oléoducs sans même consulter ou obtenir l’accord des communautés.
tones, noir·e·s et de couleur, racontait au Délit que « quand on est sorti·e·s du bâtiment, on s’est fait harceler et intimider par une vingtaine de policiers·ères ».
Les jeunes délégué·e·s ont même été détenu·e·s temporairement avant d’être suivi e·s, sans motif, jusqu’à leur lieu de résidence par des membres du corps policier.
Des jeunes délégué·e·s autochtones ont d’ailleurs interrompu la déclaration de Justin Trudeau, lors de la cérémonie d’ouverture de la COP15, en jouant du tambour et en chantant pour dénoncer le double discours du Canada. Trudeau les a alors remerciés pour leur intervention et a déclaré que « le Canada est aussi en faveur de la libre expression ( tdlr ) ». Pourtant, Ashley Torres, qui a participé à l’interruption du discours et qui est coordonnatrice au Muskrat Collective rassemblant des jeunes militant·e·s autoch -
Si les annonces du fédéral rendent un constat plus mitigé sur sa performance, le Québec a lamentablement échoué au test de la COP15. Seules la Communauté métropolitaine de Montréal (CMM) et la Ville de Montréal ont affiché et démontré de l’ambition avec des actions concrètes pour les prochaines années.
Bien qu’aucun autre animal n’ait reçu autant d’attention
En l’absence de gestes significatifs ou d’une entente avec le Québec sur la protection des espèces en péril, le gouvernement fédéral avait menacé, en avril dernier, d’imposer un décret pour protéger les dernières forêts qui subsistent dans le but d’assurer la survie du caribou. La situation du caribou, classifié comme espèce menacée depuis 2005, est d’autant plus inquiétante au Québec que certaines popula tions font face à un risque d’ex -
le Québec n’a que faire faire de le protéger – et pas juste celui du caribou. Le ministre de l’Environnement, Benoit Charette, déclarait durant la COP15 ne pas rejeter la possibilité d’empiéter sur ces territoires pour les projets de développement jugés intéressants et pertinents. L’entêtement du gouvernement québécois à passer ses projets sans égard pour l’environnement et à rejeter les initiatives constructives proposées met en péril non seulement l’atteinte
possibilité de construire des économies vertes axées sur la maximisation de l’utilisation durable des ressources naturelles par leur conservation. Néanmoins, plusieurs questions et critiques demeurent quant au rôle des communautés autochtones, au financement global relativement faible, ainsi qu’au suivi et à la responsabilité pour mettre en place les étapes clés qui mèneront vers l’atteinte des objectifs fixés.
que le caribou durant la COP15, aucune annonce n’a été faite par rapport à sa protection par le gouvernement québécois. Les demandes répétées des communautés autochtones n’ont toujours pas trouvé écho au gouvernement. Pourtant, la création d’une aire protégée autochtone avait été proposée en 2020 par le Conseil des Innus de Pessamit, puis appuyée cet été par la Commission indépendante sur le caribou forestier mise sur pied par le gouvernement Legaultlui-même.
tinction. Son déclin devrait nous envoyer le signal d’alarme que la foresterie québécoise actuelle ne permet pas de maintenir la biodiversité d’origine de nos forêts boréales. Mais le Québec ne bronche pas.
La Presse révélait par ailleurs que le gouvernement ignore encore 11 recommandations de ses scientifiques et manque de transparence en matière de protection des espèces animales. Même lorsqu’il reconnaît le territoire d’espèces menacées,
de ses objectifs, mais aussi la crédibilité du Québec tout entier comme chef de file concernant l’environnement.
Un cadre qu’il reste à mettre en place et à respecter
L’accord Kunming-Montréal est un accord historique visant à protéger la biodiversité au niveau mondial. Il pourrait contribuer grandement à réduire les émissions de carbone, à atténuer les changements climatiques et à offrir aux pays en développement la
Si des engagements positifs ont été annoncés par les parties, il ne faut pas oublier le problème de fond : nous pensons être détaché·e·s et indépendant·e·s de la nature alors que nous en faisons partie. L’ambition des gouvernements et des entreprises n’est que le reflet de notre propre manque de vision. La population doit continuer à s’éduquer sur les enjeux environnementaux tels que l’écoblanchiment et le nature-positive pour assurer des avancées significatives. La mobilisation continue de la société civile demeure essentielle pour maintenir la pression sur les instances décisionnelles, tant en matière d’environnement qu’en droit autochtone.
