Le Délit du 2 février 2016.

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Publié par la société des publications du Daily, une association étudiante de l’Université McGill

Mardi 2 février 2016 | Volume 105 Numéro 12

Un Café Campus de plus depuis 1977


Volume 105 Numéro 12

Éditorial

Le seul journal francophone de l’Université McGill

rec@delitfrancais.com

Oui, Oui, mais...

Soutien du Délit pour le référendum spécial de l’AÉUM.

julia Denis

Restructuration des portfolios exécutifs: votons Oui!

L

L’Association propose d’ajouter un 7e poste exécutif à son équipe aujourd’hui constituée de six v.-p.. Ce nouveau v.-p. permettrait de redistribuer les tâches au sein de l’équipe d’étudiants responsables de la gestion de l’association – tout particulièrement les tâches de v.-p. clubs et services ainsi que finances et opérations. La charge de travail étant plus que considérable pour des étudiants de notre âge (un emploi du temps de Kimber Bialik, la v.-p. clubs et services, avait été rendu public au semestre dernier et montrait qu’elle était allée jusqu’à travailler 20h25 en une seule journée), cette réorganisation permettrait de lutter contre de nouvelles démissions au sein de l’équipe.

Le Délit

es étudiants de McGill peuvent voter jusqu’à ce mercredi pour le référendum spécial de l’AÉUM. Comme expliqué en page 3, l’Association des Étudiants de l’Université McGill propose deux motions spéciales la concernant directement. Le Délit, qui a couvert l’inexorable descente aux enfers de l’AÉUM à l’automne dernier, soutient ces motions qui visent à consolider l’institution et renforcer ses services aux étudiants. Augmentation des frais de membres de l’AÉUM: votons Oui! Après huit sans avoir changé ses frais de membres, l’AÉUM souhaite faire augmenter la cotisation des étudiants de 5,5 dollars. Les énormes responsabilités de l’AÉUM nécessitent des fonds financiers importants comparables à leur constante croissance. L’AÉUM, de par ses activités, s’apparente bien plus à un gouvernement étudiant qu’à une simple association. En effet, l’institution n’est pas seulement organisatrice d’événements, mais gère un bâtiment entier, supervise l’activité des divers clubs étudiants, alloue des fonds pour des services aux étudiants, gère des espaces de restaurations, a la charge d’un agenda politique, offre des opportunités d’emploi aux étudiants… À la vue des prévisions de distribution de ces capitaux, il semble que l’AÉUM ait entendu certaines réclamations de ses membres. Un quart de l’argent récolté sera alloué «aux priorités identifiées par le corps étudiant»: le support aux divers groupes étudiants, le développement d’espaces étudiants, et celui des programmes de santé mentale. Ce sont des enjeux très importants pour l’ensemble des Mcgillois. Le Délit les encourage donc à voter pour cette motion afin de permettre la réalisation de ces projets et d’appuyer l’AÉUM dans son développement.

AÉUM entends-tu le bruit sourd… Suivant chaque semaine de manière consciencieuse – voire obsessionnelle – les affaires de l’AÉUM, l’équipe du Délit a été forcée de constater le travail acharné de ses exécutifs pour les étudiants mcgillois. Or, ces derniers, souvent spectateurs lointains, semblent lancer un regard désespéré, perdu et moqueur vers l’AÉUM. Malgré la prise de position en faveur du référendum par Le Délit et de nombreuses autres associations de McGill (The Daily, The Tribune, l’AÉFA…), les étudiants électeurs risquent encore une fois d’être sévères envers l’AÉUM. Celle-ci doit réagir si elle souhaite obtenir le soutien de ses électeurs. Le cynisme et le détachement des étudiants de McGill envers leur association étudiante est la preuve d’un problème allant au-delà de questions pouvant être réglées par des capitaux ou des employés supplémentaires. Petite politique pendant les élections, manque de communication des événements – on se souvient de l’Assemblée générale et de la dernière édition d’Activities Night complètement vides – et isolement politique. Un bien triste cocktail qui éloigne toujours les étudiants de l’association censée les représenter et pour laquelle ils doivent maintenant voter. x

rédaction 3480 rue McTavish, bureau B•24 Montréal (Québec) H3A 1X9 Téléphone : +1 514 398-6784 Télécopieur : +1 514 398-8318 Rédactrice en chef rec@delitfrancais.com Julia Denis Actualités actualites@delitfrancais.com Chloé Mour Ikram Mecheri Hannah Raffin Culture articlesculture@delitfrancais.com Céline Fabre Vassili Sztil Société societe@delitfrancais.com Esther Perrin Tabarly Économie economie@delitfrancais.com Sami Meffre Coordonnateur de la production production@delitfrancais.com Baptiste Rinner Coordonnatrices visuel visuel@delitfrancais.com Mahaut Engérant Vittorio Pessin Coordonnateurs de la correction correction@delitfrancais.com Yves Boju Antoine Duranton Coordonnatrice réseaux sociaux reso@delitfrancais.com Inès Léopoldie Dubois Multimédias multimedias@delitfrancais.com Matilda Nottage Événements evenements@delitfrancais.com Joseph Boju Webmestre web@delitfrancais.com Mathieu Ménard Contributeurs Alexandre Abbouche, Camille Charpiat, Hortense Chauvin, Miruna Craciunescu, Joachim Dos Santos, Lisa Elnagar, Salomé Grouard, Louise Kronenberger, Eva Lancelin, David Leroux, Magdalena Morales, Eléonore Camille Nouel, Cécile Richetta, Théophile Vareille, Jenny Zhu. Couverture Mahaut Engérant et Vittorio Pessin bureau publicitaire 3480 rue McTavish, bureau B•26 Montréal (Québec) H3A 1X9 Téléphone : +1 514 398-6790 Télécopieur : +1 514 398-8318 ads@dailypublications.org Publicité et direction générale Boris Shedov Représentante en ventes Letty Matteo Photocomposition Mathieu Ménard, Lauriane Giroux, Geneviève Robert The McGill Daily coordinating@mcgilldaily.com Niyousha Bastani

2 éditorial

Les opinions de nos contributeurs ne reflètent pas nécessairement celles de l’équipe de la rédaction.

L’usage du masculin dans les pages du Délit vise à alléger le texte et ne se veut nullement discriminatoire. Le Délit (ISSN 1192-4609) est publié la plupart des mardis par la Société des publications du Daily (SPD). Il encourage la reproduction de ses articles originaux à condition d’en mentionner la source (sauf dans le cas d’articles et d’illustrations dont les droits avant été auparavent réservés, incluant les articles de la CUP). L’équipe du Délit n’endosse pas nécessairement les produits dont la publicité paraît dans ce journal. Imprimé sur du papier recyclé format tabloïde par Imprimeries Transcontinental Transmag, Anjou (Québec).

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Actualités

campus

actualites@delitfrancais.com

Référendum hivernal de l’AÉUM

Les étudiants sont appelés à se prononcer sur la hausse des frais d’association de l’AÉUM. Ikram mecheri

Le Délit

L

es membres de l’exécutif de l’AÉUM (Association Étudiante de l’Université McGill) mènent présentement une campagne massive de séduction sur les réseaux sociaux afin de convaincre l’électorat étudiant de voter en faveur de l’augmentation de 5,5 dollars des frais d’association. Présentement, la cotisation des étudiants à temps plein s’élève à 44,75 dollars par session pour l’ensemble des facultés à l’exception des facultés de droit, d’études religieuses, dentisterie et médecine qui cotisent 33,56 dollars par session. En plus des frais d’associations, les étudiants payent les frais additionnels de l’AÉUM qui peuvent atteindre la somme de 42,64 dollars par session si les étudiants ne les retirent pas. Si acceptée, il s’agira de la première augmentation des frais d’association en huit ans.

Répondre aux besoins des étudiants L’augmentation des frais d’adhésion va permettre la création d’un nouveau poste au sein de l’exécutif de l’AÉUM. Il est à rappeler que les nombreuses démissions ont grandement alourdi la tâche de l’exécutif. Pour pallier le manque d’effectif, certains membres du conseil exécutif ont cumulé plus de 80 heures de travail par semaine. La deuxième question du réfé-

rendum, qui vise la création d’un septième poste au sein de l’exécutif permettra une distribution plus équitable des tâches, tout en évitant à l’AÉUM de retomber dans l’état de vulnérabilité dans lequel elle s’est retrouvée à de nombreuses reprises ces derniers temps. En effet, le directeur général, le v.-p. interne, le directeur de la garderie ainsi que le gérant des événements ont à tour de rôle démissionné ces derniers mois, fragilisant l’association par la même occasion.

Par le biais des sites web ssmuyes (aéumoui, ndlr), l’AÉUM présente la répartition de son budget ainsi que les différentes priorités des étudiants. Seul bémol, le site est seulement disponible en anglais. L’augmentation de 5,5 dollars sera répartie en trois segments: 43% pour la viabilité financière, 32% pour le personnel de soutien et 25% pour les priorités identifiées par le corps étudiant. Toujours selon l’AÉUM, les priorités des étudiants sont réparties de la façon suivante: 59% souhaitent un meilleur support aux différents groupes étudiants, 33% aux espaces étudiants et 8% aux programmes associés à la santé mentale. Pour répondre à ces demandes, l’exécutif promet une augmentation de 25 000 dollars du fond des associations, ce qui permettra aux différentes associations étudiantes de McGill de réduire leurs frais de locations des locaux. 10 000 dollars seront également alloués aux espaces étudiants. L’AÉUM souhaite aussi réorganiser les portfolios des postes de v.-p. clubs et services et v.-p., finan-

ces et opérations en trois postes distincts: v.-p. vie étudiante, v.-p. opérations et v.-p. finances. Les portfolios des membres exécutifs de l’AÉUM n’ont pas été modifiés depuis 1998. Une explication plus exhaustive de ce septième poste est accessible au seventheexec.com en anglais seulement. Une campagne basée sur les réseaux sociaux Les membres de l’exécutif de l’AÉUM ont concerté leurs efforts afin de mener une campagne massive du «Oui» sur les réseaux sociaux. Sur Facebook, notamment, les exécutifs ont tous modifié leurs photos de profils pour y mettre celle de la Campagne du «Oui». Sur la page de l’événement de cette campagne quelques centaines d’étudiants se sont engagés à voter favorablement. Une campagne du «Non» a aussi fait surface, sans grand succès. Les résultats du référendum seront disponibles le 3 février à 17 heures au plus tard. x

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livraiSon été 2016

actualités

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Campus

Diversité: la dernière des priorités?

CHloÉ MouR et matilda nottage

conférence

Politiques de divisions sanglantes Soudan du Sud: Les impacts d’une guerre civile.

tion des terres cultivables selon l’appartenance ethnique.