La prochaine Conférences des parties sur la biodiversité se tiendra en Türkiye en 2024. x
« Quand on est sorti·e·s du bâtiment, on s’est fait harceler et intimider par une vingtaine de policiers·ères »Ashley Torres, jeune militante et coordonnatrice au Muskrat C ollectiv e
« Benoit Charette déclarait durant la COP15 ne pas rejeter la possibilité d’empiéter sur le territoire d’espèces menacées pour les projets de développement »Natacha Papieau
« La mobilisation continue de la société civile demeure essentielle pour maintenir la pression sur les instances décisionnelles »Natacha Papieau
L e titre est une référence au triangle amoureux imaginé par la poétesse grecque Sappho dans son poème “Fragment 31”. Elle y raconte son désir pour une femme, traduisant le tourbillon de feu et de glace qui traverse son corps alors qu’elle observe le sujet de sa passion. Eros, dieu du désir, divague entre les lignes ; il baigne chaque mot du poème comme chaque parole des chansons choisies. Son but ne peut jamais être atteint, car délié de sa désirabilité ; le sujet de la passion s’échappe, le plaisir et la souffrance ressentie aussi. Les chansons choisies l’entretiennent ; elles plongent les auditeurs et auditrices dans le trouble, dans
la nostalgie d’une passion sans futur. La sélection est aussi très personnelle, les chanteuses sont toutes des artistes découvertes au fil de mon adolescence, écoutées en m’endormant le soir, en marchant sous la pluie ou en me préparant pour une soirée avec cette personne qui tourne en boucle dans ma tête.
La playlist débute avec History de 070 Shake, une chanson au genre indéfinissable, à la mélodie changeante et absolument envoutante. Les paroles restent, je passe en boucle ses dernières notes que je me chuchote.
Glory Box apparaît deux fois, sa reprise interprétée par Snoh Aalegra, Nothing burns like the cold , est une
sorte d’entrée en jeu, la version originale de Portishead est l’acceptation complète de son caractère sensuel. Dans Girl , je me perds, la mélodie m’aspire, avec elle tout semble possible. Girl , je la chante à voix haute, mes yeux dans les siens.
La suite est parsemée de références cinématographiques. Les couleurs de la première page font écho à l’affiche du film Titane de Julia Ducournau et le titre Doing it to Death est la musique du plan séquence au début du film. Alexia, l’héroïne, danse sur une voiture.
Elle est maîtresse de sa sexualité, de son corps qu’elle colle à la vitre. Unloved est un groupe découvert dans
la série Killing Eve qui montre ce jeu du chat et la souris entre une assassine et une agente du MI6. Chacune de ces références célèbre la sexualité féminine, l’amour queer, les regards échangés entre les femmes, leurs pupilles qui se dilatent alors même qu’elles comprennent leur attirance mutuelle.
La dernière chanson n’est autre que Hey Joe du film Nymphomaniac de Lars Von Trier, interprétée par Charlotte Gainsbourg. Sa voix sensuelle et chuchotante nous entraîne dans des rêves hallucinogènes, on s’y perd, c’est l’apothéose. x
Rencontre avec Lorraine Pintal, directrice du TNM depuis 1992.
Depuis plus de 30 ans à la tête du Théâtre du Nouveau Monde (TNM), dont elle est à la fois la directrice artistique et la directrice générale, Lorraine Pintal revient avec Le Délit sur son parcours et en particulier sur la réussite du projet de revitalisation du TNM. Tout au long de son mandat, elle a rebâti l’une des scènes les plus emblématiques du théâtre montréalais. Elle nous confie aussi son regard sur l’état de la culture à Montréal et au Québec, et l’importance du théâtre dans la société.
Le Délit (LD) : Si on résume votre parcours, peut-on dire que vous avez dédié votre vie au théâtre?
Lorraine Pintal (LP) : Oui, on peut le dire. Je suis même très heureuse parce que j’ai réussi à trouver plusieurs avenues d’expression de l’art théâtral. Par exemple, la télé, même si ce n’est pas de l’art vivant, c’est tout de même un prolongement de ma nature de metteuse en scène. Au départ, c’est vrai, ma formation c’est l’art vivant, c’est le théâtre ; mes longues années de pratique c’est vraiment le théâtre, autant en mise en scène qu’en écriture et jeu d’acteur. J’ai été comédienne pendant plus de 20 ans quand même!
Mon passage au Conservatoire d’art dramatique, c’est vraiment la formation la plus précieuse que j’ai eue. Et ça, ça ne se perd jamais : l’amour de la scène fait
partie de mon ADN. Maintenant, je suis passée de l’autre côté comme metteuse en scène et j’ai beaucoup aimé travailler dans d’autres disciplines, dans d’autres médias comme la radio ou la télé. Les deux en parallèle, la direction du théâtre et les médias, j’ai pu le faire un certain nombre d’années, mais pas de manière permanente. Simplement la radio, le fait d’animer une émis-
que ça fonctionne malheureusement, j’ai été cataloguée dans la mise en scène. Petit à petit, les gens ont dit : « non, elle a fait de la mise en scène, alors on va pas lui proposer des rôles ». Aujourd’hui, je le sais, je suis attitrée au TNM. Les gens me considèrent comme étant la directrice artistique de ce théâtre, mais le jeu reviendra sûrement dans ma vie quand je
LD : En quoi consiste le métier de directrice de théâtre?
sion hebdomadaire, en plus de diriger le TNM et de faire la mise en scène, est devenu très éprouvant au bout d’un moment.
LD : Au sein de votre théâtre, qu’est-ce qui vous a empêché de mêler à la fois le jeu et la mise en scène?
LP : À l’époque, quand je suis arrivée au TNM [ en 1992, ndlr] , il y avait très peu de femmes metteuses en scène, ce qui fait que je répondais à un besoin important, et mon agenda s’est rapidement rempli de propositions. J’avais tellement de mises en scène à prendre en charge que même si on m’offrait des rôles pour jouer au théâtre, je ne pouvais pas les accepter. Et petit à petit, c’est ainsi
quitterai mon poste ; je retrouverai mes premières amours.
LD : Comment s’est faite votre nomination à la tête du TNM?
LP : Le TNM, comme toute grande institution culturelle, toutes disciplines confondues, fonctionne avec un jury. Un comité de sélection a été mis en place et a organisé un appel de candidatures. En l’occurrence, le comité de sélection était formé par le conseil d’administration du TNM et présidé par le fondateur du théâtre, Jean-Louis Roux, qui m’a interpellée pour que je présente ma candidature. Ils ont retenu à peu près quinze noms et finalement c’est ma candidature qui a été choisie.
LP : Moi, en fait, j’ai deux chapeaux, ceux de directrice artistique et directrice générale. C’était une volonté du comité de sélection qui m’a engagée, que l’artistique prédomine, et ils ont raison. C’est très important que la majorité des décisions soient approuvées par une direction qui n’est qu’artistique. La direction générale reste quand même un travail presque à temps plein dans ce théâtre, notamment pour gérer l’administratif. Je suis plus à l’aise dans mon rôle de directrice artistique : programmer, inviter des metteurs en scène, accepter des projets, commander des textes, réunir des équipes de création, accompagner les créateurs. J’aime être très proche de la production, donc des conditions de pratique qu’on offre aux
créateurs, aux artistes. Je suis aussi de très près le financement privé pour qu’on puisse financer nos productions et faire de grandes tournées au Québec, voire à l’international.
LD : Quand vous êtes arrivée au TNM, le théâtre souffrait d’un manque d’attractivité et d’un déséquilibre financier. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Quels ont été les changements que vous avez opérés?
LP : J’ai fait partie de ces gens qui ont reçu le projet de rénover le TNM en 1996-97 (la première étape de la revitalisation). Nous sommes en ce moment dans la phase 2 de la revitalisation qui se fait 25 ans après la première. Il faut être patient, mais c’est clair que la réussite du projet est visible. Tout partait de l’état délabré du théâtre et du désengagement de l’État : il y avait moins de
« Le Conservatoire, c’est vraiment la formation la plus précieuse que j’ai reçue. Et ça, ça ne se perd jamais : l’amour de la scène fait partie de mon ADN »
subventions donc moins de fréquentation, moins d’attraction du public, des budgets déficitaires et pas de financement privé (ça n’existait pas à l’époque).