Magdalena Morales

L

es étudiants de McGill œuvrant pour le Fonds des Nations Unies pour l’enfance ont organisé un panel de discussion le 26 janvier dernier dans le cadre de la semaine UNICEF. La discussion abordait la situation méconnue du Soudan du Sud, pays indépendant depuis 2011 et plongé dans une guerre civile qui fait rage depuis 2013. Comprendre la situation Le premier intervenant, James Thuch Madhier, étudiant à l’Université de Toronto, a pris part à la table ronde par Skype. Originaire du Soudan du Sud, il a expliqué comment les désaccords entre le président sud-soudanais Salva Kiir et le vice-président Riek Machar avaient culminé en une guerre civile. Depuis décembre 2013, ce conflit qui opposent les partisans des deux hommes politiques, a entraîné le déplacement de 120 000 civils et a fait plusieurs victimes, notamment des enfants. Mohamed Sesay, doctorant en sciences politiques à McGill, a ensuite complété le portrait de cette crise humanitaire en

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Solutions au conflit

Joachim Dos Santos expliquant que le conflit politique prenait ses sources dans un conflit ethnique. Le président Kiir fait parti de l’ethnie Dinkas et le vice-président Machar de celle des Nuers. Ces deux groupes ethniques sont les principaux acteurs de cette guerre civile pour le pouvoir. M. Sesay mentionnait

également le fait que le gouvernement accorde des privilèges à son groupe ethnique ce qui alimente les rivalités entre les deux groupes. Ces privilèges se font notamment sentir dans le domaine de l’agriculture vivrière, essentielle aux Sud-soudanais. Un exemple de ce favoritisme est la réparti-

En 2014, l’UNICEF, constatant que plus de 64 000 enfants étaient sous-nourris au Soudan du Sud, a fourni une assistance alimentaire et un accès à l’eau potable à plus d’un demi-million d’enfants, en plus d’en vacciner 100 000 contre la rougeole. Toutefois, cette aide n’offre aucune solution à long-terme puisqu’elle ne sert qu’à répondre aux besoins urgents de la population. C’est là que Grant McDonald entre en scène. Journaliste de l’association «Journalistes pour les Droits de l’Homme», il partage son temps entre Toronto et le Soudan du Sud, où il enseigne les bases du journalisme aux reporters locaux. Cette initiative permet aux résidents d’apprendre à bien faire passer un message, d’amorcer des discussions locales sur les conflits qui touchent le pays. Le succès de ce projet motive Grant McDonald à continuer, convaincu que la qualité du journalisme au Soudan du Sud s’est grandement améliorée et que le dialogue représente un excellent moyen d’atteindre la paix.

Khalid Mustafa Medani, professeur en sciences politiques et études islamiques à McGill, a également abordé le rôle de l’Union africaine par rapport aux accusations criminelles contre le gouvernement sud-soudanais. Il explique que l’entité avait émis un rapport tardif en 2015 qui dénonçait les atrocités commises par les partis impliqués. Professeur Medani a aussi évoqué l’accord de paix signé en août 2015, pour un cessez-lefeu qui n’a pas été respecté. Bien que plusieurs voient cet accord comme le meilleur espoir du pays, l’orateur a soutenu que ce n’est pas assez puisqu’un compromis politique n’a toujours pas été conclu. Bien que l’accord de paix signé en août 2015 entre les deux politiques ait été violé à plusieurs reprises, d’autres mesures ont été mises en places par la communauté internationale pour résoudre le conflit. L’UNICEF apporte de l’aide à court terme et des journalistes étrangers risquent leur vie afin d’informer la communauté internationale. Cependant, les mesures proposées par le Conseil de sécurité de l’ONU ont toutes été bloquées par la Russie, qui affirme que punir l’élite sud-soudanaise risque d’envenimer la situation. x

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québec

Projet de loi 86: échec ou réussite? Le projet de loi sur les commissions scolaires fait débat. hannah raffin

Le Délit

Le projet de loi 86 en bref

rançois Blais, ex-ministre de l’Éducation au Québec avant le tout dernier remaniement, avait soumis une proposition de loi le 4 décembre 2015 dont l’objectif est la réforme des commissions scolaires. La consultation du projet de loi au sein de l’Assemblée parlementaire a commencé jeudi dernier. Rappelons tout d’abord la mission de ces infrastructures. Les commissions scolaires sont des institutions présentes dans chacune des régions du Québec et constituées de commissaires élus localement au suffrage universel. Ces administrations sont notamment chargées d’allouer les différentes ressources équitablement entre les établissements et de prendre en charge l’organisation et la gestion de tous les services liés à l’éducation dans leurs régions respectives.

Cette loi prévoit principalement le remplacement des commissaires par un conseil scolaire, qui serait composé de dix-sept membres: six parents, un enseignant, un professionnel, deux directeurs d’école, six personnes représentant la communauté et un directeur général. Ces représentants seront élus ou nommés par leurs pairs. De plus, on note la volonté d’accroître les prérogatives du Ministre au sein du processus décisionnel des commissions scolaires.

F

Une réforme à double-tranchant Le projet a pour visée principale de donner plus d’autonomie aux écoles, qui sont parfois trop dépendantes des commissions scolaires — ces dernières pouvant être déconnectées de leurs réels besoins et attentes. Aussi, il permettrait de rapprocher les parents d’élèves

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et l’équipe pédagogique des établissements des lieux de décision. Également, le projet de supprimer les élections des commissaires scolaires permettrait d’effectuer plusieurs millions de dollars d’économie, sans que le changement soit notable pour les électeurs, étant donné le faible taux de participation aux dernières élections scolaires. Cependant, il n’est pas sans fondement de s’attarder sur les critiques de cette loi qui, en apparence, semble sans reproche. Cette prétendue augmentation de la démocratie participative (le rôle de la société civile dans l’institution étant élargi) ne serait-elle pas en trompe-l’œil? En effet, la pratique démocratique du suffrage universel est supprimée puisque les représentants sont élus ou nommés par leurs pairs. Les citoyens n’auront donc plus aucune prise sur leurs représentants. Mais encore, en donnant beaucoup plus de pouvoir au Ministre, on court le risque de diminuer le rôle de ces

mêmes représentants face au membre du gouvernement qui a le dernier mot sur toutes les décisions. Deuxièmement, dans l’hypothèse où ces représentants exerceraient une réelle influence, rien n’assure qu’au niveau de la répartition des ressources ils ne succomberont pas à la tentation du clientélisme. Les commissaires pourraient favoriser les intérêts individuels de leur école ou de leur propre enfant plutôt que de penser aux intérêts de la collectivité. Enfin, on peut se demander si ce «brassage de structure» aura un réel impact sur les élèves, qui après tout représentent l’enjeu le plus important dans cette réforme. Selon Egide Royer, professeur en sciences de l’éducation à l’Université Laval, cette réforme rate sa cible. Elle ignorerait un des plus grand fléau de l’Éducation au Québec: le décrochage scolaire. x

actualités

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conférences

Activisme 101 Dr. Choudry, professeur à McGill, nous a parlé de l’un de ses derniers livres. rues sont importantes parce qu’il y a beaucoup de monde qui, ici à McGill, même en anthropologie, écrit, travaille sur l’activisme, les mouvements sociaux, mais ça se passe vraiment dans les rues, avec des gens qui ne sont pas des universitaires.» L’auteur conclut donc que son livre tente d’articuler les différentes façons de couvrir les événements, mouvements sociaux, et leurs lieux.

eléonore camille nouel

Le Délit

«L

earning Activism: The intellectual Life of Contemporary Social Movements» (Apprendre l’activisme: la vie intellectuelle des mouvements sociaux contemporains, ndlr), l’un des derniers livres du docteur Aziz Choudry, était l’objet d’une conférence ce mardi 26 janvier. L’événement, organisé par l’émission Free City Radio de CKUT, consistait en une présentation de l’œuvre par l’auteur, suivie d’une discussion. Il s’est tenu à la librairie coopérative solidaire de Concordia: une petite pièce chaleureuse rue Bishop, même si le lieu de rencontre était trop étroit pour le nombre de personnes intéressées et présentes. C’est donc un peu serrées, quoique dans une ambiance plutôt familiale, qu’une quarantaine de personnes ont écouté le Dr. Choudry, professeur à McGill au département d’études intégrées en sciences de l’éducation, présenter son livre pour ensuite lui poser des questions. Une ambiance qui représentait bien la discussion, avec en son

Un écrivain productif

eléonore camille nouel centre l’importance de l’apprentissage et des différentes manières d’apprendre, que ce soit dans un contexte universitaire ou familial et intergénérationnel; ce que l’auteur nomme la notion d’apprentissage intentionnel et non-intentionnel. Le Dr. Choudry a ensuite abordé les thèmes de l’activisme et des mouvements sociaux et

interrogé les choix de couverture des événements de l’actualité, la façon dont certains seront retenus par l’Histoire, tandis que d’autres n’auront été qu’à peine couverts par les médias: c’est ce qu’il appelle «l’organisation sociale de l’oubli». Enfin, le Docteur a parlé de l’importante différence entre les

travaux académiques activistes et portant sur l’activisme avec l’activisme de la rue lui-même. C’est cette partie de la conférence qu’Adam Fleischmann, étudiant doctorant en anthropologie à McGill présent pour l’événement, retiendra le mieux: «Je crois que les différences entre l’Académie, l’université et l’activisme dans les

Dr. Aziz Choudry est l’auteur de plusieurs autres livres, notamment au sujet de l’immigration, des difficultés rencontrées par les immigrants dans le monde du travail, des organisations non-gouvernementales, et de nombreux articles de recherche dans ces domaines. Si «Learning Activism: The Intellectual Life of Contemporary Social movements» n’a été publié que récemment, en septembre 2015, l’auteur a déjà annoncé la sortie d’un autre livre, sur le thème de l’immigration et du travail des migrants au Canada, à paraître en 2016. x

Traduire le Black Feminism: indispensable? Une conférence centrée sur l’expérience des femmes noires francophones. eva lancelin

D

ans le cadre de la publication de la traduction francophone de Ne suis-je pas une femme ­— de bell hooks, intellectuelle, féministe et militante américaine —, Dre Stéphane Martelly, Leïla Benhadjoudja et Amandine Gay ont mis en place une table ronde intitulée «La traduction du Black Feminism dans les contextes francophones», ce samedi 30 janvier à la Centrale. La discussion a eu pour but de questionner la pertinence du black feminism (féminisme noir, ndlr) des États-Unis dans les milieux francophones, que ce soit en France, au Canada ou à Haïti. Amandine Gay, comédienne française arrivée au Québec en juillet 2015, anime et introduit la conférence. Tout en retraçant son parcours en tant que femme noire en France, elle détaille l’importance qu’ont pu avoir les œuvres d’auteurs comme bell hooks (dont le nom s’écrit sans majuscule selon sa propre volonté, ndlr) dans sa vie et celles d’autres femmes noires. Or, cette littérature est presque exclusivement anglophone et seuls les textes les moins politiques sont traduits en français. Ainsi, en citant bell hooks, Amandine Gay raconte

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pourquoi les traduire est d’une importance primordiale, pour des questions d’accessibilité et d’émancipation. Réappropriation de la parole et des vécus Dre Stéphane Martelly, originaire de Haïti, raconte son contact tardif avec le black feminism. Son discours s’articule principalement

autour de la nécessité de se réapproprier la parole et les espaces. En effet, trop souvent les expériences des femmes noires (si elles sont mentionnées) sont analysées et rendues visibles par des individus extérieurs à leurs communautés (ex: universitaires, politiques). Ils projettent ainsi une vision de leurs vécus qui se veut «objective» mais est en réalité biaisée, erronée, voire même nuisible quand ces visions

sont imprégnées de représentations racistes et sexistes. Dès lors, Dre Martelly trouve en bell hooks une juste articulation de deux phénomènes qui, séparés l’un de l’autre, ne lui parlaient pas: le racisme et le féminisme. De plus, elle estime qu’un féminisme noir haïtien est nécessaire et n’a pas à s’adresser à une majorité blanche, mais plutôt à articuler la conception d’une communauté noire qui doit construire la nation. Cette conception passe également par la réappropriation de la parole et la nécessité de rester propriétaire de son récit. C’est une réappropriation qui se fait en continu. Le terme de «mouvance» ressort beaucoup dans son propos: mouvance continue du travail de bell hooks, mouvance au sein de la communauté, mouvance perpétuée par la préface d’Amandine Gay. Leïla Benhadjoudja, de son côté, arrivée d’Algérie au Québec à l’âge de quinze ans, évoque plus particulièrement l’amour de soi, l’amour de sa communauté, sujets qu’elle retrouve évoqués chez bell hooks. Ce qu’elle mentionne aussi du travail de l’auteure, c’est son accessibilité: comment bell hooks est allée au-delà de l’intellectualisme et de l’universitaire pour

s’adresser à tous. Au-delà de cela, Leïla Benhadjoudja questionne l’usage de la langue. Venant d’un pays colonisé, elle reconnaît qu’il est difficile de se réapproprier une langue d’oppression. Mais elle précise, citant Kateb Yacine, écrivain algérien, que cette langue devient un butin de guerre et qu’elle lui permet de lancer un appel de sororité et de solidarité. Une conférence conclue dans la solidarité Le débat avec la salle, qui clôt la conférence, permet une ouverture de la parole. Amandine Gay propose que ce débat soit avant tout pour ceux et celles dont la parole est la plus invisible dans l’espace public. Elle suggère ainsi à l’auditoire de réfléchir à sa position sociale avant de venir poser une question. S’ensuit un florilège de femmes noires qui montrent leur travail, questionnent leurs identités et s’interrogent sur le travail intracommunautaire qui peut être accompli. Ces questions de l’auditoire apportent la conclusion désirée par les panélistes de la conférence: la nécessité qu’il y a pour ces femmes noires francophones d’être solidaires et de se créer des espaces sécurisés. x

le délit · mardi 2 février 2016 · delitfrancais.com


canada

Les conventions collectives, désuètes? Une décision qui peut changer le cours des conventions collectives. ikram mecheri

Le Délit

L

a Cour Suprême du Canada a accepté d’entendre la cause qui oppose les enseignants de la ColombieBritannique à leur gouvernement provincial. Le conflit, qui perdure depuis plusieurs années faute de précédent, pourrait modifier de fond en comble les conventions collectives intégrées au code du travail canadien. Un conflit interminable Ce qui n’était supposé être au début qu’une simple réforme du système scolaire s’est transformée en une saga judiciaire qui draine les ressources de la Fédération des Enseignants de la ColombieBritannique (FECB). En 2002, après des mois de négociations infructueuses sur cette réforme, le gouvernement provincial de la Colombie-Britannique a passé un projet de loi afin d’augmenter l’effectif dans les classes. Ce subterfuge permit au gouvernement britanno-colombien de contour-

ner les conventions collectives et de ne pas avoir à négocier avec la FECB. Cette dernière s’opposait fermement à certaines clauses de réformes, tel que l’augmentation du ratio étudiants/professeurs dans les écoles du primaire et du secondaire. Le nombre d’étudiants par classe étant inscrit dans la convention collective, la FECB estimait que le gouvernement avait enfreint ses droits constitutionnels d’associations inscrits dans la Charte canadienne des droits et libertés.

Avec le projet de loi le gouvernement britanno-colombien a notamment aboli, sans aucune négociation avec les syndicats, les quotas de spécialistes tel que les psychoéducateurs, psychologues, orthophonistes et autres. En contrepartie, le palier provincial du gouvernement proposait la création d’un fond de 75 millions de dollars annuel qui serait distribué aux établissements scolaires. En contrepartie, la FECB demande un fond de 225 millions ainsi que la restauration des nor-

mes de la convention collective qui avait été négociées et signées avant 2002. Suite à cette loi, s’ensuivit un long conflit juridique de quatorze ans qui opposa les enseignants de la FECB au gouvernement. La justice donna d’abord raison aux enseignants, estimant que le gouvernement avait fait preuve de « mauvaise foi » au cours des négociations et au cours du dépôt de son projet de loi. La Cour d’Appel donna ensuite raison au gouvernement, estimant que les droits de négociations des enseignants n’étaient pas constitutionnels, et donc qu’il n’y avait pas eu de violation. Cependant, s’estimant lésés dans leurs droits démocratiques, qu’ils jugent constitutionnels, les enseignants ont présenté leur cause à la Cour Suprême du Canada qui a accepté l’appel, sans toutefois fournir des explications. La nécessité des conventions collectives La négociation collective permet une balance des pouvoirs de l’État face aux travailleurs canadiens

en permettant aux syndicats de négocier les conditions de travail des employés. C’est particulièrement le cas dans les secteurs où l’État exerce un contrôle quasi-monopolistique tel que la santé et l’éducation. Si la Cour Suprême donne gain de cause

Le gouvernement fait preuve d’un autoritarisme rare. au gouvernement, l’ensemble des conventions collectives dans les autres provinces pourraient être modifiées sans l’accord des syndicats. Indirectement, le droit d’association en serait grandement affaibli, et il perdrait son pouvoir de négociation, en rendant les conventions collectives désuètes. Plus encore, en utilisant son pouvoir législatif pour éviter de négocier avec les citoyens, le gouvernement fait preuve d’un autoritarisme rare. À long terme, cette hypertrophie de l’autorité gouvernementale censée servir le peuple ne fera qu’augmenter le cynisme de la population envers nos institutions démocratiques et nos élus. x

chronique

Instable éducation David Leroux | Espaces Politiques Cinq en cinq

L

a semaine dernière, le premier ministre du Québec Philippe Couillard a procédé à un important remaniement ministériel à Québec. Presque deux ans après son élection à l’Assemblée nationale, l’équipe du PLQ (Parti Libéral du Québec, ndlr) a traversé, presque sans encombres, le plus gros défi qui se posait à lui: faire gober aux Québécois son austérité budgétaire. Bien sûr, des hauts cris furent poussés. Bien sûr, les groupes sociaux, les syndicats, la gauche et, éventuellement, tous les détracteurs du PLQ exprimèrent fortement leurs réserves quant aux nombreuses coupures qui furent faites. Aucune ne devait affecter les services sociaux nous promettait-on en campagne électorale. Les rares naïfs qui restaient ont aujourd’hui perdu leurs illusions. Il semble toutefois que le remaniement ministériel laisse poindre à l’horizon l’espoir de moins tristes jours. Avec l’ineffable

La nomination de Pierre Moreau à l’Éducation nous met face à une dérangeante réalité: l’apparente incapacité de proposer un projet éducatif enthousiasmant pour le Québec. Moreau devient, en effet, le troisième ministre de l’Éducation de la présente législature et le cinquième à occuper ce poste en autant d’années. Le constat n’est pas anodin. Comment se fait-il que le deuxième plus gros portefeuille du Gouvernement soit accablé d’autant d’instabilité politique? Il est vrai que de nombreuses réformes, toutes contestées, ont été adoptées par le
passé et qu’un certain essoufflement se ressent à cet égard. Il est aussi vrai que
l’épisode du Printemps érable a probablement échaudé tout ministre songeant un instant à augmenter les frais de scolarité ou à restreindre l’accès au frugal programme d’aide financière aux études. Quels sont les dossiers prioritaires à l’Éducation actuellement? Quels défis doivent relever les ministres qui se succèdent?

le délit · mardi 2 février 2016 · delitfrancais.com

Manque de vision Voilà peut-être l’un des problèmes majeurs du système éducatif québécois dans son état actuel. Du côté gouvernemental, on vit mal avec son coût. La «priorité à l’éducation» annoncée au dernier budget s’est concrétisée en coupure de services aux élèves affectant directement ceux en difficulté et, par ricochet, tous les autres. Du coté des étudiants, des enseignants et des citoyens préoccupés par l’école québécoise, on parle de l’urgence de s’occuper des infrastructures déficientes, d’améliorer les services, d’augmenter l’accès aux études. Difficile de concilier ces deux positions diamétralement opposées. J’observe toutefois ceci: on ne semble avoir, pour la formation de nos jeunes esprits, aucune vision, aucun projet, aucune ambition qui dépasse la gestion comptable, comme si l’Éducation nationale du Québec n’intéressait en fait personne. On l’instrumentalise à des fins partisanes, on s’en sert pour faire avancer son agenda et pour faire perdre du capital politique à ses adversaires, mais jamais on ne semble s’intéresser à elle en soi. Pourquoi? Plus rien à saboter Si l’on ne semble montrer aucun intérêt envers le projet éducatif québécois qui aille audelà de l’horizon pathétique des

Matilda nottage

Sam Hamad remplaçant le psychorigide Martin Coiteux au Conseil du trésor, il n’est pas difficile d’imaginer une deuxième moitié de mandat généreuse et pensée de façon à amadouer l’électorat. Un ministère retient toutefois l’attention dans tout ce brouhaha: le ministère de l’Éducation.

contingences comptables, c’est peut-être que l’on a aujourd’hui plus grand chose à saboter. Au fil de réformes transformant l’élève en «apprenant» et l’enseignant en pédagogue, à force de vouloir sortir la vie des idées de la salle de classe pour y faire entrer la vie de tous les jours, d’enlever à l’École ce qu’elle a de dépaysant sous prétexte de la rendre accessible et d’ainsi mieux figurer au palmarès bidon des pays où les taux de diplomation sont élevés, on a fini par venir à bout de cette fâcheuse tendance que nous avions à former des esprits libres inscrits dans l’héritage de leur civilisation. On forme mainte-

nant de bons acteurs socio-économiques cheminant en droite ligne et faisant ce que l’on attend d’eux qu’ils fassent. L’École est devenue un «système» comme la politique québécoise est désormais réduite à la gestion comptable de l’État. Quelle cause cela sert-il? La soumission docile des citoyens aux diktats du dogme idéologique dominant et l’acceptation béate de ses visées hégémoniques? Que ce soit le ministre #1 ou le ministre #5 qui soit en poste, il y a fort à parier, hélas, qu’aucune conversation collective de fond sur l’École ne se tiendra d’ici un bon moment. x

actualités

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Société

opinions

societe@delitfrancais.com

Couillard remplace les chandelles Le gouvernement québécois remanié pour un «nouvel élan». yves boju

Le Délit

J

eudi dernier, le premier ministre québécois Philippe Couillard a annoncé la nouvelle liste de ses 28 ministres. Ce changement intervient tout d’abord en période de mi-mandat, Couillard ayant succédé à Pauline Marois en 2014 pour un mandat de quatre ans. Il s’agit du second remaniement depuis 2014. La cérémonie, qui a eu lieu le 28 janvier, laissait présager un changement assez important car elle avait été organisée dans le «Salon rouge», la salle du Conseil législatif de l’Assemblée nationale. Au total, 14 ministres ont été remplacés ou ont vu leurs responsabilités modifiées. Parmi ces changements, les plus notoires sont sans doute celui de Dominique Anglade, qui prend les rênes du ministère de l’Économie en remplaçant Jacques Daoust, et celui de Pierre Moreau qui succède à l’éphémère François Blais au poste de ministre de l’Éducation (voir p.7). «Une nouvelle phase» Couillard affirme donc sa volonté de redonner du souffle au gouvernement québécois. Il a d’ailleurs mentionné en commentaire à la presse cette volonté de repartir de l’avant en entamant

«une nouvelle phase de [son] gouvernement». L’équipe dont il disposait jusque-là présentait quelques failles de communication et l’image de certains ministres en souffrait, plus particulièrement celle de François Blais, héritier malheureux de la démission d’Yves Bolduc en février 2015.