Pour reconstruire le TNM, il a donc fallu commencer par le bâtiment. C’était très important car c’est un vieux théâtre qui date de 1912 pour la partie ancienne. Moi, quand je suis arrivée, on entrait encore par un hall temporaire sur SainteCatherine, construit du temps de l’ancien propriétaire, qui tombait en ruine. Et quand les gens s’asseyaient dans les sièges ils s’enfonçaient jusqu’au sol. Le pire problème, surtout, c’était la dispersion de l’équipe du théâtre : la scène était ici, les salles de répétition dans un autre bâtiment de la ville, et nos ateliers, décors, costumes et archives étaient dans l’Est. Il n’y avait ici que les techniciens et les spectacles, ce qui faisait que la chimie dans nos équipes était assez déplorable. Quand on s’est tous retrouvés sous un même toit en 1996, on a créé une osmose, une harmonie nouvelle. On a inventé le « théâtre rénové », et à partir de là c’était l’explosion! Les subventions ont augmenté, on a eu plus d’abonnés, on vendait mieux nos spectacles, on a commencé à briller à l’international, on a fait des sorties, organisé des matinées scolaires et rajeuni le public du théâtre.
Grâce à cet essor, on a tout triplé : le budget (9 millions de dollars), les subventions, le nombre d’abonnés et
institutions : « L’art fait du bien ». D’où les nombreux programmes de médiation culturelle qu’on a mis sur pied au TNM. Moi, ma cause, c’est l’art thérapie et les maladies mentales. Ça fait au moins sept ans que je fais chaque année de la mise en scène avec les patients de l’Institut en santé mentale, avec le Théâtre Aphasique. J’observe leur progrès d’année en année, cela les transforme. Ils doivent premièrement créer un personnage et s’y identifier, ça permet de sortir quelqu’un atteint d’une maladie mentale ou d’une dépression de son inconfort et de prendre plus facilement la parole. Après cette expérience-là, ils sont plus ouverts, ils vivent plus facilement en société. Moi, je ne considère pas que je travaille avec des gens malades mais avec des acteurs. Avec moi, ils oublient qu’ils ont la maladie mentale presque tatouée sur le front, ils découvrent un plaisir neuf : l’amusement dans la rigueur.
« C’est ma fierté de travailler dans un théâtre francophone, car le dynamisme culturel renforce l’identité du Québec. Nous, on a besoin de sentir qu’on a une langue qui s’exprime et qui est toujours vivante »
le nombre de productions. Aujourd’hui, le théâtre est à nouveau en chantier, on ajoute une deuxième salle qui est la petite salle Réjean Ducharme, pour des productions plus expérimentales, ouverte à la diversité des peuples autochtones, et qui va permettre de toucher un autre public.
LD : Vous vous êtes aussi engagée dans la vie sociale et culturelle de Montréal, notamment en portant des projets théâtraux avec les patients de l’Institut de santé mentale. Comment pensez-vous que le théâtre soit utile à la société?
LP : Ah ça! Le théâtre contribue au bonheur collectif à tous les niveaux! Ici, on adhère au slogan partagé par le Musée des beaux-arts et d’autres
Ensuite, ils vivent l’expérience sur scène devant 500 personnes et leur personnalité se transforme, s’affirme. Donc, oui, le pouvoir bénéfique du théâtre pour la société, j’y crois énormément, et pas uniquement pour les publics atteints de maladie mentale.
LD : Toujours dans cette idée d’utilité sociétale du théâtre, la pandémie a-t-elle renforcé l’importance du théâtre comme lieu d’émotion collective?
LP : Oui, parce que la pandémie nous a privé de tous les rassemblements humains et a renforcé l’omniprésence des nouvelles technologies. Or je pense qu’une grande partie de la population a besoin de rassemblement, de contact. Je dis souvent
que le théâtre est un substitut à la religion, parce que la religion c’était de grands rassemblements le dimanche ; les gens se retrouvaient sur le parvis de l’église et discutaient. Maintenant, les théâtres sont devenus des cathédrales de la culture parce que des gens viennent ici, font un effort pour venir ici : ils achètent leurs billets, trouvent un stationnement, vont manger au restaurant, font garder les enfants et au moment où ils s’assoient dans la salle, à 840, ils entrent comme en religion. Ils se rendent vulnérables, ouverts au monde et aux émotions. Quand le rideau tombe, je pense qu’ils ressortent transformés. C’est pareil avec la musique et tous les arts. Je crois tellement que l’art provoque des changements importants dans notre société!