Si cette volonté d’un «nouvel élan» en mi-mandat n’est ni une nouveauté politique, ni un geste à qualifier de pure manœuvre, il convient de la placer dans un cadre plus large. Il est envisageable de considérer ce remaniement comme le début d’un travail d’image de longue haleine du Parti Libéral du

Québec, ayant alors comme but la réélection en 2018. Entre autres, Couillard suit l’exemple de Justin Trudeau en introduisant «plus de femmes [et] de jeunes» — d’après son discours de jeudi — dans un Conseil des ministres qui n’atteint pas encore la parité (12 femmes et 16 hommes). Notons que Jean

Charest avait, lui, atteint la parité en 2007 et 2008. Ceci dit, on n’est jamais à l’abri d’un remaniement supplémentaire, comme va le dicton: jamais deux sans trois. L’introduction, par ailleurs, de Pierre Moreau à l’Éducation sert de pause afin de relâcher la pression exercée sur le gouvernement dans ce secteur. Après les coupes budgétaires, les manifestations, et autres démonstrations de force, les enseignants ainsi que les universités sont anxieux de découvrir le prochain budget du gouvernement qui sera dévoilé en mars. Jusque là, nous pouvons nous attendre à quelques autres mouvements plus discrets qui tâcheront de faire retrouver à l’Éducation des jours meilleurs. Plus généralement, le gouvernement Couillard doit savoir que le remaniement ne suffira à l’opinion publique que s’il est accompagné d’un budget plus souple en faveur des services publics. Ceux-ci sont largement touchés par la volonté rigoureuse de Couillard qui réaffirmait jeudi encore sa volonté d’atteindre le déficit zéro. Le Parti Québécois (PQ) — l’opposition officielle à l’Assemblée nationale — a pour sa part exprimé ses doutes sur le remaniement. Bernard Drainville, le chef de l’opposition à Québec a lui-même réaffirmé la position du PQ: soudé derrière PKP (Pierre-Karl Péladeau, ndlr) et voulant un plus fort stimulus de l’économie. x

L’aide sociale en danger au Québec Le projet de loi 70 précarise la situation des jeunes. cécile richetta

Le Délit

U

ne loi est en préparation à l’Assemblée nationale du Québec, et elle n’augure rien de bon. Baptisé «Loi visant à permettre une meilleure adéquation entre la formation et l’emploi ainsi qu’à favoriser l’intégration en emploi», le projet de loi 70 est en réalité bien plus problématique que sa description ne laisse présager: alors qu’il promet une meilleure réinsertion dans la vie active pour les bénéficiaires de l’aide sociale, ce projet représente en réalité un véritable risque de mise à la rue desdits bénéficiaires. Réduire l’aide sociale aux personnes en détresse Le principal objet de discorde dans cette loi se trouve dans le Chapitre V «Programme Objectif Emploi», et se présente

8 société

ainsi: «83.1. Toute personne visée par règlement qui aurait droit de bénéficier d’une prestation en vertu du Programme d’aide sociale […] doit d’abord participer au Programme objectif emploi.» De plus, la loi stipule au paragraphe 83.4. que «le participant est tenu d’accepter tout emploi convenable qui lui est offert». Aujourd’hui, une personne bénéficiant de l’aide sociale doit déjà survivre avec 623$ par mois. Le projet de loi 70 promet de couper de moitié cette aide sociale si le bénéficiaire ne peut pas prouver qu’il fait partie d’un programme de formation ou s’il refuse un emploi «convenable». De nombreuses associations et organisations ont hurlé au scandale et ont très efficacement démontré les nombreux problèmes que présente cette loi. Grâce à elle, le gouvernement québécois et son nouveau ministre de l’Emploi et de la Solidarité Sociale,

François Blais, espèrent économiser 50 millions de dollars. M. Hamad, son prédecesseur, était conscient des conséquences d’un tel projet, surtout pour les jeunes de moins de vingt-neuf ans, déjà dans une situation plus que précaire. Mais il assurait que grâce à cette loi les jeunes bénéficieraient «des cours, des études et de l’accompagnement» nécessaires. Un gouvernement qui abandonne sa jeunesse pauvre Voici donc le prix de 50 millions de dollars économisés: couper l’aide sociale de moitié, c’est condamner les jeunes à une vie dans la rue et à une vie d’itinérance. D’une certaine manière, ce projet présume qu’une personne bénéficiant de l’aide sociale a en réalité (et depuis toujours) le choix d’aspirer à une vie meilleure. C’est presque trop simple: il suffit d’un emploi.

En somme, cette loi est complètement détachée de la réalité. Cécile Arbaud, la directrice générale de «Dans la Rue», une ONG montréalaise visant à aider les jeunes en situation de détresse et d’itinérance, a prit le temps de critiquer cette loi dans le Huffington Post Québec. Selon elle, ce projet ne prend pas véritablement en compte la situation des jeunes. Il y a de nombreuses raisons pour lesquelles les jeunes ont besoin de cette aide: «la détresse psychologique, la dépendance, les troubles de la santé mentale, le manque de support social ou familial.» Ce projet de loi n’est rien d’autre qu’un acharnement sur les pauvres, plutôt qu’une solution à la pauvreté elle-même. Il marginalise des groupes déjà à risques, dans l’espoir vain de les «responsabiliser». Avec ce projet, l’État promet de se détacher de son devoir de protection de sa population. Comme Mme Arbaud l’explique: «La simple tâche de remplir

et finaliser la demande est un défi, pour qui n’est pas hyper organisé ou équipé pour affronter le langage et les exigences des fonctionnaires.» En plus de cela, certains programmes de formation ne sont pas reconnus par l’État, ce qui en d’autres termes veut dire que des jeunes participant à des formations seront récompensés par une coupe radicale de leur aide sociale. Abandon plus que motivation, les critiques de cette loi ont soulevé des questions très importantes, qui font de cette loi le coup de grâce envers les plus démunis. À l’heure actuelle il n’y a pas assez d’emplois pour tous les demandeurs. Un excès de demande peut pousser à des abus de la part des patrons, qui pourront alors prendre avantage du fait que le gouvernement n’ait pas défini ce que représente un emploi «convenable». Les deux cibles principales de cette loi, les femmes et les jeunes, se feront jeter à la rue par leur propre État. x

le délit · mardi 2 février 2016 · delitfrancais.com


opinion

Le règne du nombre

Une critique des classements universitaires mondiaux. baptiste rinner

Le Délit

A

lors que des millions de finissants bouclent leurs dossiers d’inscription à l’université pour la rentrée prochaine, chacun d’entre eux établit un classement personnel de préférences. Si les postulants aux universités canadiennes ne sont pas tenus d’en faire un officiellement, dans certains pays où les candidatures sont centralisées, comme la France ou le RoyaumeUni, les futurs étudiants doivent hiérarchiser leurs choix. Véritable casse-tête, à un âge où l’on doit décider de son avenir. Pour les y aider, différentes institutions proposent des classements nationaux et internationaux d’écoles et universités: les plus discutés dans les médias sont le classement de l’université Jiao Tong de Shanghai, le classement du Times Higher Education (THE) et, au Canada, celui du magazine Maclean’s. De ces classements, tout a été dit: leurs critères sont partiaux et réducteurs; ils classent des institutions très différentes, donc incomparables; dans certains cas, la recherche se fait en grande partie en dehors des universités, comme c’est le cas en France, et n’est donc pas prise en compte. Et pourtant, chaque année, ces classements sont attendus avec impatience par les étudiants, les dirigeants d’universités et les investisseurs — philanthropes, industriels. Les politiques en font un moyen de jauger l’efficacité ou non de leur politique d’enseignement, qui a parfois pour objectif avoué d’améliorer la posi-

tion des institutions nationales dans ces classements. Il ne s’agit pas de nier l’importance de ces derniers mais d’en interroger les critères, au lieu de crier sur tous les toits que l’Université McGill est première dans le classement Maclean’s — et s’en vanter — en oubliant de mentionner qu’elle est derrière l’Université de Toronto et de l’Université de ColombieBritannique dans le classement de Shanghai. Quelle pertinence, alors, dans ce genre d’exercice? Penchons-nous sur le plus célèbre d’entre eux, le susmentionné classement de Shanghai.

Shanghai à la loupe Le classement de Shanghai comporte six critères, les quatre premiers comptant pour 20% chacun, les deux derniers se partageant les 20% restant. Il prend en compte: le nombre de prix Nobel ou de médaille Fields dans le corps professoral, le nombre de chercheurs de l’institution qui figurent parmi la liste des auteurs les plus cités de la base de données Thomson Reuters, Web of Science, le nombre d’articles publiés dans les revues Nature et Science, le nombre total d’articles

Ouverture au débat

recensés dans le Web of Science, le nombre d’anciens étudiants ayant reçu un prix Nobel ou une médaille Fields, et un ajustement des critères précédents selon la taille de l’institution. Que remarque t-on, à la vue de ces critères? D’abord, il y a une primauté, pour ne pas dire un diktat, du nombre. Quid de la qualité de ces recherches, si l’on n’évalue que la somme d’articles produits? Le phénomène de citation et la prise en compte de certaines reconnaissances viennent nuancer la dimension quantitative du classement, mais il y a d’autres problèmes.

Le classement de Shanghai fait la part belle aux sciences exactes en basant 40% de son évaluation sur le Web of Science de Thomson Reuters, compilé à partir d’une dizaine de bases de recherche dans le domaine des sciences — une seule des ces bases prend en compte les publications en Arts. Aussi, 20% de son évaluation est basée sur le nombre de publications dans deux revues différentes : la revue américaine Science et la revue britannique Nature. Elles font, certes, figures de référence dans le champ académique, mais ne prendre en compte que deux revues de sciences exactes semble assez dérisoire pour établir un classement mondial. Vouloir améliorer la position de son institution dans le classement de Shanghai reviendrait alors à faire publier plus d’articles dans ces deux revues. On voit l’absurdité d’un tel critère. N’oublions pas non plus que ce sont deux revues de langue anglaise: que faire des recherches dans d’autres langues? Le classement de Shanghai n’en fait rien du tout, préférant laisser de côté cette question de la langue, d’où la part belle réservées aux universités anglo-saxonnes. On l’aura compris: les classements internationaux prétendent comparer des institutions qui n’ont pas grand chose en commun. C’est le problème de ces classements mondiaux, qui font du milieu universitaire un espace de compétition à l’échelle de la planète, calqué sur le modèle du commerce. Surtout, l’analyse des critères montre l’impertinence de telles hiérarchies quand on en vient à choisir l’université dans laquelle on aimerait étudier. x

Lettre ouverte

«On ferme la porte pour se protéger de l’autre, que l’on croit nuisible.» théophile vareille

Le Délit

L’auteur de l’opinion du 10 novembre, qui avait suscité la réponse de Igor Sadikov dans nos pages la semaine dernière, a souhaité répliquer.

J

e souhaite en premier lieu professer mon ignorance quant à la question du «politiquement correct», un terme dont on me reproche l’utilisation sans toutefois m’y offrir une alternative. Je suis certainement moins versé que tout collègue du Daily dans des sujets tels l’équité, l’espace sécuritaire ou la pensée RAD. Observant que de nombreux événements sur le campus sont fermés à certains, alors que d’autre sont critiqués à tort ou encore ne reçoivent pas l’attention qu’ils méritent, j’ai tenté de comprendre quel climat politique

sur le campus pouvait expliquer une telle situation. Je ne pense pas avoir réussi et avoue ne pas être convaincu de mes propos sur un sujet si délicat. Ma volonté était, indépendamment de la qualité de mon argument, de contribuer à un débat auquel on ne s’adonne peut-être pas assez. Je suis déçu de ne me voir répondre qu’une attaque ad hominem, qui s’attarde sur un mot ou une phrase, qui extrapole et déforme plutôt que d’engager la discussion. M. Sadikov qualifie mon discours de «pernicieux» ou «trompeur», afin de délégitimer tout ce qui avait pu être écrit. À défaut d’irréprochable, j’ai pourtant été honnête. Lorsque j’ai demandé aux organisateurs d’un événement fermé à certains le pourquoi de cette exclusion, j’ai retranscrit fidèlement leur réponse (il s’agissait d’un événement de la série Trans/

le délit · mardi 2 février 2016 · delitfrancais.com

Formations, ouvert uniquement aux transsexuels noirs, ndlr). Et je suis sincèrement surpris lorsqu’on me réponde que sont exclus «ceux qui ont un intérêt caché à maintenir ces systèmes d’autorité et d’oppression». On ferme la porte à certains non pas pour faciliter la discussion mais pour se protéger de l’autre, que l’on croit nuisible. Soit opprimé, soit oppresseur Ce n’est pas l’événement que je critique mais la justification. Cette justification découle d’un raisonnement binaire dans lequel on n’est soit opprimé, soit oppresseur. C’est une logique qui ne peut, à long terme, mener qu’à la division et qui, quand poussée à l’extrême, peut aller à l’encontre des nobles objectifs de justice et d’équité poursuivis au départ. Je suis désolé de me voir opposer une «psychanalyse de

l’homme blanc», voulant interdire tout discours duquel il est absent. Je me retrouve désarmé et personnellement blessé par cet appareil de pensée dans lequel on me case. On tente de me prêter des vues discriminatoires et répressives, quand je déplore le manque d’attention apporté à certains sujets sur le campus. Ainsi, quand j’écris «enjeux réels», je fais référence à la crise des réfugiés dont je parle au paragraphe précédent et aux cinq autres sujets d’actualité cités deux lignes en-dessous. J’indique qu’ils sont des sujets dignes d’attention, au même titre que, par exemple, la situation des transsexuels dans notre société. Je ne nie en aucun cas l’importance et le caractère réel de toute question abordée sur le campus. Avant de me comprendre à l’envers, M. Sadikov aurait pu, dans le doute, me contacter; je lui aurais

répondu avec plaisir. Il n’en a rien fait. Néanmoins, à voir mon argumentaire incompris à ce point, il me faut toutefois en reconnaître la maladresse. Un écrit clair ne saurait laisser cours à une interprétation si éloignée de son sens et de sa portée voulus. Je m’excuse de cette maladresse mais espère que l’on pourrait la dépasser, pour ouvrir un débat constructif et au lieu de se dénigrer l’un l’autre. Quant à la défaite de M.Simakov aux éléctions de v-p interne de l’AÉUM, nulle conspiration n’en est responsable mais une «campagne du non» sans précédent et à la légalité douteuse: certains employés de l’AÉUM y ayanr participé activement. Ce rejet violent d’un candidat sérieux et motivé, et sans opposant, a mis en lumière un climat adverse à la diversité politique au sein de l’AÉUM (M.Simakov étant le chef de file des Conservateurs mcgillois). x

société

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opinion

L’art activiste sur la toile L’impact d’internet sur la création militante.

vittorio pessin

Eléonore camille nouel

Le Délit

«A

rt Activiste»: terme décrivant l’art, ou plutôt, les arts, comme moyens de communication pour aborder et/ou dénoncer différents problèmes sociétaux tenant à cœur aux artistes, tentant aussi parfois d’y apporter une réponse. C’est en tout cas ainsi que je comprendrai ce terme dans le cadre de cet article, bien qu’il soit, comme beaucoup d’autres, difficilement définissable.

McGill

DAILY L

Le mot «toile» renvoie à plusieurs choses, notamment: du tissu tendu sur un cadre pour être peint, ou internet. C’est sur ces deux significations que je m’attarde aujourd’hui, puisqu’elles ont en commun d’être un support pour l’art. Si la toile de tissu est plus «traditionnelle», l’usage d’internet pour diffuser et présenter des œuvres et projets artistiques est devenu tout à fait commun. La question se pose alors de tenter de comprendre l’impact d’internet sur l’art, et plus particulièrement sur l’art activiste.

Internet ou la «démocratisation» de l’art?

Internet ou la fin de la beauté de l’art?

Un premier impact notable de l’internet sur l’art, c’est qu’il en permet une diffusion, une «exposition» plus large (voire quasi infinie), gratuite, et surtout accessible à tous. Un avantage pour les artistes ainsi que pour le public, du moins au premier abord. Mais peut-on réellement parler d’une «démocratisation» de l’art? Si internet permet à ceux qui le souhaitent de trouver l’art qu’ils recherchent, celui-ci reste élitiste d’une certaine manière. Il faut encore en connaître l’existence et le trouver, avoir l’envie, le courage et/ou simplement la patience de le chercher parmi l’océan d’égo-portraits (selfies, ndlr) et de «food porn» envahissant les réseaux sociaux. Car si l’art est devenu plus accessible au public, il ne l’est pas seulement au sens de la visibilité, mais aussi au sens de sa popularisation, car désormais chacun peut partager ses créations sur la toile. Et parfois, elles peuvent être de très mauvais goût (voir toutes sortes d’œuvres scatophiles ou encore le «vomit art»). Un problème qui se retrouve malheureusement dans l’art activiste.

En effet, le problème de cette accessibilité et liberté de l’art sur la toile est que celle-ci se retrouve vite saturée. Comment alors être visible? Certains l’ont vite compris: tous les moyens sont bons. Sur un espace public tel qu’internet, ce que l’on voit le mieux, c’est le contenu choc et tout ce qui peut provoquer le débat. On recherche la couverture des médias et réseaux sociaux, les «J’aime», etc. Ainsi pourrait-on dire que l’art activiste sur internet tue l’art, ou du moins l’art «beau». De plus, ce besoin de choquer rend certains activismes plus visibles: par exemple, le mouvement «#FreeTheNipple» («LibérezLeTéton», ndlr), l’art des Guerilla Girls, ou encore la polémique lancée sur Instagram par la censure d’une photo de l’artiste Rupi Kaur la montrant allongée de dos, habillée d’un jogging taché de sang menstruel. Encore que ces œuvres ne sont choquantes que parce qu’elles ne devraient pas l’être. Pourtant, d’autres peuvent être d’aussi mauvais goût que cel-

les mentionnées plus tôt. Prenons l’exemple d’Ai Weiwei, disant défendre la cause des immigrés, qui a choisi de reproduire l’image d’Aylan Kurdi — cet enfant dont le corps avait été retrouvé sur une plage turque en septembre dernier — en reprenant la position du petit garçon au bord de l’eau. On lui préfère largement la méthode d’accusation utilisée par Banksy à Londres, dénonçant la situation de immigrés de la jungle de Calais sur un mur en face de l’ambassade française. Le problème de cet aspect «choc» de l’art activiste sur internet est donc qu’il fait de grands oubliés, tels que l’art environnemental: qui donc voit et parle régulièrement du «recupart» (art dont les œuvres utilisent exclusivement des objets recyclés) comme pratiqué par Vik Muniz, Jane Perkins ou encore Bernard Pras? On parlera plutôt des revendications et mises en scène provocatrices de groupes activistes «tout court» tels que Greenpeace ou les mouvements de protection animaliers. Et si ceux-ci défendent de belles causes, on aimerait bien voir un retour du «Beau», finalement. x

Le Délit, The McGill Daily et The Link présentent la

SEMAINE DU JOURNALISME ÉTUDIANT

R IE R V É F 0 2 I D E M A S U A R IE R SAMEDI 13 FÉV 13 FÉVR.: Conférence hivernale de la Presse étudiante francophone

C

Présentations de Fabien Deglise (Le Devoir), Judith Lachapelle (La Presse) et Roland-Yves Carignan (Libération, The Gazette) suivie d’une table-ronde pour les membres de la presse étudiante. 12 h 30 à 18 h 30 au Gert’s (Shatner). Admission : 5$

15 FÉVR.: « Racism and the Media » Atelier avec Kim Milan. South Side Cafeteria (Shatner), 18 h 30 à 20 h 30.

16 FÉVR.: « Environmental Journalism » (plus de détails prochainement) 17 FÉVR.: « Feminist Approaches to Journalism » (plus de détails prochainement) 18 FÉVR.: « Investigative Journalism »

Suivez les développements sur www.delitfrancais.com

Table-ronde avec Henry Aubin, Linday Gyula, Marie-Maude Denis et Vincent Larouche. South Side Cafeteria (Shatner), 18 h 30 à 20 h 30.

19 FÉVR.: « Arts Criticism » Avec T’cha Dunlevy, Daniel Viola, Lorraine Carpenter et Crystal Chan. Club Lounge, 18 h.

20 FÉVR.: « Making a Journalism Career » Avec Kate McKenna, Eric Andrew-Gee et Laurent Bastien Corbeil. Suivi d’une réception. Plus de détails prochainement.

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société

le délit · mardi 2 février 2016 · delitfrancais.com


économie

WTI (NYMEX) 31.62$ -2.18% Nasdaq

economie@delitfrancais.com

Promesse électorale noyée

Explications sur la réforme du système de redevances énergétiques en Alberta. Sami MEFFRE

Le Délit

V

endredi dernier, le gouvernement provincial d’Alberta a enfin dévoilé les résultats de son panel sur les redevances énergétiques reversées à la province. Ce panel, point fort de la campagne électorale du gouvernement en mai dernier, se voulait d’étudier le système de redevances énergétiques en Alberta en vue de le réformer afin que les Albertains puissent recevoir une part plus importante des revenus pétroliers. Mais loin de la grande réforme promise par Rachel Notley (chef du Nouveau Parti Démocratique en Alberta, ndlr), le système ne change pas comme promis et les redevances n’augmenteront pas, ou peu, tandis que les Albertains se retrouvent à essuyer une ardoise de près de trois millions de dollars. L’Alberta, en première ligne de la crise pétrolière L’Alberta, plus grosse réserve pétrolière du Canada, est la province qui souffre le plus de la présente crise pétrolière. En effet, après que le baril ait chuté de plus de 70 dollars en 18 mois, la province a vu son taux de chômage exploser à des niveaux qui approchent ceux de la crise financière de 2009. Selon Statistiques Canada, l’Alberta a perdu près de 19 600 emplois en

2015, la plus grosse perte d’emplois depuis 1982, et plus de 40 000 emplois dans le secteur énergétique depuis le début de la crise pétrolière.