Pour nous qui sommes d’expression francophone, c’est d’autant plus important de faire vivre les lieux culturels. C’est ma fierté de travailler dans un théâtre francophone, car le dynamisme culturel renforce l’identité du Québec. Nous, on a besoin de ça, de sentir qu’on a une langue qui s’exprime et qui est toujours vivante. Le théâtre c’est ça : c’est l’art vivant où la parole est au premier plan. Je pense que les politiciens devraient s’en rendre compte et subventionner davantage l’art vivant parce qu’il est le ciment de toute population. Cela s’est vu après la pandémie. Je le sens. Depuis qu’ils sont revenus en salle, les gens sont beaucoup plus émotifs. Les spectateurs sont émus de s’asseoir dans un théâtre, les acteurs sont émus de jouer devant un public, et moi je suis émue de voir que tout le monde est ému.
On a besoin de ces moments où on pleure tous ensemble. Ces moments où l’on rit, on pleure, on écoute, où on est provoqués et où on réagit. Par exemple, dans la pièce à l’affiche en ce moment, Le Roman de Monsieur de Molière de Mikhaïl Boulgakov, il y a beaucoup d’absurdité et pourtant ça touche beaucoup les gens. Boulgakov était un dissident d’origine ukrainienne sous le régime de Staline. On avait choisi la pièce avant que la guerre éclate en Ukraine, mais l’actualité lui donne une résonance très particulière dans l’oreille du public et c’est très émouvant.
LD : En effet, Boulgakov trouve un écho singulier à l’heure où la guerre fait rage entre l’Ukraine et la Russie, d’autant plus que cette programma-
tion résulte d’une coïncidence. Quels sont d’ordinaire les enjeux de votre programmation?
LP : L’enjeu, c’est à la fois d’attirer du nouveau public et de fidéliser le public, c’est-à-dire plaire aux abonnés. Quand je choisis la programmation
« Je dis souvent que le théâtre est un substitut à la religion. [...] Les théâtres sont devenus des cathédrales de la culture »
je réfléchis beaucoup au timing et je me dis par exemple : « un Jean Genet, est-ce que ça va intéresser? Est-ce que le public va aimer voir un Genet cette saison-là? ». Cela se décide 18 mois à l’avance environ. La programmation de cette année est donc celle d’il y a deux-trois ans, celle de l’année du Covid. Quant à la sélection, elle s’effectue en comité, moi j’ai simplement un droit de véto, mais on essaie toujours de se mettre d’accord au sein de l’équipe, et d’équilibrer entre « classiques » et « pièces risquées ».
Jouer les grands classiques, c’est notre mission, c’est mon mandat et j’en suis fière ; le TNM n’était pas un théâtre avec une page blanche quand je suis arrivée, il y avait une longue tradition des classiques ici. Il y a peu de théâtres à Montréal qui font des grands classiques. On est une des rares salles à présenter à la fois Shakespeare, Goldoni, Molière, Beaumarchais, Labiche et en même temps des grands classiques québécois : Michel Tremblay, Normand Chaurette, Michel Bouchard.
On aide aussi la jeune création. On commande des textes à des auteurs et beaucoup à des autrices, parce que je me suis donnée le mandat de faire entendre davantage la parole des femmes. C’est d’ailleurs très bien reçu par les abonnés, ils acceptent de nous faire confiance. S’il y a deux spectacles pour lesquels ils sont dubitatifs dans l’année, parce que là ils ont été un peu décoiffés, mais que les quatre autres leur procurent une grande satisfaction intellectuelle ou esthétique, ils sont toujours contents à la fin.
LD : De manière générale, quel regard portez-vous sur l’activité culturelle à Montréal?