SAMI MEFFRE

Avant la crise pétrolière, le pétrole comptait pour pas moins de 45% des revenus fiscaux de la province. Ce chiffre a maintenant chuté a moins de 10%. Pas étonnant

Source: Province d’Alberta

Alors qu’elle est depuis longtemps considérée comme l’une des provinces les plus riches du Canada, certains croient que l’Alberta pourrait bientôt bénéficier du système de péréquation, qui redistribue une partie du revenu fiscal aux provinces les moins riches. Jusque là, la province n’en bénéficiait pas tandis que de son coté le Québec a reçu près de neuf milliards de dollars au cours de l’année fiscale passée.

que le gouvernement de Notley veuille réhausser les redevances pétrolières. Mais est-ce bien faisable? Une part «raisonnable» des revenues pétroliers Au Canada, contrairement à la plupart des autres gros pays producteurs de matières premières, le gouvernement provincial garde la propriété de tout sol sur lequel

sont extraites lesdites matières premières. Par conséquent, les Canadiens des provinces productrices de pétroles sont les véritables propriétaires des champs de pétroles. Et ainsi, à l’instar du propriétaire d’un appartement, le gouvernement provincial est en droit de demander un «loyer» sur les terres qu’elle loue aux industries pétrolières. En mai dernier, alors que la bataille électorale faisait rage, Rachel Notley expliquait que les Albertains ne recevaient pas une part raisonnable des revenus pétroliers. Elle promettait alors qu’une fois élue, elle mettrait en place un panel afin de «mettre en place les redevances pétrolières que les personnes à qui ces ressources appartiennent, les Albertains, méritent». Mais après cinq mois d’études, le panel a jugé non seulement que les redevances énergétiques que reversent les compagnies minières et pétrolières étaient adéquates, mais qu’en plus elles étaient relativement élevées. En effet, le gouvernement prend des redevances sur les revenus totaux plutôt qu’uniquement sur les revenus après que les coûts d’opérations et en capital aient été pris en compte. Cela a créé la situation actuelle absurde dans laquelle même si les compagnies subissent d’énormes pertes, le gouvernement continue de les imposer. Et

les Albertains s’étonnent encore de voir les compagnies fuir leur province? Une réforme pour supporter l’industrie pétrolière Le panel d’experts a donc proposé une série de solutions pour changer le système actuel dans l’espoir de le rendre plus compétitif nationalement mais aussi à l’international. Vis-à-vis des sables bitumineux, le système restera inchangé. Le nouveau système permettra aussi de faciliter l’investissement dans les secteurs de l’huile de schiste et du gaz en permettant aux investisseurs de recouvrir leurs coûts avant que le gouvernement ne se mette à imposer pleinement leurs revenus. Finalement, le nouveau système récompensera les compagnies avec les coûts d’extractions les plus bas. Cette dernière décision permettra de rendre l’Alberta plus compétitive au niveau des prix d’extractions. Si le nouveau système a déjà été accepté par le gouvernement Notley, cette histoire est une «leçon pour tous les autres gouvernements qui font ce genre de promesses en périodes d’élections», comme l’explique Dr Skinner de l’Université de Calgary. Il ne reste maintenant plus qu’à espérer que cette nouvelle mesure permettra d’enrayer la descente aux enfers de la province. x

Jeudi 4 février Le Belmont 22h 5$ en prévente / 10$ à la porte

le délit · mardi 2 février 2016 · delitfrancais.com

économie

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Culture articlesculture@delitfrancais.com

musique

Méandres de musique

Plongée dans l’écoute d’œuvres musicales au Centre Phi de Montréal. Louise Kronenberger

Le Délit

L

e concept de Die Pod Die est simple et efficace: des séances d’écoute attentive d’œuvres avec du matériel de qualité, afin de redonner du sens à l’album en tant qu’entité. Le 24 janvier, pour cette première édition montréalaise, le Centre Phi présentait les albums Remain In Light des Talking Heads et Zubberdust! du groupe québécois Avec le Soleil Sortant de sa Bouche. Ces événements ont pour but non seulement de promouvoir l’écoute musicale de qualité mais aussi de faire découvrir la scène locale: la séance s’est ainsi terminée sur une discussion avec les membres du groupe local. Dans un premier temps, la salle s’assombrit et le quatrième album du groupe post-punk américain est lancé sur la platine. On est immédiatement pris dans l’ambiance avec cette basse funky et ces rythmiques africaines. Le public reste assis en silence pour se concentrer sur la musique dans tous ses aspects. Puis quarante cinq minutes plus tard vient le second album. C’est un véritable moment de recueillement et de redécouverte de la musique.

salomé grouard Un moment de transe Le groove de l’album des Talking Heads nous prend aux tripes. La qualité impressionnante du son ainsi que le cadre de l’événement permettent d’apprécier réellement cette œuvre dans sa totalité. On prend rarement le temps de se poser pour écouter un album du début à la fin, sans rien faire d’autre à côté; mais plongé dans le noir, confortablement installé, on ferme les yeux et on se

retrouve en communion avec la musique. Les morceaux s’enchaînent et on s’enfonce dans les profondeurs de ce recueil particulièrement bien produit. La différence est nette par rapport aux débuts du groupe: le son est propre, la méthode de travail différente et les morceaux sont le résultat d’improvisations. Le producteur Brian Eno (ayant entre autres produit l’album Heroes de David Bowie) a eu une grande influence dans le résultat final, tout comme la parti-

Flamenco réinventé

cipation d’autres musiciens tel que le claviériste de Funkadelic. On est pris par les rythmes et on se laisse emporter. Exploration québécoise Après ces minutes, plongé dans cette nouvelle vague (New Wave, ndlr) africanisée, Zubberdust! commence. On sent le lien avec l’album joué précédemment: très rythmé, assez funk, et des riffs marqués. Avec

le Soleil Sortant de sa Bouche est un groupe issu de la scène expérimentale et souhaitait s’en détacher en créant un aspect plus joyeux que ce qu’on trouve généralement dans le milieu. Cependant, le fait que cet album ait été joué en second, juste après les très reconnus Talking Heads, les met dans une mauvaise position. La production est beaucoup moins poussée et ça se ressent. C’est un groupe jeune issu d’un label indépendant et il est dur de rivaliser avec un groupe aussi mythique, ayant joué avec des icônes du rock comme les Ramones ou encore Blondie. Il aurait été plus judicieux de faire passer leur album en premier car la différence se fait très nette entre les deux œuvres et dévalorise le groupe montréalais. Cela n’empêche cependant pas d’apprécier l’album et de se laisser prendre dans ses rythmes et les riffs. On apprécie également cette découverte de membres de la communauté musicale québécoise. Cette séance d’écoute et la mise en parallèle de ces deux albums s’est révélée être une expérience très agréable. Cela change de l’écoute aléatoire sur son iPod et donne envie de se poser plus souvent pour écouter de la musique, et seulement cela. x

La Otra Orilla nous présente une nouvelle création inédite. Jenny Zhu

Le Délit

M

oi & les Autres, la nouvelle création de La Otra Orilla, nous transporte dans son monde intime de danse et de passion, notamment grâce à la composition musicale de la guitariste compositrice Caroline Planté. Cette composition est un hybride de la musique orchestrale et de celle du flamenco pur. Elle n’est en aucun cas le type de musique que l’on associe normalement au flamenco traditionnel. La conception et mise en scène de Myriam Allard, la danseuse-chorégraphe, et de Hedi Graja, le chanteur et artiste pluridisciplinaire, sont complexes et portent à réflexion. Très rapidement, on réalise que les costumes, la danse, ainsi que les percussions de Miguel Media ne conforment pas non plus aux codes et règles de cet art. Alors, méfiez-vous si vous vous attendiez à un spectacle typique de flamenco et préparez-vous à découvrir un flamenco ré-imaginé!

En entrant dans la cinquième salle de la Place des arts, on remarque immédiatement le décor. Un très grand mur, sorte papier d’aluminium froissé, est érigé en arrière-plan, accompagné d’un bout de muret métallique côté jardin. Tant qu’à créer un flamenco composite, autant inclure un décor moderne! Une fois les lumières éteintes, une guitare apparaît dans la noirceur, et la musique presque cinématographique de Caroline Planté nous transporte immédiatement dans un autre monde. La musique orchestrale fait place alors à la guitare solo, une paire de chaussures rouge apparaît, et le thème est établi. Dépouillée de son costume classique, Myriam Allard performe sur scène, chevelure défaite, dans un t-shirt rayé, un pantalon noir, et des chaussures de flamenco. Dans un autre tableau, elle porte une robe courte et rétro, un éventail rouge à la main. Le percussionniste Miguel Media n’est pas traditionnel non plus, amenant même un ensemble de batteries sur scène pour un duo

«Méfiez-vous si vous vous attendiez à un spectacle typique de flamenco»

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Culture

danse-batteries rempli d’énergie et de passion. Cependant, le chant de Hedi Graja, clair et vibrant, ressemble à du pur flamenco, quelques fois a cappella et quelques fois accompagné par la superbe guitare de Caroline Planté. Un peu de contexte: art moins populaire au Québec qu’en Europe, le flamenco est souvent le terme utilisé pour décrire la danse espagnole. Or, le flamenco n’est pas seulement une danse mais aussi un genre musical, les musiciens font donc partie intégrale de cet art. Moi & les Autres, malgré sa conception contemporaine, suit également cette convention mais avec beaucoup d’innovation. En effet, la danseuse n’est pas toujours le point focal du spectacle, échangeant ce rôle avec les musiciens d’un moment à l’autre. Le spectateur se sent parfois comme un intrus en assistant aux scènes intimes, presque métaphoriques, qui établissent un dialogue entre le «moi» et les « autres». Malgré certaines scènes un peu trop lourdes – en témoigne, le ronflement d’un spectateur durant un long moment de silence qui a provoqué bien des rires –, Moi&lesAutres est une oeuvre à ne pas manquer! x

Levent Erutku

le délit · mardi 2 février 2016 · delitfrancais.com


théâtre

Le Prospéro à l’heure russe

Retour sur deux adaptations du grand romancier russe Dostoïevski.

Alexandra Camara antoine duranton

Le Délit

A

u Théâtre Prospéro, c’est Fédor Dostoïevski qui est mis à l’honneur pour le mois à venir. En effet, sur les deux scènes qu’il comporte se jouent deux romans emblématiques du Géant russe, Les carnets du sous-sol (sous le nom de L’homme du soussol) et Le Joueur. Ces deux romans, publiés en 1864 et 1866, divergent beaucoup dans leur thématique et leur ton général, mais condensent presque à eux seuls tout le talent de l’écrivain: personnages en quête de vérité, angoisse existentielle, absurdité de l’existence… Le pari du Prospéro est réussi, sur les deux scènes: on reconnaît tout de la beauté du style inimitable de Dostoïevski et de l’aspect parfois franchement délirant de ses dialogues. Voici le compte rendu d’une réappropriation sans dénaturation dans deux mises en scène bien

différentes qui tiennent d’abord au style de chacun des romans. Le jeu de la vie Le Joueur — mis en scène par Gregory Hlady — raconte les déboires d’une famille noble russe dans une station thermale allemande, où tous s’adonnent avec passion à la roulette. Du père aux pique-assiettes français, tous les personnages attendent avec angoisse la mort d’une riche grand-mère, dont l’héritage permettra de sauver la famille de la banqueroute. Dans la complexité de la situation, un seul personnage paraît fort et rappelle le vrai nœud de l’histoire: c’est le croupier. Il tire les ficelles de toute la pièce et débarque souvent sur scène, à l’improviste, entraînant les personnages dans ses danses folles, coupant court aux dialogues. À intervalles réguliers, de grandes billes de roulette tombent au sol rappelant la fatalité de l’intrigue: tout le destin

des personnages est aux mains de la roulette dont le pouvoir fait et défait les richesses. La musique, très forte et grandiloquente, rappelle la violence qui est en fond de toile: c’est la vie des personnages qui est constamment en jeu. La pièce est ainsi plutôt réussie, avec un rythme soutenu et un jeu prenant, même si certains aspects de la mise en scène plaisent moins (comme l’immense roulette peinte au sol), avec également quelques scènes parfois grossières et dont on ne saisit pas vraiment l’intérêt. La folie du sous-sol Il faut l’avouer, l’adaptation de L’homme du sous-sol par Simon Pitaqaj dépasse en intensité les prestations du Joueur. Entrée dans la conscience d’un fonctionnaire médiocre devenu complètement fou, la pièce commence dès le couloir. Le personnage principal invective directement les spectateurs serrés

«Qu’est-il, lui, s’il ne peut même pas revendiquer le titre de fainéant?» dans l’étroit corridor, se faisant presque menaçant. Constamment pris à partie, forcé parfois de répondre à ses questions, toujours déroutantes: nous devenons ainsi les complices de sa folie. Son jeu nous amène presque à nous demander si nous ne sommes pas que les créations fantasmagoriques de son esprit malade. Après nous avoir emmenés dans son sous-sol (la «salle intime» du Prospéro), le fonctionnaire fou nous confie toutes ses pensées les plus profondes: seuls les imbéciles sont capables d’action, son désir d’être fainéant car les fainéants sont — à l’inverse de lui — «positivement nommés», ou encore sa volonté d’ordonner l’exil du pape au Brésil. Dans tout ce mélimélo d’affirmations incohérentes, entrecoupées d’accès de folie destructrice sur tous les éléments du

Cours, Gospodin, cours!

décor, on sent la profonde angoisse existentielle du personnage. À quarante ans qu’est-il, lui, s’il ne peut même pas revendiquer le titre de fainéant? C’est face au néant de sa vie qu’il s’insurge, face à son insignifiance. Rédigé à la première personne, dans un flot de phrases compliquées comme seul Dostoïevski sait le faire, adapter Les carnets du sous-sol était un vrai défi, qui a été relevé avec brio par le comédien Simon Pitaqaj. Le décor troublant, une cave ornée d’inscriptions folles en tout genre, de poupées inquiétantes, est la scène parfaite pour un jeu d’acteur très bon, dont on ne se lasse pas et qui fait souvent rire, parfois jaune. Un régal. x

L’homme du sous-sol et Le Joueur jusqu’au 13 et 20 février respectivement, au Prospéro.

L’anticapitalisme à distance sur les planches du Théâtre de Quat’Sous. Camille Charpiat

baptiste rinner

Le Délit

L

a saison du 60e anniversaire du Théâtre de Quat’Sous se continue ce mois-ci avec la pièce du dramaturge allemand Philippe Löhle, Dénommé Gospodin, mise en scène par Charles Dauphinais. Le Délit étant un habitué du Quat’Sous ces dernières années, autant dire que les attentes sont élevées – en particulier pour cette saison, vu l’attention portée à la programmation par le directeur Éric Jean et son équipe. La pièce signait aussi le retour de Charles Dauphinais au Quat’Sous, après l’irrésistible mise en scène de la pièce de Simon Lacroix, Tout ce qui n’est pas sec, au printemps dernier. Disons d’emblée que Dénommé Gospodin ne nous a pas déçus. Le personnage éponyme, campé par l’excellent Steve Laplante, est un idéaliste à qui Greenpeace a retiré son lama, avec lequel il faisait la manche en se promenant dans les rues d’une ville allemande. Dépossédé de sa seule raison de vivre, Gospodin se retire progressivement du monde matériel, emporté par la violence de l’existence et des relations: sa petite amie le

quitte, il se débarrasse de tout son mobilier, refuse de travailler. Seul dans son appartement vide, où un tas de paille lui tient lieu de lit, il édicte des principes selon lesquels il compte vivre sa nouvelle vie d’anti-capitaliste: «L’argent ne doit pas être nécessaire». Il vit de peu, traîne au bar d’à côté pour regarder la télé, entretient quelques relations mais vit essentiellement seul, résolu à prendre le capitalisme «par les couilles», selon son expression. Comme «l’homme ordinaire» décrit par Michel de Certeau dans L’Invention du quotidien, il perruque, c’est-à-dire qu’il met en place

le délit · mardi 2 février 2016 · delitfrancais.com

des tactiques pour déjouer la société capitaliste et productiviste de notre temps, que ce soit d’aller faire un plein de courses à l’épicerie sans portefeuille, ou bien d’éviter de marcher sur le trottoir, puisque c’est trop «bourgeois». À ce propos, la traduction de ce jeu de mot allemand (trottoir en allemand se dit Bürgersteig, là où marche le bourgeois) est très habile et restitue tout l’effet de comique que l’on trouve dans la version originale. «Petit bourgeois», il n’a que ce mot à la bouche, Gospodin, pour désigner son entourage, plus enclin que lui à s’identifier dans les valeurs matérialistes de la société de

consommation. L’écriture est assez subtile pour échapper à la contestation militante, ce qui évite à la pièce l’écueil — tout à fait subjectif — du théâtre engagé, pour livrer plutôt une comédie ironique et lyrique dont le Quat’Sous a le secret. Gospodin est accompagné, dans cette pièce sans aventure, par quelques personnages. Sa mère, sa petite amie et quelques amis ou connaissances, les rôles se partageant entre Marie-Ève Pelletier pour les personnages féminins et Bruno Marcil pour les personnages masculins. À tour de rôle, ils incarnent des protagonistes mettant

Gospodin face à ses contradictions, tout en exposant les leurs: de la petite amie vénale à l’artiste-performateur contemporain, ces types de personnages montrent les excès où mène le règne de l’argent, allant jusqu’à déformer nos relations les plus intimes. Marie-Ève Pelletier et Bruno Marcil jouent aussi les rôles de narrateurs, mettant en scène la quête effrénée de Gospodin. Entraînées par le rythme de batterie que joue une sorte de viking blond en manteau de fourrure sans manche, leurs voix scandent la course de Gospodin vers son idéal de liberté. De ces scènes narratives, qui sont parmi les plus réussies de la pièce, se dégagent une sorte de lyrisme difficile, auquel même le plus sceptique d’entre nous s’abandonne. Charles Dauphinais et ses acteurs livrent une comédie subtile et paradoxale, qui interroge sérieusement, sans se prendre au sérieux, les ressorts de la société laborieuse et capitaliste. Du Quat’Sous dans le texte et sur scène, pour notre plus grand plaisir. x Jusqu’au 19 février au Théâtre de Quat’Sous.

Culture

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cinéma

Ce qui nous échappe

Le Fils de Saul, une forme pensée et pensante au Cinéma du Parc. de vue, Le Fils de Saul est salutaire car il situe la question même de la représentation au cœur du dispositif esthétique.

alexandre abbouche

I

l ne sera pas ici question de s’attarder sur l’intrigue du Fils de Saul — chacun pourra juger de sa portée morale ou du témoignage historique —, mais plutôt d’y poser une appréciation esthétique. N’y voyons pas un détachement du fond et de la forme; ici la forme devient fond. La grandeur du Fils de Saul réside en effet dans sa force à laisser entrevoir subtilement une forme pensée et pensante. La question de la re-présentation (et de l’artificialité qui en résulte) parcourt l’histoire du cinéma. Elle s’exprime à travers des sujets tabous – tels que la sexualité –, historiques comme dans Perceval le Gallois d’Éric Rohmer, dans des sujets-limites tels que le massacre dans Valse avec Bachir de Folman, ou encore: la Shoah. La force d’immersion de l’image cinématographique confère au réalisateur une certaine responsabilité morale qui induit que l’on ne peut traiter cette question à la légère. Si bien que la représentation de la Shoah a longtemps été dominée par le témoignage au présent, sous formes d’actualités filmées

Le Fils de Saul, il s’agit également de prendre conscience que nos sens sont menacés par l’illusoire. Les espoirs des personnages

«Ressentir le malaise qui naît de la reconstitution artificielle de ce génocide» Percevoir sans voir

par les Alliés ou sous formes de documentaires mettant en scène les lieux comme dans Nuits et Brouillard d’Alain Resnais, voire les protagonistes dans Shoah de Claude Lanzmann. La Shoah est aussi passée sous le filtre de la fiction, tentatives qui se sont souvent avérées malheureuses, que ce soit dans Kapo (dont l’esthétisation de l’horreur est

dénoncée par Jacques Rivette dans De l’abjection), La liste de Schindler et l’enchaînement de gros plans de visage puis pommeau de douche. Les soupçons d’artificialisation et d’esthétisation de la Shoah (lorsqu’elle devient un arrière-plan à des fins dramatiques) ont conduit le traitement fictionnel de la Shoah à devenir lui-même tabou. De ce point

Il faut accepter que quelque chose nous échappe dans la représentation cinématographique de la Shoah. Quelque chose que l’on ne peut et qui ne doit probablement pas être montré. De ce fait, le réalisateur László Nemes prend soin de souligner cette chose qui nous échappe sans cesse, à l’instar de l’épaisse fumée des crématoriums qui vient obscurcir le champ visuel, lorsqu’un Sonderkommando photographie le camp pour le montrer aux Alliés. C’est le choix du format 1:33 (tendant vers le carré) qui élargit la proportion du hors-champ. C’est l’horreur sans cesse reléguée en arrière-plan et confinée au flou. C’est enfin le hors-champ qui rappelle constamment sa présence par le son de la mort, tel que ces corps suffocants qui frappent les murs.Mais dans

(Sois belle) et ne te tais pas

s’avèrent vains et les longues prises en caméra portée plongent le spectateur dans une réelle immersion cinématographique. Émotionnellement orientée, elle ne fait que singer et donc atténuer les atrocités. Ainsi, László Nemes donne à ressentir le malaise qui naît de la reconstitution artificielle de ce génocide. Il se se risque à confronter directement son spectateur à l’horreur dans la scène de la Shoah par balle où Saul est pris pour une victime à abattre. Le profond mal-être qui résulte de cette unique tentative d’approcher d’un peu trop près cette «chose qui nous échappe» rend sensible la question de la représentation. Elle est fondamentale et se pose à tous. Et cette «chose qui nous échappe» nous empêche de réagir violement à cette indécence en manquant de peu d’emporter Saul, et avec lui le spectateur. x

Hymne à la révolution féministe au Centre Phi. hortense chauvin

Le Délit

P

résenté au Centre Phi le 27 janvier dernier, She’s beautiful when she’s angry (Elle est belle quand elle est en colère, ndlr) retrace le parcours des intellectuelles et activistes féministes ayant fondé le mouvement de libération des femmes aux États-Unis. Ce documentaire historique réalisé par Mary Dore suit l’évolution du mouvement à travers les yeux de celles qui l’ont façonné. «Le changement ne peut se produire que si des personnes radicales s’y efforcent», explique l’une des principales instigatrices du mouvement. S’appuyant sur des images d’archives et des entrevues, She’s beautiful when she’s angry suit la trajectoire des membres des nombreux groupes féministes ayant lutté pour améliorer la place des femmes dans la société américaine. Dans les années 1960, inspirés par les mouvements des droits civiques et les manifestations contre la guerre du Vietnam, des dizaines de groupes de femmes se forment à travers les États-Unis. Leur volonté: lutter contre les discriminations auxquelles elles font face dans le monde du travail. Leur slogan: femmes impétueuses, unissez-vous! Identifiant, dans leurs expériences personnelles, les racines d’un malaise sociétal, elles

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Culture

militent pour changer le regard des États-Unis sur les femmes et enfin accéder au statut «d’être humain à part entière». Alors que naissent des demandes de femmes blanches et hétérosexuelles de la classe moyenne, le mouvement prend rapidement de l’ampleur et s’enrichit en s’ouvrant à la diversité des expériences des femmes noires et lesbiennes. Si l’écriture documentaire de Mary Dore repose sur un schéma classique, alternant sans relâche

lisa elnagar

entrevues et images d’archives, She’s beautiful when she’s angry offre néanmoins un aperçu fascinant de l’effervescence politique des années 1960. Mary Dore communique avec talent «l’esprit» de l’époque et permet au spectateur de s’immerger dans la réalité de ces militantes. Les nombreux témoignages rassemblés par la réalisatrice étoffent la narration et offrent à l’inventaire d’images historiques un regard subjectif précieux. «Il est difficile de comprendre comment la

vie était avant», explique l’une des activistes interrogées. Le documentaire a le mérite de dépeindre, par l’image, les aspects d’une époque dont les combats demeurent d’actualité et se révèle étonnement drôle, sans cesse attisé par le sarcasme de ses commentatrices. Didactisme et nuances Ôde à l’activisme politique, le documentaire se décrit comme

étant destiné à «inspirer les femmes et les hommes à œuvrer pour le féminisme et les droits de l’Homme». L’aspect extrêmement didactique du documentaire invite en effet à mesurer l’importance des combats pour la libération des femmes, sans pour autant adopter un ton moralisateur conventionnel. Le documentaire ne s’apparente ni à une narration épique, ni à une exaltation de personnages historiques: c’est le récit d’un combat difficile et parsemé d’échecs, animé par le désir de chambouler la société dans son ensemble. She’s beautiful when she’s angry insiste également sur la pluralité du mouvement, ne recule pas devant la description des controverses et des divisions intestines l’ayant animé. Loin de faire l’éloge d’un féminisme unique, le documentaire donne la parole aux actrices de ses différentes branches, offrant une vision nuancée et complexe du mouvement. Avec son titre ironique, pied de nez à l’objectivation sexuelle contre laquelle toute une génération de féministes a lutté, ce documentaire ressuscite l’atmosphère politique survoltée des années 1960. She’s beautiful when she’s angry fait écho à l’investissement des féministes d’aujourd’hui, prolongeant la lutte toujours nécessaire de celles d’hier. x

le délit · mardi 2 février 2016 · delitfrancais.com


Opéra

Coup de vieux chez les classiques L’Otello de Verdi à l’Opéra de Montréal: un succès prémâché?