LP : Moi, je trouve que l’activité à Montréal est fabuleuse et, d’ailleurs, la ville est reconnue pour son dynamisme à travers le monde. Par exemple, il est certain que les artistes montréalais révolutionnent la danse sur la scène internationale. Le théâtre jeunesse est également très réputé et de même pour la qualité de nos acteurs, de nos auteurs, de nos autrices, de nos metteurs en scène. On est souvent cité en exemple. On est tellement dynamique que le public de la métropole [ environ 250 000 personnes aux dernières statistiques, ndlr] n’est pas assez nombreux pour que toutes nos salles soient remplies en même temps. À cela se sont ajoutés des arts comme des arts du cirque qui sont extrêmement populaires parce qu’ils font du gros divertissement, et les nouveaux théâtres en banlieue! Brossard, Laval, Longueuil. L’offre est énorme. Qu’on arrive à se sortir du lot avec des salles pleines ou presque, c’est à la fois formidable et inespéré. Le décalage entre offre et demande est d’ailleurs un peu problématique. Il faut attirer plus les gens, être plus ouverts, plus accessibles. Il faut aller chercher les gens qui ne viennent jamais dans les salles de spectacles. Ils vont aller en humour, ils vont aller en chanson et peut-être voir les spectacles d’été, mais il y a encore
des frontières. Par exemple, on a fait Nelligan, l’opéra de Tremblay, avec Marc Hervieux qui jouait Nelligan. Marc Hervieux, c’est d’une grande accessibilité ; on a tellement rempli qu’on a levé des supplémentaires. On aurait pu jouer, je pense, six mois d’affilée. Le grand défi des prochaines années, c’est de rajeunir et dével-
opper le public, de rendre nos lieux accessibles. Sinon, le risque c’est que dans dix, quinze ans cette offre culturelle n’existe plus, surtout pour nous, francophones. Si le français est en perdition, le théâtre francophone a un rôle à jouer pour préserver l’identité française et francophone. Il y a de gros signaux d’alarme dus à l’invasion des tablettes, des réseaux sociaux, d’internet où tout est en anglais. Ça n’a pas de sens. Moi, je regarde ma fille et je vois l’offre gigantesque qui existe sur les canaux en anglais comme Netflix. Nous, on a notre culture québécoise et il faut se battre pour l’affirmer. Les Québécois sont
forts, sont solides ; ils tiennent à leur culture et c’est ça qui est impressionnant. Quand on parle de nous sur la scène internationale, particulièrement en France, c’est souvent comme le village gaulois qui résiste contre l’envahisseur anglophone. Et ils ont raison, on résiste, on est des résistants. Moi je suis immensément fière de ça! On a des gens qui ont du talent et pas de passé lourd à assumer qui entrave la création. De fait, il y a beaucoup d’espoir et de liberté au sein de la jeune création.
LD : Vous avez évoqué tout à l’heure le moment où « ça allait s’arrêter ». Cela signifie-t-il que vous vous préparez à quitter le théâtre ?
LP : Oui, cela fait déjà plusieurs années que le conseil m’a demandé un plan de succession. Encore une fois, la pandémie a beaucoup ralenti les choses. Je dois dire que le projet de construction de la salle Réjean Ducharme, comme c’est moi qui le mène depuis presque 20 ans, rend le passage de flambeau un peu difficile avant qu’elle soit finie, parce que c’est trop gros, c’est énorme. Le con-
seil est conscient que ça va demander un temps de transition d’au minimum un an, et on n’est pas encore dans cette dynamique-là pour l’instant. Je fais partie de cette réflexion, mais je pense que le moteur principal de la longévité d’une direction, quelle que soit la sphère, c’est une espèce d’enthousiasme qui ne se dément pas. Quand on est constamment animée par de nouveaux projets, par l’envie de faire entendre de nouvelles voix, d’explorer de nouvelles formes d’expression, et que tout ça roule, il n’y a pas de nécessité de changement. Mais oui, je sais qu’après 30 ans il faut penser au départ ; je prépare ça, on prépare ça. Pour assurer une bonne transition, il y a encore un certain nombre d’années où je dois prendre le temps de mettre ce théâtre en ordre pour léguer un établissement solide à la personne qui va reprendre ma position. La réalité, c’est que le théâtre a été fragilisé par la pandémie. Je pense que nous sommes tous conscients que nous vivons les pires années : 2022-23, 2023-24. Une fois rendus en 2024-25, par contre, la récession sera derrière nous, tout comme l’inflation et la pandémie. On sera revenu à une certaine normalité, mais pour l’instant ce n’est pas le cas. Je prends souvent l’image du capitaine du Titanic, car on a beau danser sur les étages supérieurs, quand le navire coule, le capitaine ne prend pas la première barque pour se sauver du naufrage, non, il reste jusqu’au bout. Alors je resterai là jusqu’à la fin des difficultés. x
«Une existence de kamikaze dans la beauté des choses volcaniques » : c’est ainsi que Maurice Krafft définit l’existence que lui et Katia Krafft ont choisi de mener. Fire of Love de Sara Dosa (2022) se penche sur la vie de ce couple de volcanologues français ayant parcouru le globe pendant deux décennies pour tenter de percer les secrets enfouis du monde géologique. La réalisatrice américaine retrace la triple histoire d’amour brûlante entre ces deux êtres et les volcans jusqu’à leur mort, en 1981, lors de l’éruption volcanique du mont Unzen au Japon.
De prime abord, c’est une passion pour la science qui les réunit : le coup de foudre de Katia est pour l’Etna et celui de Maurice pour le Stromboli. Tous·tes deux sont mu·e·s par une insatiable curiosité pour un domaine de la science où tout reste à expliquer. Dans l’effervescence des débuts de la théorie de la tectonique des plaques et des premières tentatives de classification des volcans, les deux chercheur·se·s participent à
de nombreuses expéditions et assistent à des centaines d’éruptions.
La quête des deux personnages relève aussi d’une fascination plus
des tons ; sont mélangés commentaires humoristiques, informations scientifiques et réflexions métaphysiques ou pratiques sur leur travail.
Le montage en mosaïque, tantôt pop et tantôt lyrique avec des apartés dessinés, rend justice à cette source d’inspiration multidimensionnelle qu’est le monde géologique.
d’une posture de cinéaste, à laquelle le documentaire rend hommage.
profonde pour le pouvoir créatif des volcans, et leur lien avec notre humanité. Il y a quelque chose qui tient du sublime, tel que défini par Emmanuel Kant, qui traverse ce documentaire : un plaisir mêlé d’effroi devant la violence de la nature qui nous dépasse. On comprend mieux cette fascination en ressentant, par procuration, l’humilité des minuscules silhouettes des deux passionné·e·s devant les plans larges des volcans. Celles·eux-ci vont jusqu’à rechercher le danger, comme lors d’une expédition en canot gonflable sur un lac d’acide…
La force narrative du documentaire tient à la richesse des supports et
La photographie du film est également sublime, révélant la qualité esthétique des archives vidéo. Celles-ci sont captées par les scientifiques pour documenter leurs découvertes, mais témoignent aussi
La caméra est ainsi utilisée pour étudier de plus près et mieux comprendre le monde géologique, mais aussi simplement pour célébrer et prolonger l’instant. Si les deux apprenti·e·s artistes partagent une même passion, le film met en lumière la singularité du regard de chacun·e : l’une, chimiste, est attentive aux matières et aux détails, et l’autre, géologue, est plus sensible au mouvement et aux transformations. Cette profonde fascination presque
métaphysique transparaît dans la beauté visuelle brute des éléments. Les plans sur les textures révèlent de véritables microcosmes au cœur des volcans : la lave rouge des effusifs se déploie comme la croûte d’un pain qui éructe, tandis que les nuages de fumée des explosifs se dispersent en volutes de fumée. La poésie visuelle de Fire of Love prend parfois des airs de science-fiction presque surréaliste. Le couple est ainsi filmé devant les éruptions comme deux astronautes perdu·e·s dans des paysages martiens, dans des scènes qui semblent irréelles.
Un bouillonnement esthétique largement célébré par la réalisatrice, qui, loin d’être réduit à une simple expérience de contemplation, questionne aussi les implications éthiques de leur profession. Jusqu’où peut-on vanter le potentiel créatif des volcans, alors qu’il reste encore très difficile de prévoir les éruptions fatales? En plus de son esthétisme et de sa valeur pédagogique, le documentaire amorce aussi subtilement une réflexion politique d’actualité sur la place de la parole des scientifiques dans l’espace public. x
« Les Québécois sont forts, sont solides ; ils tiennent à leur culture et c’est ce qui est impressionnant »Laura tobon| le délit