Miruna Craciunescu

Le Délit

yves renaud

E

n vendant ses billets à plus de 100$ la pièce, l’Opéra de Montréal ne paraît guère être l’institution culturelle la moins élitiste de notre chère métropole. Ce n’est pourtant pas faute d’afficher une réelle volonté de «démocratiser» l’opéra, laquelle se reflète par le biais de projets pédagogiques visant à familiariser des élèves issus de milieux défaavorisés avec cette forme d’art (CoOpéra), ou encore à travers certains événements comme les ateliers lyriques, offerts à prix réduits. Il semblerait que cette politique de démocratisation se reflète jusque dans le choix des œuvres à l’affiche. C’est pourquoi les programmations tendent à regrouper quelques titres «classiques» dont le sujet ou le nom du compositeur suffisent à leur assurer le succès, aux côtés de spectacles moins connus. Il suffit de jeter un coup d’œil aux programmes des dernières années pour y voir se profiler ce modèle d’affaire. Si des compositeurs comme Puccini (Madama Butterfly en 2015, Turandot en 2014) et Verdi (Nabucco en 2014, La Traviata en 2012) demeurent des favoris, il n’est pas rare de se voir profiler des noms qui demeurent mal connus au-delà

d’un cercle d’initiés, tels que Puts (Silent Night, 2015), Humperdinck (Hänsel et Gretel, 2014) et Heggie (Dead Man Walking, 2013). Cette année, cette tendance culmine, pour ainsi dire, sur la première mondiale de Feluettes, issue d’une collaboration entre le dramaturge québécois Michel Marc Bouchard et du compositeur australien Kevin March. Grâce à ce spectacle, l’Opéra de Montréal semble définitivement vouloir sortir de sa zone de confort. On ne peut donc pas reprocher à cette institution d’éviter de prendre des risques

afin d’augmenter ses chances de rentabiliser des spectacles qui se révèlent d’ordinaire plus coûteux à mettre en place, disons, qu’une pièce de théâtre. Revers traditionnel Cela dit, on ne peut s’empêcher de songer que si cette production de l’Otello de Verdi laisse le spectateur sur sa faim, c’est précisément en raison des aspects traditionnels sur lesquels mise l’Opéra de Montréal pour financer des projets plus osés.

Certes, a priori, il n’y a rien de conventionnel à mettre en place un classique plutôt qu’une œuvre contemporaine, comme en témoigne la mise en scène de Pelléas et Mélisande par Christian Lapointe jouée présentement de l’autre côté de la rue, au Théâtre du Nouveau Monde. Il n’en demeure pas moins que le premier danger auquel s’expose un spectacle qui choisit de maintenir un registre tragique sans mêler celui-ci à une touche d’ironie ou d’autodérision, consiste peut-être à se prendre un peu trop au sérieux.

Sur le plan esthétique, rien à redire: la mise en scène assumait une dimension spectaculaire qui répondait de manière adéquate au désir d’être émerveillé aussi bien par la vue que par l’ouïe. Le recours à un grand nombre de figurants pour les scènes de groupes, ainsi que l’utilisation savante du clair-obscur dans les éclairages, parvenaient même à recréer une atmosphère d’époque qui rappelait les tableaux du Caravage, ce peintre italien de la fin du XVIe siècle célèbre pour son «naturalisme». À cet égard, le choix de combiner des costumes de la Renaissance à des décors réalistes visant à recréer les lieux où se déroulait l’action (chambre à coucher, port, etc.) était approprié. Cependant, l’impatience manifestée par les spectateurs face à des scènes comme l’Ave Maria que chante Desdemona tout en sachant qu’Otello a l’intention de la tuer injustement, s’explique par l’absence de distance ironique qui se dégage des interprétations. Heureusement, la superbe performance du baryton Aris Argiris, qui fait ses débuts à la compagnie dans le rôle de Iago, est parvenue tant bien que mal à introduire une touche d’humour indispensable au sein de cette production. Dommage qu’Otello apparaisse autrement trop convenu pour s’avérer mémorable. x

chronique visuelle

Opini-art-re «Ses rides étaient comme les lignes d’un livre: on la découvrait en lisant sa peau.» Vietnam, 2014 Salomé Grouard.

le délit · mardi 2 février 2016 · delitfrancais.com

Culture

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Entrevue

«L’honnêteté est le plus grand pouvoir» Le Délit a rencontré le réalisateur australo-mexicain Michael Rowe, à l’occasion de la sortie de son dernier long-métrage Premières Neiges.

M

ichael Rowe a grandi en Australie mais c’est au Mexique que sa carrière cinématograhique a pris son envol. Scénariste sans grand succès pendant sept ans, il devient ensuite réalisateur et reçoit en 2010 la Caméra d’or du Festival de Cannes, pour son premier film Año Bisiestro. Premières Neiges est son troisième opus, le premier réalisé en anglais. Ce dernier explore les relations familiales et le prix à payer pour garder une famille unie. Le Délit (LD): Pouvez-vous commencer par vous présenter un petit peu: qui vous êtes, où vous avez grandi et comment vous êtes devenu réalisateur? Michael Rowe (MR): Je suis né en Australie, et ça fait maintenant 22 ans que j’habite au Mexique. J’ai été scénariste, enfin, un scénariste sans succès pendant 7 ans, du coup je suis devenu réalisateur il y a cinq ans.

LD: Premières Neiges (Early Winter) est votre premier film en anglais. Pourquoi tourner en anglais seulement maintenant? MR: Alors, j’ai tourné mes deux premiers films en espagnol car je vivais au Mexique et c’était plus simple, mais j’ai ressenti l’envie et le besoin de retourner à ma langue maternelle. Ces trois films forment une trilogie (Año Bisiesto, The Well et Premières Neiges, ndlr) et j’avais envie de tourner en anglais avant de finir la trilogie.

«J’ai ressenti l’envie et le besoin de retourner à ma langue maternelle»

LAURENT GUÉRIN LD: Premières Neiges traite d’un couple traversant une crise. Pourquoi ce sujet en particulier? MR: J’ai 45 ans, j’ai été marié, j’ai été divorcé, mon frère a vécu un divorce, un de mes amis aussi… Je voulais donc explorer le thème de la famille, du prix à payer pour garder une famille unie, et si ce prix n’est pas trop élevé parfois. LD: Vous avez tourné votre film à Montréal, il a été produit avec une boîte de production québécoise, et met en scène des acteurs québécois, donc dans un cadre plutôt francophone. Pourquoi avez-vous choisi d’avoir une famille anglophone dans un cadre francophone? MR: L’idée de conflit du langage, de la mise à l’écart sociale et géographique est très importante pour moi par rapport à ce que j’ai vécu, les choses que j’ai faites dans ma vie. Ce sont des thèmes toujours d’actualité pour moi, et pour le justifier j’ai voulu qu’un de mes personnages principaux vienne de Russie (la mère Maya, ndlr), autrement ça n’avait pas de sens.

LD: Techniquement, quelles étaient les différences entre tourner avec une équipe canadienne et une équipe mexicaine? MR: La plus frappante était la notion de division de travail. Au Canada, elle est très organisée et stricte, alors qu’au Mexique la façon de faire est plus latine je dirais. Si quelque chose doit être fait, ne serait-ce que changer de place un accessoire, peu importe qui est sur le plateau il le fait. Ici, il faut contacter l’accessoiriste qui vient et fait le travail. J’ai trouvé ça assez frustrant, ça me paraissait tellement peu pratique. À part ça, l’équipe était super, très pro. Je pense qu’ils étaient surpris au début de ma façon de faire les choses, comme quand je faisais plusieurs plans courts et détaillés afin de les mélanger aux plans principaux en production, ou encore quand je faisais des plans très

connais rien. Ne raconte pas d’histoires à propos d’octogénaires, ou des monstres de l’espace mais plutôt sur des gens de 20 ans, les épreuves traversées, les difficultés éprouvées, les joies ressenties. Il faut comprendre que ce qui est vrai pour toi, l’est pour tout le monde. Tout le monde a eu 20 ans, et au final avoir 40 ans n’est pas si différent, tu es juste un peu plus ridé (rires). Donc si tu comprends la valeur de ton expérience, tu feras un bon film. Et je pense que c’est la où Xavier Dolan est bon. Son premier film, J’ai tué ma mère n’est pas un chef d’œuvre mais il est fort, il est honnête. Et tu ne peux pas cacher l’honnêteté à l’écran. Quand quelqu’un est honnête dans son film, le public le ressent tout de suite. Pour un premier film, l’honnêteté est le plus grand pouvoir: si un film est honnête alors il sera bien.

«Je voulais donc explorer le thème de la famille, du prix à payer pour garder une famille unie, et si ce prix n’est pas trop élevé parfois» LD: Bon nous avons une tradition au Délit, c’est la question de la musique! Il est 23h le lundi soir, nous sommes en pleine soirée de production, quelle musique mettriez-vous pour nous réveiller, nous redonner la pêche? MR: (rires) Une parmi les premières chansons d’ACDC.

«Pour un premier film, l’honnêteté est le plus grand pouvoir: si un film est honnête alors il sera bien» longs. Ce n’était pas forcément dans leur façon de faire habituelle mais après quelques jours, quand ils ont vu la tournure que prenait notre projet, ils étaient de plus en plus enthousiastes. LD: Et alors, que pensez vous de votre expérience canadienne? MR: Chaque film est une expérience différente, et souvent l’expérience que j’en tire dépend de ma relation avec les acteurs, et vraiment, pour ce film, elle était super. J’ai vraiment passé un bon moment!

LAURENT GUÉRIN

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entrevue

LD: Si vous pouviez donner un conseil à un réalisateur en herbe de 20 ans, qu’estce que ce serait? MR: Ne mens pas. Sois honnête. N’écris pas sur des choses dont tu ne

Premières Neiges Drame écrit et réalisé par Michael Rowe. Avec Suzanne Clément et Paul Doucet. Canada /Australie, 2015 Propos recueillis et traduits par

INÈS Léopoldie-dubois Le Délit le délit · mardi 2 février delitfrancais.com


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